Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 12 juillet 2023 à 13h30

La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 12 juillet 2023

Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,

La séance est ouverte à 13 heures 30.

I. Audition de M. Marc FESNEAU, Ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, sur la politique agricole commune et la souveraineté alimentaire européenne

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Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire – une notion qui fait écho au projet politique d'une Europe plus souveraine, que nous défendons dans notre commission. En matière agricole, chacun sait le rôle joué par l'Europe, en particulier avec la politique agricole commune (PAC), ainsi que l'importance qu'ont nos agriculteurs pour nous nourrir sans dépendre d'autres puissances.

La guerre en Ukraine a créé un contexte géopolitique nouveau, qui rend plus que jamais nécessaire la préservation de la souveraineté alimentaire européenne. L'Ukraine est parfois présentée comme le grenier à blé de l'Europe, et la guerre fait peser une épée de Damoclès sur sa production et ses exportations.

Comme ministre et comme Beauceron, vous vous attachez à tenir une ligne de crête entre permettre aux agriculteurs de vivre de leur travail et limiter la hausse des prix alimentaires. Sans nos agriculteurs, nous ne réussirons pas la transition écologique européenne.

Le Parlement européen vient de voter la proposition de règlement relatif à la restauration de la nature. Je salue l'adoption de ce texte, qui concourt à la réussite du Pacte vert pour l'Europe puisqu'il vise à restaurer au moins 20 % des espaces terrestres et marins de l'Union européenne d'ici à 2030 et à engager des mesures de restauration des espaces endommagés d'ici à 2050. C'est un impératif, alors que la biodiversité dont dépend l'humanité s'effondre. Cette proposition de règlement, qui est l'équivalent européen de la loi « climat et résilience », est le premier texte à aller aussi loin. Les mesures qu'elle prévoit sont indispensables pour arrêter de supprimer le vivant de notre planète. Dans le débat qui a animé le Parlement européen, certains ont cherché à opposer agriculture et écologie. Toutes deux sont pourtant conciliables, comme nos agriculteurs le démontrent quotidiennement. Quel regard portez-vous sur ce vote, même si nous n'en connaissons pas encore tous les détails ?

Je souhaiterais également vous interroger sur la priorité donnée par la présidence espagnole du Conseil aux relations avec l'Amérique latine. Nous ne partageons pas toujours les mêmes ambitions. Madrid entend donner un nouvel élan à l'accord entre l'Union européenne et les pays du Mercosur, le Marché commun du Sud, et conclure le processus de ratification d'ici à la fin de l'année. Nous connaissons la fermeté et l'ambition de la France pour protéger ses filières agricoles face à la concurrence déloyale. Notre assemblée a d'ailleurs adopté une résolution en ce sens le mois dernier. Quelle est votre appréciation des négociations en cours avec nos partenaires du Mercosur, notamment pour l'introduction de clauses miroirs ? Comment la France parvient-elle à faire entendre sa position ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Je suis heureux de vous rendre compte de l'activité du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire dans sa dimension européenne. L'agriculture est la première politique à ce point intégrée, dont la PAC constitue l'une des pierres angulaires.

Signe de leur puissance, les principes de la PAC posés en 1962 constituent encore la référence. Certes, le dérèglement climatique perturbe structurellement la situation, mais les grandes intentions des fondateurs de cette politique restent d'une modernité criante.

La nouvelle PAC est entrée en vigueur en 2023 : seul un bilan provisoire peut donc être dressé. Dans son volet économique, elle réserve 15 % de l'enveloppe aux aides couplées. Dans son volet social, elle introduit une conditionnalité sociale, qui touche au respect de la réglementation européenne en matière de travail. Elle intègre aussi la notion de droit à l'erreur et prévoit des crédits pour l'installation des jeunes agriculteurs sur les premier et deuxième piliers.

La PAC comporte aussi un volet environnemental. Les crédits relatifs à l'aide à la conversion en bio progressent de 36 %, passant de 250 à 340 millions d'euros. Le budget réservé aux mesures agroenvironnementales est en hausse de 10 millions. Les exigences sont renforcées au travers de la conditionnalité et des normes réglementaires applicables en matière de gestion, de respect de l'environnement, de santé publique, de santé des végétaux et de bien-être animal.

La PAC prévoit aussi un écorégime représentant 25 % des paiements directs, que les États peuvent décliner de manière différenciée. En France, l'écorégime représente 1,7 milliard d'euros par an, avec plusieurs niveaux et voies d'accès. Notre objectif est l'instauration d'une stratégie d'inclusivité, pour permettre à un maximum d'agriculteurs d'entrer dans une démarche de réflexion autour des écorégimes et de la nécessité des transitions. D'autres pays ont fait un choix très restrictif, en s'adressant aux agriculteurs les plus avancés. J'estime cependant qu'en matière de transition, l'objectif n'est pas d'emmener 50 000 agriculteurs, mais 400 000. Je suis bien sûr ouvert au débat, mais je pense que la démarche dans laquelle nous nous sommes engagés est pertinente.

Concernant le déploiement de la PAC, je salue le travail des services du ministère de l'agriculture et les travaux conduits en bonne intelligence avec les régions. Changer de PAC n'est pas une mince affaire en matière d'informatique, de logistique et de répartition des compétences entre les régions et l'État. J'avais demandé un rapport relatif au transfert des personnels, auquel je me suis référé pour développer des moyens complémentaires. Même s'il existe des difficultés dans quelques régions, les moyens sont au rendez-vous du transfert de la compétence. Nous avons été l'un des cinq ou six premiers pays dont le plan stratégique national (PSN) a été approuvé. Cette situation est suffisamment rare pour être soulignée ! Cela nous a permis de mieux nous préparer et de mieux préparer les agriculteurs, en faisant de la pédagogie. Le plan allemand a été l'un des derniers à être validé. Cela montre que nous avons bien travaillé. Je partage ce résultat avec Julien Denormandie, qui a beaucoup œuvré sur ce dossier.

Un premier point de vigilance consistait à faire en sorte que le système informatique fonctionne, en tirant les leçons de l'épisode douloureux de 2015 concernant la télédéclaration et les paiements. Une télédéclaration compliquée et des retards de paiement peuvent assez vite mettre les campagnes en éruption ! Nous nous sommes donc mobilisés pour lancer une première campagne de télédéclaration au 1er janvier pour les animaux, puis jusqu'au 31 mai pour les autres filières. J'ai annoncé très tôt qu'un délai supplémentaire de quinze jours serait accordé, parce que les outils informatiques étaient en cours de déploiement : cela a permis d'accompagner les demandeurs d'aides de façon rapprochée.

Cette nouvelle PAC est assez complexe, parce que nous l'avons voulue comme telle. On pointe souvent du doigt l'Europe, mais la France a choisi d'avoir des dispositifs mieux différenciés, notamment pour tenir compte des différentes filières et natures de sol.

De façon inédite, les agriculteurs ont largement sollicité les chambres d'agriculture et les réseaux chargés de les accompagner dans la télédéclaration. À la fin de la période de télédéclaration, 315 000 dossiers ont été signés. Ce nombre est en diminution, compte tenu de l'évolution démographique mais aussi du changement de statut d'actif agricole, qui vise à éviter que des agriculteurs disposent de droits à la retraite tout en exerçant une activité agricole, afin d'assurer la fluidité du système.

Je me suis engagé devant les professionnels à dresser un bilan très précis de nos actions. Je note déjà un point de satisfaction : plus de 90 % des agriculteurs se sont inscrits dans l'écorégime. Mes collègues allemands, qui ont fait un choix plus restrictif, observent au contraire une très nette sous-consommation des enveloppes, lesquelles risquent d'être perdues. Pour notre part, nous avions assez bien calibré les enveloppes, et notre stratégie de massification a fonctionné.

La nouvelle phase qui s'ouvre est celle du paiement, à la date totem du 16 octobre. Un dispositif de suivi est en cours d'élaboration. Nous aurons bientôt plus de visibilité sur les éventuelles difficultés que nous pourrions rencontrer au cours de l'été. Nous procéderons à des ajustements, le cas échéant.

Nous sommes aussi dans la période annuelle à laquelle il est possible de modifier le PSN. Les ajustements seront mineurs, puisque la résolution de l'équation budgétaire et les éventuelles refontes de projets et programmes interviendront plutôt en 2025, à la date du point d'étape. Il serait hasardeux de modifier un plan qui vient d'être déployé. Nous avons cependant procédé à quelques modifications légères visant à résoudre des difficultés techniques ou d'appropriation.

Par ailleurs, nous nous étions engagés, dans le cadre du PSN, à développer des programmes opérationnels spécifiques pour certaines filières. Nous en avons proposé cinq, autour des protéines végétales, de l'horticulture, des veaux sous label, du riz et de la filière lapin, notamment dans son volet de transition pour sortir des dispositifs de cages.

J'en viens à mes activités de ministre. Vous avez mentionné des textes importants. Je me suis rendu dans plusieurs pays et j'ai souhaité nouer rapidement des relations avec l'ensemble de mes collègues européens. Il ne s'agit pas tant d'avoir raison que de partager des points de vue. Nous ne décidons pas seuls – c'est le principe de la construction européenne –, il est donc essentiel d'avoir une stratégie d'alliance sur les éléments de doctrine et les textes qui nous sont soumis.

La révision de la directive relative aux émissions industrielles, dite IED, a été rejetée hier par le Parlement européen, qui a préféré maintenir le statu quo. Cette directive ne concerne pas seulement l'élevage, mais toutes les activités industrielles. Les filières volaille et porc y sont déjà soumises : la discussion portait, d'une part, sur son extension à la filière bovine, et d'autre part, sur la fixation des seuils. Je considère, pour ma part, que l'augmentation de ces derniers aurait démontré le caractère atypique de notre modèle d'élevage dans l'espace européen, au contraire de ce que l'on entend parfois, et mis en avant les aménités positives de l'élevage dans de nombreux territoires. Je ne vilipende pas les autres modèles, mais compte tenu de la taille de notre pays, nous avions la capacité de valoriser le nôtre. Faute d'accord sur des seuils satisfaisants, le Parlement européen a cependant décidé de maintenir le statu quo. Il n'y a donc pas de changement pour les éleveurs français : ceux qui étaient concernés par la directive IED le restent, et les autres n'entrent pas dans son champ d'application. Le leitmotiv du statu quo n'est, à mes yeux, pas satisfaisant. En tout état de cause, nous avons travaillé à montrer que tous les élevages ne sont pas de même nature et ne relèvent pas du même registre de délibération. Le vote au Parlement n'est pas l'aboutissement du processus : le trilogue se poursuivra. Dans les négociations sur les seuils et sur les règles d'exploitation, je veillerai à ce que l'épure reste conforme à la philosophie générale de la directive. De façon générale, dans le cadre d'un marché unique et ouvert, les règles doivent être européennes : tout acte apportant une contrainte supplémentaire au niveau national serait contre-productif et contreviendrait à notre volonté de parler en Européens et de ne pas créer de sources de distorsion.

Il me semble également important de lier la loi relative aux nouvelles techniques génomiques avec le règlement pour une utilisation durable des pesticides, dit SUR, qui vise à réduire l'utilisation des produits phytosanitaires. En la matière, la position française a toujours été la même. Nous sommes opposés à toute mise sous cloche : les territoires classés en zone fragile ne peuvent être contraints de rentrer dans une logique de zéro pesticide. À l'époque du zonage Natura 2000, l'État s'est engagé à soutenir des démarches volontaires et non contraignantes : si nous n'étions pas capables de confirmer cette trajectoire, il y aurait une rupture de confiance avec le monde agricole. Nonobstant cette remarque, j'estime que nous avons besoin d'une doctrine européenne, qui peut tout à fait être exigeante, dont l'absence heurterait l'esprit européen et affaiblirait notre capacité de souveraineté. Fixer les exigences au niveau européen permet de mettre tout le monde à niveau, et nous ne sommes pas les plus en retard en la matière. Il y a un intérêt, y compris de compétitivité, à aligner tout le monde.

Les nouvelles techniques génomiques (NGT pour new genomic techniques et NBT pour new breeding techniques ) marquent une rupture avec la technologie classique des organismes génétiquement modifiés (OGM). Certains voudraient les associer ; or ce ne sont pas du tout les mêmes technologies. Les NGT et NBT ne consistent pas à créer un gène exogène, mais à accélérer des processus qui se produiront de toute façon, car la mutation génétique est un phénomène naturel. Nous sommes tous des NBT, si je puis dire ! L'accélération de certaines mutations génétiques présente un intérêt dès lors qu'elle facilite la transition écologique, en réduisant l'utilisation des produits phytosanitaires, et renforce notre résilience face à la sécheresse. Telle est la position constante de la France. Avec plusieurs collègues européens, j'ai fait en sorte que la loi relative aux nouvelles techniques génomiques soit posée sur la table en même temps que le règlement SUR, afin que les restrictions et la solution soient présentées simultanément. Je n'ai pas dit que toute la solution résidait dans les NBT et les NGT, mais que ces technologies pouvaient apporter une partie de la réponse aux défis auxquels nous faisons face.

Le paradigme européen n'est plus tout à fait le même depuis la crise du covid et la guerre en Ukraine. La première a soulevé la question de l'organisation de la sécurité alimentaire – plus que de la souveraineté alimentaire – quand les frontières se ferment, donc des fragilités du système et de la dépendance aux autres. Quant à la guerre en Ukraine, elle a mis en exergue le fait que certaines personnes pensent le temps long. En l'occurrence, le président Poutine avait pensé deux sujets il y a vingt ans, l'énergie et l'alimentation, en considérant qu'il tiendrait ainsi une partie de l'équation mondiale et pourrait faire de la géopolitique. Nous n'aurions pas tous parié là-dessus ! Cela nous invite à sortir de la naïveté et à être lucides. Je considère que l'alimentation devrait être une arme de paix, mais d'aucuns en ont fait une arme de guerre. La guerre en Ukraine montre également l'extrême dépendance énergétique et aux engrais d'une partie de nos systèmes agricoles. Cela doit nous pousser à renforcer notre souveraineté, y compris dans un processus de décarbonation qui évitera que les décisions de Poutine affectent les nôtres. Cette stratégie pour la souveraineté alimentaire s'inscrit dans le temps long et ne peut être qu'européenne, au même titre que nous avons besoin de souveraineté européenne en matière de défense, de matériaux, d'intelligence artificielle, d'aéronautique et de batteries.

Un autre sujet est celui de la solidarité. La France, comme tous les pays européens, a exprimé la sienne par des mesures de libéralisation des échanges avec l'Ukraine, pour trouver des destinations aux productions qui étaient bloquées. Pour autant, cela peut déstabiliser certains marchés. Il convient donc de trouver une tension, au bon sens du terme, entre le soutien à l'Ukraine et le maintien de l'édifice européen. Les pays frontaliers ont pris des mesures unilatérales, contraires aux traités ; or de telles mesures peuvent conduire au démantèlement de la lettre et de l'esprit de l'aventure européenne. Si chacun décide de mesures unilatérales au gré de ses intérêts, il n'y a plus d'Europe. Aussi ai-je pris l'initiative, assez rare dans l'enceinte feutrée et diplomatique – c'est un compliment – des ministres de l'agriculture, de rappeler à la Commission qu'elle devait être garante de l'unité européenne, du respect des traités et de la transparence de la prise de décision. Nous avons embarqué avec nous quatorze ou quinze ministres, ce qui a également permis de délivrer un paquet d'aides « réserve de crise ».

L'enveloppe de réserve de crise agricole de 530 millions, qui a été délibérée hier, nous dote de moyens qu'il conviendra de ventiler, durant l'été, entre les secteurs touchés par les conséquences de la guerre en Ukraine ou de la sécheresse, la filière cerise, la filière noix, et d'autres encore.

La souveraineté ne signifie pas l'autarcie et le repli sur soi ; c'est la capacité à structurer des interdépendances choisies et non subies. En l'occurrence, nous aurons besoin d'échanges en raison de dérèglements à la fois géopolitiques et climatiques, sur tous les continents, qui pourraient se traduire par des tensions sur les marchés mondiaux. Il s'agira de veiller à ce que la majorité des territoires du monde puissent se nourrir, en particulier à nos frontières, puis de savoir qui nourrit qui. De fait, celui qui nourrit un continent ou un pays le tient. Ne soyons pas naïfs : l'alimentation est une affaire de géopolitique et de souveraineté. Je préfère que nous puissions pourvoir à l'alimentation de pays qui en sont incapables, pour des raisons météorologiques ou structurelles, comme les pays du sud de la Méditerranée, plutôt que de laisser M. Poutine s'en charger. Si ces pays risquaient de manquer de nourriture, les conséquences ne s'observeraient pas chez M. Poutine, mais sur le continent européen. Nous avons besoin de poser l'équation ainsi. Ce n'est pas simple et les voies ne sont pas tracées, mais il s'agit là d'un élément important.

Le fait que la souveraineté ne soit pas l'autarcie pose également la question des accords internationaux. La France veille à certains sujets que vous avez rappelés, monsieur le président. Au-delà des paroles, il y a des actes.

D'une part, les accords internationaux ne sont pas seulement des accords européens. Le ministère de l'agriculture doit essayer d'en conclure lors de chaque déplacement international – je pense aux accords avec la Chine sur le porc, signés sous l'impulsion du Président de la République, et à ceux à venir. Il faut aussi se poser la question des relations bilatérales avec tel ou tel pays. Là encore, tout est affaire de géopolitique.

D'autre part, la France n'oppose pas d'obstruction systématique ou dogmatique aux accords internationaux, sous réserve qu'ils respectent un certain nombre de règles, à commencer par les accords déjà signés – je pense en particulier à l'accord de Paris. Cela explique la position que le Président de la République a récemment réaffirmée concernant l'accord entre le Mercosur et l'Union européenne, ou le fait que l'accord entre l'Australie et l'Union européenne n'ait pas abouti – ce qui ne signifie pas que nous refusons un accord dans l'absolu, mais qu'en l'état, celui qui nous est proposé ne nous satisfait pas. La principale difficulté vient du fait que, si certaines filières sont structurellement plutôt bénéficiaires, d'autres sont malheureusement en permanence déficitaires. Or ces dernières sont les principales concernées, comme les filières bovine et ovine, ce qui peut susciter des inquiétudes et requiert notre vigilance. Je travaille beaucoup avec mon collègue Olivier Becht sur ce sujet.

Je conclus en évoquant les clauses miroirs et la réciprocité. Le chemin est long car nous partons de rien : la doctrine de la Commission, établie depuis des années, était qu'il fallait signer des accords internationaux. Nous ne ferons pas tout en une fois, mais nous incrémenterons ce qui peut l'être, notamment ce que nous avons fait pour l'accord avec la Nouvelle-Zélande, même si j'entends que cela n'est pas satisfaisant.

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Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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Depuis six ans, la défense de l'agriculture fait partie des priorités du groupe Renaissance. Ainsi que vous l'avez rappelé, l'agriculture est une grande réussite de l'Europe. La PAC est à la fois le cœur et le fondement de la construction européenne, avec le marché commun : elle permet à notre continent de nourrir ses habitants à leur faim. N'en déplaise aux antieuropéens, les politiques européennes intégrées fonctionnent quand elles sont réellement intégrées, comme c'est le cas pour l'agriculture. Ceux qui veulent défaire l'Europe déferont la PAC et affaibliront nos agriculteurs.

L'agriculture européenne remplit toutes les conditions pour garantir l'avenir : elle produit en quantité et est résolument engagée dans la transition écologique. J'en atteste : tous les agriculteurs que je rencontre en Alsace sont des écologistes de conviction et de terrain. Elle est également ouverte aussi à la modernisation de ses pratiques.

À la rentrée, mon collègue Rodrigo Arenas et moi-même rendrons un rapport consacré à la souveraineté alimentaire européenne. Nous vous avons auditionné dans ce cadre, d'autant que la réflexion autour de ce sujet fait partie de votre mission de ministre. Comment nous assurerons-nous, au XXIe siècle, que notre continent restera souverain sur le plan de l'alimentation ?

Élu d'une circonscription marquée par la culture de la betterave et accueillant une sucrerie à Erstein, je souhaite enfin vous poser une question plus sectorielle. La décision rendue le 19 janvier 2023 par la Cour de justice de l'Union européenne a constitué un choc pour les betteraviers et la filière sucrière française. De fait, la France a interdit le traitement contre la jaunisse qui est encore autorisé ailleurs. Vous aviez indiqué en janvier que la France s'assurerait de l'application homogène de la décision de la Cour dans le territoire de l'Union, pour éviter toute distorsion de concurrence. Six mois plus tard, quel bilan faites-vous du travail de vos services à Bruxelles concernant la betterave ?

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Depuis sa création, la PAC a changé d'objet. Au départ, elle avait une visée quantitative, ce qui a justifié des politiques d'exploitation intensive ayant causé les dégâts que nous connaissons. Elle est désormais plus qualitative. Si la nouvelle PAC doit fournir aux citoyens de l'Union européenne une alimentation sûre à un prix abordable, assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs et préserver les ressources naturelles en respectant mieux l'environnement, elle peine à atteindre ces objectifs compte tenu de l'inflation des prix alimentaires, de la concurrence déloyale liée aux accords de libre-échange et des difficultés à faire appliquer les clauses miroirs dans certaines filières. Nous avions déjà connu des problèmes avec les graines de lin d'Australie ou la filière pommes de terre au Canada. Les effets se font sentir dans chaque pays, au travers des suicides d'agriculteurs, du surendettement, du manque de renouvellement des générations, de la pollution des sols et du manque de contrôle aux importations.

Il nous faut une PAC au service de la souveraineté alimentaire – une souveraineté par définition nationale avant d'être européenne, même si l'Europe est en train de s'arroger ce droit. Mais les engagements tendent vers un système de sous-production, si nous respectons les délais prévus par la stratégie « de la ferme à la table ». J'ai débattu de ces dossiers durant trois ans à la commission de l'agriculture du Parlement européen, où il a fallu batailler pour éviter la sous-production.

Le respect des engagements environnementaux et la transformation de notre modèle de production en un modèle plus localiste, dont nous avons été les premiers à parler dès les années 1980, doivent servir à assurer l'autonomie alimentaire de chaque État membre et de l'Europe au lieu d'accentuer le niveau de pauvreté des agriculteurs.

Je souhaite aussi évoquer le renouvellement des générations. Le nombre d'exploitations diminue. En 2020, on en dénombrait 400 000, soit 800 000 de moins qu'en 1980. Chaque année, environ 20 000 chefs d'exploitation cessent leur activité tandis que seuls 14 000 s'installent. Cette tendance fait l'objet d'une attention croissante, alors que 43 % des exploitants ont plus de 55 ans et partiront à la retraite dans les dix prochaines années. Comment envisagez-vous l'avenir démographique de la profession ? Prévoyez-vous de mettre en place des avantages fiscaux, que ce soit dans le cadre de la transmission ou pour les acquéreurs et les jeunes accédant à la profession ?

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En octobre 2021, l'Autorité environnementale affirmait que le plan stratégique national de la PAC ne prenait pas en compte au juste niveau les enjeux environnementaux. Ce seront donc 9 milliards d'euros par an, jusqu'en 2027, qui ne permettront pas de transformer nos modèles agricoles comme il le faudrait. L'urgence écologique n'est pas prise au sérieux, et je qualifierai de cosmétiques les quelques mesures envisagées. La Cour des comptes elle-même considère que les politiques de verdissement de la PAC n'ont que peu d'effets, tandis que les indicateurs de la biodiversité ne cessent de se dégrader, que l'utilisation de pesticides ne diminue pas et que la conversion à l'agriculture biologique est trop lente. Seuls 9,5 % de la surface agricole utile française sont consacrés au bio, alors que l'objectif pour 2022 était de 15 %.

L'État a ignoré les objectifs qu'il s'était fixés en termes de réduction de l'utilisation des pesticides et a failli à son obligation de protection des eaux souterraines. Il a d'ailleurs été condamné le 29 juin dernier par le tribunal administratif de Paris, grâce au travail mené par le collectif Justice pour le vivant.

Vous ignorez aussi la question de l'élevage, lequel représente pourtant plus de 50 % des émissions de gaz à effet de serre d'origine agricole. Nous consacrons plus de 10 % de nos surfaces agricoles à la production de maïs afin de gaver des millions d'animaux entassés dans des fermes usines. Vous pouvez tordre le problème dans tous les sens, aucun projet de politique agricole n'est crédible s'il ne prévoit pas de réduire notre production et notre consommation de viande. Il est plus qu'urgent d'établir un plan agricole pour rééquilibrer la production de protéines végétales par rapport aux protéines carnées. En plus de rendre leur dignité aux animaux maltraités et torturés, c'est un moyen incontournable de répondre à la crise climatique et à l'urgence de la sobriété en eau. Dans le contexte que nous vivons, cela saute aux yeux.

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La PAC, dont vous avez rappelé l'intérêt et la solidité historique depuis 1962, connaîtra un bouleversement encore mal apprécié dans nos régions. Celui-ci est lié au fait que nous accueillerons, dans l'Union européenne, le grenier à blé du monde. Cela transformera non seulement les pratiques de volume, mais aussi la logistique et l'accompagnement industriel autour de l'agriculture, ainsi que le foncier. Certains Français sont agriculteurs en Ukraine. Leur priorité est de savoir s'ils pourront faire circuler leurs productions par le train. Que signifiera « circuit court » quand l'Ukraine sera membre de l'Union européenne ? Nous devons repenser ce concept. Nous devrons aussi repenser – ce que nous avons un peu raté avec l'entrée d'autres pays dans l'Union – les notions de foncier et de propriété du sol. Certains agriculteurs français se sont récemment suicidés en Pologne, parce que nous n'avons pas réussi à régler ces questions.

Pouvez-vous me rassurer en m'affirmant que vous commencez à réfléchir à ces trois domaines que sont les volumes, le déséquilibre de la logistique et de tout ce qui accompagne les productions autour de l'agriculture, et les problèmes de foncier et d'environnement ? Ce ne sera peut-être utile qu'en 2027 ou en 2035, mais une réflexion profonde doit démarrer dès aujourd'hui, avec tous les acteurs. À défaut, nous ne pourrons pas continuer à faire de la subvention en pilier 1 ou pilier 2. Tout sera transformé et aura des conséquences auxquelles nous devons commencer à penser, en cherchant à garantir notre souveraineté géopolitique et agricole selon la définition que vous en avez donnée.

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La souveraineté alimentaire repose sur deux piliers : la disponibilité, c'est-à-dire la quantité produite, et l'accessibilité alimentaire, avec la distribution de la production. Une récente étude montre que dans l'Union européenne, première puissance agricole mondiale, 30 millions de nos concitoyens ne peuvent pas manger un repas de qualité plus d'un jour sur deux. Cela pose le contexte !

La production brute a connu un virage indispensable pour renforcer notre souveraineté dans des domaines stratégiques, comme celui des protéines végétales. Cela va dans le bon sens. Mais le plan de relance a-t-il prévu suffisamment de moyens face aux défis que nous devons relever ?

À long terme, notre production dépend aussi des conditions dans lesquelles elle est assurée. Je fais ici référence à la santé de la planète et des sols, et à la disponibilité de la ressource en eau. En la matière, nos interrogations et nos doutes sont multiples. Nous ne sommes pas convaincus qu'au rythme actuel, nous serons en mesure de respecter l'objectif de réduction de moitié de l'utilisation des pesticides à horizon 2030 – nous sommes même certains du contraire. Certes, il existe une doctrine européenne. Mais nous, Français, sommes-nous au niveau de cette doctrine ?

Vous évoquez la nécessité d'être sur un pied d'égalité avec nos principaux partenaires et concurrents dans l'Union. Mais à ce compte-là, on ne fait pas grand-chose ! Et cela ne saurait être le paravent à nos renoncements ou à un pas lent. La France doit être aux avant-postes, première de cordée, pour ouvrir un chemin sur le plan européen. Que fait notre pays pour raccrocher la trajectoire prévue pour une moindre utilisation des pesticides ?

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La souveraineté alimentaire de notre continent dépend largement de notre capacité d'approvisionnement en engrais pour nos cultures. Or, avec la guerre russo-ukrainienne, plus de 30 % des engrais azotés, 65 % des engrais phosphatés et 90 % des engrais potassiques utilisés en Europe sont importés – pour près de la moitié de Russie, d'Ukraine et de Biélorussie. La production d'engrais azotés sur notre continent dépend aussi de notre approvisionnement en gaz naturel. On voit donc se conjuguer les dépendances énergétiques et les dépendances aux engrais. À l'image du plan REPowerEU lancé après le début de la guerre en Ukraine pour renforcer notre indépendance énergétique, peut-être devrait-on lancer un plan REFertilizeEU.

Quel est l'état des lieux des solutions envisagées pour renforcer l'autosuffisance de l'Union européenne en production d'engrais ? Peut-on compter sur un déploiement à plus large échelle d'une production d'azote et d'ammoniaque à partir d'hydrogène ?

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Dans le cadre de la mission d'information visant à dresser un état des lieux des plans stratégiques nationaux en matière agricole, que je mène avec Nicole Le Peih, plusieurs questions nous sont régulièrement posées.

La première concerne le passage d'un paiement à l'hectare à un paiement à l'actif. En cherchant à éviter un effet de vases communicants et à ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul, on aboutit à une forme de statu quo. Ne faudrait-il pas revenir sur ce point lors de la révision, qui peut être annuelle, du plan stratégique national ?

Ma deuxième question concerne l'organisation des écorégimes. Tels qu'ils ont été retenus dans le PSN français, ils apparaissent insuffisamment incitatifs puisque 90 % des agriculteurs ont accès au niveau de base sans avoir à changer leurs pratiques agricoles. Ne faudrait-il pas un accompagnement plus poussé pour passer au niveau supérieur ?

Enfin, quel intérêt climatique, environnemental et alimentaire y a-t-il à intégrer l'élevage dans les accords de libre-échange, sinon des arrangements avec d'autres secteurs ? J'ajoute que l'élevage est essentiel pour boucler le cycle de la fertilité du sol et limiter la consommation d'intrants, notamment d'engrais azotés. Le réduire aura ainsi des conséquences négatives pour l'environnement.

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Notre groupe salue les efforts réalisés par l'Union européenne en faveur de la souveraineté alimentaire, qui revêt un caractère particulier pour les territoires ultramarins. Nos écosystèmes nourriciers sont souvent exigus, fragiles et vulnérables au changement climatique, alors que l'éloignement géographique nous impose l'autosuffisance et des efforts supplémentaires pour travailler avec nos voisins.

Partant des travaux que je mène, avec notre collègue Marc Le Fur, pour la délégation aux outre-mer, je souhaite appeler votre attention sur les produits phytosanitaires nécessaires dans les zones tropicales. Pour des raisons de santé publique, certaines molécules sont – c'est bien normal – interdites par les normes européennes, lesquelles poussent l'industrie chimique à créer des intrants de remplacement, plus écologiques et sains. La recherche travaille à créer ces intrants pour le marché européen, au climat tempéré, mais écarte systématiquement les investissements qui permettraient de trouver des intrants destinés aux zones tropicales, subtropicales ou équatoriales. Faute de mobilisation de la science agronomique de l'Union, nos agriculteurs ultramarins – qui sont aussi des citoyens européens – sont privés de ces précieux herbicides, insecticides et fongicides indispensables pour la souveraineté alimentaire des territoires ultrapériphériques européens. Pire, ces molécules interdites sont utilisées dans les pays voisins, qui bénéficient d'accords leur permettant de vendre leurs produits agricoles en zone européenne. Nos paysans se trouvent ainsi privés des intrants utilisés par leurs concurrents directs. Que comptez-vous faire pour interdire l'accès au marché européen des produits agricoles cultivés en utilisant des produits phytosanitaires prohibés dans l'Union ? Que proposez-vous pour que nos agriculteurs ultramarins disposent enfin des molécules nécessaires à leur activité ?

À Mayotte, des décisions rapides dans ce domaine technique auraient une incidence directe et immédiate sur l'approvisionnement en produits frais. Cela permettrait d'agir contre la cherté de la vie, mais aussi de diversifier et d'augmenter la qualité nutritionnelle de notre alimentation pour nous permettre de vivre mieux et en meilleure santé.

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Marc Fesneau, ministre

Monsieur Sitzenstuhl, vous m'avez demandé comment assurer la souveraineté alimentaire. Il me faudrait deux heures, même deux ans pour vous répondre ! Cette souveraineté est multifactorielle.

La souveraineté alimentaire, c'est d'abord la capacité de nos systèmes à disposer de facteurs de production, de moyens de lutte contre les maladies et d'accès à l'eau, dans des conditions à déterminer pour garantir leur durabilité, au-delà d'un simple droit de tirage. La souveraineté alimentaire doit être pensée au moins au niveau européen. Compter uniquement sur soi-même est un risque, en cas d'accident climatique ou de maladie.

La souveraineté alimentaire, c'est ensuite la capacité à assurer les interdépendances et à faire en sorte que les facteurs de production soient majoritairement produits à l'intérieur nos frontières, afin que nous ne soyons pas soumis à la fluctuation des prix de l'énergie ou aux desiderata de tel ou tel chef d'État.

La souveraineté alimentaire, c'est enfin la nécessité de penser le système comme durable. La notion de durabilité ne s'oppose pas à celle de souveraineté : si nos écosystèmes se dégradent trop, si l'on ne préserve pas la ressource en eau, si l'on ne pense pas en système plutôt qu'en filière, et si l'on n'est pas capable de se diversifier, alors certains secteurs iront dans l'impasse. Il est frappant d'entendre certains agriculteurs indiquer qu'ils ne savent plus trop quoi planter. Nous avons la responsabilité de trouver des solutions à ce problème, alors que le dérèglement climatique va encore compliquer les choses. Sans durabilité dans le temps moyen, voire court et certainement long, il n'y aura pas de souveraineté.

S'agissant de la production de betteraves, je veux lever un malentendu. La Cour de justice de l'Union européenne n'a pas pris une décision : elle a simplement rappelé les tenants et les aboutissants d'une décision de la Commission européenne, en l'occurrence qu'il n'était pas possible d'accorder de dérogation pour les produits interdits. Qui plus est, elle ne s'est prononcée que sur les néonicotinoïdes en enrobé, et pas en pulvérisation foliaire. De fait, il n'existe pas d'interdiction européenne du foliaire. Certains pays n'ont donc aucun mal à respecter la décision de la Cour de justice, puisqu'ils procèdent à des traitements par voie foliaire.

Ma position n'est pas populaire, mais je considère que rouvrir le débat sur la réintroduction du foliaire est une erreur. Tout d'abord, il faut s'assurer que tout le monde respecte la décision de la Cour de justice – c'est plutôt le cas, mais le foliaire permet de se substituer à l'enrobé. Ensuite, malgré les contraintes qui pèsent lourdement sur le secteur betteravier, il faut travailler avec la filière pour trouver des solutions de remplacement, d'autant que la dérogation accordée prend fin cette année et qu'une interdiction européenne des néonicotinoïdes en foliaire s'imposera probablement assez rapidement aux autres pays. Les instituts techniques considèrent que nous ne sommes pas loin de trouver des solutions : la difficulté est de passer le cap. Cette année, la situation est plutôt sous contrôle. On considère qu'il faut traiter les pucerons, mais il faut en réalité traiter la jaunisse. La voie des semences et des recherches génétiques est intéressante, de même que celle des éléments combinatoires – je pense aux plantes compagnes, aux cultures parcellaires. Cela a plutôt bien fonctionné cette année, mais nous devons rester très prudents : le contrôle permanent sur des parcelles tests a permis de bien doser les traitements encore utilisables. Les deux ou trois prochaines années seront sans doute un peu compliquées, mais nous devons poursuivre sur cette trajectoire. Jusqu'ici, nous n'avions pas de solution : c'est la raison pour laquelle nous avions besoin de la dérogation, et je regrette que nous n'ayons pas pu la prolonger d'un an.

Madame Mélin, la souveraineté nationale ne peut pas être complètement déliée de la souveraineté européenne. Ce n'est pas « d'abord la France, ensuite l'Europe », mais « l'Europe, dans laquelle la France joue sa partition en disposant de grands atouts ».

Si notre filière porcine est encore assez dynamique, bien qu'elle connaisse des hauts et des bas, c'est parce qu'elle est exportatrice. La souveraineté ne peut pas être unilatérale. Si l'équilibre se fait par l'export, comme c'est le cas pour le porc, le lait ou les céréales, il faut accepter d'être en concurrence. Les Chinois ne pourront pas produire autant de porcs qu'ils le veulent, et plusieurs pays aux frontières sud de la Méditerranée ne pourront pas produire autant de céréales qu'ils le souhaitent. Nous avons donc intérêt à ne pas nous enfermer.

Le modèle localiste ne me choque pas, ne serait-ce que parce que le circuit court permet le dialogue entre agriculture et société. Mais nous ne couvrirons pas tous les besoins par les seuls circuits courts, notamment en cas d'accident climatique. Le jour où ma commune sera frappée par la grêle, qui me nourrira ? Là encore, nous avons besoin d'interdépendances.

Quant au renouvellement démographique, c'est à la fois un sujet de rémunération – cela explique ce que nous avons fait dans la loi Egalim, même si ce n'est pas encore abouti – et d'image des métiers de l'agriculture. Quand une partie de la société passe son temps à traiter les agriculteurs de pollueurs, d'assassins et de criminels, elle ne donne pas aux jeunes envie de s'impliquer. Les mots comptent.

Certes, il existe des situations d'impasse. Des filières, des secteurs et des zones géographiques connaissent de lourdes difficultés du fait du dérèglement climatique. Si nous parvenons à présenter un nouveau modèle et à les y accompagner, nous donnerons envie à des agriculteurs de s'installer.

Monsieur Amard, j'aimerais avoir autant de certitudes que vous. Vous savez tout, vous nous expliquez tout…

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Marc Fesneau, ministre

La caricature, c'est affirmer que réduire l'élevage est l'unique solution. La caricature, c'est dire que l'élevage est de la torture. Faites attention aux mots que vous prononcez, car ils peuvent engendrer du mal-être. À chaque fois que j'entends ce type de mots, je pense aux personnes qui les prennent comme une offense et une insulte, avec le sentiment d'une remise en cause profonde de leur métier. Jamais je ne dirai aux éleveurs qu'il n'y a pas de perspective pour eux. Vous dites « torture ». De qui parlez-vous ? Donnez des noms et des faits !

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Marc Fesneau, ministre

Dans ces domaines, nous avons besoin de parler sans certitudes. Écoutez les scientifiques : il n'y a pas de certitude en la matière. Comme l'a dit le président Chassaigne…

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M. Chassaigne vous a déjà offert une couverture : vous n'avez pas besoin d'en rajouter.

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Marc Fesneau, ministre

Vous ne me connaissez pas bien : il y a longtemps que je pense tout seul. C'est peut-être une difficulté pour d'autres…

Nous avons donc besoin d'élevage. Je ne commence pas un débat en accusant les éleveurs…

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Marc Fesneau, ministre

Écoutez-vous !

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Souffrez qu'il y ait une opposition dans ce pays !

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Marc Fesneau, ministre

Je sais que vous avez du mal avec la nuance, mais souffrez qu'il puisse y en avoir. Nous avons besoin d'inscrire l'élevage dans une trajectoire de décarbonation, mais pas en affirmant qu'il va disparaître.

L'élevage est nécessaire, dans le cycle de l'azote, pour passer de l'engrais minéral à l'engrais organique. Il est nécessaire pour les prairies et pour les haies. Il faut donc le défendre ! Nous ne sommes pas autosuffisants, même en viande bovine – nous ne le sommes que pour les porcs. Nous ne sommes autosuffisants qu'à 50 % en volaille, et à moins de 50 % en viande ovine. On pourrait publier un décret-loi pour interdire de manger de la viande. Certains régimes le font, mais moi, en démocratie, je ne sais pas le faire.

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Marc Fesneau, ministre

Il faut essayer de trouver un point d'équilibre entre une trajectoire, qu'il faut assumer, de baisse de la consommation de viande…

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C'est exactement ce que j'ai dit ! J'ai parlé de rééquilibrage.

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Marc Fesneau, ministre

…et le besoin d'élevage, y compris pour le cycle de l'azote et celui du carbone.

Vous évoquez aussi des animaux « gavés » dans des usines. C'est la caricature de la caricature ! De quoi parlez-vous ?

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Marc Fesneau, ministre

Qu'est-ce qu'une ferme usine ? À partir de combien d'animaux ? Vous l'ignorez vous-même ! Je vous invite à sortir de vos frontières intellectuelles et à visiter, en Europe – il n'est pas besoin d'aller en Chine –, des élevages avec beaucoup d'animaux. Vous verrez, et vous comparerez les situations.

Monsieur Petit, vous avez évoqué la nouvelle PAC. Même si ce n'est pas une perspective immédiate, la question de l'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne changera effectivement le paradigme et nécessitera une redéfinition de la notion de souveraineté. Comment construire une Europe puissance dans le domaine de l'alimentation sans déstabiliser les agricultures voisines, dont les modèles ne sont pas tout à fait les mêmes que le nôtre, y compris s'agissant des contraintes environnementales ? L'interrogation est plus globale, concernant la nouvelle PAC : quand on intègre un pays aussi puissant sur le plan de l'agriculture, les mêmes outils s'imposent-ils ? L'Ukraine est quasiment l'équivalent de l'Europe en termes de production : il existe effectivement des risques de déséquilibre. J'ai également noté votre question relative au foncier.

Monsieur Garot, je partage assez vos propos concernant la souveraineté. J'y ajoute que les notions de disponibilité et de quantité posent la question de la durabilité. Il ne s'agit pas seulement de produire, mais de le faire malgré les contraintes du dérèglement climatique, de la perte de biodiversité et de l'érosion des sols.

S'agissant de l'accessibilité, il ne faut pas renoncer au combat. Je ne veux pas être le porte-voix de ceux qui, plutôt visibles dans l'espace médiatique et portant parfois le nom de l'enseigne qu'ils défendent, expliquent que le bon prix est le prix le plus bas. C'est un piège pour le revenu des agriculteurs. Cette théorie, brandie depuis cinquante à soixante ans, a conduit à une déflation des prix agricoles durant les quinze années précédant le vote de la loi Egalim. Il faut répondre à la question de l'accessibilité non par le prix, mais en mettant en place des mécanismes de solidarité pour ceux qui ne peuvent pas avoir accès à l'alimentation. Parce que l'alimentation a un coût, il faut qu'elle ait un prix ; nous devons ensuite traiter la question des 30 millions d'Européens qui n'ont pas accès à une alimentation de qualité, mais ce sont bien deux sujets différents.

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Par exemple, en votant le repas à 1 euro pour les étudiants !

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Marc Fesneau, ministre

Je conviens qu'il y a là un problème social, mais afficher un prix à 1 euro dévalorise le produit.

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Mais non ! Ça, c'est l'argumentaire de ceux…

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Marc Fesneau, ministre

J'ai le droit de ne pas être d'accord avec vous ! Évitons le raisonnement selon lequel le bon prix est le prix bas, qui tuerait l'agriculture en France puis en Europe.

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L'éducation est gratuite, elle n'est pas pour autant dévalorisée.

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Marc Fesneau, ministre

Cela n'a rien à voir. On ne demande pas aux enseignants d'assurer un équilibre économique. Les acteurs agricoles, eux, doivent être payés.

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Je suis bien d'accord ! Pas de faux ennemis !

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Marc Fesneau, ministre

Ne cherchez pas de polémique où il n'y en a pas !

Monsieur Alfandari, nous devons nous saisir de la question de la sortie de la dépendance en considérant qu'il ne s'agit pas de reconstruire le même modèle d'engrais, mais de trouver des engrais décarbonés. Les flux d'engrais en provenance de Russie et d'Ukraine représentent 4 % du tonnage livré : la question se pose donc aussi avec des pays tiers. En outre, certaines pratiques agricoles permettent de réduire le recours aux engrais. La réflexion mérite d'être conduite au niveau européen plutôt qu'à l'échelle nationale.

Monsieur Chassaigne, le paiement à l'hectare figure dans les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

S'agissant des écorégimes, vous êtes en train de mener un travail d'expertise sur le PSN. Je manque encore de données relatives aux choix des uns et des autres, mais la rotation des cultures est intéressante et puissante d'un point de vue écologique et environnemental. Le développement des protéines végétales évoqué par M. Garot est tout aussi important. Aujourd'hui, 75 % des écorégimes se font par la voie des pratiques. Le sujet mérite d'être creusé, mais je pense que ce modèle est transformant.

Pourquoi intégrer l'élevage dans les accords internationaux ? Il est vrai que les négociations butent souvent sur ce point, notamment parce que nous voulons garantir le respect de l'accord de Paris. L'intégration de l'élevage rejoint plutôt les intérêts des Australiens, tandis que les nôtres sont d'une autre nature – ils portent par exemple sur les indications géographiques (IG). Il est difficile de déterminer de façon unilatérale le cadre d'un accord international.

Madame Youssouffa, la crise du covid et la guerre en Ukraine montrent que les territoires ultramarins doivent tendre vers l'autonomie, compte tenu de leur éloignement et de la concurrence des pays frontaliers, qui les rendent très sensibles à la fluctuation des prix. Nous devons répondre à l'apparition de nouvelles maladies liées au dérèglement climatique et nous pencher sur les autorisations de mise sur le marché (AMM) en nous demandant si le recours à telle ou telle molécule a les mêmes impacts sanitaires et environnementaux à Mayotte, à La Réunion et en Guadeloupe, compte tenu de leurs conditions d'utilisation différentes. Nous devons dédier à cette question de puissants moyens de recherche, puisque ce sont de petites surfaces qui sont concernées et que les enjeux économiques ne sont donc pas très importants pour les producteurs de produits phytosanitaires ou alternatifs. Des décisions devront être prises dans les prochaines semaines.

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La nouvelle PAC impose à chaque État membre d'élaborer un plan stratégique national en matière agricole. Dans le cadre de la mission d'information que je mène avec M. Chassaigne, nous avons adopté une stratégie comparative et effectué des déplacements dans quelques pays européens. Un autre enjeu de la nouvelle PAC réside dans l'installation de nouveaux agriculteurs. L'aide à l'installation prévue par notre PSN est-elle suffisante ? Par ailleurs, où en sont les négociations relatives à la prochaine programmation budgétaire de la PAC ?

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En réponse à la question de M. Sitzenstuhl, vous avez évoqué différentes solutions pour les betteraves, telles que les NBT ou les plantes compagnes. Où en est le projet d'autorisation de mise sur le marché d'une nouvelle molécule testée en Australie ?

Je suis heureux que vous admettiez et que vous expliquiez clairement que les accords de libre-échange font des gagnants, mais aussi des perdants, en particulier les filières bovine et ovine. Je comprends que vous refusiez de les exclure, car elles représentent une partie de notre économie, mais que comptez-vous faire pour préserver ces cheptels ? Comment protéger ces filières dans notre pays ?

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Le glyphosate est un herbicide très répandu, dont les scientifiques ont démontré les dégâts qu'il inflige aux sols ; par ailleurs, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) rapportait en 2021 « une présomption moyenne d'effet cancérigène ». Or, la semaine dernière, dans un avis controversé, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) a conclu à l'innocuité de ce poison pour le sol et les agriculteurs. Certes, sortir du glyphosate ne résoudra pas l'insoutenabilité du système, mais y rester marquerait clairement le refus d'envisager sérieusement d'autres solutions. En 2017, le président Emmanuel Macron avait pris position, de manière très nette, contre le renouvellement de l'autorisation du glyphosate dans l'Union européenne. Le 15 décembre 2023, cette autorisation sera à nouveau à l'ordre du jour. Quelle position défendra la France ?

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Nombre d'habitants de ma circonscription considèrent que le Fonds européen de développement régional (Feder) suit une orientation plus agricole que rurale. Confirmez-vous cette opinion ? Pour la transmission des exploitations, un environnement rural attractif est nécessaire. Ne devrait-on pas réorienter le Fonds en conséquence ?

Par ailleurs, les régions sont des autorités de gestion déléguée des fonds européens pour la période 2023-2027. Alors que l'utilisation de ces fonds fait l'objet de nombreuses disparités selon les régions, une gestion partagée entre ces dernières et l'État ne serait-elle pas une meilleure solution ?

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Notre groupe est aligné – et fier de l'être – avec votre plaidoyer européen et votre vision géopolitique.

L'élevage est menacé dans notre pays, notamment sous sa forme la plus vertueuse, celle des pratiques herbagères. Nous connaissons les leviers pour le protéger : le contrôle du foncier, face à l'agrandissement et à la végétalisation, un plan « protéines végétales » renforcé, pour garantir une autonomie à bon marché pour les éleveurs, et une restructuration du plan stratégique national, actuellement inégal car mal ajusté entre les filières, notamment au détriment des éleveurs qui ont la charge de travail et de capitalisation la plus importante. Existe-t-il un axe européen de révision de la PAC à mi-parcours pour redonner ses chances à l'élevage ? Sans élevage, il n'y a pas d'agroécologie. Et sans agroécologie, tout n'est que littérature.

La loi « climat et résilience » prévoit deux années d'expérimentation pour le plan « azote », renvoyant les vraies décisions à plus tard. Or il est urgent de faire de la prévention – il faut éviter de procrastiner comme pour les pesticides. Le plan « ammonitrate » pourrait-il être doté d'une trajectoire agroéconomique de recherche et accompagné de solutions pour ne pas planter, à terme, nos agriculteurs ?

Enfin, nous parlons tous de souveraineté alimentaire ; pour ma part, je propose de retenir la notion de contribution à une sécurité planétaire sur le plan alimentaire. L'Afrique est sortie de nos radars. On ne parle plus que de traités transatlantiques ou transpacifiques. C'est délirant !

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L'Union européenne est l'un des plus grands producteurs mondiaux de volailles, avec une production annuelle de 13,4 millions de tonnes. C'est aussi l'un des plus grands consommateurs. Or cette filière, qui participe évidemment à notre souveraineté alimentaire, fait régulièrement face à des vagues de grippe aviaire aux conséquences sanitaires, humaines et économiques désastreuses. Entre le 10 septembre et le 2 décembre 2022, près de 400 foyers ont été répertoriés dans des élevages, dans dix-huit pays européens. Avec le vaccin, une étape pour protéger cette filière est franchie, mais les producteurs sont inquiets vis-à-vis du commerce extérieur et de l'acceptation des volailles vaccinées sur le marché mondial. Où en sont les discussions européennes à ce sujet ?

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Je connais votre attachement à nos agricultures ; je profite d'ailleurs de cette intervention pour saluer votre soutien et les récentes mesures prises en faveur de l'agriculture biologique. Je le dis avec fierté : quoi qu'en pensent certains, l'agriculture française est l'une des meilleures au monde. Nous devons en informer nos concitoyens, et les rassurer. L'information des consommateurs sur l'origine des produits alimentaires n'est pas suffisante pour répondre à leur demande de transparence. Le règlement européen relatif à l'information du consommateur, dit INCO, définit les principes généraux régissant l'information sur les denrées alimentaires, en particulier l'étiquetage. Nous y sommes très attachés, vous comme moi. Dans le cadre de la stratégie « de la ferme à la table », la Commission européenne a entamé un processus de révision de ce règlement. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

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Marc Fesneau, ministre

Madame Le Peih, s'agissant de la place des actifs dans la PAC, les crédits ont augmenté, passant de 2 à 3 % du budget. Nous avons aussi travaillé sur la transparence des groupements agricoles d'exploitation en commun (Gaec) – nous en reparlerons dans le cadre des travaux que vous menez avec le président Chassaigne. Cette trajectoire vise à solidifier les installations.

La nouvelle PAC est entrée en vigueur il y a six mois. Les questions qui se posent ont été évoquées par Frédéric Petit : elles concernent les effets de l'intégration de nouveaux États sur le système et les outils. Nous devons manier à la fois des outils d'aide économique et des outils qui permettent la transition.

Nous devons aussi réfléchir à l'intégration ou non dans la PAC des paiements pour services environnementaux. Il ne serait pas illogique de prévoir des modalités de financement qui ne soient pas complètement adossées à la PAC. Je n'ai pas de position arrêtée à ce stade, mais nous devons y travailler.

Lors des débats sur la PAC, on soulève toujours deux questions : celle du couplage ou du découplage des aides, depuis la réforme de 1992, et le niveau du budget. Si nous voulons de la souveraineté, il faut qu'en dépit des contraintes, le budget soit à la hauteur. Nous avons entamé, avec nos collègues européens, un premier tour de piste pour réfléchir à la prochaine programmation. Nous sommes sans doute à la croisée des chemins. Comme l'a indiqué le président Chassaigne, il s'agit de définir des outils de transformation et de transition suffisamment puissants, tout en restant dans une logique économique. Les paiements pour services environnementaux doivent se trouver hors de la PAC, me semble-t-il. Le développement de la finance carbone pourrait aussi permettre de financer cette transition.

Monsieur Ménagé, dans les accords internationaux, on est toujours plus fort dans certaines positions que dans d'autres. Il y a des intérêts défensifs et des intérêts offensifs. Nous sommes plus armés que l'Australie en aéronautique, par exemple. S'agissant de l'élevage, une grande partie des fromages français sont bénéficiaires. Pour la volaille et la viande bovine, la concurrence est essentiellement intra-européenne : il s'agit donc plutôt d'une question de compétitivité et de distorsion de concurrence au sein de l'espace européen. Une partie de la réponse, pour nous éviter d'être en défaut et de fragiliser nos filières, consiste à travailler à la compétitivité franco-française dans l'espace européen. L'incrémentation de l'accord de Paris contribuera aussi à résoudre l'équation. Pour les Néozélandais, l'élevage est un élément de force, et il ne faut pas qu'il affaiblisse le nôtre.

S'agissant de la betterave, le nouveau produit dont vous parlez n'a pas encore fait l'objet d'une demande d'homologation. Des analyses sont en cours en Autriche. Je ne dispose pas des données, mais je m'engage à revenir vers vous pour vous les présenter. Ce produit est déjà utilisé en Australie, où les exigences de santé publique sont à peu près de même nature que les nôtres : cette voie peut donc être intéressante.

Monsieur Arenas, j'ai évoqué le glyphosate hier lors des questions au Gouvernement. J'ai été suffisamment vilipendé, non pour avoir remis en cause l'avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), mais pour avoir suggéré une chronologie européenne. L'AESA équivaut à l'Anses : quand elle rend un avis, je le prends comme tel, que je sois d'accord ou non. Cette agence européenne est chargée d'étudier ces questions : je ne la remettrai donc jamais en cause – s'engager sur un tel chemin serait dangereux. L'AESA a édicté de nombreuses interdictions au niveau européen : quand elle considère qu'il n'existe pas de risque avéré, j'ai tendance à penser qu'il faut l'écouter.

Ce que fera la France sera décidé en interministériel le 15 décembre, mais comme je l'ai dit hier, il existe d'autres solutions. Notre pays est le seul au monde à avoir réduit sa consommation de glyphosate de 30 % en cinq ans. Il n'est donc pas question d'en rabattre ! Nous devons cependant nous aligner avec les autres pays européens, car si nous interdisons ce produit tandis que d'autres décident de ne pas réduire leur consommation, cela créera une distorsion. Il faut trouver un point d'équilibre, d'autant que l'AESA ne fait pas de l'interdiction une obligation et qu'un comité européen traitant de cancérogénicité estime qu'il n'y a pas d'effet cancer. La position française avait consisté à indiquer que nous réduirions la consommation de glyphosate s'il existait des solutions de remplacement. C'est ce que nous avons fait. S'il y a des impasses, constatons-les et continuons de travailler pour les lever, armés des avis de l'AESA et des autres organismes. L'enjeu est suffisamment important pour essayer de trouver un terrain d'entente.

Madame Thillaye, il faudrait étudier les effets de bord d'une gestion des fonds européens partagée entre les régions et l'État. Quand c'est l'État qui gère, on crie à la centralisation et on critique les technocrates de Paris, mais quand la gestion est confiée aux régions, certains jeunes agriculteurs veulent être « adoptés » par la région voisine où les avantages semblent plus intéressants. Soit on est décentralisateur, soit on ne l'est pas. Étant un peu les deux et ayant quelque culture d'élu local, je trouve assez savoureux de me faire reprocher d'avoir fait de la décentralisation et de me voir réclamer une gestion nationale de la dotation jeunes agriculteurs (DJA). Parlons-en collectivement !

Les crédits du Feder ne sont pas assez orientés vers la ruralité. Je ne vois pas pourquoi le développement industriel, le commerce et le tourisme ne relèveraient pas de ce fonds. S'agissant du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), il est compliqué de distinguer la partie agricole et la partie rurale. Le programme Liaison entre actions de développement de l'économie rurale (Leader) permet d'expérimenter et de faire émerger des projets, ce qui est plutôt utile. L'important est de respecter un équilibre. Un pan manque souvent : celui de la forêt. Il est plutôt entre les mains des régions ; or j'ai malheureusement le sentiment que toutes ne s'en saisissent pas suffisamment dans le cadre de la PAC.

Monsieur Buchou, en tant qu'élu d'un département victime de la grippe aviaire, vous savez les actions que nous menons pour les volailles. Nous serons les premiers à vacciner, étant entendu que c'est au niveau européen que l'expérimentation et la capacité à vacciner ont été décidées. Nous devrons nous assurer, dans les accords d'échange et de commerce, que cela n'entravera pas la capacité à exporter de certaines filières. Nous faisons de la diplomatie sanitaire, tant au niveau européen qu'au niveau bilatéral : je travaille avec les Japonais ou les Coréens, par exemple, et mes services sont en contact permanent avec les autres pays pour expliquer ce qu'est la vaccination. Il faut la faire sérieusement, pour garantir à ceux qui achèteront nos produits qu'il existe un processus de suivi sanitaire.

Enfin, monsieur Martineau, vous m'avez interrogé sur le règlement INCO. Nous avons intérêt à avoir des harmonisations au niveau européen : dès lors que nous sommes dans un marché ouvert, un étiquetage national ne servira à rien, sinon à se faire plaisir. Bien sûr, nous avons intérêt à ce que cet étiquetage respecte nos principes. Le rapport à l'agriculture et aux produits alimentaires est beaucoup plus patriotique, au bon sens du terme, en Italie qu'en France : les Italiens considèrent que tous leurs produits sont bons, et ils les vendent en Europe. Chez nous, l'effet levier n'est pas aussi puissant. Un travail collectif mérite donc d'être effectué pour renforcer la législation européenne en matière d'étiquetage de l'origine, dans le cadre de la révision de la PAC. Je souhaite que nous parvenions à une position harmonisée. Nous aurons sans doute des débats avec les Italiens, qui seront peut-être des alliés. L'objectif est de sortir de la logique ayant conduit à des décisions juridiques qui ont cassé les dispositions françaises. S'agissant de l'étiquetage des volailles, nous avons défendu une position seuls contre tous et avons tout de même réussi à obtenir une décision permettant de donner tout son sens à la mention « élevé en plein air ». Le cadre de cette stratégie d'alliance doit être européen, comme sur les IG et sur une grande partie des sujets agricoles. C'est ainsi que nous parviendrons à relever des défis de taille.

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Je vous remercie, monsieur le ministre. Il était important, pour notre commission, de vous entendre sur tous ces sujets essentiels. Je propose que nous réitérions cet exercice lorsque l'actualité l'exigera.

La séance est levée à 15 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Henri Alfandari, M. Gabriel Amard, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Rodrigo Arenas, M. Stéphane Buchou, M. André Chassaigne, Mme Annick Cousin, M. Guillaume Garot, Mme Marietta Karamanli, Mme Brigitte Klinkert, Mme Nicole Le Peih, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, Mme Louise Morel, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, M. Jean-Pierre Pont, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye, Mme Estelle Youssouffa

Excusée. – Mme Julie Laernoes

Assistaient également à la réunion. - M. Éric Martineau, M. Paul Molac, M. Dominique Potier