Séance en hémicycle du mercredi 28 février 2024 à 21h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Mieux partager la valeur et garantir des revenus dignes pour les agriculteurs ». Ce débat, organisé à la demande du groupe Écologiste – NUPES, se tient dans la salle Lamartine afin que des personnalités extérieures, que je salue et que je remercie de leur présence, puissent être auditionnées.

La conférence des présidents a décidé d'organiser le débat en deux parties d'une heure chacune. Nous commencerons par une table ronde avec les personnalités invitées. Ensuite, nous entendrons l'intervention liminaire de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, avant de procéder à une nouvelle séquence de questions-réponses. La durée des questions comme des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

La parole est à M. Thomas Uthayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la Fondation pour la nature et l'homme, la FNH.

Debut de section - Permalien
Thomas Uthayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la FNH

L'enjeu étant d'évoquer la répartition de la valeur dans le secteur agricole, je me concentrerai sur le secteur laitier, car nous avons publié en novembre 2023 une étude sur les enjeux de l'injuste répartition de la valeur dans le secteur laitier, en inscrivant ce secteur dans une perspective macroéconomique et en examinant les marges dégagées par chaque maillon de la filière. J'irai droit au but, car nous ne disposons, je crois, que de cinq minutes.

Debut de section - Permalien
Thomas Uthayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la FNH

D'après les données de l'Insee, entre 2018 et 2021, les entreprises exerçant en aval de la filière ont dégagé 61 % de bénéfices net supplémentaires. Je rappelle que les bénéfices nets, qu'on appelle aussi les profits, sont obtenus en retranchant du chiffre d'affaires les investissements, l'amortissement du matériel et l'ensemble des coûts. Pour cette même période, nous avons évalué les revenus des agriculteurs, notamment des éleveurs laitiers. Les données du réseau d'information comptable agricole (Rica) permettent d'établir que le revenu horaire des éleveurs se situe entre 0,7 et 0,9 Smic horaire.

La situation est donc très inégalitaire, ce qui soulève plusieurs questions. Comment se réalise la construction des prix dans le secteur ? Comment corriger l'iniquité que nous constatons ? Certains acteurs réussissent à pérenniser leur activité économique, notamment dans les secteurs de la distribution et de l'agroalimentaire, tandis que les éleveurs ne parviennent toujours pas à vivre de leur métier.

Nous avons illustré ce constat en étudiant des produits phares dans le secteur laitier : le beurre, le lait et le camembert. Vous savez sans doute que la vache normande Oreillette est l'égérie du Salon de l'agriculture. Pourtant, elle n'est pas représentative du secteur laitier français, dès lors que la majorité des vaches laitières ne sont pas des vaches normandes.

L'étude du mode de production du beurre, du lait et du camembert permet d'évaluer les marges de différents acteurs de la distribution et de l'agroalimentaire et de quantifier le coût de la matière première pour les agriculteurs. Depuis les années 2000, l'accroissement des marges se fait au détriment des éleveurs. Cette évolution depuis vingt ans est significative et pose la question de la construction des marges.

Le secteur laitier souffre d'une double déconnexion, à la fois physique et économique. La déconnexion physique tient au processus de production. Les camions-citernes collectent le lait à la ferme, puis celui-ci est standardisé : il est mélangé, homogénéisé et ses différents composants – babeurre, caséines, peptones, notamment – sont recueillis séparément. Une fois le lait homogénéisé, on ne peut plus retracer son origine, d'où la déconnexion économique.

La question posée est très simple : pourquoi l'emmental, qui est issu à près de 85 % de lait produit dans le Grand Ouest français, est-il vendu à des prix très différents dans les supermarchés ? En effet, on observe des différences de prix significatives entre les marques de distributeurs bio (MDB) et d'autres marques nationales. En réalité, le prix final au kilo n'est pas lié à l'origine du lait, puisque les laits utilisés sont collectés dans la même région, mais dépend de la valeur immatérielle créée par le marketing. Rappelons que près de 80 % du lait collecté est conventionnel, c'est-à-dire qu'il n'est pas issu d'une démarche engagée et ne relève ni des signes officiels d'identification de la qualité et de l'origine (Siqo), dont fait partie le bio, ni des marques privées.

Pour expliquer cette déconnexion physique et économique, il faut observer l'asymétrie du pouvoir entre les acteurs et la structure oligopolistique de la filière.

Debut de section - Permalien
Thomas Uthayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la FNH

Actuellement, 3 % des entreprises du secteur agroalimentaire perçoivent 97 % des bénéfices. Les profits ne bénéficient donc pas aux PME, mais à de grandes entreprises agroalimentaires. Pour contrebalancer l'asymétrie du pouvoir caractéristique du secteur laitier, deux mesures importantes doivent être prises : d'une part, améliorer la transparence et l'encadrement des marges, et, d'autre part, corriger la répartition des bénéfices nets au profit des agriculteurs.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La parole est à Mme Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne.

Debut de section - Permalien
Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne

Je suis agricultrice bio dans le Gers. Je voudrais rappeler quelques chiffres essentiels, repris aujourd'hui même par la lettre d'information Agra fil. En 1992, il y avait en France 1,2 million d'agriculteurs ; il y en a actuellement entre 360 000 et 400 000, selon les données que l'on retient, car de nombreux agriculteurs sont des double-actifs ; ce nombre devrait tomber à 200 000 dans une dizaine d'années. C'est certes un effet de la pyramide des âges, mais aussi du manque de renouvellement des agriculteurs.

Comment en sommes-nous arrivés là ? D'abord en raison du problème du revenu. L'absence de renouvellement des agriculteurs, le nombre insuffisant d'installations et la faible attractivité du métier tiennent au fait que c'est le métier dans lequel on travaille et on investit le plus, mais dans lequel on gagne le moins d'argent et on a en plus une mauvaise retraite. La messe est dite.

Nous en sommes arrivés là, car il n'y a jamais eu de juste répartition de la valeur dans la rémunération de la production. Le travail de production n'est pas simple, car nous travaillons avec le vivant. Nous subissons les aléas climatiques et les conditions pédoclimatiques différentes d'une région à l'autre, mais aussi les effets de la mondialisation et de la spéculation, par exemple sur les céréales ou sur d'autres matières premières. Les paysans produisent la matière première tandis que les consommateurs achètent un produit alimentaire transformé, élaboré, transporté et mis à sa disposition. Dans ces conditions, il est difficile de déterminer la part du revenu de l'agriculteur dans le prix du produit alimentaire final, d'autant que ce dernier est souvent constitué d'autres produits.

Dès 2008, à la Confédération paysanne, nous avons parlé de prix planchers. Jusqu'en 1992, il existait une certaine régulation des marchés par l'intermédiaire de quotas, sur le lait ou la betterave, par exemple, et de prix minimums garantis. Nous avons rencontré le président Macron à plusieurs reprises ces derniers temps et nous lui avons rappelé que personne ne gagnait d'argent actuellement : aucun modèle ne s'en sort, ni l'agriculture bio, ni le modèle industriel, ni les petites fermes, ni même les grandes, car elles ne parviennent pas à rentabiliser leurs investissements. Les agriculteurs qui ont choisi le modèle productiviste ne s'en sortent pas alors qu'on leur avait dit que ce modèle leur permettrait d'être compétitifs face au marché mondial. Ils étaient dans la rue avec nous, qui représentons plutôt une agriculture paysanne, à échelle humaine, et qui rencontrons également des difficultés pour nous rémunérer et assurer la pérennité de nos fermes. Le problème est donc global.

C'est pourquoi nous avons appelé le Gouvernement à concentrer sa réflexion sur la rémunération des paysans, à partir du coût de la production, mais aussi de la couverture sociale des agriculteurs – celle-ci a trop souvent été rognée. Encore récemment, le Gouvernement a proposé une exonération de cotisations patronales pour l'emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (Tode). Avec cette mesure, on considère les cotisations sociales comme des charges et on fait comme si la production agricole ne pouvait ni rémunérer ses travailleurs, ni assurer leur protection sociale. C'est bien le seul secteur économique qui soit dans une telle situation !

Le prix plancher est à construire. Il est complexe et tous les indicateurs nécessaires ne sont pas entièrement définis. Cependant, si l'agriculture est plurielle, elle bénéficie de l'expérience passée. Dans le Gers, certains producteurs ont été indemnisés à la suite de la grippe aviaire. Pour cela, tous les systèmes ont été évalués : filière longue, filière courte, filière bio, filière non bio, vente directe, circuit long. Des prix ont été élaborés par des services économiques fiables, qui pourraient aujourd'hui fournir des propositions de prix planchers selon les modèles, les circuits et la qualité des produits. Établir ces prix ne pose pas de difficulté, mais nous devons nous mettre d'accord sur la manière de réguler le système. Le prix n'est pas tout : il faut nécessairement réguler la production.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La parole est à M. Jérôme Caillé, agriculteur biologique et président de Terrena bio.

Debut de section - Permalien
Jérôme Caillé, agriculteur biologique et président de Terrena bio

Permettez-moi de témoigner de mon expérience d'agriculteur bio. En 2002, j'ai choisi la culture des céréales et décidé, en bon entrepreneur, de diversifier les productions de mon exploitation afin de pouvoir faire face aux aléas climatiques et sanitaires. En 2011, j'ai construit un premier bâtiment dédié aux volailles. Je me suis également engagé dans la production d'énergies renouvelables en lançant une centrale de production photovoltaïque sur les bâtiments. J'ai ainsi diversifié mes sources de revenus afin d'être plus résistant d'un point de vue économique, climatique et sanitaire. En dix ans, j'ai investi 800 000 euros dans mon exploitation, soit une somme importante pour un seul agriculteur. Étant donné la taille de la ferme, il m'a fallu embaucher un salarié. Quand on diversifie son activité, on multiplie les tâches et je ne m'en sortais plus tout seul.

Depuis trois ans, je subis la grippe aviaire, qu'on n'avait pas vue venir, mais aussi les aléas climatiques : je n'ai pas semé un seul hectare à l'automne dernier. Aujourd'hui, ce qui me manque, c'est le moyen de pérenniser mon exploitation. Quand on possède une entreprise agricole, on est en capacité de faire face à de petits aléas, mais la situation devient très difficile quand on subit des pertes de l'ordre de 30 000 euros en l'espace de trois ans : on n'a pas la capacité de résister car on n'a pas pu mettre de côté les sommes nécessaires pour surmonter les difficultés.

Je serai franc : depuis dix ans, mon revenu mensuel moyen s'élève à 960 euros. J'ai créé une activité économique qui fait vivre de nombreuses personnes – pour un agriculteur en activité, ce sont environ dix personnes qui travaillent dans les différents services en aval –, ce dont je suis fier, mais la situation n'est pas durable. Pour faire perdurer le modèle agricole français, il faut favoriser l'installation de jeunes agriculteurs. Pour reprendre les chiffres de Sylvie Colas, dans dix ans, j'aimerais que nous soyons 300 000 et non 200 000 agriculteurs !

Nous devons agir sur deux volets importants : il faut, d'une part, sécuriser les revenus, comme cela a été dit – nous reparlerons du commerce équitable –, et, d'autre part, faire en sorte que les systèmes assurantiels nous accompagnent en cas de difficultés et de crise. Dans le secteur bio, de telles assurances n'existent pas malgré les incitations de la politique agricole commune (PAC). Les assureurs n'y sont pas favorables, notamment parce qu'ils ne savent pas comment assurer les parcelles qui comptent deux types de culture différents, alors que ce procédé, qui favorise la résilience, est très utilisé dans le bio. Une autre approche a été proposée en 2017 consistant à formaliser des contrats tripartites entre le producteur, le transformateur et le distributeur. Sur le papier, cette approche est positive : elle engage un prix, plancher ou non – nous avons cependant eu du mal à obtenir que ce prix rémunère l'agriculteur à hauteur de 2 Smic, la plupart des acteurs en aval considérant qu'un Smic est déjà suffisant.

Depuis deux ans, vous le savez, la production bio est en berne et notre difficulté vient du fait que le prix n'engage pas un volume : il engage un prix moyen par rapport à un modèle d'exploitation. Ma ferme est supposée produire 45 000 poulets par an, mais le marché s'est tellement effondré depuis deux ans que l'on ne m'en achète que 21 000. Mon système ne tient donc plus et rien ne le protège dans les contrats. Dans la construction des modèles de prix plancher, il ne faudra pas oublier que d'autres aléas climatiques et sanitaires vont se produire. La peste porcine est à nos portes et la maladie hémorragique épizootique (MHE) est déjà dans le Sud-Ouest. Les exploitations existantes ne peuvent pas résister à des pertes économiques aussi violentes.

Les marges des distributeurs sont donc un sujet très important. Voici un exemple : au départ de mon exploitation, un poulet entier et vivant coûte 3,10 euros. Je trouve ses filets en vente à Paris à 51 euros le kilo. Cela fait mal quand on sait qu'à la sortie de l'abattoir le poulet coûte environ 12,50 euros. Les distributeurs nous expliquent qu'ils ne vendent pas assez et qu'ils sont obligés d'anticiper les pertes. Leurs marges sont peut-être faibles, mais l'année dernière, la grande distribution a investi 3 milliards d'euros pour faire la publicité de produits bon marché – une publicité destructrice des valeurs de nos exploitations. Une meilleure répartition des budgets de la grande distribution pourrait sans doute être envisagée afin de valoriser les produits français et de permettre qu'une partie de leur valeur nous revienne.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La parole est à M. Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France.

Debut de section - Permalien
Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France

Je vous remercie pour votre invitation. Je représente une ONG qui, depuis trois ou quatre décennies, a contribué à créer des mécanismes de commerce équitable. Le sujet est assez vaste et nous sommes nombreux à le défendre dans le monde : nous avons « embarqué » plus de 2 millions de paysans, ce qui est substantiel, mais totalement insuffisant.

Je souhaite témoigner, non pas de l'ensemble de notre expérience – ce serait trop long –, mais de mon opinion sur les prix planchers, qui cristallisent aujourd'hui le débat. Je vous ai apporté un produit auquel a été fixé un prix plancher.

L'orateur montre un produit laitier.

Debut de section - Permalien
Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France

Il n'y a rien de redoutable à cela et je veux vous convaincre que l'adoption de prix planchers est faisable et professionnelle : elle fonctionne et elle est décidée volontairement par l'ensemble de la chaîne, remontant parfois même jusqu'aux grandes et moyennes surfaces (GMS). Le prix plancher est utilisable ici et maintenant. Lorsque la crise sera terminée, si les décideurs et les parlementaires s'inspirent des mécanismes du commerce équitable pour disséminer des pratiques qui protègent – certes, parfois imparfaitement – les paysans dans la situation de M. Caillé, nous en serions très heureux.

Comment fonctionnent les filières équitables ? Avant tout, il s'agit de sécuriser le droit de travailler et le revenu agricole. Nous sommes aujourd'hui capables de calculer des prix avec une méthode de concertation éprouvée – je pense aux conférences de filière, qui ont été évoquées, et au lait que je vous ai montré. Nous pouvons ensuite les revoir chaque année afin qu'ils collent au réel, et non aux besoins de la grande distribution.

Comment fait-on pour assurer le revenu des agriculteurs ? On part du revenu souhaité pour fixer le plancher minimum, par exemple 1,5 à 2 Smic, et on détermine le prix de la tonne de lait en prenant en compte les autres coûts de production. Ainsi, les choses sont remises dans l'ordre. Notre mécanisme sanctuarise le prix de la tonne auquel on aboutit. Il s'agit d'un prix plancher : si la conjoncture du marché est favorable et permet aux agriculteurs de vendre plus cher, grand bien leur fasse ; mais quand la conjoncture est mauvaise, le prix plancher équitable les sécurise en amortissant les investissements et les efforts consentis durant des années.

Ainsi, nous avons calculé le prix minimum rémunérateur du blé dans le Gers. Notre équipe s'est aperçue que depuis trois ans, dans 60 % des cas, le prix du blé était au-dessous du prix équitable que nous avions calculé. Si, au lieu du prix mondial, ce prix avait pu jouer, le surplus de revenu par actif agricole aurait été de 7 000 euros sur la période, de 2 800 euros par an et donc d'environ 230 euros de salaire net par actif agricole – et ce, uniquement pour la production du blé. Les agriculteurs qui gagnent 900 ou 300 euros par mois auraient bénéficié de ce supplément de revenu si le prix équitable public avait été activé. Certes, il n'est pas extraordinaire, mais il est négocié au sein de la filière et décidé par tous les acteurs.

Quelle est la différence de ce mécanisme de prix plancher avec celui dont on parle aujourd'hui dans la presse et au Salon de l'agriculture, où nous étions aujourd'hui très bien entourés ? La réponse est que ce prix plancher est volontaire. La question de savoir si l'on peut transformer un mécanisme volontaire en un mécanisme obligatoire agite aujourd'hui les cercles de décision et le Parlement. Sans doute est-ce là que se logent les principaux pièges du débat sur le prix plancher. Quand vous voulez intervenir par la loi, vous suscitez une levée de boucliers ; quand vous agissez sur la base du volontariat, c'est-à-dire quand une filière entière est d'accord – si elle ne l'est plus, elle quitte le dispositif –, alors vous ouvrez des possibilités extraordinaires. Les filières que nous représentons occupent 4 à 5 % du marché. La filière de la banane est la plus importante – 12 % du marché en France. Imaginez la marge de manœuvre que nous aurions avec des prix planchers, même si la loi ne passait pas.

Nous pouvons définir collectivement les prix par filière, en utilisant des données territorialisées. L'argument selon lequel les rendements sont différents d'un lieu à un autre n'est pas recevable car nous savons comment faire : en ce moment, nous avons cinq prix différents pour le lait selon les régions. Nous mettons sur le marché des produits équitables dans cinq régions différentes en tenant compte de cinq situations différentes. Évitez les pièges du débat et ne considérez pas les mécanismes équitables, qui ont fait leur preuve, comme des prix administrés : ce sont des prix volontaires !

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous en venons aux questions. La parole est à Mme Marie Pochon.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour vos interventions respectives et je suis heureuse que vous, les agriculteurs et les organisations paysannes, ayez enfin la parole à l'Assemblée nationale. D'autres acteurs, ceux de l'industrie agroalimentaire et de la distribution, pourtant essentiels à ce débat sur le partage de la valeur agricole organisé par le groupe Écologiste – NUPES, ont décliné l'invitation : Lactalis, Danone, Leclerc, Sodiaal, l'Association nationale des industries alimentaires (Ania), Nestlé et Groupe Avril. Pourquoi un tel refus ? Sans doute le mépris envers notre Assemblée et la gêne de se retrouver face à vous.

Entre le dernier trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2023, le taux de marge des industries agroalimentaires est passé de 28 % à 48,5 %, soit une augmentation de 71 % du taux de marge en un an et demi. En un an, les profits du secteur de l'industrie agroalimentaire ont augmenté de 132 %, passant de 3 à 7 milliards d'euros. La fortune du PDG de Lactalis s'élève désormais à 22 milliards de dollars.

Vous l'avez dit, pendant ce temps-là, malgré la hausse de la productivité, le revenu net de la branche agricole a baissé de près de 40 % en France, en euros constants. Dans ce contexte, il est inacceptable de maintenir un système dans lequel le coût de la transition repose majoritairement sur les épaules des agriculteurs. Nous ne pouvons pas leur demander à la fois de produire à très bas coût et de supporter les coûts et les risques associés aux changements de pratiques, alors que le contexte du dérèglement climatique accroît encore l'incertitude. La société tout entière bénéficie des productions agricoles françaises, qui dessinent nos paysages, du rôle des agriculteurs nombreux qui font vivre nos villages, de la réduction des pesticides et de la préservation de la biodiversité.

Ma question s'adresse à M. Uthayakumar de la Fondation pour la nature et l'homme. Dans votre dernier rapport sur le partage de la valeur dans la filière laitière, vous proposez la création d'un fonds mutualisé de transition agroécologique, qui serait abondé en pourcentage des bénéfices et des dividendes des acteurs de la transformation et de la distribution. Comment la construction de ce fonds répondrait-elle à la fois aux inégalités dans le partage de la valeur, notamment au profit des agriculteurs, mais aussi aux défis de la transition écologique à venir ?

Debut de section - Permalien
Thomas Uthayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la FNH

Comme je l'ai dit, entre 2018 et 2021, les entreprises exerçant en aval de la filière laitière ont dégagé 61 % de bénéfices net supplémentaires, soit une augmentation de 61 % des bénéfices nets et près de 800 millions d'euros de bénéfices en 2021. L'idée est simple : il s'agit de ponctionner une partie de ces bénéfices nets, par exemple à hauteur de 15 %.

Le choix est arbitraire, mais 15 % de 800 millions d'euros nous semble une somme non négligeable au regard des aides d'urgence annoncées dans le cadre du plan Ambition bio 2027 par Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Il s'agirait de placer 15 % de ces bénéfices nets dans un fonds de transition agroécologique, conditionné à des modes de production plus durables. Quant aux élevages, on pourrait exiger des modes de production plus extensifs, offrant davantage de pâturages et de systèmes herbagés, notamment dans les productions laitières.

Ce dispositif prendrait aussi la forme d'une aide aux agriculteurs en situation de décapitalisation subie : les cheptels se réduisent drastiquement ces dernières années et les agriculteurs ne sont pas assez accompagnés dans cette situation très difficile. Comme l'expliquait Marie Pochon, on leur fait porter la charge totale de cette situation intenable. Ponctionner un pourcentage défini des bénéfices nets de la filière aval serait une solution simple.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je remercie le groupe Écologiste – NUPES d'avoir organisé ce temps d'échanges. Traversée par de nombreux enjeux, l'agriculture fait aussi face à de nombreux défis, et on a parfois l'impression qu'on produit davantage pour répondre aux besoins des marchés financiers qu'aux besoins réels en alimentation – c'est un réel problème. Certains agriculteurs vendent leur production avant même qu'elle soit produite, alimentant une dangereuse spéculation sur les produits agricoles. J'aimerais donc votre avis sur l'instauration de quotas dans le cadre d'une agriculture davantage administrée, qui tienne mieux compte des besoins et vise à soutenir la souveraineté alimentaire de notre pays ?

Vous avez parlé des produits laitiers. À une époque, la production laitière a été soumise à des quotas. Leur instauration avait été contestée, mais leur suppression l'avait été davantage encore, car, malgré des difficultés, ils permettaient de garantir un certain revenu aux producteurs. Quel est votre point de vue sur le sujet ?

Debut de section - Permalien
Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne

Les quotas existent encore dans certaines filières, comme celle du comté. Lorsqu'elles existent encore, les coopératives de producteurs de lait garantissent aux producteurs de comté un prix du lait, déterminé pour un volume fixé par contrat. Afin de ne pas déstabiliser le système, le volume excédant la quantité contingentée est payé moins cher, ce qui permet d'éviter les effets d'aubaine, comme on a pu en voir avec certaines aides et la ruée vers les productions les plus rémunératrices – le monde agricole n'est pas épargné par l'appât du gain.

Les quotas sont donc une manière de stabiliser la production, le marché et les prix, et d'assurer le bon fonctionnement des structures en aval du producteur – notamment celles qui assurent la première transformation. Ne nous leurrons pas, elles ont leurs propres difficultés et une certaine pression : quand la coopérative est encore gérée par des paysans, tout est dans le dialogue entre le producteur et les acteurs de la première transformation.

Debut de section - Permalien
Jérôme Caillé, agriculteur biologique et président de Terrena bio

Les quotas sont un outil de régulation de la production. Pour moi, qui n'ai pas pris en compte ce paramètre il y a cinq ans, lorsque j'ai engagé des investissements qui seront amortis sur quinze ans, l'instauration de quotas sur la production de poulets pourrait me gêner. Mais pour un jeune qui s'installe et fait ses calculs économiques en fonction des quotas, ils peuvent être intéressants, car ils permettent d'équilibrer la production sur un temps long. Or, dans nos filières, la surproduction, fût-ce de 2 %, est très mauvaise.

Quant aux marchés à terme, ils ont effectivement financiarisé les céréales, qui se vendent et s'achètent parfois d'un bout à l'autre de la planète, alors que physiquement le grain, lui, ne s'échange qu'à l'échelle du territoire. C'est une dynamique qui nous échappe. Avec Sylvie Colas, nous sommes des agriculteurs bio et notre production, qui s'exporte peu, alimente essentiellement le marché national. Si cela protège notre matière première d'une financiarisation, cela nous empêche aussi de trouver plus facilement de nouveaux marchés, ce qui, dans le contexte actuel de surproduction, serait utile. Toute la difficulté est là.

Qu'il s'agisse des marchés à terme ou des quotas, l'équation n'est pas simple. Si, à un moment donné, l'instauration de quotas permet de préserver nos productions et d'offrir de la visibilité aux futurs investisseurs ou aux jeunes qui veulent se lancer, alors pourquoi pas ! Mais attention à ne pas dévoyer leur objectif initial, qui est de sécuriser l'installation des jeunes et le développement d'une exploitation, sans quoi ils seront contre-productifs.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je remercie moi aussi le groupe Écologiste – NUPES d'avoir organisé ce débat, ainsi que les intervenants, qui nous ont déjà fourni quelques pistes pour sécuriser le revenu des agriculteurs. En tant que député du Limousin, je suis très inquiet, car les éleveurs bovins figurent parmi les agriculteurs les plus pauvres. Comme j'ai encore pu le constater au Salon de l'agriculture, le monde agricole est toujours aussi inquiet, car la question des revenus, qui est l'un des points de blocage, n'a toujours pas été traitée. Emmanuel Macron a bien fait des annonces, mais on n'arrive pas à comprendre de quoi il retourne concrètement.

Un autre sujet tracasse beaucoup les éleveurs et, plus généralement, les agriculteurs : les traités de libre-échange, dont la négociation et la signature s'accélèrent depuis 2017. Alors que nous en débattions hier dans l'hémicycle, Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, nous a appris que les traités de libre-échange contenaient des clauses de régulation qui permettraient de subordonner les échanges, aujourd'hui quelque peu anarchiques, à des critères écologiques et sociaux. Cela m'a un peu surpris, car j'ai toujours cru que les traités de libre-échange entraînaient une dérégulation du marché. À vos yeux, quelles sont les conséquences des traités de libre-échange sur les revenus des agriculteurs, la mise en concurrence et le péril écologique ?

Debut de section - Permalien
Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France

Comme cela a été dit, les prix de certaines denrées de consommation courante sont soumis à la spéculation et s'envolent ; ils ne sont plus corrélés à la production. Le prix du cacao, par exemple, a augmenté de 40 % en un an. Dans ces conditions, impossible d'organiser la production. Nous savons tous qu'en l'absence de mécanismes stabilisateurs assurant une certaine prévisibilité, nous allons droit dans le mur, car on détruit les exploitations et la valeur.

Des pistes se dessinent pourtant : certains traités imposent la conformité à l'accord de Paris sur le climat, par exemple ; d'autres prévoient des clauses miroirs. Qu'il s'agisse de garantir qu'un produit est biologique, équitable ou qu'il n'a pas contribué à la déforestation, nous prônons la certification. Puisque ce principe est peu à peu reconnu à l'échelle internationale, pourquoi ne pas en faire un outil annexe aux traités de libre-échange ? Les accords signés par les ensembles régionaux pourraient imposer qu'une partie des denrées échangées obéissent à des normes environnementales et sociales, et fixer des cibles de progression : par exemple, 10 % des denrées échangées la première année doivent être issues de l'agriculture biologique, puis 15 % doivent être certifiées équitables la deuxième année, et ainsi de suite.

En tant qu'ONG internationale, nous savons certifier un produit au Ghana avec la même rigueur qu'on le ferait en France ou en Colombie, en offrant le même prix plancher et la même protection au producteur. C'est une piste qui méritait d'être approfondie. Il est beaucoup question des nouveaux accords de commerce : nous formons le vœu qu'ils protègent réellement les valeurs qui importent à la société, et non qu'ils alimentent la course en avant au moins-disant social et environnemental.

Debut de section - Permalien
Thomas Uthayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la FNH

Prenons l'exemple du Marché commun du Sud, le Mercosur, puisque j'imagine que c'est l'un des traités de libre-échange auxquels vous faisiez allusion : pour résumer, il consiste à échanger de la viande contre des voitures – on exporte des produits manufacturés et on importe des contingents de viande, notamment de bœuf, dont la production ne respecte pas les normes en vigueur dans l'Union européenne.

Il faudrait que les accords de libre-échange, et plus largement les accords commerciaux, imposent réellement le respect de certaines règles, à commencer par celles de l'accord de Paris, qui fixe un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ou encore celles du règlement européen contre la déforestation importée, adopté il n'y a pas si longtemps. Ensuite, il faut que, dans ces accords, les chapitres consacrés au développement durable prévoient des mesures beaucoup plus coercitives qu'aujourd'hui.

Il y a énormément de choses à changer dans les accords de libre-échange, qui, en l'état actuel des choses, ne vont pas du tout dans le sens du développement durable et de notre objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nos contributions déterminées au niveau national (NDC) devraient également être beaucoup plus ambitieuses. Tous ces enjeux méritent d'être posés sur la table, car les mesures actuelles ne sont pas suffisamment coercitives.

S'agissant de l'importation de produits qui ne respectent pas nos normes, on parle beaucoup des mesures miroirs, qui visent à mettre fin aux importations d'aliments produits avec des pesticides interdits dans l'Union européenne. Le Premier ministre Gabriel Attal a d'ailleurs fait des annonces à ce sujet. La FNH a lancé une pétition, qui approche les 50 000 signatures – dont celles de plusieurs députés français et européens –, pour appeler à l'instauration de mesures miroirs. Elles sont l'occasion d'en finir avec le statu quo agricole et d'embarquer la profession agricole dans la transition agroécologique et la réduction de l'usage des pesticides, car les deux tiers de la production agricole française dépendent aujourd'hui des engrais de synthèse azotés. Malheureusement, le plan Écophyto pose aujourd'hui question, car son principal indicateur a été modifié : il faut donc repenser le système. Enfin, les mesures miroirs sont aussi l'occasion d'arrêter d'exporter des pesticides dont nous interdisons l'utilisation dans notre pays.

Les mesures miroirs ne doivent pas aboutir à une agriculture à deux vitesses, mais soutenir la solidarité et ce qu'on pourrait appeler le « juste-échange », un principe qui impose de repenser les accords de libre-échange et les accords commerciaux – en l'état, ces textes sont injustes pour toutes les parties.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les deux représentants du monde agricole ont rappelé tout à l'heure que le renouvellement des générations en agriculture sera l'un des enjeux majeurs des dix prochaines années. Les freins à ce renouvellement ont déjà pour partie été évoqués : manque d'attractivité de la profession, prix du foncier, coût des investissements, mais aussi, parfois, mainmise de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), dont les choix, comme j'ai pu le constater en tant qu'élu local, sont assez orientés.

Comme beaucoup de mes collègues, je suis allé faire un tour au Salon de l'agriculture, où j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec des chefs d'établissement de l'enseignement agricole public. Ils m'ont dit que pour assurer le remplacement des départs prévus, il faudrait augmenter de près de 30 % les effectifs de leurs établissements, ce qui semble utopique, voire impossible.

Voilà donc mon interrogation : pour faciliter les installations de jeunes agriculteurs et répondre à l'enjeu de renouvellement des générations, en quantité comme en qualité, dans quel ordre pensez-vous qu'il faille agir sur les différents leviers – revenu, prix de la terre, formation continue ou tout autre piste que nous n'aurions pas encore évoquée ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Caillé, agriculteur biologique et président de Terrena bio

Pour revenir en un mot sur la question précédente, personnellement, je ne comprends pas que des denrées alimentaires puissent être échangées contre des puces électroniques ou des Airbus. Nous ne devons évidemment pas nous opposer aux échanges : il faut exporter et même importer, notamment des denrées comme le café et le cacao, que nous ne pouvons pas produire sur notre territoire. Mais faire de notre souveraineté alimentaire une monnaie d'échange contre des produits que nous ne produisons pas chez nous me dérange un peu. Nous avons de beaux territoires : pour les faire vivre, engageons les investissements et la dynamique qui permettront leur développement économique.

Pour répondre à votre question, je fais partie du conseil d'administration d'un établissement, qui, depuis trois ans, reçoit tellement de demandes d'inscription qu'il est parfois obligé d'en refuser. Cette forte dynamique prouve que le métier d'agriculteur ne souffre pas d'un problème d'attractivité. C'est plus tard que survient le problème. Les jeunes n'ont pas une vision négative du métier et ils comprennent vite, pendant leur formation, que s'engager dans cette carrière, c'est s'engager dans des investissements de long terme – au minimum quinze ans pour la plupart des productions. Entre exercer une activité para-agricole bien rémunérée et s'endetter pour quinze ans sans aucune garantie de rémunération ni de protection face aux aléas, le choix est vite fait.

Des jeunes veulent s'installer, mais le système économique et les banques refusent de les accompagner et de sécuriser leur parcours à long terme. Il faut lever ce frein-là. Les jeunes que je rencontre dans les écoles sont motivés et prêts à se lancer. Le travail ne leur fait pas peur, pas plus que de savoir qu'ils vont investir beaucoup d'argent et toucher un faible revenu pendant sept, huit ou dix ans. J'ai deux adolescents qui viennent de sortir d'une école agricole : l'un d'eux passe la semaine au Salon de l'agriculture à s'occuper d'un taureau parthenais. La motivation des jeunes est là. Ce qui fait défaut, c'est la sécurisation de leur avenir d'entrepreneur. Il faut soutenir leur capacité à développer les territoires en améliorant le revenu des agriculteurs.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question porte sur le développement du photovoltaïque au sol, proposé aux agriculteurs pour obtenir un supplément de revenu ou de retraite et compléter des rémunérations qui ne leur permettent pas de vivre dignement. Des gisements de toitures et de friches industrielles existent, comme l'a montré l'Agence de la transition écologique (Ademe). Ma question est simple et s'adresse plus spécialement à Mme Colas : n'y a-t-il pas un risque de voir les agriculteurs se transformer en producteurs d'énergie ? Ce dispositif ne favorise-t-il pas la financiarisation de l'agriculture et la subordination des paysans aux sociétés financières ?

Debut de section - Permalien
Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne

Les grands projets photovoltaïques sur des sols agricoles – je ne parle pas de la couverture des toitures – vont conduire à mettre en concurrence la terre nourricière et la terre productrice d'énergie. Une grande inquiétude nous a saisis en découvrant les propositions du Gouvernement dans son projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles. La notion de souveraineté énergétique y côtoie celle de souveraineté agricole, ce qui nous a beaucoup choqués car la souveraineté agricole figure, à l'origine, dans le code rural et correspond aux valeurs que nous portons avec le mouvement paysan international de la Via Campesina. La concurrence dans l'usage de la terre entraîne une course au foncier aux effets terribles. Des sociétés nous proposent régulièrement de louer nos terres à des loyers si élevés que nous pourrions en conclure que nous n'avons plus besoin de travailler la terre et qu'il suffirait de la louer pour qu'elle soit gérée comme un parc photovoltaïque.

Ce phénomène constitue une véritable inquiétude, car il va faire monter la valeur du foncier et empêcher des jeunes agriculteurs de s'installer. D'aucuns prétendent que s'y opposer priverait les agriculteurs d'une source de revenu intéressante. Peut-être, mais n'oublions pas que les projets photovoltaïques sont largement accompagnés financièrement par l'État, qui fixe un prix de rachat de l'électricité : ces montages financiers profitent toujours aux mêmes et l'agriculteur, souvent mal informé, n'est pas le plus gagnant à long terme.

En outre, il faut absolument préserver la nature des sols. À cet égard, les systèmes qualifiés d'agrivoltaïques sous prétexte qu'on met quatre moutons sous des panneaux solaires, alors que nous sommes en pleine négociation avec le Mercosur et que la filière ovine est en grande difficulté financière, sont des artifices : on ne comprend pas bien où ira cette production d'électricité, ni à quel prix, en la développant ainsi. Il s'agit, une fois de plus, de détourner notre profession vers un autre usage, à coups de financement. Nous sommes très inquiets pour la biodiversité et la protection de nos sols, de notre environnement et de nos paysages. Je vis dans une région rurale assez touristique et ces projets y sont très mal accueillis.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'aimerais savoir s'il existe un espace de communication entre vous, les agriculteurs de l'Hexagone, et ceux des outre-mer. Êtes-vous au fait de leurs réalités, des avantages et des inconvénients de leurs activités ? Échangez-vous sur les méthodes de production ? Existe-t-il un réflexe outre-mer, un bloc outre-mer, pour faire évoluer l'agriculture ? La Réunion compte un grand nombre d'agriculteurs, qui connaissent de grosses difficultés lors de la saison de coupe de la canne à sucre, car des grèves éclatent, les usiniers ne voulant rien céder aux planteurs. Je me fais l'écho des inquiétudes de ces agriculteurs : y a-t-il une pensée outre-mer ici en Hexagone ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Caillé, agriculteur biologique et président de Terrena bio

Le lien existe, mais il n'est pas suffisant. La situation n'est pas facile pour les agriculteurs des outre-mer. Nous échangeons avec les producteurs de bananes, notamment sur les sujets bio. À La Réunion, par exemple, les exploitants importent beaucoup de matières premières de l'Hexagone parce qu'ils ne peuvent pas les produire sur place. Il est important de renforcer les liens avec les coopératives des départements d'outre-mer. J'ai rencontré hier M. Jean-Rémi Duprat, responsable de la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) de Martinique, qui travaillait auparavant dans la région Nouvelle-Aquitaine. Nous avons évoqué le sujet délicat du lien avec les agriculteurs ultramarins. Nous devons bien sûr les écouter, mais, sans vouloir leur renvoyer la balle, ils se sentent aussi assez éloignés des problèmes de la métropole.

Debut de section - Permalien
Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne

Tous les départements d'outre-mer sont représentés au comité national de la Confédération paysanne. Nos collègues d'outre-mer nous retrouvent donc tous les deux mois. Notre collègue de Mayotte s'est d'ailleurs dit très surpris de trouver l'eau courante à Bagnolet, car chez lui le robinet coule toutes les quarante-huit heures ! Nous nous sentons très proches des agriculteurs d'outre-mer et nous avons participé à l'inauguration de leur stand au Salon de l'agriculture. Nous essayons de défendre des causes qui leur sont propres. Je pense notamment à l'application du plan Écophyto, à la lutte contre la pollution au chlordécone et aux pesticides, mais aussi à l'expérimentation menée sur la volaille et la peste porcine africaine proposée à des fermes de La Réunion, accompagnées par notre réseau. Des actions très concrètes sont donc menées, mais il y a bien entendu encore beaucoup à faire.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je veux saluer, tout d'abord, la qualité des interventions de nos invités. Nous avons beaucoup parlé de prix planchers. Je voudrais savoir ce que vous pensez de l'initiative « C'est qui le patron ?! ». S'agit-il simplement d'un phénomène de mode, d'un gadget, ou doit-on véritablement l'encourager dans la mesure où, quand l'étiquetage est clair, cette initiative permet de rémunérer nettement mieux nos agriculteurs ?

Debut de section - Permalien
Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France

La qualité essentielle de cette initiative est de porter le fer dans la plaie de l'opacité des marges, laquelle est sans doute le principal verrou à la résolution des problèmes que nous évoquons. L'idée géniale est d'exposer le découpage de la valeur d'un produit, permettant ainsi au consommateur de prendre conscience des marges respectives des différents acteurs. C'est un combat que nous menons depuis trente ans : sans un consommateur conscientisé, capable de faire des choix éclairés pour promouvoir les produits durables, il y a peu d'espoir, comme nous l'avons constaté lors de la récente crise inflationniste.

Je salue donc cette initiative, qui permet d'afficher la répartition des marges au vu et au su de tous et qui a des vertus pédagogiques. Or les consommateurs français ont encore une grande marge de progrès pour comprendre ce qu'il y a derrière les produits qu'ils achètent. L'initiative « C'est qui le patron ?! » a eu le mérite de populariser ces enjeux grâce aux médias et à une présence massive dans la grande distribution.

Debut de section - Permalien
Thomas Uthayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la FNH

Je serai un peu moins dithyrambique : « C'est qui le patron ?! » n'est pas une mauvaise initiative, mais une micro-initiative, qui améliore la transparence et qui a une vocation participative – les consommateurs sont consultés sur les prix qu'ils sont prêts à payer pour tel ou tel produit.

Dans la jungle des labels, les consommateurs ne savent pas ce qu'ils achètent. Dans les rayons des supermarchés, vous trouvez des labels privés comme « C'est qui le patron ?! » ou « Zéro résidu de pesticides », mais aussi des labels publics : Haute Valeur environnementale (HVE), appellation d'origine protégée (AOP), indication géographique protégée (IGP) et agriculture biologique (AB). Mesurer le degré de durabilité des différents labels est très difficile. La HVE, en particulier, souffre de problèmes de crédibilité, démontrés dans plusieurs études. J'ai moi-même publié une étude lorsque je travaillais à WWF pour évaluer la durabilité des labels sur la base de quatorze grands enjeux, pour moitié socio-économiques et pour moitié environnementaux. « C'est qui le patron ?! » avait d'ailleurs tiré son épingle du jeu sur le volet socio-économique, mais ses performances environnementales posaient davantage question.

Parmi tous les labels présents dans les supermarchés et dont les consommateurs ont du mal à identifier le niveau de durabilité, l'agriculture bio est la seule initiative dont la littérature scientifique a démontré les bénéfices à la fois environnementaux et socio-économiques, en particulier lorsqu'elle est combinée au commerce équitable. L'objectif est de doubler les surfaces de l'agriculture biologique en six ans pour atteindre 21 % de surfaces bio d'ici à 2030, avec un objectif intermédiaire de 18 % d'ici à 2027 : le défi est immense, il va falloir mettre les bouchées doubles.

Le plan Ambition bio 2027 n'est pas à la mesure de l'enjeu, et le Gouvernement ne démontrera pas sa crédibilité en matière d'agroécologie – dont l'agriculture biologique fait partie – simplement en contrôlant davantage l'application des lois Egalim – la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Egalim 1 ; la loi du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite Egalim 2 ; la loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite Egalim 3.

Il va falloir embarquer d'autres secteurs d'activité que celui de la restauration collective, qui ne respecte toujours pas la loi Egalim 1. Ce texte prévoit 50 % de produits durables dans la restauration collective, dont 20 % de bio, alors que la moyenne s'élève aujourd'hui à 6 %, avec un secteur médico-social largement à la traîne. Une fois que nous aurons réussi à faire respecter la loi dans la restauration collective, il faudra passer à la restauration commerciale – cafés, restaurants – et surtout à la grande distribution, car c'est elle qui détermine en grande partie la consommation des Français.

Pour conclure, ayons davantage d'ambition pour l'agriculture biologique – conformément au nom de cette politique publique – avant d'envisager des initiatives crédibles sur le plan socio-économique et environnemental – crédibilité qui manque à de nombreuses initiatives privées aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame et messieurs, je vous remercie pour vos éclairages et vos réponses. Je suspends la séance un instant avant de passer à la seconde partie du débat.

Suspension et reprise de la séance

La séance, suspendue à vingt-deux heures vingt-cinq, est reprise à vingt-deux heures trente.

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La séance est reprise.

La parole est à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture de la souveraineté alimentaire.

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Mes propos risquent de rappeler ceux que j'ai tenus hier, lors du débat relatif aux prix payés aux producteurs par les entreprises de transformation et de distribution agroalimentaires ; je prie ceux qui y ont assisté de m'en excuser. Je vous remercie pour l'organisation de ces débats qui permettent à la représentation nationale de se saisir d'un sujet important : le partage de la valeur dans le monde agricole. C'est le troisième auquel je participe à l'Assemblée en trois jours, dont deux ont porté sur ces questions, au moment même où se tient le Salon de l'agriculture ; c'est dire combien ces préoccupations sont d'actualité.

La crise que nous traversons depuis plusieurs semaines a mis en lumière les difficultés auxquelles sont confrontés quotidiennement les agriculteurs. Ils se retrouvent parfois face à des injonctions multiples, voire contradictoires : nourrir nos concitoyens, réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, adapter leur production au changement climatique, diminuer l'utilisation des produits phytosanitaires, améliorer, le cas échéant, le bien-être animal – je pourrais poursuivre cette liste. Depuis 2017, le Gouvernement est pleinement engagé en faveur de la protection de la rémunération des agriculteurs et du partage de la valeur au sein de la chaîne alimentaire.

Comme l'ensemble des Français, et plus encore parce que leur mission au service de nos concitoyens est essentielle, les agriculteurs doivent pourvoir vivre justement de leur travail. Pour cela, il faut payer les produits agricoles au prix juste. Le prix juste, c'est celui qui rémunère correctement le produit, le producteur et chacun des acteurs de la chaîne de valeur ; le prix juste, c'est aussi celui qui permet à nos concitoyens d'avoir accès à une alimentation durable et de qualité : nous pensons que ce double objectif est atteignable. Nous avons traduit cette ambition dans les lois Egalim 1 et Egalim 2, qui ont créé un cadre juridique sans équivalent en Europe. Elles permettent de protéger les agriculteurs et de rééquilibrer les relations au sein de la chaîne de valeur agroalimentaire. Ces lois replacent les agriculteurs au cœur de la construction du prix. J'en rappellerai les dispositions : la construction des prix doit s'effectuer en marche avant – c'est le producteur qui propose le contrat et qui est à l'origine de la définition des prix – ; les coûts de production sont pris en compte par le biais d'indicateurs de référence établis dans les filières ; la contractualisation pluriannuelle, recommandée, donne de la visibilité et sécurise les agriculteurs dans leurs investissements ; des clauses de révision automatique permettent de faire face aux évolutions du marché et aux aléas que les agriculteurs rencontrent pendant la durée du contrat.

Si les deux premières lois Egalim, complétées par la troisième, adoptée en mars 2023, ont produit des résultats positifs, leur application n'est pas sans difficultés. Dans le contexte de tensions sur les matières premières, que nous connaissons depuis près de deux ans, ces lois ont protégé les agriculteurs, mais elles doivent aussi donner lieu à des sanctions à l'encontre de ceux qui n'en respectent pas les dispositions. C'est la raison pour laquelle nous avons appelé au renforcement des contrôles opérés par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), y compris en amont.

En aval, la protection de la matière première agricole fonctionne, même si des difficultés ont été constatées lors des dernières négociations. En revanche, les clauses de révision automatique des prix et les clauses de renégociation n'ont pas toujours été bien rédigées ni réellement appliquées. Des progrès sont attendus en la matière.

À très court terme, la priorité du Gouvernement est de garantir que le cadre issu des loi Egalim est pleinement respecté – c'est l'enjeu du contrôle. Quelque 1 700 contrôles ont été réalisés sur l'origine des produits dans 1 500 établissements ; ils ont conduit à adresser 337 avertissements et 107 injonctions, à dresser 116 procès-verbaux pénaux et à infliger deux amendes administratives. Deux pré-amendes ont été adressées à des centrales d'achat européennes. Je salue le travail considérable et utile réalisé par les services de contrôle. Rappelons également que des procédures sont en cours à l'encontre de centrales d'achat créées dans le seul but de contourner les lois. J'avais personnellement prononcé, il y a quelques années, une amende de 117 millions d'euros à l'encontre d'une telle centrale ; ce contentieux chemine et le jugement sera rendu en France, ce qui est une bonne nouvelle.

Il n'en reste pas moins beaucoup à accomplir. Le Président de la République l'a annoncé samedi au Salon de l'agriculture : il faut instaurer des prix qui permettent de rémunérer justement les agriculteurs. À cette fin, il importe que la contractualisation, qui a fait ses preuves, se développe dans l'ensemble des filières. En amont, l'un des piliers essentiels de la loi réside dans la contractualisation écrite pluriannuelle entre l'agriculteur et le premier acheteur. Or son déploiement demeure inégal. Un effort doit être accompli pour que la dynamique de contractualisation pluriannuelle se développe davantage, en particulier dans certaines filières animales. Les freins sont bien identifiés : la réticence de certaines filières à s'engager dans ce type de contractualisation, pour différentes raisons ; l'organisation des filières ; le rôle d'intermédiaire, le cas échéant ; la possibilité d'arbitrer les prix sur le marché ; ou tout simplement la nature de la production. Lorsque cette dernière est fortement saisonnière, la contractualisation annuelle ne fonctionne pas aussi bien que quand les biens sont produits tout au long de l'année. S'y ajoutent, j'y ai fait allusion, des pratiques de contournement de certains acteurs, fournisseurs comme distributeurs.

La question qui se pose désormais est donc celle des leviers à actionner pour renforcer la dynamique de contractualisation. Une première réponse réside dans l'accompagnement des acteurs de bonne volonté. J'étais il y a peu au Salon de l'agriculture pour accompagner la signature d'un contrat tripartite entre une enseigne de grande distribution, des agriculteurs du Grand Est et un transformateur qui organise la découpe. Ce type de système fonctionne sur une base pluriannuelle ; les prix, négociés directement entre la grande distribution et les agriculteurs, rémunèrent correctement ces derniers et permettent de commercialiser des marchandises de qualité dans la grande distribution. Les démarches de ce type doivent être élargies et encouragées. Une deuxième réponse réside dans l'élargissement du champ de la loi Egalim et dans sa bonne application à la restauration collective – nous y reviendrons.

En ce qui concerne les prix, le cadre des lois Egalim conserve toute sa pertinence. Les outils de régulation qu'elles instaurent doivent permettre d'effectuer les bons ajustements de prix, à la hausse comme à la baisse, en fonction des principes fixés. Ils doivent néanmoins être renforcés pour garantir le revenu des agriculteurs – c'est l'objet des annonces du Président de la République.

Précisons-le d'emblée : les prix planchers, ce n'est pas la fixation par l'État du prix payé à l'agriculteur pour son produit, ni la fixation du prix payé par le consommateur. Il ne s'agit pas de prix administrés. Ce qui compte, c'est que les agriculteurs ne soient pas contraints de vendre leurs produits à des prix qui seraient décalés par rapport aux coûts de production et aux coûts de référence. Ce faisant, nous irons plus loin que le cadre actuel des lois Egalim au niveau national comme européen. Ce travail sera mené en lien étroit avec les filières, afin de définir au mieux les indicateurs de coût de production et la façon de les prendre en compte dans les contrats. C'est l'un des champs dont se saisira la mission parlementaire confiée aux députés Alexis Izard et Anne-Laure Babault.

Une partie de la solution se situe au niveau européen – les discussions de ces derniers jours l'ont bien montré. L'Europe n'est pas un frein ; elle est au contraire le cadre pertinent pour protéger nos agriculteurs contre la concurrence déloyale de pays qui ne partagent pas les mêmes standards environnementaux et sanitaires que nous. J'entends souvent des récriminations à l'égard du droit de la concurrence européenne mais c'est bien lui qui nous permettra d'encadrer les agissements des centrales d'achat européennes. C'est également au niveau européen que nous pourrons renforcer les contrôles sur les produits importés et sur les pratiques commerciales déloyales – c'est l'objet de la proposition de créer une force de contrôle du type de celle de la DGCCRF diligentée par l'Union européenne. Nous avons travaillé en ce sens la semaine dernière avec le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, ainsi qu'avec Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, et avec le commissaire à l'agriculture, pour poser les jalons de ce nouveau combat.

Les agriculteurs français peuvent compter sur notre engagement pour répondre à leur désarroi et construire ensemble un chemin pour sortir de la crise qu'ils traversent.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes.

La parole est à M. Yannick Monnet.

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Lors de sa visite très mouvementée au Salon de l'agriculture, le chef de l'État a annoncé l'instauration de prix planchers, c'est-à-dire de prix minimums garantis pour les produits agricoles. C'est une proposition que les députés communistes défendent depuis des années, même si nous préférons parler de prix rémunérateurs. Elle fait partie intégrante d'un pacte d'avenir que nous proposons aux agriculteurs et aux agricultrices de notre pays, pour leur garantir des revenus dignes – car tel est bien l'enjeu.

Si nous ne voulons pas méconnaître la diversité des régions et des exploitations, si nous ne voulons pas non plus que les prix planchers deviennent des prix plafonds, la création d'un tel dispositif nécessite une révision en profondeur de la loi Egalim. Cette dernière échoue jusqu'à présent à protéger les producteurs car elle repose sur une liberté contractuelle, laissant les producteurs à la merci des outils de négociation des acheteurs, des indicateurs et des formules de calcul que les acheteurs concoctent pour mieux dicter leurs conditions.

Lors des débats relatifs à la loi Egalim, nous avions proposé de confier à l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires la mission d'évaluer la pertinence des indicateurs qui servent à la négociation des contrats. Nous avions aussi proposé de créer des conférences permanentes territoriales associant la profession agricole, les filières, les pouvoirs publics et la société civile, afin de permettre la fixation des prix qui couvrent les coûts de production des agriculteurs, rémunération incluse. Pour sécuriser la chaîne de valeur, il est également indispensable d'instaurer un coefficient multiplicateur entre le prix d'achat au producteur et le prix de vente aux consommateurs : c'est la garantie, pour ces derniers, d'un prix juste.

Madame la ministre, êtes-vous prête à remettre le travail sur l'ouvrage avec l'ensemble des parlementaires, pour aboutir enfin à un texte qui fasse consensus et qui sécurise, sans la figer arbitrairement, la rémunération des agriculteurs ?

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Les lois Egalim ont suscité des progrès réels – il suffit, pour s'en convaincre, d'arpenter les allées du Salon de l'agriculture et de discuter avec des agriculteurs qui ont conclu une contractualisation, pluriannuelle ou fondée sur des indicateurs de référence, rémunérant correctement leur production. Dans la filière laitière, la contractualisation couvre 90 % des volumes et 70 % des exploitations. Certes, tout n'est pas parfait, mais il convient de souligner les avancées importantes réalisées grâce aux lois Egalim.

Vous évoquez une liberté contractuelle, mais cela ne correspond pas tout à fait à la réalité. Des indicateurs de référence sont en effet définis par filière, à charge pour le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire de s'assurer qu'ils sont correctement définis et qu'ils représentent la réalité de la filière. Un médiateur des relations commerciales agricoles intervient par ailleurs. Il est parvenu à trouver des accords dans des négociations compliquées, en réunissant les acteurs autour de la table. Il est intervenu dans une soixantaine de dossiers au cours des négociations pour 2024. Il existe en outre un Comité de règlement des différends commerciaux agricoles (CRDCA), dont les décisions s'imposent aux parties.

Ces outils contribuent à renforcer le pouvoir des agriculteurs dans le cadre des négociations, l'instrument ultime étant la contractualisation tripartite, annuelle ou pluriannuelle, que j'ai déjà évoquée. Nous avons des exemples de contractualisations de ce type qui fonctionnent, avec un prix transparent, équitable pour l'agriculteur, et permettant au transformateur de ne pas devoir aborder ce point lorsqu'il négocie sa relation contractuelle avec le distributeur.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La question du revenu est au cœur des revendications des agriculteurs et par conséquent de nos débats, à juste titre, car il s'agit là d'une condition de notre souveraineté alimentaire, ainsi que du renouvellement des générations d'exploitants – 100 000 fermes françaises ont disparu en dix ans, la moitié des agriculteurs atteindra l'âge de la retraite au cours des dix prochaines années. Il est donc impératif de renforcer l'attractivité des métiers agricoles, ce qui passe en premier lieu par une digne rémunération.

Le président Macron a déclaré vouloir instaurer un prix plancher des produits agricoles : cette annonce bienvenue, quoique tardive, a suscité beaucoup d'espoirs car ces prix minimaux, fixés de manière décentralisée par les filières, devraient constituer un filet de sécurité, visant à couvrir les coûts de production et à rémunérer le travail paysan. Madame la ministre, comment vous positionnez-vous au sujet de cette promesse – la tenir serait la moindre des choses afin de restaurer quelque peu la confiance en la politique ? Quelles conditions permettraient d'en atteindre l'objectif, c'est-à-dire, pour les agriculteurs, la garantie d'un revenu digne ?

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Votre question, madame la députée, va me permettre de suivre le fil de ma précédente réponse et de compléter celle-ci. Notre idée consiste à fonder ces prix sur les indicateurs de référence élaborés au sein des filières ; je le répète, nous avons confié à vos collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard une mission de quatre mois, celle d'aller à la rencontre des représentants de ces filières et de déterminer comment mettre au point ce processus de marche en avant. Notre vision n'est pas celle d'un prix administré et ne correspond donc pas au texte déposé en son temps par le groupe LFI ; nous pensons en revanche obliger le transformateur à négocier avec le producteur avant de commencer à le faire avec le distributeur.

Les députés Babault et Izard présenteront d'ici à l'été leurs recommandations, lesquelles donneront lieu dans la foulée à un projet de loi ; je sais du reste qu'ils s'appuieront sur les travaux du Parlement, assez riches au sujet de la construction des prix à partir d'indicateurs de référence. Quant aux deux conditions nécessaires à la réussite de cette démarche, vous les connaissez : d'une part un système de contrôle et de sanctions à l'encontre des tricheurs qui incite à respecter le cadre contractuel, d'autre part le fait de s'assurer que la loi sera bien appliquée, ce dernier point renvoyant à la question des centrales d'achats européennes créées en partie afin de contourner les lois Egalim – preuve, d'ailleurs, du mordant de celles-ci, mais aussi de la nécessité d'une sécurisation juridique.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la ministre, je vous soumets les questions suivantes, qui se posent avec acuité. Premièrement, celle de la pertinence des prix planchers esquissés par le Président de la République, alors que nombre d'économistes, ainsi que des représentants du monde agricole croisés ces jours-ci, font part de leur scepticisme : si cette méthode semble fonctionner en Suisse, elle ne sera pas sans poser problème au sein d'une économie européenne ouverte, et alors que nous sommes bien loin du consensus entre les vingt-sept États membres. A contrario, pourquoi ne pas soutenir ce qui marche, autrement dit les prix planchers fixés à l'initiative des consommateurs ? J'ai tout à l'heure évoqué la démarche « C'est qui le patron ?! », laquelle, après quelques années, concerne 3 000 exploitations et est plébiscitée par plus de 16 millions de consommateurs. Donner au client le choix de la composition des produits et assurer au producteur une juste rémunération, n'est-ce pas un modèle vertueux à reproduire, voire à généraliser ?

Deuxièmement, quelles sont les pistes de réforme en matière de soutien aux petites exploitations ? Nous savons que les aides de la PAC vont surtout aux grandes, alors que sont mal loties des filières particulièrement sinistrées, comme la filière ovine qui, en Corse comme sur le continent, connaît depuis quinze ans d'importantes difficultés.

Troisièmement, avant même d'envisager de nouvelles réformes, comment comptez-vous lutter contre le contournement des lois Egalim qui peinent à être appliquées ? Je pense à la délocalisation des centrales d'achats par des groupes de la grande distribution, mais aussi à la perte de vitesse de la filière bio. Sur ces trois points, les agriculteurs attendent des réponses très concrètes.

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

En d'autres termes, monsieur le député, si je vais au bout de votre logique, vous me demandez en quoi Egalim diffère du commerce équitable. Les objectifs sont similaires : la transparence et une rémunération correcte, dans le cadre de contrats de préférence pluriannuels, de l'exploitant agricole. En revanche, le commerce équitable relève d'une démarche volontaire, tandis qu'Egalim, étant de nature législative, s'applique obligatoirement, et plus précisément aux mécanismes contractuels. En outre, le commerce équitable constitue aussi un label, ayant par définition une vocation marketing, ce je ne prends pas en mauvaise part : il s'agit de permettre au consommateur de distinguer ainsi tel produit de tel autre qui n'a pas été élaboré dans les mêmes conditions. Les deux dispositifs ne sont d'ailleurs pas incompatibles.

Par l'outil législatif, nous cherchons à faire en sorte que l'esprit qui a inspiré les lois Egalim, c'est-à-dire la construction en avant d'un prix fondé sur les indicateurs de référence, lesquels reposent sur les coûts de production en tenant compte des différences de charges à travers le territoire, puisse réellement s'incarner dans le cadre contractuel. Il y a des avancées, certains acteurs ont accompli cette démarche, c'est pourquoi je dis qu'il faut prendre ce qui, dans les lois Egalim, a fonctionné. D'autres acteurs se révèlent moins enthousiastes, pas seulement des distributeurs, soit dit en passant : des exploitants, des filières attachés aux références du marché spot sont réticents à la marche en avant, à la contractualisation. Il convient que notre réflexion intègre ce paramètre. Pour toutes ces raisons, nous souhaitons remettre Egalim sur le métier, l'approfondir, étendre sa portée.

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

La PAC vient d'être refondée à partir d'un projet stratégique national, avec une part d'écorégime permettant d'équilibrer les aides surfaciques. Quant au reste, j'ai entendu vos interrogations ; je tenterai d'y répondre plus tard, en citant notamment la viticulture.

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Je remercie avant tout le groupe Écologiste d'avoir organisé ce débat et Mme la ministre d'être à nouveau présente ce soir car nous avons eu hier un débat similaire. Le partage de la valeur constitue en ce moment une question essentielle, y compris pour la majorité ; il est depuis 2018 au cœur de l'action du Président de la République, comme en témoignent les lois Egalim, qui ont permis de rééquilibrer le rapport de force lors des négociations entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Pourtant, nous sommes encore loin du compte : 20 % des agriculteurs rencontrent de très graves difficultés financières. Hier, nos échanges nous ont permis de conclure à la nécessité de muscler le dispositif Egalim, de renforcer les contrôles, de s'assurer qu'il est appliqué.

Je souhaite revenir sur le commerce international, en particulier sur l'épineuse question, déjà évoquée un peu plus tôt, des accords de libre-échange. Dans notre hémicycle, dans les rues européennes, ils sont désignés comme responsables des souffrances des producteurs. Or cet intitulé générique cache une grande variété de partenariats conclus avec diverses parties du monde, aux périmètres et aux modalités très différents, ayant d'ailleurs largement évolué au fil des années. Tous facilitent la circulation des biens et services par l'abaissement, voire la suppression des barrières tarifaires ou non tarifaires – autrement dit les limitations législatives. S'ils y sont inclus, ce qui n'est pas toujours le cas, les produits agricoles sont fréquemment soumis à des contingents tarifaires ; ces accords fixent parfois même des prix planchers, par exemple pour les tomates et les courgettes de Géorgie.

Selon le rapport présenté en 2023 par nos collègues Thomas Ménagé et Lysiane Métayer, les filières françaises du lait et des vins et spiritueux sont les grands bénéficiaires des accords de libre-échange : l'Accord économique et commercial global (Ceta) a ainsi accru de 30 % nos exportations vers le Canada, alors que la France exporte trois fois plus de bœuf qu'elle n'en importe du Canada. Le Président de la République s'est par ailleurs très fermement opposé à la conclusion d'un accord de libre-échange ne respectant pas l'accord de Paris ; il refuse depuis 2019, pour la même raison, de ratifier l'accord de libre-échange entre le Mercosur et l'Union européenne.

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Je souhaite donc, madame la ministre, connaître votre point de vue. Ces accords peuvent-ils contribuer à une meilleure régulation des systèmes alimentaires internationaux, voire à la diffusion de normes environnementales exigeantes ?

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Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Vous avez raison, madame la députée, de souligner l'importance de ces accords qui ne sont en fait pas de libre-échange – pour échanger, il n'est pas besoin d'accord, comme en témoigne le commerce entre la France et la Chine –, mais de régulation du libre-échange, puisque leurs clauses visent à des échanges « responsables ». Telle est la position française : faire intégrer systématiquement aux accords de libre-échange européens des clauses relatives à l'accord de Paris, ou tendant à imposer à l'autre partie nos normes sanitaires et environnementales. C'est là, je le répète, le sens de ces accords, bien que chacun ait en effet ses mérites et ses règles propres.

Comme vous l'avez évoqué, l'équilibre de certaines filières dépend fortement des exportations, qui constituent, dans nombre de cours de ferme, un enjeu majeur : les deux tiers des calories produites en France sont exportées ! Nous ne pouvons donc pas nous permettre une approche caricaturale du libre-échange ; encore une fois, le commerce international rémunère notre agriculture, lui a permis de se développer, de se moderniser. Ce qui pose problème, c'est la concurrence déloyale : l'un des moyens de la combattre consiste à inclure dans les accords des clauses régulatoires, et c'est pour cette raison que le Président de la République, contre l'avis de nombreux États européens, s'oppose à l'accord avec l'Australie comme à l'accord avec le Mercosur.

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« Il faut rendre à l'agriculteur sa place et son rang », écrivait Alphonse Karr. Ces mots prennent une résonance particulière alors que, depuis des semaines, l'Europe est traversée par des mouvements d'agriculteurs luttant pour leur survie. Tout en multipliant les discours sur la souveraineté alimentaire, la Macronie et l'Union européenne n'ont cessé de semer les graines de cette colère : accords de libre-échange dépourvus de clauses miroirs, normes administratives, pression fiscale, autant de causes des problèmes rencontrés par les producteurs. La responsabilité d'Emmanuel Macron, des gouvernements successifs, des instances européennes, est établie ; cela n'empêche pas le Président de la République et le Premier ministre, au lieu de s'atteler à la tâche, de préférer s'adonner à la politique politicienne – notamment en tapant sur le Rassemblement national, mais ce n'est pas le sujet. Pendant ce temps, en dix ans, pas moins de 100 000 exploitations ont disparu ; les prévisions ne sont guère plus réjouissantes.

Près de 18 % des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté. Et si le volume de l'ensemble de la production agricole a augmenté de 2,9 % entre 2022 et 2023, les prix des produits agricoles ont chuté de 3,7 %. Il faut donc prendre des mesures. C'est pourquoi le Rassemblement national, par les voix de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, a formulé plusieurs propositions.

Vous avez parlé des traités de libre-échange et de leurs aspects positifs. S'ils peuvent effectivement présenter un intérêt en matière d'exportations, vous ne pouvez pas raconter tout et son contraire, voire n'importe quoi. La France est le vingt-deuxième pays exportateur mondial, mais aussi le cinquième importateur. Le déséquilibre est donc criant.

Par ailleurs, demain, 29 février, les députés européens de la Macronie s'apprêtent à voter un nouveau traité de libre-échange, avec le Chili, qui continuera de détruire l'agriculture française.

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Il est aisé de brasser des chiffres. Permettez-moi d'en citer un également : le revenu disponible des exploitations a progressé de 93 % entre 2017 et 2022 – chiffre issu de la statistique française. Je n'en tire pas la conclusion que toutes les exploitations agricoles françaises vont bien et je ne brandis pas non plus ce chiffre pour essayer de tuer le débat. J'essaie simplement de vous démontrer que si je retiens cet angle-là, je peux affirmer des choses très positives sur l'agriculture française, car il y a des agriculteurs, notamment ceux qui exportent, qui vivent bien de leur travail et se développent.

Si je comprends bien vos propos, il faudrait interdire le commerce international, puisque vous mentionnez des pays avec lesquels il n'existe pas de traité de libre-échange. Sans traité, comment peut-on réguler l'échange ? Faut-il fermer les frontières ? Et que se passerait-il dans ce cas ? L'agriculture française s'effondrerait puisque l'exportation est l'une de ses forces. Vous semblez sous-entendre que la France importerait davantage qu'elle n'exporte. Or il se trouve que la filière agricole est l'une des plus exportatrices et parmi celles dont la balance commerciale est la meilleure. J'avoue ne pas bien comprendre votre question.

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Je remercie le groupe Écologiste d'avoir organisé ce débat. La question majeure est la suivante : comment ceux qui nous nourrissent peuvent-ils vivre avec des revenus de misère ? Il a fallu que la colère des agriculteurs éclate au grand jour, ces derniers mois, pour que vous commenciez à agir.

Toutefois, les agriculteurs attendent une vraie politique, qui leur assure des revenus dignes. Un travailleur agricole à temps plein dégage en moyenne une richesse de 11 420 euros par an dans les territoires d'outre-mer, contre 29 700 euros dans l'Hexagone, selon l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odeadom). Les petits planteurs de canne à La Réunion n'ont pas de revenu garanti ; celui-ci dépend du bon vouloir des industriels. De plus, comment imaginer qu'un agriculteur qui a travaillé pendant quarante-deux ans et demi se retrouve avec une retraite à taux plein de 650 euros par mois ? Certains, qui ont eu des carrières incomplètes, ne perçoivent même pas 200 ou 300 euros et vivent en dessous du seuil de pauvreté, dans une société marquée par l'explosion des coûts.

Par ailleurs, La Réunion est en grande partie un parc national, dans lequel il faut respecter davantage de normes. Y ajouter les normes européennes en matière agricole est trop contraignant. Les réglementations nationales et européennes ne sont pas adaptées aux territoires d'outre-mer, d'autant qu'ils ne pratiquent pas une agriculture intensive, mais plutôt familiale.

En matière d'élevage caprin, par exemple, l'Europe impose des boucles d'identification électronique. Or elles sont inutiles à La Réunion où les éleveurs ne disposent pas de lecteurs. Reste qu'elles sont obligatoires pour bénéficier des aides européennes. S'agissant de la production de carottes, on a interdit aux agriculteurs d'utiliser des désherbants, mais on continue à importer des carottes de Chine qui sont cultivées avec ces mêmes désherbants. La concurrence est totalement déloyale.

En conséquence, quelle politique de revenus envisagez-vous pour les agriculteurs d'outre-mer ? Comment parvenir à établir un prix plancher des produits agricoles, sachant que les coûts, les modes de production et les normes pour le lait, les carottes, les salades ou les tomates ne sont pas les mêmes d'un territoire à un autre ? Enfin, nous n'avons plus de référent des territoires d'outre-mer depuis deux ans au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Comment pouvons-nous, dans ces conditions, être compris ?

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Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Vous signalez la situation particulière de l'outre-mer, en soulignant que certaines règles agricoles établies de manière générale s'appliquent mal à la spécificité de vos territoires. L'exemple que vous prenez est à cet égard frappant : j'ai besoin de ce type d'exemples pour nourrir l'agenda de simplification que nous engagerons aux niveaux européen et français – parce qu'il faut aussi balayer devant notre porte. Il est possible que certaines règles nationales ne soient pas adaptées aux territoires ultramarins, si leur particularité n'a pas été prise en compte.

Ensuite, vous posez en creux la question de la souveraineté, en expliquant qu'il est interdit d'utiliser certaines molécules pour produire des carottes dans les territoires ultramarins, alors que nous en importons de pays qui utilisent ces mêmes molécules. Nous avons bâti un plan de souveraineté pour chaque territoire d'outre-mer ; ils seront confiés à l'Odeadom pour être déclinés et appliqués. Nous travaillons également à des indicateurs spécifiques à l'outre-mer. Le Président de la République réunissait aujourd'hui l'ensemble des représentants agricoles de l'outre-mer pour évoquer ces différents éléments.

Oui, vous avez raison, il faut une politique adaptée à l'outre-mer et nous portons souvent cette parole auprès des pays de l'Union européenne. Nous sommes d'accord pour dire qu'il faut être très attentif aux spécificités ultramarines et que la déclinaison de textes qui ont du sens sur le continent européen peut parfois être décalée dans vos territoires. J'ajoute que nous disposons d'un bureau des outre-mer et d'un délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer, dont l'une des missions est d'accompagner vos territoires.

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Je tiens tout d'abord à remercier le groupe Écologiste de nous donner l'occasion, pour la seconde soirée consécutive, de discuter de ce sujet fondamental.

Le groupe Socialistes a produit aujourd'hui une note de contribution au débat sur la crise agricole, que je vous invite à consulter sur le site de la Fondation Jean-Jaurès. Elle pointe tous les angles morts du débat, tant pour les pouvoirs publics que pour la société civile, qui n'ont pas été abordés au cours de cette crise : la question du foncier, celle du partage de la valeur, celle de l'allocation des aides publiques, le côté obscur du secteur amont de l'agriculture ou encore l'absence en France d'instruments de régulation des marchés, pourtant disponibles au sein de l'Union européenne.

Je souhaite appeler votre attention sur deux sujets en particulier, qui correspondent au débat de ce soir : celui du partage de la valeur et celui relatif au commerce extérieur. Permettez-moi de vous dire, madame la ministre, puisque vous êtes nouvelle dans vos fonctions, que, pour vous entendre pour la deuxième soirée consécutive, il me semble que votre récit sur le commerce extérieur et le partage de la valeur comporte un angle mort, celui des limites planétaires : les prévisions d'Agrimonde-Terra démontrent qu'aucune agriculture ne devra concurrencer une autre, parce que nous aurons besoin de toutes les terres, de tous les paysans et, pour reprendre les mots d'Edgard Pisani, « de toutes les agricultures du monde pour [nous] nourrir ». Tout système concurrentiel qui détruit l'agriculture sur un autre continent alimente le récit d'une sinistre fin pour notre planète.

Je souhaite également aborder la question des mesures miroirs et de leur effectivité. Dans votre récit politique – mais vous n'êtes pas la seule à le tenir, puisque les députés européens de votre mouvement politique ont le même et restent dans une forme d'incantation des mesures miroirs –, ces dernières deviennent une sorte de miroir aux alouettes, qui viendrait bénir toute extension du commerce international.

Pour qu'elles fonctionnent, les mesures miroirs doivent être effectives. Le groupe Socialistes formule, à ce titre, une proposition très précise : l'inversion de la charge de la preuve. Tout d'abord, tolérance zéro pour les pesticides interdits en Europe dans les produits importés ; ensuite, plus largement, un système d'inversion de la charge de la preuve qui crée une certification, délivrée par un organisme tiers agréé par l'Union européenne, qui garantisse que les standards européens sont bien respectés par les opérateurs économiques. Que pensez-vous de cette proposition et êtes-vous prête à la soutenir ? Notez que je ne baigne pas dans l'illusion de solutions nationales et que je propose des solutions européennes que vous pourriez défendre.

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

En ce qui concerne le commerce extérieur, je plaide non pas pour un système concurrentiel mais plutôt pour un système complémentaire. Je n'ai pas le sentiment que les exportations françaises soient un instrument de prédation vis-à-vis des autres pays. Ce serait même plutôt l'inverse ! C'est d'ailleurs le reproche exprimé autour de cette table s'agissant de la concurrence déloyale exercée par d'autres pays, puisque certaines productions importées en France sont produites dans des conditions environnementales et sociales moins-disantes – or on ne peut pas imposer notre modèle social et demander que les autres le payent. C'est une forme de prédation exercée sur l'agriculture française, alors qu'elle-même s'impose de respecter des règles environnementales qui sont profitables à l'ensemble de la planète. J'inverserai donc votre logique. Néanmoins, j'entends votre argument puisque c'est celui que reprennent les agriculteurs lorsqu'ils disent contribuer à sauver la planète en faisant des efforts alors que les autres ne le font pas et, qu'à la fin, ce sont ces derniers qui gagnent des parts de marché. Cet argument est parfaitement légitime.

Vous soulevez également la question des clauses miroirs.

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Vous avez raison. Ce qui importe avec les mesures miroirs, c'est leur effectivité, donc d'assurer un contrôle et de prévoir des sanctions. C'est pour cela que nous souhaitons instaurer une force de contrôle européenne. Vous savez mieux que moi que, pour les exportations, la marchandise est dédouanée mais que le site lui-même de production, dans le secteur de l'élevage notamment, doit faire l'objet d'un contrôle et d'une homologation sur place – un peu comme pour les médicaments. C'est, à mon sens, une piste intéressante à suivre. D'ailleurs d'autres pays le font : c'est-à-dire homologation du site, puis validation du fait que la marchandise provient bien du site. Dans la mesure où le site produit dans des conditions considérées comme acceptables pour le pays qui importe, alors la marchandise peut entrer sur le territoire.

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La filière bio traverse une crise sans précédent. Par exemple, à côté de chez moi – et je crains qu'il ne s'agisse pas d'une situation isolée –, faute de débouchés, 30 à 40 % du lait bio sont déclassés en lait conventionnel. De ce fait, les revenus sont loin d'être à la hauteur de l'investissement et très loin du juste prix que vous évoquiez, madame la ministre.

Dans ce contexte, nous observons une baisse du nombre de conversions et les agriculteurs et agricultrices ont le sentiment de ne pas recevoir le soutien attendu ; ils pourraient même jeter l'éponge. Nous devons donc, d'un côté, faire face à l'urgence et tout faire pour sauvegarder l'agriculture biologique et, de l'autre, nous devons garantir sa montée en puissance – même si l'un de nos invités nous rappelait un peu plus tôt que le plan Ambition bio n'est pas au niveau. Pourtant, nous savons qu'il s'agit de la solution à bien des enjeux, qu'ils soient sociétaux ou environnementaux.

Pour illustrer l'urgence de la réponse à apporter, permettez-moi de vous lire un message reçu sur Messenger aujourd'hui, à onze heures cinquante-sept. Je vous rassure, madame la ministre, il n'y a ni mise en scène ni dramatisation : « Bonjour, Je me présente, monsieur X, agriculteur dans le 44 en bio. Aujourd'hui, je suis aux abois et acculé. Je ne sais plus comment faire et, malgré de nombreux appels à l'aide, rien ! Je n'en peux plus et ne sais plus comment faire ni réagir. C'est un message de désespoir. »

Que puis-je répondre à cet agriculteur ? Pouvez-vous confirmer votre indispensable soutien à l'agriculture biologique, pour sa survie et son développement ?

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Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Ma première réponse à cet agriculteur est de l'inviter à signaler son cas auprès de sa sous-préfecture – l'État recense les exploitations en situation de tension de trésorerie, ce qui correspond à la situation dont vous venez de nous faire part. Nous avons pris plusieurs mesures. Nous avons tout d'abord porté le montant du plan bio de 50 à 90 millions d'euros afin de diminuer les tensions que subit la filière. Ensuite, après négociation avec les banques lors d'une réunion qui s'est tenue hier en présence du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, nous avons autorisé le paiement différé du capital et la contraction de prêts de trésorerie à des taux très compétitifs. Enfin, il existe des dispositifs spécifiques selon la nature de l'activité de l'exploitant. Il s'agit de mesures d'urgence.

J'en viens au marché du bio : il ne bénéficie pas de la croissance attendue dans l'ensemble des secteurs concernés. La restauration collective constitue un premier levier puisque la loi Egalim, dont c'est l'une des avancées, prévoit qu'elle comporte au moins 20 % de produits bio et 50 % de produits bénéficiant d'un signe officiel de qualité. Or ces objectifs ne sont pas atteints, même si la part du bio et des signes de qualité augmente. Marc Fesneau et moi-même avons écrit à toutes les régions, à tous les départements et à tous les groupements de communes, dont nous connaissons l'intérêt pour la question et la volonté de soutenir les agriculteurs, pour leur demander de communiquer sur leur implication concernant le recours aux produits issus de l'agriculture biologique, de s'inscrire sur le site ma-cantine.agriculture.gouv.fr et de participer à une conférence des solutions pour accélérer le déploiement du bio et des signes de qualité et d'alimentation durable sur le territoire.

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Les agriculteurs réunionnais tirent la sonnette d'alarme face à la hausse de leurs cotisations sociales à compter de 2026. Au nom de la justice sociale, nous devons revenir sur cette mesure adoptée en recourant au 49.3. Le Gouvernement a décidé, par les articles 18 et 26 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, que les cotisations seront basées non plus sur la superficie de l'exploitation mais sur le bénéfice des exploitants agricoles. Ces mesures sont inacceptables et inconcevables. À La Réunion, pour un bénéfice de 50 000 euros, le montant que devra payer un agriculteur pour sa protection sociale passera de 2 000 euros à une fourchette comprise entre 15 000 et 20 000 euros, soit une augmentation de 30 à 45 %.

Pour la majorité des agriculteurs réunionnais qui ont de petites exploitations familiales, ces montants sont aberrants – notre collègue Ratenon l'a rappelé. Madame la ministre, nous pouvons encore modifier cette disposition qui condamne les agriculteurs réunionnais. Ils ne peuvent plus accumuler les fardeaux qui découlent de ces décisions arbitraires et déconnectées de la réalité.

Je profite du temps qui me reste pour rappeler qu'à La Réunion, nous mangeons du riz, midi et soir. Nous importons 43 000 tonnes de riz chaque année. Depuis janvier, l'Inde a restreint ses exportations de riz. Les Réunionnais ne savent pas à quoi ressemble le riz avant que celui-ci arrive dans leur assiette. Je n'ai jamais vu un champ de riz à La Réunion, alors que le riz est notre aliment principal. Quand on ne plante pas ce qu'on mange, on n'est pas libre. Je fais partie des Réunionnais qui ne veulent pas troquer le riz pour des spaghettis. Nous voulons manger du riz réunionnais.

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Vous posez plus largement la question du pouvoir d'achat à La Réunion.

Debut de section - Permalien
Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Le pouvoir de vivre. Les cotisations sociales correspondent à une protection coûteuse et renforcée. La France peut se prévaloir d'un haut niveau de protection sociale. Votre exemple illustre très bien le lien entre le pouvoir d'achat et les importations. Historiquement, à La Réunion, le riz était importé. Nous souhaitons promouvoir des plans de souveraineté pour chaque territoire d'outre-mer. Compte tenu de leur dépendance aux importations de produits alimentaires et de leur potentiel, de nouvelles productions agricoles pourraient être développées, en particulier à La Réunion. Tous les aliments ne pourront toutefois pas nécessairement être produits localement. Pour le métayage, les fruits, ou l'élevage, des marges de manœuvre existent, mais je ne sais pas si La Réunion, au vu de son climat, de sa géographie, est capable de produire du riz dans les quantités que vous décrivez – je n'ai bien sûr pas la prétention de connaître par cœur votre territoire. Cela montre bien l'intérêt du commerce international pour répondre à des besoins que l'on ne peut pas satisfaire localement.

Vous évoquez ensuite l'effondrement de la biodiversité et la capacité à nourrir l'ensemble de la planète. C'est la raison pour laquelle nous développons des plans de souveraineté alimentaire et travaillons à ce que la pression sur l'environnement diminue. Cela répond à un double objectif : nourrir les populations et préserver la capacité de production des terres.

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Prochaine séance, demain, à neuf heures :

Discussion de la proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement ;

Discussion de la proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs et l'honorabilité dans le sport ;

Discussion de la proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone ;

Discussion de la proposition de loi visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession ;

Discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les pénuries de médicaments ;

Discussion de la proposition de loi visant à geler les tarifs des transports publics franciliens pendant les Jeux olympiques et paralympiques de 2024 ;

Discussion de la proposition de loi visant à toucher sa retraite dès le premier jour ;

Discussion de la proposition de loi pour louer en toute confiance ;

Discussion de la proposition de loi créant, face à la précarité alimentaire, des territoires zéro faim ;

Discussion de la proposition de loi visant à instaurer la semaine de quatre jours pour les bénévoles.

La séance est levée.

La séance est levée à vingt-trois heures vingt.

Le directeur des comptes rendus

Serge Ezdra