Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Réunion du jeudi 26 avril 2018 à 10h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • GHT
  • consultation
  • hospitalier
  • hôpital
  • médecin
  • médecine
  • offre
  • privé
  • soin

La réunion

Source

Jeudi 26 avril 2018

La séance est ouverte à dix heures quarante.

Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la commission d'enquête

————

La commission d'enquête procède à l'audition commune des fédérations hospitalières.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous allons maintenant procéder à l'audition commune des fédérations hospitalières, dont je remercie les représentants d'avoir bien voulu se rendre à notre invitation. Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. En conséquence, elles sont ouvertes à la presse, diffusées en direct sur un canal de télévision interne et pourront être consultées en vidéo sur le site internet de l'Assemblée nationale.

Avant de vous donner la parole pour une intervention liminaire, je vous indique que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.

Permalien
Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France

La Fédération hospitalière de France (FHF) est pleinement concernée par le problème des déserts médicaux, qui a une incidence sur l'hôpital. Quelque 26 % des postes de praticiens hospitaliers à temps plein ne sont pas pourvus, et 46 % des postes de praticiens hospitaliers à temps partiel. Le taux de vacance statutaire est donc très important, de manière constante depuis quelques années, et il ne diminue pas. Les déserts médicaux s'observent donc aussi à l'intérieur des établissements, avec de grandes disparités selon les spécialités et les régions. Il ressortait ainsi d'une enquête sur les besoins médicaux dans les établissements de la région Occitanie, menée au mois de mars par les hôpitaux d'Occitanie, que 450 postes y sont vacants, la perspective étant que le besoin doublera d'ici 2023 – en cinq ans, donc. Le sujet, prégnant, n'apparaît peut-être pas assez dans le plan pour renforcer l'accès aux soins récemment lancé par le Gouvernement.

Pour remédier à ce problème interne aux hôpitaux, nous formulons cinq propositions. La première est d'engager, en se fondant sur une gestion prévisionnelle des métiers et des compétences à l'échelle territoriale et nationale, et à la suite d'une phase de concertation, la révision sinon la suppression du numerus clausus. Le contingentement a montré toutes ses limites. Il est temps de partir des besoins des territoires pour ajuster les formations et la coopération entre les coordonnateurs de spécialités des services hospitaliers, voire les médecins spécialistes libéraux, et structurer l'offre de formation initiale à cette échelle. Le maillage des groupements hospitaliers de territoire (GHT) pourrait être un échelon intéressant dans le dialogue avec l'Université et la structuration d'une offre de formation permettant aussi de mieux articuler les stages d'internat dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) et en ambulatoire. Ainsi assurerait-on une meilleure visibilité, dès les études, de toutes les pratiques professionnelles possibles.

La deuxième proposition est de recentrer les médecins sur le coeur de leur métier, en développant de manière un peu plus volontariste les coopérations entre professionnels de santé et en valorisant les compétences des professionnels paramédicaux par l'exercice en pratique avancée.

La troisième proposition consiste à développer des modalités d'exercice innovantes et attractives, tel l'exercice mixte ville-hôpital. Le docteur Jean-Pierre Jardry, élu local et médecin généraliste libéral, a rendu il y a un mois un rapport dans lequel il avance dix-sept propositions visant à améliorer les liens entre médecine de ville et médecine hospitalière. La FHF souhaite faire évoluer le statut, le mode de rémunération et les perspectives de carrière des médecins qui ont choisi l'exercice mixte, pour mieux valoriser les hôpitaux de proximité en tant qu'échelons structurants de l'offre de soins dans des territoires où elle est lacunaire. Il convient à cette fin de valoriser l'expérience acquise en libéral pour faciliter l'accès au statut de praticien hospitalier à temps plein ou à temps partiel. On intéresserait davantage les médecins qui choisiraient de pratiquer à l'hôpital en prenant en compte les années pendant lesquelles ils ont exercé en qualité de médecin de ville. Aujourd'hui, les dispositions statutaires et réglementaires ne le permettent pas, ce qui rend cette perspective moins attractive.

La quatrième proposition est d'organiser l'offre de soins à l'échelle territoriale, en partenariat avec les collectivités. Le rapport du docteur Jardry est nourri de nombreux exemples d'initiatives qui montrent l'investissement des collectivités locales ; elles prennent souvent le parti de mieux s'adosser aux hôpitaux de proximité, considérant qu'ils peuvent être des hubs de premier recours dans de nombreux territoires.

Notre cinquième proposition est de compléter l'arsenal juridique pour soutenir l'effort d'attractivité des établissements de santé ; c'est capital au regard de la pénurie de praticiens hospitaliers dont j'ai fait état. C'est un sujet de préoccupation majeur pour nous que celui des médecins intérimaires, sinon mercenaires, et nous souhaitons très vivement le renforcement des contrôles du Conseil de l'Ordre. Nous l'avons saisi plusieurs fois à propos du comportement non déontologique de certains médecins qui appellent au boycott des établissements respectant « trop » les grilles de rémunérations. Il circule des listes d'hôpitaux que l'on incite à éviter quand ils proposent des missions d'intérim, parce qu'ils veulent appliquer la tarification réglementaire. Cette « course au tarif » pénalise les établissements en portant atteinte à leur santé financière. Nous appelons à des sanctions beaucoup plus fortes à ce sujet, afin qu'une régulation effective du recours à l'intérim voie le jour.

Ainsi se pose la problématique pour les établissements publics.

Permalien
Françoise Durandière, conseillère médicale de la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif

La Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif (FEHAP) regroupe 4 500 établissements et services qui ont pour particularité d'assurer une transversalité entre le sanitaire, le médico-social, le social et le domicile. L'ensemble des sujets relatifs aux politiques de santé nous concerne donc particulièrement, ce pourquoi nous avons rédigé une série de propositions constituant notre contribution à la stratégie nationale de santé ; elles se déclinent en une trentaine de fiches que nous vous remettrons. Pour cette audition précisément, nous avons formulé plusieurs propositions regroupées en chapitres : comment donner envie aux jeunes médecins de faire de la médecine générale ? Comment leur donner envie de travailler collectivement ? Comment leur donner envie de s'installer dans des zones « désertiques » ? Quel rôle pour les paramédicaux ? Comment limiter, sans perte de chance pour lui, la demande du patient d'accès au médecin ? Comment développer une politique d'accès à des soins non programmés ? Quelques autres propositions visent à compenser partiellement le déficit en médecins généralistes.

Bien sûr, cette réflexion ne doit pas concerner seulement les GHT et le secteur public, mais être conduite aux niveaux national, régional, et territorial. Jusqu'à présent, on a assisté à un empilement de mesures progressives mais timides qui n'ont manifestement pas permis de limiter la désertification médicale. Les dispositions de court terme ne suffisent plus. Il est impératif de définir un plan d'envergure nationale avec une vision prospective à moyen et long terme, mais nous craignons la complexité des réformes en cours. L'enchevêtrement des thèmes abordés – stratégie nationale de santé, transformation du système de santé, plan pour l'égal accès aux soins –, qui se double d'expérimentations et de réformes des autorisations et du financement, rend l'ensemble difficile à lire.

Permalien
Michel Ballereau, délégué général de la Fédération de l'hospitalisation privée

L'hospitalisation privée regroupe quelque mille établissements. Pour le court séjour, l'exercice a très majoritairement lieu en mode libéral, avec des médecins qui exercent également en ville, et l'hôpital privé représente à peu près un tiers de l'ensemble de l'hospitalisation. La proportion est d'environ deux tiers pour la chirurgie ambulatoire.

Les fédérations hospitalières ont l'habitude de travailler ensemble, et je pense pouvoir dire que vous avez leur soutien unanime pour résoudre les problèmes du système de santé français. Nous apprécions ces consultations, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au ministère.

La Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) considère que l'hôpital public et l'hôpital privé doivent contribuer au maillage du territoire en tous lieux, y compris pour désengorger les urgences publiques. Nous sommes aussi d'avis que l'offre de soins doit être repensée. L'exercice médical s'est profondément modifié et la sécurité n'est pas assurée avec un médecin isolé. Nous sommes opposés à l'idée de contraindre les médecins à s'installer dans des conditions qui ne leur permettent pas d'exercer convenablement leur métier ; cela ne répondrait pas de manière adéquate à la demande de sécurité de nos concitoyens. Comme l'a souligné le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France, il y a largement plus de dix ans que l'on ne peut pas exercer la médecine sans disposer en un même lieu d'imagerie et de biologie médicale. L'importante notion de pertinence des soins implique d'une part des audits par les pairs, fondés sur des référentiels, d'autre part une liberté d'organisation rendue possible par les évolutions décidées – notamment avec les infirmiers de pratique avancée – et par l'utilisation de moyens techniques tels que la télé-médecine pour l'ambulatoire. Nous souhaitons à cette fin certaines évolutions législatives, probablement minimes, pour organiser le « hors les murs ».

Comme la FHF, la FHP juge que les médecins doivent pouvoir exercer tantôt dans le secteur public, tantôt dans le secteur privé, sans freins artificiels et stérilisants. En revanche, nous ne sommes pas sur la même ligne, à ce stade, s'agissant de la suppression du numerus clausus. Nous notons toutefois que des médecins formés dans d'autres pays européens exercent en France sans que nous soyons, pour le moins, toujours certains de la qualité de la formation qu'ils ont suivie. Autrement dit, nous prônons une approche plus européenne du sujet, de manière que, tout en préservant la liberté de circulation, le niveau de compétence des médecins formés dans tous les pays membres de l'Union européenne soit réellement garanti.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons pour mission de définir ensemble comment endiguer un phénomène dramatique puisque, comme je l'ai dit en recevant les syndicats de médecins, la médecine libérale ne court pas seule dans son couloir ni la médecine publique seule dans le sien.

Quel bilan tirez-vous, au terme de deux années, de l'hôpital de proximité, censé apporter une réponse forte à un grave problème territorial ? Quelle est votre position à l'égard de la télé-médecine, dont le développement pose de multiples questions : qui la pratique, pour quels types d'actes et avec quelle assurance de qualité ? Pour ce qui est de la coopération entre la ville et l'hôpital, on constate que les ARS ont beaucoup de mal à constituer des GHT associant public et privé ; comment l'expliquer, sachant qu'il n'y aura pas de maillage sécurisé ni de parcours de soins efficient sans cela ? Vos établissements doivent devenir des terrains de stage effectifs pour les internes, car ce n'est pas en passant six mois dans un hôpital privé que peut se développer le désir d'y exercer ; ne faut-il pas faire un peu de forcing à ce sujet ? Enfin, comment créer des passerelles avec les services d'urgence des CHU et des centres hospitaliers régionaux (CHR) ? Des maisons de garde dans vos établissements ne sont-elles pas préférables à des gardes assurées individuellement par les médecins dans leur cabinet, voire dans des maisons de santé pluri-professionnelles (MSP) ?

Le Président de la République et le Premier ministre ont annoncé, il y a quelques semaines, un plan visant à donner une nouvelle impulsion à la prise en charge de la santé de nos compatriotes. Quels en sont, à votre avis, les aspects positifs, et quels points devront être renforcés pour nous permettre de faire face à notre responsabilité collective, après que de nombreuses erreurs ont été collectivement commises ?

Enfin, nous avons eu avec le Conseil national de l'Ordre des médecins des échanges assez directs au sujet des 22 000 médecins étrangers qui exercent en France sans avoir les bons diplômes, et aussi des médecins « mercenaires » qui font de la surenchère, exigeant jusqu'à 1 400 euros la journée sinon davantage. C'est ainsi qu'à Bourges, l'été dernier, le maire, en sa qualité de président du conseil de surveillance de l'hôpital, et le directeur de l'établissement ont été contraints de payer les urgentistes 1 600 euros par jour : s'y seraient-ils refusés que la préfecture du Cher se serait trouvée sans service d'urgence pendant trois semaines.

Permalien
Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France

Il est un peu tôt pour dresser le bilan des hôpitaux de proximité. Nous avions plaidé pour que le statut d'hôpital de proximité soit mieux reconnu. Aujourd'hui, il est adossé aux missions de service public telles qu'elles figurent dans la loi Touraine et un financement mixte a été calé – pour partie financement à l'activité, pour partie dotation socle. C'est dans ces établissements que l'on peut sans doute inventer des coopérations nouvelles entre médecine de ville et médecine hospitalière, et en tout cas les tester. Nécessité faisant loi, de nombreuses collectivités territoriales n'ont fort heureusement pas attendu l'adoption des grandes lois pour retrousser leurs manches. Alors que la France n'a jamais compté autant de médecins, jamais le problème de l'accès aux soins, qui entraîne celui de la qualité des soins auxquels accèdent les patients, n'a été aussi criant. Ce paradoxe français, difficile à faire comprendre, résulte de certains blocages dont j'imagine que vous les signalerez.

Depuis quelques années déjà, nous avons fait de conditions d'installation coercitives une proposition parmi d'autres. Nous avons proposé de conserver la liberté d'installation mais de ne plus autoriser l'installation en secteur 2 dans les zones surdotées, en refusant cette possibilité au énième spécialiste venant s'installer dans une ville déjà largement fournie. Nous estimons qu'il ne revient pas à la solidarité nationale de financer des médecins qui choisissent de s'installer là où le besoin ne s'en fait pas sentir en termes de santé ou de santé publique. Le Gouvernement esquisse de nouvelles propositions pour tenter de trouver une voie de passage entre la liberté d'installation et la coercition. Pour être franc, de nombreuses solutions ont été testées depuis des années, et je pense que ce plan sera la dernière chance d'éviter la coercition. S'il ne fonctionne pas, je ne vois pas comment on pourra faire l'économie d'un débat transparent à ce sujet. Les Français pourraient demander à juste titre de manière un peu plus vigoureuse pourquoi, alors qu'il n'y a jamais eu autant de médecins dans notre pays, on a autant de mal à accéder à un cabinet médical. Il y a là une question politique majeure.

La FHF plaide depuis toujours en faveur de la coopération entre médecine de ville et hôpital. Dans un premier temps, les GHT regroupent des hôpitaux publics ; dans un second temps, quand cette synergie aura eu lieu, quand chaque établissement membre d'un GHT ne pensera plus son avenir entre ses quatre murs mais en coopération dans son territoire, il serait logique et souhaitable que les GHT s'ouvrent au secteur privé dans toutes ses composantes : cliniques et tous établissements, et aussi médecine de ville. Ainsi construira-t-on le projet médical de territoire avec toutes les forces de santé qui y sont présentes.

Actuellement, 90 % des urgences sont assurées par les établissements publics. Y a-t-il trop de services d'urgence en certains lieux ? Peut-être, et il faut s'interroger sur la carte de ces services. Au nombre de nos propositions figure celle de permettre aux hôpitaux d'accueillir dans les locaux hospitaliers, à proximité des urgences, un exercice libéral. Ainsi des médecins de ville pourraient-ils, tous en gardant leur mode de rémunération habituel, venir exercer en lien avec les urgences. Je connais au moins un exemple de ce type, à Fontainebleau, où une maison de santé universitaire travaille en liaison avec les urgences ; il y en a d'autres.

Le plan santé suscite de grands espoirs, car le précédent quinquennat a fait beaucoup perdre à notre système de santé en éludant les réformes nécessaires, qu'il s'agisse de celle du financement, de la lutte contre les actes inutiles ou encore de la permanence des soins. Qui doit participer à celle-ci ? Doit-elle reposer uniquement sur l'offre publique ? Il faut rendre grâce au gouvernement actuel d'aborder les questions de fond qui ne l'ont pas été, et nous attendons maintenant des annonces plus précises. La situation se tend dans les hôpitaux. Le Président de la République a dit qu'il n'y aurait pas d'économies sur l'hôpital pendant son quinquennat ; dont acte. Néanmoins, en 2018, les établissements de santé devront faire un milliard d'euros d'économies. J'aurais tendance à penser que cela commence mal, mais qui sait : peut-être aurons-nous un milliard d'euros supplémentaires dans les quatre années qui restent ? En tout cas, l'équation économique reste pour l'instant très difficile. Or, derrière les chiffres, il y a la réalité des pressions dans l'activité quotidienne et dans le fonctionnement des établissements. Cela doit être pris en compte, mais il s'agit d'autre chose que des déserts médicaux et de l'accès aux soins.

Permalien
Françoise Durandière, conseillère médicale de la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif

Des hôpitaux de proximité sont très bien structurés et disposent du personnel médical et paramédical nécessaire pour répondre à un besoin territorial par une offre de soins intéressante, mais ce n'est pas le cas de tous. Certains éprouvent les plus grandes difficultés à ce qu'un médecin, même généraliste, intervienne, ou un kinésithérapeute. La difficulté est un peu moindre pour ce qui est des infirmières mais, d'une manière générale, leur offre médicale et paramédicale est insuffisante pour répondre aux besoins sanitaires du territoire considéré. Cela doit être revu.

Il est compliqué pour nos établissements, qui sont pourtant très demandeurs, d'accueillir des internes comme stagiaires. D'une part, nous peinons à les faire reconnaître comme terrain de stage, ce qu'ils sont pourtant ; d'autre part, les stagiaires ne nous sont attribués qu'en nombre très limité parce que les doyens de facultés tiennent d'abord à doter en internes les services publics, et n'affectent les étudiants aux établissements privés, lucratifs ou non lucratifs, que dans un second temps.

Le recrutement de médecins étrangers pose un réel problème. Actuellement, dans certains services d'urgence, des médecins ne parlent pas le français ; vous imaginez ce qu'il peut advenir. C'est une perte de chances pour le patient, et c'est surtout la persistance d'une inéquité socio-culturelle dans l'accès aux soins. Ni vous ni moi n'allons dans ces services-là : ceux qui y vont sont les personnes âgées et celles qui ont un faible niveau socio-culturel. Des décisions devront être prises au sujet de ces services qui fonctionnent très mal.

Nous sommes convaincus de la nécessité d'un plan ambitieux de développement de la télémédecine, qui peut concerner un vaste nombre de sujets – télémédecine, télésuivi, téléconsultations – mais qui demande la reconnaissance de nouveaux métiers. Parce qu'il s'agit du maintien à domicile des personnes âgées et des personnes en situation de handicap, et aussi de l'élargissement du périmètre des actes qui pourraient être financés, le développement de la télémédecine suppose une formation spécifique au cours des études médicales et paramédicales. Le plan numérique doit couvrir toutes les composantes du système de santé, que ce soit le sanitaire, le médico-social, le social, la ville ou le domicile.

De nombreuses plateformes de télémédecine se développent ; cela appelle impérativement la vigilance. On vient nous présenter ces plateformes, mais quand nous demandons quels sont les médecins qui exercent et selon quelles modalités, on ne sait nous dire s'ils sont présents 24 heures sur 24, 365 jours par an. Nos interlocuteurs prétendent que les services qu'ils proposent concernent toutes les spécialités, mais quand cherche à savoir si cela vaut 24 heures sur 24, la réponse se fait floue. Surtout, quand on demande le nom des médecins qui seront employés et l'origine de leurs diplômes, tout devient évasif. Le concept est donc intéressant, mais vigilance et contrôles rigoureux sont une nécessité absolue, sans quoi le risque est sérieux d'une dérive vers le mercenariat.

Permalien
Christine Schibler

Par le terme « hôpital de proximité », on a essentiellement entendu des modalités de financement complémentaires sans définir précisément la mission qui lui échoit ; il faudrait revoir et élargir ce concept.

LA FEHAP regroupe des établissements de santé, des établissements médico-sociaux et des activités sociales ; le maillage territorial de l'accès aux soins doit utiliser l'ensemble de ces structures. Les territoires étant inégalement dotés en établissements de santé, on ne peut limiter la réflexion à l'accueil des soins non programmés dans ces établissements ; il faut l'élargir aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et à toutes les structures existantes. On ne peut non plus envisager l'accès aux soins uniquement comme l'accès à un médecin ; il faut réfléchir à des complémentarités entre médecins, infirmières, voire autres professionnels de santé, et, bien entendu, prévoir aussi l'accès à l'imagerie et à la biologie médicale. Dans ce cadre, il sera judicieux d'utiliser le maillage territorial des établissements médico-sociaux pour mutualiser des équipements, organiser des téléconsultations et apporter de la sorte une réponse territoriale à la demande de soins de premier recours. Outre que ces établissements emploient déjà des professionnels de santé, une telle approche renforcerait leur attractivité et faciliterait le recrutement d'un personnel médical et paramédical qui pourrait pratiquer un exercice mixte. De plus, cela limite les investissements nécessaires à l'amélioration de l'accès aux soins de premier recours puisque les équipements existent déjà ; renforcer les systèmes d'information n'est pas extrêmement onéreux.

La réflexion sur la qualité et la sécurité des soins doit être concomitante à la réorganisation de l'accès aux soins d'urgence et de premier recours. La FEHAP ne souhaite pas que des mesures prises trop rapidement aient pour conséquence une dégradation de la sécurité des soins qui ne serait bénéfique à personne.

Les soins de premier recours concernent différents types de patientèle ; il faut distinguer la prise en charge d'une maladie chronique de celle d'un épisode aigü. Une réflexion générale s'impose, tant sur le financement que sur le rôle des infirmières et des autres professionnels de santé car même si l'on peut, par essence, anticiper les interventions nécessaires en cas de maladie chronique, de nombreux malades chroniques peuvent être amenés à se rendre aux urgences. L'organisation générale des soins doit être repensée. Un regard particulier doit être porté sur l'accès aux soins de premier recours des personnes âgées ; des expérimentations ont lieu à ce sujet avec les infirmières de nuit en EHPAD. On doit s'interroger sur les modalités d'accès aux établissements de santé des personnes âgées : doivent-elles systématiquement passer par les services d'urgence ?

Il faut aussi réfléchir au financement des urgences : doit-il être entièrement à l'activité ou faut-il envisager une responsabilité partagée, voire un intéressement avec les médecins de ville ?

Des réflexions s'imposent aussi sur l'accès aux soins des personnes en situation de handicap. Leurs pathologies entraînent des besoins particuliers et leur sort nous inquiète, nulle mesure prospective visant à améliorer leur accès à ces soins ne figurant dans aucun des projets régionaux de santé. Cette question doit être traitée, comme doivent l'être celles des modalités de gradation des urgences, de la tarification et aussi de la prise en charge des urgences en matière de santé mentale.

On a évoqué la coopération entre établissements publics et établissements privés au sein des GHT. La réforme, récente, a demandé aux établissements publics de mobiliser beaucoup d'énergie en très peu de temps pour organiser le projet médical partagé. La réforme, qui a pris la forme d'une réforme du conventionnement entre établissements et non celle de la création d'une personnalité morale, a alourdi la gestion des GHT. Nous espérons que c'est pourquoi nous n'avons pas été associés à ces groupements, mais nous sommes très inquiets à l'idée que les établissements privés à but non lucratif pourraient devenir la variable d'ajustement des GHT. Certains directeurs peuvent penser que la force du GHT fait qu'ils auront toutes les autorisations, et des projets médicaux pourraient conduire à des réorientations internes aux GHT ayant pour effet de casser des coopérations anciennes qui fonctionnaient très bien, sans que cela soit toujours favorable aux patients – par exemple s'ils sont contraints de se rendre pour des soins de suite et de réadaptation en un lieu beaucoup plus éloigné de chez eux que précédemment.

Permalien
Michel Ballereau, délégué général de la Fédération de l'hospitalisation privée

J'observe qu'il n'a pas encore été question de l'hospitalisation à domicile. La qualité et la pertinence des soins sont des points clés de la stratégie nationale de santé, tout comme le travail en équipe. Quel que soit le mode de rémunération – salariat ou exercice libéral –, plusieurs médecins doivent travailler ensemble et un médecin doit pouvoir demander au pied-levé à ses collègues et à l'imageur ce qui est en train de se passer. La réflexion en cours entre les radiologues et le ministère en matière d'imagerie – référentiels, audit par les pairs… – nous paraît particulièrement fructueuse.

Nous demander si nous sommes favorables à la télémédecine revient à nous demander si nous sommes favorables aux smartphones… La réponse est immédiate mais, cela dit, veillons à ce que la télémédecine ne soit pas la médecine dégradée des territoires peu développés. Nous devons renforcer l'attractivité des territoires, car les médecins s'installent là où leurs conditions de travail sont satisfaisantes. La télémédecine doit être du même niveau que le reste de la médecine et l'on ne travaille bien qu'en dialoguant, on ne se téléphone facilement que quand on se connaît.

Nous sommes résolument favorables à la coopération entre médecine de ville et établissements de santé de tous statuts. Cela étant, nos adhérents développent les deux tiers de la chirurgie ambulatoire ; il ne nous semble pas souhaitable de penser l'organisation territoriale de la chirurgie ambulatoire en s'appuyant d'abord sur l'hôpital privé pour lui adjoindre éventuellement l'hôpital public, et il ne nous paraîtrait pas mieux de procéder dans l'autre sens. En bref, l'organisation territoriale doit obligatoirement tenir compte de tous les établissements de santé, en lien avec le médico-social. Il est essentiel que nos collègues du secteur public puissent mieux travailler ensemble, mais constituer un GHT uniquement composé d'établissements publics et apprécier ensuite si l'hôpital privé peut s'y intégrer de façon supplétive ne nous paraît pas possible. Cela pourrait même s'apparenter à un chiffon rouge. Raisonnons dans chaque territoire en mesurant les besoins et le maillage.

L'accueil des internes est un sujet d'une extrême importance. Chacun d'entre nous veut s'installer dans des lieux qu'il connaît. Or, comme cela a été dit, on peut avoir le sentiment que les internes ne sont affectés à l'hôpital privé que lorsqu'il n'y a plus de place pour eux dans le public. Une démarche volontariste s'impose : il faut dire que des internes peuvent être affectés en stage dans des établissements de plus petite taille que les CHU et les CHR, où ils seront bien encadrés. Incidemment, les modalités de rémunération des internes dans le secteur privé, qui ne sont pas très favorables puisqu'ils ne peuvent facturer les consultations, méritent d'être revues ; mais, sur le fond, nous sommes très favorables à l'accueil des internes.

J'en viens aux urgences – les seuls services où l'on trouve tout. Pour les urgences vitales, il y a le « 15 », bien sûr. Il nous semble dommage, que dans un pays où les établissements privés de tous statuts constituent l'un des éléments importants de l'offre de soins, on laisse de côté les urgences privées. Nous avons dit, lors d'une audition devant le Conseil d'État, que nous manquions de possibilités d'informer sur ce qui existe. Certes, il ne faut pas confondre information et publicité, mais il faut pouvoir diffuser l'information dont les gens ont besoin quand ils consultent Internet. Il y a également les consultations non programmées, et il nous revient aussi – nous le rappelons à nos adhérents – lorsqu'une autorisation d'assurer les urgences a été accordée, de l'assumer pleinement, ce compris aux horaires les plus difficiles. Il nous semble important que cette notion de service public hospitalier soit étendue. Pour en finir à ce sujet, je tiens à souligner que, dans tout le secteur hospitalier privé, il n'y a pas de suppléments d'honoraires pour l'accueil des urgences. J'ajoute que l'hospitalisation privée commerciale accueille à peu près un quart des patients bénéficiaires des différents systèmes d'aide médicale d'urgence.

Permalien
Béatrice Noellec, directrice des relations institutionnelles de la FHP

L'information et la transparence en termes de qualité nous paraissent essentielles. Les patients doivent avoir accès aux soins, certes, mais à des soins de qualité et pertinents pour tous ; c'est aggraver l'inégalité d'accès aux soins que de laisser perdurer des offres de soins de mauvaise qualité. Aussi souscrivons-nous entièrement à l'axe de la stratégie d'appui à la transformation du système de santé relatif à la pertinence et à la qualité des soins.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans le cadre de l'organisation de l'offre de soins à l'échelle territoriale, les directeurs d'hôpitaux ont-ils assez de leviers pour favoriser les consultations avancées ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Que 450 postes de praticiens hospitaliers ne soient pas pourvus en Occitanie me trouble. Nous avons pourtant deux facultés de médecine, l'une à Montpellier, l'autre à Toulouse ; comment expliquer que l'on ne parvienne pas à attirer de jeunes médecins dans cette belle région ? Sur un autre plan, serait-il judicieux de plafonner le ratio intérimairessalariés dans les services d'urgence ? Enfin, dans ma région, les maisons de garde sont peu utilisées parce que les consultations y sont payantes alors qu'elles sont gratuites aux urgences ; une solution est-elle envisageable ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il est rassurant de savoir que, même si les discours sont modulés en fonction des trois fédérations, toutes partagent constats et objectifs. Je suis très favorable au rapprochement ville-hôpital. La présence d'établissements de santé, qu'ils soient publics ou privés, sur la plupart des territoires, permet le soutien d'équipes pluridisciplinaires que les médecins des villes et des campagnes sont en droit d'attendre. On a donc tout intérêt à renforcer ces liens. Je considère également que les GHT n'auront pas de sens si l'hôpital privé et la médecine de ville n'y sont pas associés, dans un esprit de coopération et non de concurrence. On connaît des exemples de réussites : ainsi, dans mon département, le GHT a su organiser le service des urgences en les répartissant entre l'hôpital privé et l'hôpital public pour ne pas mobiliser des spécialistes de toutes les disciplines dans toutes les structures aux mêmes horaires ; c'est le « 15 » qui fait la régulation et la répartition. Dans ce département, le même GHT est en train de bâtir un projet innovant en cancérologie, fondé sur un partenariat entre l'hôpital public et l'hôpital privé. Cela va dans le bon sens, mais quand on dessine la carte sanitaire d'un territoire, il est pertinent d'associer aussi aux projets de ce type les médecins de ville, qui sont souvent les prescripteurs de l'hospitalisation. Comme nos invités, je suis favorable à un juste partage de l'accueil des internes pour que la formation des médecins soit un peu moins centrée sur l'hôpital public et que, de temps en temps, l'expérience du secteur privé et du secteur médico-social enrichisse le cursus de formation des futurs médecins.

Permalien
Christine Schibler

Il peut y avoir des consultations avancées dans l'ensemble des secteurs, un établissement de grande taille pouvant organiser des consultations de spécialités sur un autre site, et pas uniquement dans des établissements publics ; à ma connaissance, rien ne s'y oppose et il n'est pas besoin de textes complémentaires. Mais il ne faut pas confondre consultations avancées et « chirurgie sac à dos ». Pour dispenser une activité chirurgicale de qualité, étant donné les équipements nécessaires et le développement des sous-spécialités, il faut avoir une taille critique suffisante pour que nos concitoyens bénéficient des meilleurs soins. Autant le concept de consultation avancée nous paraît intéressant, autant l'idée d'un plateau chirurgical où viendraient ponctuellement opérer des « chirurgiens sac à dos » nous paraît aussi dangereuse pour les patients que démotivant pour des professionnels de santé dont je pense qu'ils n'ont aucune envie d'un exercice dilué.

Il faut s'interroger sur les véritables besoins des patients sur un territoire plutôt que de vouloir à tout prix conserver un plateau chirurgical en un certain lieu. Il y a là un problème de pédagogie vis-à-vis des élus, auxquels il faut expliquer qu'un établissement de santé peut être très utile aux patients sans qu'il y ait forcément un service de chirurgie. Les actes chirurgicaux sont des actes ponctuels qui doivent être faits dans des sites où il y a un certain volume d'activité, des équipements et des professionnels de santé de qualité. En résumé, nous sommes favorables aux consultations avancées mais pas dans n'importe quelle discipline. D'autre part, une réflexion est certainement nécessaire sur la tarification des urgences.

Permalien
Françoise Durandière, conseillère médicale de la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif

La FEHAP considère indispensable de lier les autorisations à la stabilité des équipes et donc au plafonnement du nombre d'intérimaires. C'est essentiel pour assurer la qualité et la sécurité des soins et nous le recommandons instamment. D'autre part, rendre les consultations payantes quand les patients se présentent dans un service d'urgence sans raison probante demande une réflexion de fond ; il est certain que l'on éviterait ainsi de nombreuses admissions injustifiées.

Permalien
Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France

Les consultations avancées sont bien entendu utiles, nécessaires et opportunes. Il en existe déjà, mais des freins réglementaires subsistent qu'il faut lever, notamment au sujet de la rémunération des praticiens. Je citerai l'exemple de Belle-Île-en-Mer : si les médecins de l'hôpital de Vannes ne s'étaient pas retroussé les manches, ils n'auraient pas permis d'irriguer à nouveau l'offre médicale dans une île où vivent 5 000 habitants l'hiver et où ne restait qu'un médecin libéral. Les consultations avancées évitent aux Bellilois d'aller sur le continent et la pratique mixte ville-hôpital a rendu l'installation plus attractive pour les médecins généralistes libéraux, si bien que Belle-Île n'est plus le désert médical qu'elle était il y a quelques années. C'est un exemple parmi beaucoup d'autres. Raisonner sur l'offre de santé d'un territoire permet de déceler les besoins de consultations ici ou là. En dépit des freins réglementaires qui subsistent en matière de rémunération, cette pratique utile va se développer.

Que l'Occitanie soit une belle région et qu'elle compte deux facultés de médecine n'empêche pas qu'elle soit confrontée comme toutes les autres à la vacance des emplois hospitaliers, dans la proportion que j'ai dite et qui doublera dans les cinq ans, ce qui est un sujet d'inquiétude, Mesdames et messieurs les députés, n'oubliez pas, au moment de rédiger vos recommandations, que les déserts médicaux concernent aussi les hôpitaux !

Je suis favorable sans réserve à ce que tout établissement pratique les urgences s'il a les forces médicales adéquates et s'il en a le désir. Toutefois, répondre aux urgences signifie que l'on respecte la notion de service public et ce que cela implique en termes de droits et de devoirs : droits parce que cette activité fait l'objet de financements particuliers, devoirs parce qu'il n'y a pas de discrimination à l'entrée des urgences, que l'on participe pleinement aux obligations de service public et que l'on répond à la demande 24 heures sur 24. Or, de nombreuses informations remontent des territoires selon lesquelles des établissements privés limitent leurs activités d'urgence – et l'affichent. J'ai ainsi sous les yeux un courrier envoyé à l'ARS par des chirurgiens orthopédistes exerçant dans une grande capitale régionale à l'Est de la France. « Notre objectif », expliquent-ils, « est de participer à l'accueil des urgences orthopédiques en tenant compte de nos spécificités de structure, d'organisation et de compétence. Et donc ainsi, nous limitons la prise en charge des patients adultes ne relevant pas d'un délai de prise en charge de moins de six heures, excluant d'entrée de jeu les pathologies suivantes : les polytraumatisés, les polyfracturés, la traumatologie du rachis, les fractures ouvertes… ». Une liste complète de pathologies refusées est donc envoyée à l'ARS, à laquelle on explique en bref que l'on veut bien participer aux urgences mais pas à toutes, au soin de certaines pathologies mais pas de toutes… Je sais que la FHP condamne ces pratiques, mais telle est parfois la réalité. Encore une fois, si l'on participe à l'organisation du service d'urgence, c'est à la condition de souscrire pleinement aux obligations que cela entraîne : la non-sélection et l'entière participation à la permanence des soins à toute heure, tous les jours.

Effectivement, les gens se rendent dans les services d'urgence plutôt que dans les maisons de santé. C'est que si l'accès aux soins est de plus en plus difficile sur le plan géographique, il l'est aussi sur le plan économique. Il n'en existe sans doute pas de mesure précise, mais si l'on prenait le temps d'étudier l'évolution du taux de renoncement aux soins, on s'apercevrait certainement qu'il va croissant. Des gens ne se font pas soigner ou espacent les consultations, et entrent finalement dans le système de soins alors qu'ils sont malades depuis longtemps sans que leur pathologie ait été décelée quand il l'aurait fallu, ce qui pose évidemment d'autres problèmes économiques à la collectivité.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour les propos responsables que vous tenez. Chacun a bien compris qu'une articulation nouvelle doit être inventée entre la médecine hospitalière publique, la médecine hospitalière privée et la médecine de ville. Comment construire au mieux les GHT pour éviter le risque de subordination évoqué ? Vous semblerait-il de bonne pratique d'établir un référentiel d'organisation pour fixer le rôle de chacun, privilégiant ainsi une démarche hyper-qualitative ? Le courrier dont M. Valletoux vient de donner lecture appelle cette réaction : on ne peut, quand on a une délégation de service public, choisir le type d'urgence ou le type de patient que l'on soigne. Si les choses sont organisées en fonction d'un référentiel, moins il y aura de redondances et plus d'argent sera disponible pour rendre le meilleur service possible.

S'agissants des postes de praticiens hospitaliers vacants, avez-vous tracé une perspective à deux, quatre ou six ans ? Le potentiel est considérable puisque sur les 1 500 nouveaux médecins généralistes qui achèvent chaque année leur cursus universitaire, très peu s'installent. Comment répondre à ce problème majeur de recrutement ? Comment aiguiller les jeunes médecins vers les centres hospitaliers qui devraient incarner une sorte de sécurité professionnelle pour ceux d'entre eux qui redoutent de s'installer en libéral ?

Permalien
Michel Ballereau, délégué général de la Fédération de l'hospitalisation privée

Je reviens un instant sur les maisons de santé pour préciser que le tarif est le même partout, en libéral et dans les établissements de santé publics et privés. La seule différence tient à l'avance de frais, qui peut être ou ne pas être.

Le point essentiel des systèmes d'information n'a pas été abordé pour le moment. Nous nous sommes extraits de la réflexion sur les référentiels des systèmes d'information en santé depuis six ou sept ans et nous sommes en train d'y revenir progressivement. C'est un sujet important, car nous ne devons pas nous déconnecter des autres pays de l'Union européenne.

Autre chose : un référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN) est actuellement en vigueur ; il n'est pas acceptable qu'une innovation passée dans la pratique médicale courante soit encore hors nomenclature, car c'est faire perdre des chances aux malades. On a parlé tout à l'heure d'organisation innovante, mais certains outils existent que l'on oublie parfois d'employer. Pour ce qui est des centres avancés, publics ou privés, le nécessaire lien avec les établissements à caractère médico-social a été évoqué précédemment ; il ne faut pas oublier que certains services de soins de suite et de réadaptation disposent aussi d'imagerie et de biologie médicale.

S'agissant des « médecins sac à dos », l'autorisation pour des soins de qualité prouvée et pertinents suppose, comme cela a été dit, que des équipes travaillent sur des sites déterminés. Il doit s'agir d'équipes médicales ou chirurgicales qui ont toute la compétence requise et qui sont donc des équipes constituées. Cela signifie qu'au-delà d'un certain nombre d'intérimaires, la sécurité n'est plus assurée. Pour agir efficacement, il faut établir un plafond et poser le principe que s'il n'est pas respecté, la structure ne peut plus assurer la spécialité en cause, l'autorisation étant reprise immédiatement. Autrement dit, il faut inverser la charge de la preuve, tout en prévoyant, comme cela a été fait pour la biologie médicale, que le directeur général de l'ARS peut autoriser le dépassement du seuil fixé dans des cas exceptionnels dûment motivés. Ce seuil peut varier selon les spécialités, mais disposer que l'autorisation sera ipso facto suspendue s'il est dépassé poussera les responsables à réfléchir. Nous apportons notre complet soutien à nos collègues de l'hôpital public qui souhaitent ne pas surpayer des intérimaires dont il peut se révéler de surcroît que la qualité n'est pas garantie et qui, quoi qu'il en soit, même s'ils sont de bons professionnels, ne sont pas intégrés dans l'équipe.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Estimez-vous que le plafonnement du nombre d'intérimaires devrait se doubler du plafonnement de leur rémunération pour que les « sédentaires » ne se sentent pas pénalisés ?

Permalien
Michel Ballereau, délégué général de la Fédération de l'hospitalisation privée

Chacun a besoin de considération. Comment quelqu'un qui exerce tous les jours dans son établissement de santé peut-il avoir le sentiment d'être considéré si celui qui passe par là est payé bien davantage qu'il ne l'est ? Aussi, oui, nous sommes favorables au plafonnement de la rémunération des médecins intérimaires.

S'agissant des gardes, il faut distinguer deux sujets. Lorsque j'ai dit tout à l'heure que nous devions prendre nos responsabilités, cela signifiait la prise en charge attendue d'un service d'urgence ; si je l'ai souligné, c'est qu'en certains lieux il peut en aller autrement. L'autre sujet, médical, est celui de la régulation, excellemment faite par le service d'aide médicale d'urgence (SAMU). Face à un polytraumatisme, le médecin peut avoir une suspicion de fracture hépatique. Si le malade est amené dans un centre, public ou privé, qui n'est pas compétent pour faire une hépatectomie partielle, son sort est réglé : il est mort. En cas de fracture du rachis, la régulation doit adresser le patient en neurochirurgie ; ce n'est pas par hasard que, dans des villes comme Paris, on a inventé les grandes gares de neurochirurgie. Il ne faut pas confondre les deux sujets, et mettre en exergue des cas particuliers quand il s'agit de sujets médicaux.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout le monde ne pouvant tout faire, il faut des « gares de triage » intelligentes. Comment, alors, prendre en charge au mieux un polytraumatisme, un accident vasculaire cérébral ou une grossesse à risque qui se termine mal ?

Permalien
Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France

La FHF plaide en faveur de l'introduction en France du principe de « responsabilité populationnelle », qui a révolutionné le systéme de santé du Québec. Dans un territoire dont les données pathologiques sont identifiées et où l'offre de soins est ce qu'elle est, l'État, qui souhaite des ratios de santé publique optimaux – avec, par exemple, la réduction des taux de diabète et de mortalité infantile – demande à tous les professionnels de santé de s'organiser pour parvenir à cet objectif, et juge de la réussite de l'organisation choisie à cette fin en fonction des données territoriales de santé publique collectées. Pour la France, cela signifie que l'on sorte du système de santé actuel, jacobin et hyper-centralisé, et que l'on admette que les professionnels de santé sont capables, ensemble et quel que soit leur statut, d'inventer des systèmes de prises en charge adaptés aux données épidémiologiques de la population et à l'offre de soins. Ce serait une révolution à 180 degrés. Cela rejoint l'idée que les hôpitaux de proximité, qui n'ont pas tous les mêmes vocations et n'accueillent pas tous les mêmes professionnels, doivent se voir reconnaître la souplesse en termes de rémunération et de statuts qui leur permettra de devenir des hubs de premier recours, à partir desquels, en fonction de la pathologie et de sa gravité, une régulation et une orientation auront lieu. C'est d'autant plus nécessaire que la population française, vieillissante, doit être prise en charge au plus près – et l'hôpital de proximité est un lieu de fixation de l'offre des soins. Le modèle québécois, qui donne plus de responsabilités aux acteurs locaux parce que les caractéristiques régionales diffèrent, est pour moi le modèle rêvé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je partage votre analyse, mais les professionnels de santé sont-ils prêts à accepter des contraintes, en matière de consultations avancées particulièrement ? J'entends ce qui a été dit au sujet de la qualité des soins et je suis d'accord avec l'idée que l'on ne peut faire de la chirurgie partout, mais si les orthopédistes ne se déplacent pas pour faire une consultation à 60 kilomètres, que fait-on ? On installe le grand-père dans un taxi ou un véhicule sanitaire léger (VSL), et l'assurance maladie se trouve devoir régler pour quelque 7 milliards d'euros de frais extra-médicaux en 2017. Je préférerais allouer 2 milliards d'euros supplémentaires à l'offre de soins classique.

Permalien
Françoise Durandière, conseillère médicale de la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif

Les consultations avancées – qui n'ont rien à voir avec la médecine « sac à dos », laquelle met en jeu la sécurité puisqu'on est amené à exercer avec une équipe que l'on ne connaît pas – sont une modalité d'exercice qui semble ne pas déplaire aux jeunes médecins ; nous pensons qu'elles ont de l'avenir.

On a mentionné les difficultés de recrutement des médecins généralistes et le fait que très peu s'installent, mais on n'a rien dit du carcan administratif qui les dégoûte au point de les pousser à une décennie de remplacements plutôt que de s'installer. Les établissements membres de la FEHAP, qui emploient une majorité de médecins salariés, ont beaucoup moins de problèmes de recrutement que les établissements publics. C'est qu'il y a aussi des lourdeurs internes aux grands établissements ; dans les nôtres, qui sont de plus petite taille que les CHU, ces lourdeurs sont moindres, ce qui rend l'exercice professionnel plus plaisant.

Si l'on envisage de lier l'autorisation à la stabilité de l'équipe, il faut, comme c'est le cas en cancérologie, la mesurer sur une période de trois ans car si un seuil est fixé à 20 %, les intérimaires peuvent représenter 19 % de l'effectif une année, 21 % une autre et 18 % la troisième.

Enfin, on n'a toujours pas fermé ceux des plateaux techniques chirurgicaux et obstétricaux qui n'apportent pas la sécurité. Il faut en décider, car le ferait-on qu'il y aurait moins besoin d'intérimaires, moins de dépenses indues, moins d'actes non pertinents et un recentrage des professionnels, si bien que les équipes en manque d'effectif seraient moins nombreuses.

Permalien
Christine Schibler

La réforme des hôpitaux de proximité s'est caractérisé par un mode de financement particulier plus que par une réflexion sur leur métier. Au moment où l'on pense à la gradation des urgences, il faut réfléchir à la terminologie. Á cet égard, l'expression « consultation non programmée » n'est pas la bonne ; mieux vaudrait parler d'une « antenne de prise en charge » regroupant le sanitaire et le médico-social. Le parcours des individus n'est pas qu'un parcours de santé, c'est aussi un parcours de vie. Des perspectives positives seront mieux acceptées par des élus très attachés, comme il est normal, à « leur » hôpital : mieux vaut parler de plateforme de prise en charge, de télémédecine et d'orientation. Ces sujets essentiels n'ont pas été traités faute de réflexion sur l'organisation de ces points de prise en charge sur le territoire.

Permalien
Michel Ballereau, délégué général de la Fédération de l'hospitalisation privée

Il faut réfléchir, ensemble, à une organisation associant la ville, l'hôpital, le médico-social, le public et le privé, quelles que soient les modalités de rémunération. Cette organisation doit être rendue publique et accesssible à tout le monde. Il est heureux que les responsables de l'ARS aient une grande compétence car ces agences, duales, sont à la fois le régulateur du public et du privé et la « holding » du public ; c'est être un peu juge et arbitre ce qui, quelle que soit la qualité des individus, peut être compliqué… Or plus le système sera équilibré et plus nous y gagnerons tous.

Enfin, quiconque se lance dans des études de médecine sait que les gardes et les astreintes sont des obligations consubstantielles au métier. Permettez-moi de dire que si l'on en appelait au volontariat des conducteurs de train pour faire circuler les convois le dimanche, le service ne serait vraisemblablement pas ce qu'il est. La considération dont tous les soignants ont besoin passe aussi par le respect de ces obligations professionnelles. Un médecin généraliste du Morvan m'a dit assurer seul la permanence des soins toute l'année là où il exerce ; la considération dont il jouit pour cela fait qu'il n'est appelé qu'un nombre de fois infime hors ses heures de consultation régulières, et toujours pour des raisons graves.

Permalien
Françoise Durandière, conseillère médicale de la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif

Je reviens sur la nécessaire égalité d'accès aux soins pour les personnes fragiles. On parle beaucoup des autistes mais peu des déficients intellectuels et des polyhandicapés, alors que les soins qu'ils requièrent demandent du temps, des équipements adaptés et des compétences particulières. Or la réforme du troisième cycle des études médicales et la maquette de formation des généralistes ne prévoient pas de sensibilisation à la prise en charge de ces personnes, non plus que des personnes âgées. C'est un véritable problème, car il faut se donner les moyens de faire que toutes les personnes handicapées aient accès aux soins dont elles ont besoin, et non seulement certaines tranches de population diminuées ou fragiles.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mesdames, messieurs, je vous remercie pour ces échanges de grande qualité.

L'audition se termine à douze heures dix.

————

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 26 avril 2018 à 10 h 30

Présents. – M. Alexandre Freschi, M. Jean-Carles Grelier, Mme Stéphanie Rist, Mme Mireille Robert, M. Philippe Vigier.

Excusés. – Mme Gisèle Biémouret, Mme Jacqueline Dubois, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Jean-Michel Jacques, M. Bernard Perrut, M. Jean-Louis Touraine