Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mardi 18 février 2020 à 17h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • AFD
  • continuum
  • militaire
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  • sahel

La réunion

Source

— Examen, ouvert à la presse, du rapport d'information sur le continuum entre sécurité et développement (M. Jean-Michel Jacques et Mme Manuela Kéclard-Mondésir, rapporteurs).

La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.

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La mission d'information sur le continuum entre sécurité et développement a été créée en mars 2019, il y a donc un peu moins d'un an, ce qui est un peu plus long que la durée de six mois que le bureau de notre commission a souhaité consacrer à nos prochaines missions d'information. Vos conclusions arrivent néanmoins en temps particulièrement opportun, puisqu'elles entretiennent un lien très étroit avec la réflexion aujourd'hui engagée dans le cadre de notre cycle géostratégique sur l'évolution de la conflictualité. Le thème sur lequel vous avez travaillé si intensément prend actuellement une résonance très particulière en raison, d'une part, de la concrétisation des menaces liées aux risques de la faiblesse, sur lesquelles insistait le livre blanc de 2013 – faiblesse des États, comme en Somalie, en République centrafricaine, au Yémen ; faiblesse aussi du lien politique ou social, et nous attendons avec intérêt vos analyses sur les pays du Sahel, que vous avez tout particulièrement étudiés à l'occasion d'un déplacement dans cette zone – et en raison, d'autre part, de réflexions actuelles sur les modalités de nos interventions, au-delà de la réponse militaire, avec un recours de plus en plus important à l'ingénierie développée depuis l'après-Guerre froide en matière de médiation, de désarmement, de réinsertion des combattants ou encore dans les domaines de la réforme du secteur de la sécurité ou de la justice transitionnelle et de la recréation du lien social. C'est là tout l'enjeu de l'articulation des trois « D » (défense, développement, diplomatie), auxquels il convient sans doute d'ajouter le « G » de « gouvernance ».

Il est essentiel de prendre en compte, nous rappelait Manuel Lafont Rapnouil, le directeur du centre d'analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère des Affaires étrangères, que toute une série d'acteurs au sein des sociétés en guerre n'ont pas spontanément pour objectif de régler des conflits, et c'est à ceux-là aussi qu'il importe de s'adresser pour les convaincre des bienfaits des dividendes de la paix. Seule, l'action militaire apparaît de plus en plus impuissante. Non qu'elle soit inutile : dans l'urgence, il faut bien résoudre le chaos conflictuel d'une région ou d'un pays ; mais, pour apporter une solution durable aux crises, il doit être recherché d'autres réponses à l'insécurité humaine, et c'est précisément ce sur quoi vous avez réfléchi en vous appuyant sur des exemples précis, mais en faisant l'effort – et c'est tout l'intérêt de votre travail – de tirer des recommandations plus générales susceptibles de s'appliquer à une grande variété de situations.

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C'est un honneur que vous nous avez fait, il y a bientôt un an, en nous confiant cette mission. C'est avec beaucoup de plaisir que Mme Manuéla Kéclard-Mondésir et moi avons conduit ce travail. Ce continuum, que nous avons étudié pendant plusieurs mois, est un sujet si large, ses ramifications sont si complexes et les acteurs impliqués si divers que l'on pourrait se perdre dans son analyse. Nous nous sommes donc attachés à aborder le sujet dans toute son ampleur, tout en tenant un cap simple : comment améliorer l'articulation, d'une part, de l'action de la France en matière de sécurité, c'est-à-dire d'opérations militaires ou de coopérations sous l'uniforme, et, d'autre part, de notre politique d'aide au développement.

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Nous avons organisé notre programme d'audition de façon à partir de bases théoriques sur cette notion de continuum, en entendant des chercheurs. Puis, nous avons reçu tous les acteurs institutionnels concernés dans le spectre d'activité qui va de la sécurité au développement. Mais le développement ne se limite pas aux institutionnels ; deux catégories d'acteurs de la société civile y ont un rôle tout à fait central : les ONG et les investisseurs. Nous avons donc reçu les représentants de plusieurs ONG françaises. Pour ce qui concerne les investisseurs privés, nous avons entendu le MEDEF International, mais nous avons également tenu à prendre en compte l'avis d'acteurs n'appartenant pas aux réseaux d'affaires français traditionnels, en recevant à ce titre le dirigeant français d'une entreprise agricole active au Congo.

Enfin, nous sommes allés confronter ce qui ressortait de nos différentes auditions parisiennes à l'expérience de terrain, sur le théâtre de l'opération Barkhane, à N'Djamena, où est basé à l'état-major opératif de la force, puis à Bamako, où se joue une large part de l'articulation entre l'opération Barkhane et les autres acteurs du continuum, et enfin à Gao, auprès des forces françaises, maliennes et onusiennes, ainsi que des populations et des autorités civiles maliennes déconcentrées.

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Le directeur général de l'Agence française pour le développement (AFD) est venu devant nous, il y a un peu plus d'un an, nous expliquer comment l'AFD allait articuler davantage son action avec celle des armées et des Affaires étrangères. Nous nous sommes donc attachés à évaluer la mise en oeuvre de cet effort, présenté en détail dans la première partie de notre rapport, pour pouvoir formuler de grandes lignes de recommandations, car cet effort nous paraît mériter d'être étendu et intensifié. Tel est l'objet de la seconde partie de notre rapport.

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Soulignons encore une fois que nous n'avons pas conçu l'objet de notre rapport comme s'appliquant seulement au Sahel. Si cette région est aujourd'hui l'épicentre de nos efforts en matière militaire, ainsi qu'en matière d'aide au développement, nous nous sommes attachés à identifier des méthodes qui pourraient s'appliquer à d'autres théâtres de crise, sous réserve bien sûr d'adaptations au contexte local. En outre, si le Sahel est souvent présenté comme le flanc sud de la défense de la France métropolitaine, nos outre-mer s'inscrivent dans d'autres contextes géographiques qui ont eux aussi leurs facteurs de crise dans le champ du continuum entre sécurité et développement.

Cette idée du continuum mérite d'ailleurs que l'on s'y arrête. Les écarts de développement peuvent difficilement être vus comme un moteur de nos guerres classiques, clausewitziennes, dont les ressorts sont d'ordre bien plus politiques. C'est plutôt dans l'analyse de crises d'un autre type que s'impose l'idée d'un tel continuum. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si cette idée a fait l'objet de travaux de recherche et de doctrine de plus en plus nombreux depuis une vingtaine d'années environ, c'est-à-dire depuis que les Occidentaux interviennent surtout dans des conflits qui s'éloignent du type habituel de guerre que sont les affrontements ouverts entre États. Cette idée du continuum trouve toute sa pertinence dans l'analyse de ces crises nouvelles, de ces guerres asymétriques, que le livre blanc de 2013 regroupait sous l'appellation de « risques de la faiblesse » pour les distinguer des menaces de la force.

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Dans ces crises, en effet, l'irruption de la violence paraît moins guidée par des motifs politiques que par des déséquilibres profonds en matière de développement. Si l'on prend la notion de développement dans un sens plus large que seulement économique, schématiquement, hier, celui qui mourait de faim pouvait tout ignorer des richesses de l'autre, tandis qu'aujourd'hui, à l'heure de la communication, du numérique et des réseaux sociaux, les écarts de richesse entre les uns et les autres sont beaucoup plus visibles – d'où, d'ailleurs, une frustration susceptible de nourrir une violence qui n'est pas uniquement d'ordre politique et qui est donc bien plus difficile à régler avec les seuls moyens politiques et militaires.

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De telles frustrations peuvent en outre être attisées par différents acteurs, qu'il s'agisse de « seigneurs de guerre » ou, surtout, de djihadistes. Et si la frustration peut dégénérer en violence, c'est le plus souvent lorsque les États, les constructions nationales, voire les liens sociaux eux-mêmes, sont faibles. Par commodité, lorsqu'il faut aller vite, nous reprenons parfois l'expression américaine de failed state, État failli. Nous concevons qu'elle soit vexante et un peu rapide, mais elle n'en dit pas moins quelque chose de la faiblesse des institutions dans de nombreux pays. Comme le disait le Président Obama, « l'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, elle a besoin d'institutions fortes ».

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Cet aspect du développement, fait social et institutionnel autant qu'économique, est justement ce qui paraît pécher – entre autres – au Sahel. Les États concernés y sont non seulement parmi les plus pauvres du monde, mais leur incarnation par des administrations structurées et efficaces fait trop souvent défaut dans de nombreuses régions. L'armée, dans certains pays, est même le seul corps d'État encore déployé dans certaines zones éloignées de la capitale. Quand d'autres administrations ou d'autres forces publiques y sont présentes, leurs moyens sont souvent des plus réduits.

Par ailleurs, hélas, on y relève des comportements de captation de la part de certains agents publics, ce qui complique encore plus les choses. Dans ces conditions, le repli communautaire est un réflexe, le lien social dépérit, et faute de vouloir-vivre ensemble, des conflits émergent, ouvrant la voie à tous types de groupes armés terroristes.

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Le portrait type de notre ennemi au Sahel est d'ailleurs tout à fait cohérent avec cette analyse. Selon les éléments que nous a présentés la force Barkhane, nous pourrions le résumer ainsi : le terroriste de l'État islamique au grand Sahara (EIGS) est touareg dans un tiers des cas, et peul dans les deux tiers restants, deux groupes ethniques marginalisés au Mali. Il est jeune (une vingtaine d'années), illettré, et les motifs qui l'ont conduit à « prendre la “kalach” » sont le plus souvent d'ordre financier ou familial, dans le sens où l'enrôlé reçoit un pécule ou suit des parents. La recherche de protection contre des groupes ethniques rivaux constitue une autre motivation fréquente des terroristes. Dans ce cas, le ralliement à l'EIGS est à peu près aussi opportuniste que celui des Touaregs à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) en 2012. C'est ainsi que, suivant l'analyse qui sous-tend l'idée du continuum, les causes de nombre de conflits contemporains relevant des risques de la faiblesse sont à rechercher dans des déséquilibres du développement.

Cette idée n'est pas seulement un cadre d'analyse, mais aussi le constat sur la base duquel les Occidentaux ont refondu leurs stratégies de gestion de crise. C'est en cela que l'idée du continuum a un aspect opérationnel. L'idée qu'un État occidental ne saurait gérer ce type de crise sans un pilotage très étroitement coordonné de ses acteurs en matière militaire et en matière d'aide au développement a été mise en avant par les Anglo-saxons, au tournant des années 2000. Il s'agit de l'un des grands retours d'expérience de l'opération britannique de 2000 en Sierra Léone, et, à plus grande échelle, des opérations menées en Afghanistan et en Irak. À partir de cette période, la documentation stratégique met en avant la notion d'approche globale, dite aussi « intégrée » ou « multidimensionnelle ». Nous n'allons pas vous asséner ici une bibliographie complète, mais retenons que cette idée d'approche globale, qui associe opérations militaires et aide au développement, a pris une place grandissante dans les documents stratégiques de l'OTAN et de l'Union européenne, des Nations unies et des grands bailleurs comme la Banque mondiale. D'ailleurs, l'Union européenne en a même fait l'ADN de sa politique de sécurité et de défense commune (PSDC), et c'est bien ce qui a inspiré l'ONU quand celle-ci a choisi de privilégier les opérations de maintien de la paix dites multidimensionnelles.

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Pour les armées, l'approche globale s'est traduite par un puissant regain d'intérêt pour les actions civiles ou militaires, que l'on appelle désormais les CIMIC : civil-military cooperation. En Afghanistan, par exemple, la coalition a beaucoup investi dans ces actions. Dans son passé, la France avait développé une très grande expertise en la matière. L'histoire militaire retient comme fondatrice l'expérience du Maréchal Lyautey au Maroc, mais depuis la fin des guerres coloniales, les actions civilo-militaires avaient été un peu délaissées, sauf peut-être en ex-Yougoslavie où, comme l'indiquaient nos collègues dans un précédent rapport d'information de notre commission, cette activité avait repris. À l'occasion des guerres asymétriques des années 2000, la France a remis à jour sa doctrine en matière de CIMIC.

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Il ressort toutefois de nos travaux que cette approche est moins bien acceptée par les ONG que par les autres acteurs du continuum. De façon générale, la tendance est certes à la recherche d'une meilleure articulation entre les acteurs de l'aide humanitaire d'urgence et ceux de l'aide au développement, suivant le concept appelé « nexus urgence-développement », dont la logique est très comparable à celle du continuum. Mais dans la pratique, nous avons pu constater que nombre d'humanitaires sont très réticents à coopérer sur le terrain avec les armées. Bien entendu, il est légitime qu'ils défendent la spécificité de leur mode d'action, qui repose sur le principe de la neutralité dans les conflits, condition pour pouvoir accéder à toutes les populations qui ont besoin d'aide. Cependant, beaucoup d'ONG voient avec une certaine méfiance l'idée même de continuum, dans laquelle elles soupçonnent un moyen de mettre l'aide humanitaire et l'aide au développement au service de la politique étrangère d'un État, en particulier en appui de ses opérations militaires, et non au service de leurs fins propres. Quoi que l'on pense de cette position, il faut en tenir compte.

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Concrètement, en ce qui concerne la France, la logique du continuum a déjà inspiré un effort de décloisonnement entre les acteurs qui oeuvrent au Sahel. Les acteurs du continuum opéraient traditionnellement de façon assez cloisonnée. Il s'agit en premier lieu des armées, dont la mission première ne relève évidemment pas du développement, mais qui ne s'en désintéressent pas tout à fait non plus. En effet, les armées conduisent des actions de CIMIC qui ressemblent en quelque sorte à des petits programmes de développement. À titre d'exemple, lors de notre déplacement sur le terrain, nous sommes allés voir dans la région de Gao un marché couvert construit par les forces françaises pour relancer le commerce local, des maraîchages et un marché à bestiaux aménagés par la force Barkhane.

Cependant, les CIMIC n'ont pas pour objet de soutenir une stratégie de développement. Elles visent uniquement à ce que la présence de nos troupes soit mieux acceptée par les populations locales. De façon cohérente avec leurs objectifs, ces actions sont bien plus modestes et plus ponctuelles que les programmes de l'AFD. Il suffit pour s'en convaincre d'observer leur budget : environ 750 000 euros par an pour l'opération Barkhane, alors que l'AFD consacre 100 millions d'euros par an ne serait-ce qu'au Mali.

Les armées ont également une activité de coopération qui concourt au renforcement des forces locales, et ce n'est pas à négliger. La coopération militaire revêt d'ailleurs deux aspects : d'une part, la coopération opérationnelle, principalement conduite par nos forces pré-positionnées, et d'autre part la coopération dite structurelle, qui se traduit notamment par des formations dispensées en France et en Afrique et par l'entretien d'un réseau de coopérants. Pour la coopération opérationnelle, les armées dépendent du ministère des Armées ; pour la coopération structurelle, elles dépendent des Affaires étrangères, en particulier de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD).

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Outre l'activité de plaidoyer politique et de gestion de la coopération, le ministère des Affaires étrangères conduit lui-même aussi des projets qui, par leur teneur, pourraient ressembler à ceux de l'AFD. Il s'agit des projets dits de stabilisation, moins ponctuels et plus coûteux que les CIMIC, mais moins ambitieux et plus rapides que ceux de l'AFD. La France y consacre 80 millions d'euros par an. L'échéance de ces projets s'établit à 18 mois en moyenne. C'est le centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère qui les met en oeuvre.

Le ministère de l'Intérieur conduit lui aussi des programmes de coopération mis en oeuvre par sa direction de la coopération internationale (DCI). Il peut s'agir d'applications ponctuelles, de coopérations techniques (2 500 en moyenne par an), de coopérations opérationnelles ou de coopérations institutionnelles. Au sein des ambassades, c'est le réseau des attachés de sécurité intérieure qui est compétent en la matière.

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L'AFD est un acteur majeur. Elle a l'originalité d'être à la fois un établissement public placé sous la tutelle de l'État et une société de financement soumise à la réglementation bancaire. Par un choix politique délibéré, c'est entre les mains de l'AFD qu'a été concentrée la plus grande partie de l'effort de l'État en matière d'aide publique au développement. C'est en Afrique que se concentrent 50 % des engagements financiers du groupe AFD, et cette concentration devrait logiquement s'accentuer si les orientations stratégiques fixées en 2018 sont suivies.

Les différents acteurs du développement ont longtemps travaillé en silos, et c'est avec la stratégie pour le Sahel, adoptée en Conseil de défense en décembre 2017, qu'un mouvement de décloisonnement a été mis en oeuvre. L'enjeu est que les opérations de chaque acteur soient cohérentes avec celles des autres, c'est-à-dire qu'elles poursuivent le même but et soient aussi synchronisées que possible. Schématiquement, il faut que, sur le terrain, les actions de stabilisation et de développement prennent rapidement le relais des opérations militaires, voire qu'elles soient mises en oeuvre de façon concomitante à l'action militaire, tout hiatus étant de nature à être exploité par l'ennemi. Pour cela, il faut que les acteurs concernés partagent la même analyse de la situation et qu'ils planifient leurs opérations en tenant compte de celles des autres, ce qui suppose de nouer des liens de confiance et d'échanger des informations à tous niveaux, à Paris, mais aussi sur le terrain.

En résumé, les différents acteurs doivent avoir une stratégie partagée. Pour structurer cette démarche, une comitologie a été mise en place au niveau stratégique. L'ambassadeur coordinateur pour le Sahel, appelé « envoyé spécial pour le Sahel », y tient un rôle central. Il anime plusieurs task forces interministérielles. En outre, l'AFD et l'état-major des armées ont conclu un accord formalisant les échanges d'informations.

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Au niveau opératif, pour rester dans le vocabulaire militaire, un agent de l'AFD a été détaché au sein de l'état-major de la force Barkhane en qualité de conseiller pour le développement, et les ambassades tiennent des réunions mensuelles de coordination dites « trois D » ‒ pour « défense, diplomatie et développement ». En outre, un accord de terrain a été conclu entre l'état-major de la force Barkhane et la direction régionale de l'AFD. Selon nos interlocuteurs sur place, il a bien facilité la coopération. On signalera aussi qu'un personnel du CDCS vient d'être intégré à l'état-major de Gao. Lors de notre déplacement au Sahel, nous nous sommes attachés à observer dans le détail la mise en oeuvre de cette comitologie, et la façon dont le mandat de l'opération Barkhane prend en compte l'approche globale adoptée par la France dans la crise au Sahel.

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En effet, telles qu'elles sont formulées aujourd'hui, les lignes d'opérations assignées à la force Barkhane, c'est-à-dire toute la stratégie qui sous-tend l'opération, reflètent parfaitement l'approche globale dont nous parlions, donc la logique de continuum. Ces lignes d'opérations sont au nombre de trois. La première, ce sont les opérations antiterroristes, qui visent à neutraliser les éléments les plus durs de l'ennemi, afin que la neutralisation de celui-ci soit à la portée des forces locales. Nous enregistrons d'ailleurs, au titre de cette opération, de très nombreuses victoires, obtenues régulièrement et de façon discrète.

La deuxième ligne d'opération concerne l'animation des partenariats militaires avec les autre forces présentes au Sahel. Elle prend une part croissante dans l'activité de la force Barkhane au fur et à mesure de la montée en puissance des armées locales et de la force conjointe du G5 Sahel. Il s'agit pour la France de jouer un rôle d'intégrateur, voire d'assureur du dernier ressort pour les forces partenaires, y compris celles de l'ONU et de l'Union européenne.

La troisième ligne d'opération a trait à l'appui à la gouvernance et au développement. Elle a pour objectif de créer des conditions de sécurité nécessaires pour que les autres acteurs de la gestion de crise puissent mettre en oeuvre rapidement des projets de développement afin de proposer à la population un mode de vie viable.

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C'est dans le cadre de cette ligne d'opérations que joue pleinement la logique du continuum. Cette approche globale et cette comitologie, dont nous parlions il y a quelques instants, ont été mises en oeuvre pour la première fois dans la région de Ménaka il y a plus d'un an et dans celle de Gossi l'an dernier. À N'Djamena, à Bamako et à Gao, nous nous sommes fait expliquer très en détail la façon dont les militaires, les diplomates et les agents de l'AFD se sont organisés pour travailler de façon cohérente et ordonnée. Grâce à une planification partagée des opérations, l'AFD a réussi à mettre en oeuvre des projets ambitieux en à peine douze mois, ce qui constitue d'ailleurs une petite révolution.

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Il y a un an, lors d'une mission parlementaire à laquelle j'ai participé avec un certain nombre d'entre vous, nous avions été informés ces projets de nouvelle organisation de l'« équipe France ». Avec ma collègue, nous avons pu constater cette année une réelle avancée dans le décloisonnement des acteurs de cette équipe. Vous l'aurez compris, la voie suivie nous paraît bonne, et nous croyons qu'il faut poursuivre dans cette direction pour « transformer l'essai », c'est-à-dire pour faire de ces succès tactiques une réussite stratégique.

Dans cette optique, nous formulons quelques axes de recommandations qui nous paraissent réalistes. En premier lieu, il nous semble qu'il reste dans la chaîne du continuum entre sécurité et développement deux maillons pour l'heure moins robustes : d'une part, le soutien au développement économique privé, et d'autre part, la sécurité intérieure. Or, pour que notre stratégie fonctionne, nous avons la conviction que l'effort doit être conduit sur toute la ligne, dans tout l'éventail des champs d'action du continuum.

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Nous plaidons en faveur d'un investissement accru dans la coopération de sécurité intérieure, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les problèmes de sécurité dans une zone comme le centre du Mali ne sont pas seulement ‒ voire pas principalement ‒ d'ordre terroriste. Il s'agit beaucoup de brigandages et d'affrontements interethniques, donc de questions de police et de gendarmerie.

Ensuite, si le but est le retour de l'État dans les régions qu'il a délaissées, une présence durable de l'État ne peut pas reposer seulement sur les armées. C'est là encore la mission de forces de police et de gendarmerie implantées au sein des populations.

Enfin, dès lors qu'il s'agit de judiciariser les délits et les crimes, il faut mettre en place une chaîne pénale – je dirais même un continuum pénal, dans lequel les armées ne sont pas les mieux placées pour les actes de police judiciaire. Or, aujourd'hui, la réponse à l'insécurité est presque exclusivement militaire. Ce sont leurs armées que les États déploient dans les régions en crise, et c'est un appui essentiellement militaire que fournissent la France et ses partenaires internationaux.

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Le second maillon de la chaîne qui mériterait selon nous un effort particulier a trait à l'investissement économique privé. En effet, pour faire simple, on pourrait dire qu'une bonne partie de la guerre est gagnée quand l'entreprise s'installe. Pour nous, l'investissement privé peut et doit concourir à la stabilisation d'une zone de crise, en complément de l'aide au développement, voire en offrant des effets de levier utiles pour des investissements publics. Or, aujourd'hui, les entreprises françaises ont tendance à se désengager des zones prioritaires pour l'aide au développement, et particulièrement en Afrique. Cette tendance s'explique par un climat des affaires qui est très dégradé dans certains pays, ainsi que par le jeu des règles prudentielles qui encadrent l'action des institutions financières.

Ne couvrons pas d'un voile pudique une réalité que tout le monde connaît : dans de nombreux pays, la corruption est un fléau qui rend nos entreprises réticentes à investir, car elles ne veulent pas s'exposer à des risques juridiques. Nous observons aussi que le canal de l'investissement privé est très peu utilisé par les acteurs de l'aide au développement, alors même que c'est la volonté affichée des autorités françaises et que l'AFD possède une filiale spécialisée dans ce type d'investissement : la société de promotion et de participation pour la coopération économique (PROPARCO). Mais comme cela a été révélé par la Cour des comptes, la PROPARCO reste trop à l'écart des acteurs du continuum entre sécurité et développement. Pour nous, sa gestion pourrait être plus dynamique et sa tutelle devrait mieux s'assurer que sa stratégie s'intègre bien dans notre politique étrangère, et particulièrement dans les zones de crise.

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Dans cette affaire, il ne s'agit pas seulement de faire travailler ensemble des acteurs français du continuum. Il s'agit aussi d'éviter les doublons ou les hiatus entre les programmes français et ceux que conduisent les autres acteurs internationaux. Si vous me passez la comparaison, on pourrait dire qu'il y a beaucoup de soignants autour du malade, mais que pour traiter celui-ci, encore faut-il que l'équipe soignante parte du même diagnostic et suive le même protocole.

Cela vaut en premier lieu pour les bailleurs de fonds. Tel est l'objet de « l'Alliance pour le Sahel » lancée à l'initiative conjointe des Français et des Allemands. Il s'agit d'un mécanisme de coopération des bailleurs de fonds, qui rassemble douze grands bailleurs, et apporte son label à plusieurs centaines de projets et se concentre sur six champs d'investissements prioritaires, dont le choix est clairement inspiré par la logique du continuum, puisqu'il va de l'agriculture à la sécurité intérieure. Tout l'enjeu, en la matière, tient à éviter que la dynamique de coordination ne s'étiole, qu'avec le temps, la routine administrative ne conduise les acteurs à agir de nouveau en silo. Il y a là pour la diplomatie française un effort de plaidoyer politique à mener.

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C'est là un enjeu de coordination entre bailleurs ; le même enjeu est à l'oeuvre aussi entre les forces militaires elles-mêmes. Au Mali, l'opération Barkhane n'est pas seule : outre les armées nationales, il y a aussi la force conjointe du G5 Sahel, les 12 000 casques bleus de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et quelques centaines d'Européens de la mission de formation EUTM Mali. Chaque force a son propre mandat et sa propre posture, et nous avons pu constater lors de notre déplacement qu'il y a même parfois des interprétations différentes du mandat et des postures d'après les nationalités en présence.

Tout l'enjeu consiste donc à ce que les forces internationales, si j'ose dire, marchent dans le même sens. Bien entendu, on ne fera pas d'EUTM Mali autre chose qu'une mission de formation, et on ne fera jamais des casques bleus une force antiterroriste : à chacun son coeur de mission. Néanmoins, les efforts internationaux gagneraient à ce que l'EUTM Mali s'adapte davantage aux besoins d'accompagnement sur le terrain des militaires maliens qu'elle entraîne, et à ce que la MINUSMA adopte une posture plus dynamique. Ce sont là les grands enjeux du renouvellement de leurs mandats respectifs. Pour la MINUSMA, la prochaine échéance est le mois de juin, et les discussions à New York ne s'annoncent pas simples. Là encore, la diplomatie française a un rôle de plaidoyer qui est crucial.

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Une coordination plus étroite est certainement un gage d'efficacité de nos investissements dans le continuum entre sécurité et développement, mais avant tout, il faut investir. Nous avons la conviction en particulier que le contexte actuel est propice à une concentration de nos efforts dans le domaine de la sécurité intérieure et de la justice. Lorsque l'on parle d'aide au développement, au sens large, on a souvent tendance à user et abuser de la référence au « Plan Marshall ». Je dis « abuser » parce qu'il y a déjà eu un certain nombre de « Plans Marshall » pour l'Afrique. Cette référence est un peu grandiloquente, mais elle traduit assez bien l'idée que nous voulons exprimer.

Nous sommes en effet convaincus que le succès de notre stratégie au Sahel gagnerait à une phase de concentration des efforts pendant une période de quelques années, par exemple trois ou cinq ans, sur l'investissement en matière de sécurité intérieure et de justice. Pourquoi ? Tout simplement parce que c'est là une condition de réussite de nos investissements dans d'autres domaines. Nous ne disons pas qu'il faut attendre le retour à un parfait état de paix pour commencer à financer par exemple l'agropastoralisme, mais force est de considérer que sans un minimum d'ordre public et d'état de droit, tout projet de développement est coûteux, sa mise en oeuvre compliquée et son résultat aléatoire. Il faut pouvoir soutenir, immédiatement en aval des opérations militaires dans une zone, le déploiement de forces de sécurité intérieure et d'un appareil judiciaire, pour éviter qu'une fois les militaires partis, l'ennemi ne reprenne le contrôle du terrain. Pour cela, nous pensons que les crédits de l'aide publique au développement ont tout leur sens. Après tout, la grande feuille de route internationale en la matière, c'est l'Agenda 2030 ; or, parmi les objectifs de développement durable qui le composent, l'objectif numéro 16 a trait à la paix et à la sécurité. En ce sens, les réticences traditionnelles de certains acteurs de développement à investir dans l'appareil de sécurité nous paraissent aujourd'hui assez anachroniques.

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Alors, nous dira-t-on, l'AFD est tenue par des règles de procédure découlant de son statut d'établissement financier et ne peut pas toujours décaisser ses fonds dans des délais compatibles avec le rythme des opérations militaires. C'est en partie vrai, sous deux réserves cependant. D'une part, la comitologie que nous avons décrite doit justement permettre à l'AFD d'anticiper ses opérations pour faire en sorte que ses projets soient déjà assez mûrs quand les militaires finissent une opération. D'autre part, l'Agence a créé des instruments financiers à décaissement rapide : c'est le fonds « paix et résilience », communément appelé Minka. Ainsi, contrairement à ce que l'on peut parfois entendre sur le terrain, il n'est pas toujours impossible de faire appel aux crédits de l'AFD pour financer des opérations nécessaires à la stabilisation d'une zone très rapidement après les opérations militaires. S'il s'avérait que ces mécanismes financiers n'étaient utilisés autant qu'il est possible, cela ne ferait que mettre en lumière la nécessité impérieuse que l'ensemble des membres de l'« équipe France" » se connaissent mieux encore.

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Ce n'est cependant pas toujours évident. C'est la raison pour laquelle l'État a chargé le CDCS des Affaires étrangères d'une mission d'appui à la stabilisation. À nos yeux, cette phase de stabilisation est cruciale, en aval des opérations militaires et en amont des grands projets pluriannuels de développement. C'est dans cet interstice que se joue pour beaucoup la réussite de la stratégie du continuum, et dans cette phase de stabilisation, le retour d'un appareil de sécurité intérieure et de justice est déterminant.

Il faut bien avoir à l'esprit une nuance importante : les crédits de stabilisation du CDCS, comme ceux de la DCSD par exemple, sont directement ceux de l'État. Ils sont donc décaissés très rapidement, bien plus rapidement que ceux de l'AFD, qui est certes placée sous la tutelle de l'État d'après les textes, mais chez laquelle nombre d'observateurs, à commencer par la Cour des comptes, relèvent des marques d'émancipation. Il ne nous appartient pas d'entrer dans ce débat ‒ qui sera plutôt celui du projet de loi à venir sur l'aide au développement ‒, mais par souci d'efficacité, nous considérons qu'il faut non seulement inciter l'AFD à investir dans des champs prioritaires pour l'action de la France, y compris quand il s'agit de sécurité intérieure et de justice, mais qu'il faut aussi que l'État conserve une capacité de décaissement en urgence, libre des contraintes qui pèsent sur les établissements financiers. Le CDCS a un budget annuel de 80 millions d'euros environ pour ces programmes de stabilisation ; en Allemagne, ce sont 700 millions d'euros. Une juste mesure est certainement à trouver entre les deux. L'important, en tout cas, est que l'État dispose d'instruments financiers à sa main, au service de sa politique intérieure interministérielle en zone de crise.

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Comme nous vous le disions, nous avons cherché à ne pas restreindre nos travaux à la situation présente du Sahel. Nous nous sommes efforcés d'élargir la focale et de voir un peu plus loin que l'urgence des engagements actuels. C'est dans cette optique que nous soulignons l'intérêt d'une politique de prévention des crises, politique dans laquelle l'approche interministérielle et la logique du continuum semblent particulièrement pertinentes. L'idée générale est que les méthodes retenues pour la gestion de la crise au Sahel peuvent aussi être utiles dans une approche préventive, sur la base d'un diagnostic des situations de fragilité, et que l'on y gagne à tous points de vue. Du point de vue de l'aide au développement, selon les calculs de la Banque mondiale, la prévention des crises coûte sept fois moins cher que leur traitement. Du point de vue des armées, il s'agit en quelque sorte de retrouver une certaine liberté d'action, en évitant que nos engagements extérieurs soient contraints par l'urgence des crises successives qui marquent notre monde contemporain.

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Nous soulignons d'ailleurs tout l'intérêt qu'ont nos outre-mer dans une stratégie de prévention de crise. À nos yeux, cet intérêt est même double. En premier lieu, nos outre-mer forment un réseau mondial de territoires dans lesquels l'État et les collectivités territoriales entretiennent des capacités de haut niveau, qui manquent parfois dans leur environnement régional. Nous pensons par exemple aux forces de souveraineté, qui assurent des missions de coopération. Cela vaut aussi pour nombre d'autres services publics dans tous les domaines, comme la santé, l'éducation, la sécurité civile, les services d'incendie et de secours, et bien d'autres. Dans tous ces domaines, les outre-mer concentrent des moyens très utiles à la prévention, voire à la gestion des crises survenant dans leur voisinage. Peut-être ne sont-ils pas utilisés aujourd'hui autant qu'ils pourraient. Je prends l'exemple d'un séisme en Haïti : pourquoi dépêcher des pompiers de Paris plutôt que des pompiers des Antilles ?

En second lieu, nous soulignons aussi que nos outre-mer ont des capacités et des savoir-faire spécifiques, développés en raison de leurs particularités géographiques et climatiques, qui sont à certains égards très différentes de celles de la métropole, mais parfois très comparables à la situation de nos partenaires en situation de fragilité. Notamment, les contraintes climatiques de nos outre-mer sont assez comparables, par exemple, à celles de nombreux pays d'Afrique.

Je prends l'exemple de l'agriculture : pour soutenir le développement de la production de bananes en Afrique, nous pouvons faire front sur des opérations françaises issues des outre-mer. Nous pensons aussi, bien entendu, au modèle du service militaire adapté (SMA) qui nous semble mériter d'être promu et dupliqué. L'AFD a contribué à financer l'origine du SMA de Mayotte ; elle pourrait tout aussi bien de le faire dans des États partenaires.

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Enfin, et c'est la dernière ligne de recommandations qui ressort de nos travaux, compte tenu des graves enjeux actuels, il y a un véritable changement de posture politique à opérer dans nos partenariats. Nous disons bien « politique », car dans le fond c'est là que se trouve le coeur du problème. La France et ses alliés pourront faire tous les efforts du monde dans tous les champs du continuum, cela restera largement vain tant qu'il n'y aura pas davantage de répondant de la part des États auxquels nous apportons notre soutien. Entendons-nous bien, nous ne sommes pas ici pour distribuer l'éloge ou le blâme, et nous ne pointons du doigt personne en particulier.

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Les choses vont même plus loin si l'on considère qu'à maints égards, les situations de fragilité ou de crise tiennent aussi à des questions de volonté politique, particulièrement pour le bon fonctionnement des structures des États. Qu'il faille un certain niveau de sécurité pour déployer des services publics civils dans les régions éloignées, on peut le concevoir, mais qu'au sein des forces armées, les effectifs réellement engagés aient un rapport parfois lointain avec les effectifs théoriques, ou que le matériel et les financements fournis par des partenaires occidentaux aient une tendance prononcée à l'évaporation, on peut plus difficilement le comprendre. Quand certaines formes de corruption en viennent à tenir lieu de système de gestion des ressources humaines et des matériels des forces et des administrations, nous n'en sommes plus à des délits individuels : nous sommes face à un système. Or, mettre de l'ordre dans l'État est précisément une affaire de volonté politique. Nos mots peuvent paraître abrupts, mais à nos yeux, il n'y a d'authentiques partenariats que de bonne foi.

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Nous en sommes en effet convaincus : agir en authentiques partenaires, c'est un véritable changement de posture politique, et cela vaut dans les deux sens. Après l'ère de la coopération et après celle de l'aide au développement encore conçue sur le mode caritatif, il y a un changement d'approche à poursuivre dans nos propres pratiques. À cet égard, la base de nos travaux, c'est le respect envers nos partenaires.

Du côté de nos partenaires, on observe trop souvent qu'une part de l'opinion publique, voire parfois de la classe politique, n'offre pas une grande résistance à la tentation de prendre la France comme bouc émissaire. Nous ne reviendrons pas sur les épisodes de French bashing récents, si ce n'est pour dire que de tels mouvements d'opinion doivent appeler de la part de partenaires authentiques une réprobation nette et rapide.

Nos partenaires sont souverains et indépendants. C'est donc dans un partenariat authentique et respectueux de chacun, en toute responsabilité, que des mécanismes de redevabilité voire de conditionnalité de l'aide peuvent utilement être mis en oeuvre. Après tout, il ne s'agit là que d'une démarche quasi contractuelle. De façon coordonnée avec d'autres grands partenaires internationaux, la France pourrait donc tout à fait conditionner ses aides, et, plus largement, les diverses formes de son engagement, au respect d'engagements librement souscrits par ses partenaires.

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Voilà qui serait d'ailleurs dans l'intérêt même des peuples auprès desquels la France manifeste sa solidarité. Madame la Présidente, mesdames et messieurs, voici le résultat de nos travaux. Nous avons peut-être été un peu longs, mais nos travaux l'ont été, et le sujet est aussi vaste que passionnant. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.

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Merci, chers collègues. Nous sommes très fiers de vous. Ce rapport est un beau travail.

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J'étais la semaine dernière à Bamako, notamment avec une délégation du MEDEF. Une trentaine d'entreprises étaient présentes et ont étudié les possibilités d'investissement au Mali. L'un des points qui m'a beaucoup frappé est la reconnaissance des Maliens vis-à-vis des entreprises françaises. Les Maliens disent qu'au plus fort de la crise, il y a des entreprises qui sont restées, et que ce sont les entreprises françaises. Ce sont ces entreprises qui vont permettre, on l'espère, d'améliorer la situation sur place.

Dans votre intervention – d'ailleurs d'une grande qualité que je salue – vous avez mis en lumière les limites de l'action militaire en tant que telle. Au mieux, c'est un levier qui permet d'avoir d'en mettre en oeuvre d'autres en vue de la résolution d'une crise, en restaurant les conditions de sécurité nécessaires à l'engagement d'acteurs civils.

Vous avez souligné l'intérêt mais également les limites de l'aide au développement, puisque dans des zones sans État ‒ ou, à tout le moins, dans lesquels l'État est faible ou mal géré ‒, lorsque les fonctionnaires ont des comportements de prédation et les forces armées régulières des comportements violents, tout au plus la communauté internationale peut-elle faire de l'humanitaire, c'est-à-dire apporter aux populations une aide d'urgence ; difficile de mettre en oeuvre de véritables chantiers de développement. Et même lorsque nous le faisons, dans des États faibles ou en faillite, nous courrons le risque que notre action soit contre-productive. En Afghanistan, par exemple, les sommes massivement investies sur place ont plutôt eu tendance à faire croire à la population locale que la démocratie allait de pair avec la corruption. C'est pour cela que j'ai beaucoup apprécié votre conclusion, à savoir que nos victoires tactiques doivent permettre d'ouvrir des espaces politiques pour convaincre les dirigeants locaux de prendre les mesures nécessaires à l'assainissement de la gouvernance de leurs pays, à commencer par la lutte contre la corruption.

Des choses très simples peuvent être envisagées à ce titre. J'ai un chiffre en tête : dans certains pays, entre le coût de la solde d'un militaire décaissé par l'État et ce qu'il perçoit effectivement, l'évaporation atteint 30 à 40 %. Une solution toute simple pour enrayer ce phénomène pourrait consister à promouvoir la bancarisation des soldes des militaires, ce qui pourrait par ailleurs contribuer à leur motivation.

À la lumière de votre rapport, quelle est votre appréciation du sommet de Pau ? Plus globalement, je suis étonné que vous n'ayez pas parlé du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui est chargé du secrétariat des Conseils de défense et a une compétence interministérielle. Quel pourrait être le rôle du SGDSN dans l'élaboration et le suivi d'une doctrine pour l'action interministérielle de l'État dans les zones d'OPEX ? Enfin, pour coordonner les politiques civiles, notamment à l'échelle interministérielle, ne pensez-vous pas que nous devrions nommer un haut représentant civil ?

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Vous ayant entendu, je crois que le continuum entre sécurité et développement est effectivement un concept pertinent, tant le sous-développement, la pauvreté et le chômage sont évidemment des facteurs majeurs d'insécurité. Je note aussi que des progrès encourageants ont été constatés, notamment dans la coordination entre nos armées et l'Agence française de développement, ce qui méritait d'être salué. Mais comme vous, je crois que le sous-développement au sens strictement économique n'est pas le seul problème ni le seul facteur d'insécurité : la corruption, la mal-gouvernance, les conflits ethniques et religieux, et même le climat, la sécheresse, sont également des facteurs très importants d'insécurité.

Vous avez énuméré plusieurs conditions de réussite de notre stratégie. Tout tient avant tout à la durée et à la persévérance. En effet, le plus terrible, c'est ce que les militaires français et ceux qui les accompagnaient ont entendu sur tous les théâtres d'opérations récentes : « un jour, vous partirez ». Ce sentiment est très difficile à combattre.

La deuxième condition, vous l'avez indiqué aussi, c'est que les États concernés s'engagent dans un véritable partenariat. Vous avez dit que le conditionnement de nos aides pourrait être une façon d'aboutir. Incontestablement, s'il n'y a pas d'États solides ou qui se consolident, nous n'arriverons à rien.

Le troisième facteur de réussite, ce serait bien sûr que d'autres États extérieurs s'engagent à nos côtés. Pour cela, l'action de l'Europe sera déterminante.

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Lors de l'examen du projet de loi de finances, nous avons pu constater que les crédits de la mission « Aide publique au développement » n'étaient pas suffisamment élevés pour atteindre l'ambition fixée par le président de la République, à savoir : porter le montant de notre aide publique au développement à 0,55 % du revenu national brut d'ici 2022. Le gouvernement a pris du retard sur sa trajectoire et pour rattraper ce retard, il faudrait trouver cinq milliards d'euros supplémentaires pour les deux prochaines années. C'est un effort important et nécessaire, qui paraît cependant difficile à atteindre. Je voudrais avoir votre avis sur cet objectif.

Comment peut-on agir en matière de sécurité et de développement, alors que dans le même temps, nous l'avons vu et entendu, nous le savons, les populations locales montrent de l'hostilité à la présence militaire étrangère ? Lors de l'annonce par la France en janvier dernier de l'envoi de 220 militaires français supplémentaires, des manifestations ont eu lieu au Mali. En Irak, le Parlement a voté le 5 janvier dernier en faveur du départ des forces étrangères présentes sur le territoire. Selon vous, un travail de communication pour justifier la présence française devrait-il être entrepris auprès des populations locales, notamment au Sahel ?

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Il y a vingt ans, on ne faisait pas forcément le lien entre développement et sécurité. C'est une notion qui s'est imposée d'elle-même, à la faveur des opérations conduites en Afghanistan, en Irak et dans d'autres pays. Pourquoi, sauf erreur de ma part, votre rapport ne fait-il pas fait référence également au travail que fait l'Union européenne, au titre de l'aide au développement et de la politique de voisinage ? J'entends par là le voisinage oriental de l'Europe, mais également son voisinage méditerranéen, puisque, comme vous le savez, 13 milliards d'euros sont mobilisés pour nourrir notre partenariat avec des pays comme la Jordanie, la Tunisie et le Maroc. Vous avez peut-être pensé que ce n'était pas forcément utile, et pourtant, ces pays ont exactement les mêmes problématiques que celles que vous avez mentionnées. Les rapports de l'Union européenne sur ces partenariats parlent de coordination, d'action globale sur le développement économique et social, de cibles à atteindre, de justice et des moyens d'améliorer le fonctionnement de la justice de certains pays. je vois donc un lien entre votre objet d'investigation et l'action de l'Union puisque, comme vous l'avez rappelé à juste titre, nous ne pourrons être efficaces que s'il y a de la coordination entre tous les bailleurs. L'Union européenne travaille avec l'AFD ainsi qu'avec des ONG et leur action a une répercussion énorme sur notre sécurité ‒ je pense, par exemple, à un camp de réfugiés syriens que l'Union soutient en Jordanie.

Le continuum constitue un travail important pour stabiliser les États et mieux assurer notre sécurité collective. Pensez-vous que les outils d'évaluation soient suffisants ?

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Ce rapport tombe à point puisque les réflexions et recommandations sur le nexus sécurité-développement seront versées au débat que nous aurons dans les prochains mois sur l'évolution de notre politique d'aide au développement, à l'occasion de l'examen d'un projet de loi d'orientation et de programmation qui est aujourd'hui dans les mains du Conseil d'État. Ce texte devrait planifier une augmentation de l'effort de la France en matière d'aide publique au développement, conformément d'ailleurs aux engagements du président de la République. Il devrait en outre viser à renforcer les moyens de pilotage de notre politique d'aide publique au développement, en sorte de garantir une plus grande cohérence entre acteurs du développement.

Comme l'a rappelé ce matin même M. Jean-Baptiste Lemoyne, lors d'une session extraordinaire du Conseil national pour le développement de la solidarité internationale (CNDSI), la mise en cohérence des efforts français d'aide au développement, de manière en quelque sorte pyramidale, repose sur un certain nombre d'institutions. Outre le CNDSI, on compte parmi elles le Comité interministériel de la coopération internationale (CICID), présidé par le Premier ministre, et il ne faut pas oublier le rôle des collectivités territoriales. Les acteurs de l'aide au développement siègent dans ses instances, ce qui leur offre la possibilité de faire valoir leurs points de vue sur la politique d'aide au développement, dans un souci de mise en cohérence de l'ensemble des efforts français. Votre recommandation, qui porte sur le renforcement des moyens, signifie-t-elle finalement de dépasser cette approche purement institutionnelle ? Comment proposez-vous de renforcer cette mise en cohérence entre acteurs, en lien avec les outils qui existent déjà ?

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Dans votre présentation, vous n'avez que marginalement évoqué l'Europe, comme cela a déjà été remarqué par deux de nos collègues. Dans quelle mesure le continuum entre sécurité et développement est-il pris en compte par l'Union européenne dans sa politique d'aide au développement, que l'Union met en oeuvre en Afrique depuis les accords de Cotonou ? La Commission s'appuie sur la direction générale de la coopération internationale et du développement ; en avez-vous rencontré les responsables ? Comment perçoivent-ils l'idée de continuum ? Il s'agit évidemment un acteur essentiel.

Par ailleurs, vous avez souligné l'importance de la coopération en matière de la sécurité intérieure et de système pénal. Existe-t-il aujourd'hui au sein du ministère de la Justice une structure spécialisée dans la coopération et l'appui au développement des infrastructures de justice ? Ne serait-ce pas un axe sur lequel il faudrait avancer ?

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Vous avez souligné que la prospérité constituait un facteur de paix, parce que, finalement, des peuples qui vivent bien ont moins tendance à vouloir se battre et entrer en guerre, ce qui est vrai partout sur la planète. Certes, la prospérité ne suffit peut-être pas toujours à garantir la paix, mais elle y contribue beaucoup.

Le Sahel est l'une des régions du monde, sinon la région du monde où le taux de fécondité est le plus fort. La population progresse très vite, mais la richesse ne progresse pas. Il y a donc une dégradation de la richesse par habitant. Comment, dans le cadre de vos travaux, avez-vous abordé la question démographique ?

Je pense par ailleurs qu'il ne peut pas y avoir de développement économique sans un pouvoir fort. Dans toute l'histoire de l'humanité, il n'y a jamais eu de développement sans stabilité. Il y a deux formes de stabilité : premièrement, quand on arrive à instaurer la démocratie et la confiance entre le peuple et les gouvernants ; deuxièmement, et c'est le cas peut-être pour au moins l'un des États auxquels je pense, quand le pouvoir, même s'il n'a pas de caractère démocratique, arrive à imposer par sa force une forme de stabilité sur son territoire. Est-ce que vous pensez que la transition démocratique et la stabilité démocratique sont possibles dans les États dont nous parlons ?

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La santé est un sujet d'une importance capitale, et j'aimerais vous demander de développer un peu vos constats et vos conclusions sur l'aide médicale apportée au Sahel soit directement par les militaires français, soit par des ONG.

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Monsieur Gassilloud nous a fait partager les enseignements qu'il tire d'une mission d'investisseurs privés français au Mali. Nous sommes d'accord : il est en effet essentiel que le privé puisse s'engager. L'investissement privé est en effet un levier de développement qu'il est important de pouvoir actionner.

En ce qui concerne la corruption, vous avez évoqué la question de l'évaporation dans le versement des soldes des militaires et les perspectives qu'offrirait la bancarisation de la solde. C'est effectivement une suggestion qui a émergé des échanges et des discussions que nous avons conduits au Sahel ; nous imaginons de façon très naturelle que nous pourrions par exemple passer par Orange Money. Mais ce sont souvent les autorités maliennes elles-mêmes qui ne veulent pas en venir à cette solution. C'est là, dans le fond, une question de volonté politique. En effet, comme nous l'avons écrit dans notre rapport, l'un des freins à l'amélioration de la situation de certains États tient précisément à un manque de volonté politique. Beaucoup de difficultés en découlent, et pas seulement dans les armées, mais plus largement dans toutes les structures de l'État, y compris la police, la gendarmerie et la justice. Cet état de fait est d'autant plus regrettable qu'il favorise le statu quo et que le fait que les militaires ou leurs familles soient en manque d'argent favorise des situations que nous combattons.

Monsieur Gassilloud évoque l'intérêt d'une coordination des moyens civils du continuum et suggère que le SGDSN pourrait être utile en ce sens. Mais une telle coordination est précisément le rôle de l'envoyé spécial pour le Sahel, que notre rapport présente en détail.

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Une réponse a été apportée à ma question sur la bancarisation des soldes, mais si j'ai bien compris, l'envoyé spécial pour le Sahel n'a pas d'autorité sur les politiques publiques mises en oeuvre par les acteurs civils français sur place. Ce n'est pas, dans ce sens-là, un haut représentant que la France pourrait envoyer pour chapeauter et articuler l'ensemble de nos politiques publiques dans le champ civil. En revanche, le SGDSN peut être le bon acteur pour réfléchir au caractère interministériel de notre action.

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L'envoyé spécial pour le Sahel – l'« ambassadeur Sahel », en quelque sorte – a bien ces prérogatives, mais il est aidé aussi par les ambassadeurs de France dans les différents pays concernés. En réalité, c'est autour de l'envoyé spécial pour le Sahel qu'est assurée désormais la coordination de l'« équipe France ». C'est tout le sens de la stratégie pour le Sahel, adoptée en Conseil de défense et donc interministérielle, et dont la mise en oeuvre par les différents acteurs aux différents niveaux territoriaux d'action est coordonnée par l'envoyé spécial pour le Sahel et, sur le terrain, par nos ambassadeurs. La chose n'est pas tout à fait nouvelle ; lors de notre déplacement il y a un peu plus d'un an, cette dynamique de coordination commençait à poindre, et lors de notre déplacement de novembre dernier au Sahel, nous avons pu constater l'ampleur des progrès faits en ce sens. Là, on voit qu'il y a vraiment une évolution, que nous sommes sur la bonne voie, et qu'il faut continuer dans cette direction parce que les choses ne sont pas encore consolidées – ce qui est tout à fait normal, ce ne sont pas des reproches.

Je suis d'accord avec Monsieur de la Verpillière : la durée et la persévérance sont essentielles pour obtenir un succès stratégique. On ne le dit pas assez, mais on ne peut s'inscrire que dans le temps long, car nous nous retrouvons face à des États qui parfois sont structurellement mal organisés. Pour renforcer ces États, nous pouvons les faire bénéficier d'une expertise, tant en matière d'organisation qu'en matière de connaissances et de formation. Dans cet effort, la persévérance est nécessaire, ne serait-ce que parque que les États en question sont confrontés au double défi de renforcer leurs structures tout en faisant face, sur le terrain, à une insécurité se nourrit de profonds déséquilibres de développement. Il est donc certain que les choses ne se feront pas rapidement.

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Madame Michel, notre rapport a pour objet principal l'action de la France dans les zones de crise. Les relations générales entre l'AFD, les Affaires étrangères qui en exercent la tutelle conjointement avec les Finances, ainsi qu'avec les Armées, dépasse le cadre de notre rapport. Ces questions générales seront traitées lors de la discussion du projet de loi sur l'aide au développement prévu cette année.

De même, Monsieur Favennec Becot, j'entends bien votre interrogation quant à l'évolution de l'enveloppe totale de nos crédits d'aide publique au développement, mais cette question dépasse le cadre de notre rapport et relève plutôt de la discussion de ce projet de loi.

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Monsieur Favennec Becot, la question de la communication des armées françaises à destination des populations au sein desquelles elles opèrent est très importante, et nous l'avons d'ailleurs bien vu récemment à l'occasion de l'épisode de French bashing au Sahel. Il est important que notre aide soit bien comprise. En aucun cas l'aide militaire ou financière de la France ne représente pour ses bénéficiaires une perte de souveraineté, ou ne révèle une envie de notre part de maîtriser l'avenir d'un pays qui est souverain. Cette communication est d'autant plus importante que de nos jours, même dans un village en Afrique – pas partout, bien entendu – nous pouvons retrouver la 4G, des téléphones portables, les réseaux sociaux et un certain mode de communication avec toutes ses dérives, les informations virales et les fake news, etc. Nous devons être actifs en matière de communication pour bien faire comprendre quelle est notre intention. Cela rejoint aussi l'idée du sommet de Pau, pour répondre à l'une des questions de Monsieur Gassilloud : il importe que nos partenaires africains que l'on aide, à qui l'on apporte un appui, expliquent correctement notre démarche à leur opinion publique, de façon à ce qu'elle soit convenablement comprise par les populations. Une telle démarche est d'autant plus importante que ceux qui aident nos partenaires sur le terrain, des soldats aux opérateurs des ONG, ressentent comme une véritable injustice le fait d'être renvoyés à une image vraiment négative.

S'agissant de l'Union européenne, sur laquelle nous ont interrogés messieurs de la Verpillière, Thiériot et Pueyo, nous nous étions posé la question dès le début de nos travaux : doit-on élargir le spectre ? Nous avons choisi de concentrer l'essentiel de nos travaux à l'action de la France, ce qui représentait déjà une matière dense et un vaste périmètre. D'ailleurs, l'intérêt d'une articulation étroite entre les différentes formes d'action sur un théâtre de crise, suivant la logique de continuum, vaut autant pour la France que pour l'Union, et vaut en outre autant pour le Sahel que pour d'autres zones de crise.

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Nous avons étudié le rôle de l'Union européenne au prisme de l'articulation de l'action de l'Europe avec celle de la France, sur le plan militaire pour ce qui concerne les opérations et, surtout, au sein de l'alliance pour le Sahel s'agissant des bailleurs. L'essentiel est que l'Union européenne, comme d'ailleurs les autres bailleurs internationaux, joue le jeu et inscrive son action dans le cadre de ce mécanisme de mise en cohérence des bailleurs. C'est un des sujets que nous avons tenu à étudier en détail quand nous étions sur le terrain.

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Vous nous interrogez, vous aussi, Madame Michel, sur la coordination internationale. Il s'agit effectivement de l'un des points qui doit être revu. D'ailleurs, soulignons-le, il ne s'agit pas simplement d'articuler la force Barkhane avec les autres forces, comme la MINUSMA ou l'EUTM Mali, mais aussi de s'assurer que tous les contingents nationaux qui constituent ces forces internationales aient bien la même compréhension du mandat de la force à laquelle ils contribuent. L'enjeu est réel ; nous avons pu voir sur le terrain que les différents contingents d'une même force internationale pouvaient faire une lecture et une mise en oeuvre très différentes d'un même mandat. Cela vaut pour tous les contributeurs à ces missions internationales, et particulièrement pour les Européens, qui ont constitué la mission EUTM Mali. Peut-être qu'avec nos partenaires, nos collègues députés européens, nous avons, nous autres députés français, à entretenir des liens, comme nous le faisons d'ailleurs avec les députés de nos partenaires africains.

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Monsieur Thiériot, la coopération en matière de justice est plutôt du ressort du ministère de la Justice, qui n'est pas le ministère le plus actif en matière de coopération internationale. Notons néanmoins qu'Expertise France, qui est désormais une filiale de l'AFD, recrute des magistrats pour pouvoir répondre à la demande de coopération dans le domaine de la justice.

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Nous revenons ici à cette nécessité d'aider nos partenaires à restructurer leurs administrations et leurs forces– de les restructurer ou de les structurer ‒, de façon à ce que les structures étatiques puissent être déployées sur l'ensemble de leurs territoires. Bien souvent, on trouve vraiment dans les administrations locales des gens de qualité, mais la présence de l'État dans les territoires est parfois inégale.

S'agissant de la chaîne pénale évoquée tout à l'heure, il y a des territoires au Mali dans lesquels il n'y a plus de tribunaux, ni même de postes de gendarmerie ou de police. Non seulement Expertise France, CIVIPOL et d'autres organismes doivent apporter leur soutien à la reconstruction de la chaîne pénale, mais en plus, et nous revenons à ce continuum entre sécurité et développement, il est important de mettre en place des moyens de sécurisation des lieux où sont redéployés les services publics en aval des opérations militaires. Il s'agit de mettre sur pied un continuum pénal, avec des gendarmes dans des enceintes fortes qui puissent résister à des attaques ‒ parce qu'il est vrai que les gendarmes sont harcelés par l'ennemi, et c'est pour cela qu'ils ne sont pas présents dans certaines régions ‒, et avec des tribunaux eux aussi sécurisés.

Le problème démographique, Monsieur Furst, et en particulier la question des naissances, est en effet majeur. Quand nous nous déplacions sur le terrain, nous ne voyions dans la rue que des jeunes. La jeunesse n'est pas un problème en soi, mais cette jeunesse n'a pas d'avenir, pas de ressources économiques lui permettant de s'émanciper et de trouver finalement sa voie et son bonheur, nous allons forcément voir naître des frustrations.

S'agissant, Madame Bureau-Bonnard, de la coopération dans le secteur de la santé, il faut noter en premier lieu que la structuration du système de santé constitue en soi un champ d'aide au développement. Notre expertise est reconnue ; elle doit être consolidée, car ce champ d'aide au développement est très nécessaire. Mais nous retrouvons dans cette voie ici deux problèmes, dont le premier tient à la difficulté de maintenir des services publics dans des zones non sécurisées. Il en va de même que pour les tribunaux : difficile de maintenir des dispensaires sans un minimum de sécurité. La construction d'un système de santé est un effort de longue haleine, qui doit être et qui est mené par nos partenaires africains eux-mêmes. Ceux-ci ont leur vision de leur schéma sanitaire, qui s'inscrit dans le temps long puisque tout ce qui relève de la politique de santé ne se fait pas en quelques mois mais sur des années ; la France, l'Europe, les autres bailleurs et les ONG accompagnent nos partenaires dans leurs projets.

En second lieu, votre question concerne aussi l'aide médicale à la population offerte par nos forces en opération. Bien entendu, lorsque nos forces opèrent dans certaines zones, elles peuvent conduire très rapidement des actions de CIMIC, c'est-à-dire que nos médecins militaires vont tout de suite au contact de la population. Mais comme je le disais tout à l'heure, ce sont des actions ponctuelles pour montrer à la population que notre présence n'est pas négative pour elle, mais en aucun cas il ne s'agit d'un programme de développement. Ce n'est d'ailleurs pas à nos armées que cela incombe, mais à nos partenaires africains, avec le soutien des bailleurs et des ONG. Précisons d'ailleurs que le contrôle de la démographie passera par là aussi, par des programmes de santé, de prévention, et d'éducation à la santé.

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Il nous revient maintenant de voter pour autoriser la publication de l'intégralité de votre texte.

Il est procédé à un vote. La commission de la Défense nationale et des forces armées émet un avis favorable à l'unanimité.

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Le vote unanime montre bien à quel point la qualité de vos travaux était à la hauteur de nos espérances. Je pense que nous avons beaucoup appris, ce qui nous permettra d'avancer sur ces questions extrêmement fondamentales, puisque préparer la paix, c'est aussi préparer le retour vers la sécurité et les droits essentiels de chacun d'entre nous. Je dirais volontiers qu'entre nos partenaires africains et nous, il ne s'agit pas seulement de fraternité d'armes, mais aussi de fraternité tout court avec les populations locales, qui sont les premières victimes des conflits armés. Je vous remercie beaucoup, chers collègues, et je vous félicite. L'autorisation de publication est accordée. Je suis persuadée que lorsque votre rapport sera édité, c'est-à-dire très bientôt, il fera l'objet d'une lecture attentive et que nous pourrons le partager et le diffuser avec beaucoup de fierté.

La séance est levée à dix-neuf heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Xavier Batut, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Loïc Kervran, Mme Monica Michel, M. Philippe Michel-Kleisbauer, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Charles de la Verpillière

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Stéphane Baudu, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, M. Sylvain Brial, M. André Chassaigne, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Jean Lassalle, M. Gilles Le Gendre, M. Jacques Marilossian, M. Franck Marlin, Mme Josy Poueyto, M. Joachim Son-Forget, Mme Sabine Thillaye