Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mercredi 3 octobre 2018 à 11h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • PMA
  • autoconservation
  • couple
  • don
  • ovocytaire
  • ovocyte

La réunion

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Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mercredi 3 octobre 2018

Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition du Pr. François Olivennes, gynécologue obstétricien spécialiste de la reproduction.

La séance débute à douze heures quinze.

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Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous allons auditionner le professeur François Olivennes, que nous remercions d'avoir accepté notre invitation à échanger avec nous et prions de bien vouloir nous excuser pour le retard pris.

Vous êtes, monsieur le professeur, gynécologue obstétricien, spécialiste de médecine de la reproduction.

Les travaux de notre mission d'information nous amènent notamment à nous interroger sur l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules, le diagnostic préimplantatoire, la gestation pour autrui (GPA) ou encore la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes. Nous souhaiterions donc recueillir votre expertise sur ces thématiques. Je vous propose de vous laisser tout d'abord la parole, avant de passer à des échanges de questions et réponses. Je rappelle que nos débats sont enregistrés.

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François Olivennes

Merci de m'avoir invité. J'avais déjà été auditionné voici quelques années et suis amusé de constater que les mêmes sujets nous occupent aujourd'hui encore, puisque la précédente révision de la loi relative à la bioéthique n'avait pas apporté d'avancées dans certains des domaines concernés.

Vu le temps imparti, j'ai choisi de n'évoquer que l'ouverture de la PMA aux femmes seules et homosexuelles, l'autoconservation ovocytaire et de dire quelques mots sur le « chiffon rouge » que constitue la GPA.

Je voudrais, en toute modestie, préciser en préambule que j'ai fait un doctorat de médecine consacré aux données périnatales des enfants conçus en fécondation in vitro et un doctorat de science en médecine et biologie de la reproduction sur le développement des enfants conçus en procréation médicalement assistée. Je me permets de vous l'indiquer pour vous montrer que je connais bien ce sujet, qui m'a beaucoup intéressé et auquel j'ai consacré un nombre considérable de publications. J'ai eu l'occasion d'en étudier les problématiques et les écueils.

Concernant l'extension de la PMA et son ouverture aux couples de femmes et aux femmes seules, le débat me semble souvent assez confus. A mes yeux, la question principale, qui doit conditionner la décision, est de savoir si le développement des enfants concernés est affecté par ce type de parentalité. Il s'agit selon moi du point essentiel : ces enfants sont-ils malheureux ? Ont-ils des problèmes particuliers ? D'autres questions doivent également être abordées, mais en deuxième ligne : elles concernent l'éventuelle application de cette autorisation, en termes de disponibilité du sperme, de critères d'accès, de remboursement par la sécurité sociale. Bien évidemment, tous ces sujets sont mêlés, mais la question prioritaire est, selon moi, essentiellement liée au devenir de ces enfants.

Pour ce qui est des couples de femmes, je voudrais insister sur le fait que l'on a mesuré le devenir de ces enfants, dans trois thématiques principales que sont les performances scolaires, les troubles affectifs et les troubles du genre. Ces études sont souvent faites à l'étranger, mais il existe aussi une bonne trentaine de travaux menés en France et cités dans un ouvrage que j'ai publié en mai dernier, intitulé Pour la PMA. Ces études ont été critiquées, car basées sur une participation volontaire de couples de femmes homosexuelles, ayant souvent conçu leurs enfants auparavant, au sein d'un couple hétérosexuel, et ayant ensuite changé d'orientation sexuelle. La situation était donc particulière, puisque ces enfants avaient été soumis à ces extraordinaires bouleversements que sont un divorce, d'éventuels conflits et le changement de partenaire de leur mère. Pour résumer d'une phrase, je tiens à souligner qu'aucune étude ni méta-analyse effectuée à partir de ces travaux grâce aux techniques statistiques n'a montré que les enfants élevés dans le cadre de couples homosexuels présentaient des troubles du développement. Une ou deux études ont fait apparaître quelques retards de performances scolaires, toutefois annulés dès lors que l'on procédait à des corrections par rapport à la situation des parents, à leur éducation, au milieu scolaire, etc. Une étude très intéressante a par ailleurs mis en lumière le fait que des troubles étaient plus fréquemment constatés dans les pays dans lesquels l'acceptation d'enfants de couples homosexuels était mal vécue par la société. Ce fut le cas par exemple dans la comparaison effectuée entre la situation en Hollande et aux Etats-Unis. A priori, aucune étude ne montre que ces enfants vont mal.

Concernant l'accès des femmes seules à la PMA, la situation est sensiblement différente, dans la mesure où il existe peu d'études. On manque donc de données scientifiques. On dispose en revanche des informations fournies par les pays ayant procédé à l'ouverture de la PMA aux femmes seules. En Belgique par exemple, on procède à des inséminations de femmes seules et de femmes homosexuelles depuis 1984. Les équipes y ont donc acquis une certaine expérience. Des études de suivi de ces familles y ont été organisées, qui ont montré que des problèmes pouvaient survenir. Cela a conduit à assortir la prise en charge de critères psychologiques clairement définis, évalués lors d'un entretien psychologique spécifique. Aujourd'hui, cette pratique se poursuit, en faisant preuve de vigilance et avec des résultats tout à fait satisfaisants en termes de performances scolaires et de développement des enfants. Lorsque je suis amené à donner un avis à des femmes seules qui souhaitent avoir accès à la PMA, je leur conseille vivement de se rendre en Belgique, pour bénéficier de cet entretien et ne pas être soumises à la logique purement commerciale qui prévaut en Espagne par exemple. Certaines patientes ont vu leur demande refusée suite à l'entretien psychologique, ce qui témoigne du sérieux du dispositif.

Je ne nie absolument pas l'importance des questions corollaires. Elles concernent tout d'abord la disponibilité du sperme : je pense toutefois que ces femmes pourront peut-être contribuer à ce que de nouveaux donneurs viennent dans les banques de sperme. Certains pays, dont la Belgique, ont par ailleurs passé des accords avec des banques étrangères sélectionnées, sur la base d'un cahier des charges précis incluant des conditions éthiques de recrutement des donneurs et de disponibilité des paillettes : on estime ainsi que 60% à 70 % des paillettes de sperme utilisées par les équipes belges viennent de pays étrangers, notamment du Danemark.

Concernant les critères d'accès, je rappelle que l'on s'adresse aujourd'hui en France, pour tout don de sperme pour des couples hétérosexuels, aux centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS), selon des procédures tout à fait clairement établies, comprenant des entretiens psychologiques. On peut ainsi très bien imaginer procéder de la même manière si l'autorisation d'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules est votée, avec des entretiens psychologiques et des critères de sélection conduisant à s'assurer que l'enfant se développera dans de bonnes conditions. Ce dispositif pourrait éventuellement être renforcé pour les femmes seules, en tenant compte de l'expérience belge.

La question du remboursement par la sécurité sociale est une problématique tout à fait importante : ne pas rembourser cette pratique induirait une sélection par l'argent, puisque, comme c'est déjà le cas pour les femmes se rendant à l'étranger, seules celles qui en auraient les moyens pourraient en bénéficier. La rembourser à toutes les femmes soulèverait le problème de la contribution solidaire pour remédier à une stérilité non médicale. Je conteste toutefois l'idée que la prise en charge soit totalement non médicale, dans la mesure où l'interdiction donne par exemple lieu aujourd'hui à des auto-inséminations à la maison, dans des conditions sanitaires douteuses : il y a donc une certaine valeur ajoutée médicale dans le fait d'éviter que ces femmes se fassent traiter en dépit du bon sens ou procèdent à des inséminations dangereuses pour elles. Il y a assurément un service médical rendu. La stérilité n'est peut-être pas médicale, mais l'intervention de la médecine est, à mon avis, souhaitable et préférable au fait que les femmes aient recours, via internet, à des gens plus ou moins vertueux. Je pense que l'on pourrait imaginer un bouleversement de la sécurité sociale, en créant une aide forfaitaire, liée à des conditions de ressources. Cette option aurait d'ailleurs été évoquée à demi-mots par le premier ministre récemment.

Sans doute pourrait donc également envisager d'encourager ces femmes à utiliser le sperme d'un donneur connu, comme le font déjà certaines femmes homosexuelles, qui font appel à un ami. Cela pourrait régler le problème de l'anonymat, question importante que je n'aurai toutefois pas le temps d'aborder, sauf si vos questions m'y invitent.

Concernant l'autoconservation ovocytaire, il faut savoir que l'âge de la première grossesse augmente d'année en année. Les femmes souhaitant avoir des enfants après 38 ou 40 ans sont de plus en plus nombreuses, entre celles qui se décident tardivement et celles qui, après un divorce, connaissent une nouvelle union. La fertilité féminine décroît par ailleurs après 35 ans et devient très faible après 40 ans. Or l'assistance médicale à la procréation ne permet pas de pallier la perte de fertilité liée à l'âge. La seule solution consiste donc à orienter ces femmes vers le don d'ovocytes, qui est pour moi un sujet crucial, mais semble passé aux oubliettes, si bien que les femmes sont obligées de se rendre à l'étranger. Je ne vois pas pour quelles raisons interdire l'autoconservation ovocytaire, à partir du moment où l'on informe clairement ces femmes qu'il ne s'agit pas d'une panacée et qu'une autoconservation ovocytaire ne leur permettra pas à coup sûr d'obtenir une grossesse. Il est en outre important, pour que les chances de réussite soient optimales, de réaliser l'autoconservation relativement tôt ; or il est probable que les femmes qui pensent aujourd'hui tardivement à la maternité penseront également tardivement à recourir à l'autoconservation ovocytaire. Les femmes jeunes n'envisageront pas cette possibilité. Comme vous le savez, le Comité consultatif national d'éthique a changé d'avis sur le sujet et s'est prononcé en faveur de l'autoconservation ovocytaire.

Pour ce qui est du « chiffon rouge » de la GPA, agité à dessein selon moi par les opposants à la PMA, il convient de souligner que l'une des différences entre l'homme et la femme est la présence chez cette dernière d'un utérus, qui lui permet d'être enceinte. Il n'existe de ce point de vue aucune égalité entre hommes et femmes. Cela n'a pas de sens. C'est comme si l'on demandait, au nom de l'égalité, que les hommes puissent allaiter leurs enfants. Pour moi, la question de l'égalité ne se pose pas dans ce domaine.

En conclusion à ce court exposé, il est clair pour moi qu'il faut autoriser l'accès des femmes homosexuelles à l'AMP, car de nombreux pays l'ont fait et que les résultats en sont dans l'ensemble satisfaisants, et l'autoriser avec certaines réserves pour les femmes seules, situation pour laquelle on dispose de moins d'études et qui demande une certaine vigilance. Je suis également favorable à l'autoconservation des ovocytes, avec des critères d'âge pour l'autoconservation et pour l'utilisation des ovocytes et à condition qu'une information soit donnée aux femmes sur les limites de cette pratique.

Je vous remercie.

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Merci beaucoup, monsieur le professeur.

Vous avez fait mention de critères d'âge : quel en est le fondement ?

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François Olivennes

Pour ce qui est de l'autoconservation ovocytaire, il existe un âge à partir duquel les résultats obtenus sont désastreux. Proposer une autoconservation d'ovocytes à une femme de 40 ou 42 ans, comme le font les Espagnols, s'apparente presque à une escroquerie, dans la mesure où les chances que cela conduise à une grossesse sont très réduites. Le faire très tôt n'a pas beaucoup de sens non plus.

Il faut par ailleurs fixer selon moi un âge limite pour l'utilisation des ovocytes conservés. Des problèmes d'obstétrique peuvent en effet se poser dans les cas de grossesses tardives. Il est difficile de définir un âge précis, mais les obstétriciens pensent qu'il existe, entre 45 et 50 ans, un âge à partir duquel une grossesse peut devenir problématique. Tous les pays ne se posent pas cette question. On sait par exemple que les Américains procèdent à des dons d'ovocytes pour des femmes jusqu'à 60 ans. Je considère pour ma part que ce n'est pas raisonnable.

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Ma deuxième question concerne la levée du critère d'infertilité pathologique pour les couples de femmes et les femmes seules. Etes-vous également favorable à la suppression de ce critère pour les couples hétérosexuels ?

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François Olivennes

Il faut savoir que, chez 15 % des couples hétérosexuels que nous recevons en consultation et pour lesquels un bilan de fertilité est effectué, aucune cause médicale n'est détectée. On parle alors pompeusement d'« infertilité idiopathique », c'est-à-dire en fait inexpliquée. Il existe probablement chez certains couples des causes que la médecine ne connaît pas. D'autres n'ont pas de rapports sexuels. Aujourd'hui, il existe ainsi sûrement des prises en charge médicales effectuées pour pallier à des problèmes pas nécessairement médicaux. Dans un autre domaine, la chirurgie esthétique, en dehors de la chirurgie reconstructrice, ne répond pas à des problématiques foncièrement médicales. Le fait que la médecine puisse s'occuper de pathologies qui ne sont pas strictement des maladies ne me choque pas particulièrement.

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Merci beaucoup pour votre exposé.

Je souhaiterais tout d'abord vous interroger sur votre expérience des PMA « sauvages » actuelles, dont vous avez fait état dans certains articles.

Vous avez par ailleurs dénoncé des contre-vérités, en particulier sur le sort soi-disant peu enviable des enfants très désirés, nés de mères sans mari ou compagnon. Pensez-vous que ces contre-vérités sont le fait de lobbies mal intentionnés ? Vous aviez fait mention en particulier de la campagne ayant assimilé les bébés nés de PMA à des légumes génétiquement modifiés. Pensez-vous au contraire que cela provient essentiellement d'une ignorance de la part de gens qui ont a priori des doutes quant à la situation d'un enfant devant se développer sans référent paternel ? Quelle est selon vous l'origine de ces contre-vérités qui nuisent à la sérénité des débats ?

Ma troisième question concerne la lutte contre la pénurie d'ovocytes. Je viens d'entendre votre point de vue positif sur l'autoconservation ovocytaire. J'imagine donc que vous êtes aussi favorable au don des ovocytes non utilisés dans ce cadre à d'autres femmes.

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François Olivennes

Concernant les PMA sauvages, il faut savoir que, dans les congrès internationaux de PMA se déroulant aux Etats-Unis, on trouve énormément de stands de banques de sperme, qui vous expliquent qu'elles peuvent vous envoyer du sperme. Lorsque vous leur répondez que c'est interdit en France, elles vous rétorquent qu'elles y envoient pourtant très régulièrement du sperme, soit chez des particuliers, soit chez des gynécologues qui contournent la loi. Cela donne donc lieu à des inséminations sauvages, même si le sperme utilisé est en l'occurrence contrôlé. Il existe également des sites internet, cités dans mon ouvrage, d'hommes qui se proposent de faire des enfants aux femmes qui le souhaitent. Certaines femmes, enfin, font appel à des individus par le biais par exemple de petites annonces. Je ne pourrais pas vous donner de chiffres, mais il est évident que ces pratiques existent. Or ce n'est évidemment pas souhaitable. J'ai par exemple en tête le cas d'une patiente venue me consulter voici quelques années et qui avait utilisé le sperme d'un homme sans faire aucun test HIV. Cela peut en outre, en dehors des risques sanitaires, créer des situations complexes. J'ai par exemple connu le cas d'un homme qui, ayant accepté de donner son sperme, a finalement réclamé la garde de l'enfant et obtenu une garde alternée. Tout cela s'effectue au mépris de toute organisation. Lorsque l'on se rend en Belgique, la situation est très différente : lorsqu'un homme donne son sperme et s'engage auprès du couple receveur à ne pas réclamer de droits sur l'enfant, le fait est notifié dans des actes juridiques, officiels, qui le « privent » de tout droit sur l'enfant bien qu'il en soit le géniteur. Tout cela doit être encadré, réglementé.

Concernant votre deuxième question, je n'aime pas beaucoup le terme de lobby. Je me suis amusé, dans mon livre, à étudier la façon dont les groupes de pression se sont opposés à la procréation médicalement assistée au fil du temps. Il apparaît qu'ils se sont opposés à toute la PMA, depuis le début. En 1930, s'est déroulée à Harvard la première expérience sur des ovocytes de souris : les groupes de pression catholiques avaient alors contraint le médecin à l'origine de ces travaux à partir d'Harvard. Lorsque s'est développée la fécondation in vitro (FIV) pour les couples hétérosexuels, cette pratique a immédiatement été refusée par l'Eglise catholique, qui y est encore opposée aujourd'hui, tout comme elle refuse par exemple le diagnostic préimplantatoire. Dans son discours d'intronisation, le pape précédent avait rappelé cette opposition à la FIV. Cela ne me gêne absolument pas. En revanche, je serais gêné que l'Etat français, laïque, s'inspire de positions chrétiennes pour définir sa loi. Concernant « La Manif pour tous », il est vrai que l'affiche à laquelle vous faisiez allusion était absolument horrible. Ces gens pensent que le modèle familial historique doit rester la règle et qu'il faut interdire tout écart par rapport à ce schéma de référence. Pour autant, je ne vois pas très bien en quoi cela pourrait mettre en péril la société : les enfants issus de PMA vont bien, fréquentent nos écoles sans que ce soit la révolution. Des études effectuées à partir d'extrapolations de la situation en Belgique permettent d'estimer qu'en France 2 000 à 4 000 femmes par an seraient concernées. Cela ne me semble pas de nature à mettre en péril la société. Mme Ludovine de La Rochère ne cesse de clamer sur les ondes que ces enfants sont malheureux : or ce n'est pas ce que montre la science. Il me semble essentiel de se baser sur les études scientifiques menées dans ce domaine, plutôt que sur des convictions.

Pour ce qui est du don d'ovocytes, je n'ai malheureusement pas de solution. Je crois que ce problème va devenir tout à fait important, dans la mesure où les femmes font des enfants de plus en plus tard et où l'on ne parviendra certainement pas à infléchir cette tendance. Le problème principal est celui de la non-marchandisation du corps. Dans d'autres pays, des dédommagements sont proposés aux donneuses. Je demande pour ma part qu'une commission d'enquête soit mise en oeuvre afin de réfléchir à cette question, d'évaluer le nombre de femmes françaises se rendant à l'étranger. Il existe en effet, en Ukraine, en Grèce, des excès dans ce domaine, des exemples de prises en charges tout à fait scabreuses, pour des sommes faramineuses, sans aucun accompagnement médical. Cela a pu conduire à des catastrophes. A Poitiers, une femme de 47 ans est morte d'embolie amniotique après qu'on lui a implanté trois embryons à l'étranger. Certaines situations de prise en charge sont choquantes. Le sujet du don d'ovocytes est très compliqué. Il ne semble pas possible, en l'état actuel, de prendre des décisions. En revanche, il est essentiel de se saisir de ce sujet et de réfléchir aux solutions envisageables. Malheureusement, les campagnes de l'Agence de la biomédecine ne suffisent pas à régler le problème.

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Je vous propose d'entendre à présent les questions que souhaitent vous adresser certains de nos collègues ici présents.

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Je souhaite tout d'abord vous interroger sur la question du maintien de la gratuité du don, principe du droit français, dans un contexte de rareté des gamètes.

Ma deuxième question porte sur la levée de l'anonymat. Sachant que les tests ADN sont aujourd'hui à disposition sur internet, sans accompagnement dans les résultats, il semble difficile de continuer à garantir la protection de l'anonymat. Comment cela pourrait-il selon vous évoluer, et avec quel encadrement ?

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François Olivennes

On considère aujourd'hui le don comme un seul et même ensemble. Or donner un rein est selon moi différent de donner du sperme. Un homme fabrique 200 ou 300 millions de spermatozoïdes chaque jour, alors qu'il n'a que deux reins. On place donc dans un même ensemble des éléments sensiblement différents. Je pense que la gratuité du don a été mise en oeuvre pour éviter que des gens venant d'un milieu très pauvre ne soient exploités. Cela me semble très important. Certains pays, comme le Danemark, autorisent par exemple un dédommagement forfaitaire dans le cadre du don de sperme. D'autres paient le sperme en fonction de critères d'études, de physique, etc. : cela me paraît choquant. En revanche, qu'un homme puisse donner son sperme et soit dédommagé ne me paraît pas très choquant, à condition que cela soit encadré. Concernant les ovocytes, il faut savoir que physiologiquement, chaque mois, une femme voit des ovocytes entrer dans son cycle et être perdus s'ils ne sont pas fécondés. Ainsi, un ovocyte donné par une femme n'est pas un ovocyte prélevé sur son stock, mais perdu pour elle de toute façon si elle n'entame pas de grossesse. Evidemment, le don d'ovocytes est différent du don de sperme, dans la mesure où il nécessite un traitement et une intervention chirurgicale. La gratuité du don est un principe auquel je souscris tout à fait, mais qui aboutit à la situation de pénurie de donneurs que nous rencontrons actuellement dans notre pays. Il faut selon moi faire preuve d'un certain pragmatisme. Interdire la GPA concerne peut-être cinquante ou cent couples par an. Le nombre de femmes susceptibles de recourir à des dons d'ovocytes est très largement supérieur. L'échelle n'est pas la même.

Concernant la levée de l'anonymat, sans doute avez-vous vu que le Comité consultatif national d'éthique semblait ouvrir la porte. Le président de la République s'y est également dit favorable, à demi-mots. Parmi les opposants à l'ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes, plusieurs psychanalystes et pédopsychiatres ont peur de l'anonymat du don de gamètes. Lever l'anonymat constituerait donc peut-être une ouverture pour apaiser le débat. Cela réglerait-il pour autant le problème des enfants qui souhaitent avoir accès à leurs origines ? Je l'ignore. Pour avoir vu quelques émissions sur le sujet, j'ai le sentiment que figurent, parmi ceux qui recherchent leurs origines, des gens qui se sont retrouvés dans des familles dysfonctionnelles. Je signale d'ailleurs que l'on évoque le sujet de la levée de l'anonymat car ce message est porté par quelques personnes très médiatisées ; mais l'on ne dispose d'aucune donnée scientifique permettant de savoir combien d'enfants nés de PMA recherchent effectivement leurs origines ou souhaiteraient pouvoir le faire. Il serait très intéressant de demander par exemple aux CECOS s'ils ont une idée de la proportion d'enfants que cela concerne réellement.

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Je souhaiterais revenir sur la question de la congélation ovocytaire et vous faire part de quelques questionnements et réflexions à ce sujet. Je trouve un peu triste qu'une jeune femme de 25 ans décide de congeler ses ovocytes, considérant qu'elle a autre chose à faire de plus important qu'avoir des enfants. Avoir un plan familial comme un plan de carrière m'interpelle. Aujourd'hui, les femmes travaillent et les enfants viennent ensuite. Ne faudrait-il pas revoir le fonctionnement même de la société, afin que les enfants y aient toute leur place ? Voici quinze jours, la première ministre néo-zélandaise est venue siéger à l'ONU avec son bébé sans que cela pose le moindre problème.

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Merci, professeur, pour cette contribution. Je vais également aborder l'autoconservation ovocytaire, souvent présentée comme un moyen pour la femme de vaincre l'horloge biologique et de remettre à plus tard ses projets de maternité. Beaucoup de chiffres montrent que les femmes choisissent de devenir mères de plus en plus tard, en raison notamment de l'allongement des durées d'études ou de la priorité donnée à la carrière professionnelle. A l'heure où l'on évoque la possibilité d'ouverture de la PMA à toutes les femmes, cette question va prendre une importance particulière. On sait par ailleurs que la PMA ne permet pas d'obtenir 100 % de réussite, loin de là. Le recueil des ovocytes et l'acte de PMA sont en outre particulièrement intrusifs. Comment, selon vous, permettre une délivrance efficace auprès des femmes de l'information relative aux inconvénients inhérents à l'AMP, dans l'hypothèse où l'autoconservation des ovocytes serait admise ? Comment envisagez-vous par ailleurs, en tant que praticien, la réponse à apporter au choix d'une femme qui ne relèverait pas par exemple d'une pression managériale ? Pensez-vous qu'il serait de votre rôle d'y répondre ? Que diriez-vous aujourd'hui à une femme qui serait dans ce projet-là ?

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François Olivennes

Voici douze ou treize ans, j'ai écrit un ouvrage intitulé N'attendez pas trop longtemps pour faire des enfants et suis tout à fait d'accord avec vous, madame Brocard. Je pense toutefois que ce discours passe en général assez mal. J'ai ainsi été accusé, après la parution de ce livre, de vouloir remettre les femmes à la maison, à faire la cuisine et des enfants. Je crois qu'il est un peu simpliste de considérer que les femmes font aujourd'hui des enfants plus tard à cause de leur métier. Nous connaissons tous des exemples de femmes, comme Simone Veil ou Ségolène Royal, qui ont fait de très belles carrières tout en ayant des enfants. Mon ex-femme était actrice et avait choisi de faire des enfants plutôt que de privilégier son travail. Je crois qu'il serait intéressant de réfléchir aux déterminismes qui conduisent certaines femmes à donner la priorité à la maternité et d'autres non. Je ne pense pas que la seule donnée à prendre en compte soit le travail. Cela relève certainement également d'une tendance accrue à l'individualisme et peut-être d'une influence des relations avec la mère, qui a parfois pu donner des détails atroces sur sa grossesse ou son accouchement. Nous n'avons pas le temps d'en débattre, mais il me semblerait intéressant que des études soient menées à ce propos.

Cela permettrait en outre d'être en mesure de dispenser une information documentée aux jeunes, dès le lycée. Il faudrait rendre obligatoire une heure de cours sur ce sujet, pour les hommes comme pour les femmes. Bien souvent en effet, ce sont les hommes qui repoussent le moment de la maternité : on estime ainsi qu'un homme veut en moyenne un enfant cinq ans plus tard qu'une femme. Des études l'ont montré. Il serait nécessaire de donner aux jeunes gens et jeunes filles des informations sur l'horloge biologique, sur la baisse de la fertilité avec l'âge. Les médias n'aident pas : lorsque des femmes de 37 ou 40 ans voient Adriana Karembeu enceinte à 46 ans, alors que chacun sait qu'elle a eu recours à un don d'ovocytes. Cela leur donne un faux espoir et l'impression qu'il leur reste du temps devant elles. Le message médiatique est donc biaisé.

Concernant l'autoconservation ovocytaire, l'information devrait être obligatoire et fixée par le gouvernement. Une femme envisageant cette solution devrait être informée de ses chances réelles d'avoir un enfant un jour grâce à cela. Il faudrait qu'elle soit consciente du fait qu'il ne s'agit absolument pas d'une garantie de reproduction. Il ne faut pas faire croire que l'autoconservation ovocytaire est la panacée.

Il faudra en outre s'intéresser aux problèmes de pressions exercées sur les femmes dans l'entreprise par exemple.

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Je souhaiterais savoir s'il est selon vous possible d'envisager d'ouvrir le double don de gamètes et avoir d'autre part votre sentiment sur l'AMP post-mortem.

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Vous avez évoqué à plusieurs reprises l'exemple de la Belgique ; or à ma connaissance, ce pays ferme les yeux sur cette pratique, mais n'a pas légiféré dans ce domaine. Il faudrait vérifier.

L'ouverture de l'AMP à toutes les femmes pourrait-elle selon vous induire une augmentation de la demande ? Le fait que quelque chose devienne un droit peut en effet conduire certaines femmes qui n'y auraient pas songé à envisager la possibilité d'y recourir.

Vous avez enfin indiqué par ailleurs que la demande de levée de l'anonymat ne concernait certainement qu'un petit nombre de personnes. Ne faudrait-il pas malgré tout, puisque l'on a tendance aujourd'hui à légiférer pour des demandes privées, légiférer pour ces quelques personnes ?

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Merci, professeur Olivennes, d'avoir replacé au coeur de la discussion la notion de désir d'enfant, en lieu et place des expressions horribles de « droit à l'enfant » ou d'« enfant à tout prix », surtout dans une société où l'injonction à être mère est si forte.

Je souhaiterais par ailleurs que vous puissiez, dans le cadre de cette audition, nous raconter brièvement comment se déroule le parcours « classique » des couples qui viennent vous consulter, soit pour une insémination, soit pour une FIV. A quels examens, à quels traitements sont-ils soumis ? Comment se passent un prélèvement d'ovocytes, une insémination ? Quels sont les délais ? Je vous remercie.

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François Olivennes

Je ne suis pas opposé au double don par principe. On n'a d'ailleurs jamais véritablement compris pourquoi il avait été interdit en France. Cela faisait suite à une affaire célèbre de double don, aux Etats-Unis, dans laquelle les parents avaient divorcé et où aucun des deux ne voulait la garde de l'enfant, chacun arguant du fait qu'il n'était pas à l'origine de l'enfant. J'ignore si cela a pesé sur la décision française. Si je n'y suis pas opposé, je considère toutefois qu'il est déjà tellement difficile d'effectuer du don d'ovocytes et de sperme que procéder à un double don serait encore plus compliqué. Cela s'apparente par ailleurs à la pratique, autorisée en France, du don d'embryons. Pourquoi détruire des embryons conservés et non utilisés si l'on peut en faire profiter un autre couple ? Cela me paraît une bonne solution, et ce d'autant que les techniques de congélation se sont améliorées et que les chances de parvenir à une grossesse sont bien meilleures qu'elles ne l'étaient voici quelques années, quasiment comparables à celles obtenues avec un embryon frais. Il conviendrait toutefois, afin de ne pas avoir à recontacter le couple donneur pour de nouveaux examens, nécessaires dans le cadre d'un don d'embryons, de prévoir cette hypothèse dès le départ.

Concernant l'IAD post-mortem, j'ai pendant très longtemps côtoyé le professeur Sureau, président de l'Académie de médecine, grand partisan non de l'insémination de la femme après la mort de l'homme formant le couple avec le sperme préalablement conservé de ce dernier, mais de la possibilité d'implanter des embryons déjà existants, témoignant de la réalité d'un projet parental au sein du couple avant le décès. Bien qu'étant très tolérant de nature, je trouve que cette situation conduit à faire peser sur l'enfant un poids énorme. Cet aspect mériterait d'être débattu avec des psychologues, des psychiatres. Le professeur Sureau faisait valoir que de nombreux enfants n'avaient jamais connu leur père et vivaient avec une photographie de lui sur la cheminée. Il me semble toutefois différent d'être le fruit d'un projet réalisé après la mort du père. Je n'ai, à vrai dire, pas réellement de position à ce sujet et reste assez circonspect. Je n'y suis a priori pas très favorable, mais si des psychologues me disent que l'enfant pourra se développer correctement, alors j'y réfléchirai à nouveau. Je trouve par ailleurs que cela constitue pour la femme un renoncement à une autre union.

On ignore le nombre de femmes seules concernées par les demandes d'AMP. Il est sûr que l'augmentation de l'âge des premières grossesses et le fait que de plus en plus de couples se séparent peut laisser penser que de plus en plus de femmes seules voudront des enfants. Je reçois pour ma part de plus en plus de ces femmes en consultation, entre cinq et dix par mois, contre deux par mois il y a quelques années. Je puis vous dire qu'il est très rare qu'elles se présentent en disant qu'elles souhaitent faire délibérément un enfant toutes seules. Elles sont toujours déçues de ne pas avoir trouvé un homme pour mener à bien leur projet d'enfant et de famille. Ce ne sont pas des célibataires par choix, mais plutôt des « célibataires par deuxième choix », pour reprendre une expression que j'utilise dans mon livre : leur premier choix était de trouver un compagnon. Je n'ai, en outre, pas le sentiment que la moitié des femmes que je reçois effectuent concrètement la démarche. Peut-être leur nombre augmentera-t-il si le recours à cette pratique est autorisé en France, mais de là à imaginer que des centaines de milliers de femmes décideront alors de faire des enfants toutes seules, je n'y crois pas. Il s'agit en effet d'une démarche à laquelle peu de femmes aspirent, mais à laquelle elles se résolvent faute d'autre solution et non sans s'être posé toutes les questions qui se rattachent à cette situation.

Vous m'interrogez sur le déroulement d'un parcours de PMA : le couple doit faire des examens pour vérifier chez la femme que les trompes sont perméables, que ses ovaires fonctionnent. Un spermogramme est par ailleurs réalisé chez l'homme. Plusieurs bilans doivent ensuite être effectués pour vérifier que les membres du couple ne sont pas atteints de maladies virales transmissibles. Qu'il s'agisse d'une insémination ou d'une FIV, la femme a par la suite des piqûres tous les jours, ainsi que des prises de sang. Bien évidemment, la situation est beaucoup plus simple dans le cadre d'une insémination avec donneur que d'une FIV : la procédure d'insémination est assez simple, alors que la fécondation in vitro nécessite une intervention chirurgicale d'une dizaine de minutes. Bien que l'on observe dans ce dernier cas moins de 1 % de complications, ce n'est malgré tout pas anodin. Le temps est long. Cela demande une disponibilité importante et génère beaucoup de stress. Je crois que l'on ne peut plus parler aujourd'hui, comme auparavant, de « parcours du combattant », car les procédures se sont simplifiées. Pour autant, la démarche est lourde, psychologiquement, mais aussi en termes de disponibilité et de déception lorsque cela ne fonctionne pas. Il faut en effet rappeler qu'à 38 ou 40 ans, le taux de succès n'est que de 10 %.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il me reste, monsieur le professeur, à vous remercier, au nom de mes collègues, pour la qualité de votre éclairage et de vos réponses, fondés sur la pratique.

La séance s'achève à treize heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du Mercredi 3 octobre 2018 à 11 h 15

Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Samantha Cazebonne, M. Guillaume Chiche, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. M'jid El Guerrab, M. Jean-François Eliaou, Mme Élise Fajgeles, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Patrick Hetzel, Mme Brigitte Liso, M. Jean François Mbaye, Mme Bérengère Poletti, Mme Mireille Robert, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, Mme Annie Vidal

Assistaient également à la réunion. – M. Thibault Bazin, Mme Valérie Bazin-Malgras, Mme Elsa Faucillon