Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 26 mars 2019 à 17h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mardi 26 mars 2019

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 17 h 30.

I. Audition de Mme Sandrine Gaudin, Secrétaire générale aux Affaires européennes, sur le Conseil européen des 21 et 22 mars 2019 (à huis clos).

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Chers collègues, le Conseil européen des 21 et 22 mars derniers a largement porté sur le Brexit. Des dates précises ont été fixées, qui encadrent strictement la prorogation de l'accord de retrait. Les derniers développements intervenus à la Chambre des communes laissent à penser que le scénario d'une sortie sans accord est plus que jamais d'actualité. Cela nécessite que soient prises des mesures d'urgence, tant au niveau national qu'au niveau de l'Union européenne (UE). Fort heureusement, le Conseil a également pu se saisir de sujets essentiels pour l'avenir de l'Union : l'emploi, la croissance et la compétitivité, le changement climatique, les relations extérieures – notamment avec la préparation du sommet UE-Chine du 9 avril prochain – et la lutte contre la désinformation en vue des prochaines élections européennes. J'aurais par ailleurs souhaité savoir si le sommet qui doit se tenir le 9 mai prochain à Sibiu, sur l'avenir de l'Europe, a été évoqué.

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Sandrine Gaudin, Secrétaire générale aux affaires européennes

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, merci de m'inviter à me prêter à cet exercice, inédit pour moi ; je le fais avec la meilleure volonté du monde. Je vous livrerai les résultats de ce Conseil européen, mais j'essaierai aussi de vous livrer, autant qu'il m'est possible et dans la mesure où j'ai pu en connaître, la teneur des discussions et des débats. Ce Conseil européen était censé porter exclusivement sur les questions liées à la politique économique, à la stratégie industrielle et aux relations avec les grands partenaires de l'Union européenne que sont la Chine et les États-Unis. Finalement, comme cela arrive parfois, plus de temps que prévu a été consacré au dossier du Brexit. Il aura occupé sept heures durant les chefs d'État et de gouvernement. Il s'agissait effectivement, madame la présidente, de parvenir à un accord sur un report, à la demande du Royaume-Uni, de la date de sortie de ce pays de l'Union européenne. De longues discussions ont permis d'aboutir à une solution en deux temps, en fonction de deux possibilités : soit le Parlement britannique parvient, assez rapidement, à ratifier l'accord de retrait, à la suite de quoi le Parlement européen le ratifiera aussi en vue d'une sortie ordonnée le 22 mai, veille du début du processus électoral dans les États membres, qui se déroulera du 23 au 26 mai et ne sera donc pas troublé par la question du Brexit ; soit le Royaume-Uni n'est pas en mesure de ratifier rapidement l'accord de retrait, auquel cas il nous indiquera, avant le 12 avril prochain, son plan, ses perspectives. Cette date n'est pas fixée au hasard : c'est celle au-delà de laquelle le Royaume-Uni ne peut plus, concrètement, organiser les élections européennes. En somme, d'ici au 12 avril, si le Royaume-Uni ne ratifie pas l'accord de retrait, il nous indiquera s'il sort de l'Union européenne sans accord – le scénario du no deal, que nous redoutons tous, le Royaume-Uni et nous – ou s'il demande un nouveau report et se met en situation d'organiser des élections européennes, ce qui n'était pas prévu. Par cette demande, cette injonction, le Conseil européen à vingt-sept met ainsi une certaine pression sur le Royaume-Uni et Mme May pour parvenir à une certaine clarté sur le plan du Royaume-Uni. Les dates du 12 avril et du 22 mai ont un peu remplacé celle du 29 mars, que nous avions en tête, comme date limite de sortie. La date du 22 mai s'explique notamment par le fait que, quand bien même le Royaume-Uni ratifierait l'accord de retrait dans les prochains jours, compte tenu du temps qu'il prend à en discuter, un temps supplémentaire permettra aux Britanniques d'adopter un certain nombre de lois nationales prévues pour mettre en oeuvre l'accord de retrait. C'est un report technique absolument utile à la bonne mise en oeuvre de l'accord de retrait. Quant au 12 avril, c'est une date objective, liée à la possibilité ou l'impossibilité d'organiser des élections européennes.

Cette solution en deux temps a suscité des discussions entre les chefs d'État et de gouvernement des Vingt-Sept, qui en ont délibéré pendant plus de sept heures après avoir entendu Mme May s'exprimer pendant une heure sur la manière dont le débat parlementaire se déroule au Royaume-Uni – après quoi elle les a quittés.

À vingt-sept, les débats ont porté sur plusieurs questions. Faut-il ou pas mettre une pression supplémentaire sur Mme May, déjà soumise à une forte pression ? Faut-il ou non cette date intermédiaire du 12 avril ? Certains États membres, notamment l'Allemagne, pouvaient souhaiter donner beaucoup plus de temps à Mme May pour qu'elle reprenne son souffle, la situation étant tout de même très tendue au Royaume-Uni. Selon une conception plus française, il vaut mieux accroître un peu la pression pour obliger à un résultat, pour parvenir à une nécessaire clarté ; il s'agit aussi de pouvoir savoir ce que nous faisons, du côté des Vingt-Sept, pour nous préparer. Le Parlement européen attend de ratifier l'accord de retrait. Il avait initialement prévu de le faire cette semaine mais doit repousser cette échéance. Le 12 avril est aussi une date importante à cet égard : c'est celle de la dernière session du Parlement européen avant les élections – on oublie toujours que les Européens ont aussi à se prononcer démocratiquement dans ce processus de sortie du Royaume-Uni. Les débats ont été assez longs et les divergences étaient assez nettes entre ceux qui voulaient donner plus de temps à Mme May et ceux qui voulaient accentuer la pression. Le résultat me paraît assez équilibré ; en tout cas, il a été accepté par le Royaume-Uni, par une lettre formelle que le Royaume-Uni a envoyée le lendemain aux Vingt-Sept. Nous attendons donc encore et toujours, et regardons avec intérêt ce qui se passe à Londres – la balle est de nouveau dans le camp du Royaume-Uni. La situation est très évolutive, je n'épiloguerai donc pas, et nous verrons combien de temps prend ce processus de ratification.

En tout état de cause, le Conseil européen à vingt-sept a rappelé qu'il était absolument impératif que les vingt-sept États membres et la Commission européenne restent mobilisés dans la préparation d'une sortie sans accord ; un no deal est toujours possible – désormais le 12 avril.

Hier, la Commission européenne a publié un communiqué indiquant que, du côté de l'Union européenne, tous les préparatifs étaient « bouclés ». De nombreux textes ont été adoptés, notamment des règlements, certains par la procédure de codécision, dans des domaines très divers : les transports, la sécurité sociale, les questions énergétiques, les questions financières, les mesures d'urgence qu'il serait nécessaire de prendre au niveau des Vingt-Sept en cas de sortie désordonnée. Et puis, comme vous le savez, la France a finalisé son plan de préparation en termes juridiques par des ordonnances qui ont été adoptées. Nous devons en adopter une de plus, après qu'elle aura été examinée en conseil des ministres demain – nous avions prévu de prendre une mesure par décret, mais le Conseil d'État nous a indiqué que cela relevait du domaine de la loi : c'est une mesure assez technique, qui concerne le code de l'environnement. Au total, nous aurons pris sept ordonnances et onze décrets, qui prévoient un cadre juridique en cas de sortie sans accord. Cela concerne les transports, les travaux d'infrastructures nécessaires dans les ports. Il y a aussi toute une série de mesures d'organisation des services publics en charge des contrôles que rendra nécessaire le rétablissement d'une nouvelle frontière entre le Royaume-Uni et la France. Ces mesures d'organisation ont occasionné des recrutements ou des renforts temporaires, notamment dans les zones les plus concernées par ces contrôles, à savoir les gares, les aéroports, le tunnel, les certains ports où les échanges de personnes et de marchandises sont les plus importants.

Nous n'avons pas publié de communiqué indiquant que nous étions prêts mais nous étions supposés l'être le 29 mars. Nous sommes effectivement prêts à faire face à ce scénario, même si nous ne l'appelons pas de nos voeux, parce qu'il impliquera moins de fluidité, plus de formalités, plus de bureaucratie, plus de temps pris pour les entreprises lorsqu'elles voudront commercer avec le Royaume-Uni ou pour les voyageurs entre le Royaume-Uni et la France, parce qu'il y aura plus de contrôles – le Royaume-Uni devient un pays tiers avec lequel, s'il n'y a pas d'accord, il n'y aura pas de cadre particulier.

Le Conseil européen à proprement parler, à vingt-huit, donc toujours avec le Royaume-Uni tant qu'il est encore membre de l'Union européenne, s'est déroulé à peu près conformément au plan prévu, même si certaines discussions ont été plus condensées qu'attendu. Les discussions ont porté sur l'économie, la politique industrielle, les relations entre l'Union européenne et la Chine et le changement climatique.

Tous les débats sur les questions de politique industrielle, de politique commerciale de concurrence, bref, les questions économiques, qu'il s'agisse du renforcement du marché intérieur ou de la politique commerciale, ont eu lieu en même temps. Chaque chef d'État ou de gouvernement a pris la parole pour parler un peu de tout. Cela donne parfois quelque chose d'un peu difficile à lire, en termes de positionnement, mais, somme toute, les conclusions marquent clairement quelques nouvelles orientations que je voudrais souligner.

Le marché intérieur est un sujet – je le dis souvent, sous forme de boutade – que nous avons redécouvert avec le Brexit. Certains d'entre nous ont redécouvert l'Europe et ses bienfaits, redécouvert ce qu'est une union douanière, ce que sont le marché intérieur et la libre circulation des marchandises, avec très peu de contrôles. Nous avons vu que ce que nous avons fait au cours des dernières années, en termes d'ouverture et de libéralisation des services, méritait peut-être d'être revisité. Le Conseil européen a donc invité la Commission européenne à élaborer, d'ici au mois de mars 2020, une nouvelle stratégie, un nouveau plan d'action, de manière à approfondir encore et renforcer le marché intérieur. Il faut d'abord veiller à prendre en compte les effets de la numérisation et du numérique dans les économies, et le sujet des services numériques eux-mêmes. L'idée est que les règles du marché intérieur soient encore plus abouties et que l'on approfondisse l'union des marchés de capitaux. C'est, vous le savez, un grand chapitre qui nous conduira, au cours des prochaines années, à adopter encore des législations et à renforcer l'intégration, parce que, finalement, cela concerne tous les mécanismes du financement de l'économie européenne et leur meilleur fonctionnement. Un accent a également été mis sur les services énergétiques. Ce sont donc toutes ces questions, tous ces domaines qui feront l'objet d'un plan d'action pour le début de l'année prochaine.

Le deuxième grand sujet économique des discussions fut, selon des termes peut-être un peu différents de ceux que nous employons en France et en français, la politique industrielle. Le mot de « politique industrielle » est un mot compliqué à Bruxelles, il est assez intraduisible. En tous cas, c'est une vieille revendication française que d'avoir, au Conseil « Compétitivité » ou au Conseil « Affaires économiques et financières », mais aussi au Conseil européen, un débat sur ces questions. Dans quelle mesure des soutiens financiers structurels doivent-ils être apportés à une base industrielle européenne de manière à ce qu'elle soit plus durable et surtout plus compétitive au niveau mondial ? C'est un vieux sujet, et la notion de politique industrielle ne fait pas forcément consensus, cette idée d'un ensemble de mesures coordonnées, avec un volontarisme, une impulsion de l'État, comme dans certains États, notamment en France. Au niveau européen, on parle de base industrielle ; c'est un euphémisme pour dire à peu près la même chose, mais l'idée est de renforcer la base industrielle de l'Union européenne. Le Conseil européen a été extrêmement pressant puisque les représentants permanents avaient préparé un texte par lequel ce travail était demandé pour 2020 ; les chefs d'État et de gouvernement ont voulu que ce soit d'ici à la fin de l'année. La nouvelle Commission qui se mettra en place le 1er novembre devra donc s'attaquer directement à ce sujet et préparer un plan d'action, une vision de long terme en matière de politique industrielle européenne, en ayant à l'esprit tous les domaines d'action concernés – comment identifier les secteurs clés, les secteurs technologiques clés de nature à garantir une forme d'autonomie stratégique à l'Union européenne ? C'est un peu la vision française. En tout cas, il s'agit de mieux prendre en considération ces préoccupations à l'heure où les grands pays et blocs concurrents de l'Union européenne ne lui font guère de cadeaux. Il faut garder à l'esprit la nécessité de mettre en place les moyens pour que l'Union européenne reste dans la compétition, si possible en tête.

Tout cela est associé, bien sûr, à toutes les décisions que nous prendrons au niveau budgétaire aussi, dans le cadre de la définition d'une politique de recherche ou de programmes de financement, de soutien à la recherche, qui devront évidemment aller de pair. Cette stratégie orientera aussi nos choix en vue du cadre financier pluriannuel pour les sept prochaines années.

L'idée est d'avoir un travail de la commission sur un certain nombre de secteurs clés comme l'intelligence artificielle mais aussi une approche concertée en matière de sécurité des réseaux 5G. Le sujet préoccupe dans certains États membres, notamment en France, compte tenu de certaines formes d'entrisme, qui sont notamment le fait d'entreprises chinoises. Il s'agit de viser à une réponse peut-être un peu plus harmonisée sur ces questions, en tout cas à un meilleur partage de l'information. Sous-jacente à ce débat sur la politique industrielle, se pose évidemment la question des pratiques des entreprises chinoises, qui ne sont pas toujours conformes aux règles multilatérales du commerce. Des entreprises, hautement subventionnées, échappent aux règles du jeu de la concurrence équitable et du level playing field au niveau mondial. Il s'agit aussi de parvenir à un encadrement des aides d'État qui soit propice à l'innovation. Ce Conseil européen a pu permettre de réaffirmer qu'il fallait que l'environnement réglementaire – qu'il s'agisse des aides d'État ou du droit de la concurrence – soit au service de cette ambition.

Le sujet de la politique commerciale, versant externe des questions économiques, a été abordé avec l'idée de faire un rappel sur les nécessités du libre-échange mais aussi d'un level playing field plus affirmé. Il faut moderniser les instruments de défense commerciale et en user pleinement, les conclusions du Conseil le rappellent, en lien aussi avec toutes les initiatives sur la table mais qui sont bloquées, telles des négociations qui portent depuis plusieurs années sur la manière d'obtenir la réciprocité dans l'ouverture des marchés publics des pays tiers – les marchés publics européens étant pour leur part ouverts aux pays tiers. Cet instrument de réciprocité a été remis à l'honneur à l'occasion de ce Conseil européen, qui appelle d'ailleurs à reprendre rapidement les discussions dans ce domaine. L'idée, c'est que d'ici au mois de mars 2020, dans un an, le Conseil européen puisse à nouveau se pencher sur ces sujets.

Sur le climat, disons, pour être tout à fait honnêtes, que la discussion a été beaucoup plus courte. Les conclusions étaient censées préparer un peu la position européenne pour la conférence des Nations unies qui se tiendra en septembre 2019 et devra – c'est le point de vue français – parvenir à adopter une stratégie mondiale en vue de parvenir à une économie décarbonée à l'horizon 2050. Nous avions une ambition assez forte : que l'Union européenne prenne le leadership dans ce combat. Las, le consensus, au niveau européen, n'était pas très fort. L'objectif d'économie décarbonée en 2050 ne figure d'ailleurs pas dans le texte. Nous nous sommes battus avec force, y compris le Président de la République luimême, mais nous avons essuyé un tir de barrage assez étonnant, notamment de la part de la Pologne – pourtant présidente de la vingt-quatrième Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP24) –, l'Allemagne venant plutôt soutenir la Pologne que la France. Le compte n'y est donc pas. La seule chose – importante – que le Président de la République a pu obtenir, c'est un point de rendez-vous qui n'était pas prévu au Conseil européen pour en reparler, si possible dans un autre contexte, avec plus de temps que vendredi dernier. Le Président de la République a exprimé sa déception en conférence de presse, parce que la portée des conclusions est assez faible.

Un chapitre des discussions, plus formel, a concerné les relations extérieures. Nous avons pu souligner que l'annexion illégale de la Crimée par la Russie datait de cinq ans. C'est un anniversaire qu'il fallait évoquer pour rappeler à quel point l'Union européenne demeurait absolument résolue à faire appliquer le droit international et attachée au rétablissement de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Le Conseil européen a également insisté sur la nécessité de préparer de la façon la plus coordonnée possible le prochain sommet entre l'Union européenne et la Chine, qui se tiendra le 9 avril prochain, à quelques jours de la réunion « 16+1 » – seize États membres de l'Union européenne et la Chine. Ce format a été créé par la Chine pour réunir autour d'elle les amis des routes de la soie membres de l'Union européenne. Il est apparu nécessaire de rappeler aux États qui ont des projets de coopération économique très avancés avec ce grand partenaire mondial, qu'il fallait absolument le faire sur une base coordonnée. Ils se sont engagés à ce que cette réunion « 16+1 » qui se tient encore une fois après le sommet ne produise pas de décisions ni de déclarations qui soient contraires avec une position de l'Union européenne. Nous verrons ce qu'il en sera en pratique.

J'ai une petite expérience des questions européennes et des Conseils européens. Je crois que c'est la première fois qu'il y a eu une discussion aussi franche, claire et transparente, sans arrière-pensée, sur la manière dont on doit discuter, travailler et coopérer avec la Chine. Autour de la table s'exprimaient – soyons clairs – des avis relativement divergents mais il est très bien que les chefs d'État et de gouvernement aient ainsi débattu de la manière de traiter ce partenaire avec lequel nous avons, par ailleurs, une alliance très forte parce qu'il soutient un système multilatéral en matière commerciale, fondé sur des règles, contrairement aux États-Unis. C'est donc aussi un allié très fort de l'Union européenne, dans la discussion mondiale sur la refonte du système multilatéral et sur la réforme de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). La Chine continuera donc à faire partie d'une alliance très forte – on le voit aujourd'hui puisque le président Macron avait invité Mme Merkel, M. Juncker et M. Guterres à Paris pour le rappeler – que nous avons avec quelques-uns pour conserver un système multilatéral fondé sur des règles, à l'heure où M. Trump le conteste.

En résumé, c'était un Conseil européen un peu atypique parce qu'un peu perturbé par le Brexit, dont il n'était pas prévu de parler, et un peu exceptionnel, en ce que la discussion sur la Chine n'avait jamais véritablement eu lieu auparavant. On peut toujours trouver ses conclusions trop alambiquées ou faibles mais elles n'en existent pas moins, et servent de base pour prolonger nos débats à un niveau plus technique, et pour demander à la Commission de travailler sur certains sujets. En matière de base ou de politique industrielles, de concurrence et de politique commerciale, elles sont loin d'être négligeables et forment une base de discussion et de travail pour les prochaines semaines.

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À l'évidence, le Brexit consomme une grande quantité d'énergie que nous devrions pouvoir consacrer à d'autres défis. Quel est, concrètement, l'état de préparation des entreprises, particulièrement en France mais aussi dans les autres États membres ?

Le ministre de l'économie et des finances, que nous avons auditionné la semaine dernière, a souligné l'importance de la stratégie industrielle. La notion de politique industrielle, cependant, fait l'objet d'interventions différentes : en Allemagne, elle fait immédiatement référence à l'intervention de l'État, contrairement au sens qui lui est donné en France. Quels sont les États membres qui partagent notre vision ? Quels sont ceux qui craignent une intervention trop forte de l'État ?

En ce qui concerne le climat, nous nous heurtons toujours aux mêmes questions : le charbon contre le nucléaire. Comment mener les discussions avec nos partenaires allemands et polonais, qui demeurent très attachés au charbon ?

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Alors que nous recevons la visite d'État du président chinois, le Conseil européen a constitué l'occasion de préparer le sommet Chine-Union européenne qui se tiendra le 9 avril. Pourriez-vous, madame la secrétaire générale, nous renseigner sur les positions communes du Conseil à l'égard de la politique chinoise, notamment en ce qui concerne les droits fondamentaux d'une part, en particulier ceux des minorités comme les Ouïghours, mais aussi en ce qui concerne la stratégie d'expansionnisme de la Chine pour les trente années qui viennent, d'ici à 2049. Les chefs d'État de gouvernement de l'Union européenne parlent-ils d'une voix commune face au rachat d'infrastructures essentielles – ports et aéroports – par l'État chinois ? Existe-t-il une stratégie visant à assurer l'indépendance européenne à l'égard de l'intervention financière massive de ce partenaire – et géant – géopolitique ? Quel est l'état de votre réflexion sur les dix points publiés le 12 mars par la Commission qui qualifie désormais la Chine de « rival systémique » ? Les Européens sont impatients que le marché chinois – en particulier les marchés publics – s'ouvre à leurs entreprises, mais aussi impatients d'entretenir une compétition loyale en matière de prix et de mettre fin aux transferts de technologies forcés, c'est-à-dire de faire respecter les règles du marché. Lorsque la Chine a adhéré à l'OMC, en 2001, nous, Européens, espérions qu'elle deviendrait une économie sociale de marché et non une économie contrôlée par le seul Parti communiste, qui s'apparente à un capitalisme d'État. Jusqu'où nous nos impatiences doivent-elles aller ?

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Ma première question générale porte sur les élections européennes. Que se passera-t-il si le 12 avril, les Britanniques sont encore incapables de nous dire concrètement ce qu'ils souhaitent et qu'ils sont par conséquent obligés d'organiser ce scrutin ? Qu'en sera-t-il de la répartition des sièges ? Faudra-t-il revenir à l'ancien système, ou des sièges seront-ils ajoutés, éventuellement à titre temporaire, à la répartition post-Brexit qui a été décidée ? À deux mois des élections, cette question est importante.

Le document du Conseil européen évoque les deux « voies à suivre » en cas de non-décision du Royaume-Uni : que signifie la notion de « voie à suivre » ? Quelle forme peut-elle prendre ? Comment imaginer une autre voie que l'acceptation du deal proposé, qui ne sera pas renégocié, ou qu'une sortie sans accord ? Je ne vois guère d'autre option.

Vous avez dit, madame la secrétaire générale, que la France était prête et que les ordonnances et décrets nécessaires avaient été pris ou étaient en cours d'élaboration. La question des vétérinaires reste en suspens, cependant : il est beaucoup plus difficile de recruter un vétérinaire qu'un douanier, qu'il s'agisse du temps de formation ou de la disponibilité des effectifs. Quels sont les moyens prévus pour pallier le manque de vétérinaires ? A-t-on envisagé un système, tel qu'il existe dans certaines régions, de conventionnement au cas par cas avec des vétérinaires libéraux, notamment là où le trafic est faible ?

S'agissant du dédouanement, certains sites de contrôle d'animaux vivants par les services d'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières (SIVEP) doivent faire l'objet d'une autorisation de la Commission parce qu'ils sont trop éloignés des sites de débarquement, auxquels ils sont reliés par des corridors. La Commission a-t-elle donné son accord à l'ensemble des sites qui se trouvent en France ? Où en est cette négociation ?

Enfin, dans le Pas-de-Calais, les douaniers poursuivent leur grève du zèle qui affecte profondément la circulation. Elle vise à alerter sur la non-préparation au Brexit ; je ne partage pas pleinement cet avis. Je dirai ceci : elle sert à profiter des conséquences potentielles d'un événement qui risque de se produire sous une forme que nous ne connaissons pas encore afin d'obtenir des avancées salariales mais, en provoquant de longues files de camions sur les autoroutes, elle nuit en réalité au message de la France selon lequel nous sommes prêts pour le Brexit. Non loin de là, pourtant, les autoroutes belges et néerlandaises sont parsemées de panneaux annonçant We are Brexit ready. Quelles sont les mesures prises pour mettre fin à cette grève et pour faire comprendre aux transporteurs qui passent par nos régions côtières via des liaisons fixes ou maritimes pour rejoindre le Royaume-Uni que nous sommes effectivement prêts ?

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Ma question porte également sur la Chine, puisque nous venons de recevoir la visite président Xi Jinping. Le président Macron souhaite que l'Union européenne coordonne la relation qu'elle entretient avec la Chine, et sans doute confirmerez-vous cet état d'esprit. Selon vous, ces « nouvelles routes de la soie » sont-elles dangereuses pour nos civilisations ? Une toile d'araignée se tisse sur les mers – de la mer de Chine au Sri Lanka et au Pakistan, puis au Soudan et à Djibouti jusqu'à la maîtrise du canal de Suez, au Pirée et enfin à l'Italie – et sur la terre, avec la voie ferrée qui, depuis la Chine orientale, traverse le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne, l'Allemagne et le nord de la France pour quasiment atteindre Londres via le tunnel. Ce sont des exemples concrets. Cette toile d'araignée – et pour cause : ne s'agit-il pas de routes de la soie ? (Sourires) – ne vise-t-elle pas à dominer le monde, notamment l'Afrique ? En 2009, lors d'un déplacement dans une petite ville malienne jumelée avec la ville dont j'étais le maire, j'ai vu un très beau stade flambant neuf dont mon homologue m'a expliqué que la Chine l'avait construit gratuitement de A à Z moyennant, en guise de compensation, un investissement dans des terres à coton…

Les chefs d'État et de gouvernement européens se posent-ils les bonnes questions concernant ces nouvelles routes de la soie ? On entend souvent parler des relations entre l'Union européenne et la Russie mais, selon moi, c'est avec la Chine que nous aurons les plus grandes difficultés. Ne nous trompons pas : certes, un accord commercial extraordinaire vient d'être conclu avec Airbus mais, à l'évidence, l'objectif de la Chine est aussi d'affaiblir les États-Unis – même si, en l'occurrence, nous allons en profiter. Quel est donc l'état d'esprit des chefs d'État et de gouvernement européens ? L'Italie abonde ; la Chine lorgne aussi les ports espagnols. C'est très inquiétant pour l'avenir géopolitique du monde, notamment de l'Europe et de l'Afrique.

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M. Paluszkiewicz a conclu son intervention en paraphrasant la première Catilinaire de Cicéron : jusqu'où nos impatiences peuvent-elles aller ? Je commencerai la mienne pas cette question : jusqu'où iras-tu donc, Conseil européen ? Le compte rendu qui nous a été transmis, en effet, est un modèle du genre. Qu'une telle réunion du Conseil puisse se tenir à deux mois des élections européennes est assez édifiant – à moins que je n'aie fait de ce document une lecture trop rapide. Au moins aurait-il été possible en de nombreuses occurrences de poser la question du socle européen des droits sociaux ; or je ne l'ai vu mentionné nulle part. Il y est question de politique industrielle, de concurrence loyale sur le marché unique, de protection des consommateurs ou encore de distorsions du marché unique mais pas une fois – pas une fois ! – du socle européen des droits sociaux. Pour moi, c'est gravissime. Je comprends que la question n'est pas abordée à chaque réunion du Conseil européen, mais a-t-elle seulement été évoquée ? Si oui, pourquoi n'apparaît-elle pas dans le compte rendu ?

Vous avez répondu par anticipation à ma deuxième question, madame la secrétaire générale, et, à votre réponse, j'ai bondi. Le Conseil européen « souligne qu'il est important que l'Union européenne présente d'ici à 2020 une stratégie à long terme ambitieuse visant à atteindre la neutralité climatique conformément à l'Accord de Paris, tout en tenant compte des spécificités des États membres et de la compétitivité de l'industrie européenne » : nous voilà mal barrés ! Ce passage a déclenché chez moi une réaction assez vive, qu'ont d'ailleurs partagée certains collègues. Vous avez donc répondu par anticipation à ma colère rentrée en évoquant les blocages de certains pays. Je ne m'en étonne pas, puisque l'Allemagne a soutenu la Pologne sur ces questions. Au lendemain de la création de notre Assemblée parlementaire franco-allemande, il se confirme que l'émergence d'une politique climatique et énergétique européenne, quoique nécessaire, demeure problématique, étant donné la situation de l'Allemagne et de la Pologne en termes d'énergie carbonée. Il y a du pain sur la planche !

J'en viens à mon troisième point – décidément, j'ai beau être de bonne composition, ce compte rendu m'a vraiment mis de mauvaise humeur. Il comporte tout un couplet sur le libre-échange, que vous avez qualifié de « nécessité ». Nous sommes pourtant nombreux, dans toutes les sensibilités de l'Assemblée, vent debout contre les accords de libre-échange. Or, je lis ceci dans le compte rendu du Conseil : « l'Union européenne devrait continuer à oeuvrer en faveur d'un programme de libre-échange ambitieux et équilibré par la conclusion de nouveaux accords de libre-échange qui promeuvent ses valeurs et ses normes et assurent des règles du jeu équitables. » On sait ce qu'il en est du respect des normes européennes dans les accords de libre-échange avec des pays tiers ! Or voici que la conclusion de nouveaux accords est encouragée, peut-être au profit de l'industrie de l'Europe mais, j'en suis convaincu, au détriment de son agriculture !

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Sandrine Gaudin, Secrétaire générale aux affaires européennes

Les entreprises françaises sont assez inégalement préparées au Brexit, en particulier à l'éventualité d'une sortie brutale sans accord dès le 12 avril : les grands groupes sont plutôt bien informés et sensibilisés, et certains – comme les grandes banques – ont déployé des mesures de contingence, tandis que d'autres – de grandes entreprises industrielles notamment – ont prévu de constituer des stocks pour éviter toute rupture de la fluidité des chaînes d'approvisionnement qui serait préjudiciable à leur bon fonctionnement. Cette préparation est moins intense et moins homogène parmi les petites et moyennes entreprises (PME), en direction desquelles nous avons intensifié la formation. Le directeur général des douanes a ainsi écrit à toutes les PME de France exportant vers le Royaume-Uni – je dis bien toutes, soit plusieurs dizaines de milliers – en partant du principe qu'elles étaient susceptibles d'entretenir des flux d'affaires avec le Royaume-Uni, pour leur demander de se rapprocher des services des douanes afin qu'il leur soit expliqué comment faire pour exporter vers le Royaume-Uni en cas d'absence d'accord de sortie – car cela supposera un surcroît de paperasse ou de procédures dématérialisées au point qu'il ne sera pas plus simple d'exporter vers l'Angleterre que vers la Chine. Le degré de préparation des entreprises appelle donc une réponse nuancée. Nous avons intensifié la communication des services de l'État au niveau local grâce aux réunions organisées par les services des douanes, par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) et par les préfets. D'autre part, nous avons lancé un site internet constamment actualisé (https://brexit.gouv.fr) dont la fréquentation a explosé ce week-end – sans que le site lui-même ne soit affecté, ce qui fut une performance. Ajoutons que les fédérations professionnelles et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) fournissent de nombreuses informations. En cas d'absence d'accord, chacun fera naturellement ce qu'il pourra mais il me semble que les entreprises qui ont des liens avec le Royaume-Uni sont bien mieux informées qu'il y a quelques mois.

Le ministre de l'économie et des finances est venu vous présenter la stratégie de politique industrielle. Le problème est le suivant : malgré un accord et un travail préparatoire assez intense au niveau franco-allemand, à l'initiative de MM. Le Maire et Altmaier – travail très utile à la rédaction de ces comptes rendus qui vous semblent peut-être insuffisants mais qui reflètent un consensus obtenu à vingt-huit – et malgré l'existence d'une alliance des amis de l'industrie que nous nous efforçons de réunir régulièrement, dont la dernière réunion s'est tenue à Paris et qui regroupe vingt États membres sur vingt-huit, il est vrai que les résultats obtenus peuvent sembler en deçà de nos attentes. Soyons clairs : la notion de politique industrielle est une notion française. En anglais, l'expression est d'ailleurs souvent traduite par industrial basis, et les textes européens font référence à la notion de base industrielle. Dès que la France critique quelque peu l'attention insuffisante portée à la politique industrielle, comme lorsqu'elle déplore la manière dont la Commission mène les négociations d'accords de libre-échange, elle est sur-le-champ accusée d'être protectionniste ou colbertiste et de vouloir subventionner ses entreprises, y compris par des aides illégales. Nous défendons donc cette notion dans un contexte où nous peinons à convaincre de la nécessité de multiplier les lignes directrices communes et d'instruments financiers au service de ces objectifs. C'est néanmoins un combat que nous menons, et l'Allemagne est à nos côtés même si son engagement est moins résolu que le nôtre. Nous nous employons à la garder à bord de cette alliance mais soyons francs : c'est difficile.

Le débat climatique et l'opposition entre les amis du nucléaire et ceux du charbon prendra un nouveau relief avec le départ du Royaume-Uni, plutôt favorable à l'énergie nucléaire. Quoi qu'il en soit, le mix énergétique est une compétence nationale : en vertu du Traité, chaque État membre a le droit de faire ses propres choix en matière énergétique. Historiquement, les uns et les autres ont fait des choix très différents, selon des sensibilités qui leur sont propres. Le débat entre les amis du charbon et les amis du nucléaire – étant entendu que nous sommes tous amis des énergies renouvelables – se poursuivra et se traduit par des difficultés pour élaborer une stratégie déterminée de lutte contre le réchauffement climatique. Le sujet ne fait pas spontanément l'unanimité.

La préparation du sommet entre l'Union européenne et la Chine se poursuivra au-delà des conclusions du dernier Conseil, qui ne couvrent pas l'ensemble des sujets qui seront inscrits à l'ordre du jour du sommet. La question des droits de l'homme, par exemple, relèvera des ministres des affaires étrangères. Le Président de la République a d'ailleurs abordé la question des droits de la minorité ouïghoure avec son homologue chinois. Les droits de l'homme figurent systématiquement dans la corbeille des sujets débattus.

Je précise que le Conseil européen du printemps est consacré aux questions économiques, même si la dimension sociale n'est pas totalement absente puisqu'elle figure dans le compte rendu.

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Sandrine Gaudin, Secrétaire générale aux affaires européennes

À la fin du deuxième paragraphe. Selon la règle de la division du travail, les chefs d'État ne traitent pas de tous les sujets à chaque fois : le Conseil de mars porte sur les questions économiques, celui de juin sur l'élargissement, le format, les relations extérieures et, cette année, le climat, et celui d'octobre ou de décembre sur les questions sociales. Autrement dit, s'il n'a pas été question du socle des droits fondamentaux ou sociaux ni de l'État de droit, c'est parce qu'ils n'étaient pas à l'ordre du jour.

Je reviens à la Chine et à la question du rachat d'infrastructures essentielles. Le plan stratégique d'expansion économique de la Chine vise à conquérir jusqu'à 80 % de parts de marché dans certains secteurs – les semi-conducteurs et les énergies renouvelables, par exemple – est officiel et se déploie via la politique dite des « routes de la soie », qui repose sur la signature de partenariats avec les pays voisins – au sens large – afin de bâtir des infrastructures de transport et de télécommunications et relier le « continent » chinois et, in fine, écouler les marchandises produites en Chine. Les routes de la soie sont-elles dangereuses pour notre civilisation ? Je l'ignore, mais elles sont dangereuses pour notre commerce, car les trains venus de Chine sur ces nouvelles voies ferrées pour décharger des marchandises jusque dans les ports de la Baltique arrivent pleins et repartent vides. Sans doute n'est-ce donc pas un problème de civilisation…

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Sandrine Gaudin, Secrétaire générale aux affaires européennes

En tout état de cause, à court terme, c'est un problème commercial. Le jour où ces trains repartiront vers la Chine chargés de marchandises européennes, le concept de « routes de la soie » deviendra alors plus intéressant et plus équilibré, dans l'esprit du principe de réciprocité et d'équité des règles commerciales que nous prônons. À ce stade, le mouvement est unilatéral. Le marché européen est ouvert, y compris les marchés publics, et les Chinois – comme les Américains, les Japonais ou les Africains – peuvent répondre à des appels d'offres et remporter des marchés, et ainsi devenir acteurs et opérateurs d'un très grand nombre d'infrastructures essentielles – aéroports, entreprises d'énergie, et ainsi de suite. En revanche, ce n'est pas du tout le cas des Européens en Chine. C'est ce point que nous contestons et qui était au coeur du débat du Conseil européen.

Comme le Président de la République l'a dit, nous partageons les dix points formulés par la Commission et le Service européen pour l'action extérieure, qui ont été approuvés par les chefs d'État. Le débat a révélé une prise de conscience au niveau européen de la nécessité de se départir de toute naïveté face à la Chine. En même temps, certains grands acteurs – l'Allemagne, par exemple – ont des intérêts économiques considérables en Chine : les constructeurs automobiles allemands, par exemple, vendent énormément de voitures et de machines-outils à la Chine, avec laquelle ils ne souhaitent donc pas se froisser, raison pour laquelle, sans doute, l'Allemagne prône un dialogue plus nuancé. Quoi qu'il en soit, le Président de la République a expliqué en conférence de presse que la discussion avait permis d'ouvrir les yeux de certains États membres de l'Union qui s'étaient peut-être laissé abuser par des mirages sous formes d'investissements, de prises de participation ou de financements d'infrastructures qu'ils ne pouvaient prendre à leur charge – non plus que l'Europe, d'ailleurs. De ce point de vue, le président a eu une formule percutante : nous avons nous-même laissé faire certains investissements chinois en Grèce ou au Portugal pendant la crise de la zone euro, sans donner à ces États la possibilité de financer eux-mêmes leurs infrastructures par des prêts et des aides de l'Union européenne ; ils se sont tournés vers la Chine, et il nous appartient désormais de rattraper cette situation.

Venons-en au Brexit. Vous estimez, monsieur Dumont, que la traduction des conclusions du Conseil européen à vingt-sept, qui évoque la « voie à suivre » est énigmatique. Elle me semble correspondre à l'expression a way forward, plus claire en anglais. Les dirigeants européens ont proposé à Theresa May de reporter la date du Brexit au 22 mai si le Parlement approuve l'accord de retrait. Dans le cas contraire, la date sera fixée au 12 avril et Mme May devra indiquer quelle voie elle compte choisir pour la suite : si c'est une sortie sans accord, les mesures de contingence seront mises en place ; si c'est la prorogation du maintien dans l'Union au-delà des élections européennes, le Royaume-Uni devra les organiser. Dans ce dernier cas, les chefs d'État se réuniront à nouveau et décideront de lui accorder éventuellement un délai supplémentaire.

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Depuis hier soir, un événement est venu changer la donne : nous savons que ce n'est plus le Premier ministre qui a la main, mais le Parlement.

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Sandrine Gaudin, Secrétaire générale aux affaires européennes

Les conclusions s'adressent au Gouvernement du Royaume-Uni qui choisira un représentant pour aller parler aux Vingt-Sept. Ce sera peut-être le Speaker des Communes, ou bien l'Attorney General. Le Royaume-Uni devra dire avant le 12 avril ce qu'il souhaite faire : sortir sans accord ou rester dans l'Union européenne, éventuellement en révoquant l'article 50.

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Et qu'en sera-t-il pour les sièges au Parlement européen ?

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Sandrine Gaudin, Secrétaire générale aux affaires européennes

Dans la décision qui organise la sortie du Royaume-Uni, nous avons prévu la possibilité d'un maintien au-delà de la date initialement fixée. Si les élections européennes ont lieu au Royaume-Uni, la France élira ses 74 représentants plus cinq autres qui ne pourront occuper leur siège qu'à la date de sortie du Royaume-Uni. Les analyses juridiques sont en cours. Autrement dit, ces cinq élus pourraient attendre quelques semaines, quelques mois, voire quelques années. Tout dépend de la durée de la prorogation accordée au Royaume-Uni.

N'oublions pas que le Royaume-Uni est toujours membre de l'Union européenne. Nous ne pouvons pas l'exclure en lui disant qu'il est trop compliqué d'organiser des élections en le prenant en compte.

Quant aux vétérinaires, nous avons commencé à en recruter depuis le mois de janvier. Il y en aura 117 supplémentaires. Nous les affecterons de manière prioritaire aux contrôles sanitaires et phytosanitaires induits par le rétablissement de la frontière avec le Royaume-Uni. Si le Brexit sans accord se confirme, nous en recruterons 185 de plus pour parvenir jusqu'à la fin de l'année à un niveau de contrôle satisfaisant. Nous sommes confrontés au même défi pour les douaniers. Les services des douanes ont prévu de recruter 500 personnes supplémentaires sur deux ans pour faire face au surcroît d'activité. Trouver des vétérinaires sur le marché du travail n'a rien d'évident. Il y a bien sûr la piste que vous avez évoquée, monsieur Dumont, de conventionnement avec des vétérinaires privés. Un changement de réglementation, en cours cette semaine, permettra de recruter des vétérinaires étrangers, ce qui est aujourd'hui interdit par la profession. Nous mobilisons, par ailleurs, des vétérinaires à la retraite ainsi que des étudiants, déjà diplômés, qui finissent leur cursus. En cas de sortie sans accord, le 13 avril au matin, des équipes de vétérinaires renforcées seront donc prêtes à se mettre au travail. En outre, 35 douaniers seront affectés, à titre expérimental, aux vétérinaires pour s'acquitter des tâches liées aux contrôles des documents. Nous mixons les solutions afin que les contrôles sanitaires et phytosanitaires soient de même niveau que ceux que nous effectuons pour les pays tiers.

S'agissant du Service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières (SIVEP), des demandes de dérogations ont été adressées à la Commission. Celle-ci les a acceptées mais a posé des conditions supplémentaires sur deux ou trois points. Nous pourrons procéder à des contrôles selon des modalités adaptées, qui ne se dérouleront pas exactement à la frontière.

Le ministère de l'action et des comptes publics a entamé un dialogue avec les douaniers pour décider de mesures financières de compensation afin d'apaiser le conflit social en cours. Si le scénario du no deal devait se réaliser, je n'ai pas de doute sur le fait que ces fonctionnaires seraient au rendez-vous.

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C'est une question d'image de la France !

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Sandrine Gaudin, Secrétaire générale aux affaires européennes

J'ai déjà évoqué les routes de la soie et les inquiétantes toiles d'araignée qu'elles tissent.

Vous parliez, monsieur Chassaigne, de votre déception devant la tonalité peu sociale des conclusions du dernier Conseil européen. Le sujet social n'était toutefois pas à l'ordre du jour, comme je l'ai précisé. Je vous accorde qu'en matière climatique, les conclusions sont très faibles. Dans le domaine du libre-échange, nous avons des débats sur la politique commerciale, sur la nature des accords que nous devons conclure et sur leur contenu, en particulier sur la promotion de nos standards et le respect des normes sociales et environnementales, des conventions internationales, qu'il s'agisse de l'Accord de Paris mais aussi des conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT). Nous essayons de faire passer l'idée qu'un accord de commerce ne se résume pas à de simples relations commerciales et qu'il peut servir à promouvoir les valeurs de l'Union européenne, en échange d'une ouverture réciproque des marchés. Ces idées sont portées haut et fort par la France, je peux vous le garantir. Elle est parfois un peu isolée mais nous avons quelques soutiens : le verre peut apparaître à moitié vide ou à moitié plein, selon le point de vue que l'on adopte. Nous avons mis dans les conclusions le maximum de ce que nous pouvions mettre, compte tenu du rapport de force en la matière.

Certaines phrases sont un peu codées. Il est précisé, par exemple, qu'il faut accélérer la mise en oeuvre de l'accord Trump-Juncker du 25 juillet. Cela renvoie à un débat plus technique sur la manière dont nous voulons négocier avec les Américains des tarifs sur certains produits et sur les mandats que nous pourrions donner à la Commission. Pour l'instant, nous avons bloqué la négociation de ces mandats. Sur la table, il y a des bonnes choses : l'accord avec les Américains exclut l'agriculture, ce qui constitue une grande différence avec le fameux TTIP – Transatlantic Trade and Investment Partnership. Mais le compte n'y est pas en matière de respect des normes environnementales et nous essayons d'améliorer le texte de l'accord avant de donner notre feu vert pour son adoption.

Récemment, la mise en oeuvre d'un dispositif de règlement des différends intégré à l'accord entre l'Union européenne et la Corée a été suspendue à la demande de la France. Ce traité est favorable à nos intérêts mais nous voulions marquer notre désaccord avec le fait que la Corée, contrairement à ses engagements, n'avait pas ratifié des conventions de l'OIT concernant le respect de certaines normes sociales.

Avec le Vietnam, se pose la même problématique. Nous avons signifié à ce pays qu'il avait intérêt à ratifier très rapidement ces conventions de l'OIT sinon nous suspendrions la mise en oeuvre de l'accord qu'il a conclu avec l'Union européenne.

En matière de politique commerciale, quand on veut défendre le respect des normes sociales et environnementales, on peut le faire. Simplement, nous sommes parfois isolés mais ce n'est pas une raison pour ne rien tenter.

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Il y a quelques jours, la Commission européenne a acté la création d'un programme de travail destiné à cofinancer des projets industriels de défense commune pour 2019-2020. À partir de 2021, ce sera un véritable Fonds européen de la défense qui devrait prendre le relais pour favoriser le développement d'une base industrielle de défense innovante et compétitive qui contribuera à l'autonomie stratégique de l'Union. Comment ces programmes vont-ils s'intégrer au nouveau Fonds européen ? Pensez-vous que la France pourra lancer des appels à projet spécifiques ?

Par ailleurs, l'Union européenne a terminé un cycle de négociation autour des adhésions et de nouveaux pays viennent frapper à sa porte. Je pense en particulier à la Macédoine du Nord, pays dans lequel je me suis récemment rendue dans le cadre d'une mission de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN). Quel message politique compte-t-elle envoyer à ce pays ? Nous savons qu'il est situé sur la route de la soie et que la Chine ne manquera pas de profiter de nos errements ou de nos incertitudes pour étendre son influence sur lui.

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Ma première question portera sur la faiblesse de la croissance mondiale. Dans les conclusions du Conseil européen du 22 mars, il est indiqué, s'agissant de l'emploi, de la croissance et de la compétitivité, qu'« en mars 2020, le Conseil européen procédera à un débat global sur le renforcement de la base économique de l'Union européenne, en se fondant sur une contribution détaillée de la Commission. ». Cela revient-il à mettre l'accent sur le développement économique interne de l'Union européenne ? S'agit-il plutôt d'élaborer une stratégie globale, ce qui impliquerait de remettre en cause beaucoup de choses ?

Ma deuxième question vous paraîtra peut-être abrupte : le Brexit ne signifierait-il pas le début de la fin pour le cadre financier pluriannuel ? Ne devrait-on pas chercher un dispositif fondé sur des contributions directes soit des entreprises, soit des populations ?

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L'avenir de la pêche n'a pas fait l'objet de discussions lors des réunions du Conseil mais deux textes ont été adoptés pour accompagner les pêcheurs dans l'hypothèse d'un Brexit « dur ». Selon vous, combien de temps prendra la négociation des licences avec les Britanniques dans le cadre d'un nouvel accord de pêche ?

S'agissant des relations avec la Chine, la rencontre qui a eu lieu ce matin entre le Président de la République, la Chancelière allemande, le président Juncker et le président chinois a permis aux Européens de parler d'une seule voix afin de rééquilibrer les échanges avec la Chine et « construire un agenda de responsabilité afin que la coopération multilatérale fonctionne » – je reprends ici les termes de l'Élysée. De quel levier l'Union européenne dispose-t-elle vis-à-vis de la Chine pour qu'une telle réciprocité soit possible ? L'Italie a été le premier signataire du mémorandum sur les routes de la soie. Cette initiative est-elle conciliable avec la volonté des États membres de parvenir à une approche unifiée des relations commerciales avec la Chine ?

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Madame la secrétaire générale, j'aimerais revenir sur les lacunes de la politique industrielle que vous avez évoquées, auxquelles s'ajoute une forme de naïveté, de faiblesse voire de complaisance de l'Europe. Vous avez évoqué des pratiques chinoises discutables. Nous pouvons dire que certaines pratiques américaines ne le sont pas moins. Comme nous sommes à huis clos et que M. Chassaigne est parti (Sourires), je n'hésite pas à dire que les Américains nous livrent une guerre économique sournoise depuis des années, y compris sous la présidence Obama. Leurs méthodes, en particulier l'extraterritorialité de leur droit, contribuent à rétrécir le tissu industriel européen. Ces dernières années, le Trésor américain a ainsi récolté pas moins de 14 milliards de dollars par le biais d'amendes infligées à de grandes entreprises européennes comme Alstom ou Siemens.

Pour répliquer, il faudrait montrer de la résistance au lieu de subir. A-t-on jamais évoqué un Foreign Corruption Act avec application extraterritoriale au niveau de l'Union européenne ? Ne pourrait-on l'envisager ?

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Sandrine Gaudin, Secrétaire générale aux affaires européennes

Le Conseil européen a été principalement consacré à la Chine et au Brexit, mais s'il avait disposé de plus de temps, il se serait penché de façon plus globale sur la relation triangulaire entre la Chine, les États-Unis et l'Union européenne. Les pratiques américaines ne sont en effet pas meilleures que les chinoises.

Nous voulons que tout le monde joue avec les mêmes règles du jeu au niveau mondial, d'où l'idée du level playing field. La Chine subventionne ses entreprises et a recours à des pratiques commerciales agressives mais les États-Unis contestent l'existence même d'un système de règles pour le commerce international. Est-ce mieux ou moins bien ? Nous pourrions en débattre toute la soirée.

Nos relations avec les États-Unis sont au coeur des discussions sur le mandat que nous devons donner à la Commission pour négocier un accord commercial avec ce pays. Nous voulons que cet accord soit le plus équilibré possible, ce qui n'est pas chose facile avec un partenaire qui ne joue pas le jeu et qui menace d'imposer de nouvelles mesures tarifaires au secteur automobile européen d'ici au mois de mai. Rappelons que le président Trump a demandé un rapport sur la menace que représenterait le secteur automobile européen pour la sécurité nationale des États-Unis – un choix de titre éloquent.

En arrière-plan de ce Conseil européen, il y avait donc tout de même ce cadre mondial quelque peu désordonné.

Les Américains s'appuient sur l'extraterritorialité de leur droit mais il faut savoir que le droit européen peut aussi être extraterritorial. C'est le cas, par exemple, du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Nous ne sommes donc pas en reste. Simplement, nous n'utilisons pas le droit de façon agressive pour sanctionner des entreprises même si nous réprimons certains comportements comme l'optimisation fiscale ou la corruption.

Quand les Européens franchiront-ils le pas ? J'aimerais que ce sujet figure en haut des priorités de l'agenda de la prochaine Commission européenne et que les Vingt-Sept parviennent à un consensus sur cette question. C'est un voeu personnel qui est sans doute un voeu pieu car ce ne sera pas simple. Les différents États membres n'ont en effet pas du tout la même représentation de la capacité de l'Union européenne à se projeter dans le monde tel qu'il est aujourd'hui et de ses relations avec les grands partenaires. Pour certains d'entre eux, elle est simplement une organisation qui sert à unifier un marché intérieur, à garantir une certaine forme de stabilité économique et politique. Ils n'ont pas envie qu'elle devienne un acteur mondial car ils redoutent d'être ensuite exposés à des sanctions. Ils ont une vision presque nationale de l'Union européenne, alors que nous souhaitons que son action soit globale. C'est tout le sens de la tribune européenne du Président de la République publiée le 5 mars. Si nous voulons que l'Union européenne soit un acteur de poids face à la Chine et aux États-Unis, elle doit être plus forte et savoir se défendre. Je suis d'accord avec vous, ce serait cela le vrai test. Pour l'heure, les Européens se contentent de dresser des listes. Tant que nous n'aurons pas de consensus sur cette question, tant que la Commission européenne ne mettra pas l'accent de manière systématique sur l'application extraterritoriale du droit européen, nous ne changerons pas de dimension.

Il n'a pas été question de la pêche au Conseil européen, tout simplement parce que, outre le fait que le Conseil ne devait initialement pas du tout parler de Brexit, la discussion portait sur la demande de Mme May d'un report de date ; ce n'était donc pas une négociation sur le fond de la relation future avec le Royaume-Uni, sujet qui viendra, je l'espère, après la phase de ratification.

Il s'agit évidemment d'un sujet majeur. Comme vous le savez, soit il y a ratification de l'accord de retrait et l'accès aux eaux britanniques sera alors maintenu pour nos pêcheurs français pendant toute la période de transition, jusqu'au 31 décembre 2020, et une relation s'établira ensuite sur la base d'un accord que j'espère équilibré, soit il se produit une sortie sans accord et nos pêcheurs perdront alors du jour au lendemain l'accès aux eaux britanniques, de même que les productions pêchées par les Britanniques dans leurs eaux pourront toujours être apportées sur le territoire français, notamment à Boulogne-sur-Mer, mais avec application de droits de douane. Ce sera un monde complètement différent, très préjudiciable aux pêcheurs français, mais pas seulement à ces derniers puisque six États membres, dont la Belgique, sont concernés par le sujet.

La Commission européenne a adopté deux mesures de contingence. La première consiste à prévoir que le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) puisse apporter un soutien financier en cas d'arrêt temporaire de l'activité de pêche, pour les pêcheurs de la Manche qui ne pourraient plus sortir leurs bateaux et aller pêcher dans les eaux britanniques. La seconde, au cas où les Britanniques nous feraient une bonne manière consistant, malgré l'absence d'accord, à chercher à éviter les troubles entre pêcheurs et à calmer le jeu, à prévoir la possibilité de continuer à pêcher dans leurs eaux le temps de négocier un accord. Mais nous ne savons pas encore ce que seront l'utilité et la portée de telles mesures. Les pêcheurs français veulent continuer à pêcher. La logique sera donc, en cas de non-accord, d'aller voir les Britanniques dès le lendemain matin pour engager la négociation d'un accord incluant la pêche, avec peut-être un achat de droits de pêche dans les eaux britanniques et donc la nécessité pour l'État et l'Union européenne d'aider les pêcheurs à financer de telles licences.

Vous demandez si le cadre financier pluriannuel est toujours adapté, notamment du fait du Brexit. C'est un seul État membre qui quitte l'Union européenne ; nous restons vingt-sept et il nous faut donc bien un mécanisme de mutualisation de financements pour financer des politiques communes. J'avoue que je ne me suis pas posé la question de savoir si ce système était dépassé. La question que nous nous posons pour la négociation du prochain cadre 2021-2027, c'est plutôt celle des conséquences, pour nous, du départ des Britanniques. Avec le départ d'un contributeur net au budget, nous aurons à payer davantage. Nous nous sommes également posé la question de la durée du cadre : sept ans, n'est-ce pas trop long ? Mais nous sommes plutôt, pour l'instant, plutôt dans une approche, peut-être un peu trop conservatrice à vos yeux, qui reste celle d'un budget financé par les États membres et par quelques ressources propres pour sept ans.

Le président de la Banque centrale européenne (BCE), M. Draghi, a fait au Conseil européen, devant les chefs d'État, une présentation sur la question de la faible croissance mondiale. C'est pourquoi les conclusions du Conseil font état de cette mention de la faiblesse de la croissance et de la question, dans ce contexte, du dynamisme relatif de l'Union européenne et de la nécessité ou non d'un développement intrinsèque de l'Union, comme vous le dites. L'Union européenne est très ouverte et donc très dépendante du contexte extérieur, des prix du pétrole, du marché des changes, des chocs économiques liés au Brexit, du ralentissement ou de l'accélération de la croissance en Chine ou aux États-Unis. Mais nous ne nous posons pas la question de la façon dont vous l'avez posée. L'idée de ce paragraphe des conclusions, c'est qu'il existe énormément de zones d'ombre dans le monde, notamment la perspective d'une aggravation de l'escalade dans la guerre commerciale entre les États-Unis et l'Union européenne ou entre les États-Unis et la Chine, et que, dans ce contexte, il est essentiel que les Européens restent soudés.

L'élargissement est le sujet du mois de juin. Les Balkans, notamment les Balkans occidentaux, constituent une zone dans laquelle les Chinois ont de l'influence, ainsi que d'autres acteurs, tels que la Russie ou les États-Unis. À ce titre, il est important pour la stabilité de l'Union européenne que la zone balkanique soit stabilisée. Comme vous le savez, l'an dernier, la France s'est opposée à l'ouverture des négociations avec l'Albanie et la Macédoine, et nous avons renvoyé un nouvel examen à juin 2019. Cette année, nous allons donc devoir à nouveau nous prononcer sur ce sujet. Il ne faut pas en tout cas laisser ces pays sans perspectives, sinon ils se tourneront vers d'autres alliances et ce ne sera pas forcément à notre avantage, ni les dissuader de continuer à faire des efforts car il faut qu'ils en fassent encore. Un élargissement trop rapide conduirait à des situations telles que nous en connaissons malheureusement avec certains membres de l'Union européenne qui, une fois entrés, se sont écartés de la discipline collective, voire des standards européens les plus basiques, notamment en matière d'État de droit. Nous serons toujours un partenaire très exigeant sur les questions d'élargissement, regardant précisément si le compte y est en termes de réformes, de progrès, de perspectives de progrès supplémentaires, de monitoring et de suivi. Je ne sais pas encore quelle sera la position au mois de juin car nous n'avons pas encore reçu les rapports de la Commission européenne sur le sujet. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

S'agissant du Fonds européen de la défense, des projets ont déjà été présentés sur la base d'appels à propositions que la Commission a organisés, dont des projets français avec d'autres partenaires industriels. Il y a par exemple des projets dans le domaine des drones avec les Allemands, les Espagnols et les Italiens, des projets dans le domaine des radios logicielles avec les Espagnols, les Finlandais, les Polonais, les Italiens et les Suédois. Nous croyons beaucoup à ce fonds et à cette capacité nouvelle pour l'Union de contribuer à la prise de conscience qu'il faut une véritable coopération des industriels de la défense.

Dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027, une ambition très forte est proposée par la Commission, visant à porter le fonds à plus de 10 milliards d'euros. Je ne sais pas si on parviendra à ces montants. C'est l'Agence européenne de défense (AED) qui doit aider à la définition des programmes, et tous ces projets sont en lien avec ce qu'on appelle la coopération structurée permanente (CSP). Il existe un lien entre le financement et la constitution d'une communauté de défense. Les industriels français sont ravis de ce fonds, leur réception est très bonne, ainsi que leur engagement dans le système.

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Merci beaucoup pour ces réponses exhaustives. Ce que je retiens particulièrement, c'est la prise de conscience chez nos chefs d'État et de Gouvernement – il faut en tout cas l'espérer – qu'il convient d'affirmer la puissance de l'Union européenne. Si nous laissons passer le train, ce ne sera plus une réalité pour longtemps. En tant que parlementaires, nous sommes sollicités pour soutenir cette idée. Peut-être qu'après les élections européennes, la nouvelle Commission européenne prendra ces questions un peu plus à bras-le-corps.

La séance est levée à 19 h 15.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Aude Bono-Vandorme, M. Vincent Bru, M. André Chassaigne, Mme Yolaine de Courson, Mme Marguerite Deprez-Audebert, Mme Coralie Dubost, Mme Françoise Dumas, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Christine Hennion, M. Michel Herbillon, Mme Constance Le Grip, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-Pierre Pont, M. Joaquim Pueyo, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

Excusés. - M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Marietta Karamanli, Mme Nicole Le Peih, M. Damien Pichereau