La réunion

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Jeudi 25 mai 2023

La séance est ouverte à quatorze heures.

(Présidence de M. Guillaume Vuilletet, président de la commission)

La commission auditionne M. Jean-Pierre Hardy, président du conseil d'administration de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles-Guyane et M. Olivier Cotta, directeur général.

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Nous reprenons les auditions de la commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution.

Dans un premier temps, nous allons entendre les représentants de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles-Guyane (SARA), MM. Jean-Pierre Hardy, président du conseil d'administration, et Olivier Cotta, directeur général. La SARA est en situation de monopole sur l'importation, le raffinage, le stockage et la fourniture de carburants en Guadeloupe, Guyane et Martinique. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Jean-Pierre Hardy et Olivier Cotta prêtent serment).

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Jean-Pierre Hardy, président du conseil d'administration de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles-Guyane (SARA)

Je vous remercie de nous avoir conviés et cède la parole à Olivier Cotta, directeur général de la SARA, pour quelques propos liminaires.

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Olivier Cotta, directeur général de la SARA

Je vous remercie de me donner l'opportunité d'aborder de manière factuelle et rationnelle le sujet du prix des carburants dans les départements français d'Amérique (DFA), c'est-à-dire la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique. Je suis directeur général de la SARA et M. Hardy en est le président et est également directeur général adjoint de Rubis Énergie ; il est présent dans l'environnement de la SARA depuis 2005.

Depuis plus de cinquante ans, sous l'impulsion initiale de l'État, la SARA contribue au développement et à l'autonomie des départements français d'Amérique, à la croisée de toutes les problématiques énergétiques, sociales, sociétales, économiques, voire diplomatiques.

Nous fournissons un milliard de litres de carburant en qualité européenne et en quantité aux distributeurs sur les trois territoires, sans rupture. Il s'agit là d'essence sans plomb, de gasoil, de kérosène aviation et de fuel. L'équipe est majoritairement constituée d'Antillo-Guyanais, à 99 % ; soit 320 contrats à durée indéterminée et une quinzaine d'embauches par an en moyenne, une vingtaine d'alternants, cinquante stagiaires, quatre à cinq doctorants et près de 700 entreprises contractées.

La SARA est également une entreprise française, composée de deux actionnaires industriels engagés sur les territoires ultramarins : Rubis pour 71 % et Sol Parkland pour 29 %. La SARA témoigne depuis 1969 d'un intérêt stratégique avéré d'une raffinerie aux Antilles, à la demande du général de Gaulle en 1964, afin d'assurer l'indépendance et la sécurité d'approvisionnement des départements français des Antilles en produits pétroliers. Il s'agit de couvrir des besoins locaux en carburants et combustibles pétroliers, afin de garantir une capacité de stockage ajustée à la consommation des Antilles et de la Guyane et de créer un pôle de développement industriel et d'emplois qualifiés.

La SARA est une entité classée organisme d'importance vitale (OIV) pour les armées et le service opérationnel de l'énergie, face notamment aux crises majeures locales et internationales et aux phénomènes climatiques auxquels nous sommes confrontés. La criticité de ce point a été rappelée récemment par le commandement des armées : « En période chaotique telle que la crise que nous subissons entre l'Ukraine et la Russie, l'autonomie de production et de gestion des stocks stratégiques déportées s'est révélée salvatrice. »

Les prix sont régulés par différents décrets. Le dernier en date est le décret n° 2013-1314 du 27 décembre 2013 réglementant les prix des produits pétroliers ainsi que le fonctionnement des marchés de gros pour la distribution de ces produits dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique, dit décret Lurel, qui impose un résultat net annuel constant aux producteurs que nous sommes, soit environ un équivalent de 3 centimes du litre de carburant. Ce décret a fait ses preuves et doit aujourd'hui s'adapter aux nouveaux enjeux énergétiques. Nous avons réalisé plus de cinquante millions d'euros d'investissements avec l'accord de l'État ces dernières années pour maintenir et dynamiser l'activité locale.

Le dernier exemple en date concerne notre travail en commun avec l'État et les collectivités pour répondre à la problématique de la disponibilité des bouteilles de gaz à l'ouest de la Guyane, avec un projet de construction d'un centre d'embouteillage. Nous participons à l'indépendance et l'éco-circularité énergétique des territoires sur lesquels nous sommes très impliqués, avec le lancement de la production d'énergies décarbonées, afin de nous inscrire dans le cadre de loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Il s'agit de contribuer d'abord à la réduction des émissions de dioxyde de carbone (CO2) des activités traditionnelles et, ensuite, de diversifier la fourniture de vecteurs énergétiques, notamment pour la mobilité terrestre, maritime, aérienne et spatiale en hydrogène vert, à base de biomasse, et en électricité verte, notamment via la géothermie.

Pour ces raisons, la SARA a l'ambition de devenir d'ici juin la première entreprise à mission des Antilles et de la Guyane, afin d'être toujours plus intégrée dans un tissu industriel territorial. Les porteurs de projet nous approchent pour nous faire part de leurs besoins et, peu à peu, nous participons à la structuration de filières de nouvelles énergies.

SARA est consciente de son rôle et de ses responsabilités. Ainsi, le positionnement de la SARA doit prendre en compte son activité historique et les contextes territoriaux spécifiques, :

 un pouvoir d'achat de plus en plus préoccupant ;

 l'impact de décisions de l'Union européenne sur l'arrêt de la production des moteurs thermiques ;

 les impacts de la fiscalité carbone sur les budgets des territoires ;

 des démographies disparates et inquiétantes ;

 la menace de pertes d'emplois sensibles sur la filière carbonée ;

 la priorité à s'intégrer dans une vraie dimension de raison d'être territoriale à ancrage éco-circulaire ;

 l'accession du plus grand nombre de la population aux énergies.

Face à ce contexte local et international, la SARA construit, déploie et conduit une feuille de route économique et industrielle de manière consensuelle, pragmatique et structurée, dédiée à chaque territoire, afin de s'intégrer dans les enjeux des programmations pluriannuelles de l'énergie (PPE) locales, afin de répondre aux objectifs d'autonomie énergétique des territoires, de structurer le développement des usages des nouvelles filières d'énergie nouvelles et renouvelables et afin de contribuer à construire les politiques régionales par une nouvelle offre industrielle, sociale et fiscale attractive.

Nous portons nos efforts sur quatre vecteurs énergétiques :

 un cœur de métier toujours moins carboné ;

 l'hydrogène ;

 l'électricité bas carbone dont la géothermie ;

 les atouts de la biomasse.

En termes de contribution à l'amélioration du pouvoir d'achat et en support des autorités, collectivités et États, la SARA a toujours été sur le terrain au côté des populations pour expliquer, comprendre et produire immédiatement ses meilleurs efforts dans son domaine de responsabilité. Nous avons ainsi absorbé sans augmentation des prix des carburants le retrait des aides de l'État en agissant avec l'accord des autorités régulatrices sur le lissage anticipé de la formule des prix.

Nous avons participé à tous les ateliers déclenchés par l'État, les collectivités et les associations professionnelles sur la cherté de la vie. Nous avons été au plus près des populations par nos démarches régionales, et notamment un déplacement fondateur dans les zones enclavées à la rencontre des populations du fleuve, sur le Maroni, en Guyane. Nous avons systématiquement cherché à contribuer à l'accessibilité au carburant, d'abord par une surperformance du modèle de la SARA au regard de la moyenne nationale des prix. Pour rappel, sur nos territoires, les carburants sont les seuls produits de consommation à prix sensiblement équivalents voire inférieurs à ceux de l'Hexagone.

Ensuite, nous avons agi pour la protection de marchés de niches, comme le carburant pêche, sans impact pour les consommateurs. Nous avons mis à disposition des cartes de gaz accessibles aux populations d'extrême précarité, pour maximiser l'utilisation des chèques énergie de l'État. Nous avons également proposé de réfléchir à la contribution de toute la chaîne sur la compensation des excès de prix au-delà d'un certain seuil à fixer par l'État et les institutions légitimes, en faveur des familles en état d'extrême précarité sur les trois territoires. Nous n'avons, enfin, pas hésité à ouvrir nos terminaux hors heures ouvrées, pour assurer le maintien de la continuité d'accès au carburant, quelle que soit la période.

Je me permets de m'arrêter en détail sur l'augmentation des prix des carburants aviation de février à mai 2022. Avec l'invasion de l'Ukraine, nous avons subi une flambée des cours mondiaux de kérosène et des différentiels Caraïbe. Je rappelle que la SARA a toujours favorisé l'option de facturation au prix le plus juste et sans marge, afin de ne léser ni les compagnies aériennes ni les consommateurs finaux des carburants administrés. C'est ainsi qu'après concertation avec la direction générale des outre-mer (DGOM) et la préfecture de Martinique, il a été décidé que l'impact du kérosène resterait neutre pour l'automobiliste. Ne pas respecter ce principe pourrait engendrer, selon nos estimations, une augmentation de 4 à 5 centimes du litre sur les carburants à la pompe, du fait de la seule augmentation des prix du kérosène.

Pour aller plus loin, nous avons travaillé au développement des compétences locales autour de la structuration du marché de l'emploi et de la formation. La SARA forme et embauche dans les DFA ou fait revenir ses talents de l'Hexagone, pour les métiers traditionnels ou pour les métiers nouveaux. Nous agissons également par la recherche systématique d'équité de l'accessibilité aux prix régulés. Nous avons notamment attiré l'attention de l'État sur le fait que les zones enclavées de Guyane ne bénéficient pas d'une équité de traitement aujourd'hui. Par exemple, les prix des bouteilles de gaz peuvent monter jusqu'à 100 euros la bouteille le long du fleuve, contre 25 euros sur la côte.

Nous sommes intervenus en outre via l'utilisation de la formule des prix pour répondre aux défis des prix peu attractifs de produits du futur. La SARA est engagée dans la production d'énergie verte pour la mobilité. Une partie de cet effort pourrait être financée vertueusement par la formule de fixation des prix aujourd'hui en place, en incorporant les volumes de carburant énergies nouvelles dans le calcul. Nous proposons de travailler sur ce sujet avec l'État et avec les collectivités.

Il s'agit également d'utiliser la formule des prix pour répondre aux défis des revenus des collectivités associés au taxes des carburants. Incorporer les énergies vertes dans la formule permettrait de rechercher à les taxer selon le même principe. Nous proposons en outre la mise en place d'un fonds d'atténuation des effets de hausse sur les prix, qui permettrait d'anticiper et d'amortir une situation macroéconomique défavorable en toute transparence et de manière indolore pour les consommateurs, avec deux avantages :

 agir comme amortisseur face à l'impact de situations exceptionnelles comme la pandémie ou les catastrophes naturelles ;

 agir comme compensateur au-delà du seuil d'acceptabilité de la population, à l'évolution haussière mondiale des prix des carburants et de la bouteille de gaz de pétrole liquéfié (GPL).

J'espère que cette introduction factuelle vous aura donné les éléments nécessaires à une vision globale et détaillée, objective et rationnelle de la problématique des carburants dans les Antilles et en Guyane. Je souhaite enfin ouvrir la porte aux questions et au débat par le rappel de quelques principes fondamentaux qui guident nos actions.

D'abord, si vous vous contentez d'être performants sans transformer, vous n'avez aucun avenir. Réciproquement, si vous vous contentez de transformer sans être performants, le présent n'existe pas. Ensuite, la réindustrialisation et le renforcement de l'indépendance énergétique de nos territoires passent par la transition énergétique.

Ne nous y trompons pas : la SARA, par sa présence industrielle et son évolution en marche à partir d'un socle de régulation des prix performant, constitue une formidable opportunité pour les collectivités de répondre aux défis écologiques, énergétiques, sociaux et économiques de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane.

Enfin, notre action vise à permettre à l'ensemble de la population d'avoir accès de façon vertueuse à l'énergie à un prix accessible, comme nous le faisons depuis plus de cinquante-trois ans, en proposant aux côtés des collectivités et de l'État des solutions adaptées aux spécificités et aux problématiques de chaque territoire ultramarin.

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Pourquoi la SARA est-elle en situation de monopole sur l'importation, le raffinage, le stockage et la fourniture de carburants ? Ouvrez-vous vos installations de stockage à d'éventuels concurrents, comme l'a demandé l'Autorité de la concurrence ?

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Olivier Cotta, directeur général de la SARA

La SARA est un monopole de fait. Mais ni le code de l'énergie, ni l'arrêté de méthode régissant l'activité de la SARA aux Antilles et en Guyane n'imposent la SARA comme l'unique acteur possible. Par ailleurs, l'article R. 671-11 du code de l'énergie définit des dispositions relatives aux activités de stockage de produits pétroliers, afin de permettre aux opérateurs économiques d'y accéder dans des conditions non discriminatoires. Par exemple, EDF réalise ses importations en Martinique avec ses installations ou via des appontements exploités par la SARA, comme en Guyane. Enfin, comme l'a demandé l'Autorité de la concurrence, Rubis, l'actionnaire majoritaire de la SARA, s'est engagé dès 2015 à ce que la SARA permette à des tiers d'importer des produits non réglementés.

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Jean-Pierre Hardy, président du conseil d'administration de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles-Guyane (SARA)

Depuis 2015, à l'issue des accords avec l'Autorité de la concurrence, nous avons été suivis par un mandataire, la société Advolis, recommandée par l'Autorité. Tous les rapports du mandataire mettent en évidence que les engagements ont été respectés. En 2020, l'Autorité de la concurrence a indiqué qu'elle n'avait aucun commentaire à effectuer sur les cinq années écoulées, mais qu'elle prorogeait néanmoins la lettre d'engagement pour cinq ans à nouveau.

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L'ouverture de vos installations est-elle réalisée de manière concrète ? Des concurrents viennent-ils utiliser vos installations de stockage ? Ensuite, pourquoi n'est-il pas possible de s'approvisionner auprès de producteurs de la région ? Les normes européennes sont-elles adaptées ? Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne le dispositif des prix administrés ? Comment la marge de la SARA et celle des autres acteurs de la chaîne de distribution est-elle calculée ?

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Olivier Cotta, directeur général de la SARA

Vous m'avez demandé pourquoi il n'est pas possible de s'approvisionner auprès de producteurs de la région. Il convient d'abord de distinguer le brut des produits finis. Tous les pétroles bruts ne possèdent pas les mêmes propriétés physico-chimiques. Lorsque la SARA passe commande, elle émet son besoin au regard de trois critères principaux.

Tout d'abord, il s'agit des propriétés physico-chimiques les plus adaptées permettant de maximiser la capacité de production de la raffinerie, selon des normes européennes, par exemple un produit peu équilibré, peu soufré, peu acide, peu lourd. Ce sont essentiellement des bruts de type West Texas Intermediate (WTI) ou Brent.

Ensuite, il faut répondre de manière optimale à la demande du marché des trois territoires, c'est-à-dire la répartition des quantités d'essence sans plomb, de gasoil, de brut et de kérosène. Nous sommes forcés de trouver le brut adéquat pour répondre à cette demande de marché. De plus, la logistique importe. Certains bruts ne sont pas disponibles avec des tailles de lots pouvant être importés à la raffinerie, essentiellement le WTI ou le Brent. Aujourd'hui, les bruts WTI ou Brent, qui viennent plutôt de mer du Nord, répondent à ces trois critères.

S'agissant des besoins en complément de produits finis, la SARA s'approvisionne sur le marché mondial pour trouver des produits au meilleur prix en qualité et quantité requises. Les normes européennes relèvent de questions de santé publique et d'environnement. Jusqu'à aujourd'hui, les Antilles et la Guyane ont le droit de bénéficier des mêmes normes de protection que l'Europe. Nous répondons donc à ces normes européennes.

Vous avez évoqué la marge de la SARA. Le code de l'énergie ne définit pas une marge mais un résultat net fixe pour la SARA. Il se fonde sur l'activité de raffinage et de logistique, rémunérée à 9 % des capitaux propres, soit environ 5,5 % des capitaux mis en œuvre en 2013. Ensuite, la prestation au titre des stocks stratégiques, qui est limitée à 1,9 million d'euros par an, représente une rémunération moyenne de 3,8 % des capitaux mis en œuvre depuis sa mise en place en 2016. Ces deux rémunérations cumulées représentent 3 centimes de carburant en station-service. Dans cette configuration, l'évolution à la hausse ou à la baisse des volumes et/ou des prix de vente n'impacte pas le résultat de la société.

Dans le détail, les prix des produits administrés sont fixés par des arrêtés préfectoraux, conformément à un arrêté de méthode. Les finalités que nous poursuivons visent à atteindre quatre garanties :

 l'accessibilité et la disponibilité de tous les produits pétroliers ;

 un prix identique « sortie SARA » pour les trois territoires ;

 un prix des carburants reflétant le cours des matières premières ou des produits finis ;

 un contrôle des coûts, notamment par la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DEETS) et l'Inspection générale des finances (IGF).

Ce principe permet notamment une mutualisation de l'ensemble des coûts, tous territoires et tous produits, afin de bénéficier d'un effet de volume bénéfique. Le chiffre d'affaires d'équilibre est calculé de la manière suivante : nous additionnons les coûts d'achat de pétrole brut et des produits finis, nous ajoutons les coûts de raffinage, de logistique et de stockage, nous soustrayons le lissage des écarts au modèle, nous ajoutons la rémunération et nous soustrayons toutes les ventes de produits non administrés. Ce chiffre d'affaires d'équilibre est ensuite divisé par les quantités de produits administrés sur les douze derniers mois, afin d'obtenir un prix de pivot théorique. Celui-ci est ensuite ajusté aux valeurs du marché par les cotations de chaque produit, c'est-à-dire le coefficient de commercialité. Cela permet enfin de publier des prix des produits en euro par hectolitre. Pour les autres acteurs de la chaîne, le principe de calcul est déterminé par les préfectures.

Si vous avez besoin de plus amples explications pour la première partie, nous sommes naturellement disponibles pour vous fournir tous les détails qui s'imposeraient.

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Jean-Pierre Hardy, président du conseil d'administration de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles-Guyane (SARA)

Depuis 2015 et l'ouverture possible à des tiers sur les produits non réglementés, nous n'avons reçu aucune demande de quiconque. Ensuite, concernant le résultat net fixe, les 5,5 % de capitaux moyens mis en œuvre en 2013 évoqués par Olivier Cotta tiennent au fait que cette année constituait la base de la réflexion devenue ensuite, en 2014, le décret Lurel. Il s'agit donc d'un résultat net fixe, et le résultat réel est au-dessus ou en dessous chaque année, notamment en raison des effets stocks auxquels sont soumises toutes les sociétés du monde.

La vertu du décret Lurel consiste à permettre le lissage des effets stock grâce au résultat net fixe. En fin d'année est généré soit un produit constaté d'avance quand le résultat net est supérieur à ce que l'on nous autorise à faire, soit à l'inverse un produit à recevoir. En cas d'avance, l'excès est restitué aux consommateurs sur les mois suivants de l'année à venir. À l'inverse, en cas de retard sur le résultat net théorique, il y a une légère augmentation, pour que le résultat soit toujours le même. Tel est le mécanisme vertueux de ce décret.

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Les prix à la pompe sont légèrement en deçà de ceux que l'on connaît dans l'Hexagone. Dans la mesure où l'État ne perçoit pas de taxes sur les carburants, cela peut paraître étonnant. Ensuite, l'essentiel des transports s'effectue par le biais de véhicules individuels dans ces territoires. Par conséquent, l'impact sur la structure de dépense des ménages est considérable. Comment expliquez-vous cette cherté patente du prix du carburant ? Comment analysez-vous le fait que les ristournes fournies par les grandes compagnies pétrolières n'aient pas eu d'impact ? Enfin, pensez-vous que le niveau de prix est « supportable » pour les parties les plus fragiles de la population ?

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Olivier Cotta, directeur général de la SARA

Le prix des carburants est fixé selon l'arrêté. Je rappelle que ces produits sont quasiment les seuls dont le prix de vente est équivalent ou inférieur à celui de l'Hexagone, dans nos territoires. Ensuite, il existe un effet de volume et d'accessibilité aux prix des carburants. Les trois territoires sont différents et distants les uns des autres. L'accessibilité à ces produits est compliquée, puisque nous ne sommes pas placés sur les grandes routes maritimes des carburants. Aujourd'hui, le modèle spécifique aux DFA, avec la présence d'une raffinerie, permet avant tout d'accéder à des produits aux normes européennes en qualité, en quantité et en continuité.

S'agissant du coût de la vie et de l'impact des prix des produits pétroliers, ce sujet est effectivement très sensible. Nous y sommes très attachés et faisons très attention à la maîtrise de nos coûts. Encore une fois, notre rémunération est fixe. Il est très difficile d'aller plus loin Au-delà, l'impact du prix des carburants sur la structure des dépenses des ménages dans ces départements est lié aux revenus, au taux de chômage et au taux d'employabilité.

En ce qui nous concerne, nous nous battons tous les jours pour produire, grâce au décret Lurel, des carburants qui soient les plus accessibles possible. Nous sommes aussi dépendants des cotations internationales : lorsque les prix du brut ou des produits finis flambent, il n'est pas possible de les amortir. Les systèmes de lissage ont en revanche montré leur vertu : nous avons réussi à freiner le dépassement au-delà du seuil des 2 euros à de multiples reprises, quand les fluctuations étaient plus importantes dans l'Hexagone.

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Jean-Pierre Hardy, président du conseil d'administration de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles-Guyane (SARA)

En 2022, les raffineries ont pu connaître une rentabilité meilleure que les années précédentes. À la différence des autres raffineries et à la suite du décret Lurel, la SARA est dans l'obligation de redistribuer l'excès de bénéfices. En accord avec l'État, nous avons anticipé la redistribution de l'excès de résultat qui était prévisible dans les mois qui se sont confondus avec certaines politiques marketing d'une certaine compagnie. Certaines remises qui ont été appliquées dans l'Hexagone auraient eu comme conséquence des ventes à perte dans les DFA, ce qui est illégal au regard des marges prédéfinies par le décret.

Il n'y a pas eu d'opportunisme, la situation a été gérée avec l'État afin que tout se déroule de la meilleure manière possible. Enfin, n'oublions pas que la distribution de carburant dans les stations-service des DFA répond à une volonté de maintien de l'emploi. Sur les territoires de la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique, environ 2 200 pompistes travaillent dans l'ensemble des stations, ce qui n'est plus le cas dans l'Hexagone depuis bien longtemps.

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À qui sont redistribués les bénéfices dont vous faisiez mention ?

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Jean-Pierre Hardy, président du conseil d'administration de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles-Guyane (SARA)

Comme je l'ai indiqué précédemment, tous les ans, si nous sommes en avance sur notre résultat, l'excès de résultat est redistribué en année n+1. Nous conduisons régulièrement des réunions avec les ministères de tutelle, les préfectures et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Au cours de l'année 2022, nous avons constaté que l'exercice serait excédentaire par rapport à ce que le décret nous autorisait. Ce que nous aurions dû redistribuer en 2023 a fait l'objet d'une anticipation, pour redistribuer effectivement dans le cours de l'année 2022, en accord avec l'État.

Cette redistribution a été effectuée aux consommateurs, puisque cet élément rentre directement dans la structure de prix mensuelle et des décrets d'application.

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Jean-Pierre Hardy, président du conseil d'administration de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles-Guyane (SARA)

Si nous n'avions pas anticipé la redistribution de l'excès de résultat, le prix aurait été supérieur sur certains mois de l'année 2022.

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Olivier Cotta, directeur général de la SARA

La SARA a une rémunération fixe : tout ce qui est généré au-delà est redistribué par le biais des lissages, dans le prix des carburants, de manière décalée. En 2022, compte tenu de la crise, nous avons travaillé de manière très étroite avec les services de l'État et les ministères de tutelle, pour anticiper et utiliser ces revenus supplémentaires plutôt que d'attendre quelques mois. De cette manière, nous avons pu puiser dans ces revenus. Par exemple, l'État nous a demandé d'anticiper, afin d'amortir l'effet de remise à zéro de la remise de quinze centimes, qui est effectuée au-delà du périmètre de la SARA, en aval de la chaîne. Nous avons pu utiliser une partie des revenus supplémentaires au-delà de notre rémunération fixe pour compenser ces quinze centimes. Le résultat était donc neutre le mois où la subvention de l'État a disparu.

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Vous êtes donc un monopole de fait et non de droit. À votre avis, pourquoi des entreprises n'essayent pas de vous concurrencer sur l'approvisionnement en carburant ?

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Olivier Cotta, directeur général de la SARA

Je n'ai pas d'avis particulier à émettre à ce propos. Simplement, je constate par expérience que la disponibilité, l'accessibilité et le positionnement géographique des DFA limitent probablement l'intérêt des pétroliers majeurs, en termes de revenus.

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Récemment, les compagnies ultramarines ont dénoncé les prix opérés par la SARA. À l'occasion de la remise de son rapport, la sénatrice Conconne a tenu les propos suivants : « Nous avons longuement auditionné la SARA. L'État a imposé la taxe dites fuel à la SARA et en ces termes pour éviter que ne soit répercutée la hausse des prix uniquement sur les automobilistes. » Il y a eu une péréquation forcée imposée au monde de l'aviation, qui est répercutée par la SARA sur les compagnies aériennes. In fine, ceci est supporté par les Ultramarins qui ont recours à ces compagnies pour se déplacer : les petits arrangements entre la SARA et l'État sont réglés par les Ultramarins.

Pouvez-vous confirmer, en vous rappelant que vous avez prêté serment, que l'État vous a imposé cette péréquation ? Si tel n'est pas le cas, le Gouvernement devrait reconnaître son rôle dans l'augmentation du prix du billet d'avion.

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Olivier Cotta, directeur général de la SARA

Monsieur le député, je suis parfaitement conscient d'avoir prêté serment et je n'ai pas pour habitude de ne pas dire la vérité. Je tiens donc à répondre de manière directe. Je m'inscris en faux : la SARA n'a pas, ni à la demande de l'État, ni de façon indépendante, augmenté les prix des carburants jet pour en faire bénéficier les automobilistes ultramarins. Nous ne faisons qu'appliquer quelque chose qui est parfaitement légitime, crédible et sain : les variations du coût du kérosène sont réappliquées à l'aviation ; les coûts des carburants automobiles sont réappliqués à l'automobiliste.

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Comment expliquez-vous qu'aux Antilles ou à La Réunion, il existe toujours un monopole pour ceux qui nous vendent des produits pétroliers ? À la Réunion, il s'agit de la Société réunionnaise des produits pétroliers (SRPP). Il n'existe donc pas de concurrence et nous n'avons pas le choix. Est-ce aussi le cas dans l'Hexagone ou est-ce uniquement le cas en outre-mer ?

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Olivier Cotta, directeur général de la SARA

À qui posez-vous cette question ? Pour ma part, je ne peux pas y répondre.

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J'interrogeais également mes collègues. Les autres départements de France ont-ils le choix ? À La Réunion, il existe un monopole pour la SRPP et il en va de même aux Antilles avec la SARA.

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Je crois que la réponse a été fournie par M. Cotta aux Antilles : l'étroitesse du marché est vraisemblablement trop marquée pour permettre l'existence d'un autre fournisseur.

Pour ma part, j'ai compris que la SARA raffine la moitié de la consommation locale de carburant, qui provient de la mer du Nord. On peut se dire que celui-ci n'est pas forcément le carburant produit au plus près des Antilles. Par ailleurs, je crois qu'il existe un problème de production concernant le gasoil non routier, ce qui n'est pas neutre pour des territoires où les chantiers sont complexes et nécessitent une consommation accrue de carburant. Pensez-vous que votre outil industriel est formaté pour répondre aux besoins ?

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Olivier Cotta, directeur général de la SARA

Tout outil industriel est formaté et doit s'adapter à un besoin de marché. Nous devons donc aller chercher du brut qui nous permette de raffiner et de produire selon les besoins du marché. Aucune raffinerie ne peut produire l'intégralité du sans plomb ou gasoil demandée par le marché. Il existe des ratios entre 40 % et 70 %, selon le type de raffinerie. Ensuite, les raffineries doivent respecter des arrêts réglementaires, ce qui les conduit de temps en temps à importer davantage pour pouvoir assurer la continuité et livrer aux clients distributeurs les carburants demandés. En résumé, l'outil industriel est adapté et nous l'adaptons en fonction des besoins.

Il existe environ trois qualités de brut, selon leur légèreté. Compte tenu des demandes des territoires, nous avons besoin de bruts plutôt légers. Or ces derniers sont plus accessibles en mer du Nord qu'en Amérique du Sud ou au Venezuela, sans parler des aspects politiques d'embargo concernant ce pays. Le brut de mer du Nord présente des spécificités qui correspondent aux besoins des DFA.

Ensuite, concernant la distance – la question des émissions de CO2 mise à part – le coût d'acheminement d'un produit brut en termes de jours de navigation est négligeable par rapport au prix d'une cargaison de brut, quelle qu'elle soit.

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Vous avez indiqué que votre résultat est net et fixe. Prévoyez-vous de travailler sur la diminution des coûts d'approvisionnement, de raffinage et de distribution, pour essayer de faire baisser le coût de l'énergie globalement ? Ensuite, j'ai cru comprendre qu'EDF ne se ravitaillait pas chez vous. Si tel est le cas, savez-vous où EDF s'approvisionne ?

Par ailleurs, la Fédération nationale de l'aviation et ses métiers (Fnam) a attaqué la SARA en justice en janvier 2023, pour dénoncer une hausse injustifiée du kérosène en Guadeloupe et en Martinique. Pouvez-vous nous expliquer plus précisément les raisons de cette hausse du prix du kérosène ? Que répondez-vous aux représentants des compagnies aériennes qui vous accusent d'augmentation abusive ? Enfin, le Gouvernement vous a apparemment demandé de renoncer au rabais des 20 centimes par litre qui devait être mis en place en outre-mer en septembre 2022. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?

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Olivier Cotta, directeur général de la SARA

Nous travaillons en permanence à la réduction des coûts. Ils se répartissent entre des coûts fixes de raffinage et de fonctionnement et des coûts d'approvisionnement des matières premières et de produits finis. Nous avons diminué de près de 3 % par an les coûts fixes. De manière approximative, si l'on arrive à réduire de 10 millions d'euros les coûts fixes, il est possible de réduire d'un centime le prix du carburant. Par conséquent, pour obtenir des réductions notables à la pompe, il faudrait effectuer des réductions de coûts colossales, dont les conséquences sociétales seraient majeures. Encore une fois, le prix des carburants est essentiellement lié à la variation des cotations internationales

Ensuite, EDF ne s'approvisionne plus totalement chez la SARA pour différentes raisons, notamment de décarbonation. Cependant, nous sommes toujours en contact avec EDF, que nous fournissons selon leurs besoins. J'ignore où EDF se fournit, je ne me permettrais pas de répondre à leur place.

Par ailleurs, vous avez évoqué la Fnam. À ma connaissance, la SARA n'a pas été attaquée en justice, ni par la Fnam, ni par les organisations aériennes. J'ajoute que la SARA n'a pas de relation commerciale avec les compagnies aériennes. Nous avons fourni des éléments d'information à une commission d'enquête sénatoriale, nous avons répondu aux préfectures et aux services de l'État. Nos chiffres sont parfaitement auditables.

De façon factuelle, le contexte politique s'est dégradé en raison des tensions entre l'Ukraine et la Russie entre février et mai 2022. Je précise que la production de gasoil et de kérosène s'effectue à peu près au même endroit dans une raffinerie, ce qui signifie que les deux carburants entrent quelque part en compétition. Les chars fonctionnant plutôt au gasoil, il y a eu un excès de production de gasoil dans le monde au détriment du kérosène, dont le cours a ensuite doublé au cours de l'année 2022.

Pour des questions économiques, nous achetons à la fois pour les compagnies aériennes et pour les automobilistes. Nous achetons et nous produisions nos carburants là où c'est le moins cher. Il se trouve que sur les cotations internationales, le gasoil était plus cher que le kérosène. Nous avons donc choisi de privilégier le gasoil au niveau du raffinage et nous avons fourni le kérosène selon les cotations internationales. Encore une fois, nous avons réappliqué le coût de la cotation internationale, qui a doublé, aux compagnies aériennes.

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Nous avons reçu les compagnies aériennes. Air Caraïbes a affirmé à cette occasion qu'une plainte avait été déposée contre vous.

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Olivier Cotta, directeur général de la SARA

À ma connaissance, la SARA n'a pas reçu de plainte et n'a pas à ce jour été attaquée en justice, ni par la Fnam, ni par les compagnies aériennes.

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Comment justifiez-vous le doublement du coût du kérosène ?

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Olivier Cotta, directeur général de la SARA

Nous réappliquons le prix de cotation internationale. Au plus haut, en juin et juillet 2022, la cotation du kérosène avait doublé par rapport aux prix normaux. Nous n'avons fait que transmettre cette augmentation au client. Encore une fois, nos clients ne sont pas les compagnies aériennes.

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Pourquoi y a-t-il une telle différence entre ce prix du kérosène et celui à Paris Orly ?

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Olivier Cotta, directeur général de la SARA

Je ne suis pas en mesure de vous fournir cette réponse. Nous achetons le kérosène au prix des cotations internationales.

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Jean-Pierre Hardy, président du conseil d'administration de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles-Guyane (SARA)

Ces produits ont été affectés par un double effet ciseau : à la fois les conséquences de la guerre en Ukraine et la fin de la crise sanitaire. La sortie de cette crise a engendré un afflux de touristes dans la zone Caraïbes, donc des vols supplémentaires, et in fine une hausse de la demande de kérosène, alors que celui-ci était globalement en pénurie. Ces deux éléments ont contribué à l'envolée des cotations, sur lesquelles nous n'avons aucune maîtrise.

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Je vous remercie. Je vous propose de compléter nos échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles et en répondant au questionnaire qui vous a été adressé il y a quelques jours.

La commission auditionne ensuite Mme Erika Bareigts, maire de Saint-Denis de La Réunion, ancienne ministre des outre-mer, ancienne députée.

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Nous poursuivons nos auditions en entendant Mme Erika Bareigts, qui a été députée de La Réunion entre juin 2012 et juillet 2020 et qui est depuis cette date maire de Saint-Denis de La Réunion. Cependant, nous vous recevons essentiellement aujourd'hui en tant qu'ancienne secrétaire d'État chargé de l'égalité réelle, puis de ministre des outre-mer d'août 2016 à mai 2017. Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Erika Bareigts prête serment).

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Erika Bareigts, maire de Saint-Denis de La Réunion, ancienne ministre des outre-mer, ancienne députée

Le sujet du pouvoir d'achat, des prix dans les outre-mer et les difficultés que nos concitoyens éprouvent pour faire face à leurs besoins les plus élémentaires n'est pas nouveau. Les expressions peuvent différer selon les niveaux de progrès des territoires ultramarins, de la période postcoloniale à la départementalisation. Ces territoires peuvent être affectés par une grande pauvreté en l'absence de travail rémunéré, associée à moins d'aménagements ou d'écoles. La question de l'accès à de meilleurs revenus et de meilleurs droits demeure patente dans certains territoires, en particulier à Mayotte, qui a obtenu son statut de département plus tardivement que les autres.

Différentes approches ont été adoptées au fil du temps pour traiter ces problèmes. Des lois spécifiques ont été adoptées en matière de création de richesse, en partant du principe que le développement de l'activité économique et donc de l'emploi permettrait de fournir une solution. Des étapes ont été franchies de ce point de vue, notamment à travers les grandes lois outre-mer, qui ont permis de créer des emplois et d'extraire un certain nombre de populations de la très grande pauvreté.

Cependant, aujourd'hui encore, la pauvreté est encore plus marquée dans nos territoires et la cherté de la vie entraîne des différentiels inouïs avec l'Hexagone. Les chiffres de 2016 à La Réunion témoignent ainsi d'un différentiel de 36 à 37 % dans le domaine alimentaire.

Au cours de la mandature 2012-2017, je me suis efforcée d'agir, d'abord en tant que députée et rapporteure du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer, dit loi Lurel, puis en tant que ministre, sur le projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dit loi Érom. Différents aspects ont été abordés, notamment en matière stratégique, comme le plan convergence, la stratégie du bon d'achat ou les mesures dans le domaine de la transparence et la concurrence contenues dans la loi Lurel. La loi Érom mettait quant à elle en lumière les injustices et des écarts d'accès au droit et cherchait à les corriger à travers un certain nombre de mesures, concernant la structure concurrentielle de ces économies captives, mais également l'approche stratégique du développement, à travers notamment les contrats de convergence.

Humblement, je considère que la mandature 2012-2017 a permis d'accomplir une partie du chemin. Nous avons apporté une pierre à l'édifice. Selon nous, la prime d'activité a contribué à améliorer les revenus des travailleurs pauvres et, partant, leurs conditions de vie. Les contrats d'avenir ont également agi sur l'accès des jeunes au travail, en leur permettant d'acquérir de l'expérience. Je pense également à la garantie jeunes et à la suppression de la première tranche d'imposition sur le revenu.

Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) a quant à lui a contribué à donner les moyens à notre tissu économique, composé à 90 % de très petites entreprises (TPE) et de petites et moyennes entreprises (PME), de se développer sur nos territoires. Ces mesures ont permis d'agir sur le chômage. Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), de 2012 à 2017, le taux de chômage est ainsi passé de 36 à 21 % à La Réunion. En Guadeloupe, il est passé sur la même période de 29 % à 22 % et de 26 % à 17 % en Guyane.

Nous avons donc agi autour de ces trois axes, à travers les deux grands textes que furent la loi Lurel et la loi Érom. En tant qu'ultramarins, nous sommes singuliers à différents égards. Nous vivons loin du marché hexagonal et européen, dans des bassins océaniques connaissant des accords économiques internationaux qui ne défendent pas forcément nos intérêts. De plus nos marchés sont restreints et captifs ; et l'histoire économique postcoloniale est marquée par les monopoles. Cette singularité a été largement entérinée par l'Union européenne, qui nous reconnaît comme des régions ultrapériphériques. De même, elle accompagne bien volontiers les démarches d'exception, quand les démonstrations sont faites. De fait, l'essence même de l'Europe repose sur la diversité.

Mais, en tant que députée et ministre, le travail est compliqué lorsqu'il faut toujours faire la démonstration que l'exception est bien justifiée. En plus d'être structurellement différents du territoire continental, nous sommes aussi divers entre nous. L'exception, pour être acceptée, doit remplir un certain nombre de conditions. Par conséquent, la créativité et l'innovation relatives à nos situations diverses doit guider le travail parlementaire et ministériel, afin de proposer de nouvelles pistes. En effet, si nous effectuons toujours les mêmes propositions, nous sommes condamnés à utiliser des « pansements », qui s'usent et ne changent pas le fonctionnement de nos territoires, de notre marché économique et de notre marché de l'emploi.

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Je vous remercie pour vos mots d'introduction. Pensez-vous que les collectivités d'outre-mer ont été maltraitées par l'État en matière de dotations lors des vingt dernières années ? Si tel est le cas, considérez-vous que la politique budgétaire de l'État vis-à-vis des collectivités ultramarines a entraîné des conséquences néfastes, notamment en déséquilibrant les prestations de service que les collectivités locales auraient pu donner ou leur rôle en matière de commande publique ?

Ensuite, vous avez abordé à la fin de votre propos la question du marché régional et des accords qui n'auraient pas été conçus en pensant aux singularités des territoires français d'outre-mer. Pouvez-vous détailler votre point de vue sur ce sujet ? À l'inverse, que pensez-vous de l'émergence d'un marché régional qui viendrait soutenir l'activité ultramarine ?

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Erika Bareigts, maire de Saint-Denis de La Réunion, ancienne ministre des outre-mer, ancienne députée

À certaines périodes, les dotations ont été clairement diminuées et il a été demandé aux collectivités locales de ne pas sortir du cadre qui leur était assigné, sous peine de sanctions dans leurs dépenses de fonctionnement. Plus généralement, les gouvernements peuvent être tentés de diminuer les dotations accordées aux collectivités locales.

Ensuite, d'autres mesures peuvent porter préjudice à l'action des collectivités locales. Je pense notamment à la détérioration de la présence des services de l'État sur les territoires, qui a un impact certain, notamment en matière économique. La faiblesse des pôles C des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) a toujours constitué un véritable problème. On peut voter des lois pour accroître le respect de la concurrence ou combattre les monopoles, si les services de l'État ne sont pas suffisamment forts pour mener le contrôle et la sanction, l'impact sera inexistant sur les territoires.

Par ailleurs, l'activité économique, la richesse et donc le pouvoir d'achat peuvent être affectés par la manière dont l'argent national vient soutenir la dépense publique des collectivités locales. J'ai été auditionnée par le Sénat et interrogée sur les règles d'appel à projet du fonds exceptionnel d'investissement (FEI). Lorsque l'on met à disposition de l'argent de l'État, parfois sur des volumes très importants, les collectivités doivent être suffisamment musclées pour répondre aux appels à projet dans un délai relativement court. Dans le cas du FEI, ce délai est de quelques jours, quelques semaines à peine. Par conséquent, il est nécessaire d'établir un travail plus collaboratif et fondé sur une meilleure confiance entre les collectivités locales et l'État.

Permettez-moi de prendre l'exemple du traitement des déchets pour illustrer mon propos. À La Réunion, le coût du traitement de certains déchets, notamment les déchets dangereux est aberrant. Les collectivités locales payent le transport de certains déchets, alors qu'il serait possible d'organiser le traitement dans le bassin de l'océan Indien. Ceci est d'autant plus regrettable qu'un déchet peut devenir un produit, comme nous avions pu le voir en Martinique. À La Réunion, le pneu pourrait passer du statut de déchet à celui de produit.

Malheureusement, lorsque le marché est trop restreint, la maquette proposée ne peut avoir de rentabilité économique. La solution consiste donc à élargir le marché et à modifier les règles pour négocier des approches différentes sur le bassin économique. Nous pourrions peut-être alors nous améliorer sur certains sujets.

Il est également possible d'évoquer le sujet de l'alimentaire. Il y a trois semaines, je me suis rendue à Madagascar et j'ai pu constater qu'il existe un potentiel pour la transformation des produits agricoles et des produits de l'élevage. Nous manquons d'espaces pour disposer d'une industrie agroalimentaire de transformation. Si nous raisonnons en termes de bassins, il devient possible de réfléchir au raccourcissement des circuits. Aujourd'hui, un poisson pêché aux Seychelles part dans l'Hexagone pour être mis en conserve et la conserve Petit Navire redescend ensuite pour être vendue dans les grandes surfaces à La Réunion.

Dans ces domaines, il me semble possible d'accomplir des choses, mais cela nécessite une révolution, notamment mentale, mais également une révolution dans les approches. Pour y parvenir, il est nécessaire de susciter un engagement politique immense pour modifier certains accords qui aujourd'hui nous empêchent d'agir.

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Vous avez initié la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer, qui vise à réduire les écarts dans les niveaux de développement. Avec le recul dont vous disposez, quel est le bilan de ce qui a été mis en œuvre et de ce qui aurait dû l'être ?

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Erika Bareigts, maire de Saint-Denis de La Réunion, ancienne ministre des outre-mer, ancienne députée

Initialement, la loi Érom était réduite à quelques articles. Lorsque nous l'avons proposé au débat à l'Assemblée nationale et au Sénat, nous avions en tête d'entrer dans une co-construction, c'est-à-dire de permettre aux parlementaires de pouvoir mettre en avant un certain nombre de mesures. De fait, la loi est passée de cinq articles à plus d'une centaine. La députée Maïna Sage et le député Raphaël Gérard ont effectué un rapport d'évaluation de l'application de la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer.

Lorsque j'ai commencé à rédiger cette partie de la loi, je n'étais pas encore ministre mais secrétaire d'État à l'égalité réelle. J'avais été guidée par ces écarts d'inégalités, ces injustices qui « trainaient » encore depuis 1946. Nous avons par exemple pris quelques mesures sur le complément familial, qui concernait près de 3 000 foyers modestes supplémentaires. Jusque-là, ils en étaient exclus, parce que les règles étaient différentes en outre-mer par rapport à l'Hexagone. Nous sommes donc intervenus pour pouvoir réparer cette injustice.

De la même manière, 5 000 personnes pourtant éligibles à l'assurance vieillesse du parent au foyer (AVPF) ne la touchaient pas, car les conditions qui s'appliquaient dans les outre-mer étaient différentes de celles qui prévalaient dans l'Hexagone. Nous avons par ailleurs modifié le niveau du recours sur l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Ce recours était à 39 000 euros et nous l'avons fait passer à 100 000 euros. La mesure a fait l'objet d'un continuum, puisqu'elle se situe désormais à 150 000 euros. À l'époque, j'étais députée il nous a fallu lutter pour pouvoir arracher cette mesure.

Par ailleurs, jusqu'à la loi égalité réelle outre-mer, les travailleurs indépendants ultramarins ne pouvaient pas bénéficier des allocations familiales pour leurs enfants si les cotisations sociales n'étaient pas recouvrées, ce qui n'était pas le cas dans l'Hexagone. Il faut également mentionner les mesures de réparation de l'injustice avec les mesures que je citais initialement, c'est-à-dire les contrats d'avenir, les garanties jeunes, les primes d'activité. En effet, ces mesures ont permis d'augmenter le pouvoir d'achat des ultramarins.

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Mme la ministre, je salue à travers vous la grande loi que vous avez portée, la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer du 28 février 2017, que je place également dans le continuum dans la grande loi de départementalisation du 19 mars 1946.

La vie chère concerne naturellement le niveau élevé des prix, mais aussi la faiblesse des revenus à La Réunion. Comme vous l'avez indiqué, nous devons nous appuyer sur notre singularité pour proposer des stratégies innovantes. Je pense notamment aux énergies renouvelables ou au tourisme écologique, qui peuvent être créateurs d'emplois. L'année dernière, 500 000 touristes se sont rendus à La Réunion, générant 420 millions d'euros. Je pense également aux problématiques de recyclage, notamment le recyclage des batteries : depuis deux ans, près de 5 000 voitures électriques sont commercialisées chaque année. En outre, des emplois peuvent être générés dans les domaines de la préservation de notre biodiversité ou de l'aide à la personne.

Nous voyons donc bien qu'il existe un certain nombre de pistes. Malheureusement, les stratégies manquent à l'heure actuelle, pour produire des projets innovants et construire une Réunion nouvelle. Chacun voit bien que nous sommes aujourd'hui à la croisée des chemins et que nous devons nous diriger vers de nouvelles activités génératrices d'emplois pour les populations, en intégrant une vision de bassin régional.

Certes, des actions voient le jour. En matière d'énergie, je pense notamment à la programmation pluriannuelle pour tendre vers l'autonomie énergétique. Cependant, je ne sens pas de volonté globale irriguer ces projets. Est-ce volontaire ? Existe-t-il une forme de conservatisme ? Des lobbys ou des opérateurs agissent-ils pour que rien ne change ?

Par ailleurs, Victorin Lurel nous a indiqué qu'il avait failli démissionner à une époque après avoir été confronté à la pression des lobbys. Lorsque vous étiez ministre, avez-vous été entravée par des lobbys ou des grands opérateurs économiques ?

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Erika Bareigts, maire de Saint-Denis de La Réunion, ancienne ministre des outre-mer, ancienne députée

J'étais rapporteur du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, en charge notamment de la partie concernant l'outre-mer. Initialement, la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ne faisait pas de différenciation entre les territoires, entre le continent et l'outre-mer. Mais comment est-il possible de mettre sur le même pied, d'une part un territoire disposant d'une énergie électrique d'origine nucléaire et connecté avec ses voisins européens ; et d'autre part des territoires qui n'en bénéficient pas ? Nous sommes parvenus à faire admettre qu'il fallait établir différentes PPE. C'est ainsi que nous pouvons aujourd'hui négocier et écrire nos propres PPE.

Ensuite, je souhaite vous faire partager ma réflexion, qui contient nécessairement une part de subjectivité dans l'analyse. J'estime que dans nos territoires, les structures économiques ont une histoire singulière, issue d'une période où des investissements ont été portés par une vision particulière de ce que pouvait être l'économie sur notre sol. Lors de l'étude de la loi de régulation économique, nous avons pu constater que cette économie se fondait en grande partie sur des situations d'oligopole et de monopole.

Dans des domaines entiers, il n'y avait aucune discussion, ni sur les prix pratiqués, ni sur l'absence de concurrence. Tout le monde admettait que la situation était normale, alors même que l'aide publique venait de facto la renforcer. La loi Lurel s'est efforcée de travailler sur ces situations de monopole dans divers secteurs, en limitant les surfaces commerciales de tel ou tel, en prenant des mesures contre les positions dominantes, en renforçant la place de l'Autorité de la concurrence. Je précise que certaines mesures, inédites, ont été très difficiles à obtenir lors des débats à l'Assemblée.

La loi relative à la régulation économique outre-mer et la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer ont fait bouger les lignes et c'est peut-être la raison pour laquelle elles ont eu tant de mal à avoir une application réelle, dans toute leur plénitude. Lorsque je siégeais à la commission économique, le président de Total de l'époque était venu tenir des propos fort désagréables aux oreilles des députés ultramarins. Pour résumer, il nous disait que si nous n'étions pas contents de ce qu'il faisait, il pouvait très bien repartir ; indiquant que la présence de Total en outre-mer s'était réalisée à la demande du général de Gaulle. Cet exemple illustre bien la mainmise de pouvoirs installés sur nos territoires ultramarins. Dans le même ordre d'idée, à une époque, si l'on voulait manger tel ou tel produit, il n'existait qu'une seule marque disponible.

En conséquence, je pense que ces lois ont malgré tout apporté, et elles ont en outre été suivies d'autres débats et rapports complémentaires, notamment sur les fournisseurs de la grande distribution. Ces deux lois ont permis de poser le sujet sur la place publique et de prendre des mesures. La création des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), constitue à ce titre un évènement important selon moi, même si la situation n'est pas parfaite. Nous avons d'ailleurs notre part de responsabilité. Nous avons essayé de faire en sorte que les moyens soient plus importants, mais nous n'y sommes pas totalement parvenus dans le cadre des OPMR.

Quoi qu'il en soit, malgré l'existence de pouvoirs forts, il faut malgré tout continuer le combat, pour les PME et les TPE, pour la création de richesses sur les territoires. Par exemple, nous avons intégré dans la loi Érom la mesure expérimentale de la « stratégie du bon d'achat » (SBA) à destination des 90 % de TPE et PME qui constituent notre tissu économique, afin de leur faire une place au sein de la commande publique. Malheureusement, cette mesure n'a pas été reconduite. Cependant, malgré ses imperfections, elle a permis d'ouvrir un chemin, qui doit se poursuivre. En effet, si ces entreprises n'ont pas la possibilité de travailler grâce à la commande publique, elles demeureront fragiles. Et si elles restent fragiles, elles pourront augmenter ni les salaires, ni leur nombre de leurs salariés.

À Saint-Denis de la Réunion, la commande publique de biens et de services représente 70 millions d'euros chaque année. Les grandes entreprises ont un réel savoir-faire, mais elles ne peuvent pas tout faire, nos PME-TPE doivent pouvoir également travailler. Dans la filière de réhabilitation de logements, qui constitue un enjeu majeur pour les logements sociaux, nous avons perdu des métiers et des compétences, parce que des petites entreprises ont dû fermer leurs portes. Il faudrait trouver des solutions, par exemple à travers un SBA revu et corrigé, afin de faire une place à ces filières. Les problématiques de réhabilitation sont en outre traversées par les enjeux du réchauffement climatique ; il s'agit de construire différemment avec une architecture tropicale adaptée, en utilisant des matériaux tropicalisés. Il faudra donc créer des métiers, former des gens et mieux les rémunérer.

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Vos propos sont particulièrement intéressants. On voit bien que, de ce point de vue, ces dispositions qui devaient constituer un small business act n'ont pas fonctionné. Connaissant les problématiques du logement, je constate également que la question des compétences est essentielle. C'est une chose que de construire des pavillons, mais c'est en une autre de comprendre en quoi un bâtiment existant est fragilisé et comment le rénover pour en faire un lieu habitable, qui ne soit pas une passoire thermique.

Ensuite, je connais moins le sujet de la PPE. Cependant, on m'a indiqué que la réponse aux sollicitations des collectivités d'outre-mer pour donner une place aux TPE prenait du temps à être mise en œuvre. Cet élément signale qu'il peut être compliqué de réunir les expertises. Ne pensez-vous pas qu'une des solutions pour revitaliser l'ensemble du tissu économique repose sur un effort de formation spécifique ?

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Erika Bareigts, maire de Saint-Denis de La Réunion, ancienne ministre des outre-mer, ancienne députée

J'en suis convaincue. S'agissant de l'expertise et de la formation, il faut observer que certaines forces vives qui sont formées ne sont pas retenues, notamment à la Martinique. À l'inverse, des lois ont permis de faire profiter les territoires ultramarins de certains savoir-faire et de certaines technicités. Cependant, cela ne suffit pas. Il est donc nécessaire d'assurer des formations, dans des domaines très différents. À cet égard, il est sans doute nécessaire d'examiner plus en détail les moyens disponibles du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) dans nos territoires, notamment les moyens financiers. Des réformes semblent essentielles pour accompagner nos collectivités dans la formation permanente de leurs cadres. À une époque, l'Agence française du développement avait noué des accords pour accompagner les territoires en matière d'ingénierie.

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Nous avons auditionné récemment Annick Girardin. Elle a structuré son action autour du Livre bleu et sa volonté d'intégrer une préoccupation outre-mer dans chacune des lois et chacune des politiques. Il s'agit là d'une forme de rupture avec la logique qui prévalait jusque-là, celle de grandes lois outre-mer, qui embrassaient à date une réalité pour pouvoir y répondre. Existe-t-il un viatique plus efficace qu'un autre en la matière ?

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Erika Bareigts, maire de Saint-Denis de La Réunion, ancienne ministre des outre-mer, ancienne députée

L'un n'exclut pas l'autre. Certaines grandes lois outre-mer ont été extrêmement nécessaires. Elles nous ont permis d'accomplir de grands pas, comme la loi de départementalisation du 19 mars 1946. Simultanément, toutes les lois doivent comporter des approches qui pensent à éliminer une disposition ancienne excluant l'outre-mer ou proposer des mesures plus fines, spécifiquement pour l'outre-mer. En résumé, les deux démarches ne s'excluent pas mutuellement. Cependant, je préfère les lois, qui comportent des dispositions normatives, aux livres, qui s'oublient plus facilement dans les tiroirs. En outre, les lois permettent aux députés de contrôler leur mise en œuvre.

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Je vous remercie. Je vous propose de compléter nos échanges en nous transmettant les documents que vous jugerez utiles et en répondant au questionnaire qui vous a été adressé.

Puis, la commission auditionne M. Xavier Clavel, directeur général de SCGR, gérant associé du groupe GXC et M. Emmanuel Caussé, responsable de la communication et de la publicité de SGCR.

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Nous poursuivons nos auditions en entendant deux représentants de la société SGCR, M. Xavier Clavel, directeur général, et M. Emmanuel Caussé, responsable de la communication et de la publicité. Le groupe SCGR est spécialisé dans le commerce de gros et gère un supermarché à l'enseigne Agooti en Guyane.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Xavier Clavel et M. Emmanuel Caussé prêtent serment).

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Xavier Clavel, directeur général de SCGR, gérant associé du groupe GXC

Je suis le directeur général de la société SCGR, qui exploite l'enseigne Agooti en tant que supermarché en Guyane.

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Emmanuel Caussé, SCGR responsable de la communication et de la publicité de SCGR

J'accompagne Xavier Clavel et son associée Ruiling Zeng depuis la création de cette enseigne, qui a pour objectif de proposer les meilleurs prix pour nos concitoyens, dont une grande partie éprouve de grandes difficultés pour vivre, voire pour survivre, compte tenu de l'inflation que nous connaissons actuellement.

Agooti a ouvert ses portes en janvier 2022 et nous nous efforçons de faire connaître ce magasin, qui a le mérite de proposer des prix intéressants. De fait, de plus en plus de gens viennent y faire leurs courses, ou au moins remplir leur panier de première nécessité.

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Xavier Clavel, directeur général de SCGR, gérant associé du groupe GXC

J'ai créé la société SCGR en 2014 avec mon associée et compagne Ruiling Zeng. Au départ, notre activité concernait essentiellement le commerce de gros. Passionnés par la grande distribution, nous avons souhaité ouvrir un supermarché, à la fois pour nous épanouir, mais aussi pour apporter plus de confort aux Guyanaises et aux Guyanais car nous nous rendions compte que leur situation était très compliquée. Nous nous sommes dit que si nous vendions au prix juste, nous pourrions réussir.

Nous avons créé l'enseigne Agooti de toutes pièces, en référence à un petit animal local guyanais très populaire. Nous l'avons ouvert à tous, détaillants et particuliers, en partant du principe d'être moins chers que les autres. Cette ouverture n'a pas été simple : initialement, nous souhaitions reprendre un point de vente mais cela n'a pas été possible. Nous avons donc créé cette enseigne et les premiers retours de nos clients sont favorables.

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Emmanuel Caussé, SCGR responsable de la communication et de la publicité de SCGR

Issu du monde de la production publicitaire et de la réalisation de cinéma, j'ai eu l'occasion d'assister à leurs côtés à la création du magasin. Ayant réalisé trois longs métrages, je ne suis pas spécialiste de la grande distribution, mais plutôt de la communication. Cependant, j'ai pu constater qu'il est extrêmement difficile de créer un magasin de toutes pièces en Guyane, notamment pour trouver des locaux et contracter avec des banques. En Guyane, si vous essuyez un refus de prêt auprès de deux banques, l'aventure est terminée.

Le local qui héberge aujourd'hui le supermarché était le seul choix possible ; personne ne monterait un magasin dans ce type de local dans l'Hexagone, car il manque de places de parking et il n'est pas situé sur un grand axe routier. Nous essayons tous les jours de nous bagarrer pour le faire connaître et peu à peu, de plus en plus de gens le fréquentent. Les Guyanaises et les Guyanais savent qu'il ne s'agit pas du magasin le plus confortable, mais ils n'y viennent pas pour ces raisons-là : ils viennent parce que leur panier de course y sera sensiblement moins cher. Aujourd'hui, les différences sont moins marquantes, compte tenu de l'inflation. Certains de nos clients ne peuvent tout simplement plus venir.

En faisant la communication de l'enseigne, j'annonce régulièrement des promotions sur des produits récurrents et je me rends compte que nous achetons aujourd'hui certains produits plus chers que nous ne les vendions il y a six mois ou un an. La différence de prix que nous pratiquons a tendance à diminuer, mais les clients sont très vigilants. Ils viennent chez nous dès que nos prix sont moins chers qu'ailleurs. De fait, nous nous efforçons d'être toujours au « bon » prix.

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Xavier Clavel, directeur général de SCGR, gérant associé du groupe GXC

Je vous remercie d'écouter les petits acteurs dans le domaine de la distribution et je me dis que de cette manière, nous arriverons peut-être à apporter des solutions différentes pour faire baisser le coût de la vie dans nos territoires.

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Emmanuel Caussé, SCGR responsable de la communication et de la publicité de SCGR

À la fin de l'année 2019, M. Clavel a pris la parole sur les réseaux sociaux par l'entremise d'une vidéo. J'imagine que vous avez probablement eu l'occasion de la voir et qu'elle n'est pas complétement étrangère à l'audition de ce jour. Cette vidéo reposait sur un constat simple : nous savions que de toute manière, le parcours de création de ce magasin allait être complexe. Cependant, nous vivons dans un monde des affaires qui n'est pas celui des « Bisounours » et cette vidéo avait pour objet de prendre à témoin l'opinion publique, en lui disant que nous essayions de créer une enseigne et que nous ne voulions pas que des gens plus puissants renforcent les embûches auxquelles nous allions de toute manière devoir faire face.

L'opinion publique a réagi de manière positive, en nous indiquant que si cette enseigne était effectivement moins chère, les gens la fréquenteraient. Cela nous a permis d'obtenir des réactions de la part de la société civile, qu'il s'agisse de militants, d'associations ; ou des élus, de pouvoirs publics ou de journalistes. Ils nous ont dit « Faites ce que vous avez à faire. S'il vous arrive quoi que ce soit qui vous semble anormal, nous serons là. » En l'occurrence, il ne nous est rien arrivé. Il faut savoir, sans paranoïa, que certaines personnes sont puissantes en Guyane et que la pression économique, même légale, peut entraver la démarche de « rebelles » qui essayent de s'installer.

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Pour nous, vous constituez une perle rare. Les distributeurs que nous avons rencontrés jusqu'à présent ont tous atteint une taille critique. En tout cas, ils justifient leur existence dans cet oligopole, que personne ne conteste. Ils revendiquent de disposer d'un pouvoir de marché plus limité que ce que l'on veut bien croire, mais personne ne nie leur poids. Vous constituez donc une forme de contre-exemple et nous souhaiterions que vous nous fassiez part des difficultés que vous avez pu rencontrer, de la part de concurrents, mais également compte tenu des spécificités locales, par exemple en matière foncière. Vous revendiquez le fait d'avoir une politique de prix décalée et il nous importe d'avoir votre retour d'expérience. N'hésitez pas à entrer dans les détails.

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Emmanuel Caussé, SCGR responsable de la communication et de la publicité de SCGR

Si Agooti peut se targuer d'avoir une clientèle grandissante, c'est bien parce que notre revendication d'un meilleur prix correspond à une réalité. Personne ne vient dans ce magasin parce qu'il est le plus beau ou le plus pratique, mais simplement parce qu'il est moins cher. Si nous ne travaillons pas dans le bon sens, nous nous condamnons nous-mêmes.

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Pouvez-vous évoquer les difficultés rencontrées pour pouvoir implanter votre enseigne ? Quelle est la taille de l'entreprise adossée à SCGR ? Le secteur de la distribution est concurrentiel en Guyane selon vous ? Si tel n'est pas le cas, quels sont les freins ? Comment analysez-vous les décisions de l'Autorité de la concurrence ? Je pense notamment à la décision ayant autorisé le rachat de Super NKT par SAFO en 2019 malgré les risques de concentration, alors même que vous étiez également candidat. Pensez-vous que les engagements pris par SAFO lors de ce rachat ont été respectés ?

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Xavier Clavel, directeur général de SCGR, gérant associé du groupe GXC

Le point de vente Agooti mesure 560 mètres carrés, soit une surface restreinte. Nous nous focalisons avant tout sur du libre-service car nous ne disposons pas de suffisamment d'espace pour proposer d'autres services. L'année dernière, nous avons réalisé un chiffre d'affaires de 3 155 000 euros, avec une marge théorique de 16,78 %. Cette marge peut paraître faible, mais elle est tout à fait cohérente avec les standards de l'Hexagone, où j'ai été directeur de points de vente pendant dix ans.

Ce magasin vend à tous, particuliers ou professionnels. Les tarifs sont dégressifs à partir de trois produits, mais les mêmes prix s'appliquent à tous, sans cartes de membre. La fréquentation est très intéressante, puisque nous sommes parvenus à générer certains samedis 600 passages en caisse alors que nous ne disposons que de huit places de parking. Nos clients sont très satisfaits des prix que nous pratiquons, ce qui me fait dire que nous sommes dans le vrai.

Les difficultés rencontrées pour ouvrir ce point de vente ont d'abord porté sur le local proprement dit. En effet, les locaux premium sont « réservés » à certains grands groupes et nous n'y avons pas accès. Avant même qu'ils soient mis en vente ou en location, ils sont déjà pris. Nous avons donc rencontré des problèmes avant de finalement trouver un local, qui n'est pas fonctionnel.

Ensuite, les difficultés ont porté sur les aspects bancaires. Dans l'Hexagone, il existe dix ou quinze acteurs bancaires, mais ils ne sont que deux ou trois en Guyane. Nous avons eu la chance de trouver une banque qui nous a fait confiance pour nous installer. Nous n'avons pas plus bénéficié d'aides financières. La banque publique d'investissement (BPIFrance) a abondé d'un euro chaque euro que nous avions emprunté à la banque et je les en remercie.

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Si je résume bien, il existe un réel problème d'accès au crédit consubstantiel au territoire. Vous n'avez pas été confronté à des blocages administratifs et vous avez plutôt été accompagné par la puissance publique. Pouvez-vous détailler les contraintes pesant sur vous en matière de localisation ?

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Emmanuel Caussé, SCGR responsable de la communication et de la publicité de SCGR

Le magasin est situé dans une zone industrielle, à l'écart des grands axes routiers et son parking et extrêmement petit. Il existe très peu d'offres de locaux disponibles à Cayenne et encore moins en Guyane. Le foncier est ici un problème récurrent, dont vous avez déjà dû entendre parler. Ici, la terre appartient à l'État.

Pour pouvoir continuer à vivre et à proposer son offre, notre entreprise devra ouvrir un ou deux autres magasins en Guyane. Trouver un terrain et y construire un magasin prend environ deux ans, si l'on est financé correctement. Mais il faut ajouter encore plusieurs années pour trouver un terrain mis en vente ou proposé. En outre, s'il existe la moindre surenchère sur un terrain, les petits acteurs guyanais ont peu de chance de résister face à des grands groupes, dont la puissance financière est toute autre. Tant qu'une libéralisation du foncier n'interviendra pas sur le territoire guyanais, les entrepreneurs et la société en général seront confrontés à un frein, par exemple pour la construction d'écoles, de routes ou d'équipements sportifs.

Par conséquent, ce problème nous dépasse et nous attendons avec impatience qu'il puisse se résoudre, pour pouvoir accéder à des terrains.

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Xavier Clavel, directeur général de SCGR, gérant associé du groupe GXC

Parmi les autres difficultés figure le coût des importations. Par exemple, l'achat de matériel pour le froid est ici 1,5 fois plus cher que dans l'Hexagone. À ceci s'ajoutent les délais, depuis la commande du matériel jusqu'à son acheminement. À l'avenir, nous allons avoir besoin de nous développer, pour réaliser des économies d'échelle et proposer aux clients la même offre dans d'autres villes guyanaises.

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Emmanuel Caussé, SCGR responsable de la communication et de la publicité de SCGR

Pour pouvoir faire baisser les prix, il nous faut aussi consommer moins, d'une certaine manière. Par exemple, notre magasin n'offre pas la climatisation, mais nous souhaitons disposer d'un outil de travail plus facile à utiliser, de manière efficace. Pour y parvenir, il nous faut pouvoir bénéficier de terrains et donc d'une offre foncière.

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Xavier Clavel, directeur général de SCGR, gérant associé du groupe GXC

Lundi dernier, j'ai réalisé un relevé de prix hors promotion sur quelques produits de grande consommation dans les quatre plus grosses enseignes concurrentes. Aujourd'hui, nous vendons 29,99 euros du lait en poudre en boîte de très grande marque, avec une marque de 17,84 %, qui est déjà élevée. Les autres enseignes proposent le même produit à 35,42 euros ; 35,79 euros et 38,92 euros. Les taux de marge atteignent ainsi jusqu'à 37 % sur du lait. En outre, pour calculer ma marge, je me fonde sur mon prix d'achat, qui est forcément plus élevé que le leur parce que mes volumes sont moindres. De même, quand je vends 2,55 euros des biscuits chocolatés de forme ronde, ils sont ailleurs à 3,99 euros, soit un taux de marge de 50 %. Je pense donc qu'il existe problème.

Comment faisons-nous ? Je suis très transparent, je n'ai rien à cacher, peut-être contrairement à certains. Nous travaillons en triple net, c'est-à-dire que nous achetons un prix net, sans demander de remise sur facture, ni de marge arrière. Ensuite, nous prenons notre marge, qui peut varier selon le type de produit. Notre calcul est donc simple.

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Pourrez-vous nous fournir ces tableaux de comparaison ?

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Xavier Clavel, directeur général de SCGR, gérant associé du groupe GXC

Tout à fait.

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Emmanuel Caussé, SCGR responsable de la communication et de la publicité de SCGR

Je précise que ces relevés ont été effectués de manière manuelle, de notre propre chef.

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Si je comprends votre démarche, votre positionnement est celui du discount, rabais, par rapport à vos concurrents. Pourquoi n'êtes-vous pas submergés de clients qui viendraient faire la queue devant chez vous plutôt que de se rendre chez vos concurrents ? J'imagine que l'accessibilité de votre magasin vous pénalise. L'attitude de vos concurrents, certes « légale » selon vous, peut-elle gêner Agooti vis-à-vis des grossistes ou dans l'accès au foncier ?

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Xavier Clavel, directeur général de SCGR, gérant associé du groupe GXC

C'est mon ressenti, mais je n'ai jamais vu de documents précis.

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Emmanuel Caussé, SCGR responsable de la communication et de la publicité de SCGR

En Guyane comme ailleurs, la loi des affaires prime : personne ne nous fait de cadeaux. Mais personne n'essaye de nous nuire tous les jours, de manière intentionnelle.

Ensuite, vous nous avez demandé pourquoi nous n'étions pas submergés de clients. Comme M. Clavel vous l'a indiqué, 600 passages en caisse pour seulement huit places de parking constituent malgré tout une performance et entraînent un certain « bazar » devant le magasin. Ce bazar est assez sympathique.

Je rappelle que parmi nos clients, nombreux sont ceux qui appartiennent aux 50 % de Guyanais vivant sous le seuil de pauvreté. Naturellement, si nous disposions de trois quatre fois plus de places de parking, la clientèle serait très probablement plus nombreuse. Il en serait de même si le magasin était plus grand et plus ergonomique.

Au-delà, pour pouvoir proposer les prix que nous pratiquons, il est nécessaire de réaliser des économies sur un certain confort, mais aussi en termes de communication. Nous essayons de faire grandir le nombre de clients avec le magasin, précisément pour ne pas être submergés. Si nous étions submergés, nous travaillerions mal et les gens ne reviendraient plus. Pour le moment, notre communication est atypique. Nous avions réalisé trois catalogues au début, lors de l'ouverture du magasin, mais nous nous sommes rendu compte que cela était inefficace. Parallèlement, nous travaillions déjà sur les réseaux sociaux : nos clients ont tous un accès minimal à la 4G. Notre communication est numérique et s'accroît peu à peu, de manière de plus en plus efficace : par rapport à l'année dernière, nous enregistrons 1 200 tickets supplémentaires chaque mois.

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Je salue MM. Caussé et Clavel depuis le Val d'Oise où je me trouve et je les remercie de leurs interventions très claires.

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Je vous salue à mon tour et vous remercie pour vos témoignages.

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Lors de nos auditions, un sujet est revenu fréquemment, notamment lorsqu'il est question de la vente de produits de première nécessité. Il apparaît que des problèmes de stockage sont liés à des contraintes d'approvisionnement. Comment gérez-vous ces aspects dans une petite structure comme la vôtre ?

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Xavier Clavel, directeur général de SCGR, gérant associé du groupe GXC

Notre approvisionnement est issu à 40 % de la centrale Casino, à laquelle nous sommes affiliés, à 40 % d'importateurs locaux et à 20 % de la production locale. Nous stockons directement dans le magasin, sur les racks au-dessus des rayons pour optimiser la place et économiser des coûts de dépôt de stockage, de préparation et de livraison, que nous devrions sinon répercuter sur le prix proposé au client final. Nous travaillons avec certains importateurs sur place. Certains jouent le jeu, mais d'autres me vendent à des tarifs exorbitants par rapport à la concurrence, tout en me demandant de les payer comptant. Normalement, je devrais bénéficier d'un tarif grandes et moyennes surfaces (GMS), avec un délai de paiement de trente jours, comme les autres. Par exemple, un importateur « exclusif » sur les Antilles et la Guyane d'une très grosse marque de produits d'hygiène et d'entretien ne souhaite pas travailler avec nous.

Ensuite, le rachat de Super NKT par la société SAFO est désormais placé sous l'enseigne Supeco. Supeco est à la Guyane ce que l'Euromarché est à la Martinique, c'est-à-dire une nouvelle enseigne sur nos territoires, mais une ancienne enseigne discount de l'Hexagone. Mais elle n'applique pas en Guyane sa politique de prix hexagonale. On y retrouve de nombreux produits Carrefour, sans aucun apport de nouvelles marques de distributeur.

L'Autorité de la concurrence avait contraint SAFO à céder sa partie de gros à un tiers. Je m'étais positionné car cela pouvait m'intéresser, pour différents magasins. Mais la procédure finalement retenue a été assez illogique selon moi : l'Autorité de la concurrence a demandé à SAFO de choisir le repreneur, c'est-à-dire son futur concurrent. Nous avons alerté l'Autorité et le ministre Bruno Le Maire à ce sujet, qui nous a répondu négativement. De mon point de vue, cette transaction n'a pas amené une concurrence réelle supplémentaire en Guyane.

Pour faire baisser les prix, il est nécessaire d'avoir le maximum de concurrence, et si possible, d'entrepreneurs locaux, dans chaque territoire.

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Emmanuel Caussé, SCGR responsable de la communication et de la publicité de SCGR

Votre commission d'enquête porte spécifiquement sur les territoires ultramarins. Nous nous doutons bien que tout n'est pas parfait dans l'Hexagone, mais l'ensemble des forces concurrentielles représentées s'équilibrent suffisamment pour aboutir à une situation plutôt acceptable pour la population. Certes, la période actuelle est marquée par l'inflation, mais peu de personnes brûlent les supermarchés à Châteauroux ou à Toulouse.

Nous avons évoqué notre rôle spécifique de distributeur, mais au-delà, le territoire est marqué par un certain nombre de freins structurels et mécaniques. Je pense notamment aux transports. De même, et même s'il est sans doute nécessaire, l'octroi de mer constitue un impôt relativement injuste, même s'il possède aussi des qualités. Parmi celles-ci, il est reversé directement à une mairie ou une collectivité. S'il était remplacé par un impôt avec une redistribution programmée, je m'inquiéterais de savoir s'il serait reversé de la même manière dans dix ans que ce qui est promis aujourd'hui. Ensuite, cet impôt exonère les producteurs locaux qui n'auraient aucune chance de s'en sortir si un impôt supplémentaire pesait sur leur petite production.

Cependant, prenons l'exemple d'un petit supermarché indépendant semblable à Agooti dans l'Hexagone, qui se situe à proximité d'une très grande surface. On peut imaginer qu'en vendant le même produit, le petit magasin l'achètera un peu plus cher en raison de l'effet volume. Mais s'il fournit un effort sur sa marge pour proposer un prix de vente hors taxe inférieur à son concurrent, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui sera demandée à ses clients sera moins élevée.

En ce qui nous concerne, le phénomène est exactement inverse : on achète un peu plus cher que nos concurrents et l'octroi de mer est plus élevé pour nous que pour nos concurrents. Quand M. Clavel rogne sur sa marge pour proposer un prix de vente inférieur, l'euro dépensé chez Agooti par quelqu'un qui vit en dessous du seuil de pauvreté génèrera plus d'impôt pour la collectivité que celui dépensé par un client plus aisé qui achètera un produit plus cher, chez un concurrent. Il y a là une forme d'injustice mécanique.

Si demain cet impôt était pris à la fin de la boucle, c'est-à-dire lors du prix de vente, je vous garantis que les prix baisseraient. Si l'impôt allait dans le sens de ceux qui acceptent de produire des efforts, les prix diminueraient vraisemblablement.

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L'octroi de mer est un sujet de débat et votre manière de présenter les choses nous est précieuse.

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Pouvez-vous nous présenter rapidement votre chaîne d'approvisionnement et le nombre d'intermédiaires qui la composent ? Quelles sont les problématiques à traiter dans ce domaine, selon vous ?

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Xavier Clavel, directeur général de SCGR, gérant associé du groupe GXC

S'agissant de nos imports, nous passons nos commandes six semaines avant la livraison auprès de notre centrale Casino. Le transitaire est indépendant de notre société, mais quand le conteneur arrive, il est dépoté et nous mettons en rayon immédiatement, sans intermédiaire. Nous avons supprimé tous les intermédiaires pour être compétitifs.

Pour les autres importateurs, nous payons leurs coûts de stockage et d'approvisionnement. Pour les produits locaux, il faut distinguer d'une part les grosses unités comme les yaourts sur lesquels nous payons à 30 jours ; et d'autre part les petits producteurs de fruits et légumes, que nous payons à la livraison, pour leur donner plus d'oxygène.

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Xavier Clavel, directeur général de SCGR, gérant associé du groupe GXC

Sur l'import, je n'ai aucun intermédiaire. Je passe moi-même les commandes à la centrale Casino, qui charge les conteneurs qui me sont livrés en Guyane. Je les mets ensuite à la vente. Nous avons choisi de ne pas faire appel à des centrales logistiques ou de centrales d'achat. Casino nous facture directement.

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Emmanuel Caussé, SCGR responsable de la communication et de la publicité de SCGR

Il nous ne revient pas d'analyser la manière dont nos concurrents travaillent. Nous essayons de conserver une certaine sérénité au sein de notre univers, nous ne partons pas en guerre contre quiconque ; nous essayons simplement d'effectuer raisonnablement notre travail.

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Je vous remercie pour votre témoignage et vous prie bien vouloir répondre au questionnaire que nous vous avons également transmis. Enfin, nous vous serions reconnaissants de résumer par écrit les messages forts que vous nous avez évoqués aujourd'hui. Cela nous sera précieux. Nous vous souhaitons une bonne continuation pour votre projet.

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Emmanuel Caussé, SCGR responsable de la communication et de la publicité de SCGR

Nous vous transmettons nos vœux de réussite pour le travail que vous accomplissez. Nous espérons surtout que par la suite, la représentation nationale produira les efforts nécessaires pour transformer les recommandations en actions concrètes.

La commission auditionne enfin M. Patrick Fabre, président du groupe CréO, M. Raphael Sanchez, directeur général de l'activité retail, et M. Xavier Cabarrus, directeur des activités amont.

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Nous poursuivons nos auditions en recevant M. Patrick Fabre, président du groupe CréO, M. Raphael Sanchez, directeur général de l'activité retail, et M. Xavier Cabarrus, directeur des activités amont (centrales d'achat, importation, ainsi que les plateformes et entrepôts régionaux).

Créé en Martinique en 1992, le groupe CréO comprend des sociétés actives dans les secteurs de la distribution générale et spécialisée, de la logistique, du recrutement et de l'intérim dans sept territoires : les cinq départements ou régions d'outre-mer (DROM), l'Hexagone et la Belgique.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Patrick Fabre, M. Raphael Sanchez et M. Xavier Cabarrus prêtent serment).

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Patrick Fabre, président du groupe CréO

C'est avec beaucoup d'intérêt que nous suivons les travaux de votre commission d'enquête sur le coût de la vie dans nos collectivités. Nous sommes très heureux d'avoir été invités pour apporter notre contribution à ce dossier essentiel pour les Martiniquais, comme pour tous nos compatriotes d'outre-mer.

Notre entreprise a deux principales branches d'activités. La première est historiquement le recrutement et l'intérim. Nous sommes implantés aux Antilles, en Guyane et dans l'océan Indien (Réunion et Mayotte). Notre deuxième branche d'activité est aujourd'hui la plus importante, il s'agit de la distribution alimentaire. Nous sommes spécialisés dans le hard discount (politique de rabais conséquents), et présents principalement en Martinique, en Guyane et en Belgique, avec l'enseigne Leader Price.

Depuis une dizaine d'années, nous avons aussi créé nos propres enseignes : Caraïbe Price sont des supermarchés discount et Mégastock, des clubs entrepôts. Notre présentation s'effectuera en deux parties : d'une part, nous détaillerons notre activité ; d'autre part, nous répondrons aux reproches qui sont souvent effectués à l'encontre des distributeurs alimentaires. On nous reproche souvent un manque de transparence et parfois de la dissimulation ou de l'opacité.

De notre côté, nous souhaitons vous transmettre le maximum d'informations de manière synthétique. Cela vous permettra de revenir ensuite sur les sujets que vous souhaiterez approfondir. Dans un second temps, je vous soumettrai quatre propositions concrètes pour baisser les prix en outre-mer : deux propositions à court terme, indispensables ; et deux propositions à long terme, qui sont nécessaires pour opérer un profond changement.

Le dossier de la vie chère constitue réellement ma préoccupation depuis trente-cinq ans. En 1986, j'ai voulu ouvrir un supermarché discount, activité qui n'existait pas alors sur notre territoire, à Rivière-Salée en Martinique, pour faire baisser les prix. Nous avons rencontré de nombreuses difficultés et cette expérience s'est finalement soldée par un échec. J'ai personnellement connu plusieurs échecs et j'ai beaucoup appris dans ces difficultés.

En 1988, j'étais directeur du développement du groupe Primistères Reynoird, qui exploitait en Martinique les enseignes Prisunic, Mammouth, Match et Cora. Ce groupe détenait à l'époque 70 % des parts de marché aux Antilles-Guyane. Dans le cadre de mes responsabilités, je recommandais fortement de lancer le hard discount, qui venait alors d'arriver dans le nord de la France, avec l'enseigne Aldi. Je considérais en effet qu'il s'agissait d'une nécessité pour nos territoires. Le projet était en cours de lancement quad le conseil d'administration a brusquement tout annulé, me conduisant à démissionner.

Six ans plus tard, en 1994, nous avons ouvert le premier magasin hard discount aux Antilles-Guyane, à l'enseigne Leader Price. Ce fut très difficile d'obtenir des autorisations et le financement a été très compliqué. Nous avions peu de fournisseurs lors de l'ouverture. J'ai aussi dû aller en justice et gagner un procès pour continuer à exploiter mon premier magasin. Nous savons donc d'où nous venons. Le combat pour les prix bas n'est pas une simple ambition, mais notre raison d'être et notre ADN. Je cède la parole à M. Raphael Sanchez qui va, dans une grande transparence, évoquer nos techniques métier qui nous permettent d'être les moins chers depuis trente ans, en faisant le parallèle avec le modèle économique de nos concurrents, principalement les hypermarchés.

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Raphael Sanchez, directeur général de l'activité retail du groupe CréO

Je souhaite d'abord évoquer brièvement les différents métiers de la distribution sur les territoires des Antilles-Guyane. Nous y trouvons en général le modèle hypermarché, le modèle supermarché, le modèle hard discount, le modèle de proximité et le modèle club entrepôts. Nous sommes avant tout hard discounter, à travers notre enseigne Leader Price.

Notre modèle nous permet de proposer l'offre la moins chère sur les marchés où nous sommes présents. Nous le revendiquons et depuis plus de vingt-cinq ans, nos équipes se battent avec des concurrents de grande qualité, d'excellents professionnels très agressifs et qui, comme nous, travaillent pour pérenniser leur activité et conserver leurs parts de marché.

La concurrence, malgré ce que certains voudraient laisser entendre, est rude. Nos équipes peuvent en témoigner au quotidien. Nos prix bas et notre présence chaque jour pendant vingt-cinq ans ont poussé nos concurrents et nous-mêmes, chacun dans son modèle, à travailler et à améliorer les prix proposés aux clients. Être le moins cher et faire baisser les prix constituent un état d'esprit, partagé par l'ensemble des collaborateurs notre groupe. Mais il s'agit aussi et surtout de respecter de certaines règles et contraintes.

Être hard discounter repose avant sur un modèle économique : nous le sommes et nous le revendiquons. Nous proposons à nos clients 3 000 références qui couvrent l'ensemble des unités de besoin, quand nos concurrents en proposent plus de 30 000 dans un hypermarché. Nous vendons à nos clients uniquement des marques de distributeurs (MDD), en l'occurrence Leader Price, qui sont des produits de qualité reconnus sur notre territoire. Notre chiffre d'affaires est pratiquement constitué à 100 % de marques distributeurs quand dans les hypermarchés, les ventes des MDD ne représentent que 20 à 25 % du chiffre d'affaires de l'alimentaire.

Notre positionnement tarifaire est déjà à la base de 25 à 30 % inférieur à celui des marques nationales. Ce positionnement et ce court assortiment nous permettent ainsi de positionner notre marge entre 15 et 16 %, quand les hypermarchés sont plutôt entre 23 et 25 %. Nous générons de forts volumes à la référence, qui nous permettent de faire baisser de manière significative le prix de revient de nos produits. Prenons un exemple : dans le segment de l'huile tournesol, nous ne proposons qu'une référence quand nos concurrents en proposent une dizaine. Le fait de développer de forts volumes sur une seule référence nous permet d'optimiser nos approvisionnements et de faire en sorte que l'unité de commande soit au minimum la palette, et le plus souvent le conteneur.

Nos volumes importants nous permettent ainsi de faire du « direct usine », d'éliminer les intermédiaires, de positionner nos conteneurs directement à l'usine tout en obtenant un meilleur prix unitaire et de faire baisser les coûts de chargement. Malgré notre taille, nos équipes d'acheteurs négocient au quotidien les prix en métropole et dans le monde auprès des industriels et des exportateurs. Ils compensent parfois notre manque de puissance par une optimisation de la logistique et de la chaîne d'approvisionnement ou supply chain. Par exemple, il arrive parfois que les coûts soient inférieurs quand nous faisons transiter un conteneur par Valence en Espagne plutôt que de le faire passer par Le Havre.

En même temps que nous baissons les prix de vente, nous réduisons nos charges et coûts de distribution. Nos comptes de charges dans nos magasins sont plus bas que ceux des hypermarchés : nous sommes en moyenne entre 12 et 13 % de charges globales, frais de personnels et charges externes, quand les hypermarchés tournent plutôt entre 19 et 20 %. Nous ne consacrons que 0,70 % de coûts publicitaires, quand nos concurrents consacrent plus de ressources pour faire se déplacer leurs clients.

Nous avons fait le choix de ne pas proposer de cartes de fidélité pour ne pas supporter le coût de gestion de cet outil, mais aussi et surtout pour offrir une meilleure lecture des prix à nos clients. Nous nous battons sur les coûts et le loyer, afin qu'ils restent en dessous de 2 % du chiffre d'affaires, en nous installant dans des zones industrielles. Nous contrôlons notre développement, nos investissements et nos agencements.

Nous n'effectuons pas ou très peu de croissance externe s'il n'y a pas de sens économique à notre modèle : le client n'a pas à supporter nos mauvais choix. Nous créons nos propres enseignes, Caraïbe Price, Mégastock et Marché Peyi, afin de conserver notre indépendance et ne pas avoir à payer de royalties qui feraient augmenter nos prix de vente. Nous faisons en sorte d'exploiter des magasins fonctionnels, pratiques, sobres, sans superflu.

Nous investissons dans du matériel de qualité et robuste, sans pour autant choisir le haut-de-gamme : nous sommes plutôt Dacia que Porsche. Il nous arrive, pour baisser les prix de vente, d'acheter du matériel d'occasion de qualité ou reconditionné ; comme cela est le cas pour nos chariots ou nos groupes électrogènes. Nous augmentons la durée de vie de notre matériel en ne le changeant pas nécessairement à chaque fin d'amortissement. Nous sommes focalisés sur les coûts de structure et nous les réduisons au maximum pour améliorer nos prix. Par exemple, notre siège est situé dans notre entrepôt, au-dessus de la dalle où travaillent les équipes d'approvisionnement.

Tout ceci ne pourrait être fait sans nos équipes : nous avons les meilleures équipes, et nous en sommes fiers. Elles sont engagées et contribuent au quotidien à faire des propositions pour offrir à nos clients des produits de qualité au meilleur prix. Chaque service est orienté pour contribuer à la baisse des prix, en optimisant l'organisation et en adoptant les nouveaux outils de progrès. C'est un engagement permanent et quotidien d'être les moins chers.

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Xavier Cabarrus, directeur des activités amont du groupe CréO

Mon intervention va se concerter sur les coûts de la chaîne d'approvisionnement. Alors qu'en Hexagone, il faut trois opérateurs pour qu'un produit arrive à un client, dans nos territoires en général, il en faut quatorze, soit près de cinq fois plus d'intermédiaires.

Pour nos magasins de l'Hexagone et en Belgique, notre circuit est réduit à une plateforme de fournisseurs, le transporteur et le magasin. Pour nos magasins de Martinique, le circuit est plus complexe :

 une usine ou d'une plateforme export ;

 la logistique pour remplir le container ;

 le transport du conteneur jusqu'au port ;

 la douane pour les formalités d'export ;

 le transitaire ;

 le port ;

 la compagnie maritime qui s'occupe de l'embarquement, du transport et du débarquement ;

 la douane pour les formalités d'import ;

 le transitaire ;

 le port ;

 le transport du conteneur jusqu'à l'entrepôt ou chez le grossiste ;

 la livraison des marchandises aux magasins.

Dans cette longue chaîne d'intervenants, nous travaillons de deux manières. Soit nous nous appuyons sur des partenaires avec lesquels nous négocions les tarifs les moins chers possible ; soit nous opérons nous-mêmes, surtout quand nous estimons que cela est stratégique pour notre développement.

Dans cette longue chaîne, deux principaux coûts viennent s'ajouter au prix d'achat : les coûts d'importation et les coûts logistiques. Pour les coûts d'importation, les deux principales dépenses sont le coût de transport maritime (environ 11 % du prix d'achat) et la fiscalité locale, c'est-à-dire l'octroi de mer (15 % du prix d'achat en moyenne). Notre marge de négociation est faible en matière de fiscalité, mais s'agissant du transport maritime, nous sommes membres depuis plus de vingt-cinq ans du groupement des importateurs antillais (GIA), qui regroupe 120 petites et moyennes entreprises (PME) de la Guadeloupe et de la Martinique. L'objectif du groupement consiste à négocier de meilleurs tarifs de fret face aux grands groupes concurrents.

En matière de frais logistiques, nos dépenses sont multiples. Le loyer d'un entrepôt en Martinique est en moyenne de 12 euros le mètre carré contre 5 euros dans l'Hexagone. Du fait de l'éloignement, nous sommes obligés d'avoir un stock de 30 jours de couverture, contre 15 jours pour un opérateur hexagonal. Les conséquences sont doubles. D'une part, nous avons besoin de deux fois plus de surface disponible. D'autre part, nous fonctionnons à l'inverse du modèle traditionnel de la distribution, où le besoin en fonds de roulement (BFR) est négatif : généralement, le distributeur paye le fournisseur après que le client l'a payé. Nous devons donc financer le stock.

Face à cette longue chaîne logistique, notre stratégie consiste à acheter le plus possible localement pour les produits que nous ne sommes pas obligés d'importer. Ainsi, nous réalisons aujourd'hui plus de 30 % de nos achats localement et nous souhaitons augmenter cette part, pour atteindre au moins 40 %. Pour cela, nous devons convaincre plus d'industriels d'accepter de fabriquer pour nous.

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Patrick Fabre, président du groupe CréO

Le constat que nous pouvons tirer est le suivant : il n'y a pas un responsable de la vie chère outre-mer. Cela aurait été plus simple, mais ce n'est pas le cas. Les raisons des prix élevés sont essentiellement structurelles. Notre proposition consiste à nous concentrer sur tout ce qui est prioritaire pour tous nos compatriotes.

Deux fortes inégalités doivent être corrigées à court terme selon nous. La première proposition concerne les prix des produits alimentaires de base ou produits de première nécessité. Il est vrai que le différentiel de prix sur ces produits alimentaires entre l'Hexagone et La Martinique est en général de 32 % : nous vendons dans la distribution alimentaire 32 % plus cher qu'en métropole.

Mais en réalité, ce différentiel est beaucoup plus important sur les produits alimentaires de base, où il atteint ainsi 45 % en moyenne. Cependant, il convient de faire très attention sur les chiffres que l'on invoque, car moyennes dissimulent souvent les des écarts très importants. Malgré tout, nous estimons que ce différentiel de 45 % est inacceptable.

De manière très concrète, laissez-mois prendre l'exemples de produits alimentaires de base : une brique de lait UHT (stérilisé à ultra haute température), des pâtes alimentaires, du riz et des conserves de petits pois et de maïs. Les coûts d'importation de ces produits, c'est-à-dire les coûts d'approvisionnement associés à la fiscalité locale, augmentent nos prix d'achat pour former le prix de revient. En conséquence, les produits de base alimentaire arrivent sur les ports de nos territoires avec des prix de revient affectés des augmentations suivantes :

 53 % pour le lait ;

 63 % pour les pâtes alimentaires ;

 46 % pour le riz ;

 42 % pour les conserves.

En revanche, sur un ordinateur PC à 1 200 euros ou sur les téléphones portables, le coût d'augmentation n'est que de 2 %. Notre proposition consiste à réduire de moitié les coûts d'approvisionnement de ces produits alimentaires de base sur toute la chaîne d'approvisionnement et de répercuter cette baisse sur les autres produits qui sont importés. En effet, ces produits de base représentent moins de 10 % de l'ensemble des produits que nous importons. Si nous enlevons la moitié des coûts et si nous les répercutons sur les 90 % restants, les effets seraient massifs. Nous ne demandons aucun effort financier aux différents opérateurs, mais simplement de réaliser une péréquation.

Notre deuxième proposition concerne le tarif des produits de grande marque. Notre demande consiste à retrouver les tarifs export qui existaient dans les années 1990. Dans la composition du prix de vente des produits de grande marque, il existe deux types de coûts : les coûts de fabrication du produit et les coûts liés à la commercialisation du produit (publicité, force de vente, marketing, logistique, de transport).

Les coûts de commercialisation ou coûts de mise en marché sont payés en métropole, mais aussi sur nos territoires. Puisque nous sommes des territoires captifs, nous payons deux fois les coûts de commercialisation. Or il n'y a aucune raison qu'il en soit ainsi. En effet, les coûts publicitaires, de sponsoring et de force de vente en métropole ne nous concernent pas. Nous demandons que les industriels remettent en place sur nos territoires ultramarins des tarifs export, généralement 20 à 25 % moins chers, comme cela fonctionne pour le monde entier.

Notre troisième proposition consiste à libéraliser le commerce régional. Tout d'abord pour des impératifs écologiques : il vaut mieux acheter le même produit à 200 kilomètres que de l'acheter à 8 000 kilomètres. Toutes les grandes marques nationales sont vendues dans la zone Caraïbes ou dans les îles autour de nous. Il serait plus simple de nous approvisionner directement sur ces zones. Ensuite, pour des raisons tarifaires : le prix des produits de grande marque au Surinam, au Brésil, en Jamaïque ou à Saint-Domingue sont beaucoup moins chers qu'en France. Il faut libéraliser le commerce régional et lever les contraintes administratives. Il s'agit là d'un aspect législatif.

Notre quatrième proposition est en réalité une contribution, pour ce que nous pensons être un secteur prioritaire dans nos territoires, en tous les cas en Martinique. Pour renforcer les filières agricoles locales et faciliter l'installation de jeunes agriculteurs, nous proposons de les aider significativement dans les deux premières années d'exploitation, à travers deux aides. D'abord, en leur accordant chaque mois une ristourne de 10 % du chiffre d'affaires réalisé avec eux. Ensuite, en leur payant leur marchandise avant réception, c'est-à-dire une semaine d'avance au moment de la commande. La première proposition les aiderait à consolider leur structure financière et la seconde les aiderait en matière de trésorerie, qui constitue la plus grande difficulté que rencontrent les jeunes agriculteurs dans les premières années d'activité.

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Je vous remercie. Ma première question sera classique : pourquoi ne déposez-vous pas vos comptes, alors qu'il s'agit d'une obligation légale pour votre groupe ? Un des moyens de faire preuve de faire preuve de transparence consisterait bien à respecter la législation en déposant ces comptes.

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Patrick Fabre, président du groupe CréO

Il est vrai que cette pratique est habituelle en Martinique, où très peu d'entreprises de la distribution alimentaire déposent de comptes. Nos concurrents vous ont évoqué des raisons stratégiques. Notre groupe réalise aujourd'hui dans la distribution alimentaire aux Antilles-Guyane un chiffre d'affaires de 380 millions d'euros et je vous fournirai notre résultat par écrit.

Une entreprise veut toujours être discrète sur ces résultats et il s'agit d'une nécessité. Comme je vous l'ai indiqué au début de mon exposé, j'ai créé des entreprises et j'ai plusieurs fois déposé mon bilan. Les entrepreneurs passent leur temps à se concentrer sur la pérennité de leurs entreprises. Vivant sur un territoire contraint, sans véritable potentiel de développement, nous sommes très discrets sur notre activité vis-à-vis de la concurrence. Je vous fournirai tous les éléments par écrit.

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Il peut apparaître une forme de hiatus, entre le fait de vendre des MDD et de vouloir favoriser la production locale. J'imagine en effet que votre chaîne d'approvisionnement est fondée sur un système de centrale d'achat qui impose une forme de massification des achats. Comment organisez-vous le recours à des productions locales ? Lors de nos auditions, il nous a été dit que sur la banane, les prix d'achat ne permettaient pas aux producteurs de vivre.

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Patrick Fabre, président du groupe CréO

Il existe sur chacun des marchés des industriels et des producteurs. Pour notre part, nous essayons d'aller directement chez les producteurs, pour éviter les intermédiaires. Il en va de même pour nos MDD : nous allons voir les industriels, à qui nous présentons notre cahier des charges. Soit nous utilisons notre propre marque, soit nous utilisons la marque de l'enseigne, soit nous avons développé des marques locales propres qui permettent de ne pas supporter les coûts de commercialisation de marques locales fabriquées. Les industriels locaux fabriquent pour nous dans les domaines des boissons gazeuses, des yaourts, des eaux minérales, des détergents ou du papier toilette, par exemple. Cela n'était pas simple au départ, mais nous y sommes parvenus et nous souhaitons encore plus développer cet aspect.

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Quel est votre avis sur la fiscalité ? Je pense en l'espèce à l'octroi de mer.

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Patrick Fabre, président du groupe CréO

En premier lieu, l'octroi de mer est une nécessité pour financer l'ensemble de nos collectivités. Ensuite, je pense qu'il s'agit d'une manière de protéger et de favoriser le développement de l'industrie locale, ce qui me semble tout autant nécessaire. Il faut également favoriser la compétition dans les industries locales.

Cependant, l'assiette de l'octroi de mer ne porte pas toujours aujourd'hui sur des produits locaux. Je pense qu'il faudrait la faire évoluer, en conservant une protection pour les produits locaux, mais en élargissant l'assiette sur des produits qui ne sont pas des produits de base alimentaires. Aujourd'hui, les personnes les plus modestes sont celles qui souffrent des décalages de prix les plus importants avec la métropole. Ceci est inacceptable, dans le pays de l'égalité. Il nous faut changer cette donne et votre commission a suscité un réel espoir de changement sur notre territoire. L'attente est très forte.

En résumé, je suggère d'élargir l'assiette de l'octroi de mer, en modifiant les produits qui la composent, tout en protégeant les productions locales.

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La question de la péréquation que vous soulevez est évidente. Il semble normal que les produits à forte valeur ajoutée devraient plus porter le poids des augmentations que les produits à faible valeur ajoutée et de première nécessité.

La qualité des produits doit également être évoquée, en fonction du type de marques. En tant que chef d'entreprise, comment expliquez-vous que la péréquation dont vous parlez n'existe pas ? En effet, cela paraît historiquement tellement évident, mais cela n'a jamais été appliqué. À l'heure actuelle, le principe consiste à lisser économiquement les charges, afin qu'elles pèsent le moins possible et in fine augmenter la consommation, ou en tout cas faire en sorte que le niveau de vie ne diminue pas en fonction de la conjoncture. En la matière, il faut distinguer les données structurelles des données conjoncturelles. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Je souhaite également que l'on puisse évoquer la chaîne logistique et les quatorze intermédiaires qui la composent. Nous venons d'auditionner un entrepreneur guyanais qui expliquait avoir moins de quatorze intermédiaires. Il nous a fourni la démonstration qu'il pratique des prix beaucoup plus bas que la concurrence. Comment expliquez-vous que la chaîne d'intermédiaires soit aussi profonde ? Aussi, pouvez-vous détailler le niveau de concentration au sein de cette chaîne ? Parmi les quatorze intermédiaires, quels sont ceux qui font partie de vos filiales, c'est-à-dire ceux dont vous maîtrisez l'actionnariat entrepreneurial ?

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Patrick Fabre, président du groupe CréO

Je partage totalement votre avis : je ne sais pas pourquoi la péréquation n'a pas été mise en place. Cela fait plusieurs années que nous faisons tout pour expliquer quelque chose de très simple, mais j'ignore pourquoi il demeure toujours des blocages. J'ai réalisé au moins six rapports depuis quinze, mais rien n'a jamais abouti : les uns et les autres ont toujours une explication à fournir.

Si une détermination et une volonté politique voient le jour, cela changera. Si nous avons tous une coresponsabilité dans ce dossier, sachez que votre implication y est particulièrement essentielle. Comme je l'ai indiqué, votre commission suscite de très grands espoirs de changement.

Ensuite, j'ai constaté que vous deviez auditionner M. Clavel au préalable. Est-ce bien le cas ?

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Patrick Fabre, président du groupe CréO

Je n'ai pas suivi cette audition, mais M. Clavel est un professionnel de qualité, dynamique. Il essaye de développer son activité et j'ai l'impression de me revoir il y a une vingtaine d'années, quand je débutais et que j'essayais de m'installer. Mais notre activité est encore plus complexe qu'il y a vingt-cinq ans et elle implique d'être spécialiste de trois métiers. On doit d'abord être excellent à l'import, en matière de négociation et sur la chaîne d'approvisionnement. On doit ensuite être excellent dans la prestation logistique, c'est-à-dire en limitant les coûts de plateforme et les coûts de prestation. On doit enfin être un bon distributeur, ce qui est le cas de M. Clavel, me semble-t-il.

Si vous me dites qu'il n'est pas confronté à quatorze prestataires, je ne sais pas comment il opère. Soit il a un seul fournisseur qui lui envoie les produits jusque chez lui. Dans ce cas, je ne sais pas comment il obtient de bons prix. Quand un fournisseur s'occupe de tout, cela pose problème. Il faut rentrer dans les détails pour, au fur et à mesure, chercher des solutions, sur l'ensemble de la chaîne et à la fin obtenir une différence.

De notre côté, nous sommes remontés dans les maillons qui nous semble clefs. Ainsi, il est très important de s'occuper du transit et de la négociation. En effet, dans ce cas, on peut choisir le port de départ, le fournisseur et les compagnies avec lesquelles négocier. Quand mon activité était très réduite, il était difficile de négocier avec des compagnies maritimes. Aujourd'hui, nous y parvenons, même si leur nombre a diminué.

Cependant, il faut bien payer chargement du conteneur, le transport du fournisseur, le débarquement et le transitaire soit directement, soit via le fournisseur. Les quatorze acteurs sont nécessaires dans la chaîne d'approvisionnement. Si nous pouvions en éviter, nous le ferions. Dans notre métier, nous avons des règles incoterms, règles commerciales internationales, c'est-à-dire que nous payons soit au départ, soit au milieu, soit à la fin. Il existe une chaîne de facturation tarifaire à l'export avec les entreprises contractantes. M. Clavel doit travailler en delivered at place paid ou DPP, c'est-à-dire rendu directement chez lui. Cela réduit les frais, mais le coût de l'embarquement, du débarquement et des transporteurs demeure toujours.

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Vous nous avez déjà donné votre chiffre d'affaires. Il faudra également que vous nous transmettiez les comptes consolidés du groupe pour 2021 et 2022. Pour nous, il s'agit de mieux comprendre la situation : je rappelle que l'Autorité de la concurrence avait pointé l'accumulation des marges dès 2019. Pouvez-vous nous détailler le nombre d'entreprises et le nombre de salariés du groupe CréO ? Vous inscrivez-vous dans la tendance qui consiste à augmenter le nombre de petites structures avec un petit nombre de salariés au sein de la chaîne, depuis la production jusqu'à la distribution ?

Ensuite, j'ai constaté que l'ensemble des grands groupes ont des dizaines, voire des centaines d'entreprises de petite taille. On peut imaginer que chacune d'entre elle produit une petite marge, mais ne disposant pas de l'affiliation, il ne nous est pas possible de remonter la chaîne. Les questions de l'accumulation des marges et des marges arrière ne nous paraissent pas transparentes. Il serait souhaitable que vous puissiez nous fournir les contrats sur une vingtaine de produits, afin de voir s'il existe des remises ou des gestes commerciaux qui n'apparaissent pas nécessairement. En effet, quels que soit le nombre d'intermédiaires, nous constatons que le prix ne baisse jamais pour le consommateur.

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Patrick Fabre, président du groupe CréO

M. le rapporteur, je comprends votre question. Nous sommes dans le hard discount, c'est-à-dire que nous ne vendons pas de marques. Nous avons par exemple une enseigne Naturalia, qui vend des produits biologiques. Nous allons directement chez le fournisseur et nous déplaçons directement des produits dans nos magasins. Il n'y a pas de ristourne arrière et nous négocions très peu sur les marques. Dans certains de nos magasins, nous avons des marques nationales et nous achetons quelquefois chez des grossistes locaux, des agents de marques, qui ne sont pas exclusifs mais qui approvisionnent nos points de vente localement.

Dans notre métier du hard discount, nous ne demandons pas de ristourne, nous pratiquons le quadruple net sur toute la chaîne. Nous allons voir un fabricant pour qu'il produise pour nous et nous lui demandons d'enlever les coûts de mise en marché : nous ne voulons payer que le coût de fabrication. Par conséquent, puisque nous demandons le prix le plus tiré pour notre propre marque, le fournisseur ne nous fait pas de ristourne.

Parfois, nous regroupons les produits en métropole dans des stocks, parfois nous faisons du « direct usine » lorsqu'il s'agit de gros volumes. Parmi les couts, figurent les coûts d'empotage, les coûts de regroupement dans des entrepôts et plateformes nationales. Parfois, ces derniers font partie du groupe dont nous sommes partenaires, parfois ce sont des entrepôts de prestataires. Par exemple, sur le congelé, nous avons des stocks aux Pays-Bas.

En résumé, les filières sont très différentes. L'entreprise de transit avec laquelle nous opérons travaille à 70 % pour notre groupe, mais elle ne fait pas tout le volume du groupe. Dans certains pays, nous avons en effet des transitaires plus performants. Dans la logistique, nous avons deux hectares d'entrepôts, mais nous prestons aussi chez des prestataires logistiques spécialisés, en fonction de l'intérêt économique, pour réduire les coûts.

Les gens pensent souvent qu'il existe une accumulation de marges. S'il existait un endroit de la chaîne où la marge était confortable, tout le monde serait concurrent dans ce secteur. Je peux vous assurer que la compétition économique est réelle. Quand j'ai lancé mon entreprise, il existait douze acteurs économiques. J'ai travaillé chez Reynoird, qui a depuis disparu, mais à l'époque ce groupe avait 70 % de parts de marché. J'ai travaillé et beaucoup appris avec de grands commerçant martiniquais, dont M. Roseau. Son activité a ensuite rencontré des difficultés. Il y a dix ans, le grand groupe de la distribution n'était pas le groupe GBH, mais le groupe Ho Hio Hen, avec 4 hypermarchés aux Antilles-Guyane et 70 Ecomax. Le groupe Ho Hio Hen a lui aussi éprouvé des difficultés, alors que M. Ho Hio Hen est un excellent commerçant. En résumé, j'ai vu disparaître un grand nombre d'entreprises. La concurrence est réelle et de nouveaux acteurs s'implantent.

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Vous avez décidé de vous implanter en Belgique. Pouvez-vous nous expliquer l'intérêt de ce choix ?

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Patrick Fabre, président du groupe CréO

La Belgique est le marché le plus concurrentiel d'Europe. Les distributeurs européens y vont pour tester leurs nouveaux concepts. Par exemple, le marché du hard discount est beaucoup plus important en Belgique, avec 35 % de parts de marché. Pour nous, il était important d'apprendre, de progresser et de nous remettre en question. Pour avoir une entreprise pérenne, il faut indéfiniment se remettre en cause et faire du benchmark (étalonnage). J'ai voulu au départ ouvrir deux magasins en Belgique, puis l'activité s'y est développée depuis vingt-deux ans. Grâce à la Belgique, j'ai beaucoup appris dans la manière d'améliorer nos techniques et nos méthodes.

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Quelle est votre analyse sur le coût du transport maritime ? J'imagine que la CMA CGM est votre armateur. Pouvez-vous évoquer également la ristourne de 750 euros sur les conteneurs ? Pourquoi n'a-t-elle pas eu d'effet sur les prix de vente des produits au consommateur ?

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Patrick Fabre, président du groupe CréO

La CMA CGM n'est pas notre transporteur maritime initial. Nous travaillions avec Maersk mais depuis sa disparition, nous travaillons plus avec CMA CGM. La réduction des 750 euros a été faite en juin ou juillet l'année, période à laquelle nous faisons peu d'activité avec CMA CGM. Nous n'en avons donc pas profité. En revanche, nous avons subi l'augmentation du coefficient d'ajustement de soutage, bunker adjustment factor (BAF) de 750 euros. Lorsque la CMA CGM a accordé ces 750 euros, nous avons négocié avec nos transporteurs maritimes, qui ont fourni des efforts, même si ceux-ci sont restés en deçà de la ristourne de la CMA CGM. Cela a permis d'améliorer notre prix de revient.

La vie est chère de manière structurelle dans les DOM. Mais l'inflation conjoncturelle supplémentaire que nous subissons complique encore plus la situation tarifaire. Nous pensons néanmoins que les prix vont redescendre progressivement à partir du mois de juin 2023.

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À partir de quel moment l'augmentation de 750 euros que vous avez mentionné a-t-elle pris effet ?

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Patrick Fabre, président du groupe CréO

Je ne sais pas exactement. Il me semble qu'elle a eu lieu en deux fois.

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Xavier Cabarrus, directeur des activités amont du groupe CréO

Elle a eu lieu le même jour que l'annonce de la ristourne. Il s'est donc agi d'une opération à somme nulle.

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Patrick Fabre, président du groupe CréO

La CMA CGM a deux casquettes. Elle est armateur, c'est-à-dire propriétaire des navires qu'elle exploite, mais elle commercialise aussi l'espace qu'elle a sur ses bateaux, au même titre que d'autres sociétés. La BAF évolue en fonction de l'évolution du prix du fuel. Cependant, je ne suis pas spécialiste et j'aimerais disposer d'une plus grande transparence sur ces données.

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Nous n'avons pas encore auditionné CMA CGM. Je pense que nous évoquerons ce sujet avec eux, même s'il me semble être un des secrets les mieux gardés de vos territoires.

Je vous remercie pour l'ensemble des exposés très précis que vous avez réalisés. Je vous propose de compléter nos échanges en nous transmettant les documents que vous jugerez utiles et en répondant au questionnaire qui vous a été adressé.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Perceval Gaillard, M. Frantz Gumbs, M. Johnny Hajjar, M. Frédéric Maillot, Mme Joëlle Mélin, M. Philippe Naillet, Mme Cécile Rilhac, Mme Sabrina Sebaihi, M. Guillaume Vuilletet

Assistait également à la réunion. – Mme Nathalie Bassire