Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 12h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • droite
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La réunion

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La séance est ouverte à 12 heures 35.

Présidence de Mme Muriel Ressiguier, présidente.

La commission d'enquête entend M. Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur.

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Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur.

Monsieur le ministre, cette réunion vient clore notre cycle d'auditions. Il s'agira d'évoquer avec vous l'ensemble des questions et des sujets relevant de votre compétence dont la commission a eu à connaître dans le cadre de ses travaux et sur lesquels votre éclairage nous sera précieux.

Je rappelle que le périmètre de cette commission d'enquête, conformément aux dispositions de la résolution qui a conduit à sa création, est exclusivement délimité de la manière suivante : faire un état des lieux du caractère délictuel et criminel des pratiques des groupuscules d'extrême droite et émettre des propositions, notamment relatives à la création d'outils visant à lutter plus efficacement contre la menace pesant sur nos institutions et leurs agents, ainsi que sur les citoyennes et les citoyens.

Cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'une retransmission en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale. Son enregistrement sera disponible pendant quelques mois sur le portail vidéo de l'Assemblée. La commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui sera établi.

Conformément aux dispositions du II de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui prévoit qu'à l'exception des mineurs de seize ans, toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est entendue sous serment, je vais vous demander de lever la main droite et de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Christophe Castaner prête serment).

Je vais vous laisser la parole pour un exposé liminaire de dix à quinze minutes, qui sera suivi d'un échange sous la forme de questions-réponses.

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Mon audition arrive, vous l'avez dit, en conclusion d'un cycle d'auditions que vous avez menées sur un sujet qui est central. J'ai vu la liste, impressionnante, des auditions que vous avez menées, notamment du côté du ministère de l'intérieur – c'était une évidence. Je sais que vous avez déjà reçu Laurent Nuñez, le secrétaire d'État, et différents responsables des services qui ont pu vous apporter des éclaircissements. Je tenterai, si besoin est, de les compléter.

Le sujet qui vous préoccupe, et qui nous préoccupe, est central : c'est celui de la lutte contre la haine que diffusent des groupuscules extrémistes. Il était donc normal, au-delà de l'obligation formelle qui existe, que le ministère se mette totalement à votre disposition. Nous ne travaillons pas seulement, comme cela vous a été dit, sur les groupuscules liés à une idéologie d'extrême droite. Pour le ministère, la lutte contre les groupuscules s'appréhende non pas selon leur origine, d'extrême droite ou d'extrême gauche, ou en fonction des tenants de leur idéologie. Cette lutte est uniquement et systématiquement motivée par la volonté de protéger ceux qu'ils prennent pour cible, au fond, c'est-à-dire l'État et nos concitoyens.

Il est d'autant plus important de le préciser qu'il y a, on le voit, des formes d'évolutions sur le plan idéologique. Il faut avoir un regard large pour éviter de manquer des risques qui feraient peser des conséquences graves sur nos concitoyens. Au-delà des courants historiques que l'on connaît bien – les identitaires ou les ultranationalistes – on voit notamment émerger des phénomènes nouveaux sur la frange de l'ultra-droite : je pense à l'apparition de néopatriotes et de néopopulistes qui sont très virulents. Leur discours est empreint d'islamophobie et comporte quelque chose qui est assez nouveau – nous pourrons y revenir dans le cadre des questions : la mise en cause de la classe politique comme responsable de tous les maux. Le discours sur l'invasion musulmane et le grand remplacement se traduit par la mise en cause d'une responsabilité politique au sens large, au-delà du Gouvernement actuel. Cette rhétorique anti-institutionnelle est un phénomène récent et préoccupant – ces derniers mois l'ont montré.

Je voulais préciser le spectre, large, sur lequel nous travaillons, mais je vais aussi tenter, comme l'a fait Laurent Nuñez, d'apporter des éclaircissements sur ce qui est l'objet de votre commission d'enquête.

Nous visons, à travers cette cible, des individus ayant un socle commun qui est à la fois raciste, antisémite et xénophobe, et qui sont porteurs d'un projet violent visant à attenter, par la subversion violente, à l'intégrité physique des personnes ou à la pérennité des institutions. Sur cette base, ces individus font l'objet d'une surveillance et d'un suivi du ministère de l'intérieur qui vous a été présenté, je crois, dans le cadre des différentes auditions que vous avez eues.

Les principales menaces qui sont dirigées contre la démocratie et contre l'intégrité des institutions nécessitent, évidemment, d'anticiper et de prévenir les risques causés par ceux qui, en dehors des lois de la République, tentent de prospérer sur l'anomie et la désespérance sociale. Il en est de même des risques de déchirements sociaux susceptibles de peser sur la société française, de la résurgence observée de pratiques violentes des différents groupes ou individus de l'ultragauche ou de l'ultra-droite et de la violence qui, comme je l'ai dit en évoquant les évolutions, ne se rattache ni à l'un ni à l'autre : il y a cette perte de repères idéologiques que connaît, peut-être, notre société contemporaine et que je traduisais tout à l'heure en termes de montée de néopopulismes dont on ne sait pas forcément à quel bloc on pourrait les rattacher, même si un examen fin, notamment des prises de position, peut permettre de le faire.

Je voudrais rappeler qu'à l'exclusion de l'organisation interne des partis institutionnels, de la sphère privée des personnes qui y participent, du contenu des rassemblements organisés par ces partis et des prévisions électorales, nos services de renseignement – je dis « nos », car vous avez bien en tête qu'il y a plusieurs acteurs sur ce sujet – s'intéressent aux éventuels aspects relatifs à l'ordre public : c'est là le fondement de leur action. Les services de renseignement ne s'intéressent pas à la radicalité des opinions politiques mais à celle des comportements, afin de prévenir les troubles à l'ordre public. Il est essentiel de le préciser parce que, selon les discussions politiques que l'on peut avoir – je ne parle pas de cette commission d'enquête, mais en général – on peut avoir des visions différentes de ce qu'est la radicalité. Il est vraiment essentiel d'avoir en tête que le point d'entrée, pour le ministère, est celui des troubles à l'ordre public.

C'est, on le voit bien, une préoccupation à la fois actuelle et permanente. Comme pour beaucoup de menaces, le traitement médiatique peut fluctuer mais les groupes violents et la haine, eux, ne prennent jamais de repos. Nous n'avons d'ailleurs pas été épargnés ces derniers temps. Je pense en particulier aux actes antisémites, à la croix gammée tracée sur le visage de Simone Veil, à la profanation de cimetières juifs et à celle du mémorial d'Ilan Halimi. Je voudrais, dans ce contexte, rappeler les propos tenus par le Président de la République lors du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) alors que les actes antisémites se multipliaient. Il y a eu une augmentation très forte sur le plan statistique, même si l'étiage était relativement bas. Je ne veux surtout pas minorer : on ne fait pas de la comptabilité quand il s'agit d'actes de racisme, d'islamophobie, d'antisémitisme et de christianophobie ; je crois que chacun de ces actes mérite notre engagement et notre condamnation. Mais on regarde aussi l'évolution statistique. Ce que l'on constate à propos de l'antisémitisme est une très forte augmentation, alors qu'il y a une stabilité en ce qui concerne les actes de christianophobie, même si le chiffre est plus élevé, ce qui est notamment lié au nombre de lieux de culte susceptibles d'être profanés – mais ce n'est pas le sujet sur lequel vous travaillez.

J'ai évoqué le dîner du CRIF : le Président, dans ce contexte, nous a demandé d'instruire, au regard du droit en vigueur, la dissolution de certains groupes particulièrement violents, agressifs et véhéments. Cela a été fait, nous y reviendrons certainement, pendant les travaux de la commission d'enquête. Le Président me l'avait demandé, et j'ai donc demandé à mes services, de procéder à une enquête sur l'association « Le Bastion social » et six associations liées, « Les Petits Reblochons », l'association Lugdunum, le Cercle Frédéric Mistral, le Cercle Honoré d'Estienne d'Orves, l'association Arvernis et Solidarité Argentoratum, en vue de leur dissolution. Après cette enquête et en raison des éléments de fait, notamment des exactions répétées en marge de rassemblements de voie publique, j'ai pu proposer une dissolution lors du Conseil des ministres du 24 avril dernier, et celle-ci a ensuite été publiée.

L'action des groupuscules violents s'est notamment manifestée ces derniers mois dans certains rassemblements. Je pense au début du mouvement des « Gilets jaunes ». Il est intéressant, d'ailleurs, de voir comment une évolution de la mobilisation a eu lieu dans le temps. Au début du mouvement des « Gilets jaunes », des individus issus de groupes de la droite radicale n'hésitaient pas à déclencher des violences au sein des cortèges. Assez vite, on a vu que ces groupuscules d'extrême droite se faisaient de moins en moins nombreux et qu'ils laissaient place à des groupes d'ultragauche tout aussi violents et contre lesquels nous luttons avec la même résolution.

J'en reviens au cœur du travail de votre commission d'enquête. Il existe, comme vous l'avez compris, et ce que j'ai vu de certaines de vos auditions l'a montré, plusieurs grandes catégories de groupuscules. Leur particularité est qu'ils ont chacun leurs réseaux, leurs groupes et leurs sous-groupes, et qu'ils ne s'apprécient pas nécessairement les uns les autres, tout en présentant une ou plusieurs caractéristiques communes.

La première est une forme de rébellion violente. Ces groupuscules s'inscrivent tous dans un refus net de notre société et de ses institutions, et ils vouent une fascination à la violence. On le voit quand on regarde leurs publications. La violence est encensée. Elle est même un moyen d'identification et de recrutement. Notre société devient-elle plus violente ou non ? Chacun a son opinion et je me méfie toujours de la référence à « c'était mieux avant » ou à « c'est pire aujourd'hui », mais une chose est sûre : on voit qu'une forme de violence se banalise dans le contexte actuel et que c'est vraiment un moyen de recrutement pour ces groupuscules. L'adoration de la violence est intrinsèque à tous ces mouvements.

Deuxième caractéristique, qui découle de cette adoration de la violence, il y a une rivalité. Les groupuscules d'extrême droite n'existent, au fond, que parce qu'ils sont rivaux. Ils le sont entre eux – l'histoire, y compris contemporaine, montre cette réalité –, ce qui peut provoquer certains affaiblissements – on pourra peut-être y revenir. Ils sont également rivaux avec les groupes d'ultragauche, qui partagent souvent une forme de fascination pour la violence. La volonté d'en découdre et de s'affronter est commune à chacun des groupuscules que vous avez étudiés. Cela s'est traduit, notamment, dans les manifestations et leur évolution – beaucoup d'ultra-droite au début et peu d'ultragauche, puis l'inverse. Il y a eu aussi, dans certains cas, des confrontations directes, et l'on peut constater qu'une tendance a gagné sur l'autre. Je ne me ferai pas le commentateur du match, mais on a connu des événements particuliers – on pourra vous apporter quelques éclaircissements, si vous le voulez.

La troisième caractéristique forte est la haine : la haine de l'autre, la haine des immigrés, la haine des personnes de confession juive, la haine homophobe, la haine de l'État, la haine des francs-maçons, et je pourrai être plus long encore. Le principal moteur qui fait vivre ces groupuscules est cette haine de l'autre, cette haine même pas de la différence, mais de la différence par rapport à ce qu'ils pensent être une norme. La différence existe quelques fois, par exemple entre les femmes et les hommes, mais elle est souvent fantasmée. La haine du Juif est construite sur un référentiel qui est totalement fantasmé et qui ne devrait même pas, de ce fait, être qualifié de différence. Même si je ne veux pas me prononcer, cette différence n'est pas réelle : elle se trouve dans l'inconscient ou la conscience des gens dont nous parlons. C'est à partir de ce mythe qu'ils se construisent. Il y a aussi la haine de l'État, sur laquelle j'insiste car elle est inhérente à tous les groupes extrémistes. Ils refusent la République, les institutions et les élus. Ils ne dénoncent plus la « Gueuse » et leur corpus idéologique s'est réduit comme une peau de chagrin : il ne reste plus, au fond, que la haine et la violence.

Quand on regarde les principaux actes commis par ces groupuscules, on voit qu'ils sont très cohérents avec ces traits communs. On note surtout que ces groupuscules vivent de bagarres et d'affrontements entre groupes et de dégradations de biens ou de locaux, appartenant souvent à des opposants ou incarnant ce que refusent ces groupuscules – cela peut aller d'un lieu de culte au local d'une association qui vient en aide aux migrants. Cela se traduit aussi par des outrages et des actes de rébellion contre les forces de l'ordre et, enfin, par des agressions racistes et antisémites, même si elles ne constituent pas l'essentiel des infractions que vous avez eu à évoquer au sein de votre commission d'enquête.

Je voudrais souligner une dernière caractéristique commune à tous ces groupes : les réseaux sociaux. Ils sont le vecteur de tous les groupes extrémistes. C'est là que leur propagande fait son lit, qu'ils s'organisent et qu'ils recrutent. Il est important de le souligner car la lutte contre les réseaux sociaux est un exercice difficile. Un site fermé en France peut réapparaître immédiatement en étant localisé en Ukraine ou, et je ne prends pas cet exemple par hasard, au Japon. Il est alors beaucoup plus difficile d'intervenir. Ce qui est un .fr devient un .org, et il y a de vraies difficultés.

Quelles sont les actions contre les groupuscules d'extrême droite que le Gouvernement conduit ?

La première et la plus radicale est la dissolution. Il n'est pas question, bien sûr, de dissoudre un groupe au seul titre de son idéologie, aussi fétide qu'elle soit. On peut penser que c'est une anomalie, mais c'est ainsi. La Constitution nous l'interdit, et je pense que c'est bien qu'elle nous l'interdise. Même si celui qui est ministre de l'intérieur trouve que c'est un frein, je crois en réalité que cela fait partie de nos garanties collectives. Le droit international nous l'interdit aussi. Il est nécessaire, pour dissoudre un ou des groupes, qu'ils constituent des menaces sérieuses à l'ordre public. Je le précise car – et vous m'interrogerez peut-être sur ce sujet – deux listes qui se présentent aux élections européennes sont classées à l'ultra-droite. J'ai été interpellé par un parlementaire qui m'a demandé comment il se faisait qu'on autorise ces listes. C'est simplement parce que l'ultra-droite n'est pas interdite en France pas plus que l'ultragauche. La police des idées n'est pas la règle qui doit s'appliquer dans un ministère, fût-il celui de l'intérieur.

Il faut vraiment avoir en tête que la dissolution, qui n'est pas une action anodine, et même quand on est résolu et qu'on est habité par une vigilance et une fermeté totales, implique l'existence de certains éléments. En cas de troubles à l'ordre public, d'incitations à la haine, à la violence, à la prise des armes, nous n'hésitons pas à faire usage des dispositions de l'article L. 212-1 du code de sécurité intérieure, qui permet la dissolution d'associations ou de groupements. Je suis très déterminé à combattre ces groupuscules dès lors qu'ils se mettent hors la loi. Nous avons déjà agi, à un haut niveau, au cours des derniers mois, pour mettre fin à diverses associations, et pas seulement dans le champ qui vous intéresse. Nous sommes offensifs sur cette question tout en respectant un cadre légal et de procédure.

Vous avez évoqué la question des pistes d'amélioration. Si je n'étais qu'un ministre de l'intérieur prônant une efficacité immédiate, je dirais qu'il faut lever les obstacles liés aux procédures et au fond, mais en réalité je ne vous le dirai pas : il est essentiel que ce cadre s'impose, même s'il complique, en effet, ce que le temps médiatique et le temps politique pourraient appeler à faire en termes d'efficacité.

Une dissolution, pour pouvoir être prononcée, nécessite une enquête et des éléments de preuve, factuels et établis solidement. Il y a là, d'ailleurs, une particularité des groupes que nous suivons : ils sont bien accompagnés juridiquement et ils n'hésitent pas à multiplier les procédures, devant la justice et avec un avocat, mais aussi par des changements d'adresses et de présidents. Ce sont des ruses qui permettent de contourner le droit et de faire obstacle à l'efficacité de nos dispositifs, et peut-être aussi de les fragiliser. Je parle d'expérience. Il y a des changements de présidents dont on n'a pas forcément connaissance. Vous devez notifier au président de l'association le projet de dissolution et on vous explique qu'il a changé, à la suite d'une assemblée générale ; vous vous appuyez alors sur le fait que cela n'a pas été publié et que l'on n'a donc pas informé la préfecture, mais cela fait naître, quelque part, un risque juridique. Ces acteurs savent parfaitement le faire : nous avons en face de nous des gens qui sont juridiquement solides, si je peux utiliser un euphémisme.

Le deuxième écueil, dans ces procédures de dissolution, est que nous dissolvons un groupe mais que les individus qui le composent peuvent continuer à agir individuellement. Ils ne peuvent pas reconstituer le groupe, sans quoi ils s'exposent juridiquement à des poursuites pour reconstitution de ligue dissoute, mais on est confronté à une réalité qui est que quand on a dissous – c'est une affirmation politique, et je la défends comme telle – on ne peut pas imaginer que cela s'arrête là. Les individus qui portent ces idées, qui les pensent et qui sont peut-être toujours prêts à un passage à l'acte, même s'ils sont affaiblis, vont continuer à agir.

Je risque d'être un peu long – vous me dites si je le suis…

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Je voudrais évoquer ce que j'ai constaté, notamment en préparant cette audition, pour être honnête avec vous, à propos de l'efficacité des dissolutions prononcées après l'affaire Méric. Je sais qu'il y a un débat. Certains ont considéré que ces dissolutions n'ont servi à rien. Je pense à celles de L'Œuvre française et des Jeunesses nationalistes révolutionnaires. Ce que j'ai pu voir est qu'il y a eu une véritable efficacité : ces mesures ont totalement perturbé un système. Même s'il a pu se reconstituer sous d'autres formes, ce n'est pas du tout avec la même ampleur et la même puissance. J'insiste sur le fait que la dissolution est compliquée – si on pouvait la faciliter, pourquoi pas, sous réserve du respect de ce que j'ai évoqué –, mais qu'elle a une vraie efficacité, même si elle ne suffit pas : il y a la question de ceux qui, au sein de ces groupuscules, doivent continuer à être suivis.

Les services de renseignement sont particulièrement mobilisés pour suivre l'activité de ces groupuscules, de leurs leaders et de leurs membres les plus actifs et les plus dangereux. Je sais que vous avez interrogé nos services, et je ne vais donc rien dévoiler que vous ne connaissiez déjà. Un suivi est effectué à tous les niveaux, avec une déclinaison locale dans les départements, sous l'égide des préfets. Cela nous permet notamment d'anticiper les mobilisations des groupuscules et d'être prêts à contrer leur action si besoin est.

Nous utilisons également toute la palette des entraves judiciaires et administratives dont nous disposons pour gêner ces groupes, les déstabiliser dans leur fonctionnement et révéler l'identité, y compris numérique, de leurs membres les plus actifs et les plus violents. Un vrai travail de fond est réalisé dans ce domaine.

Enfin, nous menons une guerre contre les contenus haineux en ligne. Je pense notamment aux moyens supplémentaires qui ont été accordés à la plateforme PHAROS pour étudier les signalements effectués et pour apporter notre contribution au très vaste travail de la lutte contre la haine en ligne. Il y a néanmoins des limites. Le délit d'idée ou d'idéologie n'est pas nécessairement suivi par les gestionnaires des plateformes. Les plateformes jouent aujourd'hui bien le jeu en ce qui concerne les appels à la haine de nature terroriste et à la pédopornographie, même s'il y a des variations selon les plateformes. Les plateformes ont une volonté d'amélioration. On peut leur en donner acte, mais en soulignant que l'assiette actuelle n'est peut-être pas suffisamment large.

Je ne veux pas me prononcer sur le travail parlementaire, mais je sais que votre collègue Laëtitia Avia travaille sur la lutte contre la diffusion de la haine en ligne, notamment avec la chancellerie – vous en avez peut-être parlé ce matin avec la garde des sceaux. C'est également une très bonne idée du point de vue du ministère de l'intérieur, car les réseaux sociaux constituent un outil sans égal de propagande. La propagation des contenus y a lieu d'une manière très rapide et extrêmement large. Que s'est-il passé à Christchurch ? Une vidéo de 13 minutes est restée 28 minutes en ligne, ce qui est peu. Le lendemain, elle avait néanmoins été diffusée 1,5 million de fois. C'est aussi la problématique à laquelle nous devons faire face, avec les difficultés que vous connaissez.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, en quelques mots, ce que je souhaitais dire au sujet des groupuscules d'extrême droite.

Permettez-moi également de faire une petite remarque personnelle. Je suis comme vous un élu, issu d'une circonscription. Mon combat politique s'est construit contre l'extrême droite. Je me suis engagé pour combattre le racisme et l'antisémitisme. Je pense l'avoir montré, notamment lors d'élections régionales, en Provence-Alpes-Côte-d'Azur, par un choix qui n'était pas partagé par tous – je le dis pour votre rapporteur Adrien Morenas, en pensant à la région et non pas à la ligne politique ! Je sais que mon retrait, à l'époque, devant le risque de voir le Front national gagner ma région, a fait débat.

Il faut faire la différence entre le combat politique, celui qui était le mien à ce moment-là contre le Front national et mon combat actuel contre le Rassemblement national, et la question des groupuscules sur lesquels vous travaillez, même si, au fond, ils alimentent par leurs actions une petite musique qui peut avoir ensuite des traductions politiques. Néanmoins, je distingue vraiment les choses.

Cette musique de haine et de violence commence aussi à se traduire, et ce sera ma conclusion, par une évolution de méthode des acteurs sur lesquels vous enquêtez. Ils sont passés d'un courant idéologique et politique à une vocation et une ambition sociales d'occupation de l'espace public et territorial, comme l'ont fait certains partis politiques il y a quelques années même si la situation a évolué depuis. Ces acteurs vont sur le champ de la « solidarité » pour porter leur discours de haine et de violence.

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Je vous remercie. Vous avez parlé de la violence de la société, d'une société qui deviendrait de plus en plus violente. On voit chez ces groupuscules de l'ultra-droite une volonté de s'entraîner au combat, notamment dans le cadre d'universités d'été mais aussi dans des salles de boxe, avec des armes à feu, des couteaux ou le self-defense, ainsi qu'une volonté de se former idéologiquement dans ces mêmes universités d'été. Gardez-vous un œil sur elles ? Savez-vous à peu près combien de personnes y assistent ? Sont-elles des lieux où différents groupuscules peuvent se côtoyer ? Quel suivi exercez-vous ? Il y en a qui se créent un peu partout, dans toutes les villes – cela vient d'être le cas chez moi. J'aimerais savoir si vous suivez cette question de près.

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Oui, dans la mesure du possible. D'abord, je confirme votre propos, mais je vais l'élargir un peu. Il y a aussi, et c'est une structuration classique de ces groupuscules d'extrême droite, une dimension internationale.

Des solidarités internationales existent. Elles permettent aussi de contribuer aux formations que vous évoquez. Je crois que vous avez reçu Yvan Benedetti. Comme c'était à huis clos, je ne sais pas ce qui s'est dit et je ne commenterai pas, mais je sais qu'il construit son discours de puissance interne à ses réseaux par ses relations avec les mouvements étrangers. Il y a effectivement des temps de formation qui peuvent se tenir un peu partout, en Europe en particulier – en Espagne ou en Allemagne. Dans ce domaine, la coopération qui existe entre les services de renseignement, notamment européens, permet d'avoir un suivi de ce qui peut se dire et arriver ensuite.

Il y a aussi un ancrage du Parti nationaliste français (PNF) au Moyen-Orient, qui est confirmé au regard des déplacements de certains de ses responsables. On voit que des rencontres sont organisées, notamment une conférence internationale qui porte le doux nom de New Horizons et qui est dédiée aux « penseurs indépendants » – ils sont, en gros, antisionistes, révisionnistes, conspirationnistes ou anti-impérialistes. Il y a donc cette dimension de formation au niveau international sur laquelle nous tentons d'avoir un certain nombre d'informations.

Il y avait ensuite, selon les groupes, mais pas forcément ensemble, il s'agit d'une véritable évolution que nous avons notée au cours des dernières années, des moments de rassemblement possibles. Ils sont de plus en plus rares. Mais il y a, effectivement, selon les groupes, des universités d'été de formation, notamment en ce qui concerne les armes. Quand nous en avons connaissance, il nous arrive d'intervenir directement et de procéder à des interpellations ou à des informations. Je n'ai pas en tête d'interpellations récentes dans ce cadre du côté de l'ultra-droite mais j'en ai, en revanche, du côté de l'ultragauche, vers Toulouse, par exemple. J'ai d'ailleurs rencontré ce matin des responsables de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui travaillent sur ce sujet. C'est quelque chose que nous connaissons, en effet.

Il y a un éclatement qui fait qu'il n'y a pas aujourd'hui une « holding » de tête – pour prendre un terme qui ne s'applique pas à ce sujet, mais permet de rester neutre et de ne citer personne – qui pourrait prendre l'initiative d'organiser un rassemblement et de prendre la main. Il y a eu des tentatives. Il y a notamment eu, à l'automne dernier, un rassemblement à Rungis où la personne que j'ai évoquée tout à l'heure – j'ai prononcé son nom une fois et cela suffit – a tenté de constituer une grande « nationale » de la lutte dans le cadre du mouvement social dit des « Gilets jaunes ». Cette volonté existe, mais elle n'est pas constituée aujourd'hui, en termes d'efficacité.

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J'aimerais savoir si de nouveaux motifs de dissolution seraient souhaitables dans le cadre de l'article L. 212-1 du code de sécurité intérieure. Le dispositif vous paraît-il suffisant pour lutter d'une manière efficace contre ces groupuscules ?

Nous revenons d'un voyage en Allemagne où nous avons auditionné vos homologues. Dans leur travail de lutte contre ces groupuscules, il y a réquisition des comptes en banque lors de la fermeture des associations. Est-ce également envisageable pour vous ? Cela pourrait-il être utile pour assécher les revenus de ces organisations ?

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Je vais commencer par la fin. Nous sommes toujours favorables à la saisie, voire à la saisie-attribution, lorsqu'elle peut avoir lieu. Cela se pratique pas mal, notamment, dans la lutte contre les avoirs criminels liés au trafic de drogue, et cela présente une véritable efficacité, y compris en termes de message et d'image. C'est un peu plus compliqué – pardonnez-moi si je sors du champ de cette commission – quand on attribue une Porsche Cayenne à un commissaire de police : lorsqu'il faut changer le train de pneus, cela coûte un bras, comme on dit ! (Sourires.) Mais il faut avoir en tête l'efficacité psychologique de ce type d'action.

Ce que l'on voit avec le trafic de drogue, et je fais l'analogie car on a un vrai retour d'expérience dans ce domaine, c'est que les réseaux très organisés sont, au fond, beaucoup plus embêtés lorsqu'ils sont frappés au portefeuille. Quand vous saisissez un immeuble dans un territoire qui sert de plateforme logistique – excusez-moi d'utiliser des termes économiques mais c'est la réalité de l'organisation de ce trafic – les acteurs concernés sont beaucoup plus embêtés. On sait que celui qui a été attrapé va faire entre cinq et sept ans de prison – on envoie un avocat, mais cela fait partie de la règle, au fond. Quand vous arrivez à saisir des avoirs immobiliers, on envoie des avocats parisiens pour plaider. Cela montre vraiment l'efficacité de la saisie.

On a déjà la possibilité d'obtenir des saisies dans le cadre de la procédure judiciaire mais, de ce que je connais du dossier, on a rarement affaire à des associations propriétaires de leurs biens. Elles sont locataires ou elles squattent. On l'a vu récemment à Strasbourg. Tout ce qui peut permettre de favoriser une saisie, et pas nécessairement une saisie-attribution, me paraît aller dans le bon sens. Il faut frapper, à mon avis, par la dissolution et le message politique mais aussi par la neutralisation des moyens. Cela rendra plus efficace la lutte dans la durée, en cas de reconstitution de ligues.

Vous m'avez également demandé si nos moyens juridiques permettent d'aller assez loin. Ils nous permettent, quand les faits sont établis – c'est ce que j'ai dit tout à l'heure – d'engager des actions. Vous connaissez celle concernant le Bastion social. Nous sommes également en procédure pour deux mouvements néonazis, Blood and Honour Hexagone et Combat 18. Je ne peux pas vous en dire plus, mais cela reste un objectif pour le ministre de l'intérieur que d'obtenir leur dissolution. La procédure est en cours.

Il vous appartient de décider si l'on peut considérer que le délit de propagation de propos racistes, antisémites, etc., peut avoir une conséquence plus brutale, c'est-à-dire entraîner automatiquement ou plutôt être une base suffisante pour une dissolution. Il y a une appréciation à porter. C'est extrêmement délicat, et je vous laisse évidemment peser les choses en vue de vos conclusions. Peut-être qu'un ministre de l'intérieur pourrait dire qu'il faut le faire, mais je serai réservé pour ce qui me concerne.

Peut-on aller plus loin et être plus efficace ? Ce que j'observe, si je prends les vingt dernières années, depuis l'an 2000, c'est que l'on a pu procéder à 30 dissolutions. Au fond, nous disposons des moyens juridiques. La vraie difficulté est plutôt aujourd'hui dans la lutte contre les outils de diffusion de la haine – je reviens sur la question des réseaux sociaux – qui sont, eux, beaucoup plus difficiles à neutraliser. C'est toute la difficulté à laquelle nous sommes confrontés. Je vais prendre un exemple : quand un site est localisé en France, on sait faire ; quand il est localisé en Europe, on sait encore faire ; quand il est localisé en Ukraine, cela devient beaucoup plus compliqué, même si on peut empêcher sa diffusion en France. Sur ce sujet, il y a peut-être des évolutions auxquelles on pourrait travailler ensemble.

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Deux remarques liminaires.

Sans vouloir polémiquer, je voudrais revenir sur un tweet que vous avez publié hier, à l'occasion du 8 mai, pour rendre hommage à des policiers « qui ont pris le maquis », « combattu l'oppression » et « fait le choix de la résistance ». Oui, il y en a eu, mais trop peu. À vous lire, monsieur le ministre, mais c'est peut-être une maladresse, on a l'impression que c'était la norme, la majorité. Je me fais l'écho de très nombreux messages de déception voire de colère que j'ai reçus de la part de fils et de filles de rescapés. Même si certains policiers ont fait le choix du courage, de l'honneur, de la résistance – certains sont même des Justes parmi les nations : je crois qu'il y en a eu près de soixante-dix –, l'écrasante majorité, hélas, a fait à l'époque le choix de la collaboration, ou a minima de la passivité, en exécutant les ordres de l'État français. Un simple rappel : le 16 juillet 1942, au Vel d'Hiv, ce sont 9 000 policiers et gendarmes – sans parler des centaines de supplétifs collaborationnistes – qui ont raflé très exactement 13 152 juifs, dont 4 615 enfants. Combien sont revenus ? Seulement quelques dizaines. Je voulais le souligner.

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Si vous me permettez de répondre directement, je pense que vous faites la différence, monsieur le député, entre l'article « des » et l'article « les ». Si j'avais écrit « les policiers » se sont mobilisés, ont rejoint le maquis, j'aurais commis une faute historique, a minima. En évoquant, devant le monument aux morts de la police et en présence de nombreuses personnalités, celles et ceux qui sont morts en résistants, j'ai dit que « des policiers » ont fait le choix de la Résistance. Il y a une vraie différence entre « des » et « les ». J'entends votre remarque, mais je pense que vous pouvez me l'épargner si vous savez faire cette différence.

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J'ai écouté votre propos liminaire, j'ai entendu ce que vous avez dit sur votre engagement et il n'a échappé à personne qu'il y a une différence entre « des » et « les », mais votre Tweet…

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Si vous pouviez recentrer votre propos… Vous pourrez discuter de ce sujet ailleurs, plus tard.

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J'en viens à ma deuxième remarque liminaire. Comme je l'ai dit à votre secrétaire d'État, Laurent Nuñez, je regrette que les travaux se focalisent, madame la présidente, sur les seuls groupes d'extrême droite. Je n'ai d'ailleurs pas été le seul à regretter ce choix. Notre collègue Pierre Morel-à-l'Huissier a même décidé de démissionner.

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Libre à vous de demander une commission d'enquête sur l'ultragauche. Nous avons déjà eu cette conversation.

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Si vous voulez bien me laisser terminer mon propos… Cela traduit, pour moi, une indignation sélective et relève peut-être même d'une hémiplégie idéologique persistante selon laquelle les groupes d'extrême gauche ultra-violents mériteraient plus de compassion ou de compréhension. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes, on a vu ressortir les mêmes stigmatisations antisémites – le Président de la République aurait travaillé chez Rothschild, la presse serait entre les mains des Juifs – aussi bien à l'extrême gauche qu'à l'extrême droite.

Comme vous l'avez également rappelé, vous avez prononcé le 24 avril la dissolution de sept associations d'ultra-droite, conformément aux déclarations du Président de la République lors du dîner du CRIF, notamment les trois groupuscules d'inspiration néonazie Bastion social, Blood and Honour et Combat 18. Pourquoi ne pas avoir inclus dans le lot, sauf erreur de ma part, le groupe Hammerskin ? Deuxième question, à laquelle vous avez partiellement répondu, il est important de dissoudre, bien sûr, mais est-ce suffisant ? Quid après ? Vos services s'assurent-ils que ces organisations ne poursuivent pas leurs activités sous un nouveau nom ou différemment ? On se souvient qu'en 2013, dans le sillage de la mort de Clément Méric, Manuel Valls avait dissous les organisations Troisième Voie de Serge Ayoub et L'Œuvre française d'Yvan Benedetti, que nous avons auditionné. Vous pensez que leur action a été entravée, mais je n'en suis pas totalement persuadé.

J'ai d'autres questions, mais je vais peut-être laisser mes collègues s'exprimer.

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Monsieur Habib, je tiens à corriger votre propos : nous n'avons pas dissous Blood and Honour et C18 ; la procédure de dissolution est en cours. J'ai cité les associations dissoutes. Vous avez raison, Troisième Voie l'avait quant à elle été suite à l'affaire Méric.

Je le répète, quand vous procédez à la dissolution d'une association, vous ne procédez pas à celle des individus qui la constituent ! Ce pourrait être une suggestion de la commission – excusez-moi d'en plaisanter. À mon sens, il a quelques vertus démocratiques à ne pas plaider en ce sens…

Je l'ai dit dans mon propos liminaire, cela fait partie du travail des services que de continuer à suivre les individus pour empêcher la reconstitution de ligue dissoute, qui relève d'un constat pénal et d'une infraction pénale. Certains tenants de ces thèses idéologiques évoluent positivement – souhaitons-le –, mais d'autres pas, et continuent à porter une parole de radicalité. Ils viennent même porter cette parole dans le champ politique. Nous les suivons ; ils sont identifiés et connus, mais nous ne sommes pas en mesure – et je ne le souhaite pas – de les interdire de parole.

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Monsieur le ministre, je vous remercie pour cet exposé et votre vision. Nous avons pressenti que l'arsenal juridique des dissolutions pourrait évoluer, mais qu'il faut s'y atteler avec précaution car la liberté d'expression est une colonne vertébrale de notre démocratie. Malgré tout, peut-être conviendrait-il de faciliter juridiquement les dissolutions en tant que de besoin.

On assiste à une certaine libéralisation de la parole raciste, extrémiste – qu'elle soit d'extrême gauche ou d'extrême droite –, en réalité de la parole radicale. Pensez-vous que les lois existantes, en particulier les dispositions de la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite loi Gayssot, sur le négationnisme, soient encore efficaces ? Est-il possible de les renforcer et de les compléter en particulier en ce qui concerne l'islamophobie ? Sur les réseaux sociaux, ce racisme est souvent le fait de groupuscules d'extrême droite, qui sont inclus dans le périmètre de notre commission d'enquête. Certaines personnes condamnées pour propos islamophobes continuent à s'exprimer sur les grandes chaînes d'information. Il est étrange de les entendre ainsi tenir des propos quasiment identiques à ceux qu'ils tenaient avant leur condamnation ! D'ailleurs, ce discours est souvent le fruit d'une réflexion qui dépasse la France ; il a contribué aux événements de Nouvelle-Zélande – des crimes horribles, mis en ligne de manière quasiment normale. En France, cela ne dérange personne : nous continuons à entendre de tels propos tous les matins, toutes les semaines, sur les radios françaises…

Nous avons déjà posé la question à vos services mais, du fait de cette libéralisation de la parole raciste, doit-on craindre un attentat du même type que celui qui a frappé la Nouvelle-Zélande en France, dans les mois ou les années à venir ?

J'en viens à l'Allemagne : la France pourrait-elle utilement s'inspirer de l'Office fédéral de protection de la Constitution, qui surveille et infiltre les groupes extrémistes et qui est étroitement contrôlé par le parlement fédéral ? La France doit-elle revoir ses traditions et aller vers la démocratie « militante », ce qu'on appelle en Allemagne la démocratie « apte à se défendre contre ses propres ennemis ».

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Il y a beaucoup de questions dans votre question. La dernière est presque philosophique : doit-on utiliser les armes de la démocratie, celles qui font ce que nous sommes, face à des gens qui la contestent ? Dans un tel environnement, certains estiment que l'on peut lever les « obstacles » liés à la démocratie et au respect des règles du droit afin d'être efficaces et pragmatiques. Ces débats qui existent en France existent dans le monde entier : ainsi, la loi chinoise – qui présente certaines similitudes sur ce point avec certaines lois américaines – considère que tout responsable chinois, où qu'il soit dans le monde, doit immédiatement coopérer et informer son pays en cas de risque pour la sûreté nationale, sous peine de sanctions pénales. Nous ne disposons pas d'un tel arsenal juridique en France. Est-ce une bonne chose ou pas ? Il appartient au législateur d'en décider. Vous percevez mon sentiment dans ma réponse.

À l'inverse, on peut aussi considérer qu'il ne faut pas se comporter comme des bisounours avec de tels adversaires. Il nous faut donc trouver un point d'équilibre. Par exemple, l'application des dispositions de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement doit faire l'objet d'une évaluation par le Parlement et le sujet reviendra devant vous en 2020. Cela nous donnera l'occasion de débattre de ces questions. Cette discussion doit avoir lieu devant la représentation nationale ; elle ne peut pas être laissée à la seule main de l'exécutif – je sors sûrement de mon rôle en vous disant cela. Cela recoupe probablement la discussion que vous avez eue en Allemagne.

Le dispositif actuel montre son efficacité, mais n'empêche pas le risque. Vous souhaitez savoir si des gens porteurs de cette idéologie d'extrême droite risquent encore de mener des attentats contre une mosquée : oui, c'est possible. D'ailleurs, trois risques d'attentat liés à des groupuscules d'extrême droite ont été déjoués au cours des deux ou trois dernières années. On avait parlé de l'un d'eux car Jean-Luc Mélenchon avait été évoqué en tant que cible. J'ai moi aussi été identifié comme cible, suivi dans ma commune, mais l'auteur manquait d'armes – il avait commandé des couteaux et attendait sa livraison pour me zigouiller…

L'analyse de la structuration des phénomènes d'ultradroite montre que la rhétorique anti-institutionnelle, que j'évoquais en propos liminaire, de la nouvelle frange néopatriote et néopopuliste est particulièrement empreinte d'islamophobie : elle évoque l'« invasion musulmane », le « grand remplacement », avec des volontés violentes. Nous avons eu des tentatives d'attentats qui pouvaient conduire à ce que vous évoquez. D'autant que le risque d'attentat est pour l'essentiel endogène et peut être le fait d'une seule personne, avec toutes formes d'armes, hélas assez faciles à trouver sur le marché, voire à constituer. Ainsi, dans l'opération proche de Toulouse que j'évoquais – même s'il s'agit de l'autre tendance ultra –, nous étions dans ce schéma-là.

On ne constate pas forcément plus d'actes racistes en France que par le passé, mais l'islamophobie devient un sujet de rhétorique qui appartient à ces groupes et s'est totalement banalisé. Le curseur s'est donc déplacé. Est-ce lié aux attentats de 2015 ? Sûrement mais je ne suis pas en mesure de vous expliquer précisément les causes de ce phénomène. On ne constate pas de lien évident entre la libération de la parole raciste et un plus grand nombre d'actes racistes. En revanche, la parole islamophobe s'est objectivement libérée et on le constate, hélas, partout.

Quels sont les outils juridiques pour y répondre ? Ils existent, encore faut-il les appliquer et constituer le dossier. Quand je vois par exemple que l'« invitation » à se suicider adressée à la police peut valoir des poursuites judiciaires à Paris et ne pas constituer un délit d'outrage selon une décision judiciaire à Marseille, j'avoue être assez perturbé… Il ne m'appartient pas de commenter une décision de justice, mais de telles divergences soulignent que le contenu mérite peut-être d'être précisé. Cela peut faire partie de vos préconisations. Le Parlement peut considérer que la simple propagation d'un propos antisémite, islamophobe ou raciste constitue un outrage ou une menace, ce qui modifierait sa qualification juridique. Je ne vous y invite pas, mais indique simplement qu'il vous appartient d'en décider.

Vous m'avez interpellé sur la question du révisionnisme, très politique. À titre personnel, j'estime qu'il est toujours difficile pour un politique de se prononcer sur l'histoire, dont l'examen appartient davantage, de mon point de vue, aux historiens. Pourquoi ? Car nous sommes tous forcément dans l'émotion subjective ; cela arrive même à Meyer Habib ! Mais vous pouvez en décider autrement. J'étais présent à la première cérémonie de commémoration nationale du génocide arménien dont la date a été décidée par le Président de la République. C'est toujours difficile de toucher à l'histoire et une loi ne règle pas la souffrance liée à l'histoire. Mais c'est une opinion très personnelle. Il vous appartient donc d'en décider ; le ministère de l'intérieur exécutera vos décisions.

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La plaque de ma permanence a été taguée d'une croix gammée lundi. Cela n'entame en rien à ma détermination à lutter contre ces dérives. Je remercie la commission d'enquête de travailler sur ces questions. Il faut aller plus fort et plus loin.

Nous nous sommes déplacés à Berlin il y a quinze jours. C'était particulièrement intéressant : cela nous a permis d'échanger avec les ministères de la justice et de l'intérieur sur ces questions et, surtout, sur les moyens à mettre en œuvre afin de lutter contre la haine raciale et la propagation de ces idées qui peuvent paraître – et me paraissent – d'un autre temps, mais sont pourtant toujours présentes.

Internet est un vecteur terrible de propagation mais le quotidien des citoyens l'est également. Nous avons échangé sur les forces en présence et les effectifs. Bien sûr, nous ne pouvons pas comparer la France avec l'Allemagne, État fédéral, où les niveaux d'intervention sont « doubles ». Pour autant, les chiffres transmis sont impressionnants quant à la masse de personnes qui travaillent sur ces problématiques.

Pourriez-vous nous préciser si la formation des fonctionnaires dont vous avez la charge traite de la même manière les signes liés aux différents types de radicalisation ? De quels outils disposent les personnels en matière de signalement immédiat et d'alerte précoce ? Les fonctionnaires de police et de gendarmerie doivent le plus souvent possible et très régulièrement être en contact avec la population, afin de déceler ce type de comportements, les comprendre, si c'est possible, et les signaler.

En Allemagne, la formation des personnels leur permet de fournir à leur Parlement des chiffres précis en matière de lutte contre les groupuscules d'extrême droite : le recueil et l'évaluation des données leur permettent de proposer des pistes assez fortes de lutte contre ces dérives. Ainsi, ils sont capables de faire la différence entre, et donc de suivre l'évolution, des personnes potentiellement sympathisantes, des personnes portées à la violence, des personnes appartenant à un parti d'extrême droite, des personnes non structurées et non-organisées collectivement, des personnes dans des structures autres que les partis politiques. Ces données semblent utiles au renseignement intérieur allemand et permettent de disposer d'une base de données particulièrement intéressante.

Vous avez dit que la radicalité des opinions ne pouvait constituer un délit et qu'il fallait s'attaquer à la radicalité des comportements. Nous ne sommes pas restés longtemps en Allemagne et j'ai pu me tromper, mais il m'a semblé que les Allemands avaient une approche différente et avaient moins de mal que nous à mettre des mots sur les choses : ils luttent à la fois contre les groupuscules, bien sûr, mais aussi, à leur manière, contre les partis d'extrême droite. J'ai trouvé cela intéressant.

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Ces croix gammées sur votre plaque et celle d'Olivier Dussopt nous ont évidemment tous heurtés. La banalisation de l'utilisation de la croix gammée n'est pas nouvelle ; elle traduit aussi une mise en cause des institutions. Ainsi, sur les réseaux sociaux, certains se permettent-ils d'écrire que le ministre de l'intérieur devrait faire l'objet d'un procès du même type que celui de Nuremberg pour le traitement du mouvement social actuel. Cela démontre une perte totale de repères. Bien entendu, il est normal que je fasse l'objet de critiques politiques, mais de là à imaginer que je doive passer devant une justice de type Nuremberg ou que la gestion de l'ordre public soit similaire à la Shoah… Cette perte totale de nos repères est même soutenue par des personnalités, dont on pourrait attendre qu'elles fassent preuve d'un peu plus de recul…

Cette perte de repères peut frapper partout, y compris dans la police. Il est donc essentiel de sensibiliser et de former nos forces de police et de gendarmerie au racisme et à l'antisémitisme. La formation existe ; elle doit être renforcée. Ainsi, de bonnes pratiques se développent : tout fonctionnaire de la préfecture de police de Paris visite le Mémorial de la Shoah ; dans les Bouches-du-Rhône, les fonctionnaires visitent le camp des Milles. Ce sont vraiment des moments nécessaires.

Un rapport annuel de l'exécutif au Parlement, comme vous l'avez observé en Allemagne, pourrait faire partie de vos préconisations. Le Gouvernement y serait-il hostile ? Non, le sujet est suffisamment sensible pour le justifier. Évidemment, cela nécessiterait une approche globale : je ne sais donc pas si vous pourrez le proposer dans vos conclusions sans sortir de l'objet de la commission.

À quel niveau de renseignement doit-on descendre ? Nos services de renseignement essaient de suivre l'ensemble du spectre : le haut de ce spectre – la manifestation publique organisée par l'association identifiée, connue –, mais aussi les comportements qui peuvent apparaître comme dangereux en soi, jusqu'au terrorisme de certains individus membres de ces groupes. Les analyses et le suivi sont donc effectués à ces différents niveaux. Cela suffit-il ? Je n'aurais pas la prétention de vous dire que oui… Cela dépend du nombre de personnes mobilisées. Mais je vous donne néanmoins une indication : suivre quelqu'un vingt-quatre heures sur vingt-quatre comme dans les films, c'est bien, mais cela mobilise vingt-quatre personnes ! En conséquence, nous faisons en fonction des moyens dont disposent nos services.

S'agissant de la présentation de ce travail devant l'Assemblée, si ces renseignements sont indispensables à nos services, je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire de descendre au niveau du renseignement individuel devant le Parlement. Cela gênerait même probablement l'ensemble du dispositif. Mais ce n'est pas ce qui se fait en Allemagne.

Je reviens sur la formation des fonctionnaires qui est indispensable, je le répète, et aujourd'hui il y a un besoin de faire en sorte qu'ils soient plus attentifs encore sur ces sujets-là. Il s'agit de l'une de mes deux priorités en tant que ministre, à côté de l'égalité femmes-hommes, sur laquelle la sensibilisation et la formation sont aussi absolument indispensables. Sur ces deux thématiques, la parole doit se libérer. Or il est difficile d'aller voir un policier ou un gendarme, dans un commissariat ou une caserne, pour dire certaines choses : une petite fille victime d'un acte antisémite a du mal à évoquer ce qu'elle a subi – tout comme l'épouse d'un mari violent. Si nous n'adaptons pas notre capacité d'accueil, notre parole, notre discours, notre compréhension, nous empêchons l'action nécessaire sur ces sujets.

Trop souvent dans notre pays, on se contente de droits formels et on néglige les droits réels. La qualité de l'accompagnement doit permettre de ne pas négliger les droits réels au profit des droits formels, que nous pouvons voter ou avons pu voter dans les salles de cette Assemblée.

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Je reviens sur les droits des victimes : on nous a alertés sur le fait que beaucoup de personnes qui viennent porter plainte pour des actes d'agression à caractère raciste, antisémite ou même homophobe sont souvent dissuadées d'aller jusqu'au bout de leur plainte, voire se voient refuser un dépôt de plainte.

Vous parliez de la nécessaire formation des forces de l'ordre. Je ne veux pas les stigmatiser mais, les idées de l'ultra-droite se diffusant dans toute la société et se banalisant, nous devons être vigilants et repenser les formations de l'Éducation nationale comme celles des forces de l'ordre.

Avez-vous connaissance de tels refus de dépôt de plainte ? Cela remonte-t-il jusqu'à vous ? Qu'envisagez-vous de mettre en place pour faire prendre conscience que, si on a le droit de penser ce que l'on veut, l'expression de certaines idées n'est pas une opinion mais un délit ?

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Honnêtement, le sujet n'est pas remonté jusqu'à moi. Il m'arrive parfois d'être alerté sur tel ou tel cas individuel par le biais de Twitter. Cela veut-il dire que le sujet n'existe pas ? Non. Vous trompez-vous dans votre analyse ? Non. Pourquoi ? Pour deux raisons : d'abord, parce qu'une réaction individuelle peut être mauvaise – cela existe. La police, la gendarmerie et le ministère de l'intérieur sont un corps constitué de femmes et d'hommes, avec leurs forces et leurs faiblesses.

Mais ce que vous décrivez arrive aussi parce que les procédures sont tellement compliquées que l'on n'ose pas forcément les utiliser. Ainsi, en cas d'insulte, il faut être en mesure de prouver les faits. Le policier peut donc par réflexe répondre qu'un unique témoignage face à un autre ne donnera rien, sauf des heures de procédures. Il peut donc dissuader la personne venue déposer plainte en expliquant les choses, comme je viens de le faire – ce qui n'est déjà pas normal. Mais il peut aussi intérioriser ces réserves et suggérer une main courante, ou dire qu'il a bien noté les faits. C'est une anomalie ; je pense que nous devons faire en sorte que toutes les infractions de ce type soient enregistrées et qu'il y ait une enquête – même si elle est difficile à réaliser. Nous pouvons tout à fait envisager, selon les conclusions que vous formulerez sur ce sujet, que je demande aux directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales de les traduire sous forme de circulaire d'information et de sensibilisation à nos forces.

Ce n'est pas un problème massif, mais c'est un problème symbolique grave. Or le symbole est essentiel dans l'action publique.

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Monsieur le ministre, il ressort des éléments de l'enquête sur la tuerie de Christchurch en Nouvelle-Zélande en mars que le terroriste – nous le savons – était un suprémaciste blanc, obsédé par la théorie du « grand remplacement » en vogue dans certains milieux français d'ultra-droite. Il est avéré que le tueur a séjourné dans l'Est de la France au premier semestre 2017. À l'époque, était-il identifié par vos services ? Qui y a-t-il rencontré ? Était-il en lien avec des réseaux français de la mouvance d'extrême droite ?

Nous le savons également, la plupart des crimes de haine des dernières années en France ont été le fait de militants islamiques : Toulouse, Hyper Casher, Bataclan, Saint-Étienne-du-Rouvray, etc. Les attentats antisémites ont souvent lieu sur fond de haine d'Israël et d'antisionisme – c'est également factuel – à la différence des États-Unis – à Pittsburgh ou à Miami. Vous avez déjà partiellement répondu à ma question, mais comment évaluez-vous le risque de passage à l'acte de ces groupuscules d'extrême droite ?

J'ai passé quatre jours en Ukraine à l'occasion d'une conférence interparlementaire sur la lutte contre l'antisémitisme et l'antisionisme. Les premiers pogroms antisémites perpétrés par les cosaques ont eu lieu en Ukraine, et le sionisme nouveau y est né après ces pogroms. Hier j'ai rencontré très longuement le Premier ministre ukrainien et une quarantaine de parlementaires. Vous avez mentionné ce pays à deux ou trois reprises tout à l'heure, mais j'ai la conviction qu'il pourrait parfaitement collaborer avec nous. Si certains réseaux s'y réfugient, nous pouvons trouver en Ukraine, au plus haut niveau, des responsables à l'écoute et soucieux de lutter contre l'antisémitisme et contre le racisme de façon plus générale.

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Selon les éléments que nous avons pu reconstituer après l'attentat de Christchurch, son auteur a beaucoup voyagé, notamment en Europe, et a passé un mois en France. À ma connaissance, il n'était ni connu, ni identifié, ni enregistré comme présentant un risque. Il a donc cheminé comme un touriste et a été accueilli par des gens. Une enquête est en cours ; je ne peux donc pas vous en dire plus.

Lors de son séjour en France, il n'a commis aucun acte en lien avec l'attentat. On voit qu'il est complexe d'appréhender ce qui est une faute en soutien. En effet, il a fait deux dons à des associations qui sont au cœur du travail de votre commission d'enquête. Cela les rend-il responsables ? Je pense que non. Mais cela souligne qu'il faut toujours se méfier de ceux qui vous font des dons quand ils ne sont pas identifiés.

Vous estimez que la frontière est ténue entre l'antisémitisme et l'antisionisme, et que cela peut aboutir à des actes terroristes. Nos services travaillent beaucoup sur ce sujet car cela peut effectivement générer du passage à l'acte. Pour autant, c'est très délicat à gérer. Ainsi, sommes-nous souvent interpellés – et nous en avons parlé ensemble – concernant l'action du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS). En l'état actuel de notre analyse juridique, nous ne disposons pas d'éléments suffisants pour interdire les manifestations que le BDS organise – souvent place de la République – à moins qu'elles ne donnent lieu à des troubles manifestes à l'ordre public. C'est notre seul point d'entrée – nous ne pouvons pas nous baser sur les opinions défendues par ce groupe.

J'insiste : le lien peut exister, il peut mener à des actes qui, eux-mêmes, peuvent aboutir au terrorisme. Vous liez les actes antisémites à l'origine des auteurs – à dominante musulmane, si je comprends vos propos. Je n'ai pas d'éléments statistiques et ne veux donc pas valider cette thèse. Certaines tensions géopolitiques aboutissent aussi à des actes antisionistes qui « se perdent » et deviennent des actes antisémites. Même si cette commission d'enquête n'est probablement pas le lieu du débat concernant la qualification du sionisme, j'estime qu'ils se perdent, car certains cerveaux ne sont plus capables de hiérarchiser : pour eux, tout se vaut – contester Israël ou le responsable du Gouvernement sur un sujet politique peut conduire à la banalisation de la croix gammée que l'on inscrit sur la plaque de la permanence d'une députée. C'est ce type de dérive qui pose problème.

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Notre commission d'enquête s'est rendue à Lille et nous avons, entre autres, auditionné des agents des services de police. J'ai été un peu troublé que l'agent que nous avions interrogé puisse faire preuve d'une certaine bienveillance à l'égard d'un indicateur proche d'organisations d'extrême droite, sous couvert de renseignements.

Monsieur le ministre, vous nous avez dit que les nouveaux agents étaient notamment acculturés à la problématique de la Shoah et qu'ils visitaient des sites pour en prendre conscience – si ce n'était pas déjà le cas. Est-ce valable pour les agents plus anciens, plus impliqués, plus aguerris ? Existe-t-il des systèmes de protection afin d'éviter les dérives comportementales et faire en sorte que l'autorité soit respectée. Il ne faudrait pas que s'installent des systèmes de pseudo-protection pour aider à résoudre d'autres affaires. Il convient de hiérarchiser les problématiques, et celle de la lutte contre ces individus passe – me semble-t-il – avant celle du renseignement. Je ne sais pas si mes collègues ont été aussi troublés que moi.

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

La question de la sensibilisation est essentielle et recouvre la question de la formation. Votre interrogation me permet de compléter ma réponse à M. Habib concernant son propos liminaire, que je trouve profondément injuste. C'est sous mon autorité que, pour la première fois, un film sur l'histoire de la police – y compris sa face sombre – est diffusé aux policiers et gardiens de la paix dans les écoles de formation. C'est la première fois qu'un film évoque les fautes que la police a pu commettre à certains moments – vous en avez rappelé quelques-unes. C'est pourquoi mon tweet faisait bien la différence entre « des » policiers et « les » policiers.

La sensibilisation se déroule lors de la formation initiale et pendant la formation continue. Est-elle suffisante ? Je n'en sais rien. Les dérives comportementales sont-elles possibles ? Oui. La ligne idéologique de la police tend-elle vers celle sur laquelle vous enquêtez ? Non, car la police est républicaine. Mais des comportements individuels peuvent poser problème ; la hiérarchie est responsable de les identifier. C'est notre responsabilité que de veiller à faire passer les bons messages au moment de la formation, tout en garantissant que la formation continue traite de ces sujets.

C'est difficile : quelqu'un qui a cinquante ans, qui pense que tout cela n'est pas très grave et qu'il y a quand même en France trop de…– on peut à peu près tout mettre derrière les points de suspension –, ne va pas changer d'opinion en trois heures de formation, soyons honnêtes. Mais la diversité des recrutements actuels dans la police paiera à moyen et long termes. C'est essentiel. Cela permettra de changer en profondeur la police et son image. Il faut faire une différence entre l'image nationale de la police – un récent sondage soulignait que 76 % des Français l'apprécient – et son image au niveau local – je ne suis pas sûr que l'on arrive au même taux partout en France…

L'évolution du recrutement doit contribuer à modifier cette perception, par la prise de conscience des réalités que vivent certains – ceux qui sont contrôlés quatorze fois le matin n'ont pas forcément une perception positive de la police. Nous avons changé les règles, et l'évolution du recrutement y contribue aussi.

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Lors de nos auditions, certains ont affirmé une perte d'information sur le suivi des groupuscules d'extrême droite, suite à la réorganisation des services de renseignement. J'aimerais connaître votre sentiment. Comment pourrait-on améliorer leur suivi ?

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

On a fait porter beaucoup de responsabilités à la suppression des renseignements généraux, beaucoup plus que la réalité ! Il est certain qu'il y a eu des évolutions : par le passé, on réalisait un suivi politique ; ce n'est plus le cas. En quelques années, le niveau d'information du premier flic de France a profondément évolué : le mythe d'un ministre de l'intérieur qui sait tout – grâce aux « notes blanches » – est dépassé. C'est plutôt sain, d'autant que leur contenu n'était pas forcément le plus intéressant.

Les services sont désormais restructurés. Certes, il y a un problème d'effectifs : le renseignement au sens large, comme les effectifs de la police et de gendarmerie, ont connu de nombreuses pertes pendant quelques années. Il faut les reconstituer, et c'est plus difficile dans certains services : nous recrutons des gardiens de la paix – des jeunes ont envie de rentrer dans la police et obtiennent le concours. Mais vous ne mettez pas forcément un jeune gardien de la paix à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) sur certains sujets. Il en faut mais il faut des gens formés. Dans cette direction générale, 1 900 emplois seront ouverts d'ici la fin du quinquennat, mais nous avons un peu de mal à recruter. Je ne dis pas cela du fait de la journée nationale d'action, mais nous recrutons davantage de contractuels que de fonctionnaires, compte tenu des profils.

N'exagérons donc pas la perte de renseignements : la restructuration a connu des loupés ; elle a peut-être été mise en œuvre brutalement, mais désormais, grâce à la DGSI, au service central du renseignement territorial (SCRT) et à la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP), nous avons un suivi attentif. Mais ce suivi peut être amélioré, notamment en renforçant les effectifs et les moyens – matériels et législatifs. Nous nous opposons souvent aux parlementaires, car le ministère de l'intérieur souhaiterait plus de liberté sur certains sujets. Des mesures ont été récemment annulées par le Conseil constitutionnel dans le projet de loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui donnaient des moyens judiciaires supplémentaires au procureur et rendaient certaines enquêtes plus efficaces. Le débat a été tranché par la décision du Conseil.

Le suivi est également effectué au niveau local en lien avec les préfets, auprès desquels sont placés les services du renseignement territorial, ou la préfecture de police et la DRPP pour Paris et les départements de la petite couronne. Avec les moyens dont nous disposons, c'est une priorité.

Pour prendre un exemple d'actualité, nous connaissons les réseaux sur lesquels vous enquêtez – et même ceux de l'ultragauche sur lesquels vous n'enquêtez pas. Au début du mouvement des Gilets jaunes, les services de renseignements ne disposaient d'aucune information sur ce dernier pour une raison simple : il s'agissait de réseaux non constitués. Il a donc fallu un temps pour identifier les leaders et, ainsi, anticiper par exemple la présence de mille manifestants à Toulon hier, parmi lesquels cent ou deux cents ultras. Il nous faut donc un temps d'adaptation. Mon expérience récente de ministre de l'intérieur me conduit à penser que nous disposons d'un assez bon niveau de renseignement mais qui gagnerait encore à être renforcé.

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On nous a indiqué que vous auriez des difficultés à exploiter les données – notamment le big data, gigantesque – du fait d'un manque de moyens humains ou de savoir-faire dans certains services. Est-ce le cas ?

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Vous avez raison, nous avons des problèmes pour certains profils, liés aux règles de recrutement des titulaires et des contractuels, et aux niveaux de rémunération. Dans le secteur du big data, l'instabilité professionnelle est chronique, y compris dans le privé : on reste six mois à un an dans un poste, puis on bouge. Ce n'est pas la culture que nous recherchons dans des services de renseignement. C'est donc une petite difficulté. Mais nous commençons malgré tout à intéresser des gens de qualité.

En outre, nous disposons d'outils juridiques et d'algorithmes. Quelques expérimentations – encadrées et autorisées – sont en cours. Nous aurons l'occasion d'en reparler d'ici 2020 à la faveur du bilan qui doit être réalisé de la loi sur le renseignement. Certains pays sont dotés d'algorithmes dont l'efficacité est bien plus redoutable que les nôtres : trois mots-clés dans un échange suffisent pour déclencher un hit, qui est ensuite analysé. Il faut donc à la fois l'information, mais aussi le croisement de différentes informations pour en tirer la bonne conclusion. Ainsi, vous avez le droit de dire dans une conversation que « Castaner est nul » – même si ce n'est pas bien de le faire. Cela peut faire un hit sur « Castaner » s'il s'agit d'un mot-clé, mais cela n'implique pas automatiquement une menace d'attentat terroriste contre le ministère de l'intérieur. L'exercice est donc très compliqué…

Je le répète, certains pays sont, sur ces sujets, beaucoup plus offensifs avec des moyens impressionnants. Il y a, à travers les réseaux sociaux, une ingérence de pays étrangers qui peut se développer et contre laquelle il faut s'armer. Nous nous armons. D'autres pays ont de véritables armées qui sont en charge de ces questions…

Je le répète également, les moyens, ce sont à la fois les moyens humains, pour répondre à une partie de votre question, et les moyens juridiques. Par nature, le ministère de l'intérieur rêve de plus de liberté pour utiliser tous les moyens ! Je vous renvoie aux discussions que nous avons eues à plusieurs reprises à l'Assemblée – notamment sur la reconnaissance faciale dans les vidéos. Je sais que nos positions sont parfois divergentes, et je connais aussi les risques, qui impliquent des garanties. La France a su développer des dispositifs de vidéosurveillance et de vidéoprotection en quelques années parce qu'elle a montré qu'elle avait su les accompagner des garanties nécessaires. Les images des caméras piétons qui équipent les forces de sécurité ne sont pas accessibles aux policiers, qui se contentent de les poser sur un boîtier. Je ne revendique d'ailleurs pas qu'ils aient accès aux images. Par contre, les policiers qui en sont équipés – j'en rencontre régulièrement – m'expliquent que leur relation à l'autre a totalement changé. Ce dispositif qui visait initialement à les responsabiliser, responsabilise aussi l'autre, l'interlocuteur. C'est peut-être de la crainte, mais cela a surtout banalisé la relation. Si les moyens sont importants, garantir la sécurité de leur utilisation l'est encore plus.

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Monsieur le ministre, je vous remercie pour ces réponses précises et détaillées. Vous n'avez cependant pas totalement répondu à l'une de mes questions concernant la bataille culturelle qui se joue sur les réseaux sociaux, mais surtout dans les médias. Je suis outré de constater que, régulièrement, des personnes condamnées pour « extrémisme » ou « paroles idéologiquement extrémistes » sont invitées, voire tiennent des chroniques, et distillent leur haine – la haine de l'autre ou d'une catégorie spécifique de la population française. Comment remporter cette bataille culturelle ? Vous avez raison, un groupuscule d'extrême droite va être dissous, mais un autre va renaître, et les personnes membre du premier groupe vont adhérer au second. En tout état de cause, leurs idées n'auront pas disparu. Comment mène-t-on et gagne-t-on la bataille des idées ? C'est plutôt au citoyen que je pose cette question.

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Je n'ai pas répondu car il est difficile de répondre. Il s'agit plus d'apprécier la façon dont les médias d'information diffusent l'information et l'information qu'ils diffusent. Quand nos services de renseignement nous alertent, une enquête est menée par la police judiciaire, puis une sanction est décidée et la personne est condamnée. La sanction peut être exécutée, ou pas. Selon la gravité de cette dernière, un mandat de dépôt est émis, ou pas. Ainsi, certains peuvent être condamnés à un an et continuer à s'exprimer.

C'est dans le dispositif de sanctions judiciaires que le juge décide d'une interdiction, ou pas. Si ce n'est pas le cas, les médias sont libres d'inviter une personne ayant fait l'objet d'une condamnation à s'exprimer et, au nom de la liberté d'expression, à tenir des propos qui peuvent être considérés comme devant être défendus, même si vous les estimez contestables – sur les mêmes propos, j'aurais le même sentiment. Mais je suis obligé de rester dans ce cadre : une personne condamnée peut garder une parole libre et être invitée sur les plateaux.

Y a-t-il une responsabilité médiatique face à ces phénomènes ? Sûrement, mais le problème est plus profond. Je vais prendre un exemple récent : un média invite une personne qui organise des manifestations rassemblant trente à quarante personnes dans un aéroport samedi dernier. Cette personne va passer en boucle sur les chaînes d'information et sera invitée quatre à cinq fois, alors que sa capacité de mobilisation, je le rappelle, est de trente à quarante personnes. On pourrait trouver cela grave. Chacun se fera son opinion – vous avez deviné la mienne au ton de ma voix. Mais, le pire est que cela n'a plus d'importance, car le médium classique – même la chaîne d'information, qui est une création récente – est dépassé en matière de diffusion des idées dont on parle. Aujourd'hui, les réseaux sociaux sont la principale source d'information de certaines personnes qui vivent en cercle clos et ne reçoivent que les informations liées à l'analyse de leur profil philosophique et culturel par les algorithmes.

Nous le faisons tous : si vous recherchez plusieurs fois « Meyer Habib », toutes les informations sur Meyer Habib vont ressortir sur votre tablette tous les matins. Vous vous direz alors : « qu'est-ce qu'on parle de moi ! » – cela fonctionne aussi avec moi. Nous avons tous notre propre biais d'information.

Il ne serait pas opportun, et il est inutile, de faire un procès aux médias classiques car la bataille culturelle se joue ailleurs, notamment sur les réseaux sociaux qui déforment l'information. En conséquence, il n'y a plus de parole légitime : le sachant qui donnait une photographie de la réalité d'un moment donné au journal de 20 heures est par nature contesté, notamment par le biais de thèses complotistes, qui se développent à tout va. Une fausse information diffusée sur les réseaux sociaux peut être vue 800 000 à un million de fois. De même, une information réelle, auparavant considérée comme sans importance, peut être vue un million et demi de fois, bien plus que n'importe quel journal classique !

La bataille culturelle doit donc être menée au niveau des consciences, dans le temps éducatif – déterminant – mais aussi le temps familial, l'éducation nationale ne pouvant en porter toute la responsabilité, et le temps social au sens large. Mais je sors un peu du sujet…

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Je suis d'accord avec vous, monsieur le ministre. Mais pour en revenir aux Gilets jaunes, samedi après samedi, ces cinquante-cinq minutes par heure qui leur sont consacrées – quand cinq minutes sont allouées au reste de l'actualité – témoignent d'un manque de responsabilité de toutes les chaînes d'information. Au début, chacun sait que certaines revendications étaient légitimes mais, depuis, ces gens ne vivent plus que pour la médiatisation, et les chaînes ont parfaitement joué le jeu. Il s'agit d'une faute grave !

Depuis des années, le deuxième dimanche de mai – le 12 mai cette année – ont lieu des manifestations de l'extrême droite radicale. À Paris en particulier, Troisième Voie, l'Action française, le Groupe union défense (GUD), beaucoup d'antisémites notoires, de négationnistes et de nazillons vont donc manifester. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait le leur interdire ? Certes, manifester est un droit mais on constate des dérapages manifestes. Je viens de rappeler à la garde des sceaux que Robert Faurisson – de mémoire maudite –, négationniste par excellence, n'a pas passé un seul jour de sa vie en prison. Il y a manifestement des choses à revoir en France !

Pour conclure, je reviendrai sur l'antisionisme : c'est le nouvel antisémitisme. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est votre prédécesseur, Manuel Valls, et le Président de la République, Emmanuel Macron. Il va de soi qu'on a le droit, que l'on peut, qu'il est légitime de critiquer tel ou tel gouvernement de l'État d'Israël – comme n'importe quel autre gouvernement – mais ce n'est pas ce dont il s'agit. Quand des enfants de deux, quatre et huit ans ont été tués avec leur père à Toulouse, l'assassin, dont je n'ai pas envie de rappeler le nom, a indiqué qu'il s'agissait d'une vengeance liée au conflit israélo-palestinien. Nous avons donc une lourde responsabilité, quelle que soit notre vision – et elle peut différer, c'est la base de nos démocraties – car cela peut mener à des drames. À l'Hyper Casher, le tueur a aussi rappelé le conflit. Je voulais le souligner.

Des débats importants vont d'ailleurs avoir lieu à l'Assemblée puisque Sylvain Maillard, notre collègue en charge du groupe d'études sur l'antisémitisme, souhaite soumettre une résolution rappelant le caractère européen de la définition de l'antisémitisme.

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Je n'ai peut-être pas été clair : je ne fais pas de lien automatique, mais j'ai aussi évoqué le fait que, trop souvent, une posture antisioniste aboutit à de l'antisémitisme qui, à son tour, peut se traduire par des actes d'une grande violence, pouvant aller jusqu'au risque terroriste. Je nie simplement le caractère automatique des choses.

Hélas, les rassemblements d'ultra-droite sont très – trop – courants. Quand nous sentons que nous devons les interdire, nous le faisons et les préfets sont en responsabilité sur ce sujet. Pour ne prendre qu'un exemple, le 1er mai, un rassemblement s'est tenu autour de Jean-Marie Le Pen, comme tous les ans. Le sujet est toujours complexe. Certains présents peuvent apparaître comme un peu bagarreurs et, de l'autre côté du pont, d'autres manifestants sont également présents. À chaque fois, la préfecture de police déploie des forces entre les deux camps pour empêcher les confrontations. Nous encadrons mais ne pouvons interdire ces expressions – quelles qu'elles soient – dès lors qu'elles entrent dans un cadre légal.

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Je voudrais revenir sur la difficulté que pose le statut d'association ou l'appartenance d'individus à un groupe. Lors de son audition, le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur nous a indiqué qu'il était difficile d'imputer à un groupement les agissements d'individus. Lorsqu'ils commettent des actions violentes ou des agressions à caractère raciste ou antisémite, ils indiquent toujours que le groupe n'est pas responsable et qu'ils ont agi seul. Le groupe le confirme, rappelant qu'il est non violent. M. Nuñez proposait de faire évoluer le droit, afin de faciliter l'imputabilité d'agissements de membres d'une association ou d'un groupement de fait à l'association ou au groupement, en vue d'une éventuelle dissolution. Qu'en pensez-vous ?

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Toute la difficulté tient à la démonstration du lien entre le comportement individuel du membre de l'association et l'association. Par exemple, si cet individu a un tee-shirt portant le logo de l'association, cela nous aide. Mais ce n'est pas toujours le cas… Je nous invite à la prudence si vous souhaitez considérer que, sans avoir besoin d'établir le lien, le fait de commettre un acte délictueux tout en étant membre d'une association peut provoquer la dissolution de cette dernière. Il faut faire attention à l'usage qu'on peut en faire ! Il est facile d'adhérer à La République en Marche – je ne parle pas de La France insoumise ! Il faut donc faire attention…

Ma deuxième remarque sera plus globale et elle a trait à la structuration associative, désormais également utilisée pour se donner une légitimité, avoir pignon sur rue, s'organiser. Il faut être attentif à cette évolution. Sachez que les préfets n'ont pas la capacité juridique d'interdire d'office le dépôt d'une association lorsque l'objet social paraît problématique. À l'inverse, s'il est contraire à l'ordre public, ils ont cette faculté. Mais du coup ce n'est jamais le cas et c'est ensuite le discours qui accompagne la déclaration de candidature qui pose problème.

L'établissement du lien entre le comportement de l'individu et l'association est une vraie difficulté mais c'est le fondement même du droit pénal : il faut toujours un geste et un lien de causalité entre l'auteur et le geste pour caractériser. En l'espèce, il faut démontrer le lien entre l'adhérent et l'association. Le ministère de l'intérieur est le plus offensif possible pour arriver à qualifier chaque fois que nécessaire et aboutir à une dissolution.

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Je vous remercie pour ces propos. Cela renvoie à la question du choix de la circonstance aggravante dans le dépôt de plainte. Parfois, les agents peuvent dire aux plaignants toute la difficulté qu'il y a à la prouver et leur suggérer de l'abandonner. La recherche de ce lien constitue-t-elle une préoccupation dans la conduite des enquêtes et au niveau administratif ?

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Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Oui, c'est évident sur les faits les plus graves, car notre prisme individuel fait que nous n'allons pas tous caractériser de la même façon.

La séance est levée à 14 heures 10.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. M'jid El Guerrab, M. Meyer Habib, M. Pascal Lavergne, M. Adrien Morenas, Mme Muriel Ressiguier, Mme Michèle Victory