La réunion

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Examen, ouvert à la presse, des avis budgétaires sur le projet de loi de finances pour 2023 (n° 273)

La séance est ouverte à 9 h 00

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.

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Nous poursuivons aujourd'hui l'examen de nos différents avis budgétaires sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2023.

Ce matin, nous nous prononcerons sur trois missions budgétaires, les missions Défense, Action extérieure de l'Etat et Commerce extérieur, sur le rapport de quatre rapporteurs pour avis.

Examen pour avis et vote des crédits de la mission Défense (M. Alexis Jolly, rapporteur pour avis)

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Les dotations de la mission Défense sont portées à un peu plus de 43,9 milliards d'euros, soit une augmentation – « une marche » dans le jargon militaire – de 3 milliards conforme à la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025. Dans le contexte international que nous connaissons, nous ne pouvons que nous féliciter de cet effort très substantiel en faveur de nos armées, qui bénéficiera particulièrement au renouvellement de leurs matériels et aussi à leur entretien.

Notre rapporteur pour avis a choisi de consacrer la partie thématique de ses travaux aux efforts de notre pays pour la réassurance de nos alliés du flanc Est de l'Alliance atlantique, ainsi qu'en soutien à la défense de l'Ukraine. Il s'agit d'un sujet d'une grande actualité, qui ne manquera pas d'intéresser au plus haut point notre commission.

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La mission Défense comporte quatre programmes : le programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense, le programme 178 Préparation et emploi des forces, le programme 212 Soutien de la politique de la défense et le programme 146 Équipement des forces.

L'année 2023 est une année charnière à double titre. D'une part, une nouvelle loi de programmation militaire (LPM) portant sur la période 2024-2030 est en préparation et devrait être examinée au Parlement au début de l'année prochaine ; l'année 2023 sera donc la dernière année de la LPM 2019-2025. D'autre part, le contexte international, marqué par une hausse de la conflictualité, est difficile. La guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie le 24 février 2022, signe même le retour de la guerre de haute intensité en Europe.

Cela nous rappelle, si besoin en était, la nécessité de disposer d'un modèle d'armée complet. Pourtant, mon constat est sans appel : nos forces militaires n'ont pas encore les équipements ni les effectifs suffisants pour assurer notre autonomie stratégique.

Certes, le projet de loi de finances pour 2023 est conforme à la trajectoire fixée par la LPM 2019-2025. Le budget de la défense augmente bien de 3 milliards d'euros pour atteindre 43,9 milliards hors pensions civiles et militaires – 53,1 milliards pensions comprises – en crédits de paiement.

Mais la LPM 2019-2025 était, dès le départ, insuffisamment dotée après deux décennies de réduction drastique des moyens militaires. Selon la Cour des comptes, le ministère des armées a perdu 63 000 emplois entre 2008 et 2019, soit 20 % de ses effectifs. Or, la LPM ne prévoit que 6 000 emplois supplémentaires, soit dix fois moins que les postes supprimés.

En ce qui concerne les équipements, mon rapport fait état des dernières commandes de matériels du programme 146. Mais nous ne devons pas oublier les ruptures de capacités subies par nos armées par le passé. Entre 2003 et 2020, le nombre de chars Leclerc est ainsi passé de 406 à 222, celui des avions de combat de 393 à 261 et celui des frégates de premier rang de 17 à 15. Nos capacités opérationnelles se sont singulièrement détériorées.

Après une telle hécatombe, une hausse des moyens était inévitable. Mais celle prévue par la LPM, bien qu'importante, reste insuffisante. Le Rassemblement national proposait un budget de 55 milliards d'euros par an à l'horizon de 2027, contre 50 milliards dans la LPM.

La hausse des effectifs et des équipements militaires doit s'inscrire dans la durée. Or, à ce stade, nous n'avons aucune garantie. Nous examinerons la prochaine loi de programmation militaire avec une extrême vigilance.

Le risque d'un déclassement de notre pays est évident. En 2021, le budget de la défense français représentait moins de 2 % de notre PIB contre 3,5 % aux États-Unis ou encore 4,1 % en Russie. Hors réservistes, nous disposions de 200 000 militaires environ, quand la Chine en comptait 2 millions, l'Inde et les États-Unis, 1,4 million.

Je relève d'autres anomalies budgétaires parmi lesquelles la sous-budgétisation chronique des surcoûts liés aux opérations extérieures – OPEX – et aux missions intérieures – MISSINT. Ces surcoûts sont évalués à 1,2 milliard pour l'année 2023, un chiffre nettement inférieur aux prévisions, ce qui pose un problème de sincérité budgétaire.

J'en viens au thème que j'ai choisi d'étudier dans mon rapport : la réaction militaire de la France face à la situation sur le flanc Est de l'Europe.

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie le 24 février 2022, notre pays fournit une aide de plus en plus directe à l'Ukraine. Les trois principaux vecteurs en sont : des dons de matériels, notamment 18 canons d'artillerie autotractés Caesar avec des munitions, des missiles antichars, des missiles antiaériens, des véhicules de l'avant blindés (VAB) et des équipements individuels ; du carburant ; la formation de soldats ukrainiens.

Le 7 octobre, le président de la République a également annoncé la création d'un fonds spécial doté de 100 millions d'euros grâce auquel l'Ukraine pourra acheter directement des matériels militaires auprès de nos industriels.

Ce soutien militaire ne doit évidemment pas désarmer les forces françaises pour de futures opérations. Les matériels fournis doivent être remplacés rapidement, ce qui implique des commandes et un accompagnement de nos industriels pour augmenter les cadences de production.

Parallèlement au soutien à l'Ukraine, la France participe de plus en plus activement à la posture dite dissuasive et défensive de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) en Europe centrale et orientale, une posture renforcée à plusieurs reprises par l'alliance depuis 2014.

La France projette des capacités militaires plus nombreuses dans la zone. En Estonie, elle participe à une mission de police du ciel renforcée, ainsi qu'à un bataillon de présence avancée renforcée de L'OTAN – EFP Battlegroup –, dans le cadre de la mission française Lynx. Au sein de ce bataillon commandé par le Royaume-Uni, 120 militaires viendront prochainement s'ajouter aux 300 que la France avait déjà déployés.

La France effectue également des missions de surveillance et de défense aérienne en Pologne, et bientôt, en Lituanie.

Mais la plupart de nos forces sont aujourd'hui en Roumanie, un pays avec lequel la France entretient des liens historiques très forts, dans le cadre de la mission Aigle. Lors d'un déplacement sur place du 26 au 28 septembre, j'ai pu auditionner nos diplomates et nos militaires, ainsi que des militaires roumains – je les remercie chaleureusement.

Depuis le 28 février 2022, soit quatre jours après le déclenchement de la guerre en Ukraine, la France est à la tête d'un bataillon en Roumanie. Il s'agissait tout d'abord de 500 militaires du 27ème bataillon de chasseurs alpins (27ème BCA), auxquels se sont joints 250 militaires belges, le 9 mars.

Le 1er mai, ce bataillon multinational est devenu un groupement tactique de présence avancée de l'OTAN – Battle Group forward presence (BGFP). La France a été désignée officiellement nation cadre de ce bataillon. Concrètement, cette fonction permet à notre pays de participer plus activement à la définition de la mission mais impose aussi des contreparties : fournir ou coordonner le soutien et être le relais principal de communication avec l'état-major roumain.

Ce bataillon a évolué ces derniers mois. Les Belges ont été remplacés par des Néerlandais au cours de l'été. Côté français, une relève a été effectuée mi-juin. Lorsque je me suis rendu en Roumanie, le bataillon était commandé par le colonel Christophe Degand, chef de corps du 8ème régiment de parachutistes d'infanterie de marine de Castres (8ème RPIMa). La relève en cours permettra de déployer des hommes supplémentaires et du matériel plus lourd – une compagnie renforcée de véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), ainsi qu'un escadron de chars Leclerc.

Mais la mission Aigle ne se limite pas à ce bataillon multinational. Elle comprend aussi un détachement sol-air moyenne portée Mamba, un centre de management de la défense 3D, un détachement du génie, un élément de soutien national et un détachement de liaison auprès de l'état-major des armées roumain.

Au total, la France devrait déployer 1 000 à 1 200 militaires dans les prochains mois. Ils resteront majoritairement sur la base militaire de Cincu, dans le centre du pays, à quatre heures de route de Bucarest. J'ai pu visiter cette base qui a subi une transformation éclair depuis le mois de mai.

La base doit être prête à accueillir 1 000 militaires au mois de novembre, pour assurer la montée en puissance du bataillon multinational et transférer une partie des troupes, encore stationnées sur la base de Mihail Kogalniceanu, dite MK, une base qui accueille plus de 2 000 soldats américains, située à proximité de la mer noire.

Les travaux permettront également de stocker davantage de matériels et des équipements plus lourds. La relève française devrait en effet apporter plus d'une dizaine de chars.

Je souhaite rendre hommage au travail de nos militaires du génie. J'ai constaté sur place leur très grande efficacité et leur dévouement à leur mission, malgré des conditions difficiles – pluie, terrain boueux, collines à terrasser, pierres à évacuer en très grand nombre, etc. En seulement quelques mois, et avec le soutien de sapeurs belges, néerlandais et roumains, ils ont complètement transformé la base. Je me suis rendu sur la colline de Cherry sur laquelle un dépôt de carburant a été créé, et de nombreuses autres installations seront bientôt achevées : dépôt de munition, zone technique bétonnée permettant de stocker les véhicules dont des chars, hébergements permettant de loger 600 à 800 personnes, zones de vie et d'alimentation, piste bétonnée, bureaux.

J'ai pu le mesurer sur place, notre engagement en Roumanie, qui s'ajoute aux forces américaines également présentes à MK, permet de rassurer notre allié. Ce dispositif est d'ailleurs qualifié de mesure de réassurance de l'OTAN.

Chaque engagement supplémentaire de l'OTAN en Europe centrale et orientale doit néanmoins être dûment évalué. Nous devons continuer à soutenir nos alliés dans la zone mais sans contribuer à l'escalade avec la Russie. L'équilibre est certes difficile à trouver dans le contexte actuel.

Si des efforts ont été consentis pour augmenter les crédits de la mission Défense dans le PLF 2023, ils restent encore trop modestes au regard des besoins de nos forces armées. Ainsi, je vous invite à vous abstenir sur les crédits de la mission.

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Dans son « constat sans appel », le rapporteur a déploré une LPM « insuffisante » et mis en doute la « sincérité budgétaire » des OPEX pour nous appeler à l'abstention. Si l'esprit critique est une qualité – j'en use parfois –, l'ingratitude et la mauvaise foi n'en sont pas.

Mon engagement politique auprès du président de la République en 2017, alors que j'étais officier de l'armée de terre, tient notamment à ses projets pour la défense de notre pays. J'en veux pour preuve la LPM la plus ambitieuse depuis la fin de la guerre froide : aucune déflation des effectifs, aucune fermeture de casernes, un effort sur le maintien en condition, le plan Famille, la rénovation des bâtiments.

Je vous livre, parmi des dizaines et des dizaines, une anecdote me semblant la plus symbolique : par le passé, j'ai été projetée comme casque bleu au Liban en bateau parce qu'avait lieu une grosse relève de personnels et de matériels et en arrivant au port de Naqoura, une partie des véhicules n'a pas pu quitter le bateau. Nous nous étions souvent équipés avec nos deniers personnels mais nous n'avions pas vocation à venir avec notre caisse à outils. À une époque, il était interdit de faire du sport parce que les douches étaient pleines de salmonelle et insalubres. La dernière fois que j'ai tiré en 2017, c'était avec un pistolet automatique Mag50 – 50 désignant l'année 1950. C'est l'armée que j'ai connue. Il était donc grand temps d'agir.

La LPM 2109-2025 a été respectée à l'euro près et les retours des soldats sont positifs, qu'il s'agisse de l'équipement individuel ou du plan Famille. En tant que rapporteure pour avis au nom de la commission, chaque jour, j'ai veillé au grain et chaque jour, j'ai été fière de ce texte.

S'agissant des OPEX, vous êtes insincère : alors qu'elles étaient financées, de manière chronique, par la réserve de précaution, nous avons fait le choix de les budgéter. Par ailleurs, peu de gens avaient anticipé la guerre en Ukraine.

Quant à l'OTAN et aux nuances que vous avez introduites sur son rôle, lorsque l'on est sûr de ce qu'on est, on n'a pas peur de l'autre et du reste du monde. J'ai foi en l'Europe de la défense. À l'heure où le cyber, l'espace, le nucléaire, le radiologique, le chimique et le bactériologique sont les nouveaux terrains d'affrontement, il est primordial que les démocraties occidentales unissent leurs forces.

Pour ma part, je vous appelle à voter sans aucune réserve les crédits de la mission Défense.

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Je remercie le rapporteur pour avis pour son rapport modéré dans lequel il n'hésite pas à relever les points positifs tout en soulignant les insuffisances.

En octroyant une enveloppe globale de 43,9 milliards, le Gouvernement va dans le bon sens. Il respecte la volonté du Parlement puisqu'il suit la trajectoire de la LPM 2019-2025.

Nous saluons l'augmentation des crédits de 3 milliards même si le chiffre est un peu en trompe-l'œil, 1 milliard étant destiné à amortir les effets de l'inflation.

La plupart des crédits sont dédiés à des programmes d'acquisition ou de modernisation d'armements, notamment en matière de dissuasion nucléaire. C'est une bonne chose car la France a déjà raté le coche de la petite révolution des drones militaires. Toutefois, c'est encore loin d'être suffisant et bien en deçà de la proposition de Marine Le Pen de porter le budget de la défense à 55 milliards par an en 2027.

Première puissance militaire européenne par ses capacités opérationnelles polyvalentes, la France ne dispose pourtant que du troisième budget de défense de l'Europe.

Il est important de redorer l'image de notre armée et de lui redonner les moyens de ses ambitions. Je remercie chaleureusement les militaires qui exercent leur métier avec un rare professionnalisme et une réelle détermination dans un contexte international dégradé, marqué par la résurgence de conflits de haute intensité.

D'une manière générale, les forces armées sont sollicitées au-delà de leurs moyens et de leurs contrats opérationnels et leur situation demeure précaire. C'est la raison pour laquelle le Rassemblement national s'abstiendra.

Je souhaite saluer avec émotion nos soldats qui sont engagés sur des théâtres d'opérations. Monsieur le rapporteur pour avis, quel est l'état d'esprit des troupes que vous avez rencontrées en Roumanie ?

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Notre groupe salue la hausse des crédits mais les 3 milliards escomptés ne sont pas au rendez-vous à cause de l'inflation estimée à plus de 4 % en 2023. Le budget devrait, en outre, être amputé de 357 millions puisque la revalorisation de l'indice de la fonction publique est prélevée sur le budget global au lieu de faire l'objet d'une enveloppe supplémentaire.

Nous déplorons la baisse des crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation qui passent de 2,08 milliards en 2022 à 1,93 milliard en 2023. Pourquoi ne pas pérenniser les crédits et réaffecter les sommes provenant de la diminution du nombre d'anciens combattants à d'autres actions telles que la prise en charge des blessés psychiques ou la création d'une aide financière au bénéfice des orphelins victimes de barbarie au cours de la seconde guerre mondiale – nos collègues de la commission de la défense déposeront des amendements en ce sens ?

Autre point de vigilance, alors que le ministre évoque le doublement voire le triplement de la réserve opérationnelle, aucune mesure n'a encore été prise. La création de 1 500 postes civils dans les domaines en tension tels que le renseignement ou la cyberdéfense est bienvenue mais que fait-on pour renforcer nos effectifs opérationnels ?

La disponibilité des canons de 155 millimètres, essentiellement des canons Caesar diminue de 90 à 58 %, celle des appareils de chasse s'établit à 69 %. Comment améliorer ces chiffres ?

Nos collègues de la commission de la défense proposeront la création d'un nouveau programme consacré à la transition énergétique et écologique. Le ministère des armées a publié une stratégie Climat et défense en avril dernier, qui ne semble pas à la hauteur des défis du dérèglement climatique. La réflexion sur l'après-pétrole doit aussi concerner nos armées.

Pour toutes ces raisons, le groupe La France insoumise s'abstiendra. Nous espérons que la représentation nationale sera étroitement associée à l'élaboration de la nouvelle LPM.

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La vérité se situe quelque part entre les propos du rapporteur pour avis et ceux de Laëtitia Saint-Paul.

Le nombre d'avions et de chars disponibles pour des opérations que vous nous avez indiqué fait apparaître une baisse préoccupante.

Dans nos circonscriptions, nous sommes nombreux à côtoyer des militaires et les propos de ceux que j'écoute sur le terrain ne sont pas particulièrement rassurants sur les effectifs, ni sur l'état des matériels. Même si l'amélioration est indéniable depuis quelques années, les inquiétudes demeurent.

Je salue au nom du groupe Les Républicains l'engagement des troupes sur les théâtres extérieurs, en particulier celles qui reviennent d'Afrique subsaharienne. Je veux aussi avoir une pensée pour ceux qui sont morts en opération.

Le président de la République a annoncé un accord avec le Danemark pour rétrocéder à l'Ukraine une partie des canons Caesar qui lui étaient destinés initialement. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Le groupe Les Républicains s'abstiendra.

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Monsieur le rapporteur, vous êtes un peu catastrophiste. Tout n'est pas fait mais, vous l'avez reconnu, après des décennies de baisse des crédits, ce que nous avons fait en 2017 et ce nous nous apprêtons à faire en votant une nouvelle loi de programmation me semble aller dans le bon sens.

Je souligne l'importance de la recherche et développement, que vous n'avez pas évoqué dans la perspective de la future loi de programmation militaire.

Nous ne sommes pas seuls et cela ne signifie pas que nous sommes faibles. J'ai beaucoup aimé ce qu'a dit Laëtitia Saint-Paul sur le fait de ne pas avoir peur des autres. La description que vous avez faite de notre présence en Roumanie prouve que nous pouvons être forts avec des partenaires. La conflictualité du XXIe siècle exige des réponses multilatérales.

Le ministre des affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, dans une conférence de presse passée assez inaperçue, a justifié l'agression de son pays contre l'Ukraine en faisant un parallèle avec la position de la France à l'égard des Wallons. Selon lui, si les Flamands faisaient du tort aux Wallons, tout le monde comprendrait que la France prenne les armes pour aller défendre la minorité française opprimée en Belgique. Cela nous fait sourire mais lui y croit vraiment.

Dans votre rapport, vous écrivez « dans un contexte de guerre, il n'y a aucune garantie que les populations russophones d'Ukraine seraient traitées selon les standards démocratiques ». Depuis le début, je me suis refusé à dire que ce conflit opposait les gentils et les méchants. On n'a jamais de garantie sur la manière dont les militaires feront la guerre et sur l'absence de dérapages. J'habite en Galicie et je suis bien placé pour savoir qu'il n'y a pas les bons Ukrainiens d'un côté et les méchants de l'autre. Mais la langue n'est pas une assignation à résidence en Ukraine, à la différence du modèle d'impérialisme russe dans lequel, pour résumer, « tu parles russe, donc tu es russe et donc je suis ton chef ». Ce n'est le modèle ni de la France, ni de l'Europe, ni de l'Ukraine. Depuis des siècles, celle-ci est multilingue. Pouvez-vous préciser votre pensée car la référence aux populations russophones ne correspond pas à notre conception ?

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L'examen du rapport pour avis s'inscrit dans un contexte particulier. Pour la première fois depuis bien longtemps, la guerre est aux frontières orientales de l'Europe et chaque jour, l'autocratie russe se fait plus menaçante.

Plus que jamais, il faut saluer le travail remarquable qu'accomplissent nos armées, dans des opérations extérieures loin de leurs familles, en Europe ou en France, pour anticiper le pire.

Pour faire face au tragique de l'histoire, la diplomatie pour laquelle nous œuvrons modestement à la commission des affaires étrangères est certes nécessaire mais nos armées, dans toutes leurs composantes, constituent également un pilier de notre sécurité collective.

Je commencerai par les points positifs : la trajectoire budgétaire est respectée, la hausse de 3 milliards ne peut qu'être saluée ; le renforcement des capacités des armées, plus que jamais nécessaire en raison du risque accru d'un conflit de haute intensité, se poursuit. À cela s'ajoutent 1,1 milliard en crédits de paiement et 2,2 milliards en autorisations d'engagement consacrés au renouvellement des stocks de munitions. Nous notons aussi une hausse de 1 547 équivalents temps plein (ETP). Quant aux 180 millions fléchés vers le plan Famille, ils sont de nature à améliorer les conditions de vie de nos militaires. Enfin, nous sommes ravis que la dernière phase de déploiement de la nouvelle politique de rémunération des militaires soit lancée dès 2023 pour un coût de 101 millions.

Notre groupe souhaite cependant vous alerter sur quelques points : les montants prévus pour l'achat de munitions pour 2023 nous semblent insuffisants eu égard aux livraisons d'armes à l'Ukraine et aux besoins croissants pour parer à un conflit de haute intensité. Nous nous interrogeons également sur la notion d'économie de guerre. Compte tenu des délais de livraison et de notre dépendance pour certaines matières premières ou certains composants, nous en semblons encore loin.

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Le rapport est assez critique sur l'engagement français au sein de l'Alliance atlantique. Le groupe Horizons tient au contraire à apporter son soutien à l'ensemble des opérations menées avec nos alliés aux frontières de l'Europe. Vis-à-vis de la Russie, la dissuasion n'est pas une escalade, encore moins une provocation.

Nous pouvons nous accorder sur un point : la hausse des crédits va dans le bon sens d'une part, parce qu'elle concrétise les engagements pris dans la loi de programmation militaire 2019-2025, d'autre part, parce qu'elle permet de faire face à un contexte géopolitique dégradé car à la guerre en Ukraine s'ajoutent la montée des tensions en Indo-Pacifique et la reconfiguration du dispositif français en Afrique.

Les 3 milliards supplémentaires nous permettront d'agir de manière soutenue sur l'ensemble des théâtres d'opérations où nos armées sont mobilisées, grâce notamment aux coopérations avec l'Espagne et l'Allemagne sur le système de combat arien du futur, avec les Allemands sur le système de combat au sol ou encore avec les Britanniques sur le futur missile de croisière.

La France n'est pas seule et travaille de concert avec ses voisins pour construire une autonomie et une boussole stratégique. Nos armées seront capables d'identifier, grâce aux crédits du programme 144, les futurs enjeux sécuritaires. Le programme 146 visant à mettre à disposition des armées le matériel nécessaire à l'accomplissement de leurs missions permet aussi d'octroyer à notre base industrielle et technologique de défense (BITD) des contrats à long terme, donc de la visibilité. L'industrie pourra alors investir, innover et faire le nécessaire pour éviter toute rupture capacitaire.

Le groupe Horizons est aussi sensible à la condition militaire. La continuation du plan Famille, ainsi que de la nouvelle politique de rémunération des militaires doit permettre de mieux accompagner et de fidéliser nos soldats.

Pour ces raisons, notre groupe votera les crédits de la mission.

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Cette année, l'examen du budget des armées a un caractère très particulier, puisque la guerre d'agression de la Russie en Ukraine a changé la donne : en France, parce qu'une guerre d'invasion semblait impossible à beaucoup d'entre nous ; au niveau de l'Union européenne, où de nombreux pays ont décidé d'augmenter leur budget militaire ; pour l'OTAN, enfin, qui est sortie de sa léthargie, en espérant retrouver la vieille logique « bloc contre bloc ».

Et pourtant, peu de choses ont changé, parce que la guerre n'est que le résultat de causes profondes, que personne ne se donne les moyens de traiter réellement. En finir avec la guerre, tel est l'objectif des communistes et de leur culture de paix, qui consiste à rechercher la sécurité globale. Le Rapport mondial sur le développement humain du programme des Nations Unies pour le développement de 1994 souligne que « le concept de sécurité fait depuis trop longtemps l'objet d'une interprétation restrictive, le cantonnant à la sécurité du territoire face aux agressions extérieures, à la protection d'intérêts nationaux face à l'étranger ». Partant de ce constat, il propose une définition de la sécurité humaine qui repose sur la sécurité économique, la sécurité alimentaire, la sécurité sanitaire, la sécurité de l'environnement, la sécurité personnelle, la sécurité de la communauté et la sécurité politique.

Cette approche devrait nous amener à repenser notre budget militaire et à cesser de consacrer, comme l'OTAN l'exige de nous, 2 % de notre produit intérieur brut (PIB) aux dépenses militaires. Celles-ci devraient être à la hauteur de notre besoin de sécurité intérieure. Les députés communistes insistent régulièrement sur le manque de moyens dédiés à la surveillance de nos eaux territoriales. L'exécutif préfère dépenser 5,6 milliards pour la dissuasion nucléaire, soit 15,3 millions par jour, plutôt que de lutter concrètement pour la paix. À titre de comparaison, les crédits de la mission Action extérieure de l'État, qui regroupe tous les budgets de la diplomatie française, ne s'élèvent qu'à 3,2 milliards. Et, pour s'en tenir aux crédits militaires, ceux de la cyberdéfense ne sont que de 288 millions, ceux de l'espace de 700 millions et ceux qui sont consacrés à l'amélioration des salaires et des conditions de vie familiale, de 920 millions. Pourtant, ces budgets sont bien plus importants, pour notre défense, que la dissuasion.

Les députés du groupe Gauche démocrate et républicaine émettront un avis défavorable sur l'adoption des crédits de la mission Défense, qu'ils jugent inacceptables.

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Notre groupe émettra évidemment un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Défense. Le soutien des parlementaires aux militaires doit être sans équivoque, alors qu'on assiste au retour des conflits de haute intensité. La guerre en Ukraine marque le retour du conflit armé sur notre continent ; dans ce contexte, la défense est plus vitale que jamais pour nous.

Le budget que le Gouvernement présente pour nos armées nous inquiète. Conformément à ce que prévoit la loi de programmation militaire, les crédits de la mission Défense connaissent une hausse de 3 milliards mais cet effort est à relativiser, dans la mesure où ces crédits sont rognés par les reports de charges, la revalorisation du point d'indice et surtout par l'inflation. Cela en fait un budget en trompe-l'œil. Pourquoi le ministère ne communique-t-il pas la part des dépenses liées au contexte actuel ? Quel est le montant total des imprévus et des reports de charges qui pèsent sur notre trajectoire budgétaire ?

Personne ne peut nier les hauts niveaux d'investissement et de recrutement pour nos armées mais il reste des failles. Notre groupe salue un réel effort en faveur des petits équipements, à hauteur de 1,7 milliard, mais 12 000 gilets pare-balles et 70 000 treillis suffiront-ils ?

Enfin, si les armées doivent respecter le secret pour mieux nous défendre, la transparence du Gouvernement vis-à-vis de la représentation nationale reste impérative. Or les parlementaires manquent de certaines données clés. Ainsi, nous ne disposons toujours pas d'un bilan des stocks qui ferait apparaître les prélèvements opérés en soutien à l'Ukraine. Ces prélèvements ont-ils entamé ou réduit les défenses de notre pays ?

En 2021, le Gouvernement avait procédé à l'actualisation de la trajectoire de la loi de programmation en se contentant d'organiser un débat au Parlement et sans que celui-ci légifère. Nous saluons la volonté du ministre de construire la prochaine loi de programmation militaire avec les parlementaires et nous espérons qu'il s'agira d'une vraie coopération – et non de dialogues sans conséquences sur le texte, comme ceux de Bercy, dont nous gardons un souvenir amer.

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On a pu lire dans la presse, il y a quelques jours, que si l'armée française était déployée demain dans un engagement majeur de haute intensité, comme en Ukraine, elle pourrait tenir un front de 80 kilomètres, pas plus.

Même s'il faut saluer l'augmentation de 7 % des crédits de la mission Défense, on peut se demander s'ils seront suffisants, alors que notre pays est en guerre aux côtés de l'Ukraine. À la guerre, la masse compte. Or l'armée française a été construite sur le modèle d'une force expéditionnaire professionnelle, relativement légère. Le Gouvernement ne veut pas renoncer à ses ambitions stratégiques – ce qui est une bonne chose – et préfère s'accrocher à un modèle d'armée complet – OPEX, dissuasion nucléaire, protection du territoire national, présence en Indo-Pacifique, etc. Ce modèle d'armée complet nécessite toutefois des moyens, si l'on ne veut pas aboutir à une armée « échantillonnaire », qui possède un peu tous les moyens, comme les Américains, mais en très faible quantité, contrairement aux Américains.

La fourniture de 18 canons Caesar à l'Ukraine était une nécessité mais elle a amputé l'armée de terre d'un quart de son parc, et c'est la même chose pour les stocks de munitions, qui coûtent cher. Les crédits de la mission Défense ont augmenté de 11,2 milliards depuis 2017 pour atteindre 43,9 milliards en 2023, soit 25 % d'augmentation. Face aux enjeux, une hausse de 3 milliards est-elle vraiment suffisante, alors qu'il faut que nous soyons aux côtés de l'Ukraine, et compte tenu de l'inflation, qui rogne l'augmentation du budget ?

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J'aimerais faire quelques observations avant de donner la parole à notre rapporteur pour avis.

Nous vivons des moments de très grandes mutations et de remise en cause d'un certain nombre de nos priorités et de nos orientations. Ce que nous avons vécu au cours des deux dernières années ne peut pas ne pas appeler des adaptations très profondes.

Sur les crédits de la mission Défense, les avis qui se sont exprimés marquent à la fois une différence d'appréciation et une même inquiétude, au sujet des moyens. Ce qui est certain, c'est que nous devrons, en tant que parlementaires, prendre toute notre part à la préparation de la nouvelle LPM. Les fondamentaux de notre défense vont sans doute rester les mêmes mais des réorientations stratégiques vont s'imposer. Il va falloir repenser nos choix en matière d'armement, réfléchir au rôle de la dissuasion, qui est très profondément affectée, dans sa nature, par la façon dont se déroule le conflit en Ukraine.

Nous avons également un devoir en qualité de membres de la commission des affaires étrangères. Au Sénat, les affaires étrangères et la défense sont réunies au sein d'une seule et même commission. Au cours de la précédente législature, le président Ferrand nous avait demandé notre avis sur une éventuelle fusion entre notre commission et celle de la défense. Une grande majorité des groupes souhaitait cette fusion, mais pas tous. Ce sur quoi tout le monde s'accordait, en tout cas, c'est que l'on ne pouvait pas examiner les problèmes de politique étrangère sans intégrer pleinement la dimension de défense. J'ajoute qu'en application du vieil adage romain Cedant arma toge – Que les armes le cèdent à la toge –, les choix stratégiques de politique étrangère sont ceux qui déterminent les choix de politique de défense.

Nous devons absolument nous intéresser de très près à cette loi de programmation. J'ai d'ores et déjà demandé au ministre de la défense de venir devant notre commission. J'ai fait la même demande au président de la chambre compétente de la Cour des comptes, ainsi qu'à M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, qui participe à l'élaboration de la LPM.

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Madame Saint-Paul, le délabrement de l'armée française est manifeste, au moins depuis les années 1980 et 1990. Vous dites que je fais preuve d'ingratitude et de mauvaise foi. J'ai fondé mes analyses sur les éléments que m'a transmis le ministère des armées et je maintiens qu'il y a une sous-budgétisation des surcoûts liés aux opérations extérieures. J'ajoute que ces surcoûts sont chroniques, puisqu'ils étaient déjà de 244 millions en 2020 et de 360 millions en 2021. L'armée elle-même nous a indiqué que ces surcoûts risquaient d'exploser en 2022. J'ai bien compris que vous étiez favorable à une Europe de la défense. Pour ma part, je crois davantage à l'armée française.

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Il n'y a pas d'Europe de la défense sans armée française, Monsieur le rapporteur !

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Bien sûr, mais en tant que patriotes, nous avons du mal à croire à une armée européenne qui défend parfois des intérêts différents des nôtres.

Monsieur Cordier, il est vrai que l'armée a du mal à fidéliser les nouvelles recrues. Elle a du mal à créer des vocations, notamment dans le domaine du cyber. Les jeunes préfèrent travailler dans le privé que dans l'armée française. Il faudrait peut-être augmenter les soldes. Nombre de militaires refusent de monter en grade, parce que cela représente plus de contraintes et que les rémunérations ne suivent pas.

S'agissant des canons Caesar, la seule information dont nous disposons, c'est que 6 canons vont être donnés à l'armée ukrainienne par le Danemark. Pour sa part, la France a déjà prévu de passer commande de nouveaux canons Caesar, mais il faut beaucoup de temps pour les construire et ils devraient être prêts à l'été 2024.

Monsieur Petit, nous ne savons pas comment la guerre va évoluer ; elle sera longue et il faut être prudent. On ne peut pas s'engager dans un élargissement de l'OTAN avant que les tensions ne s'apaisent. Attendons la fin de la guerre et veillons au respect de l'État de droit en Ukraine.

Monsieur David, vous avez soulevé la question de l'économie de guerre. L'industrie française a des difficultés à produire rapidement un certain nombre de matériels, parce que la France manque de tout, notamment d'ingénieurs. C'est la conséquence de choix politiques passés : depuis de très nombreuses années, le budget de la défense a servi de variable d'ajustement. Il est vrai qu'on est en train de rattraper ce retard mais il reste fort à faire.

Madame Ménard, la France soutient l'Ukraine mais elle n'est pas en guerre aux côtés de l'Ukraine. Je suis d'accord avec votre constat : l'armée française a été dépecée, on a fermé des casernes, on a réduit les effectifs et investi de moins en moins depuis dix ou quinze ans dans l'armement et le matériel. Il faudra être très attentifs à la prochaine loi de programmation militaire.

Madame Robert-Dehault, vous m'interrogez sur le moral de nos troupes en Roumanie. J'ai vu une nette différence entre les officiers, qui ont un point de vue assez tranché et une vision presque apocalyptique de la situation – ils considèrent qu'une bombe nucléaire peut frapper la Roumanie d'un moment à l'autre – et les soldats du rang ainsi que les sous-officiers, qui voient leur mission comme une OPEX classique.

Article 27 et état B : Crédits du budget général

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Défense non modifiés.

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Examen pour avis et vote des crédits de la mission Action extérieure de l’Etat : Action de la France en Europe et dans le monde ; Français à l’étranger et affaires consulaires - Diplomatie culturelle et d’influence – Francophonie (MM. Vincent Seitlinger et Frédéric Petit, rapporteurs pour avis)

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Les deuxième et troisième avis budgétaires inscrits à notre ordre du jour de ce matin sont ceux portant sur la mission Action extérieure de l'État, sur le rapport de MM. Vincent Seitlinger et Frédéric Petit. L'examen de cette mission fera l'objet d'une discussion globale, après la présentation de nos deux rapporteurs pour avis.

Les crédits de la mission Action extérieure de l'État s'élèvent à 3,1 milliards et sont en hausse de 6,9 %. Parmi les points remarquables, signalons la création de 100 équivalents temps plein (ETP).

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Lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, la ministre Catherine Colonna a annoncé, non sans force : « Le temps du réarmement de notre diplomatie est venu ». Le projet de budget du Quai d'Orsay pour 2023 est-il à la hauteur de cette annonce ? Pour répondre à cette question, je me propose d'examiner l'évolution des crédits budgétaires et les priorités que ces évolutions permettent de financer, puis de m'intéresser aux moyens humains du ministère.

Les crédits de la mission Action extérieure de l'État augmenteront de 160 millions en 2023, ce qui paraît assez honorable. Il s'agit pourtant d'une hausse en trompe-l'œil. D'abord, parce qu'une grande partie de ces moyens nouveaux serviront à absorber les effets de l'inflation mondiale et du change, et non à financer de nouvelles actions ; ensuite, parce que le Gouvernement a préféré « saupoudrer » les moyens. Tout augmente mais il n'est pas facile de trouver un poste de dépense qui croît, en valeur réelle, de plus de quelques millions d'euros. Il s'agit donc moins d'un budget de « réarmement » de notre diplomatie que d'un budget de « colmatage ».

Je souhaite m'arrêter sur trois sujets qui me paraissent structurants pour l'avenir du ministère.

Le premier, c'est la communication. Notre pays est en train de perdre la guerre de l'information en Afrique, parce que nous n'avons pas pris ce sujet suffisamment au sérieux. Je rappelle qu'à ce jour, toutes nos ambassades ne tweetent pas et que, quand elles le font, leurs publications sont parfois accueillies sur les réseaux sociaux par un flot ininterrompu de commentaires hostiles à la France.

Il est vrai que ce budget prévoit une hausse de 2,5 millions d'euros des crédits alloués à la communication du ministère. Mais, d'une part cette somme paraît relativement modeste au regard des enjeux et, d'autre part, elle passe à côté du problème des compétences. Pour lutter contre la désinformation en Afrique de l'Ouest, le Quai a besoin de locuteurs en peul, en bambara et en wolof. Le Quai d'Orsay a également besoin de spécialistes des réseaux sociaux. La lutte contre la désinformation, c'est avant tout une question de ressources humaines.

Le deuxième sujet, ce sont nos contributions aux organisations internationales. Hors masse salariale, ces contributions représentent les deux tiers des crédits du programme 105. En moins de dix ans, notre pays a pourtant décroché du sixième au dixième rang dans le classement des contributeurs internationaux. Désormais, nous sommes très loin derrière des pays avec lesquels nous aimons nous comparer, comme l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Pour tenter d'inverser cette tendance, le Quai est engagé dans un effort de remontée du niveau de nos contributions internationales. En 2023, c'est un nouvel effort qui sera fourni. Mais il faudra aller plus loin si nous voulons continuer à peser dans le système multilatéral.

Sur ce sujet, toujours, je tiens à alerter notre commission sur un point qui me paraît assez grave : nous ne savons pas combien la France verse à chaque organisation internationale. Tous les ministères versent des contributions mais il n'y a aucune consolidation des données. Il serait quand même utile d'y remédier.

Le troisième sujet qu'il me paraît important d'aborder, c'est celui de l'immobilier. Depuis quelques années, le Gouvernement a entrepris de rehausser la dotation budgétaire consacrée à l'immobilier. C'est évidemment une bonne chose car le financement et la gestion de l'immobilier étaient jusqu'ici très court-termistes. Mais, contrairement à ce qui était prévu, la hausse des moyens n'a pas eu lieu en 2022. En effet, la hausse des crédits cette année reposait sur une dotation de 36 millions sur le compte d'affectation spéciale (CAS) 723, un compte en banque de l'État alimenté par les recettes des cessions immobilières. Mais, à cause d'un véritable imbroglio administratif, le Quai n'a pas bénéficié des crédits promis.

Cette situation pose un double problème. Un problème de sincérité budgétaire, d'abord, dans la mesure où les documents budgétaires laissent penser que, non seulement le ministère a bénéficié de ces crédits en 2022, mais qu'il bénéficiera à nouveau de 36 millions sur le CAS 723 l'année prochaine. En réalité, il n'y a qu'une seule enveloppe de 36 millions – et pas deux –, que le ministère n'est même pas sûr de toucher. Cette situation pose surtout un problème pour le ministère puisque, sans cet argent, il faudra renoncer à des opérations prioritaires, tels que des travaux de mise aux normes pour prévenir des départs de feu ou des opérations de remise à niveau des voiries pour prévenir l'inondation des locaux.

Passons maintenant à la question des personnels. La grande annonce de ce budget, c'est la création de 100 ETP, une première depuis trente ans pour ce ministère. C'est évidemment une bonne chose mais cela reste marginal, au regard des milliers de postes qui ont été supprimés au cours des vingt dernières années. Le ministère a supprimé plus de postes sur la seule année 2019. Il est d'ailleurs assez intéressant de noter que la plupart des ETP dont bénéficiera le consulaire seront des missionnaires de renfort.

Ce budget risque de ne pas suffire à enrayer la dégradation rapide des conditions de travail au Quai d'Orsay. Plusieurs indicateurs attestent d'une situation qui empire, mais je n'en citerai qu'un : en un an, le nombre de missions de renfort a été multiplié par deux et, de l'aveu même de la directrice des ressources humaines du ministère, cela reste très insuffisant pour satisfaire tous les besoins qui s'expriment. Parmi les services qui souffrent le plus, il faut mentionner les consulats, en particulier les services des visas. À New Delhi, par exemple, les moyens ont été tellement réduits, que le service de l'état-civil est partiellement fermé et que le consulat a un retard d'environ 3 000 demandes de visas non traitées.

On comprend que, dans ce contexte déjà très difficile, la suppression du corps diplomatique soit vécue comme le coup de grâce par les personnels du ministère. Je rappelle que cette réforme, qui a été prise par ordonnance, n'a jamais fait l'objet d'aucune discussion devant notre assemblée.

En quoi consiste-t-elle ? Premièrement, elle rompt le contrat de confiance avec les personnels, qui ont choisi de devenir diplomates par vocation mais qui n'ont plus la garantie de pouvoir faire toute leur carrière au Quai d'Orsay. Deuxièmement, elle nie que les diplomates aient des compétences spécifiques et remet ainsi en cause l'idée même d'une diplomatie professionnelle, au moment où nous en avons le plus besoin. Troisièmement, elle ignore que, pour un ministère qui compte 20 % des postes d'encadrement occupés par des externes, le Quai d'Orsay est déjà une des administrations parmi les plus ouvertes. Quatrièmement, elle ouvre la voie à une politisation accrue des nominations au Quai d'Orsay en supprimant le garde-fou que représentait à cet égard l'existence de corps ministériels. Cinquièmement, elle sacrifie les secrétaires des affaires étrangères, dont l'évolution de carrière au sein du ministère risque d'être remise en cause.

Notre commission se penchera à nouveau sur ce sujet lorsque la mission d'information que nous avons créée sur cette réforme rendra ses conclusions, à la mi-décembre. Mais, parce qu'il y a une certaine urgence, j'appelle d'ores et déjà à suspendre la suppression du corps diplomatique, dans l'attente des états généraux de la diplomatie, qui débuteront prochainement, sous la houlette de l'ambassadeur Jérôme Bonnafont.

Le succès de ces états généraux dépendra de deux choses. D'une part, il faut que les organisateurs acceptent que les sujets de discussion soient déterminés par les personnels eux-mêmes, et non par une volonté imposée d'en haut. Deuxièmement, il faut qu'y soient associés tous ceux, chercheurs et parlementaires compris, qui peuvent contribuer à cette réflexion collective. Il serait périlleux d'oublier que l'état de notre diplomatie est une question qui doit concerner la société tout entière.

Je m'abstiendrai donc sur les crédits de cette mission.

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La baisse des crédits est enrayée avec une hausse de 11 millions d'euros. Celle-ci intègre le transfert d'Atout France au ministère de l'économie, ce qui met un terme à un vieux débat entre notre commission et celle des affaires économiques. La majeure partie des crédits supplémentaires sont dédiés à l'enseignement français à l'étranger.

Plusieurs opérateurs sont concernés par le programme 185. L'Institut français a entamé il y a dix-huit mois une réforme que j'appelais de mes vœux. L'Institut de français Paris, dont l'organigramme a été modifié, sera désormais à même de jouer un rôle de tête de réseau des 94 instituts français dans le monde.

Le travail entrepris il y a quelques années commence aussi à porter ses fruits pour l'Alliance française. La Fédération des alliances françaises, financée par l'État, regroupe les quelque 850 alliances disséminées dans le monde pour former un outil très agile, dont l'impulsion part du bas.

Campus France fait face à un problème technique, d'ordre informatique, qu'il serait étonnant que l'État ne parvienne pas à régler : l'opérateur ne peut pas assurer le suivi de ses subventions car la gestion des bourses qu'il distribue entre dans le budget des différentes ambassades.

Les difficultés de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) l'empêchent pour le moment de remplir son objectif – le doublement, avant 2030, du nombre d'élèves accueillis dans l'enseignement homologué en France. Je vous présenterai, sous forme d'amendement, deux propositions. Le poste, hautement stratégique, de directeur de l'AEFE doit être retiré du mouvement des diplomates et le directeur nommé au titre de l'article 13 de la Constitution. Par ailleurs, un comité de gestion des établissements en gestion directe (EGD) doit être créé au sein de l'AEFE.

Si je suis d'accord avec mon collègue rapporteur pour dire qu'il existe un problème de gestion des ressources humaines au Quai d'Orsay, je serai plus prudent dans l'analyse. Je considère que ce problème tient moins au manque de moyens qu'au refus de considérer qu'il existe, au sein de la diplomatie française, des métiers techniques. L'école d'Orient n'est pas celle qui prépare le mieux à encadrer un service de visas, dont le fonctionnement s'apparente davantage à celui d'une sous-préfecture. Nos diplomates sont de grands serviteurs de l'État, mais leurs compétences ne correspondent pas toujours aux spécificités des postes qu'ils occupent.

La feuille de route de l'influence de la diplomatie française, publiée en décembre 2021 par l'ancien ministre Jean-Yves Le Drian, trouve sa traduction dans ce budget. C'est un grand motif de satisfaction car les crédits ne sont plus saupoudrés mais octroyés selon des lignes directrices claires. La vision large et décloisonnée qu'elle promeut est en train d'infuser, les services se coordonnent. Je rappelle qu'il n'y a pas si longtemps, certains ambassadeurs ignoraient ce qui se passait dans le pays car l'information passait par d'autres canaux. Si je reprends l'exemple de la communication, l'administration a la possibilité de s'appuyer sur des locuteurs peuls : ils travaillent à France 24, chaîne du groupe France Médias Monde, placé sous la tutelle du ministère de la culture. Il s'agit simplement de casser les silos et d'apprendre à travailler ensemble. De ce point de vue, de grands progrès ont été réalisés dans les actions du programme 185.

La feuille de route définit des priorités géographiques claires, l'Europe revêtant un caractère essentiel pour la diplomatie d'influence. Or nos actions culturelles ne sont pas différenciées selon qu'elles sont menées au sein de l'Union européenne ou en dehors. Je le regrette car, en termes d'influence, l'ouverture d'un lycée français à Cracovie ou à Stuttgart n'a pas la même signification que l'ouverture d'un lycée français en Afrique subsaharienne ou en Amérique du Sud.

J'ai choisi cette année de me rendre en Géorgie, dans le voisinage de l'Union européenne. Ce pays, marqué par la guerre, accueille beaucoup de Russes que la diplomatie d'influence appelle « prioritaires ». J'ai pu constater que la feuille de route avait percolé sur le terrain. La conseillère culturelle y effectue un travail décloisonné, où tout a son importance, où tout est lié, depuis la présence au conseil d'administration du lycée français jusqu'aux contacts avec l'université franco-géorgienne, en passant par le soutien à un projet autour du vignoble, financé par le fonds de solidarité des projets innovants (FSPI). Elle ne se contente pas d'agir çà et là, elle mène des actions cohérentes.

En conclusion, j'insiste une nouvelle fois sur l'importance de lutter contre les silos, qu'il s'agisse de l'organisation de la diplomatie d'influence ou de notre action dans le monde. Je considère que la différentiation de nos actions en fonction des pôles géographiques est essentielle et que notre positionnement ne doit pas être le même lorsque nous agissons au sein de l'Union européenne.

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Nous en venons aux interventions des orateurs de groupes.

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Rapportée à l'inflation, la légère hausse des crédits ne parvient pas à dissimuler la poursuite de la cure d'austérité. En trente ans, les effectifs ont été réduits de moitié, ce qui a rendu d'autant plus ardue la tâche de ces fonctionnaires dévoués. L'extinction des corps d'encadrement du ministère ayant été décidée par voie d'ordonnance, notre commission n'a pas été saisie ; je vous remercie d'avoir placé cette question au cœur des débats.

Car il y a péril en la demeure. Comment engager le ministère dans une démarche de recentrage sur son rôle de pilote de l'action à l'international tout en supprimant le corps des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires ? Comment opérer le basculement vers un modèle de diplomatie tout en sapant les fondations même de son fonctionnement ? D'ailleurs, cette réforme est-elle le produit d'une réelle volonté politique ou la simple conséquence d'une logique budgétaire aveugle et brutale ? Ce n'est pas avec de tels crédits qu'on réglera les problèmes structurels du Quai d'Orsay.

Nous demandons au Gouvernement de suspendre ce projet de réforme désastreux. Le groupe La France insoumise votera contre l'adoption de ces crédits.

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Le groupe Renaissance ne peut que se satisfaire de l'augmentation des crédits de la mission et du budget total du ministère – respectivement de 6,9 % et de 9 %. Les effectifs croîtront pour la première fois depuis 1993, avec 100 ETP supplémentaires. Le Quai d'Orsay pourra ainsi assurer la représentation de la France, de ses intérêts et de sa culture et rendre les services accessibles à nos compatriotes expatriés.

Le réseau diplomatique français doit son troisième rang mondial, après ceux des États-Unis et de la Chine, à son maillage et au dynamisme des structures chargées de renforcer l'influence économique et culturelle du pays. C'est un bien précieux qu'il faut préserver.

La hausse des crédits vise à faire face aux crises internationales d'une gravité inédite. Les déséquilibres nés de l'invasion de l'Ukraine et les conséquences de la pandémie sont autant de phénomènes qui incitent la France à réinvestir la scène internationale. Les violentes attaques contre l'ambassade et l'institut français de Ouagadoudou le montrent, nous devons être prêts à répondre aux menaces, d'où qu'elles viennent, et demeurer vigilants devant les opérations de désinformation. La hausse significative des moyens pour combattre les discours antifrançais est une bonne réponse, comme les investissements dans le numérique pour renforcer la cybersécurité.

L'augmentation des contributions permettra de financer le mécanisme de la facilité européenne pour la paix (FEP) et d'accroître notre sécurité collective.

La diplomatie culturelle et d'influence donne lieu à une compétition renouvelée. La revalorisation des crédits du programme est d'autant plus importante que notre pays dispose de réels atouts, comme le montre sa première place dans le classement international SoftPower30.

Nous saluons le renforcement des mesures de soutien à nos concitoyens de l'étranger, fragilisés par la crise sanitaire et économique.

Ce budget est adapté aux enjeux de cette année incertaine. Nous le voterons sans réserve.

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Espérons que la mission d'information de notre commission fera la lumière sur les dessous de la suppression scandaleuse du corps diplomatique, décrétée par le président de la République sans aucun débat au Parlement et perçue comme un coup de grâce par les personnels, après trois décennies de suppressions de postes. Nous demandons une nouvelle fois la suspension de cette décision, qui entraînera une perte de compétences, au profit de nominations arbitraires.

La hausse des crédits, qui sera par ailleurs absorbée par l'inflation, ne suffira pas à réarmer la diplomatie et fera l'objet d'un saupoudrage.

La construction d'une diplomatie européenne, alors que la diplomatie devrait rester l'apanage des États nations, et de l'Europe de la santé, avec le renforcement du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), représentent des pertes évidentes de souveraineté pour la France.

« Le français sera la première langue de l'Afrique et peut-être du monde si nous savons faire dans les prochaines décennies » présageait avec optimisme Emmanuel Macron dans son discours de Ouagadougou. Mais il faut de la volonté politique : renforcer les moyens pour l'enseignement ne suffit pas. Malgré les subventions, la francophonie est en recul et la France perd son influence en Afrique, au profit de la Chine et de la Russie. L'usage du français sur les réseaux sociaux régresse, conséquence de l'absence tragique de géants français et européens du net. Au sein de l'Union européenne ou de l'organisation des Nations Unies (ONU), le français, langue diplomatique par excellence, est menacé par l'omniprésence de l'anglais.

Pour toutes ces raisons, et bien d'autres encore, le groupe Rassemblement national votera contre ces crédits.

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Si nous sommes parvenus à une telle feuille de route, c'est en partie grâce à la persévérance de Frédéric Petit. L'influence française permet de préserver une vision du monde multilatérale, libérale et humaniste, contestée en de nombreux endroits du monde.

L'augmentation des crédits est certainement insuffisante au regard des crises successives, de l'inflation et de la hausse des prix de l'énergie. Je rejoins Vincent Seitlinger, il faut renforcer notre présence dans les grandes institutions internationales.

Il était temps de prendre à bras-le-corps le sujet de la désinformation antifrançaise en Afrique. Cette lutte exige des moyens humains supplémentaires, notamment des locuteurs dans les langues Ouest-africaines. Les crédits qui y sont dédiés – 2,5 millions d'euros – sont très en deçà de ce qui serait nécessaire pour faire face à l'urgence de la situation et à des concurrents très organisés. Que préconise le rapporteur dans ce domaine ?

Les refus de visas sont un drame pour de nombreux étrangers. La délivrance est complètement aléatoire, les critères de rejet obscurs. C'est, selon moi, la première cause d'insatisfaction, qui donne de la France une image très négative. Il faut d'urgence traiter cette question.

Remplir les engagements pris par le président de la République en 2017 et être à la hauteur de nos ambitions nécessite des moyens bien supérieurs. Nous courons un marathon : il nous faudra accélérer ces prochaines années.

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Compte tenu de l'inflation, la hausse des crédits est somme toute modeste, voire nulle. Elle ne peut pas dissimuler le tourment dans lequel se trouve la diplomatie française. Le corps diplomatique présentait certes des défauts mais la question de sa réforme aurait pu être au moins débattue au Parlement plutôt que réglée à bas bruit, en pleine campagne présidentielle. À la veille des états généraux de la diplomatie, c'est un bien mauvais signal.

Avant toute réforme, il conviendrait de définir les objectifs de la politique extérieure et de notre présence à l'étranger. Le président de la république s'est rendu au Liban en expliquant qu'il allait régler le problème en quelques semaines ; c'était il y a dix-huit mois et les Libanais ne veulent plus nous voir. Notre politique en Afrique est si désastreuse que nous avons été pratiquement chassés du Sahel. Au lieu de réfléchir, on tourne en rond et on décide de réformer la diplomatie. On est vraiment à côté de la plaque.

Le groupe Socialistes et apparentés demande au Gouvernement de suspendre la réforme, source d'un profond malaise et d'une rupture du contrat de confiance avec le personnel diplomatique. Nous demandons au président de la République, dont nous ne contestons pas la responsabilité en matière de politique extérieure, de définir clairement les contours de celle-ci. Nous nous abstiendrons lors du vote sur ces crédits.

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Nous nous accordons tous pour constater que nous attendons beaucoup du rapport de notre mission d'information sur la réforme du corps diplomatique.

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Dans un monde instable où les crises se succèdent, le groupe Horizons et apparentés salue la progression des moyens alloués à la diplomatie française, notamment la création d'une centaine de postes.

La cybersécurité, si importante pour l'influence et la crédibilité de la France, est enfin prise en compte. Nous nous réjouissons des crédits qui lui sont dédiés.

Il ne faut surtout pas relâcher les efforts en matière de lutte contre la désinformation en ligne et la propagande, voire les intensifier, tant cette menace est difficile à endiguer.

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Je salue le travail de notre collègue Karim Ben Cheikh, rapporteur spécial de la mission Action extérieure de l'État. Nous approuvons l'augmentation des crédits alloués à la promotion de la France, à l'enseignement de notre langue et de notre culture à l'étranger mais nous tenons pour une faute le maintien du plan « Bienvenue en France », qui trie les étudiants en fonction de leur classe sociale et de leurs origines. Un étudiant marocain qui souhaiterait venir étudier en France a non seulement aucune chance de se voir délivrer un visa de long séjour mais il doit avoir économisé l'équivalent de deux ans de salaire pour faire face aux frais.

La création de 100 ETP supplémentaires ne doit pas masquer les réductions d'effectifs : la moitié des postes ont été supprimés en trente ans, dont un tiers ces dix dernières années. La hausse est en trompe-l'œil, d'autant que le ministère des armées bénéficie, lui, de 3 milliards supplémentaires. Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence le fait qu'Édouard Philippe a annoncé en 2018 une réduction de 10 % de la masse salariale du Quai d'Orsay et 110 millions d'économies avant 2022.

Les diplomates sont très mobilisés contre la réforme, une première en soixante-dix ans. Il faut rendre hommage à ces personnels très compétents, qui exercent leur métier aux dépens de leur vie de famille et, parfois, de leur propre sécurité. Pour réarmer l'arsenal diplomatique et lui redonner sa grandeur dans un monde incertain, nous devons pouvoir nous reposer sur un réseau diplomatique fort. La paix n'a pas de prix.

Gardons aussi à l'esprit que les consulats sont le seul guichet pour la communauté française résidant à l'étranger. Le manque de personnels rallonge les délais pour la délivrance des documents officiels, empêche de maintenir les liens humains et de faire face à de nouvelles problématiques comme la prise en charge de la dépendance.

Les états généraux de la diplomatie doivent être l'occasion de repenser le statut de diplomate. Le groupe Ecologiste-NUPES est opposé à la réforme et souhaite une loi de programmation pour ce ministère régalien, le seul à en être privé.

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Nous ne pouvons que nous réjouir de cette augmentation de 160 millions d'euros mais elle demeure insuffisante pour le « réarmement » – selon la terminologie de la ministre – de la diplomatie, surtout si on la compare à la hausse de 3 milliards du budget du ministère des armées.

La grève sans précédent du Quai d'Orsay, en juin, a révélé l'ampleur du problème : des personnels à bout, une explosion du nombre de missions demandées à la diplomatie, un recours plus important aux contrats à durée déterminée (CDD) ou locaux, des conditions d'emploi médiocres. La réforme doit être suspendue dans l'attente des conclusions de la mission d'information de notre commission.

L'influence française ne peut être que renforcée par les contributions supplémentaires aux instances multilatérales, au premier rang desquelles les Nations Unies.

Je ne cesse de dire que la crédibilité de la France passe aussi par un respect absolu du droit international. Je pense ici au problème français de la colonisation illégale de Mayotte, qui appartient en droit à l'archipel des Comores.

Quel type d'influence l'exécutif vise-t-il lorsque la France s'impose comme l'un des plus grands exportateurs d'armes ? Si la France perd du terrain, c'est que le Gouvernement n'est pas à l'écoute des peuples ; l'exécutif s'est acharné à rester en Afrique de l'Ouest contre l'avis des populations et voilà notre armée quasiment interdite de séjour.

L'influence de la France, et sa force, résident aussi dans le maillage consulaire. Il faut pourtant faire un choix : investir suffisamment pour maintenir ce précieux réseau ou abandonner notre présence dans certains territoires. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine penche évidemment pour l'amélioration de la qualité du service et des conditions de travail des agents consulaires.

Malgré l'augmentation des crédits, que nous saluons, le compte n'y est pas. Nous voterons contre ce budget.

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J'allais dire que les députés du groupe LIOT voteraient les crédits de la mission Action extérieure de l'État, j'allais évoquer la politique d'influence française, l'argent public dépensé et l'exigence légitime de résultats de la part des contribuables, j'allais faire part des interrogations de certains sur l'orientation de la politique étrangère.

Mais vous entendez mon émotion : je dois subir à nouveau les sorties d'un suppôt de Moscou, qui vient propager le discours sur une colonisation de Mayotte.

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C'est moi que vous appelez suppôt de Moscou ? Monsieur le président, c'est une insulte, car nous nous trouvons dans une situation de guerre causée par la Russie !

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Monsieur, c'est une insulte que de dire que mon territoire, qui est français depuis 1841, est un territoire colonisé.

(M. Lecocq quitte la salle).

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Madame Youssouffa, c'est une grave erreur que d'avoir usé, à l'encontre de notre collègue, de termes connotés dans l'histoire de la polémique politique et tout à fait inacceptables. Je comprends votre émotion, mais je vous demande de retirer votre propos et de reprendre votre intervention sur le fond.

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Je retirerai mon propos quand M. Lecocq cessera ses esclandres pour divertir l'attention et assumera d'avoir dit devant la représentation nationale que mon territoire, français depuis 1841, est illégalement français. L'insulte n'est pas faite à M. Lecocq, mais aux Mahorais, qui se sont battus pour rester français et qui le sont de droit. On permet ici de redessiner les cartes et de reprendre la propagande de Moscou…

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L'indignation de M. Lecocq et ma propre réprobation portent sur une mise en cause personnelle. Cela ne remet pas en question la légitimité de votre analyse sur le statut de Mayotte et votre émotion de savoir qu'elle n'est pas partagée par l'ensemble de nos collègues. On ne peut accuser un parlementaire, qui n'a en aucune façon marqué son allégeance à qui que ce soit, d'être manipulé par une puissance étrangère.

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Ce discours a été prononcé à de nombreuses reprises par le ministre Lavrov. Quand je parle d'un suppôt de Moscou, je parle de quelqu'un qui, devant la représentation nationale, reprend le discours de la diplomatie russe sur Mayotte. Ce ne sont pas des accusations gratuites, c'est un constat.

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Je suis en désaccord avec M. Lecoq sur bien des points, mais il s'est clairement distingué, à plusieurs reprises, des positions de l'État russe. L'expression « suppôt de » présente un caractère injurieux. Mme la présidente de l'Assemblée nationale a récemment rappelé à quel point il était abusif de se lancer des accusations de cet ordre. Cela ne s'est jamais fait dans cette commission, vis-à-vis d'aucun groupe. Je respecte tous les groupes et tous les députés, et demande à tous les membres de la commission d'en faire autant. À défaut, cette commission perdra ce qui fait l'essentiel de sa qualité : l'aptitude à s'écouter, à se respecter et à se répondre.

Vous avez tout à fait le droit de faire valoir votre analyse sur le statut de Mayotte, que je partage au demeurant. En revanche, je vous demande de faire l'effort de déclarer que vous n'auriez pas dû employer cette expression regrettable à l'adresse de M. Lecoq, quelle que soit l'intensité de votre critique à l'égard de sa position.

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C'est la deuxième fois que M. Lecoq tient de tels propos sur Mayotte.

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Et ce n'est probablement pas la dernière. Il a ses convictions. Nous sommes habitués, par exemple, à entendre sa position sur la question du Sahara occidental.

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J'estime et je maintiens que les propos de M. Lecoq sont insultants pour ma personne et pour Mayotte. Ce qui est sous-entendu, c'est que ma présence ici est illégitime, que je n'ai pas ici ma place en tant que députée parce que Mayotte n'est pas française. C'est d'une extrême gravité.

Je refuse cette mise en scène, ce faux esclandre, dont certains sont coutumiers, qui vise à faire passer une telle énormité. Je suis très claire : je n'ai pas d'excuses à présenter. N'inversons pas les charges : si quelqu'un a lancé une injure, c'est M. Lecoq, non seulement à ma personne, mais à tous les habitants de Mayotte et aux anciens qui se sont battus pour que Mayotte reste Française. Je ne baisserai jamais la tête face à pareille insulte.

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Personne ne vous demande de baisser la tête, mais votre refus de présenter des excuses après une injure personnelle est un fait grave, dont je vais être obligé de tirer les conséquences.

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Ce n'est pas une injure personnelle : je n'ai pas nommé M. Lecoq ; c'est vous qui l'avez fait. S'il s'est senti visé, c'est son problème.

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Cette dernière affirmation est bien peu courageuse de votre part, madame. Je vous prie de poursuivre votre exposé concernant l'avis budgétaire.

(Mme Youssouffa quitte la salle).

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J'espère que mon intervention suscitera moins de polémiques…

Je remercie les rapporteurs pour avis pour leurs travaux. Nous nous réjouissons que les crédits alloués à la mission Action extérieure de l'État soient une nouvelle fois en hausse cette année et que le budget global dépasse à nouveau la barre des 3 milliards d'euros, une première depuis 2016. Toutefois, à un moment où la situation exige que notre pays retrouve son rang sur la scène internationale, le budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères souffre d'un certain manque d'orientation et de priorités stratégiques. Nous considérons en outre qu'il n'est pas à la hauteur des enjeux, ce que le rapport pour avis de mon collègue Vincent Seitlinger met parfaitement en lumière. Les différentes hausses de crédits permettront de continuer à financer l'existant, mais non les nouvelles priorités du ministère.

Nous entendons, une nouvelle fois, de nombreuses envolées et déclarations incantatoires. « Le temps du réarmement de notre diplomatie est venu », nous dit-on. Derrière ces phrases se cache en réalité un petit saupoudrage sans réelle stratégie. Le rapport nous éclaire sur un élément très grave : le profond mal-être qui s'empare des agents du ministère. Celui-ci a été plus que mis à contribution ; il a été l'une des variables d'ajustement utilisées pour réduire les déficits au cours des dernières décennies : les effectifs du Quai d'Orsay ont diminué de 50 % en trente ans, de 30 % en dix ans et de 15,43 % entre 2016 et 2019.

À cela s'ajoute désormais la réforme de la haute fonction publique, qui plonge le Quai d'Orsay dans une crise profonde. Après une grève historique en juin dernier, les organisations syndicales du ministère ont déposé récemment un recours devant le Conseil d'État contre la suppression du corps diplomatique. Les agents et les diplomates du Quai d'Orsay, comme les parlementaires, sont toujours dans l'attente de la tenue des états généraux de la diplomatie. Lorsque nous l'avons interrogée à ce sujet, la ministre a indiqué qu'ils s'ouvriraient au mois d'octobre. Or celui-ci approche de sa fin, et nous ne connaissons toujours pas la date des états généraux.

Il s'agit d'une réforme très grave. Notre commission s'est d'ailleurs emparée du sujet, sous votre autorité, monsieur le président. Je m'étonne vraiment – si on ne s'en étonne pas à la commission des affaires étrangères, où le fera-t-on ? – qu'une telle réforme, qui met en cause un outil diplomatique dont l'excellence est reconnue dans le monde entier, n'entraîne aucune réaction, ni aucune question, et que le Gouvernement ne réponde pas aux légitimes interrogations des parlementaires à ce sujet. Elle n'a fait l'objet d'aucune discussion à l'Assemblée nationale. J'approuve l'avis exprimé par mon collègue Vincent Seitlinger : elle doit être suspendue, dans l'attente des conclusions des états généraux de la diplomatie. À défaut, ces états généraux seront une mascarade.

Dans un contexte international instable, incertain et dangereux, ce budget ne permettra pas à notre pays, de notre point de vue, d'être à la hauteur des enjeux. C'est pourquoi le groupe Les Républicains s'abstiendra.

J'adresse trois questions aux rapporteurs pour avis : quelle est la stratégie du ministère de l'Europe et des affaires étrangères pour lutter contre la désinformation sur les réseaux sociaux ? Dans quelles zones géographiques les nouveaux postes seront-ils affectés ? Quelles sont les garanties obtenues ou conservées dans le projet de réforme de la haute fonction publique ?

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Merci aux deux rapporteurs pour avis de leur travail remarquable. Je suis en tout point d'accord avec Frédéric Petit – sans doute est-ce notre prisme de députés des Français de l'étranger.

Pour pouvoir nous déterminer sur la stratégie générale, il nous manque un regard sur le travail de l'AEFE, qui exerce pourtant une mission essentielle pour le rayonnement et l'influence de la France à l'étranger. J'ai rarement vu un directeur de l'AEFE s'exprimer devant l'Assemblée nationale pour expliquer sa stratégie. En France, on attache beaucoup d'importance aux statuts – sans doute cela tient-il à notre rapport à l'Ancien Régime – et pas assez aux fonctions et à la capacité à changer de métier. Peut-être faudrait-il, à la tête de l'AEFE, un autre profil qu'un fonctionnaire du Quai d'Orsay, par exemple une personne qui ait davantage d'expérience en matière de développement. Nous devrions parler davantage du fond, moins des statuts.

De moins en moins d'élèves formés dans notre réseau poursuivent leurs études dans notre système universitaire. Il y a trente ou quarante ans, les enfants de l'élite québécoise venaient étudier à la Sorbonne ; aujourd'hui, ils vont ailleurs. Quel est votre avis à ce sujet ?

Ce budget prévoit un renforcement des moyens humains, ce qui est une très bonne nouvelle. Quelle part des postes sera affectée aux services consulaires ? Il s'agit de métiers distincts de la diplomatie et d'un véritable service public. Le ministère déploie actuellement le service France consulaire, dans le cadre d'une stratégie générale de modernisation des services publics pour les Français de l'étranger.

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Je souhaite évoquer la question des démarches consulaires, en particulier la délivrance des visas. En 2022, le nombre de demandes de visas a connu une hausse rapide, compte tenu notamment des effets de rattrapage par rapport à la période précédente. L'annexe au projet de loi de finances nous apprend d'ailleurs qu'un retour au niveau antérieur à la pandémie est attendu d'ici à 2024.

Toutefois, cette hausse ne semble guère préoccuper le Quai d'Orsay, puisqu'il n'alloue pas de moyens substantiels pour y faire face. De façon contre-intuitive, ce sont plutôt les économies et la baisse des coûts qui orientent ses choix budgétaires pour ce qui constitue, rappelons-le, une mission de service public. D'abord, le ministère recourt de manière croissante aux agents de droit local, ce qui a de nombreuses conséquences sur le plan social, puisque la France profite ainsi d'un droit du travail souvent moins-disant. Ensuite, il opère une transition à marche forcée vers la dématérialisation – nous l'avons déjà évoquée à plusieurs reprises au sein de cette commission. C'est une façon de masquer le détricotage du réseau consulaire français et, par la même occasion, de supprimer des interlocuteurs identifiables à contacter en cas de problème.

Le phénomène le plus inquiétant, à nos yeux, est l'externalisation du traitement des dossiers vers des opérateurs privés. Relevons que les multinationales VFS Global et TLScontact ont obtenu le quart des contrats. De nombreux concitoyens nous signalent des points noirs concernant cette externalisation : opacité de la démarche, explosion des délais, interrogations sur le traitement des données. VFS Global a son siège à Dubaï, ce qui peut nous inspirer quelques craintes. Disposez-vous d'éléments concernant la part croissante du privé dans les démarches consulaires ? Cette évolution inquiète fortement nos concitoyens.

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Je reviens d'un déplacement dans les deux Congos. Là-bas comme ailleurs dans ma circonscription qui va de Madagascar aux Émirats arabes unis, les Français me parlent de leurs difficultés à obtenir des rendez-vous dans les consulats. Pour nos compatriotes vivant à l'étranger, le consulat est à la fois la mairie et la préfecture. Si je salue la numérisation d'un nombre croissants de services, nécessaire pour les agents qui traitent les dossiers, nos compatriotes ont besoin de voir les agents pour accomplir certaines démarches.

Les agents des consulats fournissent un travail tout à fait remarquable, et je tiens à les en remercier ici. Tel a notamment été le cas durant la crise sanitaire. J'indique au passage à plusieurs collègues qui se sont exprimés à ce sujet que, pour obtenir un passeport, il faut compter deux semaines à Kinshasa et trois semaines à Brazzaville, contre trois ou quatre mois en région parisienne.

Outre des facteurs liés au contexte actuel, les diminutions successives d'effectifs dont vous faites part dans votre rapport pour avis, monsieur Seitlinger, ont eu des conséquences sur la qualité du service dans les consulats, notamment une augmentation sensible des délais d'attente pour nos compatriotes. Notons que le sentiment antifrançais est pour partie alimenté par les critiques contre les services des visas.

Vous l'avez souligné, le projet de loi de finances pour 2023 prévoit une augmentation des effectifs inédite depuis 1993, de 106 ETP. Notre majorité a su prendre pleinement la mesure des besoins exprimés par les agents du ministère et les Français de l'étranger. Je salue cette évolution. Néanmoins, la hausse pourrait être bien plus importante. Comment ces effectifs supplémentaires seront-ils alloués ? Combien de ces postes seront affectés à l'administration consulaire ? Quels consulats seront concernés par ces renforts en moyens humains ?

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J'observe qu'aucun représentant de groupe n'a pris la défense de la réforme du Quai d'Orsay. Certains s'y sont opposés, d'autres n'ont rien dit, mais personne ne l'a défendue. C'est selon moi un fait politique significatif, dont le Gouvernement et le président de la République devraient s'aviser. Ce type de réforme est jugé au mieux comme inutile et, très souvent, comme nocive ou toxique. À l'instar de la plupart d'entre vous, je suis assez critique sur cette réforme. Il est notoire que notre commission est plutôt unie sur ce point. Il arrive que se dégage ainsi un consensus négatif.

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Hélas, cela n'empêche pas le Gouvernement d'avancer dans cette réforme !

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Ne nous élevons pas au-dessus de notre condition, monsieur Herbillon.

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Plusieurs d'entre vous – madame Leboucher, messieurs Pfeffer, David, Taché, Lecoq et Herbillon – souhaitent comme moi la suspension de la réforme du corps diplomatique. Au-delà de la mission d'information en cours, il faudra que nous soyons associés très étroitement aux états généraux de la diplomatie, pour pouvoir faire part de nos préoccupations. Monsieur Herbillon l'a souligné, nous sommes impatients de connaître la date de ces états généraux, annoncés il y a déjà un certain temps.

L'allongement des délais d'instruction des demandes de visas et de titres d'identité, relevée par monsieur Fuchs, monsieur Taché et madame Abomangoli, est en partie lié à l'épidémie de Covid, qui a été suivie par une forte augmentation des demandes. En outre, certains services se plaignent de recevoir de Paris des consignes qui ne sont pas nécessairement applicables dans leur pays ou leur zone géographique, ce qui complique la tâche des agents instructeurs. On leur demande parfois de retenir des critères qui ne sont pas pertinents.

Madame Abomangoli, l'externalisation porte non pas sur l'instruction des demandes de visas mais sur la phase qui la précède, à savoir l'accueil des demandeurs et le recueil des dossiers. Comme vous, je pense qu'il faut éviter que l'externalisation prenne trop d'ampleur mais il faut noter que de nombreux autres pays, notamment européens, se sont engagés dans cette voie.

Messieurs Fuchs et Herbillon, nous constatons tous que les 2,5 millions d'euros supplémentaires consacrés à la politique de communication ne seront pas suffisants au regard des enjeux en la matière. Il est prévu de renforcer la présence du ministère de l'Europe et des affaires étrangères sur les réseaux sociaux, notamment pour toucher les jeunes publics qui ont eu tendance à critiquer l'action de la France. Une chaîne vidéo destinée à la jeunesse africaine doit être créée. Le ministère veut en outre renforcer ses capacités de veille sur les réseaux sociaux pour être plus réactif.

Monsieur Herbillon et madame Lakrafi, les 106 ETP créés devraient prioritairement être affectés à la zone indo-pacifique et à l'Europe de l'Est. Pour le réseau consulaire, comme je l'ai relevé avec regret dans mon rapport, il s'agira pour l'essentiel de missionnaires de renfort, et non de postes destinés à regarnir les consulats de façon pérenne.

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S'il y a en ce moment une crise de la prise de rendez-vous dans les consulats, ce n'est pas en raison d'un manque d'effectifs ou de la réduction des crédits mais parce que l'on n'est pas capable, y compris à Paris, de commander un système informatique qui fonctionne et que les agents, au demeurant de grande qualité, ne savent pas utiliser ces systèmes – il y en a eu deux en trois ans. Les autres députés représentant les Français de l'étranger et moi pourrions vous raconter de nombreuses anecdotes attestant la désorganisation dans la prise de rendez-vous, y compris en Allemagne. Qui plus est, les consulats donnent parfois des réponses différentes, en s'appuyant sur les mêmes textes. C'est un problème d'organisation.

Nous saluons tous le temps que les fonctionnaires passent à traiter les dossiers. Qu'attend-on d'eux ? Qu'ils traitent des dossiers ou qu'ils répondent au téléphone pour noter des rendez-vous ? Il est évident qu'il faut numériser la prise de rendez-vous, tout le monde le fait désormais. Il faut que ce soit un système français et protégé, mis en place par des gens qui s'y connaissent. Les fonctionnaires traitent très bien les dossiers quand ils en ont le temps. S'ils doivent répondre au téléphone pour noter des rendez-vous, ils perdent du temps.

Parmi les 106 postes créés, six sont des postes de managers de la transition qui seront affectés à la direction des ressources humaines pour aider à la mise en œuvre de la réforme. Je m'en réjouis, car il est rare que l'on fasse ce genre de prévision.

Monsieur Pfeffer, le ministère a effectivement subi des réductions d'effectifs pendant trois décennies et a payé plus que sa part. En 2019, grâce à la mobilisation du Parlement – je rends grâce à tous les groupes qui se sont battus en ce sens au cours de la précédente législature –, nous avons heureusement mis fin à ces baisses.

Je suis évidemment opposé aux nominations arbitraires. Je propose d'ailleurs que notre commission se prononce désormais sur la nomination du directeur de l'AEFE. Mais ce n'est pas parce que l'on réforme une partie de la fonction publique qu'il y aura des nominations arbitraires ; le dire, c'est faire de l'affichage. Personne ne connaît exactement le contenu de la réforme. Nous verrons ce qu'il en sera et nous allons nous battre pour y être associés.

Il y a effectivement des divergences au sein de l'Union européenne mais nous les acceptons et elles ne nous empêchent pas d'être unis. Tel est précisément le message que nous avons à délivrer au monde : nous, Européens, avons des intérêts divergents et parlons vingt-quatre langues, mais nous ne nous faisons pas la guerre et nous travaillons ensemble. C'est notre modèle, et il faut le défendre, à plus forte raison en ce moment, car c'est ce que l'impérialisme moscovite est incapable de faire. Il ne faut pas avoir peur de ce modèle ; il ne faut pas renoncer en raison de ces divergences et rentrer chez soi.

Le discours de Ouagadougou affirme expressément que la francophonie, c'est le plurilinguisme. Depuis cinq ans, les langues véhiculaires sont enfin accueillies dans les écoles maternelles que nous aidons en Afrique. On ne peut pas commencer à éduquer un enfant en lui expliquant que sa mère et son père ne parlent pas la bonne langue ! Je suis d'accord avec vous, monsieur Fuchs, il faut consacrer davantage de moyens à la francophonie, et je me battrai en ce sens. Le modèle que nous défendons n'est pas celui de la russophonie. C'est un modèle très particulier, dans lequel nous acceptons les autres langues.

Plusieurs d'entre vous dénoncent une absence de volonté politique et en déduisent qu'il ne faut surtout pas faire la réforme du ministère. Celle-ci doit commencer par les ressources humaines, tout le monde constate que les blocages sont là. Je suis d'accord avec vous tous, le Parlement doit être associé, et je me battrai pour qu'il en soit ainsi. J'ai proposé au groupe de travail sur la réforme du corps diplomatique de m'auditionner car j'ai une expérience à partager. En tout cas, on ne peut pas en même temps pointer les problèmes et dire qu'il ne faut pas réformer.

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Certes !

Vous dites qu'il n'y a pas de volonté politique. Or nous avons adopté la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Qu'est-ce donc sinon l'affirmation d'une volonté politique qui encadrera notre action pendant les dix ans qui viennent ?

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Cela n'a rien à voir ! Êtes-vous d'accord avec la réforme du corps diplomatique ?

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Je n'en connais pas plus que vous le contenu. Je dis qu'il y a bel et bien une volonté politique : la feuille de route de l'influence, la loi de programmation relative au développement. Maintenant qu'elle a été affirmée, il va falloir, dans ce cadre, se demander quels sont les meilleurs profils.

Je prends souvent l'exemple qui suit dans les réunions publiques. Dans la feuille de route de l'influence, nous disons que nous voulons contribuer au projet de Grande Muraille verte en Afrique. Pour ce dossier, il faudra recruter un profil très particulier et non s'en remettre au jeu des affectations. J'espère que cette personne sera nommée pour dix ans et aura déjà planté un arbre au cours de sa vie, qu'elle ait réussi le concours d'Orient ou non !

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On pourrait ajouter une épreuve d'horticulture au concours d'Orient.

(Sourires.)

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Je sais que nous ne sommes pas tout à fait d'accord, monsieur le président…

De même, il est évident que l'AEFE doit être dirigée par une personne qui a une connaissance du développement des lycées à l'étranger. Certains ambassadeurs ont fait un passage très réussi à la tête de l'AEFE mais nous devons vérifier que le directeur a bien cette compétence.

Il y a effectivement du mal-être, monsieur Herbillon ; c'est le cas chaque fois que l'on réorganise. Je le dis depuis longtemps, nous devons veiller à ce qu'il y ait, dans la réforme, un volet d'accompagnement des agents à la transformation. Manager la transition, c'est un métier, hélas ignoré par le Gouvernement et beaucoup d'administrations.

Madame Leboucher, vous semblez dire qu'il faut choisir entre piloter et faire. Si nous voulions continuer à faire sans piloter, nous aurions effectivement besoin de moyens supérieurs. Pour ma part, j'estime que nous devons piloter mais que nous devons d'abord nous interroger sur la manière de piloter et sur ce qui doit être ensemble.

Dans nos rapports pour avis, nous contrôlons désormais les indicateurs relatifs à l'effet de levier. Et celui-ci n'a rien à voir avec une quelconque vente de nos intérêts à l'étranger !

Le budget de l'AEFE s'établit à 1 milliard d'euros, dont 500 millions d'argent public. Or le budget total de l'enseignement français à l'étranger est de 4 milliards ! Le gouvernement de M. Orbán finance le lycée français de Budapest, à hauteur de 120 000 euros, parce qu'il apprécie ce qui s'y fait et que des Hongrois le fréquentent. C'est cela, l'effet de levier, et cela fonctionne de la même manière pour les instituts français et les alliances françaises, ces dernières ne coûtant rien au budget de l'État.

Je prends toujours l'exemple, très symbolique, du lycée français d'Erbil, au Kurdistan irakien. Il est contributif au budget de l'État et a tenu pendant trois ans, grâce à deux mères de famille, à 30 kilomètres du front. Voilà comment la France fait et fera de l'influence, et non du colonialisme.

Article 27 et état B : Crédits du budget général

Amendement II-AE3 de M. Alain David.

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Cet amendement et les deux suivants sont défendus.

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La contribution française à la facilité européenne pour la paix est composée de deux quotes-parts, l'une versée par le ministère des armées, l'autre par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. En raison de la guerre en Ukraine, celle du ministère des armées, qui finance la livraison d'armes, a augmenté. Mécaniquement, celle du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui finance la livraison d'équipements non létaux, a diminué. J'émets donc un avis défavorable.

La commission rejette l'amendement.

Amendement II-AE4 de M. Alain David.

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Je suis défavorable à cet amendement, car il tend à prélever des crédits sur le programme Diplomatie culturelle et d'influence, dont je suis satisfait de voir le budget augmenter.

Pour le reste, le rattachement de l'opérateur Atout France fait l'objet d'une vieille querelle entre le Quai d'Orsay et Bercy. C'est une bonne chose qu'il ait passé un moment sous la tutelle du ministère des affaires étrangères car cela a permis de rompre avec le mode d'organisation antérieur. Désormais, l'opérateur fonctionne bien, avec le soutien des municipalités et des syndicats d'initiative, et il est assez présent à l'étranger. Techniquement, l'amendement n'est guère défendable car il vise à rétablir des crédits qui relèvent dorénavant de la mission Économie.

La commission rejette l'amendement.

Amendement II-AE5 de M. Alain David.

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Cet amendement me va droit au cœur, car il porte sur le développement de la coopération franco-allemande en matière de diplomatie d'influence. Toutefois, il me paraît superfétatoire car Français et Allemands travaillent déjà en commun en Ukraine, y compris sur des sujets culturels et de diplomatie d'influence. D'une manière générale, la projection du franco-allemand dans le monde est faite. J'avais visité il y a quelques années l'institut culturel franco-allemand (ICFA) de Ramallah et cela fonctionne.

Il me semble peu opportun à ce stade d'affecter des crédits spécifiquement à la création d'un ICFA à Kiev, sachant que nous avons du mal à maintenir ouverte l'école française. En outre, je ne suis pas sûr que l'on puisse flécher des crédits de manière aussi précise. Avis défavorable.

La commission rejette l'amendement.

Puis, la commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Action extérieure de l'État non modifiés.

Après l'article 40 :

Amendement II-AE6 de M. Frédéric Petit.

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D'après ses statuts, l'AEFE accomplit deux missions : elle est chargée de développer le réseau d'enseignement à l'étranger, lequel comprend aujourd'hui environ 560 lycées et scolarise près de 400 000 élèves ; elle demeure gestionnaire directe d'une soixantaine d'établissements, dont le lycée de Madrid, par exemple.

Ces deux missions sont de plus en plus incompatibles, à un moment où l'on demande à l'AEFE de faire des missions de reconnaissance dans les zones géographiques où elle est susceptible d'étendre le réseau. De plus, elles sont entremêlées : il est très difficile d'identifier quelle part de la subvention de l'État aide les établissements en gestion directe et quelle part finance la mission de développement et d'influence de l'agence.

Je propose que, dans l'article L. 452-3 du code de l'éducation, relatif à l'AEFE, nous séparions ces deux missions, en créant, au sein de l'agence, un comité de gestion des établissements en gestion directe. L'ensemble du personnel et des fonctions de gestion de ces établissements serait rattaché au comité, qui percevrait les écolages versés par les familles, soit près de 300 millions actuellement. L'État subventionnerait l'agence de développement et d'animation du réseau dans son ensemble. Une convention de collaboration serait conclue entre le comité et l'agence.

Établir une telle distinction nous permettrait d'exercer un contrôle parlementaire beaucoup plus efficace sur l'agence et son budget, et de déterminer beaucoup plus précisément notre action en matière d'enseignement français à l'étranger.

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L'amendement tend-il à clarifier la manière dont les crédits sont répartis ? Ou bien s'agit-il de modifier l'affectation des crédits au profit des établissements gérés de manière autonome, au détriment des établissements gérés par la puissance publique ?

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S'il existe aujourd'hui un déséquilibre, il est plutôt dans l'autre sens. Cet amendement permettra de faire la transparence sur l'utilisation de l'argent public.

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Le groupe Renaissance considère que cette question est légitime mais pas opportune dans un texte budgétaire. Nous souhaitons qu'un tel changement se fasse à l'issue d'une concertation entre l'AEFE et le ministère des affaires étrangères. Votre amendement implique, en effet, une modification de la structure de l'AEFE et de la gouvernance des établissements en gestion directe, de façon assez radicale. Nous appelons donc à voter contre.

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Cela fait cinq ans que je parle de cette question avec les instances concernées et il y a au fond peu de résistance. Les gens sont conscients que la gestion est très différente selon que les lycées sont en gestion directe ou non, et ceux qui sont sur le terrain sont majoritairement d'accord avec moi. Il y a eu une concertation et l'évolution ne sera pas radicale. Par ailleurs, la Cour des comptes a repris l'AEFE : il y a eu des fausses factures, faites entre soi, pendant des années.

Nous n'atteindrons pas l'objectif fixé par le président de la République si nous ne séparons pas les fonctions à l'intérieur de l'opérateur. Tout le monde sait que le fait que l'AEFE soit d'un côté gestionnaire d'une soixantaine de lycées – je suis un défenseur des établissements en gestion directe, qui sont à la fois utiles et beaux – et, d'un autre côté, coordinatrice de l'ensemble du réseau pose des problèmes et nécessite une réorganisation. Chaque fois que je propose d'avancer, on me répond que ce n'est pas dans la loi définissant les statuts.

Mon amendement tend à réaliser enfin ce changement nécessaire, qui devra intervenir d'ici au 1er janvier 2024. Je suis tout à fait d'accord avec l'idée qu'il faut prendre le temps, pour ne brutaliser personne, même si les gens sont prêts : certains ne travaillent que pour la soixantaine de lycées gérés par l'AEFE. Cela aidera l'Agence à faire son travail et à constituer des équipes pour développer le réseau.

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Frédéric Petit fait le même constat année après année, et ce qu'il propose n'a rien d'un bouleversement radical. C'est une amélioration simple et nécessaire, qu'il faut apporter maintenant. Nous sommes nombreux à penser que l'action publique prend trop de temps. Le moment de passer à l'acte est venu.

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On voit que le Gouvernement ne veut pas être gêné par cet amendement et annonce donc une grande réforme pour plus tard. M. Petit soulève un vrai problème, auquel il esquisse une solution dans son amendement. Je voterai pour, même si je ne suis pas sûr qu'il soit constitutionnel et donc recevable. Nous abordons en effet, dans le cadre d'un avis budgétaire, une question relative à l'organisation de l'éducation nationale, qui impliquerait une modification du code de l'éducation. Cela dit, cela ne me gêne pas. Nous pouvons voter pour et faire ainsi un signe politique précis, en étant simplement conscients que l'amendement pourrait être considéré en séance comme irrecevable.

La commission adopte l'amendement.

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Examen pour avis et vote des crédits de la mission Économie – commerce extérieur et diplomatie économique (M. Jean-François Portarrieu, rapporteur pour avis)

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Notre rapporteur pour avis a choisi de consacrer la partie thématique de ses travaux à l'aéronautique, principal atout de la France à l'exportation. Ce choix me paraît très légitime car l'aéronautique, civile et militaire, dégage les excédents les plus importants de la balance commerciale française, le résultat net de ce secteur étant supérieur à 23 milliards d'euros ces dernières années. La France, qui a 22 % du marché aéronautique mondial, est le deuxième exportateur, derrière les États-Unis, qui détiennent 35 % du marché.

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Nous examinons les crédits de la mission Économie qui sont destinés au financement et au soutien au commerce extérieur de la France. Ces crédits, qui sont orientés à la hausse, visent principalement à soutenir les entreprises françaises sur les marchés étrangers, à promouvoir l'attractivité du territoire et à faire de la régulation internationale un atout pour l'économie française.

L'examen du budget constitue pour notre commission l'occasion d'examiner les instruments, les objectifs et les modalités de la diplomatie économique. Cette année, comme vous l'avez dit, monsieur le président, j'ai choisi de consacrer la partie thématique de mon rapport à la filière aéronautique, qui constitue l'un des principaux atouts de la France à l'exportation.

Je reviendrai tout d'abord sur la situation actuelle des échanges internationaux et du commerce extérieur français avant de me pencher sur l'état et les perspectives de la filière aéronautique française, avec l'objectivité mais aussi la passion d'un député toulousain qui parle d'avions.

Le commerce international a été, ces dernières années, confronté à un triple choc : la crise liée à la pandémie mondiale du Covid-19 ; une crise, plus profonde, liée à la recomposition des chaînes d'approvisionnement mondiales et se traduisant par des tensions incontestables pour certains intrants critiques ; enfin une crise liée à la situation géopolitique et aux conséquences de la guerre en Ukraine, qui engendrent notamment une hausse importante du coût de l'énergie.

La superposition de ces crises a eu un impact très significatif sur le commerce international, entraînant une rupture majeure dans la dynamique des échanges mondiaux à partir de 2020. Malgré un rebond important en 2021, on relève aujourd'hui un tassement de la croissance des échanges, notamment suite à l'invasion russe en Ukraine, au mois de février.

S'agissant plus spécifiquement du commerce extérieur français, notre déficit s'est à nouveau dégradé d'environ 21 milliards d'euros en 2021, pour atteindre près de 85 milliards. On peut en grande partie l'imputer à l'alourdissement de notre facture énergétique : cela représenterait, selon mes auditions, entre 18 et 20 % de l'évolution. La situation actuelle s'explique également par une reprise beaucoup plus lente dans l'aéronautique, premier secteur excédentaire pour la France, qui n'a pas encore retrouvé son niveau d'avant-crise alors que l'ensemble des autres secteurs enregistrent de bons, voire de très bons résultats. Ainsi, des filières telles que la chimie, le luxe, l'agroalimentaire, la pharmacie, le textile et certains biens d'équipement ont retrouvé, voire dépassé, leur niveau d'avant la crise.

La méthode d'élaboration des chiffres du commerce extérieur est peut-être un peu trop statique. Elle tient simplement compte des échanges de biens, alors que ceux relatifs aux services ont considérablement augmenté ces dernières années – je consacre de plus amples développements à cette question dans mon rapport. Néanmoins, cela ne veut pas dire que nous ne pourrions pas faire mieux, notamment en comparaison de nos partenaires allemands et italiens.

En matière d'export, la psychologie et la confiance sont primordiales. Il a ainsi été question au cours de mes travaux, à plusieurs reprises, d'un manque d'appétence pour l'export, du côté des entreprises comme des étudiants. Il y a manifestement des insuffisances dans le domaine de la formation – c'était d'ailleurs un des volets du discours de Roubaix, en 2017, sur la stratégie du Gouvernement en matière de commerce extérieur. Il me semble que les crédits mobilisés pour soutenir le commerce extérieur devraient permettre de mieux former, de mieux accompagner les entreprises et de mieux valoriser nos atouts, sans ignorer pour autant nos faiblesses. Nous devons favoriser un environnement à même de permettre à nos jeunes et à nos entreprises de se projeter dans le monde.

Le rehaussement des crédits mobilisés au profit des opérateurs, notamment Business France, correspond en partie à cette ambition. La subvention supplémentaire de 16 millions qui est prévue a, en particulier, vocation à renforcer l'investissement dans la digitalisation. En effet, on a vu au cours de la crise sanitaire que ce sont les entreprises les plus digitalisées qui ont fait preuve de la plus forte résilience. La hausse des crédits a aussi pour objectif de permettre un déploiement plus large des programmes dits boosters, visant à accompagner plus finement et plus fortement les secteurs ou les zones géographiques stratégiques. Il s'agit aussi de mieux valoriser la marque France et de mieux accompagner nos entreprises sur les événements et les salons qui permettent de faire concrètement la différence. Les Allemands et les Italiens sont encore mieux positionnés que nous sur ce terrain mais il faut reconnaître que des progrès ont été réalisés.

J'en viens à la filière aéronautique, qui constitue notre principal atout à l'export. Le dynamisme économique de cette filière a un impact notable sur notre balance commerciale, dont elle est le premier contributeur, à hauteur de 20 milliards d'euros en 2021, devant la chimie, les parfums et la cosmétique, ainsi que l'agroalimentaire, qui représente 8 milliards.

Avant la crise sanitaire, l'excédent de la filière aéronautique était en progression presque constante depuis 2009. Il avait plus que doublé, atteignant en 2019 un record de 31,1 milliards. Aujourd'hui, les exportations aéronautiques connaissent, de loin, la dynamique de rattrapage la plus faible, en raison des difficultés persistantes du transport aérien et de l'absence de visibilité à moyen terme. En 2021, les exportations ont enregistré une hausse de 5 % par rapport à 2020 mais demeurent en baisse de 43 % par rapport à 2019.

La filière aéronautique a été très sévèrement touchée par la crise sanitaire, qui a provoqué un arrêt brutal du trafic aérien et, par extension, un recul des prises de commandes d'appareils. Cette crise historique du transport aérien mondial a lourdement touché l'industrie aéronautique française. D'une part, la chute du trafic a entraîné mécaniquement une très forte réduction des activités de maintenance sur les flottes en service, activités qui constituent une source majeure de revenus pour les motoristes et certains équipementiers. D'autre part, les compagnies aériennes, confrontées à une dégradation très rapide de leur trésorerie et à de fortes incertitudes sur le redémarrage du trafic, ont été contraintes de reporter les prises de livraisons et de suspendre, voire d'annuler leurs commandes d'appareils neufs. Au niveau national, la filière a ainsi connu une chute de plus de 30 % de son activité industrielle en 2020.

Encore marquée par les effets de la crise sanitaire et désormais exposée aux conséquences de la guerre en Ukraine, la filière s'efforce en cette période de forte reprise de l'activité mondiale de garantir la pérennité de ses chaînes logistiques, ainsi que ses approvisionnements stratégiques.

Les difficultés auxquelles le secteur doit faire face incluent des problèmes de financement mais aussi de recrutement, pour répondre aux commandes et développer l'avion décarboné, environ 15 000 postes étant à pourvoir en 2022.

La filière fait également face à des problèmes conjoncturels importants, liés au contexte géopolitique, qui entraîne des tensions inflationnistes et des difficultés assez marquées en matière d'approvisionnement. Une difficulté particulière concerne le titane, notamment utilisé pour les trains d'atterrissage. Ce métal incontournable dans la production des avions modernes provient en grande partie de Russie, qui en est le premier pays producteur mondial. Il est impératif de diversifier au plus vite nos approvisionnements en matières premières critiques et d'apporter un appui aux filières de souveraineté, afin de sécuriser notre industrie. Je souscris donc à la proposition, formulée par Philippe Varin dans le rapport qu'il a remis au Gouvernement au début de l'année 2022, de constituer un fonds d'investissement dans les métaux stratégiques.

La filière aéronautique française a fait preuve d'une très forte capacité de résilience lors de la crise sanitaire. Elle doit à présent faire face à de nouveaux défis. Je suis convaincu qu'elle dispose des capacités pour les relever, avec le soutien résolu des pouvoirs publics. Maintenir notre excellence dans ce secteur nous permettra de continuer à compter sur la scène internationale et de peser sur les normes et les standards de l'aviation, qui évoluent très vite, notamment parce que les Chinois sont très offensifs. De cette manière, nous pourrons œuvrer utilement en vue de l'amélioration des appareils et de la réduction de leur empreinte carbone.

J'émets un avis favorable aux crédits de la mission Économie destinés au financement et au soutien au commerce extérieur de la France.

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Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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Le groupe Renaissance votera en faveur de ces crédits. La conjoncture internationale des deux dernières années, entre crise sanitaire, guerre aux portes de l'Europe et maintenant perturbations énergétiques, a un impact sur la balance commerciale de notre pays, même si l'attractivité de nos territoires et de nos savoir-faire industriels ne se dément pas.

Nous pouvons nous réjouir de la bonne tenue de la filière aéronautique française, excédentaire en 2020 et 2021 malgré un contexte de fortes tensions. Afin d'avoir une vision plus détaillée de l'internationalisation de notre économie, il faut souligner que les échanges de services étaient également excédentaires en 2021, de près de 18 milliards de plus qu'en 2020. Par ailleurs, la balance des transactions courantes était excédentaire l'an dernier, de près de 9 milliards d'euros, pour la seconde fois en quinze ans. Cela résulte de la politique protectrice menée durant le précédent quinquennat.

Néanmoins, comme l'a rappelé la Cour des comptes dans un rapport publié la semaine dernière, il convient de renforcer les dispositifs de soutien à l'exportation. La Cour souligne notamment l'importance de conclure des conventions de partenariat avec les principales organisations représentatives des entreprises et les fédérations professionnelles, afin qu'elles contribuent davantage à faire connaître la Team France Export et l'offre publique de soutien à l'export. La Cour recommande aussi le transfert des conseillers internationaux gérés par les chambres de commerce et d'industrie au sein des effectifs de Business France.

De manière générale, comme cela a été fait pour d'autres opérateurs, tels que l'Agence française de développement, les missions et le positionnement de Business France nécessitent une vraie réflexion stratégique, de trop nombreux acteurs publics et privés intervenant dans ce domaine – outre Business France et les chambres de commerce et d'industrie, on peut citer les régions, BPIFrance, les ambassadeurs ou encore les services de la direction générale du Trésor. Il y va de la visibilité et de la cohérence de notre politique de soutien à l'export dans les années à venir.

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Le Rassemblement national défend et soutient depuis toujours le patriotisme économique. Nous ne dénonçons pas le capitalisme et le grand marché mais leurs dérives et leurs règles à géométrie variable. Quand de nombreux pays n'hésitent pas à protéger leur appareil productif et leur industrie, la France est un élève zélé du libéralisme. Cette absence de protectionnisme nous a menés à la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. La dernière année où le solde de la balance commerciale était positif était 2002… Notre déficit commercial s'élevait à 58 milliards d'euros en 2017, et à 84 milliards l'an dernier. Notre industrie, toujours plus contrainte par l'Union européenne, est incapable de se défendre face aux prédateurs étrangers que sont la Chine, l'Allemagne et les États-Unis. Les actions du plan France relance, annoncé par Emmanuel Macron, tardent à se faire sentir.

En 2021, le secteur agroalimentaire affichait 8,2 milliards d'euros d'excédents. Sans les vins et les spiritueux, il enregistrerait un déficit de 6 milliards. Le déficit s'est aggravé dans les autres secteurs, de 3 milliards pour les fruits et de 1,2 milliard pour la viande. Nous importons de l'autre bout du monde, par tankers, de surcroît alimentés au fioul, des millions de tonnes de colza génétiquement modifié pour faire du biocarburant, alors qu'il est formellement interdit d'en produire en France. Par ailleurs, nous disposons du deuxième domaine maritime mondial mais le déficit des produits de la mer et de l'aquaculture est toujours aussi abyssal. Ce ne sont là que quelques exemples : on pourrait poursuivre longtemps cette liste.

Sans la guerre en Ukraine, c'est-à-dire le manque de gaz et l'envolée des prix des énergies fossiles qui ont suivi, vous auriez continué, par pure idéologie, à réduire, voire à démanteler notre activité nucléaire civile. Cela fait quarante ans que nous détruisons et délocalisons nos outils, et que nous n'investissons pas assez dans les secteurs qui créent de l'emploi, hormis les services, alors qu'on connaît la fragilité du secteur tertiaire, en raison de la forte concurrence des pays émergents et de la numérisation de l'économie.

Le tourisme est l'une des rares activités qui fonctionne encore car, grâce au ciel, elle n'est pas délocalisable. Nous sommes capables de protéger le monde des arts et de la culture, avec notre fameuse exception culturelle. Si nous sommes d'accord, au Rassemblement national, pour protéger nos artistes, nous le serions tout autant pour protéger nos ouvriers, nos employés et nos cadres des autres secteurs industriels et commerciaux. Il est grand temps d'arrêter la course effrénée à la mondialisation, source de gaspillage, de pollution et de tragédies sociales. Nous voterons donc contre ces crédits.

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Le rapport qui vient de nous être présenté me semble assez éclairant sur les priorités réelles du Gouvernement en matière de relations internationales. Pendant que le ministère des affaires étrangères affronte de graves tensions dues à une réforme qui détruit un mode de fonctionnement éprouvé – je vous remercie, monsieur le président, d'avoir souligné que personne dans cette commission n'est d'accord avec cette réforme, qui semble pourtant devoir s'appliquer, ce qui pose un assez grave problème démocratique –, tout va pour le mieux s'agissant de la diplomatie économique. D'un côté, on propose de dématérialiser un grand nombre d'opérations ayant trait aux demandes de visas, et de l'autre on renforce la longue liste des dispositifs spécifiques, et individualisés, qui sont déployés pour assister les entreprises sur les marchés internationaux. Chacun voit bien que vous faites deux poids, deux mesures.

Les conditions du dispositif Cap France Export sont ainsi très surprenantes : elles vont bien au-delà des prêts garantis par l'État lors de la crise du Covid, qui n'ont d'ailleurs que peu aidé, voire pas du tout, nos très petites et moyennes entreprises (TPE et PME), les critères étant particulièrement drastiques. Pourquoi un tel déséquilibre ? Alors que nous concevons la diplomatie d'influence comme une manière d'aborder les relations internationales en œuvrant à davantage de coopérations et de droits pour les peuples, vous allez dans le sens d'une subordination de notre outil diplomatique à des intérêts privés. Il est ainsi question dans le rapport écrit, s'agissant de l'appareil d'État, « d'attirer les investisseurs étrangers » et « d'influencer les normes internationales », sans doute en faveur du libre-échange et de la concurrence libre et non faussée.

Comment peut-on penser, dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine et la probabilité élevée que des conflits de haute intensité aient lieu dans les prochaines années, que la priorité de notre diplomatie se limite à la diplomatie économique ? J'y vois un marqueur idéologique particulièrement grave de ce qui structure votre vision des rapports de force internationaux. On pourrait résumer ainsi : aucun problème à faire des affaires avec des dictatures tant que les marchés sont rentables, ce qui est évidemment inacceptable. J'avais interrogé la ministre sur l'impunité qui règne en France pour le cimentier Lafarge mais nous n'avions pas eu de réponse. Le groupe a été condamné hier, outre-Atlantique, à une amende de 778 millions de dollars pour avoir commercé avec Daech en Syrie.

Nos ambassadeurs ont une vraie expertise et une vraie intelligence de l'aire géographique dans laquelle ils évoluent. Ne les cantonnons donc pas à un rôle de vendeur-représentant-placier (VRP) des intérêts des multinationales du CAC40. Je vous rejoins, monsieur le rapporteur pour avis, quand vous écrivez que l'outil économique est un outil de hard power, mais pas concernant la prééminence donnée au volet économique.

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Nous ne pouvons pas être d'accord avec ce que vient de dire Clémentine Autain. Ce sont les entreprises qui créent des emplois et de la richesse. Tous les autres pays soutiennent leurs entreprises et je ne vois pas au nom de quoi la France ne devrait pas le faire, y compris dans des pays qui, sans aller jusqu'aux dictatures les plus terribles, ne sont pas réputés pour être parfaits en matière de droits de l'Homme. Sinon je ne vois pas avec qui on commercerait.

Je trouve qu'il est normal que notre diplomatie soit aux côtés des entrepreneurs français dans le monde. Ayant été le rapporteur de ce budget, j'ai vu dans de nombreux pays l'importance de l'action menée par les ambassadeurs et les missions économiques pour soutenir nos entreprises. Ce n'est pas une question idéologique mais du pragmatisme. Si nous ne faisons pas ce travail, madame Autain, d'autres le feront, et les emplois et la richesse disparaîtront encore davantage dans notre pays. Il n'y a pas de raison, sinon idéologique, d'abandonner la diplomatie économique.

L'aéronautique dégage un excédent majeur de notre balance commerciale – l'agroalimentaire et l'agriculture étaient autrefois notre principal secteur excédentaire mais ce n'est plus le cas. J'observe néanmoins que l'excédent concernant les produits agroalimentaires transformés repart à la hausse, ce qui est peut-être bon signe. Nous attendons du Gouvernement un plan massif pour l'agriculture française et une vision de son avenir, y compris à l'international, face au défi alimentaire mondial, qui est l'enjeu majeur de notre temps et commande donc tout le reste.

Pour ce qui est des chiffres, vous avez raison de dire qu'il faut une vision plus globale, Monsieur le rapporteur pour avis, et que c'est la balance courante qui est la meilleure expression du rapport entre les entrées et les sorties sur le plan économique. Il faut tout de même continuer à regarder l'évolution du déficit commercial, car c'est celui de notre industrie et de notre agriculture. Or sans industrie et sans agriculture, il n'y a pas tellement de services derrière ; même le tourisme a du mal. Il y a des raisons de s'inquiéter pour 2022 : le déficit prévisionnel tourne au-delà de 100 milliards d'euros, au lieu de 85 milliards.

J'ajoute qu'il faut absolument faire du benchmarking – cela pourrait d'ailleurs être l'objet d'un travail commun de notre commission et de celle des finances. Notre dispositif d'appui est-il à la hauteur de ce que font nos principaux concurrents, l'Allemagne et l'Italie ? La subvention pour l'équivalent italien de Business France était de 240 millions d'euros ces dernières années, contre 100 millions en France, complétés par quelques contributions d'autres ministères. Nous sommes donc extrêmement en retard. Si nous faisons ce travail de recherche, qui n'existe pas, même à la direction générale du Trésor, dont cela devrait pourtant être la mission, nous pourrons mieux affecter les moyens, en particulier pour les foires et les salons, principal outil des exportateurs, notamment les PME. Il faut que plus d'entreprises exportent. De grands efforts de simplification ont eu lieu ces dernières années mais le travail n'est pas terminé. Il faut que notre dispositif public soit à la hauteur.

Le groupe Les Républicains votera pour ces crédits parce que nous sommes volontaristes et que nous croyons que les choses progressent.

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La balance commerciale de la France, structurellement déficitaire, subit les effets négatifs de la hausse des prix de l'énergie, ainsi que de la reprise de l'activité économique, qui a conduit à des importations substantielles de produits pour la relance industrielle intérieure. Quant au secteur aéronautique, il connaît une timide reprise et, bien qu'étant bénéficiaire, il n'a pas retrouvé son niveau de 2019.

Certains éléments positifs peuvent toutefois fonder notre réflexion pour rebondir.

D'abord, une fois ôtée la hausse de l'énergie, le déficit est stable par rapport à l'année dernière.

La balance courante, un indicateur plus global que la balance commerciale, est à l'équilibre, à 0,4 % du PIB en 2021, en amélioration par rapport à 2020 ; les exportations de services sont satisfaisantes. Bien que ce ne soit pas le cas pour l'aéronautique, certains secteurs – agroalimentaire, textile, produits pharmaceutiques – connaissent une croissance encourageante et ont dépassé le niveau atteint avant la crise sanitaire. L'Union européenne enregistre la plus forte croissance de nos exportations, preuve s'il en fallait de l'importance du marché européen.

La récente dépréciation de l'euro face au dollar et le faible taux d'inflation en France par rapport à nos concurrents de la zone euro pourraient doper notre compétitivité dans les mois et les années à venir. La France est en outre le pays européen le plus attractif pour les investisseurs depuis trois ans.

Il est cependant dommage que la stratégie de diplomatie économique soit répartie, voire « saupoudrée » sur cinq missions dans le projet de loi de finances. C'est un frein à une stratégie globale et à une plus forte synergie entre les différents acteurs.

Les mauvais résultats de notre balance commerciale ne doivent pas éclipser la réalité, qui est un peu moins sombre que certains voudraient le faire croire. C'est la raison pour laquelle le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés votera ces crédits.

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L'année dernière, la crise sanitaire et ses conséquences économiques avaient amené notre commission à se pencher, d'une part, sur les relocalisations industrielles stratégiques et, d'autre part, sur le sujet épineux des accords commerciaux. Le déficit commercial s'est encore dégradé en 2021, pour atteindre le niveau record de 84,7 milliards. Dans le même temps, le nombre d'exportateurs atteint un sommet.

Dans un récent rapport sur les dispositifs de soutien à l'exportation, la Cour des comptes recommande de charger le Conseil stratégique de l'export de veiller à l'articulation de l'offre de soutien à l'exportation avec les mesures de soutien à la compétitivité, la politique industrielle et l'évolution des conditions d'exportation, de mieux intégrer les chambres de commerce et d'industrie (CCI) et BPIFrance dans la Team France Export, notamment par le biais de la plateforme numérique One Team, de conclure des conventions de partenariat avec les principales organisations représentatives des entreprises et les fédérations professionnelles et aussi de définir une offre gratuite de services à destination de toutes les entreprises souhaitant exporter, ainsi qu'une offre personnalisée pour celles jugées prioritaires.

Ces pistes sont-elles suffisamment explorées dans les choix budgétaires ? Nous serons attentifs à ce que l'ambition de renforcer le commerce extérieur, que notre commission exprime régulièrement, soit accompagnée de réels moyens.

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La France veut s'appuyer sur son fleuron industriel, l'industrie aéronautique, pour retrouver l'équilibre de son commerce extérieur. Or, pour respecter ses engagements internationaux, en particulier l'accord de Paris, elle devrait réduire de moitié le nombre de passagers annuels dans les avions d'ici vingt ans. Nos objectifs en matière de commerce extérieur ne peuvent s'exonérer de nos engagements internationaux dans la lutte contre le changement climatique.

M. le rapporteur pour avis a certes exposé les stratégies industrielles de décarbonation pour l'aviation – l'ancien ministre des transports avait annoncé l'avion hybride pour demain et l'avion à hydrogène pour après-demain. En réalité, l'avion décarboné ne sera pas prêt avant 2040 ou 2050, alors que des engagements ont été pris pour 2030. Il n'y a pas de plan B : même si des techniques existent pour alléger le poids environnemental de l'aviation, on ne peut évacuer l'obligation de réconcilier la santé des riverains et la capacité des aéroports.

Hormis un rattrapage dans les années 2010, notre balance commerciale se dégrade depuis vingt ans. Cette évolution est due au décrochage de notre compétitivité, à la stratégie d'internationalisation de nos entreprises, qui a conduit à des délocalisations, ainsi qu'à une désindustrialisation, que tous condamnent.

Il est vrai que notre dépendance aux énergies fossiles et le sous-investissement dans les énergies renouvelables pèsent aussi : réinvestir ces énergies aura aussi des conséquences bénéfiques sur notre commerce extérieur.

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La plupart des entreprises françaises de l'étranger (EFE) se sont retrouvées à bout de souffle après la pandémie car, étant de droit local, elles n'ont pas pu bénéficier des mécanismes de soutien déployés par l'État français, notamment des aides du plan France relance, si efficaces pour les entreprises exportatrices basées en France. À cette situation précaire s'ajoute l'absence d'aides locales : 87 % de ces structures n'ont reçu aucun soutien de leur pays d'accueil.

Les entrepreneurs français de l'étranger ont été les grands oubliés de la crise sanitaire. Or ils concourent fortement au rayonnement et au commerce extérieur de la France, en promouvant un savoir-faire à la française ou en recommandant le recours à des produits ou des services français.

Ils contribuent en outre à étendre l'influence de notre pays dans le monde : établis depuis longtemps à l'étranger, ils sont d'un grand conseil pour les nouveaux arrivants ou les grands groupes du fait de leur connaissance fine du pays. Il semble donc primordial que notre diplomatie économique reconnaisse le rôle que jouent ces dirigeants.

En tant que rapporteure pour avis des crédits alloués au commerce extérieur et à la diplomatie économique dans les projets de loi de finances pour 2021 et 2022, j'avais plaidé pour que les mécanismes de soutien financier à nos exportateurs prennent en considération les EFE, de même que les CCI installées à l'étranger, dont elles font souvent partie et qui forment le noyau dur de nos communautés d'affaires.

Le PLF pour 2023 prévoit-il des mécanismes de soutien financier des EFE en difficulté ? Le sujet a-t-il été évoqué lors des auditions ?

Enfin, les opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI) sont-ils désormais mieux pris en compte dans les dispositifs d'appui à l'exportation ?

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Contrairement à ce que j'ai entendu ici ou là, certains d'entre nous soutiennent la réforme du corps diplomatique – elle pourrait d'ailleurs faire l'objet d'un échange de vues dans notre commission.

En tant que députée de la Drôme, forte de ses équipementiers aéronautiques et de ses entreprises exportatrices, je veux rappeler que le secteur aéronautique est sensible au contrôle à l'exportation, du fait de ses liens avec les ventes d'armes ou de biens à double usage, susceptibles d'avoir une utilisation civile et militaire.

Un règlement européen, entré en vigueur en septembre 2021, définit les contrôles que les États membres doivent effectuer s'agissant des biens à double usage. Quant au ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, il a récemment présenté deux rapports sur ces sujets, alors que des organisations non gouvernementales (ONG) accusent régulièrement des entreprises de s'être rendues coupables de complicité de crimes graves.

Nous sommes là face à un dilemme. S'il faut dire oui, mille fois oui, à une politique de soutien à l'export, ne soutenons pas n'importe quoi, n'importe où, pour n'importe qui, et agissons dans le respect de nos engagements internationaux.

Comment les parlementaires peuvent-ils contrôler l'action du Gouvernement sans entraver sa politique de soutien à l'export ?

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S'agissant de la réforme du corps diplomatique, j'ai seulement relevé, après avoir écouté l'ensemble des interventions, y compris celle de la porte-parole du groupe Renaissance, qu'aucune ne lui avait apporté explicitement son soutien : je n'ai observé que des attitudes critiques ou du silence. Cela souligne qu'il y a un vrai malaise à ce sujet.

Je n'en ai pas pour autant tiré la conclusion que personne, au sein du groupe Renaissance, comme du mien d'ailleurs, ne pouvait lui être favorable, et je vous donne acte, madame Clapot, de votre soutien à l'action du Gouvernement, dans ce domaine comme dans d'autres.

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Monsieur Vuibert, le rapport de la Cour des comptes fournit des pistes pour améliorer la cohérence des dispositifs et mieux coordonner les actions des intervenants. Notre politique publique d'accompagnement des entreprises à l'international a pour particularité de répondre à la double tutelle du ministère des affaires étrangères et du ministère de l'économie : il y aurait intérêt à fusionner certaines initiatives.

Monsieur Buisson, notre déficit extérieur s'est en effet dégradé ; monsieur Forissier a souligné le fait que le seuil des 100 milliards sera largement dépassé. Mon rapport insiste sur la nécessité de faire mieux que ce que nous faisons, tout en considérant que nous faisons déjà mieux que ce que nous avons fait. Entre 18 % et 20 % du déficit sont dus au choc énergétique : il faut donc retrancher un cinquième aux 85 milliards, ce qui n'est guère encourageant pour autant.

D'un point de vue méthodologique, il faut plutôt prendre en considération la balance courante et mieux intégrer les échanges de services aux échanges de biens, en particulier dans le tourisme.

Madame Autain, je ne partage pas votre point de vue sur la subordination de la puissance publique aux intérêts des entreprises. Accompagner les entreprises est une nécessité : tous les acteurs ont indiqué que, sans le soutien de l'État, la filière aéronautique se serait effondrée. Le rapport de Philippe Varin et ses références aux terres rares posent une question clé : en quoi la puissance publique peut-elle garantir l'approvisionnement en certaines matières et matériaux indispensables à notre industrie ?

Monsieur Forissier, vous avez insisté sur le défi de l'agroalimentaire, qui connaît une hausse de 13 % cette année, et rappelé le poids de cette industrie dans notre balance commerciale il y a quelques années. Je partage la nécessité d'un benchmarking, que j'appelle « parangonnage ». Nous avons du retard sur nos concurrents allemands ou italiens, notamment sur le marché des foires et salons. Le dispositif Booster est efficace dans ce domaine : les entreprises qui n'en bénéficient pas accusent, d'une année sur l'autre, un taux de perte à l'export de 25 %, contre 7 % seulement pour les entreprises accompagnées. Nous savons donc accompagner les entreprises mais pouvons encore mieux faire.

Monsieur Fuchs a fait état de l'équilibre de la balance courante de la France. Cela incite à revoir la méthode statistique adoptée.

Parmi les recommandations de la Cour des comptes que vous avez rappelées, monsieur Alain David, je retiens la suggestion de créer des conseils stratégiques de l'export à l'échelon régional, pour renforcer la coordination avec les CCI régionales et les collectivités. La Team France Export, créée il y a trois ans, a commencé à répondre en partie à ces enjeux.

Monsieur Hubert Julien-Laferrière, je partage avec vous la nécessité d'aller à marche forcée vers l'avion décarboné, ce que les acteurs de la filière aéronautique font de bonnes fois. Si notre poids au sein des instances internationales de régulation et de définition des standards internationaux diminue, faute de confiance dans les perspectives de la filière, on se heurtera à la montée offensive des Chinois, qui ne partagent pas nos standards en matière de réduction de l'empreinte carbone. Le marché de l'aviation commerciale est régi par des normes mouvantes : il y a quelques semaines, une réunion de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) au Canada a donné lieu à des affrontements, qui laissent présager une montée en puissance des Chinois, notamment. Ces derniers soutiennent leurs constructeurs, susceptibles de malmener Airbus et Boeing.

Madame Lakrafi, je ne connais pas bien la situation précaire des EFE. La richesse créée par les 6 millions de salariés étrangers qui travaillent dans des entreprises françaises à l'étranger n'est pas prise en compte dans la méthode d'analyse des données et de recueil des chiffres. Seuls les dividendes le sont, s'ils remontent à des holdings dont le siège social est en France.

Enfin, madame Clapot, je n'ai pas abordé la question des biens à double usage dans mon rapport mais reste prêt à en discuter et à apporter un complément, si nécessaire.

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Le commerce extérieur est le miroir d'un pays. Sa fragilité doit nous alerter.

Article 27 et état B : Crédits du budget général

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Économie non modifiés.

La séance est levée à 12 h 45

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Damien Abad, Mme Nadège Abomangoli, Mme Clémentine Autain, Mme Véronique Besse, M. Carlos Martens Bilongo, Mme Chantal Bouloux, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Alain David, Mme Julie Delpech, M. Pierre-Henri Dumont, M. Frédéric Falcon, M. Nicolas Forissier, M. Thibaut François, M. Bruno Fuchs, M. Guillaume Garot, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, Mme Olga Givernet, Mme Marine Hamelet, M. Joris Hébrard, M. Michel Herbillon, Mme Laurence Heydel Grillere, M. Alexis Jolly, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Brigitte Klinkert, Mme Stéphanie Kochert, Mme Amélia Lakrafi, Mme Élise Leboucher, M. Jean-Paul Lecoq, M. Vincent Ledoux, M. Sylvain Maillard, Mme Emmanuelle Ménard, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, Mme Barbara Pompili, M. Jean-François Portarrieu, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, M. Patrick Vignal, M. Lionel Vuibert, M. Christopher Weissberg, M. Éric Woerth, Mme Caroline Yadan, Mme Estelle Youssouffa

Excusés. - M. Louis Boyard, M. Moetai Brotherson, Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Olivier Faure, M. Meyer Habib, M. Arnaud Le Gall, M. Tematai Le Gayic, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Marcangeli, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, Mme Laurence Vichnievsky, M. Frédéric Zgainski

Assistait également à la réunion. - M. Dino Cinieri