La réunion

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Jeudi 26 janvier 2023

La séance est ouverte à 11 heures 35.

(Présidence de M. Jean-Félix Acquaviva, président de la commission)

La commission auditionne M. Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna, Mme Florence D'Andrea, inspectrice générale de la justice, membre de la mission, M. Thierry Landais, inspecteur de la justice, membre de la mission, et M. Christophe Straudo, inspecteur général de la justice, chef de l'Inspection générale de la justice.

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Mes chers collègues, nous accueillons les membres de l'Inspection générale de la justice (IGJ) ayant conduit la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression mortelle d'Yvan Colonna. Leur rapport a été rendu public en juillet dernier.

Je souhaite donc la bienvenue à M. Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission, Mme Florence D'Andrea, inspectrice générale de la justice, membre de la mission, et à M. Thierry Landais, inspecteur de la justice, membre de la mission. Ils sont accompagnés de M. Christophe Straudo, inspecteur général de la justice, chef de l'Inspection générale de la justice, et de Mme Jocelyne Randé, chargée de mission, à qui je souhaite également la bienvenue.

Madame, Messieurs, votre rapport édifiant fait état de plusieurs manquements et de dysfonctionnements qui, même si l'agression mortelle d'Yvan Colonna ne s'était pas produite, auraient suscité un étonnement certain s'agissant notamment de l'utilisation de la vidéosurveillance ou de l'absence d'orientation de M. Elong Abé en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER).

Nous souhaiterions vous entendre sur la manière dont vous avez mené votre mission et savoir si vous avez pu accéder à l'ensemble des éléments vous permettant de l'accomplir pleinement. Nous avons par ailleurs des interrogations sur la nature des dysfonctionnements que vous avez constatés, tant au niveau de l'établissement que des services centraux et déconcentrés de l'administration pénitentiaire. S'agit-il de manquements classiques, que vous constatez régulièrement dans le cadre des missions d'inspection, ou sont-ils à vos yeux exceptionnels ? Sortent-ils de la norme – si tant est qu'il y en ait une – des manquements habituellement relevés quant à leur nombre, leur ampleur et leur nature ?

Madame et Messieurs, notre rapporteur M. Marcangeli vous a transmis un questionnaire préalablement à votre audition. Je vous invite à communiquer ultérieurement les éléments de réponse écrits, ainsi que tout autre élément d'information que vous jugeriez utile de porter à la connaissance de la commission d'enquête. Celle-ci revêt une importance particulière pour la Corse – le rapporteur et moi-même sommes députés de la Corse –, mais également au-delà, pour le fonctionnement de l'administration pénitentiaire, l'État de droit et la démocratie, au regard des événements particulièrement graves qui se sont déroulés il y a bientôt un an, le 2 mars 2022.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Jean-Louis Daumas, Mme Florence d'Andrea, M. Thierry Landais et M. Christophe Straudo prêtent serment.)

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Christophe Straudo, inspecteur général de la justice, chef de l'Inspection générale de la justice

Je souhaitais rappeler le cadre dans lequel l'Inspection générale est intervenue. À la suite des faits sur lesquels vous vous penchez, le 3 mars 2022, le Premier ministre a saisi l'Inspection générale d'une mission d'inspection de fonctionnement de la maison centrale d'Arles. La lettre de mission en précisait les objectifs : évaluer le parcours judiciaire de Franck Elong Abé ; évaluer le niveau de surveillance et de sécurité mis en place dans le cadre de la prise en charge de Franck Elong Abé et d'Yvan Colonna, tous deux inscrits au répertoire des détenus particulièrement signalés (DPS) ; évaluer les modalités de fonctionnement et les éventuels dysfonctionnements du centre pénitentiaire ayant favorisé la survenance des faits ; enfin, évaluer le respect des pratiques professionnelles et formuler toute recommandation utile.

Nous avions quatre mois pour rendre notre rapport, précédé d'un rapport intermédiaire à remettre dans un délai d'un mois. Ce dernier a été remis le 22 mars 2022, et les membres de la mission et moi-même l'avons restitué oralement au directeur de cabinet du Premier ministre, M. Nicolas Revel.

Le 6 avril 2022, le Premier ministre m'a saisi d'une lettre complémentaire visant à étendre la mission, partant du constat que les éléments du rapport intermédiaire étaient susceptibles de justifier la mise en œuvre de procédures disciplinaires et de faire apparaître un possible manque de contrôle et de supervision aux échelons régional et central. Il a chargé la mission d'approfondir les circonstances dans lesquelles se sont produits les faits. Il a notamment été demandé à la mission d'évaluer le fonctionnement des dispositifs de supervision et de contrôle déployés à la maison centrale d'Arles, mais aussi aux échelons interrégional et national, avec deux points d'attention : les outils d'exploitation de la vidéosurveillance et l'orientation dans un QER. Nous devions également déterminer les modalités de prise en charge adaptées au profil de la personne détenue appliquées à la situation de l'auteur de l'agression. Enfin, le Premier ministre m'a demandé d'étayer la caractérisation de manquements disciplinaires individuels.

J'ai ainsi réuni les membres de la mission et j'ai établi une note de service le 13 avril 2022. Le 4 juillet 2022, le rapport définitif a été communiqué – vous en avez eu connaissance – et restitué oralement le 28 juillet au directeur de cabinet de la Première ministre, M. Aurélien Rousseau, en ma présence et celle des membres de la mission. Le jour même, la Première ministre a décidé de rendre ce rapport public, après anonymisation par mes services.

Je souhaitais également rappeler le parcours des membres de la mission. Jean-Louis Daumas, responsable de mission, a débuté sa carrière comme éducateur, avant de devenir directeur adjoint du centre de détention de Melun puis directeur du centre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis et directeur de deux établissements pénitentiaires. Il a ensuite été directeur interrégional de la région Picardie, puis directeur de l'École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse. Il a été conseiller du garde des Sceaux, avant d'être nommé directeur de la protection judiciaire de la jeunesse en 2011, puis de rejoindre l'Inspection générale des affaires sociales et, enfin, l'Inspection générale de la justice en 2018. Il est responsable au sein de notre service du département d'exécution des décisions de justice par l'administration pénitentiaire.

Florence D'Andrea, après un parcours de dix-sept ans dans la police nationale comme commissaire, a rejoint le corps de la magistrature. Elle a exercé plusieurs fonctions avant d'être nommée directrice interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse dans la région sud. Elle a rejoint l'Inspection générale en 2022.

Enfin, Thierry Landais est directeur des services pénitentiaires depuis 1988. Il a débuté sa carrière aux centres pénitentiaires de Nantes, puis de Fleury-Mérogis. Il a exercé diverses fonctions de direction, notamment au sein d'établissements pénitentiaires. Il a également exercé en direction interrégionale. Il a été chargé de mission auprès du directeur de l'administration pénitentiaire, inspecteur des services pénitentiaires et également détaché au contrôle général des lieux de privation de liberté, avant d'être nommé inspecteur de la justice en 2019.

La nomination de ces trois membres, au regard de leur parcours, me paraît être un gage de leur compétence et de leur capacité à mener cette mission.

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Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna

Bien que la mission ait impliqué une forme d'urgence et un départ assez rapide pour la maison centrale d'Arles, nous l'avons menée de manière habituelle. Le lendemain des faits, qui datent du 2 mars 2022, nous sommes partis tous les trois, accompagnés de notre collègue chargé de la communication – car nous nous attendions à d'éventuelles interpellations des médias aux abords de l'établissement, ce qui n'a pas été le cas. Nous sommes restés sur place deux jours pour dresser des premiers constats. En même temps, nous avons sollicité de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP), sous forme dématérialisée, la transmission de renseignements concernant la vie de l'établissement et le profil de la victime et de l'auteur de l'agression.

Nous n'avons rencontré aucune difficulté dans notre manière de travailler ou d'obtenir ces renseignements. Tous les échelons hiérarchiques – la direction d'établissement, la direction interrégionale et la DAP – nous ont communiqué rapidement et intégralement tous les documents demandés.

Ce premier déplacement a été suivi d'un deuxième, du 10 au 12 mai. Entre-temps, nous avons auditionné soixante-trois personnes – des fonctionnaires pénitentiaires, des magistrats, des personnes détenues écrouées à la maison centrale d'Arles – et nous avons rendu successivement deux rapports.

Trois raisons principales conduisent au fait survenu aux alentours de dix heures le 2 mars. D'abord, comme nous l'écrivons d'une manière assez détaillée dans notre rapport, nous avons constaté un défaut de surveillance dans l'aile gauche du bâtiment A. Le surveillant chargé de ce secteur de l'établissement appartient à une brigade : il a en charge la surveillance, certes de l'aile gauche, mais aussi de l'aile droite. Cette question a suscité d'importantes discussions au cours des auditions que vous avez menées : ce surveillant – bon agent, bien noté par sa hiérarchie – chargé d'un secteur assez large, aurait-il pu vaquer à des occupations normales dans l'autre aile ? Ce n'est pas le cas, et j'insiste sur ce fait. Nous avons vérifié en détail ce qui aurait pu l'amener à se rendre dans l'autre aile : or, il s'avère qu'il n'y était pas présent.

Nous avons vérifié les mouvements des personnes détenues. En effet, dans ce type d'établissement, dès lors que plusieurs personnes incarcérées sont regroupées dans un lieu pour une activité, elles doivent faire l'objet d'une surveillance active déployée par un membre du personnel. Or, aucune activité collective n'était organisée dans l'autre aile. Il a été question dans le rapport de l'organisation d'une activité de formation ce jour-là : ce n'était pas le cas.

Le 2 mars, ce surveillant n'avait pas de raison particulière de se rendre dans l'autre aile. Il s'est absenté durant une vingtaine de minutes, et notamment pendant les neuf minutes au cours desquelles a eu lieu l'agression dramatique.

Il n'était pas demandé au surveillant d'être présent physiquement dans la salle de musculation, parce qu'il aurait alors fallu que d'autres surveillants le soient dans la salle adjacente – un lieu de convivialité –, dans la bibliothèque, ou encore dans le salon de coiffure. Il est demandé à cet agent d'exercer une surveillance constante, mais aléatoire : il doit se déplacer dans l'aile entière. D'ailleurs, lorsque nous l'avons interrogé à deux reprises, il a très bien décrit sa fiche de poste, qu'il maîtrise, puisqu'il exerce ses fonctions depuis de nombreuses années dans l'établissement, et qu'il y est apprécié. Il a la réputation de bien effectuer son travail. La question ne porte donc pas sur sa présence dans la salle de musculation, mais bien dans le secteur. Or, c'est de ce secteur qu'il s'est absenté pendant une vingtaine de minutes, durant lesquelles il n'est pas capable de nous décrire ce qu'il a fait. L'absence du surveillant pendant une durée importante est la première raison qui a rendu possible cette agression.

La deuxième concerne la vidéosurveillance. L'établissement est correctement équipé : il compte plus de 280 caméras. L'équipement est pour partie récent : un certain nombre d'écrans ont été remplacés quelques mois avant mars 2022. Cependant, leur paramétrage et leur utilisation posent divers problèmes. Le jour des faits, le paramétrage est organisé de manière à surveiller principalement les circulations dans les zones d'hébergement, là où la population pénale est à proximité et en relation avec le personnel. Il est normal que l'administration s'assure que les personnels qui circulent avec la population détenue dans les couloirs soient protégés par cette surveillance de proximité.

Les caméras sont réparties entre le poste central d'information (PCI), à l'entrée de l'établissement, et le poste interne du bâtiment A. Cette question est essentielle : les agents qui tiennent ce second poste précisent qu'ils ne modifient pas le paramétrage car ils n'ont pas été suffisamment formés ou familiarisés à une bonne utilisation ou à un bon séquençage des images. Ils se contentent donc de regarder l'écran. Or, le jour des faits, ces images ne sont pas directement utiles, puisque les écrans ne rendent pas compte de ce qui se passe dans la salle de musculation. D'ailleurs, l'auteur de l'agression le sait bien : en visionnant les faits, on se rend compte qu'à quelques reprises, son attention est davantage mobilisée sur la porte qui donne accès à la salle de musculation – il veut vérifier si le surveillant va rentrer –, mais qu'il est totalement indifférent à la présence des caméras. Il a donc déduit que la vidéosurveillance n'était pas efficace.

Enfin, la dernière raison est la présence même de l'agresseur au sein de l'établissement. À deux reprises, durant son parcours d'exécution de peine, des cadres pénitentiaires ont proposé qu'il soit affecté en QER. En 2019, lorsqu'il est détenu à Condé-sur-Sarthe, les professionnels réunis dans la commission pluridisciplinaire unique (CPU) débattent de son évolution et proposent qu'il soit affecté en QER. La directrice interrégionale des services pénitentiaires de Rennes relaie cette proposition ; cependant, l'administration centrale n'affecte pas l'auteur de l'agression en QER, mais à la maison centrale d'Arles, sur la base – nous a-t-on dit – des avis défavorables émis par le magistrat du parquet et le juge de l'application des peines antiterroriste (JAPAT) qui estiment qu'il n'est pas opportun, à ce moment-là, de l'affecter en QER. Or, les normes définissant les QER, d'après une note de février 2017, modifiée le 31 janvier 2022, font état de deux exceptions à l'affectation de ces condamnés en QER : il faut que la personne soit parfaitement connue, ou qu'il existe une « impossibilité judiciaire ». Or, l'auteur de l'agression ne relevait d'aucune de ces deux exceptions.

En 2020 et en 2022, à quatre reprises, la CPU, unanimement, propose à la cheffe d'établissement de transmettre une proposition d'affectation de l'auteur de l'agression en QER. 6 % des 500 personnes étiquetées terroristes islamistes (TIS) rentraient dans les deux exceptions citées, ce qui signifie que depuis la mise en service des QER, la quasi-totalité de ces détenus y a été affectée.

À ces quatre reprises, la cheffe d'établissement n'a pas transmis la proposition de la CPU. Nous l'avons interrogée deux fois : elle n'a pas su nous en expliquer la raison.

Il est possible d'interpeler la direction interrégionale et la DAP sur l'exercice de leur pouvoir hiérarchique de contrôle de non-transmission du dossier. Nous ne disons pas que rien n'a été fait : une collaboratrice du directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille a tenté de faire aboutir la démarche. Mais en tout état de cause, à quatre reprises, la directrice ne transmet pas les informations ; c'est un de ses collaborateurs, un officier responsable du bureau de la gestion de la détention qui, en janvier 2022, après en avoir parlé à l'une des directrices adjointes de l'établissement, transmet le dossier à la direction interrégionale de Marseille.

C'est certainement la conjonction de ces trois facteurs qui amène au drame du 2 mars 2022.

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La commission des lois a auditionné librement l'ancienne directrice de la maison centrale d'Arles, le directeur actuel et le directeur de l'administration pénitentiaire actuel le 30 mars. Nous avons également pris connaissance de votre mission et avons procédé aux mêmes auditions dans le cadre de cette commission.

Vos propos, confrontés à ceux des autres personnes que nous avons entendues, sont essentiels. L'ancienne cheffe d'établissement, Mme Puglierini, nous a affirmé avoir transmis la demande en janvier 2022. C'est aussi ce qu'affirme le directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille : avant janvier 2022, il n'avait été alerté d'aucun incident ni d'aucune proposition d'orientation vers un QER. Dès qu'il en a eu connaissance, il a transmis et traité la demande. Ce n'est pas du tout ce que vous dites. D'ailleurs, vous indiquez que la demande a été transmise par une coordinatrice de la mission de lutte contre la radicalisation violente (MLRV), qui avait déjà fait part d'une alerte sur le sujet en février 2020, et par l'officier. Le dossier n'était donc pas en cours d'instruction et n'aurait pas été étudié le 9 mars, faute de transmission du rapport nécessaire. Or, on nous a affirmé le contraire – devant une commission d'enquête, ce qui revêt une gravité supérieure.

L'absence de réponse de l'agent quant à son absence pendant vingt minutes soulève par ailleurs l'incompréhension de notre commission.

Le directeur de l'établissement de Condé-sur-Sarthe et la directrice interrégionale ont suivi l'avis de la CPU, tandis que le parquet national antiterroriste (PNAT) et le JAPAT ont émis des avis « très réservé » et « réservé » quant à ces demandes. Pourtant, Franck Elong Abé ne rentrait pas dans les exceptions à l'affectation en QER. Treize TIS seulement n'ont pas été orientés en QER. Franck Elong Abé est donc le seul d'entre eux qui ne correspondait pas à l'une des deux exceptions. Le nombre d'incidents liés à cet individu, et le caractère connu de son extrême dangerosité en amont de son parcours carcéral ont justifié sa non-orientation en QER, tandis que les douze autres relevaient des exceptions évoquées. Le confirmez-vous ?

Par ailleurs, le PNAT et le JAPAT ne sont pas compétents réglementairement en matière post-sentencielle pour émettre un avis sur le transfert en QER, alors que les échelons déconcentrés au niveau interrégional font leur travail et suivent l'avis des CPU. Cette information est-elle exacte ? Ces avis réservés de la part des magistrats antiterroristes ont-ils concerné beaucoup d'autres cas similaires ? C'est un point très important. Les briques issues des modestes travaux de notre commission commencent à former un mur.

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Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna

6 % du vivier de TIS a échappé à l'affectation en QER. En revanche, nous ne connaissons pas leur profil détaillé. Nous ne pouvons donc pas dire si M. Elong Abé était le seul à ne pas répondre aux cas d'exception. La DAP sait qu'il existe environ 500 TIS et un nombre similaire de détenus identifiés radicalisés ou en voie de radicalisation, et que 6 % des TIS n'ont pas été affectés en QER. Toutefois, nous ne pouvons vous donner davantage de précisions.

Les magistrats du PNAT et le JAPAT ne sont pas compétents réglementairement pour se prononcer sur l'affectation en QER. En revanche, leur avis est requis pour toute demande d'orientation ou de transfèrement d'un détenu. L'administration pénitentiaire fait remplir par les différents acteurs institutionnels un dossier d'orientation et de transfèrement (DOT). Dans ce cadre, les autorités judiciaires émettent un avis, ce qui ne pose aucune difficulté. En revanche, un tel avis n'a pas à être pris en compte sur l'affectation en QER. Ce sont deux choses différentes : c'est une chose d'envisager le transfèrement d'un condamné ; c'en est une autre de l'affecter dans un QER. Si les deux magistrats ont tout à fait compétence pour remplir le DOT, la réglementation ne leur donne pas de compétence particulière pour se prononcer sur l'affectation en QER. Il nous semble donc que la DAP aurait pu ne pas tenir compte des avis de ces deux magistrats – car c'est sur la base de ces derniers que l'auteur de l'agression n'a pas été affecté en QER.

La DAP nous a indiqué que cet individu avait commis des infractions à la discipline, qu'il avait un profil compliqué, qu'il pouvait se montrer violent, et qu'il n'avait donc pas sa place en QER. Ce n'est pas du tout notre avis. Précisément, parce que sa personnalité est complexe et que sa date de libération – 2023 – était relativement proche, il aurait été utile de l'affecter en QER. La direction a estimé qu'il risquait de gêner le déroulement d'une session QER et le fonctionnement du groupe. Certes ; mais les sept QER en fonctionnement sont tous adossés à des établissements pénitentiaires structurés pour prendre en charge les personnalités difficiles. Les QER sont généralement installés dans d'importantes maisons d'arrêt urbaines. Quand bien même cet homme aurait perturbé une session, l'administration a les moyens de le mettre à l'écart en le plaçant dans un quartier d'isolement ou un quartier disciplinaire de l'établissement support. Il y a là une divergence d'approche entre la mission et la DAP.

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Il me semble qu'il serait utile que nous examinions plus précisément le profil de ces treize TIS.

Certains, devant cette commission, ont en effet fait valoir que ce détenu était trop violent et dangereux pour être affecté en QER. C'est le cas du directeur de l'administration pénitentiaire, mais également de la cheffe du service du renseignement pénitentiaire, qui travaillait précédemment au PNAT – ce qui montre d'ailleurs que les autorités judiciaires antiterroristes ont eu un avis clair sur le transfert en QER, et pas sur n'importe quel transfèrement.

Deux versions différentes nous ont été exposées pour ne pas suivre la conclusion de votre rapport : soit Franck Elong Abé allait mieux, et, pour préparer sa sortie, il était préférable de ne pas l'affecter en QER ; soit il était trop dangereux et il risquait de déstabiliser le QER. Ces deux récits ne sont pas concordants.

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Quelle est la fréquence d'inspection d'une maison centrale ? Vous avez été saisis en raison de la survenue de faits dramatiques et avez dû rendre votre rapport dans l'urgence. À quelle date avait été réalisée la dernière inspection de cet établissement ? Aviez-vous relevé et notifié à l'administration des problématiques particulières lors des inspections précédentes ?

S'agissant de la vidéosurveillance, aviez-vous déjà constaté de tels manquements dans la formation des agents et dans la mauvaise utilisation d'un matériel que vous avez décrit comme perfectionné ?

Nous avons notamment reçu M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, et M. Laurent Nuñez, au titre de ses précédentes fonctions en tant que coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Tous deux nous ont précisé, sans que la question leur soit posée, que Franck Elong Abé était « en haut du spectre » de la menace terroriste. Sa capacité de passage à l'acte était considérée comme certaine, en raison de son séjour en Afghanistan, de ses actes précédents et de son parcours carcéral. Comme l'a rappelé M. Nuñez, en aucun cas la directrice de l'établissement et sa hiérarchie – au niveau interrégional comme au niveau central – ne pouvaient l'ignorer. Pouvez-vous nous le confirmer ?

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Christophe Straudo, inspecteur général de la justice, chef de l'Inspection générale de la justice

Les archives de l'IGJ montrent que la maison centrale d'Arles n'avait pas fait l'objet d'une inspection de fonctionnement.

En 2022, vingt-trois inspections de fonctionnement ont été réalisées sur le territoire national, dont près d'une majorité concerne des établissements pénitentiaires. En 2022, quatre agressions mortelles ont eu lieu. Il semblerait que la dernière inspection de fonctionnement ayant fait suite à une agression mortelle date de 2017. L'Inspection générale, créée le 1er janvier 2017, n'avait pas été saisie à ce titre jusqu'en 2022. D'autres inspections concernent des évasions ou des dysfonctionnements internes.

L'Inspection ne peut s'autosaisir. Elle est rattachée directement au garde des Sceaux ou au Premier ministre, comme dans le cas qui nous occupe. Elle n'est pas une direction de l'administration centrale. Elle est composée d'inspecteurs généraux et d'inspecteurs représentant toute la diversité du ministère – magistrats, directeurs des services pénitentiaires, directeurs de la protection judiciaire de la jeunesse –, mais également d'administrateurs de l'État ou de chargés de mission. En tant que chef de l'Inspection, je désigne une équipe. Si la mission conduit ses inspections selon une méthodologie et des règles définies, elle jouit de la liberté de ses investigations, de la plume et de la signature. Ce n'est pas moi qui signe le rapport. Nous bénéficions donc de cette indépendance et de cette impartialité. Une charte déontologique, signée par chacun des inspecteurs, garantit les conditions de déroulement de l'investigation.

Par ailleurs, l'Inspection doit respecter un principe d'objectivation : nous ne sommes pas chargés de rendre des avis, mais des constats, à partir d'éléments objectifs, et des recommandations.

Enfin, nous rendons un rapport. Une fois qu'il est remis, nous avons la possibilité de le restituer oralement, mais nous ne sommes pas chargés du suivi des recommandations. Dans le cas présent, nous recommandons à la Première ministre, via son directeur de cabinet, d'évaluer la prise en charge de la radicalisation dans le cadre des QER. Cela a été fait puisque nous avons été saisis d'une mission – en cours – sur cette question précise. Nous formulons des recommandations à des directions centrales ; dans le cas présent, il s'agit de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) et de la DAP. Enfin, nous formulons des recommandations au niveau local.

Il revient aux directions de s'assurer du suivi des recommandations. Dans ce cas précis, la recommandation 11 sur l'évaluation de la prise en charge de la radicalisation dans l'administration pénitentiaire a été mise en œuvre par le garde des Sceaux. En outre, deux notes du directeur de l'administration pénitentiaire et du directeur des affaires criminelles et des grâces, datées du 29 novembre 2022 et du 18 janvier 2023, attestent de la prise en compte de la recommandation 8 de notre rapport. M. Daumas pourra vous répondre au sujet de la vidéosurveillance. Je vous transmettrai tous les rapports relatifs à cette question, ainsi que, si vous le souhaitez, ceux concernant les agressions mortelles commises au sein d'un établissement pénitentiaire.

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Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna

Les difficultés liées à la vidéosurveillance sont régulièrement constatées par l'IGJ. Elles avaient notamment été soulevées avec insistance par les cadres et les surveillants des maisons d'arrêt de Vannes et de Bourges lors des inspections réalisées en 2020 ou 2021. Ils critiquaient en particulier l'ergonomie et la difficulté d'utilisation des images. Une surveillante avait ainsi fait part de ses difficultés à regarder de manière efficace chacune des seize vignettes qui défilaient sur son écran. À Bourges, nous avions formulé une observation critique quant à l'organisation physique du poste de travail d'un agent qui était presque cerné par un mur d'écrans, et qui avait fait part de son désarroi. À Arles, c'est surtout le paramétrage des images qui posait problème. Cette question revient donc régulièrement au fil de nos inspections. Toutefois, nous avons le sentiment que nos interlocuteurs de l'administration pénitentiaire se saisissent de cette question, comme de celle de l'interphonie dans les cellules, à disposition des détenus pour éventuellement appeler de l'aide.

Les cadres de l'administration pénitentiaire à Arles, à Marseille et à Paris savaient-ils que l'auteur de l'agression était « en haut du spectre » terroriste ? Non. Nous n'avons pas eu le sentiment que l'on nous mentait, ou que ces cadres en auraient eu connaissance et qu'ils n'auraient pas pris de mesures adaptées. Le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) était peut-être informé du profil de cet homme ; mais la directrice de la maison centrale d'Arles, le directeur de la direction interrégionale et la DAP n'étaient manifestement pas informés que cet homme aurait été « en haut du spectre ». Ni le directeur ni la cheffe de service de la DAP ne nous ont donné le sentiment de dissimuler des informations qu'ils auraient détenues sur l'auteur de l'agression.

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Vos propos sont capitaux et lourds de conséquences. Ils vont à l'encontre de ce qui nous a été indiqué par d'autres personnes que nous avons auditionnées. Je suis effaré d'entendre ça. Je ne sais pas si le terme de « dysfonctionnement » est suffisamment fort.

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Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna

Cependant, pour objectiver les faits que vous mentionnez, il faut savoir que le chef d'établissement ne dispose que du dossier de la personne et des informations qu'il peut obtenir de manière officieuse. Nous avons pu consulter le dossier de l'auteur de l'agression : sa lecture montre bien les raisons pour lequel il est écroué, mais rien ne révèle qu'il se situe en haut du spectre. Nous n'avons par ailleurs pas eu l'impression que les personnes que nous avons interrogées disposaient d'autres informations.

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Le SNRP a été créé pour parfaire la connaissance de l'administration pénitentiaire en matière de renseignement notamment dans le domaine de la lutte contre la radicalisation religieuse. Chaque année, environ cent personnes radicalisées retournent à la vie civile et sont susceptibles de commettre des attentats. J'ai cependant conscience que le SNRP est un objet nouveau dans le paysage pénitentiaire, et que le renseignement et l'administration pénitentiaires forment deux mondes différents.

Nous parlons d'un détenu qualifié de potentiellement très dangereux. Le renseignement intérieur de notre pays le classait parmi les individus du « haut du spectre ». Je pensais que le SNRP avait été créé pour favoriser les échanges avec les responsables des établissements et les alerter de la présence d'individus potentiellement dangereux à ce titre. Or, durant son audition, nous avons eu le sentiment que Mme Puglierini minorait la dangerosité potentielle de M. Elong Abé. Si ce que vous nous dites est exact, alors l'information sur sa dangerosité potentielle – nécessaire au bon fonctionnement de l'établissement, à mon sens – n'a pas été transmise.

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Soit l'information n'a pas été transmise, soit elle nous a été dissimulée.

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Quelle était l'ancienneté de l'agent chargé de visionner les images de vidéosurveillance, à la fois dans l'établissement et à ce poste ?

Quatre TIS étaient incarcérés dans cette prison. Les trois autres avaient-ils fait l'objet d'une affectation en QER ?

Vous indiquez que le cas de M. Elong Abé ne correspondait pas aux exceptions que vous avez mentionnées. Pour autant, sa radicalisation étant parfaitement connue, pourquoi ne rentrait-il pas dans le cadre de la première exception ?

Une enquête a-t-elle été menée sur le surveillant qui s'est absenté durant vingt minutes ?

Comment M. Elong Abé a-t-il pu connaître le système de sécurité de la prison et ne pas s'inquiéter de la présence de caméras de vidéosurveillance ?

Enfin, pourquoi M. Elong Abé a-t-il été transféré de la prison de Condé-sur-Sarthe à celle d'Arles ? Comment cette affectation a-t-elle été décidée ?

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Thierry Landais, inspecteur de la justice, membre de la mission

Le surveillant était en poste dans un poste d'information et de contrôle (PIC). Il y en a deux à Arles, situés au-rez-de-chaussée de chaque bâtiment, A et B. La vocation première du PIC est d'assurer l'accès ou la sortie des personnes du bâtiment et leur circulation à l'intérieur de celui-ci. Les images des caméras de vidéosurveillance sont renvoyées dans deux types de lieux à Arles. Le premier, le poste centralisé des informations (PCI), lieu essentiel à la sécurité d'un établissement, est occupé exclusivement par des agents formés, qui appartiennent à une équipe spécialisée, uniquement affectée à ce poste. En revanche, les agents qui travaillent dans les deux PIC sont affectés par roulements. Ils travaillent également dans les étages du bâtiment. Par conséquent, leur niveau de compétence technique n'est pas identique à celui des agents du PCI. Leur formation est très restreinte : lorsqu'ils sont affectés dans l'établissement, en sortie d'école ou par mutation, ils suivent un parcours d'accueil pendant une semaine. Ils travaillent en doublure avec un autre agent, pendant une heure ou deux, pour apprendre le fonctionnement du PIC. Ce manque de formation est selon nous un véritable problème. Le temps de doublure organisé à leur arrivée dans l'établissement est très insuffisant.

L'agent qui occupait le PIC situé au rez-de-chaussée du bâtiment A le matin du 2 mars correspond bien à la sociologie professionnelle des agents affectés à Arles : il s'agissait d'un titulaire qui avait, me semble-t-il, une certaine ancienneté. Il occupait ponctuellement le PIC, de manière régulière.

80 ou 90 % du travail en PIC consiste à gérer les circulations, les entrées et les sorties, car toutes les commandes d'accès s'opèrent par une ouverture électrique. Chaque personne sollicitant l'ouverture d'une porte exige deux actions de l'agent en PIC : il doit visualiser la personne pour vérifier qu'elle est habilitée à circuler, et déclencher l'ouverture en respectant l'effet de sas. L'autre fonction du PIC est de vérifier ce qui se passe dans les étages pour prévenir des incidents. L'attention de l'agent du PIC du bâtiment A n'était donc pas centrée sur les salles d'activités, notamment parce que cette fonction revient au surveillant. Nous pointons précisément dans notre rapport le déficit de complémentarité entre ces deux agents : si le surveillant est amené à s'éloigner de son secteur, un relais doit pouvoir être assuré par l'agent du PIC.

L'agent en poste au PIC avait la possibilité technique de modifier le paramétrage des images. Son écran est divisé en neuf cases, ce qui correspond à un scénario de sécurité classique lui permettant de visualiser tous les secteurs. Par une manipulation, il aurait pu changer de scénario et voir l'intérieur des salles d'activités, notamment la salle de cardio-training où s'est déroulé le drame. Avec beaucoup d'honnêteté, cet agent a indiqué que par peur de dérégler l'appareil, il a préféré ne pas en modifier le paramétrage. Même si le dispositif le lui permettait techniquement, il était donc dans l'incapacité de surveiller ce qui se passait dans la salle.

Je précise que quelques semaines avant le drame, l'établissement avait fait le choix de modifier la configuration des écrans et de passer à un écran quadrillé en neuf tuiles, et non plus quatre. Or, la formation n'avait pas été déclinée au niveau des surveillants assurant la tenue des PIC.

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Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna

Vous nous demandez pourquoi il aurait fallu orienter l'auteur de l'agression en QER puisque les autorités de la DAP vous ont indiqué qu'il était parfaitement connu. La page 46 de notre rapport l'explique. L'article R. 57-7-84-13 du code de procédure pénale énonce : « Lorsqu'une personne détenue majeure est dangereuse en raison de sa radicalisation et qu'elle est susceptible, du fait de son comportement et de ses actes de prosélytisme ou des risques qu'elle présente de passage à l'acte violent, de porter atteinte au maintien du bon ordre de l'établissement ou à la sécurité publique, elle peut être placée au sein d'un quartier de prise en charge de la radicalisation, dès lors qu'elle est apte à bénéficier d'un programme et d'un suivi adaptés. Le placement en quartier de prise en charge de la radicalisation intervient à l'issue d'une évaluation en QER. » Or, certains de vos interlocuteurs vous ont indiqué que cet individu n'était pas apte ; ce n'est ni notre appréciation ni celle – unanime – des professionnels de terrain, de Condé-sur-Sarthe et d'Arles. C'est la raison pour laquelle nous avons écrit à plusieurs reprises dans notre rapport qu'il aurait fallu l'orienter en QER. Certes, l'autorité au niveau central peut avoir son appréciation. Mais nous rappelons avec insistance que les instances pluridisciplinaires, dans lesquelles siègent ensemble des surveillants, des officiers, des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, et des personnels de direction, ont été créées précisément pour croiser l'évaluation des détenus.

Nous n'avons pas procédé à une enquête détaillée sur le surveillant qui s'est absenté. Son dossier, que nous avons consulté, révèle qu'il s'agit d'un agent bien noté à tous points de vue et apprécié par sa hiérarchie.

Enfin, le détenu a été affecté à Arles plutôt qu'en QER en respect de la procédure. L'autorité de l'administration centrale qui détient le pouvoir d'affectation a choisi de l'orienter à Arles plutôt qu'en QER.

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Le surveillant qui s'est absenté avait la possibilité de prévenir l'agent du PIC afin qu'il modifie le paramétrage de l'écran de visionnage. Dans le même temps, vous indiquez que cet agent ignorait comment procéder à la manipulation.

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Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna

En effet. L'articulation des deux dispositifs n'a pas fonctionné dans ce cas précis.

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Thierry Landais, inspecteur de la justice, membre de la mission

Assurer cette complémentarité fait partie de nos recommandations, mais elle n'était pas en vigueur le 2 mars. Le surveillant, dans le PIC, était incapable de modifier le scénario et de prendre le relais.

La fiche de poste du surveillant du PIC ne fait aucune mention relative à la surveillance des salles. Elle précise les conditions d'accès et de circulation à l'intérieur des bâtiments et la nécessité de pouvoir visualiser en permanence les différents secteurs de détention. Il ne s'agit donc pas d'un défaut de fonctionnement, puisque la complémentarité n'était pas en vigueur précédemment. Il s'agit d'un point de recommandation, que nous avons formulé.

Quand bien même le surveillant du PIC aurait su modifier le paramétrage – ce qui est le cas de certains agents –, nous avons constaté lors de notre déplacement à Arles que l'image qui apparaissait grâce à la manipulation n'était pas celle de la salle de cardio-training.

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Les images de vidéosurveillance de la salle de cardio-training ne correspondaient donc pas à la bonne salle.

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Thierry Landais, inspecteur de la justice, membre de la mission

Cette information figure à la page 36 du rapport.

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L'auteur des faits savait qu'il avait peu de risques d'être reconnu par la caméra. Les détenus du centre pénitentiaire avaient donc conscience de cette situation. Comment se fait-il que ce dysfonctionnement soit à ce point connu ?

Aussi bien à Condé-sur-Sarthe qu'à Arles, des équipes pluridisciplinaires ont recommandé le transfert en QER. À Condé-sur-Sarthe, l'autorité a décidé de ne pas procéder au transfèrement. Cependant, dans les années suivantes, la direction de l'établissement décide de ne pas prendre en compte la recommandation. Lorsqu'une CPU arrive à la même conclusion à plusieurs reprises, cette situation ne donne-t-elle pas lieu à un signalement ?

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Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna

Nous avons visionné l'enregistrement de la scène horrible où M. Elong Abé procède à l'agression de son codétenu. L'observation fine des images montre que les quelques fois où il manifeste une attention inquiète, c'est lorsqu'à deux reprises, il se tourne vers la porte de la salle pour vérifier que personne n'entre. En revanche, il n'est manifestement pas inquiet du fait qu'une caméra enregistre ses agissements. C'est notre interprétation qui m'a amené à déduire qu'il avait compris que l'organisation de la vidéo le protégeait. Nous ignorons si les autres détenus en étaient également conscients. Nous sommes deux des trois membres de notre mission à avoir travaillé avec des détenus. Nous savons que les personnes qui purgent de longues peines observent le fonctionnement et l'agencement de la vidéosurveillance.

Concernant le suivi de la demande d'orientation, nous savons que la cheffe d'établissement n'a pas transmis l'avis unanime de la CPU qu'elle présidait. La chargée de mission de lutte contre la radicalisation violente ne s'est pas montrée inefficace ou inactive : elle s'est saisie de la question, en se mettant en relation avec son interlocuteur de l'administration centrale. Cependant, ces démarches n'ont eu aucun effet jusqu'au mois de janvier, lorsque l'officier du bureau de gestion de la détention a transmis le rapport. Une collaboratrice de la directrice interrégionale avait déjà fait part de premières inquiétudes en 2020. Plusieurs de nos interlocuteurs ont mentionné la période compliquée du covid-19, qui a peut-être été marquée par une moindre vigilance.

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Christophe Straudo, inspecteur général de la justice, chef de l'Inspection générale de la justice

Parmi les recommandations du rapport figure l'actualisation de la circulaire en vigueur en matière de vidéosurveillance afin de rappeler sa vocation première, qui vise à intervenir immédiatement pour faire cesser un incident. Je vous transmettrai les rapports sur les constats opérés. Dans certains cas, l'Inspection conclut essentiellement que la vidéosurveillance est un élément de preuve a posteriori, et qu'elle doit être un élément de vigilance active, en soutien des acteurs de terrain.

S'agissant des orientations, la recommandation 8 concerne la prise en compte de l'évaluation. La recommandation 9, à l'attention du directeur de l'administration centrale, rappelle au chef d'établissement que les avis émis par la CPU, comme toutes les autres appréciations relatives à l'évolution comportementale des détenus, doivent être tracés dans le logiciel Genesis et portés à la connaissance, pour ceux de la CPU, de la direction interrégionale. S'agissant de l'orientation en QER, ces recommandations ont donné lieu à des notes envoyées à tous les procureurs généraux, aux procureurs de la République et aux directeurs d'établissements en direction interrégionale, en novembre et en janvier.

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Il est appréciable de voir que les recommandations ont été prises en compte. Je n'avais pas déduit que l'ensemble des détenus était conscient des dysfonctionnements de la vidéosurveillance. Cependant, si un détenu est capable d'estimer l'efficacité de la vidéosurveillance, c'est que le dysfonctionnement est connu ailleurs, et notamment dans l'administration qui gère l'établissement. Depuis combien de temps le système n'avait-il pas été révisé ?

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Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna

Le renouvellement du matériel en octobre 2021 a peut-être entraîné une relative méconnaissance de son utilisation ou de son paramétrage, mais nous n'en savons rien. Néanmoins, l'officier en charge de l'infrastructure a reconnu qu'il fallait dispenser une formation. Il est donc probable que le renouvellement du matériel ait eu un effet sur le défaut de maîtrise et d'appropriation par les agents.

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Le rapporteur vous a demandé si l'administration disposait des informations qui nous ont été communiquées par les services de renseignement. Vous avez répondu : « J'ai le sentiment que l'administration ne savait pas ». Vous avez parlé de sentiment, et non de certitude. Pourriez-vous revenir sur votre réponse ?

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Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna

Je n'ai appris que l'auteur de l'agression était considéré comme situé en « haut du spectre » que lorsque le rapporteur a employé cette expression. Nous autres, nous ne le savions pas. Rien, ni dans l'examen de toutes les pièces que nous avons consultées, ni dans les soixante-trois auditions que nous avons conduites, ne nous permettait de dire que cet homme était en haut du spectre. À titre personnel, je ne le pensais pas.

J'ai évoqué un sentiment plutôt qu'une certitude, car j'ai confiance dans les personnes que nous avons auditionnées. Je connais bien le directeur de l'administration pénitentiaire. Je pense – et je suis même certain – que le directeur de l'administration pénitentiaire, le directeur interrégional des services pénitentiaires et Mme Puglierini nous ont dit la vérité.

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Vos propos nous font avancer dans notre quête de vérité. Vous respectez des process de déontologie, tout comme l'administration pénitentiaire dans sa gestion de la détention. Les instructions ministérielles sur les détenus DPS sont claires, précises et rigoureuses.

De même, les services de renseignement, comme ils l'ont reprécisé lors de leur audition à huis clos, suivent leurs propres process. Il est très clair que le SNRP, bien que récent, est bien structuré aux niveaux local, interrégional et central. Sa vocation première est de contribuer en détention à la surveillance de cette mutation du terrorisme, avec les TIS et les détenus en voie de radicalisation. La direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) communique des informations lors de l'entrée en incarcération. Le SNRP prend ensuite en charge le renseignement, et l'administration pénitentiaire la détention.

Le suivi des cas les plus graves – notamment des détenus du haut du spectre, dont M. Elong Abé faisait partie – et de leur sortie, enfin, est assuré grâce à des échanges au niveau central entre le SNRP et la DGSI, et une interaction déconcentrée permanente et quotidienne. C'est la vocation du groupement d'évaluation départemental (GED), piloté par le préfet, qui regroupe les services de renseignement et l'administration pénitentiaire. Or, le secteur interrégional de Marseille ne compte qu'une seule centrale. Quatre TIS étaient détenus à Arles. On ne peut pas comprendre, à ce stade, l'écart entre les propos clairs que vous tenez et ceux que nous avons entendus d'autres interlocuteurs. Il y a là une atteinte à l'intelligence collective.

Le GED des Bouches-du-Rhône ne pouvait faire abstraction du suivi de M. Franck Elong Abé. Ne voyez-vous pas là une défaillance importance du GED ? Que pensez-vous de cet outil en général, et dans ce cas particulier ?

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Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna

La question du GED n'était abordée dans aucune des deux lettres de mission que nous avons reçues. Nous aurions pu y procéder de notre propre initiative, mais nous avons centré nos investigations sur l'établissement. Nous savons comment fonctionnent les GED. Il s'agit d'une instance de mutualisation de l'information sur les personnes détenues.

Lorsqu'un chef d'établissement classe une personne détenue DPS au service général, il est tenu d'en informer le directeur interrégional. Mme Puglierini a donc informé sa hiérarchie en classant l'auteur de l'agression au service général. Nous l'avons bien vérifié. J'imagine mal un chef d'établissement informé qu'un détenu se situe en haut du spectre le classer au service général. On peut donc penser que Mme Puglierini ignorait qu'il figurait parmi les plus dangereux.

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Vous touchez une de nos problématiques centrales.

Le classement de l'auteur de l'agression comme auxiliaire au service général date de fin septembre 2021. Or, le quatrième et dernier incident contre le personnel pénitentiaire intervient en août 2021. Il a d'ailleurs fait l'objet de sanctions disciplinaires minorées, en raison des excuses qui sont avancées par la commission disciplinaire du 12 septembre.

Aviez-vous connaissance de la pression sur les détenus qu'exerçait Franck Elong Abé pour candidater au poste d'auxiliaire au service général ? Par ailleurs, est-il usuel qu'un détenu coupable d'une attaque contre le personnel puisse travailler au service général ? Nous avons le sentiment d'une marche forcée qui ne s'arrête pas, quels que soient les incidents qu'il commet. La stabilisation de la situation voire le retour en isolement temporaire ne sont-ils pas davantage préconisés, de surcroît pour un DPS ?

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Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna

Nous n'étions pas au courant de pressions exercées sur ses codétenus pour occuper cet emploi. Nous avons examiné la sous-cote discipline de Franck Elong Abé et connaissions ses comparutions à l'audience disciplinaire.

Il faut avoir conscience du passé de l'auteur de l'agression : il avait brutalisé un personnel de santé lors d'une affectation précédente. À Condé-sur-Sarthe, il avait mis le feu à sa cellule et commis des dégradations. À la maison centrale d'Arles, les personnels, toutes catégories professionnelles confondues, ont semblé parvenir à le stabiliser. Malgré des incidents, une forme de décrue dans ses actions pouvait s'observer. Je ne peux en conclure s'il fallait, ou non, le classer au service général. Il faut être en situation au sein de l'établissement pour le déterminer.

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Lors de la CPU de mai, il déclare tout de même vouloir mourir par l'islam. La succession de jugements pluridisciplinaires et d'actes dans un laps de temps très court nous interroge.

Avez-vous été en possession de l'ensemble des éléments du logiciel Genesis ?

Vous avez interrogé Mme Puglierini. Dans votre rapport, une ou plusieurs de ses adjointes notifient qu'elle tenait à exercer de manière exclusive certaines compétences, notamment s'agissant des TIS et des DPS. Elle seule présidait les CPU. Au-delà du drame qui s'est produit, diriez-vous que dans l'exercice de ses fonctions, Mme Puglierini était une femme plutôt rigoureuse, très rigoureuse, expérimentée ?

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Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna

Nous n'avons pas examiné l'ensemble du logiciel Genesis, qui a été utilisé à Arles à partir de 2019 ou 2020. Cependant, nous avons accédé sans difficulté aux informations que nous souhaitions étudier.

Nous ne menions pas une enquête administrative sur la directrice de l'établissement, mais une inspection de fonctionnement de l'établissement. Mme Puglierini apparaît comme un élément certes important – elle s'était réservé la présidence d'une instance sensible de son établissement –, mais nous n'enquêtions pas sur elle. Nous avons examiné son dossier. Elle est bien notée. Ses adjointes font mention de relations professionnelles parfois compliquées, mais je ne veux pas en dire davantage, car nous n'étions pas saisis de cela.

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Était-il possible que la direction interrégionale, l'administration centrale et le SNRP n'aient pas eu connaissance des éléments d'appréciation et des décisions des trois premières CPU, malgré l'absence de transmission formelle des comptes rendus par la directrice de l'établissement ? Le délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP) rend un avis personnel en faveur du transfert du QER.

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Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna

Je pense qu'il y avait une faille dans l'organisation, qui a depuis été corrigée. Le directeur de l'administration pénitentiaire a en effet exigé que les synthèses des CPU soient transmises hiérarchiquement.

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Il n'y a pas eu de transmission. Les textes ne le prévoyaient pas. Cependant, malgré cette absence de formalisme réglementaire, la direction interrégionale, la DAP et le SNRP – en raison de la présence du DLRP, même s'il ne lui revient pas d'intervenir sur les transferts en QER – pouvaient-ils ne pas connaître le contenu et la nature de ces décisions claires et unanimes ? Celle de mai 2021, en particulier, est édifiante.

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Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d'inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles suite à l'agression d'Yvan Colonna

La question que vous posez est essentielle. Je me fonde sur des constats, plutôt que sur une appréciation ou une interprétation qui pourrait être fragile et lourde de conséquences. Nous avons relevé des échanges de mails sur la non-affectation en QER de Franck Elong Abé entre la chargée de mission de lutte contre la radicalisation de Marseille et l'administration centrale. Une liaison fonctionnelle entre Marseille et Paris a donc bien existé. Je ne peux pas vous dire si l'administration centrale en savait davantage.

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Nous vous remercions pour la précision de vos réponses.

La séance s'achève à 13 heures 35.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Ségolène Amiot, M. Jocelyn Dessigny, M. Philippe Juvin, M. Mohamed Laqhila, M. Emmanuel Mandon, M. Laurent Marcangeli, M. Thomas Portes, Mme Sandrine Rousseau, M. Guillaume Vuilletet.

Excusés. – M. Meyer Habib, M. Hervé Saulignac.