La réunion

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Mercredi 8 février 2023

La séance est ouverte à 14 heures 30.

(Présidence de M. Jean-Félix Acquaviva, président de la commission)

La commission auditionne Mme Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation, mission de lutte contre la radicalisation violente – service pénitentiaire d'insertion et de probation des Bouches-du-Rhône, et M. Jean Cauvé, directeur pénitentiaire d'insertion et de probation, chef de l'antenne d'Arles-Tarascon et référent de la maison centrale d'Arles – service pénitentiaire d'insertion et de probation des Bouches-du-Rhône.

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Nous auditionnons deux responsables du service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip) des Bouches-du-Rhône : Mme Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente (MLRV), et M. Jean Cauvé, directeur pénitentiaire d'insertion et de probation, chef de l'antenne d'Arles-Tarascon, référent de la maison centrale d'Arles.

Madame, monsieur, cette audition a lieu à huis clos et n'est donc pas diffusée. Elle fera néanmoins l'objet d'un compte rendu qui vous sera adressé pour observations avant sa publication.

Nous souhaiterions d'abord vous entendre sur la manière dont fonctionne le Spip des Bouches-du-Rhône, le nombre de détenus qu'il suit et les moyens dont il dispose pour ce faire.

Plus spécifiquement, à la lumière des événements qui se sont produits le 2 mars 2022 à la maison centrale d'Arles, nous aborderons la gestion des détenus radicalisés (RAD) et incarcérés pour terrorisme islamiste (TIS), et les raisons qui président à leur éventuelle affectation au service général d'un établissement. Nous vous interrogerons ainsi sur les grandes contradictions qu'ont fait apparaître les auditions auxquelles nous avons procédé s'agissant de l'affectation de Franck Elong Abé à de telles fonctions.

Vous nous parlerez également de la gestion de la fin de peine et de la sortie de ces détenus, car l'obsession de la sortie nous a été présentée, dans le cas qui nous occupe, comme justifiant certains manquements – pour dire le moins. Nous vous demanderons des éléments quantitatifs et qualitatifs se rapportant à la réinsertion des anciens détenus et nous attarderons sur le fonctionnement des commissions disciplinaires uniques (CPU) dangerosité, et sur le rôle qu'y joue le Spip. Nous évoquerons particulièrement la saga des CPU dangerosité ayant examiné le cas de Franck Elong Abé, que ce soit à Condé-sur-Sarthe, qui ne relève pas de votre compétence, ou à Arles. Sur la base des précisions apportées par le rapport de l'Inspection générale de la justice (IGJ), nous examinerons ces quatre CPU dangerosité et nous évoquerons certains comportements, comme l'absence de transmission de certaines informations ou encore l'émission de certaines alertes, dès février 2020, par la mission de lutte contre la radicalisation violente (MLRV). Le débat contradictoire est donc très important pour déterminer ce qui s'est passé. C'est particulièrement le cas pour la dernière CPU dangerosité, tenue en janvier 2022, qui a donné lieu ici même, sous serment, à des déclarations contradictoires quant au comportement des uns et des autres, malgré les éléments contenus dans le rapport de l'IGJ.

Nous examinerons le détail du parcours carcéral de l'assassin, qui nous interpelle, et son profil complexe. Ce détenu aurait dû, à en juger par le rapport de l'IGJ et compte tenu de la définition du rôle des quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER) dans le code de procédure pénale, être orienté vers une telle structure. Or, selon certaines personnes que nous avons entendues récemment, c'est précisément la complexité de ce profil qui justifiait que ce ne soit pas le cas.

Avant de vous laisser la parole, je vais vous demander, madame, monsieur, en application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous prie donc de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mme Marie-Anne Ganaye et M. Jean Cauvé prêtent serment.)

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Jean Cauvé, directeur pénitentiaire d'insertion et de probation, chef de l'antenne d'Arles-Tarascon du Spip, référent de la maison centrale d'Arles

Je vais vous présenter le fonctionnement et l'historique du Spip, en me concentrant sur sa réalité dans le département des Bouches-du-Rhône, sur l'antenne Arles-Tarascon et, plus précisément, sur la maison centrale d'Arles. Mme Ganaye déclinera ensuite les modalités générales de prise en charge par le Spip des personnes radicalisées.

Créés en 1999, il y a vingt-quatre ans, les Spip ont succédé à deux entités différentes : les services socio-éducatifs dans les établissements pénitentiaires et, en milieu ouvert, les comités de probation et d'assistance aux libérés. La création des Spip a consacré l'autonomie hiérarchique des membres de ces services. Auparavant, en effet, les membres des services socio-éducatifs travaillaient sous la hiérarchie des chefs d'établissement en établissement pénitentiaire, et sous celle des juges de l'application des peines (JAP) en milieu ouvert. Les Spip ont désormais une hiérarchie propre, avec un directeur départemental dans chaque département et des cadres pour chaque antenne.

Les missions n'ont cependant pas changé. La mission principale du Spip est ainsi la prévention de la récidive, ce qui passe, en milieu ouvert, par la prise en charge, l'accompagnement et le contrôle des obligations des personnes qui nous sont confiées et, en milieu fermé, par l'accompagnement et la prise en charge de ces personnes, à quoi s'ajoute un temps non négligeable de mise en œuvre d'activités d'insertion, éventuellement culturelles, pour que le temps de la détention ne soit pas un temps perdu.

Le Spip des Bouches-du-Rhône est le deuxième plus grand de France, ce département étant très pénitentiaire, avec cinq établissements : deux maisons d'arrêt – aux Baumettes pour Marseille et à Luynes, pour Aix-en-Provence –, deux centres de détention – à Tarascon et Salon-de-Provence – et la maison centrale d'Arles. Le département compte également trois juridictions avec les tribunaux judiciaires de Marseille, d'Aix-en-Provence et de Tarascon, auxquels correspondent trois sites de milieu ouvert.

J'occupe les fonctions de chef de l'antenne Arles-Tarascon du Spip des Bouches-du-Rhône, qui intervient sur trois sites : le milieu ouvert du ressort du tribunal de Tarascon, le centre de détention de Tarascon, qui compte 650 places pour environ 600 détenus incarcérés, et la maison centrale d'Arles, qui compte 150 places pour 120 à 130 personnes incarcérées.

À la maison centrale d'Arles, le Spip compte quatre agents permanents : deux conseillères pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP), qui prennent en charge le suivi individuel de toutes les personnes détenues, une assistante de service social, une secrétaire administrative et, depuis deux ans, une coordonatrice d'activités, dont la mission est de gérer toutes les activités auxquelles les détenus peuvent participer en détention. Il n'y a donc pas de cadre affecté à la maison centrale d'Arles ; du fait de mon statut de chef d'antenne, le directeur du Spip des Bouches-du-Rhône m'a demandé d'intervenir et, depuis 2020, je fais donc fonction de cadre local pour cette maison centrale d'Arles.

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Je présenterai plus spécifiquement, quant à moi, la prise en charge par le Spip des personnes radicalisées, ou RAD, et condamnées ou prévenues pour faits de terrorisme, ou TIS. À la lumière du contexte actuel et des textes en vigueur, la prévention de la radicalisation violente constitue un enjeu majeur qui impacte l'organisation du Spip 13. Elle est mise en œuvre par des personnels dédiés à cette thématique, sous la coordination d'un directeur pénitentiaire d'insertion et de probation – mission de lutte contre la radicalisation violente (DPIP-MLRV). J'occupe ce poste depuis le 1er septembre 2021, dans le cadre d'un détachement, après avoir occupé les fonctions de directrice des services pénitentiaires. La volonté du service de positionner à temps plein dès 2016, au niveau du siège, un DPIP référent sur ces thématiques est notamment motivée par le nombre important de personnes suivies dans le département des Bouches-du-Rhône, par l'implantation dans ce département d'un quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR) au centre pénitentiaire d'Aix-Luynes, et par l'existence du programme d'accompagnement individualisé et de réassignation sociale (Pairs) Marseille, dont je pourrai aussi vous parler.

Actuellement, le Spip 13 à la charge de 114 personnes suivies au titre de la radicalisation violente : 60 en milieu fermé, dont 45 RAD et 15 TIS, et 54 en milieu ouvert, dont 25 RAD et 29 TIS. En milieu ouvert, 27 font l'objet d'un suivi et d'une surveillance par les services partenaires. Je pilote les dispositifs de prise en charge de la radicalisation en milieu ouvert sur les trois antennes du Spip des Bouches-du-Rhône et, en milieu fermé, sur les cinq établissements du ressort. Ce pilotage se fait en lien étroit avec la mission interrégionale de lutte contre la radicalisation violente (MILRV), au niveau interrégional, qui effectue le même type de pilotage au niveau de la région PACA-Corse. À ce titre, je coordonne l'action des agents spécialisés sur cette thématique : CPIP référents et binômes de soutien, autrement appelés éducateurs et psychologues MLRV.

Aujourd'hui, quinze CPIP référents sont formés et spécialisés sur cette thématique. Cette spécialisation permet d'optimiser la prise en charge des personnes suivies, tout en favorisant l'orientation vers des dispositifs spécifiques. Les dossiers suivis au titre de la radicalisation leur sont donc prioritairement affectés, en plus des autres suivis.

En appui aux CPIP référents interviennent les binômes de soutien. L'éducateur MLRV identifie et met en œuvre des actions visant à la réinsertion et au désengagement de la personne. Le psychologue MLRV contribue, quant à lui, à l'identification des ressorts de la radicalisation et accompagne la personne vers la réinsertion et le désengagement.

Les binômes de soutien sont placés sous l'autorité hiérarchique de la direction interrégionale, la MILRV, et sous l'autorité fonctionnelle du Spip. Les CPIP référents radicalisation et les binômes de soutien participent à la construction d'un plan d'accompagnement défini de manière pluridisciplinaire, notamment lors des commissions pluridisciplinaires internes radicalisation (CPIR). À ce titre, j'ai organisé et présidé, durant l'année 2022, 51 CPIR sur le département, en milieu ouvert et en milieu fermé. Ces instances sont internes au Spip.

Outre les CPIR existent aussi les CPU dangerosité-sécurité, qui sont également des instances pluridisciplinaires privilégiées dans le cadre de l'évaluation et de la prise en charge de la radicalisation, organisées et présidées par la direction de l'établissement. Ces CPU sont mises en place dans l'ensemble des établissements pénitentiaires du ressort des Bouches-du-Rhône. Le Spip y est systématiquement représenté, au moins par le DPIP de proximité et, en fonction des établissements, par le ou les CPIP référents. J'y suis également conviée.

Les échanges en CPU permettent de dégager des orientations en termes de prise en charge – orientation vers le binôme de soutien, proposition d'évaluation en QER ou d'affectation en QPR.

L'intervention d'un médiateur du fait religieux peut également être sollicitée auprès de la direction interrégionale afin de venir en appui des équipes sur les volets détection, évaluation et prise en charge de la radicalisation violente, en milieu fermé comme en milieu ouvert, en apportant notamment une expertise en islamologie. À l'époque des faits que nous évoquons, cependant, il n'y avait pas encore d'intervention du médiateur à la maison centrale d'Arles, car la direction interrégionale ne disposait alors que d'un seul médiateur, qui exerçait ses fonctions au QPR d'Aix-Luynes. Depuis le mois de juin 2022, deux médiateurs exercent sur l'ensemble du ressort de la direction interrégionale, dont l'un intervient à la maison centrale d'Arles.

Par ailleurs, le Spip joue un rôle majeur dans la préparation à la sortie. Une note départementale a précisé les attendus relatifs aux modalités de prise en charge des sortants suivis au titre de la radicalisation, à savoir une préparation en amont en CPIR ou en CPU, un échange d'informations entre antennes du Spip concernées et une convocation dans les quarante-huit heures sur l'antenne Spip milieu ouvert compétente.

Le Spip 13 est également chargé de la coordination sur le département du dispositif Pairs. Ouvert depuis octobre 2018, le dispositif Pairs Marseille est destiné à proposer un accompagnement en milieu ouvert aux TIS et radicalisés, condamnés ou prévenus. La prise en charge, comprise entre trois et vingt heures par semaine, se fait par une équipe pluridisciplinaire composée d'éducateurs, du médiateur du fait religieux, de psychologues et de conseillers en insertion professionnelle. En 2022, le dispositif Pairs Marseille a suivi 49 personnes dans un rayon pouvant atteindre 300 kilomètres autour de Marseille, dont 31 dans le département des Bouches-du-Rhône.

Enfin, en qualité de correspondante locale du renseignement pénitentiaire, je travaille en relation étroite avec les services partenaires en milieu ouvert, et avec la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire (Cirp) pour le milieu fermé. Je participe également, une fois par semaine, aux instances préfectorales prévues en la matière : le groupe d'évaluation départemental (GED) et la cellule de prévention de la radicalisation et de l'accompagnement des familles (Cepraf).

Dans ce contexte, j'ai pris mes fonctions de DPIP-MLRV le 1er septembre 2021 et j'ai assisté à ma première CPU radicalisation pour la maison centrale d'Arles le lundi 24 janvier 2022, réunion au cours d laquelle la situation de M. Elong Abé a été examinée.

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Mon propos visera particulièrement le ballet des CPU dangerosité dont les conclusions n'ont pas été suivies par la direction de l'établissement. J'ai bien compris, madame Ganaye, que vous n'étiez pas encore en poste pour les trois premières, mais vous avez certainement un avis quant aux procédures suivies et aux décisions prises.

Je me référerai, pour être le plus objectif possible, au rapport de l'IGJ et partirai de la fin. Le 24 janvier 2022, date à laquelle vous étiez en poste, la CPU dangerosité a rendu, pour la quatrième fois, un avis favorable à un transfert en QER, d'autant plus que la sortie de M. Elong Abé approchait. Ce point est déjà écrit, mais il vaut la peine d'acter oralement que c'est bien à la faveur d'une interpellation « de la coordinatrice de la mission de lutte contre la radicalisation violente, d'une part, et de l'officier secrétaire de la réunion, d'autre part », que l'avis de cette CPU est transmis à la direction interrégionale.

Pouvez-vous nous expliquer comment il se fait que, dans cette affaire grave, qui est peut-être même une affaire d'État quant à son déroulement, il y ait eu autant de freins et aussi peu d'empressement à agir de la part de la direction de l'établissement, après trois CPU dangerosité ayant rendu trois avis unanimes, y compris – ce qui, personnellement, m'étonne le plus – celle de mai 2021, date à laquelle M. Elong Abé était déjà en détention ordinaire, où la CPU a noté qu'il voulait encore mourir grand par l'islam ?

Le 30 mars 2022, l'ancienne directrice a déclaré devant les députés de la commission des lois – certes dans le cadre d'une audition libre – qu'elle avait fait tout ce qu'il fallait, dans le cadre de ces dernières CPU, pour que le processus d'instruction suive son cours. Elle a également déclaré devant notre commission d'enquête que, la quatrième fois, le directeur interrégional avait fait ce qu'il fallait. Il y a donc là un frein que nous ne nous expliquons pas, alors que certaines personnes considéraient qu'il fallait absolument transférer M. Elong Abé en QER. Pouvez-vous nous éclairer à cet égard ?

Par ailleurs, je voudrais évoquer le rapport qui devait être coproduit par la direction d'établissement et le Spip afin de disposer d'instructions finalisées pour la commission centrale de supervision (CCS) du 9 mars – laquelle n'a évidemment pas eu lieu –, et qui n'a pas été réalisé. Pouvez-vous nous éclairer sur ce contexte, décrit par le rapport de l'IGJ comme chaotique ? Les freins sont inexpliqués et, compte tenu de la gravité des faits, l'argument avancé par l'ancienne directrice, selon lequel il s'agissait de préparer la sortie, ne suffit évidemment pas.

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Lors de la CPU dangerosité du 24 janvier 2022 – la première à laquelle j'aie assisté –, où la situation de M. Elong Abé a été évoquée, j'ai pris des notes, retranscrites dans notre logiciel Appi – Application des peines, probation et insertion –, propre aux Spip et destiné aux CPIP et binômes de soutien. Dans cette note purement interne au service, j'indiquais : « Parle ouvertement de ce qui se passe en Afghanistan et avec les talibans. Dort par terre sur une paillasse. Cellule très pieuse. Il est classé auxi sport. Il n'indemnise pas les parties civiles. Il n'est jamais passé en QER. Veut faire un projet de sortie autour de la campagne, des animaux (élever des chèvres ?), mais il a arrêté toutes les démarches (CNI, sport, etc.) car il ne veut rien devoir à la France. » J'indique en conclusion : « Préconisation : orientation en QER. »

Au jour de la CPU, on ne relève pas d'inquiétude particulière en termes de comportement, mais une orientation en QER paraît opportune, dans la perspective surtout de la sortie à venir. Une évaluation en QER aurait pu permettre d'évaluer le profil de l'intéressé dans le cadre de la préparation à la sortie, puisqu'elle aurait repris tous les éléments usuels en pareil cas – son parcours judiciaire et carcéral, son positionnement par rapport aux faits, son niveau d'imprégnation idéologique, les facteurs de risque et de protection, et les axes de travail relatifs à une capacité de M. Elong Abé à se mobiliser. Cette synthèse aurait été précieuse dans le cadre d'une orientation, par exemple, vers le dispositif Pairs que l'on envisageait dans le cadre de sa sortie, au titre à la fois de l'évaluation relative à une telle orientation et d'un appui aux professionnels qui seraient chargés de son suivi en milieu ouvert.

Une évaluation en quartier spécifique aurait peut-être pu par ailleurs, avec une équipe pluridisciplinaire différente et dans un autre contexte, permettre à l'intéressé de commencer à se mobiliser et à se projeter sur sa libération, ce qui n'apparaissait pas du tout jusqu'alors.

Enfin, j'ai été étonnée qu'un TIS n'ait jamais été évalué en QER au cours de son incarcération. Un cas similaire a également été évoqué durant la même CPU : celui de M. Aroua, qui n'avait pas non plus été évalué en QER. Dans mon précédent poste à la direction interrégionale, j'avais été informée par la direction de l'administration pénitentiaire (DAP), que quasiment tous les TIS avaient été évalués en QER et qu'il s'agissait désormais, dès l'été 2021, de faire de même avec les radicalisés. J'ai donc adressé à la MILRV, le lendemain de la CPU, le mail suivant : « Hier, nous avons vu en CPU deux situations de TIS sur la maison centrale d'Arles qui ne sont jamais passés en QER (ce qui m'étonne : j'avais cru comprendre que tous les TIS incarcérés avaient été évalués à un moment donné en QER). M. Aroua Hussen, TIS DPS, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, et M. Elong Abé Franck, TIS libérable le 13 décembre 2023. » Je posais alors la question : « Est-ce que ces deux situations sont connues de l'administration centrale ? Sinon, l'établissement peut-il transmettre la synthèse CPU pour que ces situations soient examinées en CCS, ou faut-il impérativement la synthèse d'évaluation (sachant que, normalement, pour les TIS, l'affectation en QER est systématique) ? »

Mon raisonnement était que, l'affectation des TIS en QER étant systématique, on n'avait peut-être pas forcément besoin d'un rapport pluridisciplinaire d'évaluation et que le compte rendu de la CPU pouvait suffire comme saisine officielle de l'administration centrale pour enrôler ce détenu en CCS.

La MILRV m'a ensuite confirmé oralement qu'elle avait saisi la DAP à ce sujet, mais nous n'avons pas eu de retour formalisé de la direction, sauf en ce qui concerne M. Aroua, pour lequel nous avons ensuite reçu une demande de la direction interrégionale indiquant qu'il était inscrit à la prochaine CCS, dont je n'ai plus la date en mémoire.

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Le cas de M. Aroua a donc fait l'objet d'une notification, mais il n'y a pas eu de retour pour le cas de M. Elong Abé.

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Pas à ma connaissance

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Ce sont là, vous le comprenez, des éléments très importants.

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À la lumière des éléments dont vous disposiez sur la personnalité et les conditions de détention de M. Franck Elong Abé, et de votre expérience, estimez-vous que celui-ci présentait des caractéristiques compatibles avec une activité d'auxiliaire ? Est-il fréquent qu'un détenu présentant ces caractéristiques exerce de telles fonctions ?

Ma deuxième question porte sur les avis qui ont été formulés dans le cadre des commissions d'application des peines (CAP). Bien qu'auxiliaire, Franck Elong Abé n'a jamais voulu indemniser les victimes, considérant même qu'il n'avait aucune dette à l'endroit de qui que ce soit. Compte tenu de son parcours carcéral, d'une absence de volonté de réinsertion, d'un repli particulièrement rigoureux sur la sphère religieuse, est-il normal qu'il ait bénéficié de réductions de peine ? Quels avis ont été émis dans le cadre des CAP ?

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Le Spip a évalué la dangerosité de M. Elong Abé sur la base de plusieurs indicateurs.

Tout d'abord, il a été condamné pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme pour avoir intégré un groupe de combattants en Afghanistan. Ensuite, en mars 2015, il s'est rendu coupable d'une prise d'otage à l'unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Lille-Sequedin, après avoir commis de nombreux incidents disciplinaires, notamment dans l'établissement pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe, ce qui lui a valu d'être placé à l'isolement dès son arrivée à la maison centrale d'Arles. Par ailleurs, il a toujours affiché une pratique religieuse rigoriste.

S'agissant de son affectation au service général, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur une décision prise par la cheffe d'établissement. Néanmoins, le Spip a participé à la CPU de classement et, en l'occurrence, ne s'y est pas opposé : l'activité était adaptée à une évolution positive de son comportement depuis son arrivée à la maison centrale d'Arles et, surtout, à la perspective du terme de sa peine, ce qui supposait de préparer sa sortie. De plus, cette activité lui permettait de recevoir des subsides ce qui, à nos yeux, est important dans la perspective de la préparation à la sortie.

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Jean Cauvé, directeur pénitentiaire d'insertion et de probation, chef de l'antenne d'Arles-Tarascon du Spip, référent de la maison centrale d'Arles

Le classement au travail relève en effet de la décision de la cheffe d'établissement, après avis des membres de la CPU, dont le Spip fait partie et à laquelle participent également le chef de détention et les chefs de bâtiments. Manifestement, une certaine unanimité s'est fait jour pour considérer que son parcours laissait entrevoir des aspects positifs et qu'il pouvait être envisagé de le classer.

S'agissant d'un condamné pour des faits de terrorisme, l'octroi de réductions de peine supplémentaires (RPS) relève non de la CAP en présentiel, en établissement, mais de la décision du juge d'application des peines antiterroriste (JAPAT), avec lequel il n'y a pas de débat puisque les avis locaux lui sont transmis par voie informatique et qu'il prend sa décision après avis du parquet antiterroriste.

Je constate que certaines années, M. Elong Abé n'en a pas bénéficié. Lors de son séjour à la maison centrale d'Arles, la première année, il a bénéficié de huit jours de RPS, le maximum possible étant de trois mois, et, la seconde année, de quinze jours.

Il n'est pas contradictoire d'accorder des RPS ou d'émettre un avis favorable à leur octroi et, en même temps, de retirer des crédits de réduction de peine, ce qui a été le cas. Qu'il s'agisse d'un condamné terroriste ou de droit commun, le JAP distingue toujours le mauvais comportement d'un détenu, qui entraîne des retraits de crédits de réduction de peine, et les efforts qu'il peut accomplir, qui peuvent se traduire par quelques remises supplémentaires. En l'occurrence, je pense que ces dernières s'expliquent par la mise au travail de l'intéressé. Je précise que dans les établissements qu'il a fréquentés antérieurement, M. Elong Abé avait notamment bénéficié d'un mois de RPS.

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Dans le rapport de l'IGJ, une directrice adjointe affirme que, pour la première fois, l'avis unanime des trois CPU dangerosité qui ont précédé celle du 24 janvier et visant à transférer M. Elong Abé en QER n'a pas été suivi par une directrice d'établissement. Est-ce bien le cas ? Est-ce fréquent ? Avez-vous connaissance de cas similaires ?

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Siégeant dans les CPU sécurité-dangerosité des cinq établissements du ressort des Bouches-du-Rhône, je n'ai pas constaté que des avis n'ont pas été suivis même si, dans certains cas, cela peut prendre un peu de temps.

À mon niveau, je ne peux pas répondre dans ce cas précis. Toutefois, la procédure d'orientation en QER a évolué entre 2019 et 2022 puisque la nécessité de rédiger un rapport pluridisciplinaire d'évaluation transmis à l'administration centrale pour une proposition d'affectation en QER ne date que d'une note de la DAP du 19 juillet 2021. Précédemment, le chef d'établissement constituait un autre type de dossier, le dossier d'orientation et de transfert (DOT) spécifique à l'affectation en QER. Encore avant, un dossier d'orientation, non spécifique à l'affectation en QER, était renseigné par le greffe.

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J'ai bien compris que la procédure avait évolué et je vous remercie de l'avoir précisé. Mais sur le fond, il est donc rare qu'un directeur d'établissement ne suive pas les avis de la CPU dangerosité. D'après votre expérience, vous n'avez pas connaissance de tels cas d'opposition.

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Je ne connais pas de cas similaire, en effet.

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Lors des CPU, aviez-vous connaissance de l'ensemble des incidents provoqués par le détenu Elong Abé ? Je songe à des agressions mais, aussi, à des pressions exercées sur d'autres détenus afin qu'il puisse être classé auxiliaire. Le délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP) ou la direction interrégionale vous ont-ils transmis de telles informations ?

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Je dispose de ces informations à travers les notes de la Cirp, alimentées également par le DLRP. Je ne peux pas vous transmettre la note de profil du mois de décembre 2021, car sa diffusion est restreinte, mais elle ne mentionne pas de pressions exercées sur d'autres détenus.

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Jean Cauvé, directeur pénitentiaire d'insertion et de probation, chef de l'antenne d'Arles-Tarascon du Spip, référent de la maison centrale d'Arles

Je n'ai également jamais entendu parler de telles pressions, même si je ne suis pas constamment présent au sein de l'établissement et que ce sont parfois des CPIP qui assistaient aux CPU.

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Je me pose alors la question : où cette information a-t-elle été notée par le DLRP ? Il nous a indiqué l'avoir fait remonter à son supérieur hiérarchique de la Cirp.

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Lors de son audition, il a même évoqué le logiciel prévu à cet effet.

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Le renseignement pénitentiaire alimente un logiciel CAR – collecter, analyser, renseigner – auquel je n'ai pas accès et dont je ne pense pas que toutes les informations qu'il contient soient transmises dans les notes Cirp.

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Il s'agit là d'un élément important, après que l'on nous a vendu le décloisonnement des informations entre services de renseignement, la gestion électronique des documents, etc. Le rapport de l'IGJ ne fait pas état de cette information, pas plus qu'il n'en a été fait état le 30 mars.

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J'ai le sentiment que le Spip considérait l'octroi de ce poste d'auxiliaire moins comme une récompense – pour un bon comportement par exemple – que comme un élément de son parcours de sortie justifié par quelques manifestations de bonne volonté quant au fait d'avoir une activité assimilable à une activité professionnelle. Est-ce bien le cas ? S'agissait-il d'un encouragement, ou d'une récompense au regard d'un comportement particulier ?

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Jean Cauvé, directeur pénitentiaire d'insertion et de probation, chef de l'antenne d'Arles-Tarascon du Spip, référent de la maison centrale d'Arles

Je ne sais pas si on peut parler de récompense mais il est certain que, parmi les rares choses « positives » manifestées par M. Elong Abé figurait son attrait pour le sport. En quartier d'isolement (QI), les moniteurs de sport ont organisé une prise en charge individualisée qui, selon eux, s'est bien déroulée, ce qui a en partie contribué à sa sortie du QI et à son passage dans un quartier spécifique d'intégration (QSI). Je pense que cela a contribué à expliquer son classement.

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Souvent, les postes d'auxiliaire sont confiés à des détenus dignes de confiance puisqu'ils impliquent à la fois des responsabilités et quelques avantages. Était-il considéré comme une victoire en soi qu'il ait accepté un travail ou s'agissait-il de l'encourager à aller plus loin ?

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Jean Cauvé, directeur pénitentiaire d'insertion et de probation, chef de l'antenne d'Arles-Tarascon du Spip, référent de la maison centrale d'Arles

Sans doute un peu des deux mais je n'ai pas d'avis précis en la matière. Les moniteurs de sport ont joué un grand rôle dans son classement puisqu'ils ont jugé que son investissement était positif. Lorsque le poste est devenu vacant, il a postulé et a été retenu. Je ne sais d'ailleurs pas s'il y avait d'autres candidats ou s'il a été « privilégié », car nous ne sommes pas au cœur de la procédure de recrutement. Lorsqu'un poste de travail est ouvert, un appel d'offres est diffusé auprès de la population pénale et les détenus peuvent candidater.

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S'agissant des QER, nos auditions ont mis en évidence deux points de vue opposés.

Selon l'article R. 57-7-84-13 du code de procédure pénale en vigueur à l'époque, « Lorsqu'une personne détenue majeure est dangereuse en raison de sa radicalisation et qu'elle est susceptible, du fait de son comportement et de ses actes de prosélytisme ou des risques qu'elle présente de passage à l'acte violent, de porter atteinte au maintien du bon ordre de l'établissement ou à la sécurité publique, elle peut être placée au sein d'un quartier de prise en charge de la radicalisation, dès lors qu'elle est apte à bénéficier d'un programme et d'un suivi adaptés ».

M. Ricard, qui est à la tête du parquet national antiterroriste (PNAT), mais également le directeur de l'administration pénitentiaire, ont tenu des propos presque agacés, considérant que M. Elong Abé était dangereux, que sa radicalisation était connue et qu'il allait déstabiliser les QER. Faut-il donc aussi comprendre qu'il n'était pas trop dangereux pour occuper un emploi au service général en détention ordinaire, sachant, de surcroît, que les services de renseignement le considéraient comme étant en haut du spectre parmi les TIS ?

Je souhaiterais donc connaître votre avis sur la différence entre les notions de dangerosité carcérale et de dangerosité terroriste, telle que M. Ricard l'a développée pour essayer de relativiser la dangerosité de M. Elong Abé en détention. En substance, au vu de sa dangerosité carcérale, il pouvait être accompagné vers la sortie parce qu'il était gentil en détention. Or, quand on parle de « haut du spectre », on parle de dangerosité terroriste, avec un détenu capable de dissimulation avant de commettre un acte d'extrême violence.

Surtout, considérez-vous, comme l'IGJ, que les QER sont parfaitement calibrés pour intégrer des personnes complexes et les gérer d'une manière sécurisée ? D'une part, on assure que c'est impossible et l'on passe sur le fait que M. Elong Abé puisse devenir auxiliaire sport ; dès lors, on relativise beaucoup, jusqu'à l'assassinat d'Arles – qui est un acte grave – les responsabilités des uns et des autres en termes de non-transmission de procès-verbaux, etc. D'autre part, les textes assurent que les QER visent précisément les individus susceptibles de passage à l'acte violent et qu'ils permettent de gérer les personnes complexes. Considérez-vous que, compte tenu de son parcours, il devait impérativement intégrer un QER ?

Selon l'IGJ, seules deux exceptions sont prévues au transfert automatique d'un TIS en QER : parce que le détenu est parfaitement connu, ou parce que cela nuirait à une enquête judiciaire en cours. M. Elong Abé était-il le seul TIS non transféré en QER à ne pas relever de ces deux critères ?

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Il faut tenir compte de la situation des individus au moment où leur transfert est sollicité.

Il m'est difficile de répondre, car ces décisions sont prises par l'administration centrale, mais je sais qu'une affectation en QER avait été préconisée lorsque M. Elong Abé a quitté l'établissement de Condé-sur-Sarthe. Je n'ai jamais exercé dans un établissement qui accueille un QER et je ne connais pas précisément leur mode de fonctionnement, mais les détenus qui présentent des troubles psychiatriques ou dont le parcours est très accidentogène peuvent en effet déstabiliser ces structures. Lorsque M. Elong Abé, avant de quitter la maison centrale de Condé-sur-Sarthe, provoquait un incendie de cellule et un tapage tous les deux jours, il était possible de se poser la question de son accessibilité à l'évaluation en session QER.

En revanche, à Arles, le nombre d'incidents a considérablement diminué, avec un retour progressif en détention ordinaire après un passage par le QSI. Sous toutes réserves, on peut estimer qu'à ce moment-là, il pouvait être accessible à une évaluation en QER.

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Selon le rapport de l'IGJ, 487 TIS sur 500 sont passés en QER. Parmi elles, il y a bien des personnes psychiquement complexes, à l'instar de M. Elong Abé ? Autrement dit, les QER sont-ils assez solides pour gérer ces personnalités ?

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Il m'est difficile de vous répondre, car je ne connais pas le mode de fonctionnement des QER. Les synthèses dont nous disposons concernant des détenus sortis de QER mais qui, lors de leur transfert, avaient un profil psychique « compliqué » ne sont pas très fournies. La question de l'opportunité d'une évaluation et d'une affectation peut donc se poser.

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M. Elong Abé était-il le seul TIS à ne pas répondre aux deux critères de non-affectation automatique et à ne pas avoir été transféré en QER ?

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

L'administration centrale pourrait sans doute vous répondre. Au niveau de la maison centrale d'Arles, M. Aroua n'avait pas non plus été orienté, pour une raison que j'ignore ; il a fini par l'être. Dans les Bouches-du-Rhône, tous les TIS actuellement incarcérés sont passés en QER, sauf une détenue, qui a fait l'objet d'une évaluation ambulatoire. En effet le QER pour femmes n'a été mis en place que très récemment.

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Cette commission d'enquête parlementaire est un peu particulière puisqu'elle a aussi une dimension locale, son président et son rapporteur étant issus de la même région. Néanmoins, elle vise aussi à déterminer les défaillances d'un système, notamment en raison de certains cloisonnements et, selon moi, à améliorer ce dernier afin que de tels drames ne soient plus possibles – je considère d'ailleurs que celui-ci aurait probablement pu être évité, même s'il est facile de refaire l'histoire a posteriori.

Le parcours d'Elong Abé a été catastrophique, notamment à Condé-sur-Sarthe. Des incidents graves, une condamnation suite à une prise d'otage – ce n'est pas anodin, même s'il n'y a pas eu mort d'homme. Les personnes que nous avons auditionnées, au sein de la direction de l'administration pénitentiaire ou de la maison centrale d'Arles, ont brossé le portrait d'un individu dont le comportement s'améliorait, quoique quatre incidents aient été signalés.

Vous avez fait part d'un certain nombre d'éléments concernant la description de la cellule de M. Elong Abé et de son comportement. Constituaient-ils des signaux faibles même si chacun sait, compte tenu de son parcours, qu'il était considéré comme un détenu radicalisé et potentiellement dangereux ? Les informations que vous avez transmises ont-elles eu des répercussions ?

Selon moi Franck Elong Abé représentera toujours un danger pour la société et il n'est pas près de sortir, mais vous êtes également chargés de travailler sur les perspectives de libération et de préparer le suivi de ces personnes après leur sortie. Que mettez-vous en œuvre pour ce faire ? Sa future libération suscitait-elle chez vous des inquiétudes – j'ai une idée de votre réponse, mais peut-être me surprendrez-vous ? Comment l'envisagiez-vous, quels dispositifs comptiez-vous déployer ?

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Jean Cauvé, directeur pénitentiaire d'insertion et de probation, chef de l'antenne d'Arles-Tarascon du Spip, référent de la maison centrale d'Arles

Compte tenu de ses antécédents, un collègue DPIP a reçu M. Elong Abé lors de son arrivée à la maison centrale d'Arles : l'entretien s'est déroulé correctement, sans agressivité. Ensuite, son suivi a été confié à une CPIP, avec laquelle j'ai fait le point hier pour savoir comment celui-ci s'était déroulé.

Au début, l'intéressé refusait de serrer la main de l'assistante sociale et de la CPIP – deux femmes –, mais il a accepté de le faire plus tard. Le travail visait à préparer la sortie en limitant les risques. Tout d'abord, nous avons lancé la procédure de renouvellement de sa carte nationale d'identité, qui était périmée. Nous nous sommes heurtés à un problème administratif, car le fichier de l'état civil de Nantes ne le reconnaissait pas. Nous avons ensuite envisagé une rencontre avec Pôle emploi pour répondre à sa volonté de bénéficier d'un aménagement de peine. Très vite, ces projets sont tombés à l'eau, et le détenu s'est muré dans une posture certes jamais agressive à l'égard des agents du Spip, mais d'attente de la fin de la peine. Il disait qu'il se débrouillerait à sa sortie de prison. Cela nous a fortement inquiétés et nous avons soutenu l'idée de l'orienter vers un QER, je rejoins ma collègue sur ce point, même si son comportement à Arles posait moins de problèmes que dans les autres établissements pénitentiaires.

La date de sa libération n'était pas imminente, mais nous n'avions pas d'autre perspective que de saisir les autorités judiciaires pour qu'une mesure de surveillance judiciaire lui soit appliquée à sa sortie. Si le condamné refuse un aménagement de peine, il reste la possibilité de lui imposer cette surveillance pour éviter une sortie sèche.

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Je confirme que la perspective de la sortie de Franck Elong Abé constituait une source d'inquiétudes et de difficultés, notamment parce que sa pratique religieuse restait rigoriste. Condamné pour des faits de terrorisme, libéré d'une maison centrale après une longue période à l'isolement, même s'il en était sorti, auteur de nombreux incidents disciplinaires pendant son parcours en détention, ayant un comportement de type psychopathologique : tous les signaux d'une sortie inquiétante étaient allumés, d'autant que M. Elong Abé était incapable de se projeter sur celle-ci. Il était isolé du point de vue familial et ne disposait pas de structure d'hébergement à sa sortie. Nous aurions donc envisagé de déployer une surveillance judiciaire que le PNAT aurait, j'imagine, requise. J'aurais également étudié la possibilité de l'orienter vers le dispositif Pairs dont je vous ai parlé tout à l'heure, qui assure une prise en charge pluridisciplinaire et intensive de ce type de profil en milieu ouvert. Il aurait également fallu échanger avec les différents services partenaires dans le cadre du GED réuni à la préfecture. Je pense que M. Elong Abé aurait été suivi de près et aurait fait l'objet d'une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (Micas), qui n'est pas ordonnée par le ministère de la Justice mais par celui de l'Intérieur.

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Vous participez au GED : nous sommes d'accord que cette structure vise à décloisonner les informations portant sur les profils des détenus. L'ensemble des services de renseignement – le niveau interrégional et local du service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) – sont représentés dans ces groupes qui assurent le suivi individualisé de certaines personnes incarcérées, n'est-ce pas ?

Le JAPAT et le PNAT ont donné des avis respectivement « réservé » et « très réservé » au transfèrement en QER de Franck Elong Abé, quand celui-ci se trouvait à Condé-sur-Sarthe. L'IGJ rappelle pourtant que le PNAT n'a pas de compétence en matière post-sentencielle. Avez-vous connu des situations similaires dans lesquelles le siège et le parquet se prononçaient contre le transfèrement d'un détenu TIS en QER ?

Comment le Spip percevait-il le comportement d'Yvan Colonna en détention ?

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Dans les Bouches-du-Rhône, le GED se réunit tous les mardis à la préfecture de police, l'ordre du jour étant défini par un bureau spécialement dédié. Sont présents les services de renseignement – les renseignements territoriaux et la DGSI –, la direction générale de la gendarmerie nationale, la police aux frontières et, pour le ministère de la Justice, les assistants spécialisés auprès des juridictions d'Aix-en-Provence et de Marseille, la Cirp et le Spip, que je représente. Dans les GED, tous les services chefs de file partagent leurs informations sur les profils suivis. Pour les détenus, c'est la Cirp qui joue ce rôle ; pour les personnes en milieu ouvert, ce sont les services partenaires – renseignement territorial ou DGSI – qui donnent ces informations. Le GED des Bouches-du-Rhône a examiné le cas de Franck Elong Abé à cinq reprises : le 1er octobre 2019 à son arrivée dans le département après son transfert, le 5 mai 2020 de manière dématérialisée pour cause de confinement, le 9 février 2021, le 6 avril 2021 et le 7 décembre 2021, réunion à laquelle j'ai participé. Au regard des éléments sur le profil et après avoir pris connaissance de toutes les informations actualisées sur le parcours de détention, la préfète décide du maintien ou de l'arrêt du suivi des individus au titre du renseignement. Le 7 décembre 2021, elle a bien entendu décidé de poursuivre le suivi de Franck Elong Abé.

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La direction de l'établissement participe-t-elle aux GED ?

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Non ; les établissements ne sont pas représentés et l'administration pénitentiaire ne l'est que par la Cirp et le Spip.

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La direction interrégionale des services pénitentiaires (Disp) ne siège pas dans les GED ? Seule la hiérarchie du renseignement pénitentiaire est présente ?

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Exactement, mais celle-ci fait partie de l'administration pénitentiaire.

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Oui, mais on nous a expliqué que malgré le décloisonnement, deux voies hiérarchiques différentes continuaient de cohabiter.

Connaissez-vous d'autres avis réservés ou très réservés du parquet sur des détenus TIS non transférés en QER ?

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Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation au sein de la mission de lutte contre la radicalisation violente

Je ne me souviens pas d'avis, favorables ou défavorables, donnés par le parquet sur un transfert en QER.

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Jean Cauvé, directeur pénitentiaire d'insertion et de probation, chef de l'antenne d'Arles-Tarascon du Spip, référent de la maison centrale d'Arles

M. Colonna était suivi par une CPIP différente de celle qui suivait M. Elong Abé. Il ne posait aucune difficulté en détention, il était discret et respectait le personnel et ses codétenus. Il sollicitait le Spip ponctuellement, surtout pour sa situation familiale et la gestion de certaines démarches administratives. Mes collègues ont noté qu'il échangeait toujours avec respect avec eux. Il participait aux activités, et la dernière d'entre elles était assez symbolique : un atelier de bande dessinée dont le sujet était les unités de vie familiale (UVF) des établissements pénitentiaires. M. Colonna s'y était beaucoup investi et il avait écrit des textes destinés à être mis en images avec l'aide de deux intervenantes extérieures, une scénariste et une dessinatrice. Il y livrait beaucoup de ce que représentaient pour lui ces moments particuliers dans les UVF, marqués à la fois par la joie des retrouvailles et le déchirement de la séparation. Ses écrits, très profonds, avaient été transmis mais, à la lumière du drame survenu, la démarche n'est pas allée à son terme, à la demande de la Disp, alors que le directeur de l'établissement souhaitait que cet atelier puisse se poursuivre, par respect pour ses participants. Notre coordinatrice d'activité, qui était très investie dans ce projet, a été très affectée par ce drame.

Pour résumer, M. Colonna ne posait aucune difficulté et était très investi dans ses activités, notamment son activité professionnelle, au sein de la détention. Il commençait à évoquer un aménagement de peine puisqu'il avait achevé sa période de sûreté en juillet 2021.

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Je vous remercie d'avoir détaillé le comportement d'Yvan Colonna à la fin de sa vie : j'ignorais, comme les autres membres de la commission, me semble-t-il, son engagement dans l'atelier que vous avez décrit.

Vous avez achevé votre propos sur la possibilité d'un aménagement de peine. M. Ricard, procureur de la République antiterroriste, nous a dit – ce que je savais, lui ayant rendu visite, avec d'autres députés, le 22 janvier 2022 – qu'Yvan Colonna avait refusé d'entrer dans la procédure d'évaluation préalable à l'aménagement de la peine, insinuant que s'il avait exercé son droit à l'évaluation, il ne serait pas décédé. Lorsque nous l'avons vu, l'intéressé a motivé ce refus par deux raisons. La première tient à une certaine lassitude : comme les demandes de semi-liberté des deux autres membres du « commando Érignac », en particulier de Pierre Alessandri, étaient refusées, soit en première instance, soit en deuxième, après appel du parquet, au motif de risque de trouble à l'ordre public, Yvan Colonna était persuadé que l'aménagement de peine lui serait encore moins accessible. La seconde raison était qu'on lui demandait de regretter l'acte qui l'avait conduit en prison alors qu'il contestait toujours être l'assassin du préfet Claude Érignac – des procédures étaient d'ailleurs en cours devant la justice européenne : il refusait de regretter un acte qu'il contestait avoir commis.

Avez-vous les mêmes informations sur le refus d'Yvan Colonna d'entrer dans la procédure d'évaluation et sur les motifs qu'il avançait ? Est-il habituel de demander à un condamné de revenir sur son procès pendant la phase d'évaluation de sa demande d'aménagement de peine ? Il y a eu trois procès contre Yvan Colonna : les deux premiers, qui ont été cassés, le condamnaient à la réclusion criminelle à perpétuité assortie de vingt-deux ans de sûreté ; le troisième l'a condamné à la même peine, mais sans période de sûreté. C'est ensuite la Cour de cassation, après un pourvoi du parquet, qui a fixé la peine de sûreté à dix-huit ans.

Ces aspects sont importants après ce que nous a dit M. Ricard.

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Jean Cauvé, directeur pénitentiaire d'insertion et de probation, chef de l'antenne d'Arles-Tarascon du Spip, référent de la maison centrale d'Arles

M. Colonna avait déposé une demande d'aménagement de peine en septembre 2021 et devait être transféré au centre national d'évaluation (CNE) situé à la prison d'Aix-Luynes, à quelques kilomètres d'Arles, pour un cycle de six semaines. Il a sollicité ensuite par courrier une audience avec sa CPIP, que celle-ci a retranscrite en ces termes : « M. nous informe de son souhait de se désister de sa demande d'aménagement de peine. Il déclare ne pas avoir d'espoir, car ses coauteurs qui ont fait plus de détention se sont vu refuser leur demande d'aménagement » – c'est donc effectivement l'une des raisons avancées pour le retrait de sa demande. « Il déclare également qu'au CNE, il ne cachera pas sa non-reconnaissance des faits et sait que cela le pénalisera ». En effet, sans travailler au CNE, je sais que celui-ci est amené, en partie, à revenir sur la décision judiciaire qui a motivé la condamnation du détenu pour savoir comment celui-ci a évolué du point de vue de la reconnaissance des faits et des victimes. C'est donc bien quelque chose que M. Colonna redoutait puisqu'il l'a verbalisé. Le compte rendu poursuit : « Il déclare qu'il veut mener un seul combat à la fois. Sa priorité aujourd'hui est de se rapprocher de son fils pour recréer des liens avec lui ». Il évoque enfin l'espoir d'un transfert en Corse.

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Jean Cauvé, directeur pénitentiaire d'insertion et de probation, chef de l'antenne d'Arles-Tarascon du Spip, référent de la maison centrale d'Arles

Non, le Spip n'en est pas membre de droit.

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Selon vous, M. Colonna présentait-il un risque réel d'évasion ?

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Jean Cauvé, directeur pénitentiaire d'insertion et de probation, chef de l'antenne d'Arles-Tarascon du Spip, référent de la maison centrale d'Arles

À ma connaissance, non. Compte tenu de son comportement depuis des années, de son investissement et de la position qu'il assumait, la réponse est non.

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Nous vous remercions tous les deux d'avoir contribué aux travaux de cette commission d'enquête.

La commission auditionne Mme Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste au tribunal judiciaire de Paris, et de Mme Émilie Thubin, vice-présidente en charge de l'application des peines en matière antiterroriste.

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Nous auditionnons à huis clos deux magistrates du tribunal judiciaire de Paris : Mme Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste, et Mme Émilie Thubin, vice-présidente chargée de l'application des peines en matière antiterroriste.

Mesdames, nous souhaiterions que vous nous exposiez la manière dont fonctionne le tribunal judiciaire de Paris s'agissant de l'application des peines en matière antiterroriste. Combien de détenus suivez-vous ? Quel est leur profil ? Celui-ci a-t-il évolué ? De quels moyens disposez-vous ? Quelles sont les procédures en vigueur ? Compte tenu de l'ampleur de votre mission, des adaptations vous sembleraient-elles utiles ?

Plus spécifiquement, nous voudrions connaître la manière dont sont prises les décisions en matière de réduction de peine ou de retrait de ces réductions – qu'elles soient automatiques ou supplémentaires – compte tenu du profil et des comportements en détention des individus dont vous avez la charge, en particulier dans le cas de Franck Elong Abé, l'agresseur d'Yvan Colonna.

Enfin, eu égard au débat soulevé par le rapport de l'Inspection générale de la justice (IGJ), nous souhaiterions savoir ce que pensent les juges de l'application des peines antiterroristes (JAPAT) des quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER) en général, et, en particulier, des avis réservés et très réservés qui ont été émis en 2019 concernant le transfert de M. Elong Abé dans un tel quartier. Nous aimerions également connaître votre avis sur le statut de détenu particulièrement signalé (DPS) appliqué aux deux protagonistes, et sur le maintien d'Yvan Colonna sous ce statut.

Avant de vous laisser la parole, et en application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous prie de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mmes Françoise Jeanjaquet et Émilie Thubin prêtent successivement serment.)

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

J'ai demandé à Mme Thubin de m'accompagner, car elle est chargée du suivi des détenus de la maison centrale d'Arles.

Dans mon propos liminaire, et en réponse au questionnaire qui m'a été adressé, je vais d'abord décrire l'organisation du service, définir notre domaine de compétence et les limites de notre intervention, avant d'exposer les difficultés auxquelles nous sommes confrontés pour assurer nos différentes missions ; j'aborderai ensuite plus particulièrement les questions relatives aux réductions de peine ainsi que les avis que nous émettons, notamment concernant l'orientation en QER et en quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR), et plus spécifiquement encore s'agissant du cas de M. Elong Abé.

Les juges de l'application des peines en matière de terrorisme ont une compétence exclusive pour assurer le suivi des condamnés pour une infraction terroriste, ce qui signifie que les juges de l'application des peines (JAP) dits de droit commun ou locaux qui interviennent dans les établissements doivent nécessairement se dessaisir à notre profit lorsqu'ils ont connaissance d'un dossier lié au terrorisme. Notre compétence est en outre nationale, c'est-à-dire que nous assurons le suivi de tous les condamnés pour des faits de terrorisme, quel que soit leur lieu de détention ou quel que soit leur domicile, notamment pour le suivi des mesures en milieu ouvert.

Cette fonction a été créée en janvier 2006 dans l'objectif d'assurer une spécialisation des magistrats dans ce domaine très particulier et de prendre en charge de manière homogène les personnes condamnées pour de telles infractions. Il y avait aussi la volonté de rendre aussi systématique que possible le recours à la visioconférence pour l'audition des condamnés pour des faits de terrorisme, de manière à éviter les extractions et les transports de condamnés, lesquels sont soumis à des règles de sécurité très particulières.

En 2006, il n'y avait qu'un seul magistrat chargé de ce suivi, qui traitait essentiellement des terrorismes basque et corse. C'est avec la montée en puissance des condamnations pour terrorisme islamiste, notamment du fait de la judiciarisation des départs ou des velléités de départ en Syrie, que le nombre de personnes condamnées pour des infractions terroristes a augmenté de façon exponentielle, conduisant à affecter au service un deuxième magistrat en 2016, puis un troisième en septembre 2019, avec la création du poste – que j'occupe – de première vice-présidente chargée de la coordination du service. Comme tous les JAP, nous disposons d'une greffière par cabinet et deux adjoints administratifs travaillent avec nous, ce qui constitue au total un petit service de huit personnes.

Plus de 85 % des condamnés que nous suivons sont désormais des terroristes islamistes, auxquels s'ajoutent entre 8 % et 10 % de terroristes basques, environ 3 % de condamnés corses et une personne d'Action directe. Nous commençons depuis peu à avoir affaire à des condamnés appartenant à la mouvance d'ultradroite, notamment au groupuscule OAS.

S'agissant plus particulièrement des condamnés pour terrorisme corse, nous en suivons actuellement huit dans le cadre d'un aménagement de peine ou d'une peine en milieu ouvert. Ils vivent en Corse. Un se trouve, essentiellement pour des raisons de santé, en région parisienne. Six autres sont emprisonnés, dont cinq au centre pénitentiaire de Borgo – notamment MM. Ferrandi et Alessandri, depuis leur radiation du répertoire des DPS à la suite de l'assassinat d'Yvan Colonna.

Au total, toutes mesures confondues, nous suivions au 31 décembre 2022 614 personnes, dont 256 détenus et 39 individus faisant l'objet d'une mesure d'aménagement de peine sous la forme d'une détention à domicile sous surveillance électronique. Il faut savoir qu'en décembre 2015, le service n'avait la charge que de 240 dossiers – d'où l'accroissement de nos effectifs.

Le service et nos trois cabinets spécialisés sont organisés selon une répartition géographique articulée autant que possible avec le ressort des directions régionales de l'administration pénitentiaire afin qu'il y ait un interlocuteur unique par région, sauf en région parisienne, où la répartition se fait par département. Cette répartition permet à chaque JAP compétent en matière de terrorisme d'avoir dans son ressort au moins un QER et un QPR. Chaque cabinet assure, dans le secteur dont il a la charge, le suivi des mesures en milieu ouvert – sursis probatoires, surveillance judiciaire, suivi socio-judiciaire et suivi post-peine –, des mesures d'aménagement de peine – semi-liberté, détention à domicile sous surveillance électronique, placement extérieur –, ainsi que des condamnés incarcérés en établissement pénitentiaire.

Il ne s'agit cependant pas d'un suivi continu. Les textes ne nous donnent aucune compétence pour déterminer le régime de détention ni même orienter le parcours d'exécution de la peine, qui dépend exclusivement de l'administration pénitentiaire. Par exemple, les décisions relatives au classement ou au déclassement d'un détenu au travail ou en formation ainsi qu'à son accès à des activités en détention dépendent uniquement de la direction de l'établissement ; elles sont généralement prises à l'issue de commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) au sein desquelles le JAP n'intervient pas. Nous n'avons aucune préconisation particulière à donner en matière de gestion des mesures de sécurité ou de régime de détention, qui relèvent de la compétence du chef d'établissement, en fonction des régimes applicables aux différents quartiers de l'établissement. Nous n'intervenons que de manière ponctuelle, lorsque nous sommes saisis d'une demande ou d'un avis relevant de notre compétence et prévu par les textes.

Le cœur de notre métier est d'abord de statuer sur les demandes d'aménagement de peine des condamnés et sur les réquisitions du parquet national antiterroriste (PNAT) en vue de la mise en place de mesures de sûreté à la libération. Nos décisions sont alors rendues dans le cadre d'une procédure contradictoire comportant une audience ; le condamné y est assisté par un avocat et a la possibilité de faire appel de nos jugements, lesquels sont examinés par la chambre de l'application des peines compétente en matière de terrorisme, à la cour d'appel de Paris.

Notre cœur de métier est aussi de statuer sur l'octroi de réductions de peine supplémentaires ou le retrait de crédits de réduction de peine. Néanmoins, nous ne pouvons pas nous saisir d'office : nous devons être saisis par le chef d'établissement ou par le parquet. Nous sommes également saisis de demandes du condamné concernant des permissions de sortir ou des autorisations de sortie sous escorte. Il s'agit de décisions rendues sur ordonnance et relevant essentiellement du champ d'intervention de la commission de l'application des peines. Ces ordonnances sont également susceptibles d'appel.

Nous avons ensuite des activités, non pas véritablement annexes, mais liées au fait que le JAP peut être amené à formuler des avis consultatifs dans le cadre d'une procédure aboutissant à une décision de nature administrative – et non juridictionnelle. Il s'agit notamment de l'orientation initiale d'un condamné vers un établissement et des décisions de transfert d'un établissement à l'autre. Toutefois, la décision finale relève de la compétence de l'administration pénitentiaire. Nous intervenons également pour donner un avis sur la prolongation des mesures d'isolement, en raison de la mission de gardien des libertés individuelles que nous exerçons : en effet, les mesures d'isolement sont très attentatoires à la liberté individuelle et peuvent avoir des conséquences délétères sur la santé psychique et physique du détenu – d'où un cadre procédural extrêmement contraint. Enfin, nous donnons notre avis au sein des commissions qui vont proposer le placement ou le maintien d'un individu sous le statut de DPS, sachant que la décision finale appartient au ministère de la Justice. Si j'ai hésité à qualifier ces activités d'annexes, c'est parce qu'on n'en tient compte ni dans l'évaluation de notre charge de travail ni dans les statistiques d'activité de notre service.

Chaque magistrat suit en moyenne un peu plus de 200 dossiers. Compte tenu de la nature très particulière du contentieux, le ratio est bien inférieur à celui d'un JAP chargé de personnes détenues pour des faits de droit commun. Nous exerçons dans d'assez bonnes conditions et le travail que nous accomplissons dans le cadre de notre activité juridictionnelle est qualitatif.

Néanmoins, nous travaillons à flux tendu et sommes contraints d'établir des priorités. En effet, depuis environ deux ans, le nombre de sortants de prison s'accroît et notre priorité absolue est d'examiner les demandes d'aménagement de peine de ces condamnés à l'approche de leur sortie et les réquisitions du PNAT en vue de la mise en place de mesures de sûreté. Il est en effet de notre responsabilité d'examiner la situation des détenus terroristes afin de déterminer s'ils ont besoin d'un accompagnement à leur sortie de détention et nous devons impérativement statuer dans des délais contraints, à savoir avant ladite sortie. Nous y passons de plus en plus de temps, parfois au détriment d'autres tâches.

D'autre part, si la compétence nationale permet une spécialisation et une uniformisation de la jurisprudence en matière de terrorisme, elle a aussi un inconvénient, qui est notre éloignement des établissements. Un JAP local va pouvoir se rendre plusieurs fois par mois sur place, rencontrer le chef d'établissement, effectuer des visites, avoir des échanges informels ; il aura de ce fait une connaissance fine de l'établissement, de la politique qui y est menée, des conditions de détention et des profils des détenus. Nous ne disposons pas de cette possibilité. Nous nous déplaçons essentiellement pour tenir des audiences dans le cadre de dossiers à fort enjeu. Par exemple, il y a quinze jours, le tribunal de l'application des peines s'est rendu au centre pénitentiaire de Borgo pour examiner la demande d'aménagement de peine de M. Ferrandi. Il nous semble en effet important, s'agissant de personnes faisant l'objet d'une réclusion criminelle à perpétuité, de nous rendre dans l'établissement, de rencontrer le détenu, d'échanger avec le chef d'établissement et avec les équipes. Nous souhaiterions augmenter le nombre de ces déplacements. Si nous avons visité la majorité des centres disposant d'un quartier dédié du type QER ou QPR, il nous manque une connaissance fine de la politique menée dans chaque établissement.

Nous souhaiterions aussi avoir le temps de présider nous-mêmes des commissions de l'application des peines, notamment pour l'examen des réductions de peine supplémentaires. Dans l'état actuel des choses, la commission de l'application des peines locale rend un avis après examen de la demande et nous envoie le dossier ; nous sollicitons l'avis du PNAT et nous rendons une décision motivée. Toutefois, nous n'avons pas toujours la possibilité d'échanger avec les membres de la commission, car nous manquons de temps non seulement pour nous déplacer mais aussi pour organiser des réunions de la commission en visioconférence. C'est très dommage, la commission de l'application des peines étant une source particulièrement riche d'informations et un lieu de discussion concernant la situation et le parcours du condamné, puisqu'y siègent un représentant de l'établissement, un représentant de la détention, un représentant du service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip) et un représentant du PNAT.

De même, nous ne pouvons consacrer qu'un temps limité aux avis que nous sommes amenés à donner à l'administration pénitentiaire, et qui sont très nombreux car les personnes condamnées pour terrorisme font l'objet de beaucoup de transferts, d'orientations, de mesures d'isolement ou de sortie d'isolement. Nous n'émettons des avis que de manière ponctuelle, sur saisine, et, compte tenu de nos moyens, il nous est difficile d'avoir une vision panoramique, en temps réel, du parcours en détention des condamnés relevant de notre compétence. Or cela nous permettrait peut-être de mieux suivre leur prise en charge et de préconiser, parfois même en dehors des textes, des orientations, dans le cadre d'échanges informels avec les établissements.

Il nous arrive de le faire, mais essentiellement pour des condamnés qui ont déposé une demande d'aménagement de peine ou envisagent de le faire. Souvent, nous les recevons en audition et ils nous font part de leurs projets concernant la sortie ou le parcours d'exécution de peine ; nous pouvons alors, à la lumière de ce qu'ils nous disent et de ce que nous estimons être leur besoin en matière pénitentiaire, informer l'administration pénitentiaire de ce qui serait bien pour eux.

Actuellement, c'est donc principalement au moment de l'examen d'une requête en aménagement de peine, ou des réquisitions du parquet en vue de l'instauration d'une mesure de sûreté, que nous étudions la situation pénale et le parcours pénitentiaire global du condamné dont le dossier nous est soumis. Nous le faisons sur le fondement des avis recueillis auprès du Spip et de la direction de l'établissement, ainsi que de tous les documents qui nous sont transmis – synthèses QER, synthèses QPR, rapports des binômes de soutien. En outre, pour certaines mesures – c'est obligatoire pour mettre en œuvre une mesure de surveillance judiciaire –, nous avons des expertises psychiatriques ou nous pouvons en diligenter.

Le JAPAT ne dispose pas de l'intégralité des informations qui permettent d'évaluer complètement la dangerosité d'un condamné, notamment celles qui peuvent être recueillies par les services de renseignement, quels qu'ils soient.

Peut-être serait-il intéressant d'envisager la création d'un quatrième poste pour développer cette politique. En outre, nous demandons en vain la création d'un poste d'assistant spécialisé – recommandée par le rapport rendant compte du contrôle de fonctionnement effectué par l'IGJ en octobre 2019 –, à l'instar de celui qui existe au service de l'exécution des peines du PNAT, afin de rédiger des notes de synthèse, à mettre régulièrement à jour, sur le parcours des condamnés pris en charge par le service. Cela nous fournirait un outil de travail préparatoire complet et actualisé au moment de notre prise de décision.

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Vous venez d'indiquer que vous ne connaissez pas l'ensemble des éléments dont disposent les services de renseignement. Or, dans l'affaire qui nous occupe, c'est le grand écart entre ce que peuvent dire les services de renseignement, d'une part, et l'administration pénitentiaire, d'autre part, au sujet de ce que l'on savait de l'individu en question, alors même qu'il existe des outils permettant le décloisonnement, comme les groupes d'évaluation départementaux (GED). C'est une contradiction qui étonne la commission d'enquête et qu'il va nous falloir résoudre.

Vu la gravité des faits, la personnalité des protagonistes et la gestion politique, administrative et juridique de leur parcours carcéral, les questions sont nombreuses. Nous les avons posées lors de plusieurs de nos auditions, notamment celle du procureur de la République antiterroriste, laquelle a soulevé à son tour beaucoup de questions.

Je m'appuie sur le rapport de l'IGJ. L'un des éléments qu'il relève est la question du transfèrement de Franck Elong Abé en QER, qui s'est posée lorsqu'il était détenu à Condé-sur-Sarthe. L'IGJ évoque un avis unanime de la CPU dangerosité, suivi par la direction de l'établissement – ce qui n'a pas été le cas à Arles – et par la direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes. L'intéressé était d'accord, ce que nous a confirmé la directrice interrégionale. L'Inspection fait état de l'avis réservé de la vice-présidente antiterroriste chargée de l'application des peines et de l'avis très réservé du PNAT. Elle souligne que celui-ci n'avait pas la compétence en matière post-sentencielle pour émettre un avis sur une proposition d'affectation en QER et que la direction de l'administration pénitentiaire (DAP), à qui appartient la décision finale, n'était pas liée par ces avis.

Nous avons dans ce rapport les trois lignes justifiant l'avis réservé, mais pouvez-vous nous dire, si vous en avez gardé trace, quelle a été la teneur des débats à ce sujet, notamment avec le PNAT ? Car si vous n'avez pas d'informations venant des services de renseignement, le PNAT, lui, doit en avoir, quelles qu'aient été les explications données par M. Ricard devant la commission d'enquête.

Selon l'IGJ, il n'y a réglementairement que deux cas où un terroriste islamiste (TIS) ne passe pas en QER : s'il est déjà connu ou si son affectation contrariait une enquête judiciaire en cours. Depuis la création des QER, 487 TIS y ont séjourné, 13 seulement n'y sont pas passés. Sur ces 13 personnes, combien avaient fait l'objet de la même succession d'avis que Franck Elong Abé – avis positif de la CPU, puis avis négatif des magistrats antiterroristes, notamment du parquet ? Et combien ne relevaient pas des deux exceptions réglementaires ? Si vous ne disposez pas de ce second chiffre, nous pourrons l'obtenir de l'administration centrale pénitentiaire. Vous pouvez nous donner l'ensemble de ces éléments plus tard si vous ne les avez pas en tête.

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

Je n'ai pas fait de recherches sur cette question précise.

L'administration pénitentiaire a une doctrine de détection et d'évaluation de la radicalisation et d'affectation au sein des QER, à partir de notes. Notre rôle est d'émettre un avis personnalisé, fondé sur ce que nous savons et sur les informations qui nous sont données par l'administration pénitentiaire par l'intermédiaire des dossiers d'orientation et transfert (DOT), mais aussi, parfois, des commentaires du bureau anciennement SP1, sur les raisons pour lesquelles l'affectation en QER est envisagée.

Nous recevons un e-mail de l'administration pénitentiaire, avec les pièces d'information afférentes au dossier, qui est envoyé au JAPAT et au PNAT. Il n'y a bien sûr aucune concertation entre nous et le PNAT quant aux avis que nous sommes amenés à donner sur l'affectation en QER ; et, en effet, nous n'avons peut-être pas exactement les mêmes éléments d'information que lui.

Nous ne sommes pas nécessairement d'accord avec les conclusions de l'Inspection ni même avec la doctrine de l'administration pénitentiaire. Sur ce point, nous pouvons rejoindre le PNAT. S'il est un point sur lequel s'accordent les trois JAPAT, c'est la façon de considérer l'affectation en QER des condamnés qui présentent un profil relevant de la psychiatrie ou particulièrement instable, comme c'était le cas de M. Elong Abé en juillet 2019. En l'occurrence, cette affectation a été jugée peu opportune en raison d'un risque très élevé de déstabiliser la dynamique de groupe au sein du QER, de nuire à la qualité de l'évaluation et d'entraîner de graves problèmes de sécurité, notamment pour les personnels – l'agression contre un surveillant au QER d'Osny était encore très présente dans les esprits.

On nous rétorquera qu'il existe un moyen de résoudre la question de la sécurité, en plaçant un détenu à l'isolement au sein même des QER. Cela peut se faire pour des condamnés dont on estime que leur dangerosité empêche de les placer avec les autres détenus, mais cette option doit être réservée à des cas exceptionnels, car elle nous prive d'outils d'observation essentiels. Dans ce cas, en effet, la dangerosité et la radicalisation de la personne ne peuvent être évaluées qu'au moyen d'entretiens individuels avec l'équipe pluridisciplinaire, sans possibilité d'observer la détention dans le cadre de dynamiques de groupe – comportement en promenade, avec les autres détenus, lors des activités collectives – pour déterminer si la personne est un influenceur ou un influençable, si elle a du charisme, si elle est en mesure de faire du prosélytisme.

En juillet 2019, il a semblé à la collègue qui a rendu cet avis que le moment, alors que la fin de peine de M. Elong Abé était encore lointaine, n'était pas opportun pour envisager son placement en QER, malgré les avis favorables donnés au niveau local – où, à l'époque, je crois qu'on souhaitait surtout qu'il quitte l'établissement.

À ce moment-là, le fait qu'il ne soit pas évalué en QER ne posait pas réellement de problème quant à la gestion pénitentiaire d'une éventuelle dangerosité, puisque la décision a été prise de l'affecter à la maison centrale d'Arles en quartier d'isolement (QI).

À Arles, son comportement semble s'être amélioré, ou, en tout cas, stabilisé. Dès lors, nous n'avons jamais été saisis d'une nouvelle demande d'avis sur une affectation en QER – que nous avons toujours considérée comme utile et nécessaire compte tenu de son profil. Il restait suffisamment de temps pour l'observer en QI au sein du nouvel établissement et déterminer l'opportunité de cette évaluation. Elle nous paraissait indispensable puisque sa dangerosité n'avait jamais été évaluée, bien qu'il ait combattu en Afghanistan – ce qui implique qu'il devait être rompu aux techniques de combat –, qu'il ait eu un comportement très instable et qu'il ait présenté des signes de radicalisation islamiste en détention. Simplement, en 2019, le moment ne nous a pas semblé opportun.

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C'était votre avis, je l'entends. Votre ligne de défense est la même que celle du PNAT et de la DAP.

Toutefois, il y a deux discours qui ressortent nettement de nos travaux. Le premier consiste à dire qu'il était très dangereux, connu pour l'être et psychiquement instable, et justifie par le risque de déstabilisation sa non-affectation en QER contre l'avis de la CPU dangerosité. Cet argument paraît contre-intuitif compte tenu des textes, comme l'indique l'IGJ, et relativise la capacité des QER à gérer des personnes complexes alors même que cette complexité est censée être la raison de l'affectation en QER. Selon les représentants du Spip que nous avons entendus avant vous, parmi les 487 TIS qui sont allés en QER, il y avait bel et bien des personnes psychiquement atteintes.

Nous savons que Franck Elong Abé était considéré par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) comme appartenant au « haut du spectre ». Ce n'est pas une personnalité lambda : il revient d'Afghanistan, où il a été capturé par les Américains, qui l'ont emprisonné pendant deux ans avant de le remettre à la France pour qu'il y soit réintroduit en milieu carcéral. Il est donc passé entre les mains de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), que nous auditionnerons. Tout cela justifie la demande de déclassification des documents le concernant.

On nous a indiqué lors de la précédente audition que, dans les Bouches-du-Rhône, les GED se réunissent pour étudier le cas de 15 TIS – pas 2 000 ! Le cas de ce monsieur a été examiné cinq fois en un an et demi. La DGSI, le renseignement territorial, le Spip, le renseignement pénitentiaire ont suivi le dossier. Les services de renseignement savaient qu'il relevait du haut du spectre. Mais le PNAT nous dit : « Oh, vous savez, il y a la dangerosité terroriste et il y a la dangerosité carcérale ; c'est comme un gros voyou. » Voilà l'explication un peu « café du commerce » qui nous a été donnée ici pour justifier qu'il n'ait pas été transféré en QER. En revanche, il serait normal qu'il ait fini auxiliaire en détention ordinaire, occupant un emploi au service général. Vous comprenez qu'il y a quelque chose qui ne va pas.

Je peux entendre qu'il y ait eu un cloisonnement des informations. Je vous demanderai seulement de nous dire par la suite pour combien de TIS, sur les 13 non affectés en QER, l'avis avait été réservé ou très réservé. Ce sont des éléments très importants pour nous.

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

Il faudrait que nous ayons les noms. Nous n'avons pas les moyens de retrouver…

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Pour 13 personnes ? Je parle bien des 13 TIS qui n'ont pas été affectés en QER.

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

Comment retrouver l'information ? Sans les noms, je ne vois pas. Vous me dites qu'il en y a 13 ; nous ne tenons pas un registre des avis donnés. Seule l'administration pénitentiaire, à mon sens, dispose de nos avis.

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Dont acte, mais il nous faut une réponse. La commission d'enquête parlementaire en a besoin. Je ne suis pas là pour mettre en cause qui que ce soit, mais il me paraît impossible que personne ne puisse nous donner de réponse s'agissant de 13 individus en quelques années.

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

Je pense que l'administration pénitentiaire le pourra.

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

Elle dispose de tous les avis qu'elle recueille dans le cadre de l'orientation en QER.

L'intérêt de solliciter les avis d'autorités indépendantes telles que des magistrats, ou d'autres, est aussi de pouvoir les confronter. Ensuite, c'est tout de même à l'autorité décisionnaire, ici l'administration pénitentiaire, de prendre sa décision en fonction de ces différents avis ! Je l'ai dit, nous avons émis un avis consultatif. Nous vous avons donné notre point de vue.

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

Notre point de vue était qu'en effet, M. Elong Abé était un individu dangereux qui devait faire l'objet d'une évaluation à un moment donné, mais qu'en l'occurrence le moment n'était pas idéal, d'où l'avis réservé. Il fallait peut-être se donner du temps.

Si M. Elong Abé n'avait pas modifié son comportement, je pense tout de même que nous aurions donné un avis favorable à une évaluation en QER.

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En ce qui concerne son comportement, il a été caché à la commission des lois – lors de l'audition libre du 30 mars dernier, pendant laquelle nous avons notamment entendu l'ancienne directrice de l'établissement – qu'il y avait eu quatre incidents à Arles, dont le dernier un mois avant qu'il soit classé auxiliaire.

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Émilie Thubin, vice-présidente chargée de l'application des peines en matière antiterroriste

J'ai peut-être un élément de réponse concernant les fameuses 13 personnes qui n'auraient pas été évaluées en QER. Ce n'est qu'une hypothèse, je ne sais pas du tout si cela peut être l'explication. Il y a un an environ a été créé à Fresnes le QER dédié à l'évaluation des femmes. Parmi ces 13 personnes, les femmes sont-elles comptabilisées ? Je pense à une détenue que je suis au centre de détention de Roanne, pour laquelle il a été question d'une affectation en QER à Fresnes ; elle n'y a finalement pas été transférée car tout le monde a considéré que ce n'était pas opportun si peu de temps avant sa sortie. Il serait intéressant de vérifier si les chiffres que vous citez incluent ou non les femmes.

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

Concernant les GED, nous, JAP, n'y participons pas et n'avons absolument aucune information concernant ce qui s'y dit.

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Notre commission doit regarder les éléments factuels de l'affaire, mais c'est aussi le système tout entier qui nous intéresse, puisque la contribution que nous souhaitons apporter vise à l'améliorer. Or, sans vouloir trop anticiper sur mon rapport, il y a dans ce système des défaillances qui peuvent donner lieu à des incidents dramatiques comme celui dont nous parlons.

Dans le rapport de l'IGJ, il est indiqué que la maison centrale d'Arles ne vous a pas informées de l'agression : vous l'avez apprise par les médias. Cela semble singulier. Mon impression, après plusieurs semaines d'auditions, est qu'il y a un problème de cloisonnement des informations. Vous nous dites en réponse à l'une de nos questions que, certainement, l'administration pénitentiaire sait. On constate parfois une étanchéité entre renseignement pénitentiaire et renseignement intérieur, voire des contradictions. Par exemple, interrogé sur l'appartenance de M. Elong Abé au « haut du spectre », le renseignement pénitentiaire, central comme décentralisé n'a pas la même appréciation que M. Lerner, patron du renseignement intérieur, qui nous a dit « bien sûr ! », ce que M. Nuñez a confirmé le lendemain sans même que nous lui posions la question. Ne considérez-vous pas, au-delà du sujet qui nous occupe, que les cloisonnements nuisent à votre appréciation dans le cadre professionnel ?

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

Nous appliquons le principe du contradictoire dans le cadre de nos activités juridictionnelles. Lorsqu'un détenu est suivi par nous, des pièces de toutes sortes sont versées au dossier. Je peux tout à fait comprendre que les services de renseignement ne souhaitent pas verser aux dossiers des magistrats, en tout cas officiellement, des notes, y compris des notes blanches, concernant les condamnés. En effet, nous ne faisons pas complètement partie de la sphère du renseignement et du contrôle : nous sommes des magistrats indépendants, soumis à une procédure contradictoire.

Si on nous donne des informations officieuses, nous acceptons, en tant que JAPAT, de les recevoir – je le dis clairement, étant entendu que d'autres JAP, de droit commun, n'en font peut-être pas autant. Néanmoins, ces informations ne seront pas versées au débat, ne pourront pas être versées au dossier et ne pourront pas être utilisées dans le cadre des motivations que nous serons amenés à formuler. Il y a donc une vraie difficulté, et je ne vois pas trop comment on peut en sortir.

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De telles informations sont importantes pour la formation de votre intime conviction. Il ne faut pas se raconter des histoires : on sait très bien qu'y contribue ce qui figure dans le dossier, mais aussi ce qui est autour, et pas seulement en matière d'antiterrorisme.

Je vous remercie pour votre réponse. J'étais déjà assez convaincu de l'existence de cloisons, plus ou moins étanches, et vous nous en apportez la démonstration.

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

J'ajoute que les représentants des Spip disposent, dans le cadre des GED, d'informations qu'ils ne restituent pas aux JAP, alors qu'ils sont mandatés par eux pour assurer le suivi des condamnés en milieu ouvert. C'est un paradoxe que je ne comprends pas, et une situation qui ne me paraît pas normale. Vous vous doutez bien qu'en cas d'incident grave, c'est du côté des magistrats qu'on rechercherait assez vite une responsabilité.

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Merci pour la franchise de vos réponses.

Dans ce drame, au sujet duquel le directeur de l'administration pénitentiaire a déclaré que la réalité dépassait la fiction, tant l'enchaînement des faits paraît fou, nous sommes certes en présence de deux DPS, mais avec deux parcours différents, celui d'un terroriste islamiste dont on sait maintenant qu'il se situe dans le haut du spectre et celui d'Yvan Colonna, qui avait été condamné à la réclusion à perpétuité, assortie d'une période de sûreté de dix-huit ans, purgée, de mémoire, depuis le 9 juillet 2021.

S'agissant d'Yvan Colonna, vous savez qu'il y avait un débat, à la fois sociétal et politique, au sujet du rapprochement familial qu'il demandait, afin de voir en particulier son plus jeune fils. Yvan Colonna ne croyait pas à la possibilité d'un aménagement de peine et avait donc refusé son placement en centre national d'évaluation (CNE) auquel devait pourtant conduire sa demande initiale. Il faisait preuve d'une certaine lassitude, nous a-t-on dit lors d'une précédente audition. S'il ne croyait pas être en mesure d'avoir accès à un aménagement de peine, c'était en raison de la dimension politique du drame, c'est-à-dire de l'assassinat du préfet Claude Érignac, pour être clair, mais également de l'histoire des deux autres détenus, qui avaient eux aussi fait des demandes, acceptées en première instance puis rejetées.

S'agissant des commissions DPS, vous avez évoqué le problème posé par les difficultés de déplacement, et je comprends donc que vous participez aux réunions à distance ou que vous travaillez sur dossier.

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

Exactement.

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L'assassinat du préfet Claude Érignac a été un traumatisme qui a secoué la République à l'époque. Il y a eu, ensuite, un contentieux abondant au sujet des demandes de levée du statut de DPS pour les détenus en question. Nous avons interrogé le directeur de l'administration pénitentiaire sur les critères applicables en la matière et les raisons pour lesquelles on avait refusé les demandes, depuis 2011, de manière continue. Les raisons mises en avant – vous me direz si je me trompe – étaient toujours la potentialité d'une évasion, la qualification terroriste des actes commis et le risque de trouble à l'ordre public, lié à la médiatisation forte qui aurait lieu en cas d'évasion. Des raisons immuables étaient invoquées à chaque fois, quel qu'ait été le parcours carcéral d'Yvan Colonna, très différent de celui de Franck Elong Abé – on se sent un peu obligé de faire une comparaison entre eux. S'agissant d'Yvan Colonna, tout le monde parle de « parcours correct, voire très correct », d'absence d'incident notable et de risque d'évasion effectif faible.

Le directeur de l'administration pénitentiaire nous a dit que deux des six critères prévus par l'instruction ministérielle relative au répertoire des DPS relevaient directement de son administration et que les trois ou quatre autres étaient, je cite, « larges ». Pensez-vous que les actes commis à l'origine, à savoir l'assassinat du préfet Claude Érignac, le symbole que cela représente et le traumatisme qui s'est produit à l'époque ont voyagé dans le temps et ont eu un impact sur le traitement des demandes de levée du statut de DPS ? Vous avez dit que les deux autres membres de ce qu'on a appelé le « commando Érignac » avaient été transférés à la suite de l'assassinat d'Yvan Colonna, alors que les critères n'avaient pas changé. Si on fait un peu d'exégèse, c'est ce drame qui a fait que les deux autres détenus ont été transférés. Peut-on dire, en essayant de prendre un peu de recul, que c'est un état d'esprit lié au procès de M. Colonna et, d'une façon en quelque sorte préventive, l'idée qu'il était susceptible de s'évader qui ont pesé ?

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Émilie Thubin, vice-présidente chargée de l'application des peines en matière antiterroriste

Vous dites que le symbole de l'assassinat du préfet Claude Érignac a « voyagé dans le temps » et que c'est la raison pour laquelle l'avis rendu était immuable. Or il ne l'a pas été pour MM. Alessandri et Ferrandi : depuis les années 2017 et 2018, si ma mémoire est bonne, nous avons donné, en tant que JAP, un avis favorable à leur radiation du répertoire des DPS, à la différence de celle de M. Colonna. Je ne pense pas que l'aspect symbolique ait eu une quelconque influence : nous avons fait des distinctions entre les membres dudit « commando Érignac ». Je rappelle aussi que l'autorité judiciaire n'émet qu'un avis en la matière, la décision étant prise au niveau administratif, voire politique, comme vous le savez.

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Nous le savons, en effet.

Dans le cas de M. Alessandri, il y a eu l'épisode de 2020 : l'administration centrale ou le pouvoir politique – le garde des Sceaux s'étant déporté, je crois que c'est le Premier ministre qui s'est prononcé – a pris, le 31 décembre, de mémoire, une décision contraire à l'avis favorable à la levée du statut de DPS qui avait été émis par la commission locale de Poissy. Entre les commissions locales DPS et les décisions prises au niveau du Premier ministre, ou précédemment du garde des Sceaux, y a-t-il usuellement des réunions intermédiaires, sur le plan national, entre les différents chefs de service afin de préparer la décision du ministre ? Je ne pense pas que vous y soyez associées, mais savez-vous si des réunions préparatoires de ce genre se tiennent habituellement ?

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Émilie Thubin, vice-présidente chargée de l'application des peines en matière antiterroriste

Nous sommes avisées de la tenue des commissions DPS, et nous y participons ou non – plutôt non, compte tenu de l'éloignement géographique. Nous donnons notre avis, par écrit le plus souvent, en amont de la réunion et nous sommes ensuite informées de la décision.

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Vous avez dit que vous aviez émis un avis différent en ce qui concerne M. Colonna. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?

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Émilie Thubin, vice-présidente chargée de l'application des peines en matière antiterroriste

Les premières raisons évoquées – et qui pouvaient aussi valoir pour MM. Alessandri et Ferrandi – étaient l'extrême gravité des faits et la médiatisation importante de l'affaire, son retentissement.

La première différence par rapport à M. Colonna, même si ce n'était pas écrit tel quel dans l'avis, était que MM. Alessandri et Ferrandi avaient reconnu leur implication dans l'assassinat du préfet Claude Érignac, ce qui n'était toujours pas le cas de M. Colonna.

Il y avait aussi un élément que vous n'avez pas cité au sujet des critères applicables, à savoir le soutien logistique, extérieur comme intérieur : il me semblait que celui dont pouvait bénéficier M. Colonna était très important. J'avais noté, par exemple, qu'il avait 41 permis de visite, de mémoire, et un comité de soutien très étoffé, beaucoup plus en tout cas, d'après ce que je savais, que ceux de MM. Alessandri et Ferrandi.

Enfin, et je pense que c'était le plus important, M. Colonna avait été en état d'évasion pendant quatre ans, ce qui n'avait jamais été le cas de MM. Alessandri et Ferrandi.

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Quand vous évoquez un comité de soutien, vous ne parlez pas de terrorisme, mais de soutien à la défense de son innocence, n'est-ce pas ?

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Émilie Thubin, vice-présidente chargée de l'application des peines en matière antiterroriste

Le critère en question est le soutien dont on peut bénéficier à l'extérieur ou à l'intérieur de la prison pour organiser son évasion.

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Il y a tout de même une différence entre un comité de soutien à la thèse de l'innocence de M. Colonna et un groupe en contact avec lui pour fomenter une évasion. Tout le monde savait que M. Colonna clamait encore son innocence. Je crois d'ailleurs que des marches avaient été organisées devant le palais de justice.

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Émilie Thubin, vice-présidente chargée de l'application des peines en matière antiterroriste

Je tiens à ajouter qu'à mon sens nous n'étions pas opposés à un rapprochement familial en tant que tel. Seulement, il se trouve que le centre pénitentiaire de Borgo ne pouvait pas accueillir des DPS. C'est un élément très important.

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Y a-t-il eu des débats techniques, politiques ou financiers sur la possibilité de doter le centre de détention de Borgo d'un quartier qui aurait permis d'accueillir ces trois détenus ou d'autres DPS d'origine insulaire ?

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Émilie Thubin, vice-présidente chargée de l'application des peines en matière antiterroriste

Nous n'avons pas été informés de ces débats. Nous savions simplement que le centre pénitentiaire de Borgo ne pouvait pas accueillir, pour des raisons sécuritaires, des DPS.

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Ma première question porte sur l'avis rendu à l'été 2019 au sujet de l'orientation de M. Elong Abé en QER. Selon le rapport de la mission d'inspection, l'avis réservé qui a été émis s'explique par le profil de M. Elong Abé : tapage, soutien à des actions de rébellion, dégradations, refus de toute mesure de sécurité. Cela correspond-il bien à l'avis que vous aviez émis ?

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

C'était l'avis rendu par une collègue, en effet.

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Cet avis a, j'imagine, été rendu par écrit, et non dans le cadre d'un échange pluridisciplinaire. Par ailleurs, vous avez pris de la distance tout à l'heure en disant que ce n'était qu'un avis temporaire, émis compte tenu d'une situation à un moment donné, et d'autres réserves, si je comprends bien, n'ont pas été transmises à l'administration pénitentiaire. Y avait-il, ou avez-vous demandé, une date de revoyure concernant cet avis ?

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

On ne peut pas dire qu'on ait demandé que la situation soit revue un peu plus tard. En revanche, nous avons donné un accord complet au transfert de M. Elong Abé à la maison centrale d'Arles, en QI.

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Pensez-vous que l'avis rendu par votre service en 2019, alors que personne ne pouvait anticiper que le covid-19 viendrait mettre un peu le bazar dans nos vies à toutes et à tous, ait été susceptible de dissuader les services pénitentiaires de remettre à l'ordre du jour la question de l'évaluation en QER, puisque cet avis n'ouvrait aucune perspective temporelle ?

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

Je ne le crois pas, parce que, selon la doctrine de l'administration pénitentiaire, toute personne condamnée pour terrorisme devait faire l'objet d'une évaluation en QER et que l'administration pénitentiaire, au niveau central, suit quand même de façon étroite l'évolution des condamnés : je ne pense pas qu'elle se soit sentie liée de façon définitive par l'avis formulé à un moment donné en fonction de la situation de l'époque.

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Comment expliquer que la direction de l'établissement n'ait pas donné suite, à plusieurs reprises, aux préconisations unanimes de la CPU, alors que l'évaluation du détenu était inéluctable avant sa sortie ?

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

Je ne me l'explique pas. Nous n'étions même pas au courant.

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

Non. Il a fallu un événement tel que l'assassinat d'Yvan Colonna pour que ressortent les dysfonctionnements relevés dans le rapport d'inspection. Nous n'avons pas forcément les remontées des CPU radicalisation dès lors qu'on ne nous demande pas notre avis. Il y a peut-être eu d'autres cas, mais nous n'en avons pas été informés.

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Il est difficile de parler des affaires en cours – je pense à celle de M. Ferrandi –, mais nous connaissons la décision prise concernant M. Alessandri. Nous savons, les positions des JAP, du parquet et de la Cour de cassation ayant été rendues publiques, qu'il y a eu un débat sur le trouble à l'ordre public. Pouvez-vous nous apporter des éléments complémentaires à ce sujet ?

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Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente, coordinatrice du service d'application des peines antiterroriste

Je ne veux pas commenter nos propres décisions. Je vous renvoie à la motivation, très claire et détaillée, des jugements qui ont été rendus – et qui ont d'ailleurs accordé à plusieurs reprises des aménagements de peine. Ces jugements sont tout à fait complets puisqu'ils font état, à ce sujet, des avis du PNAT et des nôtres.

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Très bien, c'est une réponse.

Nous vous remercions, mesdames, d'avoir contribué aux travaux de notre commission.

La séance s'achève à 17 heures 25.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Sabrina Agresti-Roubache, Mme Ségolène Amiot, Mme Bénédicte Auzanot, M. Romain Baubry, M. Mickaël Cosson, M. Emmanuel Mandon, M. Laurent Marcangeli.

Excusés. – M. Sacha Houlié, M. Guillaume Vuilletet.