Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du jeudi 6 septembre 2018 à 10h20

Résumé de la réunion

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  • filiation
  • hétérosexuel
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  • naissance
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  • parent
  • procréation

La réunion

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Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Jeudi 6 septembre 2018

Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition de Mme Anne-Marie Leroyer, professeure des universités

L'audition débute à dix heures vingt-cinq.

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Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous accueillons maintenant Mme Anne-Marie Leroyer.

Madame, nous vous remercions d'avoir bien voulu accepter de venir échanger avec nous. Vous êtes professeure de droit privé à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne et vous avez également contribué, en tant que rapporteure, à la mission « Filiation, origines, parentalité. »

Vous avez écrit plusieurs ouvrages, notamment sur le droit de la famille, des articles sur le droit de la filiation, le don de gamètes, etc. Votre implication dans les questions relatives à la famille et à la procréation mérite que notre mission soit éclairée.

Je vous donne maintenant la parole pour un court exposé, qui se poursuivra par un échange de questions et de réponses.

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Anne-Marie Leroyer

Monsieur le président, je suis très heureuse et honorée d'être auditionnée aujourd'hui par cette mission d'information. La révision des lois de bioéthique est évidemment un vaste champ de réflexion. Je voudrais, en tant que juriste et en tant que civiliste, m'arrêter plus spécialement sur des questions de droit, et en particulier de filiation.

De multiples questions sont en chantier, comme l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation ou l'établissement de la filiation des enfants nés par gestation pour autrui. Je voudrais les aborder devant vous aujourd'hui.

Sur l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP), vous avez déjà dû entendre nombre d'arguments, dans un sens et dans un autre. Nous pourrons y revenir lors de la discussion si vous le souhaitez, mais ce n'est pas sur le principe même de l'ouverture que je voudrais appeler votre attention. Je voudrais plutôt vous entretenir des conséquences relatives à l'établissement de la filiation et à l'accès aux origines personnelles, deux questions qui reviennent dans le débat et qui, à mon avis, conditionnent fortement la question même de l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation, en particulier aux couples de femmes et aux femmes célibataires.

On sait que l'établissement de la filiation a été précisé en 1994, dans le cadre de l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation à des couples hétérosexuels vivants, en âge de procréer. Lors des débats, on s'est demandé si l'on allait établir la filiation des enfants ainsi nés de manière spécifique, notamment lorsqu'ils étaient nés d'un don, ou si l'on allait s'appuyer sur les principes existants d'établissement de la filiation – distinction des couples mariés et non mariés ; établissement de la filiation maternelle par l'accouchement ; présomption de paternité pour le père marié ; reconnaissance pour le père non marié – ce qui revenait à inscrire l'assistance médicale à la procréation dans le cadre d'une procréation ressemblant à la procréation charnelle.

On s'est donc posé la question de savoir comment établir la filiation des enfants nés d'un don. Et le principe qui fut discuté au cours des travaux préparatoires de la loi de 1994 était qu'il ne fallait pas trahir le secret.

Le secret a été au coeur de toutes les règles juridiques posées en matière d'assistance médicale à la procréation avec don. Le secret du mode de conception visait à protéger le secret de la stérilité et, en l'occurrence, à l'époque, de la stérilité du père. Tout le système, qu'il soit juridique – conditions d'accès, établissement de la filiation – ou médical, a été orienté vers l'idée que le secret n'appartient qu'aux parents et que c'est à eux de dire éventuellement à l'enfant comment il a été conçu et s'il a été conçu grâce à un don. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la médecine a accompagné le mouvement juridique. Je vous rappelle que dans le mécanisme d'appariement des donneurs et des receveurs, on va jusqu'à vérifier la compatibilité des groupes sanguins.

Le dispositif institué en 1994 était très audacieux, mais très respectueux du secret. Le raisonnement était le suivant : peu importe que l'enfant soit né d'un don, l'homme marié sera le père par présomption de paternité, comme dans une procréation charnelle, et l'homme qui n'est pas marié devra reconnaître son enfant. N'oublions pas qu'en droit, la reconnaissance est fondée sur l'idée que l'homme qui reconnaît l'enfant est son père biologique.

Tous les mécanismes qui ont été mis en place faisaient fi de l'absence de lien biologique du père avec l'enfant, ce que personne, à l'époque, n'aurait contesté. Cela paraissait normal puisqu'il s'agissait là d'un secret, que les familles pouvaient ou non révéler elles-mêmes à l'enfant. Vu sous cet angle, comment contester un tel principe ? D'ailleurs, encore aujourd'hui, les médecins insistent sur la nécessité de l'appariement. Ils considèrent que ce n'est pas à eux de révéler l'existence d'un don lorsqu'ils prêtent leur concours à une procréation médicalement assistée (PMA). Or le défaut d'appariement permettrait à l'enfant de savoir qu'il n'est pas issu biologiquement de ses deux parents.

L'établissement de la filiation, et même de l'accès aux origines personnelles, a donc été fondé sur l'idée du secret. C'est très important pour connaître toute la philosophie de nos méthodes d'assistance médicale à la procréation, et des conséquences juridiques d'ouverture et d'établissement de la filiation aujourd'hui. Cette philosophie repose sur le respect du secret, et de la parole des parents auprès de l'enfant : ce serait un choix personnel, singulier, sur lequel l'État n'aurait pas de contrôle.

Comme vous le savez, lors de la révision des lois de bioéthique en 2011, le débat a été relancé, en particulier sur le point de savoir si l'on pouvait commencer à ouvrir la question de l'accès aux origines personnelles. La réponse a été à nouveau négative, l'idée demeurant que la stérilité du père n'avait pas à être révélée d'une manière ou d'une autre.

Aujourd'hui, la question de l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes ou aux femmes célibataires relance le débat du secret. Tout le monde pense que si un enfant a deux mères, le mode de conception est de notoriété publique, y compris pour l'enfant. Et par répercussion, on s'interroge alors sur les conséquences de cette ouverture, du mode d'établissement de la filiation et éventuellement d'un principe d'accès aux origines personnelles sur le couple hétérosexuel comme sur l'état du droit existant.

Deux voies se sont ouvertes dans la doctrine pour essayer de trouver des solutions, dès lors que l'on ne s'interroge plus sur le principe même de l'ouverture de l'assistance médiale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes célibataires.

La première voie consisterait à mettre en place deux systèmes différents. Cela peut en rassurer certains, qui se diront ainsi que tout ne va pas être bouleversé.

Pour les couples hétérosexuels, le système actuel demeurerait, sans que soient modifiées les modalités d'établissement de la filiation. On réfléchira ultérieurement sur l'accès aux origines personnelles dans la mesure où l'on considère que c'est toujours un secret de famille ; ainsi, l'enfant peut savoir comment il a été conçu, mais il ne peut pas encore connaître l'identité de son donneur.

Pour les couples homosexuels et les femmes célibataires, serait en revanche définie une voie singulière, spécifique d'établissement de la filiation. Dans cette perspective, diverses propositions ont été faites.

Dans le cadre d'un couple de femmes, par exemple, la femme qui accouche serait classiquement la mère de l'enfant, désignée dans l'acte de naissance comme celle ayant accouché ; l'autre femme pourrait adopter l'enfant par une adoption simple ou le reconnaitre. Si elle est mariée, on pourrait créer une « présomption de maternité » comme c'est le cas dans un certain nombre de droits comme le droit canadien. Bref, les solutions sont multiples.

La difficulté d'une telle approche est qu'elle amène à créer des modalités d'établissement de la filiation différentes suivant l'orientation sexuelle des parents. Or si l'on est dans l'idée qu'il doit y avoir égalité entre les parents quelle que soit leur orientation sexuelle, la question de l'établissement de la filiation ne saurait se poser en des termes différents selon l'orientation sexuelle des parents. Dès lors, une deuxième voie a été proposée et soumise à la réflexion.

Cette seconde voie part de l'idée que l'on ne doit pas instituer des modalités d'établissement de la filiation différentes selon que les couples sont hétérosexuels ou homosexuels. Il y aurait d'ailleurs là discrimination en fonction de l'orientation sexuelle des parents. Comment faire ?

Doit-on distinguer selon que le couple est marié ou qu'il ne l'est pas ? Cette question se pose quelle que soit l'orientation sexuelle des futurs parents. Là encore, deux solutions sont possibles : on distingue, ou on ne distingue pas.

La faveur accordée au mariage qu'est la « présomption de paternité », n'a guère de sens dans l'assistance médicale à la procréation – elle pourrait y être une « présomption de maternité » ; en effet, quel que soit l'engagement préalable des parents, mariage ou non mariage, il existe à l'origine la même intention d'avoir des enfants.

Pour autant certains droits ont adopté une solution qui consiste à traiter de la même manière les parents, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels, et à distinguer, en revanche, selon qu'ils sont mariés ou qu'ils ne le sont pas : s'ils sont mariés, la femme qui accouche est la mère de l'enfant, et le conjoint est réputé être l'autre parent de l'enfant par présomption. C'est admis dans un certain nombre de droits. Donc, on crée toujours une faveur au mariage. Et pour les parents qui ne sont pas mariés, la femme qui accouche est la mère de l'enfant ; le père reconnaît l'enfant ; l'autre mère reconnaît l'enfant. C'est une solution possible. C'est une manière de continuer à distinguer, pour l'assistance médicale à la procréation, entre le mariage et l'absence de mariage. Cela peut paraître aujourd'hui curieux, compte tenu de l'engagement des parents dans les deux cas.

Certains auteurs vont au-delà, considérant qu'il n'y aurait pas lieu, pour l'accès à l'assistance médicale à la procréation, de distinguer selon que les parents sont mariés ou non, l'engagement des parents étant le même dans les deux cas – et c'est d'ailleurs pourquoi on a supprimé, pour le couple non marié, la condition de délai, qui était censée être une confirmation de la solidité de leur engagement dans cette hypothèse. Mais alors, quelle solution proposer ?

Avec Mme Irène Théry, nous avons beaucoup réfléchi à cette question dans le cadre de notre groupe de travail. Et nous avons pensé qu'en réalité, il ne fallait pas distinguer, à l'évidence, selon l'orientation sexuelle des parents, ni distinguer selon que les parents sont mariés ou qu'ils ne sont pas mariés. En conséquence, nous avons considéré que les deux parents, quel que soit leur sexe, quel que soit leur statut matrimonial, devraient formaliser leur engagement d'avoir l'enfant par un acte de volonté. C'est la volonté qui ferait la filiation dans l'assistance médicale à la procréation, en particulier avec don.

Il s'agissait donc de trouver un cadre juridique à cette volonté. Un cadre juridique existe déjà aujourd'hui pour l'adoption et la reconnaissance, ou encore, si l'on veut, pour la possession d'état. En l'occurrence, il nous a semblé qu'utiliser l'adoption dans cette hypothèse constituerait – et j'en reparlerai pour la gestation pour autrui – un détournement de la procédure et de la philosophie de l'adoption classique qu'il est important de maintenir, à savoir : trouver une famille à un enfant qui n'en a pas.

Nous nous sommes donc demandé si l'on pouvait mettre en place une forme de reconnaissance anticipée. C'est ce sur quoi nous nous sommes accordés dans ce groupe de travail. Nous n'avons pas appelé le procédé d'établissement « reconnaissance », parce que cela aurait introduit une confusion avec la reconnaissance actuelle, qui repose sur l'idée que l'enfant est bien issu biologiquement de celui des parents qui le reconnaît. Nous avons donc appelé cette modalité d'établissement « déclaration commune anticipée de filiation », l'idée étant que les deux futurs parents se présentent.

Par exemple, aujourd'hui, lorsque les parents veulent avoir accès à l'assistance médicale à la procréation, ils doivent donner leur consentement à l'opération devant le notaire. Nous pensons qu'ils pourraient donner leur consentement pour dire qu'ils sont d'accord pour participer à cette opération, mais aussi pour accueillir l'enfant à naître. Cette déclaration anticipée de filiation pourrait être la même qu'il s'agisse de deux femmes ou de parents de sexe différent, et qu'ils soient ou non mariés.

Cette déclaration de filiation, faite par les deux parents, ou éventuellement par la femme célibataire, serait ensuite portée sur l'acte de naissance de l'enfant, et établirait la filiation à l'égard des deux parents qui se sont engagés dans le processus d'assistance médicale à la procréation. C'est une forme de reconnaissance anticipée – que l'on n'a pas appelée reconnaissance pour les raisons que je vous ai indiquées. Mais le principe est que dans cette hypothèse, la volonté doit primer.

Immédiatement, nous nous sommes demandé si nous n'avions pas créé, ce faisant, plus de difficultés qu'il n'y en avait auparavant. Le fait de mentionner une déclaration anticipée de filiation, comme procédé sui generis d'établissement de la filiation sur l'acte de naissance, allait nécessairement permettre à l'enfant de savoir qu'il était issu d'une procréation médicalement assistée avec don, cette modalité d'établissement de la filiation étant réservée à cette hypothèse d'assistance médicale à la procréation. Et cela nous a semblé presque dirimant au regard de ce que tout un chacun a à l'esprit : le respect de la vie privée.

Nous nous sommes alors interrogées sur la nature des mentions portées sur les actes de naissance, sur les actes d'état-civil, sur ce qui était communiqué à des tiers et sur ce qui était réservé aux intéressés, et éventuellement aux parents. Or les dispositions relatives aux actes d'état-civil ne sont pas si claires que cela, ni même très cohérentes.

On constate, pour donner un exemple connu, que lorsqu'un enfant est adopté, le jugement d'adoption est mentionné en marge de l'acte de naissance. Si l'enfant demande la copie intégrale de son acte de naissance, il prend connaissance de l'existence de l'adoption. Il ne sait pas, toutefois, quels étaient ses parents d'origine, puisqu'on y fait seulement mention du jugement. En conséquence, les tiers qui demanderaient copie intégrale de l'acte de naissance – et Dieu sait qu'en pratique, en dépit des textes, cela se fait – ont connaissance de l'existence de l'adoption, en dépit du principe de respect de la vie privée.

J'ai rappelé cet exemple parce que, en réalité, la question n'est pas nouvelle : elle se pose déjà avec l'adoption, et elle se posera à l'évidence dans l'hypothèse que nous avons proposée, avec l'assistance médicale à la procréation pour les couples de femmes si l'on choisit cette modalité d'établissement de la filiation.

Est-il normal que des tiers puissent savoir que l'enfant a été adopté ou qu'il a été issu d'un don parce que, sur l'acte de naissance, il sera marqué : jugement d'adoption, ou déclaration anticipée de filiation, ou volonté des parents, ou que sais-je, quel que soit le procédé que l'on retiendra ? Nous avons pensé que non, évidemment, et considéré que la copie intégrale des actes de naissance ne devrait pas être communiquée aux tiers, en dehors d'hypothèses extrêmement précises et limitées – que nous avons décrites, et sur lesquelles je pourrai revenir si vous le souhaitez. Cela veut dire que si nous avions, dans la vie courante, besoin d'établir notre filiation ou de prouver notre identité, nous pourrions communiquer – comme aujourd'hui – des extraits avec filiation ou sans filiation qui ne mentionnent pas, en marge, tous les changements relatifs à l'état civil. La vie privée des intéressés serait protégée – non seulement, d'ailleurs, dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation, mais aussi dans le cadre de l'adoption, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

La dernière observation que je voudrais faire est relative à l'accès aux origines personnelles. On a le sentiment, et c'est une autre conséquence de l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes célibataires, que cette question se pose de manière nouvelle : l'enfant ayant deux mères, il risque de s'interroger davantage – ainsi que les tiers – sur l'identité de son géniteur. Mais pourquoi est-ce que ce serait plus prégnant dans cette situation ? Le débat est ouvert depuis des années. Considérer aujourd'hui que l'ouverture à l'accès aux origines personnelles est une conséquence nécessaire de l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes, c'est occulter le débat qui a eu lieu auparavant sur cette même question pour les enfants issus d'un don de gamètes à un couple hétérosexuel. Cela fait longtemps que certains réclament cette ouverture.

J'insiste sur ce point parce que je pense que se focaliser sur le fait que l'enfant ait deux mères pour dire que, nécessairement, il va vouloir connaître davantage que les autres ses origines personnelles – ce que l'on entend parfois – fausse le débat. La question est la même pour les enfants issus d'un don, qu'ils soient issus de parents hétérosexuels ou de parents homosexuels. Le débat est récurrent. Donc, il n'y a pas plus d'arguments en faveur de l'accès aux origines personnelles lorsque les parents forment un couple homosexuel que lorsqu'ils forment un couple hétérosexuel. Je crois que ce n'est pas cela l'argument.

L'argument est différent : il repose effectivement sur une quête singulière, sur laquelle le juriste n'a guère de mot à dire. C'est la raison pour laquelle je m'arrêterai là. Je pourrais citer quantité d'arguments qui sont invoqués dans ce débat, comme la baisse du nombre de dons, etc.

Ce n'est pas une question juridique. La question juridique essentielle sur l'accès aux origines personnelles, c'est la distinction de l'accès aux origines personnelles et de la filiation. Mais qui fait encore la confusion aujourd'hui ? Qui prétend aujourd'hui que l'enfant aura plusieurs parents, si ce n'est dans le vocabulaire commun ? Le juriste, pour sa part, est parfaitement averti que ce n'est pas une question de filiation. C'est la seule chose que le juriste puisse dire sur cette question d'accès aux origines personnelles. Le reste n'est pas juridique.

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Merci très vivement pour cet éclairage. Vous nous avez rappelé l'importance qu'il y avait, notamment dans certaines sociétés, de garder le secret sur la stérilité du père. Et il est vrai qu'il est temps de surmonter ces « secrets de famille » qui ont fait tant de mal, parce que non affrontés par les familles elles-mêmes.

Une autre question se pose pour les enfants nés de gestation pour autrui (GPA) : l'établissement de leur filiation avec les parents d'intention. Plusieurs d'entre nous souhaitent des aménagements, afin que les droits des enfants soient identiques, quels que soient les parents, hétérosexuels ou homosexuels, mariés ou non, parce que l'enfant ne choisit pas, quel que soit le regard que les autres peuvent porter sur certaines situations. L'intérêt de l'enfant – établissement de sa filiation, accès aux droits – est pour nous prioritaire. J'aimerais donc savoir – de façon un peu plus précise que ce que nous avez déjà dit – tout ce que nous devons changer dans le droit actuel pour nous conformer au schéma que vous nous avez indiqué. Quelles en sont toutes les conséquences ? Quelles modifications prévoir ?

Ensuite, je voudrais évoquer un point que vous avez-vous-même traité à diverses reprises, concernant les enfants nés de GPA. Vous avez dit que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) avait condamné la France parce qu'elle n'accordait pas une reconnaissance de filiation satisfaisante à ces enfants. Vous avez précisé que dans ses attendus, la Cour indiquait que cette non-reconnaissance de la filiation des enfants à l'égard de leurs parents d'intention était contraire à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette absence de reconnaissance porterait atteinte à l'identité même des enfants. Dans leur intérêt, il conviendrait de corriger cette situation. Pouvez-vous nous donner quelques indications ?

Vous avez par ailleurs remarqué que ceux qui refusent – même s'il y en a peu – cette reconnaissance de filiation avec les parents d'intention aux enfants nés de GPA utilisent l'argument selon lequel cela entraînerait une augmentation du recours aux GPA à l'étranger. Et vous donnez l'exemple de l'Espagne qui, il y a deux ou trois ans, a donné la possibilité de reconnaître une telle filiation à ces enfants alors que la GPA restait interdite, sans qu'on ait observé d'augmentation du recours à cette pratique de procréation. Une telle crainte ne semble donc pas confirmée dans les pays qui ont progressé dans ce sens.

Nous n'envisageons pas de légiférer sur la GPA elle-même. Mais ne serait-ce que pour l'intérêt de la discussion, pourriez-vous compléter votre pensée concernant la GPA « éthique », que vous appelez « altruiste » ? Vous considérez que même s'il n'y a pas de commercialisation, ni de rémunération, il y a une dette en cas de GPA altruiste, dans la mesure où celle-ci est, en définitive, un don de la mère porteuse. Or une dette se paie. Pour autant, dans un don d'organes, il y a bien don. Ce don est gratuit, et il n'y a pas de dette. Pourquoi y aurait-il une différence entre la GPA et les dons d'organes ? La personne qui donne son rein à un proche, par exemple, le fait sans attendre aucune compensation, sans avoir le sentiment de l'existence d'une dette.

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Anne-Marie Leroyer

Sur l'ouverture de la gestation pour autrui et l'existence d'une gestation pour autrui éthique, les propos que vous avez rapportés concernant l'existence d'un don et d'une dette ne sont pas les miens, mais j'en discuterai avec plaisir.

On pourrait argumenter à l'infini pour ou contre l'ouverture de la gestation pour autrui. Parmi les arguments développés, deux reviennent régulièrement en droit français : l'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes, ainsi que la dignité. Ceux qui sont opposés à la consécration de la gestation pour autrui, tout comme ceux qui y sont favorables, invoquent la dignité, mais la discussion entre les deux camps est impossible car ils n'ont pas la même conception de ce terme. Pour le premier, elle est objective et abstraite. Cette conception essentialiste, de philosophie morale, avance que l'humain peut décider pour l'humain de ce qui est digne, de ce qu'il peut faire ou ne peut pas faire. Ceux qui retiennent cette définition estiment que les femmes ne peuvent pas porter un enfant pour le compte d'autrui sans porter atteinte à ce principe.

Le second camp a une conception plus concrète de la dignité : dans un cadre prédéterminé, tout un chacun peut apprécier ce qu'il est possible de faire. Cela s'accompagne de l'idée qu'il faut permettre aux femmes de décider pour elles-mêmes, cette dignité s'accompagnant d'une forme d'acceptation de leur autonomie personnelle, quelles que soient les modalités par lesquelles les femmes entrent dans ce processus – gratuitement, de manière rémunérée, qu'il s'agisse d'un premier enfant, qu'elle décide de le garder, ou pas. En conséquence, le débat est sans fin car s'affrontent deux conceptions très différentes de la dignité, aux conséquences elles-mêmes très différentes…

S'agissant de la consécration d'une gestation pour autrui éthique, je n'ai pas le même avis qu'Irène Théry et cela apparaît dans notre rapport. En effet – et permettez-moi de vous donner humblement mon avis personnel, elle ne me paraît pas encore envisageable en droit français, compte tenu d'un contexte international dans lequel il est urgent de protéger les femmes de l'exploitation qu'elles subissent. Ma position n'est ni essentialiste ni autonomiste, mais médiane : effectivement, une femme peut porter un enfant pour une autre ; cela relève de l'éthique et de la dignité. Mais cela ne peut avoir lieu n'importe comment et n'importe quand. Or tant qu'au niveau international, nous n'aurons pas réglé le problème de l'exploitation des femmes, nous ne pourrons consacrer la gestation pour autrui dite « éthique ».

Vous m'avez également interrogée sur l'établissement de la filiation de ces enfants. Beaucoup d'arguments s'y opposent. Vous les avez soulevés, monsieur le rapporteur, notamment la crainte que l'admission de l'établissement de la filiation des enfants ainsi conçus fasse fi du principe d'interdiction générale et conduise à une ouverture plus large. Contre cette idée, nous pourrions effectivement avancer les statistiques espagnoles, belges ou d'autres pays, où la consécration de la filiation n'a pas accéléré le recours à la gestation pour autrui, d'autant que le lien ne m'apparaît pas évident.

Mais les statistiques n'ont que valeur de statistiques… L'argument principal en faveur de l'établissement de la filiation de ces enfants, c'est l'intérêt des enfants, qui doit primer. Là encore, deux conceptions différentes s'invitent dans le débat. S'agit-il de l'intérêt des enfants déjà nés ? Dans ce cas, il faut bien évidemment leur attribuer une filiation, une tutelle ne représentant pas du tout la même chose du point de vue de l'identité de l'enfant. Dans ce cadre concret, la réponse est positive. Ce n'est pas le cas si l'on considère l'intérêt des enfants abstraitement. Comme le rappelle ma collègue Muriel Fabre-Magnan, l'intérêt objectif d'un enfant est de ne pas être considéré comme une chose qui peut être échangée ou vendue, qui peut faire l'objet d'une marchandisation. La considération abstraite de l'intérêt des enfants s'oppose alors à l'établissement ut singuli de la filiation. La position essentialiste – dignité abstraite et pas d'établissement de la filiation – s'oppose à une position plus conséquentialiste – qui est la mienne : soyons pratiques ; ces enfants existent, ils sont nés, ils sont vivants et ont besoin de parents. Il faut donc établir la filiation. En philosophie morale, on regarde toujours quelles sont les moins mauvaises conséquences. Pour la société, il s'agira que la filiation soit établie à l'égard des deux parents.

Par ailleurs, ce n'est pas parce que l'on consacre la filiation et que l'on préserve l'intérêt des enfants – d'ailleurs garanti par toutes les conventions internationales – que l'on remet en cause le principe d'interdiction de la gestation pour autrui.

Enfin, puisque je suis membre du Comité de défense des droits de l'enfant auprès du Défenseur des droits, je rappellerai la position sur cette question : protégeons l'intérêt des enfants ! Or, sans nul doute ni discussions possibles, il est de l'intérêt des enfants que la filiation soit établie à l'égard des deux parents.

Comment ? Les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme avancent avec ambiguïté sur la question de l'identité et beaucoup s'interrogent sur le sens du « en particulier » présent dans ses décisions : cela nous contraint-il à retenir l'établissement de la filiation à l'égard du père – car c'est le père biologique – mais à ne pas consacrer l'établissement de la filiation à l'égard de la mère parce qu'elle n'a pas accouché ? Je caricature un peu, mais ce sont les termes de la discussion.

Sans doute la Cour a-t-elle initialement laissé le champ ouvert : la question de la protection de l'identité de l'enfant comme élément de la vie privée, sur le fondement de l'article 8, s'est posée plus spécialement à l'égard du père biologique. En conséquence, dans les modalités d'établissement de la filiation, notre jurisprudence interne effectue une distinction claire entre le père et la mère d'intention. Sur le fondement de l'article 47 du code civil, la Cour de cassation permet une transcription partielle des actes de naissance établis à l'étranger si la filiation paternelle est biologique, interdisant la transcription de la filiation si la mère d'intention est mentionnée dans l'acte de naissance car, comme elle n'a pas accouché, ce serait contraire à l'article 47. En revanche, la transcription est totale si le père censément biologique et la femme qui a accouché de l'enfant sont mentionnés sur l'acte de naissance.

C'est évidemment tout à fait dommageable pour l'enfant, pour plusieurs raisons. Dans l'hypothèse d'une transcription totale, l'enfant va être rattaché à une femme qui ne va pas s'occuper de lui – la gestatrice. Dans le cas d'une transcription partielle, il faudra trouver une solution. La Cour de cassation indique qu'il faut passer par l'adoption de l'enfant du conjoint, ce qui suppose que les parents soient mariés. En effet, si l'adoption de l'enfant du concubin est possible, elle conduit à un transfert d'autorité parentale à l'adoptant, sans délégation-partage possible, ce qui est contraire à l'objectif recherché.

En conséquence, en l'état du droit positif, la transcription est autorisée pour le père si c'est le père biologique. Ensuite, la mère d'intention doit adopter l'enfant, ce qui suppose qu'elle soit mariée avec le père biologique. Cela crée donc une distinction entre parents mariés ou non et, surtout, selon que le parent d'intention est le parent biologique de l'enfant ou non et sans considération du fait que la mère d'intention puisse être la mère génétique de l'enfant et ne pas avoir accouché de cet enfant.

La confusion est donc totale sur ce qu'est la filiation ! Mais, surtout, cette jurisprudence est dangereuse car elle focalise la transcription sur l'idée que le père est le père biologique de l'enfant. Depuis quand reconnaît-on les filiations uniquement parce qu'elles sont biologiques ? Si l'intérêt de l'enfant est d'avoir deux parents, seule la transcription intégrale de l'acte de naissance est une démarche efficace et adaptée.

Dans cette hypothèse, y a-t-il lieu de faire une différence entre le père et la mère lorsque les deux parents d'intention ont eu recours à une gestation pour autrui ? Cela revient à sanctionner les femmes stériles – elles ont eu recours à ce tiers parce qu'elles le sont – en leur notifiant qu'elles ne pourront pas être mères par transcription. C'est la double peine ! Non seulement on ne les autorise pas à recourir à une gestation pour autrui – ce point est considéré pour l'heure comme non discutable – mais, en plus, on les sanctionne de cette stérilité en leur rappelant qu'elles ne sont pas mère de l'enfant et qu'elles doivent donc l'adopter. Quelle est la cohérence juridique, notamment par comparaison avec la procréation médicalement assistée ? Dans ce dernier cas, on ne dit surtout rien et on agit comme s'il s'agissait du parent biologique. Cela me semble vraiment discutable. Avec d'autres collègues, je suis donc extrêmement favorable à la transcription totale de l'acte de naissance de l'enfant sur les registres d'état civil. Il est possible d'interpréter l'article 47 du code civil de telle sorte qu'il n'y ait pas de fraude à l'adoption.

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Je vous remercie pour cet exposé très clair. Certes, l'enfant conçu avec le sperme d'un donneur doit trouver du sens. Mais le sens suffit-il à la vie ? Ne doit-il pas également y trouver de la joie ?

J'entends les arguments : les humains – qui ne sont pas égaux physiquement, mais en droit – devraient avoir un égal accès à ce progrès et à cette technique scientifiques. Mais il ne s'agit pas d'une technique comme une autre, puisqu'une tierce personne est en jeu. Cela nous donne-t-il le droit d'avoir un enfant, selon notre désir ? Un tel droit à l'enfant existe-t-il ? Je me pose la question, j'avoue que d'autres me l'ont posée et que je n'ai pas de réponse… Dans un couple hétérosexuel, la médecine répare, mais là, ce n'est pas le cas.

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Ne pensez-vous pas que la France est condamnée à reconnaître le droit de l'enfant à la connaissance de ses origines ? Dans cette hypothèse, quelles seraient les conséquences ? Sur ces sujets, n'est-il pas complètement obsolète de légiférer dans un cadre national ? Ne faudrait-il pas mieux le faire au niveau international, par le biais d'une convention ?

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Nous sommes très sensibles à la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'à la non-discrimination, qu'elle soit liée au genre ou à la génétique. L'évolution législative de la PMA ne permettra-t-elle pas en réalité, sur la base d'un désir d'enfant, d'accorder un droit lié à une particularité biologique ? N'est-ce pas un paradoxe en termes d'égalité entre les femmes et les hommes ? Quelles questions cela pose-t-il à la loi ?

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Ma question prolonge celle de mon collègue Charles de Courson. À plusieurs reprises dans ses décisions, la Cour européenne des droits de l'homme a eu l'occasion de consacrer le droit pour les citoyens de connaître l'identité de leurs ascendants. À l'heure actuelle, deux affaires impliquant la France sont pendantes, qui risquent de conduire à des condamnations de l'État, ainsi qu'à l'établissement d'une jurisprudence, ouvrant la voie à des condamnations subséquentes.

De par son caractère général, la rédaction actuelle de l'article 16-8 du code civil n'apparaît pas adaptée à cette nouvelle réalité : elle ne tient notamment pas compte de la relation tripartite qui existe entre le donneur, le receveur et la personne issue du don de gamètes. Que pensez-vous de ces carences juridiques ? Comment les combler ?

Par ailleurs, si le droit à l'accès aux origines était consacré pour les personnes issues de dons de gamètes, quels mécanismes juridiques pourraient opportunément encadrer d'éventuelles dérives en termes de recherche des responsabilités civile ou pénale, au titre des articles 311-19 et 311-20 du code civil ?

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Anne-Marie Leroyer

Madame Thill, vous posez une question récurrente quant au principe même de l'accès à l'assistance médicale à la procréation pour les couples de femmes, mais également la question du désir d'enfant et du droit à l'enfant.

Le désir d'enfant n'est pas une question juridique. Le droit ignore bien volontiers le « désir », contrairement aux psychiatres ou aux psychanalystes qui l'abordent plus volontiers. Le juriste est plutôt centré sur le droit. Vous avez donc bien formulé la question parfois brandie comme un étendard contre les possibilités d'ouverture : en droit positif, personne n'a « droit » à un enfant. Le droit à l'enfant n'existe donc pas et consacrer l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes ne consacrera pas un droit à l'enfant.

La question se pose de la même façon dans le cas de l'adoption : souvenez-vous des débats liés à l'adoption lors du vote de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Déjà, la question du droit à l'enfant avait été brandie contre l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe. Le Conseil constitutionnel, amené à se prononcer sur la constitutionnalité de la loi, a bien rappelé dans sa décision que l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe ne consacrait pas un droit à l'enfant, car ces couples étaient soumis aux mêmes conditions que les autres pour adopter.

De la même façon, la loi posera des conditions à l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes célibataires, la condition supprimée étant simplement celle de l'hétérosexualité.

Si la question que vous posez est essentielle, elle est politique et personnelle, et non juridique : l'hétérosexualité est-elle une condition juridique suffisante pour estimer que l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux homosexuels consacrerait un droit à l'enfant ? L'orientation sexuelle consacrerait une différence selon la nature du droit.

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Mais il me semble que l'on supprimerait également les critères médicaux, et non uniquement ceux liés à l'hétérosexualité…

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Anne-Marie Leroyer

J'y venais puisque Mme Thill a évoqué cet argument médical et que vous avez bien voulu le rappeler, monsieur le président. Il est essentiel et sans doute plus puissant que celui du droit à l'enfant. Là encore, ce n'est pas un argument juridique, mais médical.

Quel est le rôle de la médecine ? Dans la première hypothèse, vous l'avez dit, on vient « réparer quelque chose », l'infertilité étant « pathologique ». Le rôle de la médecine est alors de soigner. À l'inverse, dans l'autre hypothèse, l'infertilité n'est pas pathologique et donc les médecins ne soignent plus. Cette argumentation est très largement développée par ceux qui posent la question du rôle de la médecine.

La médecine qui consiste à faire une distinction selon que l'infertilité est pathologique ou sociale n'a rien d'une médecine de convenance – comme on l'entend parfois. Les médecins le disent : aider les couples à avoir des enfants est également lié à la politique nataliste. Par ailleurs, les médecins sont souvent plongés dans une situation plus ambiguë qu'elle n'y parait, notamment lorsque des couples hétérosexuels ne peuvent pas avoir d'enfants, sans qu'aucune raison médicale ne l'explique et qu'aucune infertilité pathologique n'ait été constatée… Or, même dans ces cas, ils leur donnent accès à l'assistance médicale à la procréation. Il s'agit simplement de pallier une impossibilité de la vie, pour une raison qu'on ignore.

Placés dans cette situation, les médecins s'interrogent : devraient-ils refuser l'accès à l'assistance médicale à procréation aux couples concernés, même si c'est une toute petite partie de leur activité, au motif que l'infertilité n'est pas pathologique ? Où est la frontière entre le pathologique et le non pathologique, entre le « normal » et l'« anormal » ? Michel Foucault démontre très bien dans L'histoire de la folie à l'âge classique qu'il n'y a pas de normal et d'anormal. Il est difficile pour le médecin de savoir ce qui est pathologique et ce qui ne l'est pas, comme pour l'individu de savoir ce qui est normal et ce qui ne l'est pas.

L'argument que vous avez avancé peut donc s'effacer dans le cadre d'une autre conception de la normalité, du pathologique et du non pathologique. En conclusion, quand on s'interroge sur le pathologique, le normal et l'anormal, on ne fait pas que discuter sur les mots, même si la critique est extrêmement puissante.

M. de Courson m'a ensuite interrogée sur deux points, que je le prie de me rappeler.

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La France ne risque-t-elle pas d'être condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme sur l'impossibilité faite à certaines personnes d'accéder à leurs origines personnelles ? En conséquence, le temps n'est-il pas venu de créer un droit pour les enfants de connaître leurs origines et dans quelles conditions l'encadrer ?

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Anne-Marie Leroyer

La Cour européenne des droits de l'homme a déjà confirmé à plusieurs reprises dans sa jurisprudence que le système français d'accès aux origines personnelles était proportionné au but poursuivi, en particulier pour les enfants nés sous X. Je ne pense donc pas que nous puissions être condamnés.

Faut-il légiférer pour consacrer l'accès des enfants à leurs origines personnelles ? Dans le rapport que j'ai rendu avec Irène Théry, nous sommes extrêmement favorables à l'accès aux origines personnelles, non pas compte tenu de l'évolution des techniques modernes – génétiques notamment – mais pour des raisons d'identité personnelle, élément mis en avant par la Cour européenne des droits de l'homme. Au regard de l'analyse de sa jurisprudence, comme de celle de la Cour de cassation, la notion d'identité personnelle est très large : elle recouvre notre état civil – notre identité « objective », notre filiation – mais renvoie aussi à ce que tout un chacun ressent – son identité « subjective » et son désir de connaître ses origines. À l'avenir, il est probable que cette notion d'identité entendue à la fois objectivement et subjectivement se renforce et que la CEDH évolue dans un sens beaucoup plus strict. Elle condamnera alors les États qui n'admettraient pas l'accès aux origines personnelles, sur le fondement de la consécration de plus en plus large de cette notion d'identité subjective – ce que la Cour appelle l'« accès à la connaissance de ses ascendants ». Il ne s'agit alors pas des ascendants au sens du droit de la filiation, mais des géniteurs. La Cour fait de la connaissance des géniteurs une question d'identité personnelle.

L'évolution des techniques est évidemment très importante, mais ce n'est pas parce que des banques de données génétiques permettent d'apprendre ses origines sur internet que le législateur doit s'incliner et suivre ces évolutions technologiques. Ce n'est pas parce que la technique permet une évolution que la loi doit l'autoriser. En revanche, l'évolution de la notion d'identité pourrait bien nous y conduire si le besoin que tout un chacun ressent de se connaître, et donc de connaître ses origines personnelles, se renforce.

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Anne-Marie Leroyer

Vous avez fait allusion à une convention internationale. Il est évident que ces questions doivent être abordées au niveau international. C'était l'objet de la conférence de La Haye qui a réfléchi à l'élaboration d'une convention internationale visant à limiter l'accès des étrangers aux gestatrices des pays qui l'autorisent, lorsque les conditions ne sont pas éthiques. Des évolutions sont en cours, à l'instar de ce qui a été réalisé pour l'adoption internationale. Cela ne réglera pas tous les problèmes, mais peut en régler beaucoup.

Notons par ailleurs qu'un certain nombre d'États ont fermé leurs frontières à la gestation pour autrui pour les personnes venant de pays tiers. Malheureusement, cela n'a pas réglé le problème, puisque les gestatrices ont été conduites par les personnes qui les exploitent dans des pays limitrophes plus tolérants. Le problème a pour le moment simplement été déplacé et l'exploitation des femmes est toujours aussi importante.

Madame Tamarelle-Verhaeghe, vous m'avez interrogée sur le désir d'enfant, mais je n'ai pas saisi l'exacte portée de votre question.

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Je n'ai sans doute pas été claire. J'évoquais l'égalité hommes-femmes. Les femmes ont beaucoup lutté pour cette égalité et elles le font encore. Du fait de leur physiologie et de leur identité génétique, la société permettrait aux femmes d'accéder à l'AMP de par la loi, alors que ce ne serait pas possible pour les hommes. Ne faut-il pas traiter les deux simultanément, de façon à ce qu'il n'y ait pas de discrimination induite par la génétique ?

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Anne-Marie Leroyer

La question que vous posez est très importante car elle concerne l'égalité entre les couples d'hommes et les couples de femmes dans l'accès à la procréation. C'est d'ailleurs le contre-argument utilisé contre l'ouverture de l'assistance médicale à procréation aux couples de femmes, au motif que, si on le fait pour les femmes, on va devoir le faire pour les hommes, et donc ouvrir la gestation pour autrui, ce qui nous entraînerait sur une pente fatale et aboutirait à ce que l'on ne voulait pas.

Comme vous le savez, l'égalité en droit est soumise à des conditions très strictes. La notion de discrimination ainsi interprétée, tant par le Conseil constitutionnel que par la Cour de cassation, la Cour européenne des droits de l'homme ou la Cour de justice de l'Union européenne, répond à des conditions très strictes.

Lorsqu'un contrôle de proportionnalité est opéré en matière d'égalité ou de discriminations, ces conditions sont rappelées. Quelle est la première condition ? Les personnes placées dans des situations semblables sont-elles traitées de manière dissemblable ? En matière d'accès médical à la procréation – qu'il s'agisse d'AMP ou de GPA –, les couples de femmes et les couples d'hommes sont-ils placés dans des situations semblables ? Si l'on considère que ces couples sont placés dans des situations semblables et qu'ils sont traités de manière différente, alors il y a discrimination.

Dans ce cas, il convient de se poser une deuxième question : cette discrimination est-elle proportionnée au but poursuivi ?

Dans le cas qui nous occupe, les situations sont-elles semblables ? On peut en douter. Les situations ne sont pas semblables car, biologiquement, les personnes ne sont pas semblables. On ne peut donc aller plus loin et dire que la consécration de l'AMP va conduire à la consécration de la gestation pour autrui sur le fondement de l'inégalité.

Si tant est que l'on considère les situations comme semblables au regard de l'égal accès à la procréation – je ne crois pas du tout à cette interprétation, mais essaie d'aller au bout du raisonnement – et que les couples sont traités de manière différente, ce traitement différent est-il proportionné, rationnel et justifié par rapport au but poursuivi ? Là encore, la réponse est positive car le fait de traiter de manière dissemblable ces deux catégories de couples est justifié par rapport au but poursuivi. Quel est ce but ? En interdisant la gestation pour autrui, on souhaite protéger les femmes et les enfants. Cette considération d'intérêt général, primordiale, justifie l'inégalité de traitement.

Juridiquement, le raisonnement se tient dans les deux cas.

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Madame la professeure, je vous remercie pour votre disponibilité. J'ai privilégié les collègues qui n'avaient pu poser de questions lors de l'audition précédente et prie les autres de bien vouloir m'excuser.

L'audition s'achève à onze heures trente.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du jeudi 6 septembre 2018 à 10 h 15

Présents. – M. Joël Aviragnet, M. Xavier Breton, Mme Samantha Cazebonne, M. Charles de Courson, Mme Élise Fajgeles, Mme Caroline Janvier, M. Jean François Mbaye, M. Thomas Mesnier, Mme Danièle Obono, Mme Bérengère Poletti, M. Alain Ramadier, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine, Mme Annie Vidal

Assistait également à la réunion. – M. Thibault Bazin