La réunion

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La commission procède à l'examen, ouvert à la presse, et au vote sur le projet de loi n° 1506.

La séance est ouverte à 9 h 00

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président

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Mes chers collègues, nous examinons ce matin le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et les différentes entités du groupe de la Banque mondiale, signé à Paris le 9 mai 2022.

Créée en 1944 par les accords de Bretton Woods, la Banque mondiale est l'une des quinze institutions spécialisées des Nations Unies. Initialement chargée de soutenir le processus de reconstruction et de développement après-guerre, elle s'est élargie pour passer d'une seule institution, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), à un groupe de cinq organismes de développement.

Le groupe de la Banque mondiale, qui rassemble 189 États membres – presque autant que ceux de l'Organisation des Nations Unies (ONU) –, a son siège à Washington mais dispose aussi d'un bureau à Paris, où travaillaient en mars dernier quelque 130 agents. La Banque mondiale souhaite y relocaliser une partie de ses activités pour en faire son siège principal en Europe, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Cette relocalisation porterait les effectifs parisiens de la Banque mondiale à 275 personnes, chargées de suivre, notamment, l'Afrique subsaharienne, l'Afrique du Nord, le Moyen-Orient, l'Europe de l'Est et l'Asie centrale. C'est donc une grande partie de l'activité du groupe qui serait concentrée à Paris.

L'accord dont nous sommes saisis vise notamment à déterminer les régimes fiscal et de sécurité sociale applicables aux personnels, ainsi qu'à clarifier l'ensemble des règles, en particulier celles relatives aux immunités et privilèges, à la suite du changement de périmètre du groupe de la Banque mondiale à Paris.

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L'accord du 9 mai 2022 a pour objectif de sécuriser juridiquement les relations entre la France et le siège français du groupe de la Banque mondiale. Ce texte n'intervient pas aujourd'hui par hasard. Il y a quelques années, la Banque mondiale a décidé de diversifier son ancrage géographique et de donner plus d'importance aux bureaux situés hors des États-Unis. Le bureau français a été choisi pour servir de relais en Europe et en Afrique : il verra ses effectifs quadrupler, passant d'une soixantaine de salariés en 2021 à près de 250. Je précise que le bâtiment qui l'abrite accueille aussi les équipes parisiennes du Fonds monétaire international (FMI).

Ce que l'on appelle communément « Banque mondiale » est en fait un groupe de cinq institutions. La première, la BIRD, a vocation à prêter aux États à revenus intermédiaires et faibles pour renforcer leurs services publics. Elle a été créée en 1944 dans la foulée des accords de Bretton Woods – c'est d'ailleurs à la France qu'elle a accordé son premier prêt, dans des conditions que je vous décrirai un peu plus tard. Cette institution est la plus importante du groupe. Viennent ensuite l'Association internationale de développement (AID), chargée d'octroyer des prêts à des États défavorisés à des taux inférieurs à ceux du marché, la Société financière internationale (SFI), qui prête au secteur privé et aide les entreprises à se développer, ainsi que le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), qui a vocation à régler les litiges entre États emprunteurs et investisseurs privés. Enfin, l'Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI) a pour mission de fournir aux entreprises investissant dans les États défavorisés des garanties contre les risques dits non commerciaux, c'est-à-dire principalement de nature politique, comme les évolutions de normes ou les conflits. Ces cinq filiales sont présidées par la même personne, qui est, depuis juin 2023, M. Ajay Banga.

Comptant 189 États membres, la BIRD regroupe la quasi-totalité des États du monde. Contrairement aux autres institutions multilatérales, notamment celles des Nations Unies, elle ne fonctionne pas selon le principe « un État, une voix ». Son principe est celui de l'actionnariat : le poids du vote est proportionnel à celui du capital détenu. Toute l'organisation repose ainsi sur une hiérarchie qui renforce le poids et les intérêts des États les plus riches.

Puisque les États-Unis détiennent la part de capital la plus importante, la coutume veut le président américain nomme le président de la Banque mondiale ; la présidence du FMI revient, quant à elle, à l'Europe.

L'organe décisionnel est le conseil d'administration, composé de vingt-cinq personnes, qui se réunit plusieurs fois par semaine au siège de la Banque mondiale, à Washington. Les six principaux actionnaires, à savoir les États-Unis, le Japon, la Chine, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France, disposent chacun d'un administrateur. Il en est de même pour la Russie et l'Arabie saoudite. Les autres États membres se partagent les dix-sept sièges restants : organisés par groupe, ils se les répartissent de façon tournante.

Autre inégalité liée à cette organisation : les États-Unis détenant 16,6 % du capital total, ils disposent d'un droit de veto sur toute modification des statuts de la BIRD, qui nécessite de réunir 85 % des voix.

J'en viens au contenu de l'accord. Après m'être rendu au siège de la Banque mondiale et avoir auditionné des fonctionnaires de la direction générale du Trésor et du Quai d'Orsay, j'en suis arrivé à la conclusion que cet accord était nécessaire car il comble un vide juridique.

Jusque-là, les accords entre le groupe de la Banque mondiale et la France étaient lacunaires. L'accord du 9 mai 2022 reprend la philosophie des accords « de siège » classiques, dont nous avons l'habitude : il définit les privilèges et immunités accordés au personnel et au chef du bureau de chacune des organisations, et il acte l'inviolabilité des locaux de ces dernières. Il est également mentionné que le personnel de la Banque mondiale est indépendant du point de vue de la protection sociale et qu'il dispose de ses propres instances de dialogue social pour régler les conflits du travail. Vous vous doutez bien que j'ai vérifié ce dernier point : j'ai tout de même assuré les personnels de ma solidarité en cas de besoin.

C'est évidemment dans la philosophie même de la Banque mondiale que le bât blesse. Depuis bientôt quatre-vingts ans, la Banque mondiale et le FMI veillent scrupuleusement sur la libéralisation de la mondialisation, au risque d'entraîner, par leurs remèdes économiques catastrophiques, certains États dans la misère et la spirale de la dette. Hier soir était diffusé sur la chaîne parlementaire (LCP-AN) un reportage sur la guerre au Mali, dans lequel notre collègue Bruno Fuchs était interviewé : le rôle du FMI et de la Banque mondiale dans les évolutions négatives du Mali y était mis en évidence. De même que la consommation de drogue provoque une certaine addiction, certains États s'habituent à vivre avec les soutiens financiers et prêts bancaires au développement, jusqu'à en devenir totalement dépendants.

Les prêts accordés visent à structurer les économies pour les ouvrir à la mondialisation. Cette politique a pour objectifs, dans bien des cas, de privatiser les services publics, de rendre prioritaire la lutte contre les déficits budgétaires, de libéraliser le commerce extérieur et de déréguler le marché intérieur. Les États qui ont subi ces méthodes sont aujourd'hui exsangues. Regardons au Sahel et en Afrique de l'Ouest : des États aidés sont devenus mono-exportateurs de matières premières, et la libéralisation des marchés fait chanceler les budgets des États à chaque variation de prix. Laurent Gbagbo disait lui-même que les Ivoiriens ne pouvaient pas manger que du cacao tous les jours et qu'il aurait mieux valu développer une agriculture vivrière à même de nourrir le peuple que de produire uniquement du cacao à destination du monde entier. La dette, créée notamment par les prêts de la Banque mondiale, a toujours empêché ces pays de renforcer les services publics comme l'éducation et la santé, les infrastructures ainsi que les services étatiques chargés, par exemple, de la fiscalité. Lorsque le déficit était trop important, c'est le FMI qui prenait en charge l'État en question, sans se préoccuper des conséquences sociales des politiques économiques imposées.

J'ai auditionné Éric Toussaint, porte-parole du comité pour l'abolition des dettes illégitimes et spécialiste de la Banque mondiale, qui a démontré la complémentarité de ces cinq institutions. La BIRD et l'AID prêtent aux États pour privatiser leurs services publics et déréguler leurs marchés ; la SFI finance les multinationales qui s'apprêtent à récupérer les marchés ainsi privatisés et dont les investissements sont assurés et garantis par l'AMGI ; si un État se plaint des politiques publiques mises en œuvre, les différents acteurs peuvent faire appel au CIRDI.

Il est important de comprendre que nous sommes aujourd'hui au seuil d'une très importante crise internationale de la dette. La remontée des taux d'intérêts risque de prendre à la gorge les États défavorisés, dont les dettes sont généralement libellées en devises extérieures, ce qui rend possibles des défauts de paiement. Pas plus tard que le 14 juillet, l'administrateur du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a appelé à une pause dans le remboursement des dettes des États les plus pauvres : « dans les pays très endettés, il y a une corrélation entre haut niveau de dette, dépenses sociales insuffisantes et une hausse alarmante des taux de pauvreté ». Dans un récent rapport de l'ONU, il est également indiqué que 3,3 milliards de personnes, soit la moitié de l'humanité, vivent dans des pays qui dépensent plus en paiement des intérêts de la dette que pour l'éducation ou la santé.

Les effets sociaux et économiques de la pandémie de Covid-19, qui se font encore sentir dans les États pauvres, le conflit en Ukraine, qui rappelle la précarité alimentaire de centaines de millions d'Africains, et les conflits en Afrique, alimentés par la voracité d'entreprises voulant s'octroyer les matières premières, notamment minières, sont très inquiétants dans le contexte de la crise des dettes à venir. À cela s'ajoute le nouvel ordre climatique, qui engendrera des chocs aussi imprévisibles que violents, et qui sera marqué par un manque chronique d'eau et par une baisse potentielle des rendements agricoles. Cette dernière est en outre alimentée par une politique internationale incitant les États à mettre fin à l'agriculture vivrière au profit d'une agriculture exportatrice et au regroupement des terres pour les multinationales de l'agroalimentaire.

Le sommet pour un nouveau pacte financier mondial, organisé à Paris les 22 et 23 juin 2023, a vu les gagnants de la mondialisation esquisser un petit pas vers un changement de politique. Le nouveau président de la Banque mondiale, bien qu'il soit encore américain, encore un homme et encore issu du secteur de la finance, semble susciter plus d'espoir que le précédent, qui était réputé pour son climatoscepticisme.

La Banque mondiale est, comme je l'ai dit poliment dans le rapport, « à la croisée des chemins » – tout comme l'est, finalement, la mondialisation. Les règles économiques sont désuètes et concurrencées par le féroce capitalisme d'État de la Chine qui, comme les États-Unis, utilise tout son poids géopolitique pour parvenir à ses fins. À cela s'ajoute un capitalisme qui n'a jamais créé autant d'inégalités, dont on sait pourtant qu'elles sont sources d'instabilité sociale. Du fait de la crise du multilatéralisme, marquée par la tendance à ne plus vouloir parler à tout le monde mais seulement à ses amis, le système financier international et donc la Banque mondiale ont intérêt à changer très rapidement de braquet pour aller de l'avant en se rapprochant des besoins concrets des peuples et non de ceux de l'économie.

Cette présentation, évidemment plus large que l'objet du projet de loi que nous examinons ce matin, permettra à la Banque mondiale de savoir que nous l'accueillerons à Paris avec bienveillance, car votre rapporteur vous invite à autoriser l'approbation de cet accord, mais que nous serons très vigilants quant à sa capacité à entendre les critiques et à se réformer en conséquence, à l'aube du mandat de son nouveau président.

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L'accord du 9 mai 2022, dont nous sommes appelés à autoriser l'approbation, vise à régler les relations entre la France et plusieurs institutions internationales, ainsi qu'à encadrer juridiquement la présence et le travail du personnel de ces institutions sur le territoire français. Il a pour objet non seulement de sécuriser juridiquement ces relations et cette présence mais aussi de conforter, par l'octroi des immunités et privilèges traditionnellement prévus, le groupe de la Banque mondiale dans son choix de faire de Paris son siège principal en Europe et d'y développer substantiellement ses activités au cours des années à venir. La conclusion de cet accord d'établissement constitue une étape importante pour faciliter la décentralisation d'effectifs de la Banque mondiale à Paris, en offrant les meilleures conditions d'attractivité et en clarifiant l'ensemble des règles, notamment celles relatives aux immunités et privilèges.

Le renforcement des équipes du groupe de la Banque mondiale à Paris, dont les effectifs devraient être portés à 275 agents, contribuera à faire de la France et de sa capitale un centre d'expertise et d'excellence pour le développement et le financement de celui-ci, notamment en matière de finance verte et d'éducation. Pour toutes ces raisons, le groupe Renaissance est favorable à l'adoption de ce projet de loi.

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Je suis heureux – quoique pas vraiment surpris – de constater que le groupe Renaissance suive mes propres préconisations .

(sourires)

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Cet accord entre la France et le groupe de la Banque mondiale est un instrument international classique comme notre pays en conclut régulièrement, dans des termes similaires, avec d'autres organisations internationales.

Pour simplifier, les activités des organisations de la Banque mondiale consistent soit à accorder des prêts à taux avantageux aux gouvernements de pays à faibles revenus, soit à prêter aux entreprises agissant dans ces pays pour y favoriser le développement du secteur privé.

L'accord vise avant tout à conforter le groupe de la Banque mondiale dans son choix d'installer à Paris son principal siège en Europe. Pour ce faire, il octroie des garanties, des immunités et des privilèges aux cinq organisations composant le groupe, ainsi qu'à leur personnel : il s'agit notamment d'une immunité de juridiction pour les organisations, ainsi que d'une exonération d'impôts directs et de droits de douane sur les importations et exportations des biens nécessaires à leurs activités.

La France, qui est l'un des cinq plus gros contributeurs financiers de la Banque mondiale, dispose d'une place de choix au sein de cette institution. Le renforcement de la présence de cette dernière à Paris contribuera à faire de notre pays un centre d'expertise ; il renforcera ainsi son attractivité pour les organisations internationales et sa place comme acteur de la diplomatie.

Pour ces raisons et malgré les nombreuses critiques que nous pouvons émettre quant à l'utilisation des aides au développement, nous voterons en faveur de ce projet de loi. Comme l'indique monsieur le rapporteur, il est important que les choses ne se décident pas ailleurs et sans nous.

J'aimerais simplement poser une question en rapport avec l'actualité qui touche BPI France. Les garanties données en contrepartie des privilèges et immunités accordés aux organisations de la Banque mondiale vous paraissent-elles suffisantes pour prévenir les risques de conflits d'intérêts au sein de ces groupes ?

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Ces garanties sont communes à toutes les organisations internationales : il n'y a pas eu de garantie spécifique offerte au groupe de la Banque mondiale. On observe simplement une évolution dans ce domaine. Les plus anciens d'entre nous se souviennent certainement de Jean-Yves Le Drian, alors ministre de l'Europe et des affaires étrangères, expliquant dans cette salle que la France devait se transformer quelque peu pour accueillir convenablement des institutions internationales. Depuis lors, le Quai d'Orsay a accompli ce travail : c'est ce qui explique que la France a pu mener une négociation correcte avec le groupe de la Banque mondiale. Les administrateurs avec lesquels j'ai discuté à Paris ont considéré que la France n'avait pas exercé de pression particulière et qu'eux-mêmes n'avaient pas exigé davantage que les dispositions accordées habituellement.

Les agents de la Banque mondiale exerçant à Paris sont très heureux de travailler dans notre capitale. Ils se réjouissent que ce « noyau », qui existe depuis très longtemps, se développe, parallèlement au changement de président du groupe. Lors de sa dernière audition devant notre commission, Bruno Le Maire a exprimé le souhait que le nouveau président fasse bouger les choses : c'est un peu l'état d'esprit dans lequel se trouvent les équipes de la Banque mondiale.

Bien que l'institution paraisse fermée de l'extérieur, les personnels sont assez ouverts et très accueillants : n'hésitez pas à aller les voir ! Certes, je ne suis pas toujours d'accord avec eux. Ils sont très optimistes et pensent qu'ils font très bien leur travail mais l'institution reste une banque – elle porte très bien son nom – et ses agents ont une mentalité de banquiers : ils veulent que leur activité rapporte. On ne prête qu'aux riches : en tout cas, à ceux qui sont capables de rembourser. On peut donc mettre quelques bémols à l'idée selon laquelle la Banque mondiale favorise le développement.

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C'est donc à Paris que la Banque mondiale recentrera une grande partie de son activité en Europe. Sur la forme, nous pensons comme vous qu'il s'agit d'un choix bienvenu. Sur le fond, la question est plus sensible. Si l'on étudie les activités de la Banque mondiale comme vous l'avez fait, monsieur le rapporteur, on s'aperçoit que cette institution est l'un des bras armés des politiques néolibérales issues du consensus de Washington.

Pour résumer, aux yeux de la Banque mondiale, le problème est quasi systématiquement dans la dépense publique et les services publics. Dans son ouvrage La Grande Désillusion, Joseph Stiglitz démontre que les politiques néolibérales menées dans les années 1990 par le FMI et la Banque mondiale ont participé à l'aggravation de la situation de nombreux pays du Sud et entraîné des crises sociales. Pire, ces pays n'ont pratiquement pas voix au chapitre, puisque le principe démocratique et juste « un pays, une voix » ne s'applique pas. Du reste, vous l'avez rappelé, le président de la Banque mondiale est presque systématiquement américain. Ainsi, les plus riches décident de facto pour les milliards de personnes qui sont et seront en première ligne des grandes crises économiques et écologiques.

Les efforts de la Banque mondiale pour une meilleure prise en compte des pays du Sud nous paraissent trop timides alors qu'un changement radical s'impose. Le sommet pour un nouveau pacte financier mondial organisé il y a trois semaines n'a pas abordé frontalement la réforme de l'institution.

Cela dit, comme vous l'avez souligné, le recentrage de l'activité de la Banque mondiale à Paris permettra sans doute un dialogue plus soutenu avec les acteurs du développement présents dans la capitale française. Encore faut-il que le Gouvernement adopte une vraie stratégie d'aide publique au développement, alors que la réunion du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) a été une nouvelle fois reportée à une date indéterminée.

Dans la mesure où cet accord a pour but principal d'aligner les dispositions statutaires relatives à la Banque mondiale sur celles qui s'appliquent à l'ensemble des organisations multilatérales présentes sur notre sol, nous voterons pour le projet de loi.

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Ce qui aurait été étonnant, au vu des mauvaises habitudes prises, c'est que le CICID ne soit pas reporté. Cette décision ne nous a pas surpris outre mesure.

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Je partage entièrement l'analyse de Nadège Abomangoli, qui complète mes propos. Il faut revoir totalement notre approche du financement du développement de l'Afrique, par exemple. Un fameux adage dit qu'il vaut mieux apprendre à pêcher que donner du poisson ; cela fait trente ans que l'on veut l'appliquer à l'Afrique mais à l'heure où l'on souhaite réindustrialiser la France au nom de la souveraineté, parle-t-on d'industrialiser l'Afrique pour la même raison ? Quand donnera-t-on à l'Afrique les moyens d'être totalement souveraine, autonome et de nourrir elle-même ses habitants ?

Pendant des décennies, on s'est appliqué à soumettre les États africains aux besoins des États occidentaux. Il faut mettre un terme à cette logique. La question climatique contribuera à changer notre regard sur les aides et le développement des États africains. J'espère que le rapport sur les relations entre la France et l'Afrique que nous présenteront à l'automne nos collègues Bruno Fuchs et Michèle Tabarot nous apportera des compléments d'information. Il serait intéressant que nous participions au CICID, forts de notre analyse de parlementaires.

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Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet depuis six ans. Ce genre d'accord nous aide et nous avons beaucoup progressé en la matière. Le rôle du Parlement est important : vous avez rappelé qu'un certain nombre de débats ayant commencé dans cette salle ont fait bouger les lignes. Le groupe Démocrate votera évidemment en faveur de ce texte.

Je suis plutôt d'accord avec votre analyse de la transformation et de l'impasse dans laquelle se trouvent les institutions créées à Bretton Woods. Il faut cependant être précis : la Banque mondiale n'a pas été fondée pour faire du développement mais pour faire des opérations de banque avec 189 pays – si j'ai bonne mémoire, le premier bénéficiaire a été la France –, ce qui l'a effectivement entraînée dans des impasses.

À mon sens, les évolutions observées ces dernières années et la décision de nommer un nouveau président ont été au moins influencées – pour ne pas dire plus – par l'apparition d'une deuxième catégorie de banques, les banques de développement, agissant notamment dans le cadre de projets à financeurs multiples. Ces nouvelles banques ont incité les institutions guidées par une conception classique des instruments financiers – on ne prête qu'à ceux qui seront capables de rembourser – à réfléchir sur les raisons du prêt, et non uniquement sur les modalités de celui-ci. L'ensemble des banques publiques de développement, récemment réunies au sein du réseau Finance en commun, nous le disent. Nadège Abomangoli et moi-même siégeons au conseil d'administration de l'Agence française de développement (AFD), qui est aussi une banque et qui nous parle de ces évolutions : les critères que nous avons définis dans la loi du 4 août 2021 pour transformer les outils de financement en outils de développement contribuent à faire évoluer, petit à petit, les institutions de Bretton Woods.

Vous avez évoqué le dialogue social au sein des organisations de la Banque mondiale. J'appelle votre attention sur le fait que, dans ces institutions où des personnes d'environ vingt-huit nationalités différentes travaillent ensemble, un service de médiation s'ajoute très souvent aux instances habituelles du dialogue social. Les services de ce genre sont très anciens : le premier a été créé à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), je crois, dans les années 2010.

Enfin, je ne trouve pas incongru que l'on nomme un banquier à la tête d'une banque.

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Effectivement, ce n'est pas incongru mais cela dépend du banquier… Lors de son audition, Éric Toussaint, qui se montre très critique vis-à-vis de la Banque mondiale, nous a expliqué qu'Ajay Banga était l'ancien président-directeur général de Mastercard, ce qui suscitait un conflit d'intérêts. Le risque est que le nouveau président utilise la Banque mondiale pour favoriser son ancienne société financière et qu'il conditionne le soutien accordé à des pays à la conclusion de contrats avec Mastercard.

Les prêts accordés par la Banque mondiale s'appuient souvent sur les orientations du Club de Paris, dont on a vu toute l'importance lors du sommet des 22 et 23 juin.

C'est effectivement à la France que la BIRD a octroyé son premier prêt, à la condition que les ministres communistes quittent le gouvernement. Cette pratique a continué pour bien des États : les prêts étaient soumis à certaines conditions, qui pouvaient être par exemple la privatisation de services publics. J'ai dit à tous mes interlocuteurs que cela était insupportable et que la Banque mondiale devait évoluer sur ce point. On ne peut pas obliger les États à remplir de telles conditions politiques !

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Si nous commençons à examiner les conditions dans lesquelles le président Ramadier a mis un terme à la participation de ministres communistes au gouvernement, nous ouvrirons un grand dossier qui dépasse nos compétences et n'est pas compatible avec notre emploi du temps.

J'aimerais exprimer une petite réserve s'agissant des propos de notre collègue Frédéric Petit. Je ne sais pas ce qu'une banque de reconstruction et de développement – qui est publique, puisqu'elle est formée d'un certain nombre d'États – peut faire d'autre que financer des actions de développement, dès lors qu'elle respecte sa vocation. Je ne dis pas que la Banque mondiale atteint toujours cet objectif mais je ne veux pas ouvrir le débat à ce sujet.

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L'activité du groupe de la Banque mondiale doit être analysée à la lumière des enjeux sociaux, économiques et climatiques actuels. On ne peut pas se satisfaire d'accords qui ont été rédigés au sortir de la deuxième guerre mondiale dans le contexte économique et idéologique et le rapport de forces de l'époque. Il faudra trouver de nouvelles règles pour régir les rapports entre les peuples, les États et les groupes de pays.

Il faut reconnaître les efforts réalisés par la Banque mondiale, comme notre rapporteur l'a très honnêtement fait. Elle a évolué, fort heureusement, en ouvrant une focale sur le développement des pays africains, même s'il y a énormément à redire en la matière, et en s'engageant en matière climatique, ce que traduit l'augmentation du montant global de ses financements pour les politiques en faveur de la transition énergétique, à travers la BIRD et l'AID.

Il faut souhaiter que le renforcement de l'implantation de la Banque mondiale à Paris permette d'alimenter le dialogue et de réorienter, autant que possible, ses activités. Vous avez parlé de la vigilance à exercer sur les questions environnementales et sociales mais il faudra aussi remettre sur la table la gouvernance. Il est insupportable qu'à presque 1 milliard d'habitants de la planète, notamment dans la zone sahélienne, ne corresponde qu'un peu moins de 4 % des voix au sein de la Banque mondiale.

Malgré toutes ces limites, nous voterons en faveur de l'autorisation de cet accord du 9 mai 2022.

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Ce qui est étonnant, c'est l'espoir suscité par le nouveau président de la Banque mondiale, un Américain d'origine indienne. Ceux qui ont envie que cette institution bouge se disent que le moment est peut-être venu : un nouveau contexte commence à s'imposer, même à un Américain, et on se met à réfléchir…

Ce que l'on n'a pas réussi à faire au cours des dernières décennies en matière politique ou économique, les enjeux climatiques obligeront peut-être la Banque mondiale à s'en occuper, en changeant de regard et en s'engageant dans une approche démocratique, qui consiste à s'appuyer sur les peuples et pas seulement sur les dirigeants. L'idée qu'il faut l'approbation des gens, revenue à plusieurs reprises dans les auditions, correspond à une approche nouvelle du côté de la Banque mondiale. Si telle est l'évolution qui va se produire, cela peut être intéressant. Ce changement s'impose chez nous, à la Banque mondiale et partout dans le monde.

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Le groupe Horizons se félicite de l'installation à Paris du principal siège européen du groupe de la Banque mondiale.

Les partenariats entre cette institution et la France revêtent une importance majeure. La France est le cinquième bailleur de fonds de développement au niveau international et le groupe de la Banque mondiale est le deuxième partenaire financier de l'Agence française de développement, après les institutions européennes. Mon groupe soutient l'action de la Banque mondiale, dont les programmes sont incontournables, notamment dans la lutte contre le changement climatique, la promotion de la paix et de la sécurité, ainsi qu'en matière de bonne gouvernance.

L'accord d'établissement qui nous est soumis contribuera au rayonnement européen et international de la France. Il clarifie les bénéfices concrets pour les 275 personnes qui travailleront au quotidien dans les bureaux français. La décentralisation des personnels du groupe sera facilitée par la clarification des conditions d'accueil, des privilèges et des indemnités dont ils jouissent, selon leurs fonctions. Le groupe Horizons votera donc en faveur du projet de loi autorisant l'approbation de cet accord.

Monsieur le rapporteur, vous êtes allé au-delà du texte, en nous livrant votre appréciation de l'action menée par la Banque mondiale. Vous insistez, notamment, dans votre rapport sur son inspiration néolibérale : vous abordez ainsi le consensus de Washington et la rigueur budgétaire imposée aux États bénéficiant des aides couplées de la Banque mondiale et du FMI, ce qui a certes pu contribuer à la crise de la dette subie par certains pays en développement dans les années 1980 et 1990 mais vous n'évoquez pas la lutte contre la corruption, qui est pourtant une condition essentielle de l'effectivité de l'aide au développement.

Le combat contre la corruption passe par un renforcement des institutions et, souvent, par des réformes visant à préserver une relative indépendance des acteurs – entreprises et associations – qui participent au développement, ainsi que la viabilité du système économique des pays endettés. Ne doit-on pas continuer à agir pour que les aides apportées soient aussi efficaces que possible, en encourageant les pays bénéficiaires à assainir leurs finances publiques et à protéger la propriété privée et la liberté d'entreprendre ?

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Cette question n'est pas traitée dans mon rapport, en effet, car c'est sur la Banque mondiale que j'ai travaillé et celle-ci n'organise pas la corruption. J'ai pu l'accuser de beaucoup de maux, mais tout de même pas de celui-là !

Je reviens au reportage que j'ai cité : la Banque mondiale connaît la corruption dans certains pays et elle en mesure le niveau, avec le FMI. Faut-il, parce qu'il existe de la corruption, ne pas aider les peuples, ou au contraire continuer à le faire tout en luttant contre ce phénomène ? Cela ne peut pas être à la Banque mondiale de s'en charger. En Afrique, par exemple, les relations d'État à État pourraient souvent permettre d'aider à lutter contre la corruption : on pourrait dire qu'on ne vend pas d'armes à tel pays et qu'on ne lui apportera pas de soutien financier en raison de l'ampleur de la corruption. La Banque mondiale, quant à elle, essaie de financer des projets de développement – même si ce n'est pas une banque de développement – sur la base de certaines valeurs.

Je suis convaincu que la corruption existe dans bien des pays auxquels la Banque mondiale a consenti des prêts mais ce n'est pas le cœur du sujet qui nous intéresse aujourd'hui et, comme je n'ai vraiment pas été tendre avec cette institution, je n'allais pas mettre l'accent sur cela.

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En revanche, puisque vous avez fait allusion à des États qui prêtent de l'argent, vous auriez pu dire que l'attention à la corruption est beaucoup moins forte chez certains prêteurs.

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J'ai fait référence à des pays qui prêtent de l'argent sans complaisance.

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Vous avez évoqué des États que vous jugez sans complaisance mais qui me paraissent, à moi, assez complaisants. Je pense à l'action de la Chine au Zimbabwe, par exemple.

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Je n'ai pas été complaisant à l'égard du capitalisme d'État chinois et je n'ai pas parlé des financements russes.

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Je partage les constats formulés par le rapporteur quant à l'inspiration néolibérale de la politique de la Banque mondiale et à sa gouvernance.

En tant que députée de la Polynésie française, je soutiens l'idée qu'il faut une meilleure prise en compte de la voix des pays du Sud. Ils sont, comme les outre-mer français, les territoires les plus endettés et les premiers touchés par les conséquences du changement climatique. Cette situation favorise les dissensions idéologiques avec l'Occident. Certains pays du Sud, nous le savons tous, sont allés jusqu'à prendre parti pour la Russie dans le cadre du conflit avec l'Ukraine et ils seront également poussés à se détourner des programmes de la Banque mondiale, pour accepter de plus en plus de financements chinois ou russes.

Le choix de Paris, c'est-à-dire d'une ancienne puissance coloniale qui maintient des liens forts avec les États africains aujourd'hui indépendants, comme siège principal en Europe de la Banque mondiale n'est pas anodin et mérite d'être salué.

Afin d'aller vers un système financier international plus juste, des réformes sont envisagées. Les droits de tirage spéciaux (DTS) sont des actifs de réserve internationaux, créés par le FMI, qui permettent de fournir indirectement des devises aux pays membres sans créer de dette supplémentaire mais ce système est imparfait : il conduit à des déséquilibres, les pays riches en étant paradoxalement les premiers bénéficiaires. Les débats actuels portent surtout sur des solutions techniques permettant aux pays ayant reçu des DTS en surplus de les réallouer aux pays qui en ont le plus besoin. La France s'est ainsi engagée à réallouer 20 % de ses DTS aux économies africaines et elle incite les autres États membres de l'Union européenne à faire de même. D'autres solutions sont envisagées, comme la réallocation de DTS aux banques multilatérales de développement ou encore la création de nouveaux organismes, à l'image du Fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité, qui vise à soutenir les États les plus pauvres face au changement climatique et aux pandémies.

Pensez-vous, monsieur le rapporteur, que l'allocation et la réallocation de DTS soient des mesures suffisantes pour permettre aux États pauvres de sortir de la crise de la dette ? Êtes-vous partisan de la création de fonds tels que celui que j'ai cité ou d'une réallocation des moyens au plus près des besoins, en passant par les banques multilatérales de développement ?

S'agissant du projet de loi, nous suivrons, bien sûr, votre avis.

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Une réforme du financement mondial est nécessaire car la situation actuelle ne peut pas durer.

La Banque mondiale a longtemps été le seul acteur mais les financements chinois et russes ou ceux d'autres pays exercent maintenant une vraie concurrence. Par ailleurs, le dollar n'est plus la monnaie omniprésente.

Les DTS pourraient aussi être une monnaie et jouer un rôle. Dans le mode de fonctionnement actuel, l'argent va aux pays les plus riches : ce sont eux qui ont le plus de DTS à leur disposition. L'idée d'une redistribution est donc plutôt bonne. Il faut donner des DTS là où les besoins existent mais cela ne suffira pas. La Banque mondiale le dit et Roland Lescure l'a souligné aussi, s'agissant de la France : il ne suffit pas de décréter la réindustrialisation – ou ailleurs l'industrialisation –, encore faut-il avoir des investisseurs. C'est vrai en France, alors imaginez ce qu'il en est en Afrique, notamment.

Il faut inventer un financement et un dispositif permettant, en cas de défaut d'investisseurs privés, d'imaginer des investissements publics. La Banque mondiale ne l'acceptait pas à l'origine mais il va falloir travailler là-dessus. Nous devons accompagner de grandes entreprises publiques, soutenues par des États, comme la régie autonome des transports parisiens (RATP) ou électricité de France (EDF). On ne pourra pas régler le problème en raisonnant uniquement en termes de montants : il faut aussi développer une autre approche.

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Le choix de la Banque mondiale de recentrer ses activités à Paris me paraît une très bonne chose. Tout ce qui contribue au rayonnement et à l'attractivité de notre pays est une bonne nouvelle.

Par ailleurs, les institutions de Bretton Woods, issues de la seconde guerre mondiale, doivent vraiment se réformer : l'actualité le montre bien. Elles doivent changer de braquet et surtout prendre des risques. Il faut adopter une autre mentalité et cesser de travailler chacun dans son coin si l'on veut vraiment être efficaces dans la lutte contre la pauvreté et parvenir à répondre au défi du changement climatique, qui a des conséquences multiples au niveau international. Je me réjouis qu'on y travaille à Paris. Nous pourrons ainsi prendre toute notre part dans ce changement.

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Il y a aussi tout un côté pratique derrière le renforcement de l'installation de la Banque mondiale à Paris ; cela permettra de faciliter son travail. En effet, il est plus compliqué d'aller en Afrique depuis Washington que depuis Paris.

Je ne suis pas sûr, en revanche, que le lien entre la France et certains pays africains soit un atout ; cela peut être, au contraire, un handicap. On le voit en ce moment vis-à-vis du Mali ou du Burkina Faso. Ce n'est pas forcément sur cet aspect que la Banque mondiale compte s'appuyer en développant ses activités à Paris mais plutôt sur la dimension technique et pratique. Le seul aspect politique intéressant est que la France peut, on l'a vu les 22 et 23 juin, prendre des initiatives mais pas nécessairement en s'appuyant sur son histoire, qui peut être controversée dans certains pays africains.

J'ai pu auditionner, alors même que le projet de loi a été adopté par le Conseil des ministres il y a seulement une quinzaine de jours, Éric Toussaint, qui a écrit des livres que je vous invite vraiment à lire, fût-ce d'un œil critique – je n'ai pas fait dans mon rapport un plaidoyer pour ou contre la Banque mondiale, car ce n'était pas l'objet –, Laurence Boisson de Chazournes, professeure de droit international à Genève, qui a été conseillère principale à la Banque mondiale pendant quatre ans et avec qui l'échange a été d'une richesse incroyable, parce qu'elle connaît les choses de l'intérieur, ainsi que des gens de Bercy et du Quai d'Orsay. J'ai trouvé que mes interlocuteurs étaient ouverts à toutes les critiques : je n'ai pas été tendre, en effet. J'avais d'ailleurs prévenu les responsables de la Banque mondiale que je serais intransigeant avec eux. La préparation du rapport m'a obligé à regarder la situation d'une manière un peu plus affûtée, plutôt qu'en fonction de ma propre histoire politique.

On peut être critique – étant communiste, je combats le libéralisme en tant que système et donc la philosophie de la Banque mondiale –, mais il faut bien mesurer que celle-ci évolue, qu'elle essaie de trouver un chemin pour avancer. Certains libéraux s'efforcent de trouver des moyens pour améliorer la vie des gens, pour construire une autre société et pour qu'on fasse attention à l'état de la planète.

En tout cas, la Banque mondiale sera davantage à Paris et nous pourrons avoir l'œil sur elle.

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Je remercie notre rapporteur pour ses dernières remarques et notre président pour sa vigilance. Je me suis laissé emporter et je fais amende honorable : les banques multilatérales de développement font du développement mais toutes ne luttent pas – pour reprendre le titre de la loi du 4 août 2021 – contre les inégalités mondiales. Il faut appeler un chat un chat : le développement n'est pas la lutte contre ces inégalités. Il existe un développement neutre à cet égard et des outils spécifiques pour lutter contre les inégalités mondiales.

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Nos échanges montrent qu'il existe entre le rapporteur, l'ensemble des groupes et moi-même une totale convergence sur l'intérêt d'une mobilisation des forces du groupe de la Banque mondiale à Paris.

Le rapporteur a évoqué les aspects techniques ou pratiques, ce qui ne m'a pas étonné, car la philosophie politique qui l'inspire a toujours été très attentive au poids des infrastructures dans le développement des sociétés. En l'occurrence, les infrastructures plaident plus que l'idéologie pour baser la Banque mondiale en France. Nous restons une plaque tournante essentielle à l'égard de l'Afrique mais aussi de l'Europe de l'Est et du Moyen-Orient. Si nous sommes la cible de beaucoup d'agressions, nous sommes en même temps le foyer de beaucoup de progrès potentiels.

Notre rapporteur a développé avec talent les critiques qu'il souhaitait faire mais je tiens à attirer l'attention sur la complexité de ces questions sur le plan idéologique.

Tout d'abord, j'aimerais qu'on m'explique un jour la différence entre le néolibéralisme et le libéralisme tout court. J'ai étudié Jean-Baptiste Say et Milton Friedman : je n'ai pas vu de divergences idéologiques très profondes entre eux. Parler de néolibéralisme n'est qu'un tic verbal.

Ensuite, le contexte dans lequel la Banque mondiale s'est insérée a connu des évolutions sur le plan idéologique.

Ce qui caractérisait les années 1950, c'était en premier lieu la confiance, partagée par la Banque mondiale, dans la libéralisation des échanges, que vous avez critiquée. Je comprends qu'on le fasse à propos de la monoculture, comme celle du cacao, mais on ne produit pas de cacao en Sibérie et il est assez normal que le chocolat que nous consommons soit issu de la Côte d'Ivoire. D'autre part, la libéralisation des échanges a été une réponse très profonde des sociétés démocratiques occidentales aux pratiques autarciques des années 1930 qui ont conduit à la guerre. Enfin, Mme Esther Duflo a expliqué ici même, il y a quelques semaines, que cela avait permis au bout du compte une réduction des inégalités de développement et de la pauvreté. On peut d'ailleurs se demander si la rechute très forte sur ce dernier plan n'est pas aussi une conséquence, directe ou indirecte, de la fragmentation politique et économique du monde. La question que vous avez très légitimement posée, monsieur le rapporteur, mérite donc de faire l'objet de réflexions complémentaires.

Le deuxième principe au cœur des années 1950 était l'économie keynésienne, c'est-à-dire l'idée que le développement permettait de produire des ressources, notamment budgétaires, grâce auxquelles on pourrait atteindre un équilibre ultérieur. C'est ce que Paul Samuelson enseignait, avec d'autres. Des évolutions assez profondes ont suivi en la matière, moins du côté de la Banque mondiale que du FMI. En effet, même si le consensus de Washington était largement partagé, il y avait vraiment une différence d'approches entre ces deux organismes. Le FMI a eu tendance à pratiquer, jusqu'à l'arrivée de M. Blanchard et de Mme Lagarde, une politique qu'on pourrait qualifier d'un peu « bête et méchante ». En particulier, je vous suis volontiers en ce qui concerne l'illusion que la privatisation des services publics apportait en soi un bénéfice absolu. En réalité, les problèmes de sous-développement des services publics vont bien au-delà du fait qu'ils sont un peu corrompus par des bureaucraties abusives. Il faut adopter une approche relativement nuancée et il reste encore beaucoup de travail à mener pour trouver la juste voie qu'il faudrait suivre.

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Vous avez raison en ce qui concerne la distinction entre libéralisme et néolibéralisme. Il vaut mieux parler de capitalisme : quelle qu'en soit la forme, c'est lui le problème.

Je ne suis pas loin de partager l'idée qu'il faut bien différencier le rôle de la Banque mondiale et celui du FMI, historiquement néfaste. S'il décide lui aussi d'augmenter ses effectifs à Paris, nous aurons l'occasion d'en reparler.

*

Article unique (autorisation de l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, l'Association internationale de développement, la Société financière internationale, l'Agence multilatérale de garantie des investissements, et le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, signé à Paris le 9 mai 2022)

La commission adopte l'article unique non modifié.

L'ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

Informations relatives à la commission

En clôture de sa réunion, la commission désigne :

- M. Michel Herbillon et M. Nicolas Metzdorf, co - rapporteurs d'information sur les enjeux et la place de la France dans l'Indopacifique ;

- M. Jean-Paul Lecoq et Mme Laurence Vichnievsky, co - rapporteurs d'information sur la crise de l'Organisation des Nations Unies et les perspectives de réforme.

La séance est levée à 10 h 00

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Damien Abad, Mme Nadège Abomangoli, Mme Chantal Bouloux, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, M. Thibaut François, M. Guillaume Garot, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, Mme Olga Givernet, M. Philippe Guillemard, Mme Marine Hamelet, Mme Brigitte Klinkert, Mme Stéphanie Kochert, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Emmanuelle Ménard, M. Frédéric Petit, M. Jean-François Portarrieu, M. Adrien Quatennens, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Laurence Robert-Dehault, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, M. Lionel Vuibert, M. Christopher Weissberg, M. Frédéric Zgainski

Excusés. - Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, Mme Julie Delpech, M. Olivier Faure, M. Michel Guiniot, M. Meyer Habib, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Élise Leboucher, M. Laurent Marcangeli, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Barbara Pompili, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Laurence Vichnievsky, M. Éric Woerth, Mme Estelle Youssouffa