Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 14 novembre 2018 à 16h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mercredi 14 novembre 2018

La séance est ouverte à seize heures trente.

Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente

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La commission procède à l'audition de M. Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, sur la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté

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Mes chers collègues, nous nous étions engagés à nous tenir informés des avancées de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Nous accueillons donc cet après-midi M. Olivier Noblecourt, délégué interministériel chargé de l'application de cette stratégie, pour une nouvelle audition.

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Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes

Je vous remercie de me donner l'opportunité de vous rendre compte de l'état d'avancement de la stratégie annoncée par le Président de la République mi-septembre. Je dirai deux mots sur son contenu, pour me concentrer ensuite sur les modalités territoriales de son exécution.

Cette stratégie entend rompre avec la pente de nos politiques publiques, qui n'ont pas réussi à endiguer les deux grandes caractéristiques négatives de la pauvreté en France : prévalence de la pauvreté chez les plus jeunes et inertie sociale. Du fait de cette absence de mobilité, un nombre trop important de nos concitoyens ne parvient plus à devenir autonome par le travail.

C'est pourquoi le Président de la République a annoncé trois grandes priorités. Il s'agit en premier lieu d'un meilleur accès aux droits : nous devons faire en sorte que tous nos concitoyens qui rencontrent une difficulté dans la vie puissent bénéficier des droits octroyés par le législateur. Cet accès doit se faire dans un cadre incitatif, grâce à l'accompagnement et au lien entre droits et activité ou travail.

La deuxième grande priorité, c'est la prévention. Beaucoup d'acteurs locaux sont déjà mobilisés sur ces enjeux, afin de prévenir les vulnérabilités, sources de pauvreté des individus, en agissant par exemple dès la petite enfance sur les causes d'inégalités dans l'acquisition de compétences.

La troisième priorité, essentielle, vise à renouer avec les politiques d'accompagnement – social et vers l'emploi – dans le cadre d'engagements réciproques : les pouvoirs publics s'engagent à accompagner les individus en situation de fragilité, pendant que ces derniers s'engagent dans des dispositifs pensés pour eux et en direction de la société. C'est ce qui caractérise une société solidaire !

La stratégie a été construite au terme d'un long parcours de concertation avec les acteurs de terrain, les personnes concernées et les collectivités locales, afin que les différentes mesures de cette stratégie parlent aux praticiens, aux bénévoles et aux personnes concernées.

Cinq engagements la caractérisent. Le premier concerne la petite enfance : les orientations de notre politique familiale prolongent évidemment les priorités historiques de cette politique de conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, mais répondent également à la situation sociale d'un nombre croissant de familles – notamment les familles monoparentales – et au phénomène de pauvreté des enfants. En effet, en France, un enfant sur cinq grandit sous le seuil de pauvreté, ce qui signifie qu'une personne en situation de pauvreté sur trois est mineure…

La convention d'objectifs et de gestion (COG) de la branche famille prévoit donc des mesures extrêmement fortes pour développer les différents modes d'accueil – collectif ou individuel – du jeune enfant. Les territoires les plus fragiles bénéficieront d'un bonus. En outre, tous les enfants de France, quelle que soit leur origine sociale ou géographique, doivent pouvoir accéder à un mode d'accueil. Dans ce cadre, un bonus « mixité sociale » va être mis en place à compter du 1er janvier 2019. De même, à la demande d'Agnès Buzyn, un référentiel sur l'attribution des places de crèche vient d'être produit par la coprésidente du groupe de travail « Petite enfance » de l'Association des maires de France (AMF), Élisabeth Laithier.

Au-delà, pour que cette mixité sociale profite pleinement à tous les enfants et notamment aux plus fragiles, nous devons élever le niveau d'ambition éducative des différents modes d'accueil du jeune enfant. C'est l'objectif du référentiel que va établir le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge dans les prochains mois : il permettra de penser le développement cognitif, social, psychomoteur et affectif des jeunes enfants dans une logique de continuité avec l'ambition portée par Jean-Michel Blanquer pour l'école maternelle.

En effet, les Assises de l'école maternelle visaient à repenser l'ambition éducative de l'école maternelle, à préparer l'apprentissage des savoirs fondamentaux et à prendre en compte tous les besoins du développement de l'enfant, dans une logique plus uniquement centrée sur les compétences cognitives. Cette exigence de qualité éducative trouvera une concrétisation dès la petite enfance : un plan de formation pour les 600 000 professionnels de la petite enfance de ce pays sera déployé à compter de 2020. L'année 2019 sera consacrée à l'élaboration du référentiel et à l'adaptation de l'appareil de formation continue pour faire face à ce plan inédit.

Enfin, dans le même objectif, nous allons renforcer les dispositifs de soutien à la parentalité. Les moyens de la branche famille sont renforcés, grâce à la signature d'une nouvelle convention avec l'État : déploiement sur le territoire de trois cents nouveaux centres sociaux au cours des quatre prochaines années, soutien aux lieux d'accueil enfants-parents et soutien spécifique aux espaces de rencontres parents-enfants, structures en grande souffrance depuis plusieurs années, alors que c'est là que se tiennent les médiations familiales sur décision de justice. Or, dans de trop nombreux lieux, les listes d'attente sont de plusieurs mois, ce qui est attentatoire au droit à la vie familiale des enfants et des parents.

Dans la même logique et pour traduire la volonté affichée par Agnès Buzyn de lutter contre les situations attentatoires aux droits essentiels des enfants et tenter d'y mettre un terme, le deuxième axe de la stratégie concerne l'accès au logement et à l'hébergement. Vous le savez, l'offre d'hébergement a pour une très large part été conçue pour des personnes seules – bien souvent des hommes. La prise en charge des enfants en centre d'hébergement est donc insuffisamment adaptée à leurs besoins. Il en est de même pour la politique du logement. Ces prochaines années, 125 millions d'euros de crédits complémentaires sont prévus en complément de ceux déjà budgétés sur le Programme 177, afin d'adapter l'offre d'hébergement et l'accompagnement vers le logement aux besoins des familles avec enfants.

En complément, nous allons financer des maraudes dédiées à la prise en charge des familles avec enfants à la rue ou en bidonville. Les moyens du plan de résorption des bidonvilles vont aussi être accrus au cours des prochaines années.

Au titre de ces droits essentiels, nous travaillerons en outre sur les enjeux d'accès à l'alimentation : alimentation infantile, tarification sociale des cantines, petit-déjeuner à l'école. La stratégie cible les privations matérielles et la pauvreté des conditions de vie – qui ne recouvrent pas uniquement une problématique monétaire. Dans le même ordre d'idée, l'enjeu énergétique sera pris en compte – on parle beaucoup de la nécessité pour les familles d'avoir accès au chèque énergie.

Le troisième axe important de la stratégie est l'accès aux compétences. Je ne vous apprends rien, c'est la meilleure prévention face à la pauvreté, car il permet d'accéder au marché du travail. Actuellement, en dépit des progrès des politiques publiques de lutte contre le décrochage, un nombre toujours insupportable de jeunes est durablement décrocheur. Ce sont les NEET (Neither in employment nor in éducation or training) c'est-à-dire des jeunes ni en emploi, ni en étude, ni en formation. Pour autant, ils ne sont pas non plus accompagnés… On les appelle parfois « les invisibles ». Malheureusement, et douloureusement pour eux, ils ne sont pas invisibles sur le terrain – on les connaît. C'est en pensant à eux que nous allons mettre en place une obligation de formation, qui sera contraignante pour tous les acteurs – institutions scolaires, plateformes de suivi et d'appui aux décrocheurs (PSAD) et missions locales qui bénéficieront d'un financement supplémentaire à partir de 2020 pour la développer.

Tous ces acteurs de la « première ligne de front » seront contraints de maintenir les jeunes concernés dans un parcours garanti de formation, d'aller vers eux et de leur proposer un accès à la formation. Le Plan d'investissement dans les compétences voulues par Muriel Pénicaud prévoit précisément de déployer plus d'un million de nouvelles formations en direction des jeunes qui en sont les plus éloignés. Cela suppose également d'agir sur les modes d'intervention les plus efficaces pour aller vers eux. Nous allons ainsi consacrer des moyens spécifiques au renforcement de la prévention spécialisée, du ressort des éducateurs de rue, avec des moyens dédiés à leur intervention, en particulier le soir et le week-end. Les « trous dans la raquette » sont actuellement trop importants.

Le déploiement du réseau des Points d'accueil et d'écoute jeunes (PAEJ) va également être financé. Ces structures d'hyper-proximité sont situées dans les territoires les plus fragiles, qui peuvent aussi être des territoires ruraux.

Le dispositif de sortie de l'aide sociale à l'enfance (ASE) va être rénové et les départements soutenus pour mettre un terme aux sorties sèches. Vous le savez, cette étape est souvent douloureuse pour beaucoup de jeunes, d'autant que certaines collectivités n'ont pas les moyens d'accompagner ces jeunes majeurs. Les ruptures que ces derniers connaissent sont absolument insupportables et humainement destructrices car elles anéantissent des années d'efforts d'accompagnement. Pour ces jeunes, les souffrances qui en découlent sont lourdes de conséquences sur leur destin. En effet, environ un quart du public en errance ou logé en centre d'hébergement d'urgence est issu de l'aide sociale à l'enfance.

Le quatrième grand engagement de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté vise à simplifier et à renforcer l'accès aux droits. Le non-recours aux droits, mais aussi aux services, est devenu endémique. Nos concitoyens en situation de fragilité sociale ne vont plus voir les structures institutionnelles de l'action sociale.

Nous agirons à plusieurs niveaux. Nous financerons le déploiement d'accueils sociaux universels et inconditionnels, en labellisant des structures qui pourront ainsi accueillir tous les acteurs d'un territoire. Cela évitera que nos concitoyens soient confrontés à un perpétuel jeu de ping-pong, comme c'est actuellement le cas dans certains territoires.

Nous allons également simplifier l'accès aux droits. C'est en cours, puisque le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) inclut une mesure emblématique : la fusion de l'aide à la complémentaire santé avec la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). C'est un progrès considérable pour près d'un million et demi de nos concitoyens puisqu'ils auront accès à un panier de soins à moindre coût, pour une contribution plus faible. Le fonds CMU recense près de trois millions de ménages et de familles en situation de pauvreté qui n'ont pas accès à la CMU, à la CMU-C ou à l'aide à la complémentaire santé.

En outre, le renouvellement de la CMU-C sera désormais automatique pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). Actuellement, trop de personnes sortent du dispositif car elles oublient d'effectuer cette procédure administrative. Elles se retrouvent alors dans des situations de non-prise en charge complexes, voire douloureuses.

Nous allons également mieux repérer les allocataires des caisses de sécurité sociale en situation de non-recours grâce au datamining.

Enfin, le chantier du revenu universel d'activité, encore plus ambitieux et qui va être engagé dans les prochains mois, permettra d'avoir une réflexion beaucoup plus large sur ce minimum social partagé, pleinement universel et davantage incitatif à l'activité que l'allocation actuelle.

Le dernier engagement de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté vise à renouer avec l'accompagnement vers l'emploi, mais également l'accompagnement social. C'est important pour nos concitoyens les plus fragiles, le Président de la République l'a rappelé : notre volonté est bien d'éradiquer la pauvreté. Il ne s'agit pas d'un mantra ou d'un slogan général, mais de la seule façon de maintenir le cap de nos politiques publiques : si vous ne visez pas l'éradication, vous agissez seulement en direction de ceux qui vont un peu moins mal et vous oubliez ceux qui vont le plus mal…

C'est pourquoi, désormais, nous partirons de la situation des plus fragiles. Dès 2019, l'accompagnement médico-social sera très fortement amplifié. L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) médico-social va augmenter de plus de 25 % sur les quatre prochaines années. Pour ne prendre qu'un exemple, il existe actuellement 1 200 appartements de coordination thérapeutique en France. Nous allons en ouvrir 600 dans les deux prochaines années. Ainsi, les personnes bénéficiaires, qui sont souvent dans des situations très difficiles, vont enfin trouver un accompagnement adapté.

Nous allons également démultiplier les solutions d'accompagnement vers l'emploi : accompagnement intensif porté par Pôle emploi et montée en charge contractualisée de l'accompagnement global entre Pôle emploi et les départements ; création de nouvelles formes et de nouveaux moyens d'accompagnement en lien avec les départements, par le biais d'appels d'offres, à hauteur de 15 millions d'euros l'année prochaine, puis de 100 millions d'euros à partir de 2021.

Cet accompagnement est essentiel. Or il s'est atrophié au cours des dernières années. Les dépenses d'insertion des départements représentent 670 millions d'euros. Rapportées aux 11 milliards d'euros de prestations versés aux bénéficiaires du RSA, le ratio allocationaccompagnement est de moins de 7 %. En 1988, lorsque le législateur a créé le revenu minimum d'insertion, il était de 20 % Vous le voyez, l'effort de l'État est substantiel.

Les moyens de l'insertion par l'activité économique vont également être renforcés : 5 000 aides au poste supplémentaires vont être financées chaque année. Actuellement, sur 140 000 personnes accompagnées, 70 000 bénéficient de cette aide. Cet effort nous permettra d'accompagner 100 000 personnes supplémentaires sur quatre ans, au titre des différentes prises en charge – ateliers ou chantiers d'insertion, entreprises d'insertion, entreprises temporaires d'insertion, associations intermédiaires de l'insertion par l'activité économique.

Enfin, les solutions portées par les associations qui ont démontré leur pertinence vont également être soutenues et développées dans les prochaines années : les « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD) ; le dispositif « Travail alternatif payé à la journée » (TAPAJ), qui permet aux personnes en grande fragilité de travailler quelques heures, un peu plus jour après jour ; l'expérimentation Sève (SIAE – structures d'insertion par l'activité économique – et Entreprise Vers l'Emploi) ; la médiation en entreprise ; le dispositif « Convergence » qui organise l'accompagnement vers l'emploi à partir d'un hébergement, etc.

Pour mettre en oeuvre ces cinq engagements, nous allons d'abord agir à l'échelle législative. Vous avez déjà voté des mesures extrêmement fortes lors de la première lecture du PLFSS. Ainsi, l'action 19 du programme 304, qui labellise la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, alloue des crédits au fonds de contractualisation avec les départements et à certaines actions, notamment celles liées à l'alimentation. Il en est de même à l'action 11 pour la prime d'activité, à l'action 17 pour l'augmentation des points d'accueil et d'écoute des jeunes. Le programme 102 est mobilisé sur les politiques d'accès et de retour à l'emploi, l'insertion par l'activité économique. Il comprend également une remontée en charge des crédits du Parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (PACEA), dont la Garantie jeunes est une des modalités. 48 millions d'euros de crédits y seront consacrés en 2019 et 100 millions d'euros au terme de la mandature, contre 8 millions en 2018. Cet engagement très important permettra d'accompagner 100 000 jeunes supplémentaires chaque année au titre du PACEA.

Le PLFSS contient également les mesures relatives à l'ONDAM médico-social dont j'ai déjà parlé et les éléments de contractualisation avec la branche famille.

Au-delà de ce vecteur législatif fondamental, nous allons agir par le biais de la contractualisation avec les collectivités, et au premier chef avec les départements, responsables de l'action sociale. Nous avons travaillé sur la matrice de contractualisation avec l'Association des départements de France (ADF). Les contrats comporteront deux volets : un socle obligatoire, financé à hauteur de 60 millions d'euros, dans trois directions – aide sociale à l'enfance avec la fin des sorties sèches ; accès aux droits avec le déploiement des accueils sociaux inconditionnels et universels et la mise en place de référents parcours ; politique d'insertion avec l'accueil, l'accompagnement et l'orientation des nouveaux allocataires du RSA, mais aussi l'augmentation de l'offre d'accompagnement.

Une enveloppe complémentaire de 25 millions d'euros sera consacrée aux initiatives des territoires qui s'inséreront dans l'un des cinq engagements de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. L'État cofinancera alors ces actions. Les départements sont concernés, mais également les métropoles ou les régions qui souhaiteraient s'engager dans la mise en oeuvre de la stratégie – comme c'est le cas des Hauts-de-France depuis la semaine dernière.

Cette contractualisation sera engagée par dix territoires « démonstrateurs » qui vont délibérer d'ici à la fin de l'année, afin que les premières actions soient effectives sur le terrain dès le début 2019.

Pour conclure, nous souhaitons que tous les acteurs s'approprient les enjeux de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. J'ai déjà évoqué les départements et les autres collectivités, mais n'oublions pas les centres communaux d'action sociale (CCAS), les associations, les collectifs de personnes concernées ou de travailleurs sociaux. L'animation régionale de ces acteurs va être mise en place, et connaîtra des déclinaisons infrarégionales en fonction des besoins des territoires, pour que chacun des quinze grands chantiers de la stratégie soit porté et animé par un acteur du territoire. En effet, le bilan du précédent plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté – dont les bénéfices ont été importants pour beaucoup de nos concitoyens – souligne les défaillances de la territorialisation de certaines mesures. C'est pourquoi nous avons révisé la gouvernance des politiques publiques pour sortir du modèle descendant – la stratégie sera désormais initiée et déclinée à partir des besoins et de l'engagement des collectivités et des acteurs des territoires.

Cela va supposer une transformation des missions et un accompagnement des acteurs, notamment des travailleurs sociaux. En 2019, le Haut conseil du travail social va réfléchir à un grand plan de formation continue.

Enfin, nous allons développer les outils de pilotage de l'innovation sociale et élargir les expérimentations, grâce à un fonds d'investissement social de 100 millions d'euros. L'évaluation fera également l'objet de toute notre attention et de crédits spécifiques afin d'être à la hauteur des ambitions fixées par le Président de la République. Nous suivrons donc précisément l'évolution des indicateurs des politiques sociales. En effet, la confiance dans les politiques publiques et dans les politiques sociales passe par la preuve. Des preuves existent sur le terrain ; elles doivent être connues et reconnues de nos concitoyens.

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Monsieur le délégué interministériel, au nom du groupe La République en Marche, je vous félicite pour votre exposé sur la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté.

La lutte contre la pauvreté et les inégalités de destin est une préoccupation majeure de nos concitoyens et de notre majorité. Nous attendions une stratégie globale contre la pauvreté, qui touche trois millions d'enfants. Certains d'entre eux ne mangent pas le matin ; ils ont six fois plus de caries que les autres enfants et maîtrisent moins bien la langue française. Nous ne pouvons nous résoudre à l'idée qu'il faille six générations pour qu'un enfant de famille pauvre atteigne le revenu moyen. Six générations, c'est presque deux siècles !

Je salue donc votre stratégie qui propose un accompagnement et des mesures fortes à tous les stades de la vie, dès la petite enfance : renforcement de l'apprentissage du langage en crèches, crèches à vocation d'insertion, petits-déjeuners à l'école, repas à la cantine à un euro pour les familles les plus vulnérables, accompagnement des jeunes décrocheurs, renforcement de la Garantie jeunes ou encore fin des sorties sèches de l'aide sociale à l'enfance. Bref, vous restaurez l'égalité des chances, à laquelle nous sommes profondément attachés pour empêcher la reproduction des inégalités sociales.

À travers cette stratégie, nous saluons la volonté du Gouvernement et du Président de la République de mettre l'accompagnement au premier plan. Qu'il soit tourné vers les enfants, les jeunes ou les personnes les plus éloignées de l'emploi, cet accompagnement à tous les âges de la vie permettra de garantir à tous une chance d'insertion.

Face à l'urgence des situations, vous avez voulu cette stratégie immédiate et opérationnelle. Pouvez-vous nous dire quelles sont les grandes étapes à venir ? Comment nous, députés, pouvons-nous nous inscrire dans cette stratégie dans les mois à venir, afin de soutenir votre action à l'Assemblée ou sur le terrain ?

Vous l'avez dit, cette stratégie sollicite l'énergie de beaucoup d'acteurs – État, départements et autres collectivités, associations. Pouvez-vous nous préciser comment les entreprises pourront également s'engager ?

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Jacques Brel disait « fils de bourgeois, ou fils d'apôtres, tous les enfants sont comme les vôtres. Fils de César, ou fils de rien, tous les enfants sont comme le tien. Le même sourire, les mêmes larmes, les mêmes alarmes, les mêmes soupirs… ».

La détérioration de la situation économique pèse sur les familles et par conséquent sur les enfants. Le taux de pauvreté des moins de 18 ans est passé de 8 à 9 %. Ce n'est pas une explosion, mais la dégradation est réelle. Le nombre d'enfants vivant sous le seuil de pauvreté – à 50 % du niveau de vie médian – a augmenté de 158 000, dont 110 000 très jeunes enfants. Aujourd'hui, un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté en France – moins de 1 700 euros par mois pour une famille avec deux enfants. La situation est d'autant plus urgente qu'elle s'aggrave puisque le taux d'enfants vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 16 à 20 % en quinze ans en France, représentant près de trois millions d'enfants.

Le Président de la République a lancé une grande concertation axée sur la pauvreté des enfants et des jeunes. La moitié des appels au 115 – le numéro d'urgence – provient d'une famille en recherche d'un hébergement d'urgence. En réalité, moins d'une personne sur deux qui appelle le 115 se voit proposer une solution en centre d'hébergement ou en hôtel quand les centres sont pleins. Le réseau est complètement saturé. Le mal-logement a des conséquences considérables sur la vie quotidienne de ces enfants et appelle un sursaut de l'action publique. Les arbitrages financiers se font au détriment d'autres dépenses – alimentation, loisirs, santé, culture.

La pauvreté des familles heurte davantage nos valeurs que la pauvreté tout court. L'article 11 du préambule de la Constitution de 1946 indique que la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Soixante-dix ans plus tard, ce n'est toujours pas le cas… Sans l'importance du système de redistribution – notamment des allocations familiales ou de logement –, beaucoup plus d'enfants vivraient dans une famille démunie.

Nombre de jeunes de notre pays sont bien loin de la profusion de la société de consommation, qui s'étale pourtant devant leurs yeux. Ils mesurent l'importance d'être né au bon endroit, dans la « bonne » famille, et il n'est donc pas anodin qu'ils expriment leur ressentiment dans la rue.

Quelles dispositions comptez-vous prendre pour faire face à ce fléau ?

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Votre intervention, monsieur le délégué interministériel, vient parachever un cycle de présentation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, d'abord par le Président lui-même, mais également par certains de nos collègues, puisque Christine Cloarec et Claire Pitollat ont respectivement présenté au Premier ministre un rapport sur le versement de la juste prestation et sur l'accompagnement des bénéficiaires du RSA.

Le groupe du Mouvement démocrate et Apparentés soutient pleinement cette stratégie qui vise à procéder à une transformation en profondeur de notre système de solidarité. Notre pays compte aujourd'hui près de neuf millions de pauvres, soit 14 % de sa population. Je suis élu dans une circonscription où le nombre de pauvres est supérieur de trois points à la moyenne nationale. Ce taux monte à 20 % pour les moins de dix-huit ans. Ce constat n'est pas acceptable et il apparaît plus que jamais indispensable que notre politique solidaire et sociale bascule vers un nouveau paradigme.

Il s'agit de s'éloigner d'un système palliatif, et même préemptif de l'égalité réelle et efficace des chances, pour engager une dynamique de prévention concrète. Le groupe MODEM se mobilise depuis le début de la législature pour que la prévention devienne une priorité, tant en matière de santé que de solidarité. Nous souscrivons donc pleinement aux cinq engagements de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté et aux nombreuses mesures qui en découlent.

Nous saluons l'accent mis sur la jeunesse, par l'éducation et la formation, mais aussi grâce à l'accompagnement et à l'émancipation sociale par l'emploi. C'est indéniablement la bonne direction.

En outre, dès l'examen du PLFSS, nous avons pu mettre en oeuvre une des mesures phares de cette stratégie, à savoir la fusion de la CMU-C et de l'aide à la complémentaire santé. Nous voyons bien à quel point des simplifications s'imposent pour parvenir à mener une politique de solidarité cohérente, juste et surtout efficace !

Si cette stratégie est très orientée vers les jeunes publics, qu'en est-il de la précarité des personnes âgées ? Quelles mesures spécifiques sont envisagées ? L'actualité récente nous a montré le lien étroit entre précarité et logement. Quelles passerelles pourront être mises en place avec le Plan quinquennal pour le Logement d'abord ? Quelle sera la place du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) dans les dispositifs de cette stratégie ? Enfin, qu'en sera-t-il de l'accompagnement des invisibles qui émergeront avec les mesures mises en place ?

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La stratégie dévoilée le 13 septembre dernier est ambitieuse et noble puisqu'elle vise à éliminer les causes et les engrenages qui font que l'on tombe de manière durable dans la pauvreté. Nous ne pouvons qu'être d'accord avec cet objectif d'investissement social. Néanmoins, nous nous inquiétons de la segmentation induite par le ciblage de cette stratégie. Pour reprendre la métaphore de Denis Clerc, membre de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES), s'attaquer à la racine est une très bonne chose, mais en attendant que les racines alimentent le changement, on oublie les feuilles.

Ma première question concerne le financement de la stratégie. Le projet de loi de finances pour 2019 nous semble nettement insuffisant et très flou. Êtes-vous en mesure de fournir à la représentation nationale un document budgétaire lisible et un ciblage précis et fléché du financement de cette stratégie pour l'année à venir ?

Ma deuxième question concerne la situation des plus démunis, mais pas encore pauvres, et en particulier celle des seniors. Les Petits Frères des Pauvres s'inquiètent qu'ils soient les grands oubliés de cette stratégie ; le récent rapport du Secours Catholique confirme leur précarité croissante, que le reste à charge zéro et l'augmentation du minimum vieillesse ne suffiront pas à enrayer. Le rapport présente un certain nombre de propositions. Qu'en retenez-vous ?

Un autre secteur est oublié : l'aide alimentaire. Dans votre stratégie, elle est limitée au gaspillage alimentaire, aux petits déjeuners à l'école en zones d'éducation prioritaire et aux tarifs sociaux dans les cantines. Mais si les bénéficiaires sont en hausse, les 5,5 millions de crédits du projet de loi de finances 2019 sont en baisse. En outre, nous sommes inquiets concernant les financements européens – une baisse de 3,8 à 2 milliards d'euros est envisagée dans le prochain cadre financier pluriannuel – et la lourdeur des procédures de contrôle pesant sur les structures associatives risque de décourager les bénévoles.

Enfin, ma dernière question concerne le CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion), dont l'action est quasiment paralysée depuis un an. Sous le précédent quinquennat, il se réunissait tous les mois et constituait un lieu d'échanges indispensable. Que se passe-t-il ?

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Dans le cadre de l'examen du PLFSS, j'ai dit à plusieurs reprises combien je regrettais que la politique familiale soit abandonnée, au profit, comme l'a expliqué la ministre, du plan pauvreté. Ce sont pourtant deux politiques bien différentes : la première consiste en une redistribution horizontale tandis que le Plan pauvreté, que nous approuvons et appelons de nos voeux, est le fruit d'une redistribution verticale.

Je souhaite revenir sur quelques points que vous avez présentés en introduction. Le Plan pauvreté prévoit la création de 30 000 places de crèche, dont je n'ai pas bien compris si toutes étaient destinées aux quartiers sensibles. Pourriez-vous préciser quelle sera leur répartition ? Une fois de plus, je regrette que tout ait été décidé d'en haut, sans qu'il ait été tenu compte des nécessités locales. Le Gouvernement devrait au contraire adapter ses projections en fonction des besoins exprimés par les territoires. Quels sont les moyens matériels qui seront alloués aux collectivités pour créer de nouvelles places de crèches ? Enfin, qu'en est-il de la simplification des normes, tant attendue par les collectivités ?

Je suis favorable à ce que les enfants puissent prendre un petit-déjeuner à la cantine, mais qui prendra en charge le coût de cette mesure ? Les collectivités locales recevront-elles une compensation des frais engagés, aussi bien en alimentation qu'en personnel ?

Plusieurs rapports sur la prévention spécialisée ont été remis sous le quinquennat précédent. Cette compétence sera-t-elle toujours facultative et attribuée aux conseils départementaux ou aux métropoles, ainsi que le prévoit la loi NOTRe, ou sera-t-elle transférée à un autre niveau ? Qui évaluera cette politique, et comment ?

Enfin, il semble que le Parlement ait été totalement exclu de l'élaboration de ce plan, son rôle se limitant à vous auditionner et à voter les crédits dans le cadre de la mission budgétaire.

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Ma question portera sur la prévention spécialisée. Nous connaissons tous le bénéfice des mesures d'accompagnement qui peuvent être prises vis-à-vis des jeunes ou des familles. Mais la prévention spécialisée, qui est censée lutter contre les risques de maltraitance, de délinquance et de conduites à risques se heurte parfois à une mauvaise compréhension de ses principes fondamentaux que sont l'absence de mandat individualisé, la libre adhésion et la garantie de l'anonymat. Or ce sont bien ces conditions qui rendent possible l'apprivoisement de certains jeunes en rupture, préalable à tout travail d'insertion.

Il ne suffit pas toujours que ces conditions soient mises en place dans les Points d'accueil et d'écoute jeunes : il est parfois nécessaire d'aller au-devant des jeunes, là où ils se trouvent, et à toute heure du jour et de la nuit. Pouvez-vous nous assurer que dans les budgets dédiés et les appels à projets qui seront lancés sur la prévention spécialisée, l'éducation de rue trouvera toute sa place et verra ses fondamentaux respectés ?

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Je tiens à mon tour à vous féliciter pour la qualité de votre travail et à saluer les progrès sociaux que vous défendez à travers votre mission. Vous avez mis en avant plusieurs mesures prioritaires, dont la garantie du droit à l'alimentation.

Je souhaite évoquer un projet innovant, en passe d'être développé à Dijon. Alliant lutte contre la pauvreté et lutte contre le gaspillage alimentaire, il vise à mettre à la portée des publics fragiles et à faibles revenus les denrées alimentaires perdues pour les grandes surfaces. Un mécanisme innovant et respectueux de la dignité permettra à ces personnes de retirer la marchandise directement au magasin, comme tout autre client, via un système de « drive », sur présentation d'une carte spécifique. Ce projet fera intervenir des entreprises de l'économie sociale et solidaire, en comptant sur la collaboration de l'État, des collectivités territoriales et des entreprises partenaires.

J'ai cru comprendre dans vos propos liminaires qu'il serait possible d'intégrer la mise en oeuvre de projets expérimentaux de ce type dans l'objectif de garantie du droit à l'alimentation. Pouvez-vous le confirmer ?

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La parole est à M. Olivier Noblecourt, pour répondre à cette première série de questions.

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Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour ces interventions et ces remarques, qui nous sont précieuses. Je le dis avec humilité car vous êtes dépositaires d'une exigence à laquelle nous devrons répondre au cours des prochaines années, dans un domaine qui exige de nous un travail au long cours. Nous n'en sommes aujourd'hui qu'à la première étape.

Madame Romeiro Dias, je veux redire combien nous estimons important que l'accompagnement social des personnes prenne en compte la dynamique des parcours de vie. La philosophie de la stratégie pauvreté, que vous avez rappelée, est de s'adosser davantage au projet des personnes qu'à leur entrée dans un dispositif.

En parallèle du processus législatif dont vous serez les auteurs, la contractualisation sera mise en oeuvre dès le début du mois de janvier dans les dix territoires démonstrateurs. Nous espérons qu'elle sera achevée dans la totalité des départements sollicités au 30 juin 2019. Ce premier semestre sera donc consacré aux échanges entre État et départements, afin de mettre en oeuvre la stratégie selon les modalités que j'ai décrites.

La semaine prochaine, nous serons à Orléans avec Agnès Buzyn et Christelle Dubos pour lancer les conférences régionales des acteurs. D'ici à la fin de l'année, ou au tout début de l'année 2019, chaque région sera dotée d'une gouvernance qui mobilisera les collectivités de tout niveau et l'ensemble des acteurs. Les personnes concernées y occuperont bien sûr une place centrale. Il est très clair que les réponses que nous construirons ne seront efficaces que si nous partons de leurs besoins.

Les parlementaires seront bien sûr informés et associés à cette mise en oeuvre par les services déconcentrés de l'État. Vous serez légitimes à leur demander des comptes, mais aussi à inciter les acteurs de vos territoires à s'engager dans cette stratégie.

Par souci de concision, je n'ai pas évoqué dans mon propos liminaire le rôle des entreprises. Le dernier volet du document de la stratégie pauvreté, téléchargeable sur internet, est pourtant axé sur leur engagement, qui pourra prendre deux formes. Nous tenterons de déployer le modèle « ni gains ni pertes », dans lequel les entreprises renoncent à leur marge sur des produits de première nécessité. Il s'agit d'un programme initié par Action Tank Entreprise et Pauvreté, qui a déjà mis en oeuvre une action dans le domaine de l'alimentation infantile. Pour l'heure, seuls quelques départements pilotent ce type de dispositif, que nous généraliserons.

Nous demanderons aussi aux entreprises d'accompagner les initiatives locales à travers des « dotations d'action territoriale ». Il s'agit d'augmenter la part dévolue à l'action sociale du mécénat, lequel est surtout dirigé vers l'action culturelle et sportive. Une première expérimentation est en cours à Romans-sur-Isère et d'autres communes s'engagent en ce sens. Ce programme, mis en oeuvre de façon très progressive, sera piloté par les acteurs des territoires, à qui il reviendra de mobiliser les entreprises de taille intermédiaire. Ce n'est pas là le rôle de l'administration centrale.

Madame Valentin, j'ai décrit les nombreuses mesures d'accompagnement qui existent pour les jeunes. La pauvreté des enfants est un phénomène qui recouvre diverses réalités de privation matérielle. Une directive européenne de 2013 prévoit des indicateurs qui permettent de mesurer de façon très précise l'accès à l'éducation, l'accès à la santé, l'accès à une alimentation équilibrée, l'accès à la culture et aux loisirs. L'observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, l'ONPES, a rendu un rapport très riche sur ce sujet à l'automne 2017. La stratégie prévoit de diviser par deux, en quatre ans, le taux de privation matérielle des jeunes. Nous aurons à en rendre compte, y compris devant l'Union européenne.

Monsieur Hammouche, vous m'avez interrogé sur la pauvreté des personnes âgées, une dimension selon vous insuffisamment prise en compte dans la stratégie de lutte contre la pauvreté. Nous n'avons aucune prétention à l'exhaustivité ou à la perfection, et les remarques et les critiques sont évidemment les bienvenues. Comme les parlementaires en ont décidé, le minimum vieillesse, aujourd'hui appelé l'allocation de solidarité aux personnes âgées – ASPA – fait à nouveau l'objet d'une revalorisation, qui sera de l'ordre de 35 euros en 2019, suivie d'une autre en 2020. Le nombre d'allocataires augmente en flux, et ce sont en tout 550 000 personnes qui voient leurs revenus croître.

Mais, comme vous l'avez souligné, les difficultés monétaires du grand âge se doublent souvent d'un isolement social. Et si l'ASPA permet d'atteindre un niveau de ressources approchant le seuil de pauvreté – d'où l'enjeu de sa revalorisation –, et supérieur au RSA, c'est bien cet isolement qui est source de très grande souffrance des personnes âgées et accroît encore leur vulnérabilité lorsqu'elles deviennent dépendantes. Le chantier de la dépendance, vous le savez, est ouvert. La stratégie pauvreté, quant à elle, financera des dispositifs de lutte contre l'isolement en faisant droit aux recommandations d'un récent rapport du Conseil économique, social et environnemental. Il s'agirait notamment de labelliser des équipes associatives dans les territoires, à l'instar des Petits Frères des Pauvres, association emblématique de la prévention de l'isolement et de la pauvreté des personnes âgées.

Qu'il s'agisse du RAC (reste à charge) zéro ou de la fusion ACS CMU-C, les grands gagnants sont évidemment les personnes âgées, dont les besoins en soins sont plus importants. La direction de la sécurité sociale a chiffré le bénéfice pour un couple de personnes âgées de 70 ans de la fusion ACS CMU-C à 600 euros minimum par an, avec un panier de soins qui sera de meilleure qualité. Nous visons donc bien une amélioration du pouvoir d'achat et des conditions de vie réelles, les enjeux n'étant pas que monétaires.

S'agissant du logement, je vous ai apporté quelques réponses qui tiennent notamment au lien entre hébergement et logement et à la prise en charge des familles, insuffisamment accompagnées aujourd'hui. Des moyens importants y seront consacrés : ces 125 millions d'euros permettront par exemple de créer jusqu'à 7 500 places en CHRS, pour les femmes avec enfants, ce qui n'est pas rien. Au-delà, nous comptons contractualiser une partie de nos crédits avec les collectivités qui pilotent la politique de l'habitat, notamment les métropoles et les intercommunalités qui gèrent les programmes locaux de l'habitat – PLH –, afin de mieux prendre en compte cette dimension dans nos politiques de lutte contre la pauvreté.

Pour m'y être rendu à cinq reprises cette année, et il y a encore trois semaines, je ne crois pas savoir que le CNLE rencontre des difficultés particulières de fonctionnement. Le mandat du président doit s'achever un peu avant l'été, ce qui pose la question du renouvellement de ses membres, mais nous sommes convenus avec Étienne Pinte qu'il puisse aller à son terme. Nous allons proposer un nouvel élan, en augmentant notamment la place des personnes concernées dans le 8e collège. En tout état de cause, je peux attester de la vitalité de l'organisme. Les séances et les débats auxquels j'ai pu assister étaient passionnants.

Enfin, sur cette première ligne de front qu'est l'accompagnement des « invisibles », j'ai évoqué, s'agissant des jeunes, les Points d'accueil et d'écoute, l'éducation spécialisée, les missions locales. Nous financerons aussi les dispositifs « aller vers » via le plan d'investissement dans les compétences. Le PIC destinera 50 millions d'euros au financement d'actions portées par les collectivités et les associations. Enfin, dans la matrice de l'organisation des accueils sociaux et universels que nous mettrons en place avec les départements, une partie très importante est liée à l'accès de ces invisibles, particulièrement important dans le monde rural.

Madame Biémouret, nous cherchons toujours un équilibre, certes perfectible, entre les « racines » et l'existant. Sur les 8,5 milliards d'euros que représente la stratégie de lutte contre la pauvreté, 4 milliards seront consacrés à des réponses immédiates, comme la revalorisation de la prime d'activité, les 4,5 milliards restants permettant de financer les politiques de prévention et d'accompagnement. Celles-ci ne visent pas uniquement la racine, j'en ai parlé très directement avec Denis Clerc : les politiques d'accompagnement entreront en vigueur immédiatement. Il convient bien sûr de prévoir une montée en charge car, même si des actions remarquables sont conduites dans le département du Gers, vous n'ignorez pas que les opérateurs de l'accompagnement sont aujourd'hui fragilisés et qu'ils n'ont pas toujours la capacité de déployer le personnel suffisant pour appliquer ces politiques. Je viens tout juste de rencontrer les responsables d'une association qui gère de l'hébergement et des chantiers d'insertion, qui insistaient sur le fait que le rythme devait augmenter progressivement.

Nous nous y emploierons ces prochaines années, mais dès janvier, une partie importante des départements mettra en oeuvre la fin des sorties sèches de l'aide sociale à l'enfance – une réponse à l'urgence – et Pôle emploi augmentera l'accompagnement global. Nous pourrons examiner, si vous le souhaitez, la déclinaison opérationnelle des mesures dans le temps, mais, quand bien même vous êtes en droit de trouver l'équilibre imparfait – et nous ne prétendons pas qu'il le soit –, il existe à la fois des actions de prévention au long cours et des actions d'accompagnement immédiates. Il est important que nous rompions avec une logique d'accompagnement purement monétaire. Si les aides directes représentent encore la moitié de la dépense, comme c'était le cas dans le précédent plan pluriannuel, avec la revalorisation de la prime d'activité, nous consacrons des moyens encore plus importants à l'accompagnement et à la prévention.

Sur le financement de la stratégie, sachez que les dépenses totales en 2019 représentent 1,3 milliard d'euros, en comptant l'engagement des caisses de sécurité sociale, de Pôle emploi et le fonds de contractualisation. En 2022, ces dépenses s'élèveront à près de 3 milliards d'euros. Cela donne une voilure de financement sur des mesures exclusivement nouvelles. Sans vouloir polémiquer, je souligne que nous aurions pu intégrer dans le financement de la stratégie pauvreté la revalorisation de l'ASPA et de l'AAH ainsi que les mesures annoncées cet été au titre de la politique de la ville. Nous n'avons pas cédé à la tentation d'un habillage budgétaire flatteur en recyclant des crédits. Il s'agit de 100 % de mesures nouvelles, qui s'ajoutent à l'ensemble des politiques déjà financées.

Nous avons travaillé avec le Secours Catholique sur les enjeux de l'isolement des seniors et nous reconnaissons pleinement dans les recommandations qui ont été faites.

De nouvelles alertes sur l'aide alimentaire au niveau européen se sont fait jour et les différents ministres sont pleinement mobilisés. Dans ce domaine, nous comptons nous inspirer, et ce n'est pas une facilité de langage, des actions menées par les territoires. Le 12e groupe de travail des États généraux de l'alimentation a travaillé sur l'accès des plus fragiles, et notamment sur ces dispositifs qui permettent de lutter contre le gaspillage, sur les circuits courts et les modèles de transition écologique et alimentaire des territoires. De très belles actions sont menées dans le Gers mais je pense aussi à des projets en cours dans les métropoles de Nantes et de Rennes, dont nous nous inspirerons.

Pour répondre à votre question sur le gaspillage alimentaire, madame Khattabi, la stratégie prévoira bien ce type de financement.

Monsieur Lurton, il était essentiel qu'au-delà de la redistribution horizontale, qui n'est pas remise en cause, nous nous attachions à la redistribution verticale. Notre politique familiale est singulière en cela qu'elle repose sur les trois piliers que sont les allégements fiscaux, les prestations monétaires et les services. Les allégements fiscaux ne bénéficient pas aux familles les plus pauvres, qui ne paient pas l'impôt sur le revenu – elles sont pourtant celles qui portent la démographie dans notre pays. Et si elles sont les premières à bénéficier des prestations monétaires – ce qui n'est que justice républicaine –, elles sont les grandes oubliées des services d'accueil du jeune enfant.

Alors que l'accueil individuel ne leur est pas accessible, le taux d'accès aux crèches des enfants de familles pauvres est 4 à 5 fois moins important que celui des enfants issus de milieux favorisés. Nous n'avons pas pour ambition de donner l'exclusivité, ou la priorité aux enfants des familles en situation de pauvreté, mais de faire en sorte qu'ils aient, pour commencer, le même accès, dans une mixité sociale parfaitement républicaine. C'est l'honneur du conseil d'administration de la branche famille que d'avoir soutenu ces priorités dans la convention que l'État a soumise à son approbation.

S'agissant de la création de places de crèches, nous sommes loin d'imposer des décisions par le haut, puisque nous allons solvabiliser l'effort des communes. Nous n'avons pas pensé les besoins depuis Paris, nous avons au contraire voulu donner aux maires les moyens de s'engager. Par le bonus « mixité sociale », conjugué au bonus « territoires » des communes, nous réduirons le reste à charge à moins de 10 % du coût d'une place de crèche. La réalité, et vous le savez, est que les maires ne s'engagent que s'ils ont une visibilité sur le coût en fonctionnement, et non sur des critères d'investissement. Nous avons donc conduit ces actions, en parfaite intelligence d'ailleurs, avec l'association des maires de France, qui a soutenu l'ensemble de ces mesures, pour que les maires puissent s'engager à partir de leur analyse des besoins.

Je serai honnête avec vous, le nombre de 30 000 places est un plancher. Nous nous souvenons que, sur les 100 000 places en établissements collectifs qui avaient été prévues sous la précédente législature, seules 30 000 ont été créées. Nous partons donc avec un objectif raisonnable, faire au moins ce qui a été réalisé précédemment, en relançant la dynamique de création sur le territoire. Ce qui importe, c'est que les acteurs des territoires s'engagent dans ce développement de l'offre. Cette mission sera confiée aux CAF. Des chantiers de simplification administrative seront confiés aux législateurs que vous êtes. Une mission parlementaire est en cours sur les missions des PMI. Donnons-nous le temps, sur ces sujets, de rassembler l'expertise des acteurs des territoires.

Les petits déjeuners à l'école seront pris en charge par l'éducation nationale et ne représenteront donc pas un coût supplémentaire pour les communes. Nous mettrons en place une aide, pensée avec les élus, destinée aux petites communes, notamment rurales, pour la mise en place d'une tarification sociale des cantines dans le premier degré. Les deux tiers d'entre elles en sont dépourvues, alors que plus des deux tiers des communes de plus de 10 000 habitants en appliquent une. Dans le second degré, les fonds sociaux des collèges et des lycées ont été revalorisés très fortement pour répondre à cette problématique.

Enfin, madame de Vaucouleurs, j'ai participé la semaine dernière au congrès national de la prévention spécialisée. Nous dédierons au moins 5 millions d'euros par an, hors contractualisation, au renforcement de l'éducation spécialisée. Il est inédit que l'État finance directement ces missions. Nous le ferons en donnant la priorité aux territoires les plus fragiles, qui ne sont pas couverts aujourd'hui. Il faut savoir que 17 départements n'ont plus de services de prévention spécialisée ou d'associations financées, ce qui constitue une difficulté terrible. Les interventions se feront en priorité en direction des plus âgés, car la pente à n'aller que vers les plus petits constitue l'une des limites de l'intervention publique auprès des 16-25 ans, et nous le ferons sur les horaires de nuit et de week-end, qui sont les horaires sensibles pour toucher ces jeunes.

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Nous ouvrons une nouvelle série de questions avec M. Marc Delatte.

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Dans l'Union européenne, la France se distingue par un taux de pauvreté plus bas – 6,8 % – que celui de ses voisins – 10,9 % en moyenne. Il ne s'agit pas de se féliciter d'un chiffre encore bien trop haut, mais de comprendre ce qui permet d'atteindre ce résultat. Le taux de pauvreté est un indicateur très hétérogène, si bien que deux pays avec un même taux peuvent se trouver dans des situations totalement différentes.

Parmi les différents indicateurs, on peut évoquer le taux de persistance de la pauvreté, qui permet d'étudier le caractère durable ou non de ces situations. En France, 35 % des personnes pauvres l'ont été au moins deux ans sur les trois années précédentes, un taux bien en-deçà de la moyenne européenne, située à 52 %. C'est encore bien trop, mais cela n'efface pas le constat que la France fait mieux que ses voisins européens. Prendre conscience de cet avantage peut nous permettre de nous améliorer si ce taux de persistance moindre peut s'expliquer par des spécificités françaises, dans le respect des principes de justice, de solidarité et de dignité. Comment vous appuyez-vous sur ces éléments dans l'application du plan pauvreté ?

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Ce sont 1,2 million d'enfants qui vivent dans la grande pauvreté, très souvent dans des familles elles-mêmes en grande difficulté. Au regard des problématiques rencontrées, qu'elles soient financières, sociales, de santé ou relatives au logement, il est nécessaire de définir une stratégie. Vous avez évoqué différentes pistes et un certain nombre de leviers, avec des partenariats et une collaboration avec les collectivités locales, qu'il s'agisse des communes ou des départements.

Cependant, dès la présentation du plan pauvreté par le Président de la République en septembre, les associations d'élus ont exprimé leur inquiétude, puis leur ressentiment face à l'obligation d'être les obscurs financiers de mesures, certes intéressantes à bien des égards, mais douloureuses pour des territoires affaiblis.

Vous avez évoqué la création de 30 000 places en crèche d'ici à la fin du quinquennat, avec les bonus « territoire », « handicap » et « mixité ». Par ailleurs, le Gouvernement compte inciter les petites communes à mettre en place une tarification sociale pour la cantine, abaissant le prix du repas à 1 euro. C'est peu dire que la contractualisation entre les collectivités et l'État pour obtenir les fonds annoncés, avec obligation de résultat pour les territoires, a été perçue avec circonspection par les maires – fût-ce avec la promesse par le Président Macron d'un accompagnement. Pouvez-vous nous éclairer sur les conditions de cette contractualisation ? L'AMF juge inacceptable l'obligation de résultat imposée aux collectivités en matière de lutte contre la pauvreté et souligne que les expérimentations prévues ne sont pas étendues à toutes les catégories de territoires, notamment les communes rurales et les petites villes. Pouvez-vous préciser quels sont les territoires concernés par ces expérimentations ? Par ailleurs, en tant que conseillère départementale, je sais qu'il est tout à fait bénéfique d'organiser le suivi des allocataires du RSA dès le premier mois de leur inscription, mais cela nécessite des travailleurs sociaux supplémentaires. Le Gouvernement s'apprête-t-il à augmenter l'enveloppe budgétaire pour les communes et les départements, et le cas échéant, à quelle hauteur ?

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La stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes se déclinera dans un premier temps dans une dizaine de territoires démonstrateurs, dont la métropole de Lyon. Collectivité à part entière depuis 2015 elle assure, au titre de ses compétences en matière d'aide sociale à l'enfance, l'accueil et la prise en charge des mineurs non accompagnés. On l'a rappelé, le nombre de MNA a explosé ces deux dernières années et ne cesse de s'accroître. La métropole de Lyon prenait en charge plus de 1 000 MNA au 31 décembre 2017 ; face à l'afflux massif qui s'est poursuivi en 2018, elle a dû abonder de 13 millions d'euros les crédits dédiés à l'accueil et à l'accompagnement des MNA. L'augmentation importante du nombre d'arrivées a bousculé le dispositif mis en place.

Je voudrais savoir quels effets aura l'expérimentation des territoires démonstrateurs sur la gestion des MNA par la métropole de Lyon, le plan de pauvreté ayant vocation à accompagner, mais aussi à renforcer les dispositifs déjà existants. Et je sais que la métropole tient vraiment à cette lutte contre la pauvreté.

Par ailleurs, pouvez-vous en dire davantage sur les moyens logistiques qui seront déployés par l'État dans le cadre du plan pauvreté ? Je crois sincèrement que ce dispositif de territoires démonstrateurs est novateur dans la gestion des MNA, pour qu'un enfant pauvre d'aujourd'hui ne devienne pas un adulte pauvre de demain.

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J'associe à ma question Mme Romeiro-Dias. La stratégie de lutte contre la pauvreté repose sur un changement de paradigme majeur, puisqu'elle cible les personnes les plus touchées et fait des enfants et des jeunes une priorité. C'est une excellente nouvelle car nous savons que 1,8 million de personnes pauvres sont des enfants et des adolescents, des enfants de pauvres, de travailleurs pauvres ou de personnes sans emploi.

Un enfant pauvre sur trois vit dans une famille monoparentale, dans neuf cas sur dix au foyer de sa mère. Ces femmes sont plus souvent inactives, et si elles ont un emploi, il est moins bien rémunéré et davantage à temps partiel. Faute d'emploi, d'accès aux services publics, à des modes de garde pour leurs jeunes enfants, les mères isolées le sont de plus en plus et ne parviennent pas à sortir de la pauvreté. Lutter contre la pauvreté des enfants, c'est donc aussi, et surtout, lutter contre la pauvreté des mères. Quel dispositif avez-vous prévu de mettre en place pour accompagner les mères isolées et leur permettre de sortir de la pauvreté ?

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Identifier les phases de l'enfance lors desquelles les écarts de destin peuvent se creuser, pour y apporter à chaque fois une solution adaptée, est une stratégie qui se donne les moyens de réussir. Cette politique publique est entièrement tournée vers les plus fragiles, en partant de leurs besoins. Nous pouvons espérer éradiquer ainsi la pauvreté et je vous remercie sincèrement d'oser porter cette ambition.

Je souhaite vous interroger sur l'obligation de formation pour les 16-18 ans, qui me paraît décisive pour empêcher le décrochage qui concerne, rappelons-le, plus de 20 000 jeunes supplémentaires chaque année. Il est difficile d'amener les décrocheurs vers les dispositifs existants, parce que l'on ne les connaît pas, que l'on perd leur trace, que l'on ne va pas les chercher, que l'on n'arrive pas à les motiver. Pouvez-vous préciser ce que changera l'obligation et les modes de repérage et d'accompagnement que vous envisagez pour ces jeunes ? Pouvez-vous notamment détailler le dispositif « aller vers », un point qui me semble crucial ?

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Je vous remercie pour ce plan très large et global. Élue d'une circonscription de Marseille, je ne peux ignorer le lien de causalité évident entre la pauvreté et l'effondrement des deux immeubles de la rue d'Aubagne. Ce drame, qui a entraîné la mort de huit personnes, n'aurait jamais dû survenir. Cette défaillance politique, administrative et juridique est révélatrice des insuffisances de notre système de solidarité, qui est loin d'apporter les protections que chaque citoyen, à part égale, est en droit d'attendre.

Dans les suites immédiates de ce drame, près de 200 familles – plus de 400 personnes – ont été déplacées, face au danger que représente ce qui était leur domicile. Elles ne comptent pas parmi les classes aisées de la population, mais parmi les plus exposés, les plus vulnérables. Une telle tragédie nous interpelle sur l'accès au droit des plus démunis et surtout sur l'accompagnement le plus global possible des victimes.

C'est un fait, le rapport avec l'administration est davantage inégal quand l'usager est en situation de vulnérabilité. Cet accès aux droits, ce besoin d'égalité entre administration et usagers interrogent sur la capacité et la garantie d'une administration protectrice des citoyens. L'intervention d'un interlocuteur tiers, d'un médiateur ou encore d'un référent unique pourrait être une solution : pouvez-vous développer davantage vos préconisations, afin que l'ensemble des acteurs publics assument leurs pleines responsabilités de garant de l'ordre public et de protection sociale des populations ?

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D'élève moyen dans les années 2000, l'école française est devenue la plus inégalitaire de l'OCDE. Avec la baisse des résultats des élèves défavorisés et l'amélioration du niveau des élites, le fossé se creuse. Des avancées peuvent être saluées, comme le dédoublement des classes de CP et CE1 en REP+ et les mesures qui touchent à l'environnement, comme la tarification sociale des cantines, la fusion ACS CMU-C, la création de places de crèches.

Pour autant, l'on continue à tout miser sur l'école en matière éducative. N'y a-t-il pas urgence à considérer enfin le temps libre comme un temps pleinement éducatif, sur lequel les politiques publiques devraient davantage se pencher ? Comment s'appuyer sur le réseau éducatif existant pour ne pas laisser ce temps libre, trois fois plus important que le temps scolaire, amplifier les inégalités ? Peut-on rester insensible aux inégalités entre les enfants qui « gagnent » leur temps libre – riche d'activités diverses, rempli d'affection, voire équilibré par des moments de repos – et les enfants qui « perdent » leur temps libre – consacré, de façon disproportionnée au visionnage de vidéos ou à la fréquentation des bandes –, parce qu'ils n'ont ni offre, ni sollicitation, ni choix ?

Comment donner accès à l'ensemble des outils proposés dans les activités du temps libre, complémentaires de ceux fournis par l'école ? L'école s'inscrit sur ce terrain, mais le temps est discriminant. Entre un enfant qui s'y exerce sur son temps scolaire et celui qui le vit aussi dans ses activités de temps libre, les écarts se creusent encore. Quelle politique nationale d'éducation populaire mettre en oeuvre ?

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Monsieur le délégué interministériel, je vous remercie pour la qualité de votre travail et la clarté de votre exposé.

Vous soulignez, à juste titre, l'importance de la coordination des acteurs de la stratégie de lutte contre la pauvreté, laquelle concerne aussi l'accès à la santé. En effet, la précarité des parents a de nombreuses conséquences sur la santé des enfants. Dans ces populations, non seulement les taux de prématurité et les petits poids de naissance sont supérieurs à la moyenne, mais on recense également un plus grand nombre d'enfants souffrant de surcharge pondérale ou d'une moins bonne santé bucco-dentaire et on constate un moindre taux de couverture vaccinale. Or, les inégalités de santé s'installent avant l'âge de six ans : les dommages et préjudices subis avant cet âge ont un impact souvent durable à l'âge adulte. Il est donc nécessaire de mener une action de prévention ciblée, précoce et coordonnée en faveur des enfants issus des populations les plus vulnérables.

Comment la prévention et la lutte contre la pauvreté des enfants intègrent-elles cette dimension sanitaire ? Quels sont, selon vous, les leviers d'action qui peuvent être utilisés pour renforcer l'accompagnement de ces enfants avant l'âge de six ans ?

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Parmi les priorités du plan de lutte contre la pauvreté figure la création d'un service public de l'insertion. Or, ce projet est peu détaillé dans les différents documents dont nous disposons. Néanmoins, le Président de la République avait clairement affirmé sa volonté que l'État soit le garant de ce service public et que les différentes strates territoriales locales – régions, départements, intercommunalités, communes – soient associées à sa définition. Pouvez-vous nous indiquer où en est la réflexion sur ce sujet ?

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Monsieur le délégué interministériel, cher Olivier, je souhaiterais savoir si, en votre qualité de délégué interministériel, vous êtes en contact avec d'autres responsables européens de la lutte contre la pauvreté. De fait, les inégalités sociales ne se réduisent pas en Europe, en tout cas pas suffisamment vite. Ainsi, si l'on fixe le seuil de pauvreté à 50 % du revenu moyen, on estime que le taux de pauvreté est de 5 % en Finlande, de 7 % en France, de 15 % en Espagne et de 20 % en Roumanie. La pauvreté peut être quatre fois plus importante d'un pays de l'Union européenne à l'autre ! En Europe, un travailleur sur dix est pauvre. En matière éducative, 7 % des Irlandais mais 20 % des Espagnols ont un faible niveau de formation. Dans le domaine de la santé, la situation est presque pire, puisque la différence d'espérance de vie peut atteindre treize ans d'un pays à l'autre de l'Union – nous partageons la même monnaie, mais pas la même espérance de vie. Quant au taux de mortalité infantile, il varie de un à six.

La Stratégie Europe 2020, adoptée en 2014, vise à réduire de 20 millions le nombre de pauvres en Europe ; sans doute faut-il aller plus loin. L'Union européenne, dont on raille souvent le déficit démocratique, gagnerait certainement à mettre la réflexion sociale au coeur de ses démarches d'approfondissement.

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Monsieur le délégué interministériel, je salue les valeurs de fraternité que vous défendez dans le cadre de votre mission. Mais la tâche est rude. Ainsi, 5 % des enfants défavorisés sont accueillis en crèche, contre 22 % des enfants favorisés. Pour lutter contre la reproduction des inégalités, le Gouvernement a promis de verser un bonus financier aux crèches qui s'ouvriraient davantage aux enfants pauvres. Ce bonus devrait être doté de 76 millions d'euros d'ici à 2022 et concerner environ 90 000 enfants issus de familles dites défavorisées. Comment expliquer, selon vous, la faible représentation des enfants de familles défavorisées dans les crèches et, surtout, comment surmonter les éventuelles réticences des familles grâce à ce bonus « mixité sociale » ?

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Un bien triste phénomène s'est développé ces dernières années : les femmes sont de plus en plus nombreuses à se retrouver sans toit à la sortie de la maternité. Celle du centre hospitalier Delafontaine, situé en Seine-Saint-Denis, a ainsi constaté que leur nombre avait doublé entre 2012 et 2014. Je m'interroge quant à l'avenir de ces jeunes mères et, surtout, de ces enfants. Comment éviter de telles situations, qui exposent des nourrissons à un grand danger social et sanitaire ?

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Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes

Vos questions témoignent d'une exigence qui est à la hauteur de l'urgence sociale ; je vais m'efforcer d'y apporter les réponses les plus complètes possible.

Nous avons la chance d'avoir un modèle plus redistributif que celui d'autres pays européens ; ce modèle nous permet de mieux prévenir, et la persistance et l'intensité de la pauvreté. Néanmoins, sa persistance a progressé pour un trop grand nombre de personnes parmi les plus fragiles, celles dont le revenu représente, non pas 60 % ou 50 %, mais 40 % du revenu médian. Nous devons permettre à ces personnes de sortir de cette situation, la meilleure façon de les y aider étant évidemment de les accompagner vers l'emploi. Du reste, tous les dispositifs, notamment associatifs, que j'ai évoqués ont pour dénominateur commun de placer l'accès à l'emploi au coeur de leur action. Ce sera l'un des enjeux importants non seulement du service public de l'insertion – dont je dirai quelques mots dans un instant –, mais aussi du revenu universel d'activité.

En effet, ce n'est pas pour rien que le Président de la République a employé les mots d'universalité et d'activité : universalité, parce que toutes les situations de fragilité doivent être prises en compte ; activité, parce que nous devons nous inscrire dans une logique où prime l'incitation au travail. On connaît l'impact de la prime d'activité sur la baisse du taux de pauvreté, notamment sur l'intensité de celle-ci, mais il faudra certainement aller plus loin, et dans l'accompagnement et dans la construction de ce nouveau minimum social. La concertation va s'ouvrir ; c'est une lourde tâche qui nous attend. En tout état de cause, il faut, c'est vrai, regarder, au-delà des chiffres globaux, les réalités douloureuses qu'ils recouvrent.

En ce qui concerne les associations d'élus, je tiens à être très transparent : nous avons travaillé, depuis le début, avec l'ensemble de ces associations. Certaines d'entre elles nous ont fait savoir que leur calendrier de travail avec le Gouvernement était déjà très chargé, de sorte qu'il leur était difficile d'être représentées, mais l'Association des maires de France (AMF), l'Association des départements de France (ADF) et France urbaine, pour ne citer que celles-là, ont concouru à nos travaux. La semaine dernière encore, le président de l'AMF se félicitait du travail que nous avons accompli sur la petite enfance avec Élisabeth Laithier, la présidente du groupe de travail de l'AMF consacré à ce sujet. Nous entretenons donc des rapports de bonne intelligence collective.

À ce propos, je précise que la contractualisation ne comporte pas de contraintes autres que celles d'un engagement réciproque. Par conséquent, aucun territoire ne sera obligé de contractualiser avec l'État. En revanche, celui-ci sera très exigeant quant à l'utilisation de ses financements et fixera des objectifs en matière non seulement de moyens, mais aussi de résultats. De fait, depuis plusieurs années, prévaut une logique dans laquelle l'impact de certaines politiques sociales financées, soit directement par l'État, soit par les collectivités, n'est absolument pas mesuré. Le cas le plus étonnant, à cet égard, est celui de la politique d'insertion, car l'hétérogénéité des pratiques territoriales est absolument inacceptable. Disons-le très clairement, une telle situation porte atteinte à l'égalité de traitement des citoyens en matière de droit à l'accompagnement et de minima sociaux. Le Président de la République souhaite donc – et c'est, me semble-t-il, l'honneur du Gouvernement que de se saisir de cet enjeu – entraîner les collectivités, non pas dans une logique punitive, mais, au contraire, dans une logique d'amélioration des politiques publiques.

Je rencontre ainsi, chaque semaine, les élus de trois à quatre départements, de toutes couleurs politiques, ruraux et très urbains. Aucun n'a refusé, par principe, la contractualisation ; tous les élus que j'ai rencontrés souhaitent s'y engager. Et je puis vous garantir que, dans les territoires, ces moyens supplémentaires de l'État font l'objet d'une attente extrêmement forte. Ceux-ci, je le rappelle, seront, pour la partie des dépenses qui seront directement issues du Fonds de contractualisation que vous créez dans le PLF 2019, neutralisés au regard de la norme de Cahors.

L'obligation de résultat ne vaut donc que pour ceux qui s'engagent, mais c'est bien le moins. Nous allons nous doter, avec les services déconcentrés de l'État, d'une organisation ad hoc pour suivre la mise en oeuvre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Nous le ferons dans le respect des prérogatives des collectivités, non seulement parce que nous nous sommes bien souvent inspirés des politiques remarquables qu'elles ont pu mener, mais aussi parce que l'enjeu est, non pas de punir celles qui sont en difficulté, mais de les aider, grâce à des moyens nouveaux, à faire droit à l'exigence de solidarité nationale qui a été rappelée.

S'agissant des moyens consacrés à l'insertion, je rappelle que, lorsque le dispositif sera pleinement monté en charge, à partir de 2021-2022, les dépenses d'accompagnement vers l'emploi liées à la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté s'élèveront à près d'un demi-milliard d'euros par an. Dès l'année prochaine, plusieurs dizaines de millions seront directement consacrées, et à l'insertion par l'activité économique et au développement du parcours d'accompagnement contractualisé des jeunes. À partir de 2020, les missions locales bénéficieront de moyens supplémentaires, et 15 millions d'euros, qui seront portés à 100 millions, seront alloués, dans le cadre de la contractualisation avec les départements, à l'augmentation de l'offre d'accompagnement. Oui, ces crédits financeront du temps d'accompagnement par des travailleurs sociaux, que ceux-ci exercent leur activité au sein de collectivités, d'associations, d'entreprises de l'économie sociale et solidaire ou d'opérateurs privés. En la matière, nous ne prescrivons pas les solutions ; nous sommes là pour accompagner les territoires. Nous allons ainsi déployer des moyens que je crois inédits, en tout cas à l'échelle des dernières décennies, en faveur des politiques d'accompagnement.

Sur la situation des mineurs non accompagnés (MNA), les échanges très intenses qui ont eu lieu entre l'Association des départements de France et l'État ont conduit celui-ci à revaloriser le forfait d'accompagnement, mais il faut aller au-delà. On sait en effet que beaucoup de mineurs non accompagnés, de par la dureté de leur parcours de vie, souhaitent souvent une insertion professionnelle extrêmement rapide et font preuve d'une maturité particulière dans l'appréhension de leur projet de vie. Dès lors, nous allons, tout d'abord, favoriser l'accès aux autorisations provisoires de travail, car cette étape administrative est nécessaire pour accéder à des formations et à des emplois, aidés ou non. Ensuite, les modes d'accompagnement des jeunes majeurs par l'Aide sociale à l'enfance doivent évoluer. C'est tout l'enjeu de la contractualisation avec les départements. Nous financerons, non pas la prise en charge de ces jeunes majeurs – c'est-à-dire des places de Maisons d'enfants à caractère social (MECS) ou des familles d'accueil –, mais leur accompagnement vers l'autonomie, c'est-à-dire l'accès au logement, à la formation, à la mobilité et à l'emploi. Le montant de ces financements est important : entre 2 000 et 4 000 euros par jeune. À titre d'exemple, dans le cadre de la Garantie jeunes, qui est une des meilleures formes d'accompagnement, il est de 1 600 euros. Les départements sont, du reste, très intéressés car ils cherchent, eux aussi, à modifier leur accompagnement de ces mineurs. J'ai eu ainsi, au cours des dernières semaines, plusieurs réunions de travail avec David Kimelfeld, le président de la métropole de Lyon, consacrées à l'amélioration de ces dispositifs.

En ce qui concerne les mères isolées, la première réponse consiste, évidemment, dans le développement de l'offre de soutien à la parentalité, prévue par la Convention d'objectif et de gestion (COG) de la branche famille : plus de 30 millions d'euros s'ajouteront ainsi à l'effort important qui avait déjà été consenti dans le cadre de la précédente COG, et permettront d'augmenter de manière très substantielle le nombre des lieux d'accueil enfants-parents et d'espaces de rencontre pour les rencontres médiatisées sur décision de justice. Par ailleurs, les missions de la Protection maternelle et infantile (PMI) doivent être recentrées sur la périnatalité et le soutien aux enfants et aux familles les plus fragiles, l'enjeu sanitaire devant être très certainement mieux pris en compte par l'assurance maladie. Sur ce point, les discussions ont débuté, mais elles seront éclairées par la mission parlementaire en cours. Sans doute faudra-t-il redéfinir un certain nombre de missions ; je pense notamment au contrôle réglementaire, qui n'est certainement pas prioritaire dans le travail des médecins de PMI.

Par ailleurs, les différents modes d'accueil des enfants bénéficient d'un effort très substantiel. On a beaucoup parlé de l'accueil collectif ; je voudrais dire un mot de l'accueil individuel, car il est important pour beaucoup de femmes, notamment celles qui sont actives et en situation de monoparentalité. À cet égard, le tiers payant du complément mode de garde, qui sera mis en oeuvre dans les prochains mois, est une mesure très importante – j'allais dire formidable – pour beaucoup de femmes, car elles n'auront plus à faire l'avance. La fonction « employeur » dans le cadre de l'accueil individuel sera ainsi simplifiée et mieux accompagnée. Nous allons également augmenter de plus de 500 le nombre des relais d'assistantes maternelles. L'accompagnement des mères dans l'accès à l'accueil individuel sera donc, lui aussi, favorisé.

L'obligation de formation est un enjeu considérable de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Actuellement, grâce à un certain nombre d'évolutions législatives, notamment la loi de 2016 – mais nous pourrions remonter jusqu'au rapport Schwartz. L'ensemble de notre jeunesse a un droit à la formation. Mais, convenons-en, il s'agit d'un droit formel : il bénéficie à ceux qui en bénéficient… Or, actuellement, vous l'avez rappelé, 20 000 à 30 000 jeunes sont durablement décrocheurs. Ces jeunes, que j'appelle les NEET (Neither in employment nor in education or training) ou les « invisibles », ne sont pas accompagnés. De fait, en dépit d'un certain nombre de politiques locales remarquables, de manière générale les politiques publiques détournent le regard de ces jeunes qui tiennent les murs au bas des immeubles ou vivent à la campagne et qui sont livrés à eux-mêmes.

Nous allons donc commencer par faciliter la transmission d'information entre l'éducation nationale et les missions locales, par l'intermédiaire des Plateformes de suivi et d'appui des décrocheurs (PSAD). L'obligation qui incombe actuellement aux principaux des collèges est d'informer, deux fois par an, les PSAD des décrochages d'élèves. Nous allons donc créer un nouveau système qui permettra une information continue, in itinere, y compris en amont du décrochage car nous savons tous que le repérage du risque est absolument essentiel. Il convient par ailleurs d'améliorer l'offre d'orientation ; c'est le rôle de l'institution scolaire et des services publics régionaux de l'orientation.

Par ailleurs, à compter de 2020, nous financerons les missions locales, à hauteur de 20 millions d'euros, pour qu'elles aillent vers ces jeunes et prennent ou reprennent contact avec eux. Cette prise de contact pourra être parfois un peu directive ; je m'en explique. Les missions locales ont une culture d'adhésion du jeune. Il ne s'agit pas d'y porter atteinte, mais il faut que nous puissions « aller chercher » ceux qui se mettent en danger, d'une certaine manière, en se coupant de tout accompagnement et de toute perspective d'accès à la formation. Ces 20 millions représentent une augmentation de 10 % du financement global des missions locales par l'État. J'ajoute que celui-ci n'avait pas augmenté son financement du coeur de mission des conseillers des missions locales depuis de très nombreuses années.

Si l'on ajoute à cette mesure les 100 millions alloués au Parcours d'accompagnement contractualisé vers l'emploi et l'augmentation de la Garantie jeunes, qui va atteindre l'objectif de 100 000 jeunes accompagnés par an, on dispose d'un appareillage complet qui, grâce aux efforts permis par le Plan d'investissement compétences (PIC), doit nous permettre de décider, enfin, qu'aucun jeune ne peut être maintenu en dehors d'un parcours de formation, et donc nous contraindre collectivement à faire en sorte qu'il ne le soit pas. Le projet de loi que le Gouvernement vous soumettra comportera cette obligation, qui incombera à la collectivité, notamment aux missions locales, mais aussi au jeune lui-même, des mesures d'assistance éducative pouvant être prises en cas de manquement.

Pardonnez-moi une comparaison peut-être un peu ambitieuse. De même que l'instruction obligatoire – c'est-à-dire l'inscription juridique du droit à l'éducation – a mis du temps à entrer dans les esprits, à changer les comportements – avant que les enfants ne quittent les champs pour aller à l'école, il a fallu quelques années –, de même, le dispositif que nous créons prendra un peu de temps. Pour des jeunes qui, une fois âgés de 18 ans, ne rêvent que d'aventures et de tailler la route, une convocation de leur mission locale ne suffira évidemment pas à régler le problème, d'où la nécessité de financer notamment l'éducation spécialisée. Des acteurs, associatifs ou institutionnels, doivent, en permanence et partout, être dépositaires de l'exigence d'aller au-devant de ces jeunes pour leur proposer un parcours de formation. Tel est l'esprit de cette obligation de formation. Il s'agit de mettre un terme au sacrifice d'une partie de notre jeunesse, car on sait que, lorsque des jeunes décrochent durablement d'un parcours de formation, non seulement le raccrochage coûte cher – des initiatives formidables existent, notamment les Écoles de la deuxième chance (E2C) –, mais les conséquences sont très lourdes, et pour eux et pour la société.

Madame Pitollat, vous m'interrogez, dans un contexte ô combien dramatique, sur la situation à Marseille et, de manière générale, sur l'égalité dans l'accès aux droits. J'ai évoqué cette inégalité à propos de l'insertion, mais elle concerne l'ensemble de l'accès aux services et aux droits sociaux. Cette inégalité se double, bien souvent, d'une culture de défiance entre une partie des bénéficiaires potentiels et les services sociaux institutionnels. C'est, en tout cas, ce que révèlent les rapports des associations, dont l'offre d'accompagnement ne cesse de croître et doublonne de plus en plus celle de ces acteurs institutionnels. La question est très délicate, car elle met en jeu les représentations : la crainte, pour un certain nombre de familles, d'être jugées, mal comprises, d'avoir à raconter leur vie à plusieurs reprises, de devoir en quelque sorte se mettre à nu devant des travailleurs sociaux. Pour y remédier, nous devons faire évoluer les cultures professionnelles – c'est l'objet du plan de formation continue que j'ai mentionné –, l'État doit être dépositaire d'une véritable exigence en matière d'universalité de l'accès – c'est l'objet des accueils sociaux inconditionnels – et il faut, au-delà des démarches d'« aller vers » que j'évoquais tout à heure, développer des missions de médiation, tant pour les jeunes que pour les publics plus âgés. Sur l'initiative de France médiation, la médiation sociale bénéficie désormais, grâce aux États généraux du travail social, d'une reconnaissance institutionnelle, sanctionnée notamment par des diplômes. Nous allons également développer cette démarche dans le domaine du numérique, afin d'éviter que la dématérialisation des procédures ne crée à nouveau des trous dans la raquette. Enfin, nous devrons travailler avec les caisses de sécurité sociale afin qu'elles réinvestissent les gains de productivité permis par la dématérialisation des procédures dans du temps d'accompagnement humain.

Je ne suis pas en train de vous dire que l'État se substituera aux caisses de Sécurité sociale ou aux collectivités – ce n'est pas son rôle et ce serait malvenu –, mais nous promouvons, dans le cadre de la contractualisation et des COG, des ambitions tout à fait nouvelles. La gouvernance locale, qui permettra notamment une évaluation par les personnes concernées elles-mêmes, sera, je crois, un juge de paix en la matière.

En ce qui concerne le caractère inégalitaire de l'école et les enjeux liés aux activités péri et extrascolaires, il est absolument essentiel que nous réinvestissions les temps d'accompagnement qui ne sont ni ceux de l'école ni ceux de la famille. Dans un excellent rapport, paru il y a quelques semaines, sur les tiers-lieux et les tiers-temps, le Haut Conseil à la famille a formulé un certain nombre de recommandations sur le développement de l'offre d'accompagnement. Au-delà de l'action de nombre de collectivités, le plan « Mercredi », impulsé par Jean-Michel Blanquer, vise à améliorer la qualité éducative du temps d'Accueil de loisirs sans hébergement – le fameux ALSH – les mercredis, en majorant son financement, lequel sera porté de 46 centimes à un euro de l'heure. Il s'agit donc d'un effort très important, voulu par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et consenti par la branche famille.

Évidemment, tout cela doit être relié aux efforts des acteurs de ce que l'on appelle la réussite éducative. En sus des dispositifs de réussite éducative, qui comprennent un suivi individuel pluridisciplinaire des jeunes, en périphérie des écoles, nous allons proposer, avec le ministre de la ville, Julien Denormandie, la création de cités éducatives, qui avait été préconisée dans le rapport de Jean-Louis Borloo. Nous nous sommes rendus à Nîmes récemment, dont la métropole, comme le département du Gard, affiche des ambitions très fortes dans ce domaine. Nous allons ainsi financer un accompagnement non seulement éducatif mais aussi social, culturel, sportif, qui mobilise l'ensemble des ressources d'un territoire, et les accroît, autour de la question, extrêmement importante, des adolescents. Vous connaissez cette belle formule : « Il faut tout un village pour élever un enfant ».

Entre l'ambition affichée par le ministre de l'éducation nationale, les moyens relevant du plan de reconquête républicaine des quartiers, annoncé l'été dernier, et ceux de la contractualisation dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, nous aurons, me semble-t-il, une politique publique tout à fait à la hauteur.

S'agissant de la santé, je serai bref, car vous connaissez bien ce qui est prévu dans le parcours de santé des enfants de zéro à six ans et les dispositifs de prévention de l'assurance maladie – notamment « Aime tes dents », cher à M. Véran – qui ont permis d'améliorer la situation. En matière de santé scolaire, nous développerons, lorsque celle-ci ne parvient pas, faute de postes, à remplir ses missions de prévention, la contractualisation entre les académies, les Agences régionales de santé et les Caisses régionales d'assurance maladie, afin de favoriser l'intervention de la médecine de ville en complément de l'institution scolaire.

Par ailleurs, Agnès Buzyn a souhaité que la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté comporte un volet consacré au développement des centres de santé, c'est-à-dire de la médecine dite « communautaire », qui s'inscrit dans un territoire, des réseaux de soins, et s'adosse aux acteurs éducatifs et sociaux. C'est une nouvelle extrêmement importante : on évoque une enveloppe qui permettrait de créer 100 centres de santé supplémentaires. Voilà une réponse : cette médecine familiale, de proximité, favorise la prévention.

J'ajoute que nous avons commencé à travailler, avec le ministère du travail, et que nous allons engager une réflexion avec les départements, sur ce que doit être un service public de l'insertion : il s'agit de déterminer ses missions et les acteurs qui doivent les remplir. Ce qui est important, c'est la volonté, affirmée par le Président de la République, que l'État soit dépositaire des principes du service public : principe d'égalité de traitement – qui n'exclut pas l'adaptation aux besoins des différents territoires et des différents publics –, principe de continuité… Cela peut paraître théorique, car ces principes, nos concitoyens les plus fragiles n'en voient pas toujours l'application dans la vie réelle. Mais tel sera le niveau d'exigence : partout sur le territoire, les bénéficiaires devront se voir proposer immédiatement un accueil, une orientation et un accompagnement.

Ces missions dépendent actuellement des conseils départementaux – même si les opérateurs peuvent être Pôle emploi ou des associations –, de sorte que l'État dispose, pour l'instant, de très peu d'indicateurs pour savoir exactement ce qui se passe. Nous allons modifier cela de fond en comble, en imposant des exigences, totalement inédites, en matière de délais d'instruction et d'orientation, et d'exhaustivité dans l'accompagnement vers l'emploi. Encore une fois, aucun accompagnement ne devra être détaché de l'objectif d'atteindre l'autonomie par le travail. Ce point est central ; les personnes concernées ne cessent de nous le rappeler : « Aidez-nous à être autonomes par le travail ! Le reste suivra. »

En ce qui concerne la dimension européenne de la lutte contre la pauvreté, je dois confesser que nous n'avons pas encore eu le temps d'être très proactifs. Cependant, nous sommes associés à un réseau de services sociaux européens, qui va nous permettre d'échanger des bonnes pratiques, notamment en matière d'accompagnement vers l'emploi et sur les enjeux de prévention dans la petite enfance, qui intéressent beaucoup de nos partenaires européens. Je participerai, dans un mois, à Madrid, à une rencontre européenne organisée par le Haut-commissaire espagnol à la lutte contre la pauvreté. Nous sommes donc, aujourd'hui, en mesure de repérer les acteurs de la lutte contre la pauvreté des différents pays européens, et nous avons l'ambition d'interpeller conjointement, demain, l'Union européenne, par l'intermédiaire de nos ministres respectifs, afin de peser, autant que faire se peut, sur les orientations qui seront définies après Horizon 2020. J'ajoute que j'ai également participé récemment à une rencontre organisée par l'European anti poverty network (EAPN), à l'initiative des responsables français de ce réseau. Nous nous inscrivons donc bien dans une logique de réseau européen.

S'agissant des crèches, tout a été dit : le bonus financier sera important. La précédente COG nous enseigne que, sans incitation en matière de fonctionnement, on ne parviendra pas à créer de nouvelles places. Le nombre des places qui vont être financées, 90 000, est considérable, puisque nous atteignons une capacité générale d'accueil collectif d'un peu plus de 400 000 places. Si l'on part du constat qu'un enfant sur cinq est sous le seuil de pauvreté, on peut estimer qu'en finançant, au titre de la mixité sociale, un ratio de places compris entre un quart et un cinquième, on s'approchera d'une mixité sociale réelle. Autrement dit, les enfants accueillis dans les Établissements d'accueil de jeunes enfants (EAJE) correspondront à la réalité sociologique de la jeunesse française.

Il est vrai, cependant, qu'un certain nombre de familles s'autocensurent et ne demandent pas de places en crèche. La première raison, tout à fait compréhensible, en est que les modes d'accueil ont été pensés, au départ, dans le cadre d'une politique familiale dont l'objectif central était la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale. Il s'agissait, non pas d'accueillir le jeune enfant, mais de le garder pour que ses parents puissent travailler. Cet objectif historique, nous n'y renoncerons pas car il est important pour le travail des femmes. Pour autant, le fait de ne pas travailler ne doit plus interdire de demander une place en crèche pour son enfant. D'où l'enjeu du référentiel d'attribution des places, établi sous l'égide de l'Association des maires de France, qui explicite précisément la nécessité de concilier la garde, liée à l'activité des parents, et l'accueil, lié au développement de l'enfant, notamment de ceux qui sont en situation de fragilité.

Nous surmonterons les réticences des parents en leur démontrant le bénéfice que les enfants retirent de cet accueil au plan cognitif, social et langagier. Pour avoir piloté un certain nombre d'expérimentations et conduit des politiques locales de mixité sociale, je peux vous dire que les familles les plus fragiles acceptent très rapidement cet accueil collectif. Mais elles ont souvent besoin de sas de transition ; c'est le rôle de l'accueil occasionnel, par exemple, ou des haltes garderies, qui permettent d'acclimater l'enfant et d'organiser la séparation d'avec la maman, qui n'est pas toujours facile, pour des raisons tant sociales que culturelles. Cela suppose donc, là encore, le suivi de la formation des professionnels de la petite enfance.

En ce qui concerne les femmes sans abri à la sortie de la maternité, il se trouve qu'avant de vous rejoindre, je me trouvais en Seine-Saint-Denis où, l'été dernier, des femmes sont sorties de la maternité avec leur enfant sans solution d'hébergement. Nous allons résoudre ce problème dans le cadre de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, grâce à des moyens qui s'ajouteront à ceux du Programme 177. Cela dit, le « 115 » n'est pas débordé : ces situations insupportables demeurent, heureusement, rarissimes, mais on en a connu de très graves en Seine-Saint-Denis. C'est pourquoi nous travaillons avec les acteurs institutionnels – notamment le président Troussel – et associatifs de ce département, pour apporter une réponse en matière de financement de la prise en charge.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Noblecourt, je vous remercie pour votre présentation et vos réponses aux questions de mes collègues. La Stratégie de lutte contre la pauvreté est l'affaire de tous. Que la mobilisation générale parte des territoires est le meilleur des signaux. Des initiatives existent déjà, mais notre souci est de les dupliquer. Le fait que l'État s'attache à harmoniser les différentes formes de lutte contre la pauvreté sur l'ensemble du territoire national va dans le bon sens, tout comme le fait de s'attaquer à la logique d'assignation dont souffrent les personnes en situation de pauvreté. Vous pouvez donc compter sur les membres de la commission des affaires sociales pour soutenir cette stratégie de la meilleure façon possible.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 14 novembre 2018 à 16 heures 30

Présents. – M. Joël Aviragnet, Mme Ericka Bareigts, M. Belkhir Belhaddad, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Blandine Brocard, M. Gérard Cherpion, Mme Christine Cloarec, Mme Josiane Corneloup, Mme Catherine Fabre, Mme Albane Gaillot, Mme Monique Iborra, Mme Fadila Khattabi, Mme Fiona Lazaar, M. Gilles Lurton, Mme Claire Pitollat, M. Alain Ramadier, Mme Stéphanie Rist, Mme Mireille Robert, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Élisabeth Toutut-Picard, Mme Isabelle Valentin, M. Boris Vallaud, Mme Michèle de Vaucouleurs, M. Olivier Véran, M. Stéphane Viry

Excusés. – Mme Justine Benin, Mme Jeanine Dubié, Mme Claire Guion-Firmin, Mme Geneviève Levy, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Michèle Peyron, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Nicole Sanquer

Assistaient également à la réunion. – M. Pierre Cordier, M. Christophe Lejeune, Mme Sandrine Mörch