Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 14h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mercredi 17 mai 2023

La séance est ouverte à quatorze heures.

(Présidence de M. Guillaume Vuilletet, président de la commission)

La commission auditionne M. Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du Centre du droit économique et du développement de l'Université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie et Me Nicolas Genty, avocat en droit commercial, de la distribution et de la concurrence.

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Mes chers collègues, nous reprenons nos auditions dans le cadre de notre commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution. Les cinq auditions d'aujourd'hui nous tiendront jusqu'à une heure conséquente. Nous commençons par l'audition relative aux droits de la concurrence applicables dans les outre-mer en recevant M. Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre de droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie et Me Nicolas Genty, avocat en droit commercial de la distribution et de la concurrence.

Je vous souhaite donc la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vais vous donner la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes qui précèdera notre échange sous forme de questions et de réponses, à commencer par celles de notre rapporteur en vidéoconférence. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations, et en particulier, compte tenu de vos fonctions, si vous avez eu des clients parmi les groupes basés en outre-mer ces cinq dernières années. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Walid Chaiehloudj et Nicolas Gentil prêtent serment.)

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Nicolas Genty, avocat en droit commercial, de la distribution et de la concurrence

Sur la question des clients, j'interviens beaucoup en Nouvelle-Calédonie, qui doit être hors du scope. Je suis intervenu dans le cadre d'une formation pour des organisations regroupant des industriels, il y a de cela un an, sur le sujet des relations entre fournisseurs et distributeurs.

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Nous aimerions recevoir la liste des personnes ayant participé à cette formation.

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Nicolas Genty, avocat en droit commercial, de la distribution et de la concurrence

Je peux me rapprocher de l'organisation, en sachant que de nombreuses entreprises, surtout industrielles, étaient présentes. Il s'agissait de petites entreprises qui se renseignaient sur l'application du droit et sur les relations entre fournisseurs et distributeurs. Nous sommes un peu éloignés du sujet évoqué aujourd'hui, mais pas complètement. Je suis présent aussi parce que je connais un peu ce domaine-là.

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Pas complètement, c'est le moins que l'on puisse dire puisque l'un de nos sujets s'attache à la manière dont se forment les prix. Donc, évidemment, les relations entre fournisseurs et distributeurs sont fondamentales. Vous nous transmettrez la liste.

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

Je suis professeur agrégé de droit privé. Je suis également membre de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie et j'ai récemment été nommé à l'Autorité de la concurrence nationale au sein du collège en charge des professions réglementées. Je déclare à titre de préambule que je n'ai aucun lien d'intérêt ni avec une entreprise ni avec un quelconque parti politique.

Pour le dire simplement, le droit de la concurrence a une ambition principale : protéger le processus concurrentiel. Autrement dit, appliquer les règles de concurrence, c'est s'assurer que la compétition économique entre les entreprises est possible sur le marché. Mais il ne faut pas se méprendre : protéger le processus concurrentiel, cela ne signifie pas empêcher les entreprises méritantes d'évincer leurs concurrents lorsque ces entreprises ont acquis une position dominante par leurs mérites. Si une position dominante a été acquise, par exemple, en raison de la mise sur le marché d'un produit de qualité adoubé par les consommateurs, le droit de la concurrence n'intervient pas et n'a pas à intervenir. Cela dit, derrière cette simplicité se cache une difficulté. Malgré une législation connue, on se demande encore quels sont les objectifs du droit de la concurrence. Les autorités de la concurrence cherchent à accroître le bien-être des consommateurs. Or, le bien-être du consommateur a une polysémie, car le consommateur n'est pas nécessairement une personne physique.

Certes il peut s'agir, d'une part, de vous ou moi. Si les entreprises se mettent d'accord pour augmenter le prix des bananes, par exemple, c'est bien le consommateur final qui, en bout de chaîne, sera pénalisé. Cependant le consommateur est, d'autre part, très souvent une personne morale, c'est-à-dire une entreprise. Dans l'affaire des poids lourds de Guyane de décembre 2022, une société spécialisée dans le contrôle technique avait profité de sa position dominante sur ce marché pour pratiquer des prix excessifs ­ c'est-à-dire sans rapport raisonnable avec sa valeur économique ­ à l'encontre de certaines sociétés de transport.

Toujours est-il qu'une fois que l'on a dit que le consommateur peut être tantôt une personne physique, tantôt une personne morale, on ne sait toujours pas ce que signifie l'expression : « bien-être du consommateur », et je vais essayer de m'en expliquer. Le bien-être du consommateur traduit une approche essentiellement économique, puisque l'accroissement du bien-être du consommateur conduit à la baisse des prix, à une augmentation de la qualité des produits ou des services et à un meilleur développement de l'innovation. Autrement dit, le bien-être du consommateur est un critère à deux dimensions : d'un côté, il permet de défendre ce que l'on nomme la concurrence statique, à savoir le fait que les consommateurs ne sont pas victimes de surcoûts injustifiés ; d'un autre côté, le bien-être du consommateur permet de défendre la concurrence dynamique, à savoir l'innovation. C'est dire, très simplement, que plus les entreprises seront en compétition, plus elles seront incitées à commercialiser les produits innovants sur le marché et à maintenir leurs parts de marchés, parfois à un niveau très haut.

Concrètement, au travers du critère du bien-être du consommateur, on peut avoir une analyse portée par un horizon à court terme, à savoir la baisse des prix, et une analyse portée par un horizon à long terme, à savoir la préservation de l'incitation à l'innovation.

C'est dire que le droit de la concurrence, dans sa dimension à court terme, peut permettre de lutter contre la vie chère, notamment en sanctionnant des entreprises qui, par leur comportement, augmentent artificiellement le prix de leurs produits ou services. Il faut savoir, en outre, que les autorités de la concurrence peuvent mener une action pour lutter contre la vie chère au moyen de leurs activités consultatives. C'est quelque chose que l'on néglige, mais qui est pourtant fondamental. En effet, en Nouvelle-Calédonie par exemple, l'Autorité avait, en 2019, rendu un avis concernant la profession de mandataire liquidateur, lequel avait permis de mettre en lumière une situation de monopole de fait du mandataire liquidateur local. On s'est alors aperçu que, même s'il n'y avait pas de numerus clausus sur le territoire calédonien, il y avait un défaut de concurrence dans cette profession. L'Autorité avait mis en exergue l'existence de barrières à l'entrée, du fait notamment que de nombreuses tentatives de candidatures locales avaient échoué. L'avis le plus important concerne la formation des prix sur les produits de la grande consommation.

J'ajoute que l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie ­ même si l'on s'écarte des compétences de la commission d'enquête ­ est compétente pour donner un avis sur des demandes de mesures de régulation de marché. Qu'est-ce que cela signifie ? Les entreprises calédoniennes ont la possibilité de demander au gouvernement calédonien soit des mesures d'interdiction d'importation ­ on parle de mesures « stop » ­ soit des mesures de taxe de régulation de marché qui permettent finalement de fiscaliser davantage les entreprises qui ne sont pas calédoniennes. L'idée est donc d'avoir une concurrence plus faible que dans un marché libéralisé, puisqu'on va soit interdire à une entreprise extérieure d'importer des produits, soit pénaliser un concurrent en termes de fiscalité.

Dans le cadre de cette présentation, nous allons, avec Me Genty, insister dans un premier temps sur la répression des pratiques anticoncurrentielles, et dans un second temps sur le contrôle des concentrations.

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Nicolas Genty, avocat en droit commercial, de la distribution et de la concurrence

Je suis vraiment heureux de pouvoir parler de ce sujet. Peut-être un petit mot de présentation pour donner un peu de contexte à mon propos. J'ai passé la plupart de ma carrière dans de grandes structures et j'ai créé mon cabinet, spécialisé dans les relations verticales il y a quatre ans. En accompagnant depuis trente ans des entreprises dans les négociations, à 90 % pour des produits de grande consommation, je me suis forgé un certain nombre de convictions que je vais partager. Je suis beaucoup intervenu en Nouvelle-Calédonie, et il est intéressant de la regarder comme un territoire insulaire, disposant d'une autonomie en matière de réglementation, et qui traite ce sujet de la vie chère mais aussi celui du maintien de l'industrie dans ses frontières.

J'ai eu l'occasion d'écouter quelques interventions devant votre commission et nous avons estimé qu'il serait intéressant, dans notre propos liminaire, de remettre en perspective la position dominante, qui est un véritable sujet, et l'abus de position dominante.

La position dominante  qui n'est normalement jamais critiquée en soi dans les théories de droit de la concurrence  est en fait une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et finalement des consommateurs. Je trouve que la définition est très importante parce que nous voyons que l'entreprise en position dominante n'est pas forcément une entreprise de grande taille, leader sur son marché. En fait, elle peut s'extraire du jeu de la concurrence. Pour autant, le fait de pouvoir s'en extraire n'est pas sanctionnable tant qu'elle agit en respectant le droit de la concurrence et en n'abusant pas de sa position. Comment finalement détecte-t-on une position dominante ? Je sais que vous vous posez cette question. Pourrait-on avoir des seuils de domination ? C'est très compliqué parce que ça dépend des marchés, des produits, de la manière dont on les qualifie, de l'évolution. Aujourd'hui, cette manière d'identification est multifactorielle. On a bien évidemment les parts de marché détenues par l'entreprise  c'est le premier critère  mais on utilise un certain nombre d'autres critères. Par exemple, une entreprise qui détiendrait 50 % de parts de marché, alors que son premier concurrent en détiendrait cinq, serait à l'évidence une entreprise en position dominante. Celle qui détiendrait 50 % sur un marché à deux intervenants, avec un autre qui détient 50 %, ne serait pas en position dominante. Bien évidemment, nous savons qu'au-delà de 80 %, nous sommes dans la super dominance et il n'y a plus tellement de questions qui se posent.

Donc la position dominante n'est pas critiquable en soi. On aura sans doute l'occasion, à travers les débats, de parler de l'injonction structurelle. Ce sont les abus qui sont sanctionnables : on dit à une entreprise en position dominante qu'elle n'a pas la même autonomie commerciale, la même autonomie d'action qu'une autre entreprise. Par exemple, vous n'avez pas le droit à des remises fidélisantes. Je caricature en disant cela, c'est beaucoup plus complexe, mais une telle politique de remises peut constituer un abus. Quand vous êtes un acteur sur le marché qui n'est pas en position dominante, proposer des remises qui fidélisent vos clients, c'est plutôt un classique. Quand on est en position dominante, on dit de faire attention, en considérant que la remise fidélisante peut être dangereuse, comme la vente liée. Elle n'est pas interdite quand vous êtes en position dominante, mais elle peut poser des problèmes, de même que la discrimination. En France, nous avons un texte très spécifique sur la discrimination. Je ne vais pas vous faire la liste de tous les abus qui ressortent de la pratique décisionnelle ou des textes, mais nous voyons bien le sujet de l'abus de la position dominante, qu'il faut toujours avoir à l'esprit.

Sur la question de la répression, les sanctions en matière de pratiques anticoncurrentielles sont très élevées. Elles sont les mêmes pour les ententes et les abus de position dominante.

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

Je poursuis notre propos liminaire en m'intéressant aux pratiques anti-concurrentielles et en me focalisant, d'une part, sur les ententes et, d'autre part, sur les accords exclusifs d'importation. Qu'est-ce qu'une entente ? Traditionnellement, une entente est définie comme un comportement collectif et collusif d'entreprises. Une entente implique au moins deux entreprises qui s'accordent dans le but de restreindre la concurrence sur le marché. Les ententes sont considérées soit comme restrictives de concurrence par leur objet, au regard de ce qu'il cherche à atteindre, soit restrictives de concurrence par leur effet sur le marché.

Ces ententes peuvent prendre différentes formes. Il peut s'agir d'un accord sur les prix d'un produit ou d'un service, d'un accord de répartition des marchés ou encore d'un accord de boycott. Il faut savoir que ces ententes peuvent être aussi le résultat d'une consigne donnée par une association professionnelle et qu'il n'est pas nécessaire de rédiger un contrat. Quand on entend le mot « accord », on considère parfois intuitivement, et à tort, qu'il faut un instrumentum, ce qui n'est pas nécessaire pour procéder à une condamnation. D'autre part, à côté des ententes, il existe un dispositif spécifique pour sanctionner ce que l'on nomme les accords exclusifs d'importation.

Notons que depuis la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, dite loi Lurel, il a été introduit un article L. 420-2-1 du code de commerce, qui prohibe dans les collectivités d'outre-mer « les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d'accorder des droits exclusifs d'importation à une entreprise ou à un groupe d'entreprises ». Cette loi est entrée en vigueur en mars 2013 et, depuis 2013, un certain nombre de décisions ont été rendues par l'Autorité métropolitaine. Je pourrais parler évidemment de la Nouvelle-Calédonie ou de ce qui se passe en outre-mer, également sur l'application de ce texte, qui est vraiment un texte, me semble-t-il, important, notamment pour les citoyens ultramarins.

Il convient de relever que le droit polynésien de la concurrence prévoyait la répression des accords exclusifs d'importation, mais que le législateur local, par une loi du pays du 9 août 2018, a supprimé l'article LP. 200-3 du code de la concurrence, qui réprimait donc ces accords exclusifs d'importation.

Je cède la parole à Me Gentil, qui va poursuivre sur le contrôle des concentrations.

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Nicolas Genty, avocat en droit commercial, de la distribution et de la concurrence

Je pense que tout le monde a en tête le fait que les prises de contrôle d'une entreprise entraînent le plus souvent des concentrations d'entreprises et que, à partir du moment où elles répondent aux conditions légales et aux seuils fixés, elles sont soumises à un contrôle qui est une forme d'autorisation. Le premier objectif est de s'assurer qu'on n'est pas en train de créer un acteur en position dominante. C'est l'idée que, finalement, quand la croissance interne a permis d'être dominant, c'est l'efficience économique de l'entreprise qui a permis de constituer cet ensemble économique. Il y a donc le développement de cette efficience et nous parlerons plus tard de l'injonction structurelle. Nous voyons quand même qu'il faut respecter cette efficience économique qui a permis de constituer cette entreprise de belle taille. S'il s'agit, en revanche, de croissance externe, on se dit – dans presque tous les pays – qu'une opération se réalise. C'est une opération de croissance que nous pouvons arrêter pour éviter la constitution d'une position dominante.

Encore une fois, même si la position dominante n'est pas critiquée, à ce moment-là, il y a la possibilité pour les autorités de s'y opposer, mais pas l'obligation de s'y opposer parce que, de temps en temps, la constitution d'un acteur en position dominante est nécessaire. Je pense par exemple à de tout petits marchés constitués de deux acteurs, que le marché a du mal à supporter. Les deux acteurs se retrouvent en situation économique défavorable. L'un d'eux propose de racheter l'autre. Il va bien évidemment constituer une position dominante, voire un monopole, mais soit il constitue un monopole, soit les deux acteurs disparaissent et à ce moment-là, l'Autorité n'a pas d'obligation, de par les textes, d'interdire le contrôle des concentrations. Le jugement se fait en opportunité, avec une possibilité pour le pouvoir exécutif d'agir. En matière de contrôle des concentrations, on considère souvent que certains secteurs doivent être soumis à certains seuils particuliers. Souvent, le secteur de la grande distribution de produits de grande consommation est soumis à des seuils particuliers, comme le sont d'ailleurs les territoires d'outre-mer.

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

Je voulais simplement dire que le droit à la concurrence est un outil parmi d'autres pour faire baisser la vie chère et participer à l'abaissement du coût de la vie. Il doit aussi être accompagné d'autres droits. En Nouvelle-Calédonie, j'ai constaté la problématique liée au droit de la consommation, figé depuis 2004. Malgré le principe de spécialité, qui a donné au législateur néo-calédonien la possibilité de légiférer sur la consommation, on n'a pas de législation équivalente à la législation nationale. On a surtout très peu d'acteurs et de consommateurs qui agissent en justice pour justement contrer des entreprises qui s'adonnent à des pratiques qui sont a priori illégales.

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Nicolas Genty, avocat en droit commercial, de la distribution et de la concurrence

J'ai écouté quelques interventions et je trouve qu'on s'est beaucoup concentré finalement sur le droit de la concurrence, qui est un droit de marché. Je vais vous faire part d'un propos qui n'engage que moi. Le tout marché n'a pas prouvé, quand nous regardons la situation mondiale, une extrême réussite. L'idée que le marché et la concurrence réguleraient tout montre que ce n'est pas forcément le cas, que la concurrence peut être aussi délicate et qu'il faut s'intéresser à un certain nombre de pratiques.

Nous avons la chance en France d'avoir une double réglementation, qui existe dans très peu de pays au monde. Je parle de pratiques anti-concurrentielles et de pratiques restrictives de concurrence. Certains praticiens, ce qui me fait toujours horreur, parlent de grands droits de la concurrence et de petits droits de la concurrence. Je trouve que l'on ne met pas assez en œuvre la question du traitement des pratiques restrictives de concurrence pour contrôler des activités déviantes. Pourquoi ? Le droit de la concurrence est très compliqué à maîtriser et à mobiliser. C'est un droit du marché, ce qui suppose d'étudier le marché. Il faut se poser la question du marché pertinent. Déterminer un marché pertinent se révèle très complexe. Nous avons la possibilité d'intervenir assez rapidement avec des outils légers, face à une entreprise qui, grâce à sa position, abuserait par exemple de son pouvoir pour soumettre ses partenaires à des conditions déséquilibrées dans les contrats, ce qu'on appelle le déséquilibre significatif. Nous pouvons lutter encore avec des outils plutôt légers, puisque c'est une assignation devant un tribunal de commerce parce qu'un acteur a commis des pratiques discriminatoires, parce qu'il a rompu les relations commerciales, parce qu'il a obtenu des avantages injustifiés, etc. Je pense qu'on a trop peu de fonctionnements en globalité, c'est-à-dire de réflexions sur l'articulation de ces deux droits. En Nouvelle-Calédonie, la même Autorité traite des pratiques anti-concurrentielles et des pratiques restrictives de concurrence. Je pense qu'avancer sur les deux permet de trouver un très bon équilibre sans forcément mobiliser un outil complexe, comme l'abus de position dominante pour pouvoir sanctionner une entreprise coupable de pratiques discriminatoires, et de sanctionner directement la pratique discriminatoire. Si vous êtes très puissant sur le marché, vous avez un devoir d'exemplarité. Encore moins que les autres, je n'accepterai vos comportements, qu'ils soient contraires au marché ou à l'intérêt d'un opérateur sur le marché.

Je trouve qu'on méprise souvent cet outil, et à mon sens à tort, parce que c'est un outil magnifique de régulation indirecte du marché, mais quand même de régulation du marché.

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En effet, les paroles n'engagent que vous, mais c'est un peu le principe d'une commission d'enquête. Pour le coup, le fait que vous ayez prêté serment, d'ailleurs, correspond à cela. Je vais vous poser une ou deux questions avant de laisser la parole au rapporteur. Ma première question, à laquelle vous avez pratiquement répondu, concernait la difficulté de la saisine. Quelles pourraient être les sources d'amélioration par la coordination des deux procédures que vous venez de décrire ?

Pourriez-vous revenir sur les barrières à l'entrée ? Envisage-t-on des barrières qui finissent par peser sur les prix ? De ce point de vue, nous pourrions juger que c'est bénéfique au niveau général des prix, mais il y en a bien d'autres qui ne sont pas forcément bénéfiques au niveau général des prix, donc au pouvoir d'achat des consommateurs.

J'entends bien que votre expertise est concentrée sur la Nouvelle-Calédonie, mais pour autant, bien qu'il ne s'agisse pas de notre champ d'investigation, les causes peuvent être assez communes et assez proches de celles que nous vivons ailleurs. Avez-vous constaté que les problèmes de position dominante aboutissent à des effets de prix ou plutôt des effets de contrôle ?

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

Il faut savoir que les barrières à l'entrée empêchent une entreprise de pénétrer un marché dans lequel on a déjà des acteurs. Ces barrières peuvent être de deux types, juridiques et économiques. Je citais l'exemple des mandataires liquidateurs. Dans ce cas, la barrière était juridique. Malgré le fait qu'on demandait à être nommé, on ne pouvait pas l'être en raison de conditions assez restrictives. Il peut aussi s'agir de textes de loi, par exemple pour une profession. Je prends l'exemple de l'avocature qui peut être une illustration assez topique. Si on veut être avocat, la barrière à l'entrée est juridique à travers le certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA).

Pour la barrière économique, je prends l'exemple du marché des moteurs de recherche. Une entreprise qui souhaiterait aborder ce marché, au regard de la massification des données, de la trésorerie nécessaire ou du paiement des ingénieurs rencontrerait quelques difficultés pour concurrencer Google de manière immédiate.

Ces barrières à l'entrée peuvent aussi parfois reposer sur l'accès aux données. En l'absence de données relatives aux clients, il s'avère délicat de les prospecter. Souvent, les autorités de concurrence sont intervenues justement pour imposer aux opérateurs dominants de transmettre certaines données afin de dynamiser la concurrence sur le marché, qu'on appelle une injonction de type comportemental dans certaines décisions. Il ne s'agira pas ici de céder des actifs, plutôt d'imposer un comportement à une entreprise afin que la concurrence puisse être rétablie.

L'abus de position dominante en Nouvelle-Calédonie constitue un sujet délicat. L'affaire la plus marquante est celle relative aux pompes funèbres. Notre problématique est l'accès aux preuves. Déterminer une position dominante s'avère compliqué. Il faut d'abord délimiter un marché pertinent, identifier une position dominante au-dessus de 50 % au regard de la jurisprudence, s'intéresser au comportement et démontrer que ce comportement permet d'exclure d'autres entreprises du marché. En Nouvelle-Calédonie, le problème est celui des moyens. Nous manquons déjà de culture de la concurrence dans les territoires ultramarins. Je généralise, mais en tout cas, connaissant la Nouvelle-Calédonie, le marché était très concentré. Une dizaine de familles tenait les entreprises et avait installé une culture de l'entente plutôt qu'une culture de la concurrence. Dès le départ, l'installation apparaissait assez difficile. Pour une Autorité, ce sont les preuves qui permettent de nourrir l'enquête. Les entreprises se montraient rétives à l'idée de saisir l'Autorité. Cette affirmation est aujourd'hui à relativiser puisque depuis la mise en place de l'Autorité il y a cinq ans, la culture de la concurrence commence à se diffuser et s'accompagne de nombreuses saisines. Nous ne sommes plus du tout sur l'auto-saisine, les entreprises viennent nous voir.

En Nouvelle-Calédonie, nous avons la chance d'avoir une Autorité compétente en droit du marché et en droit spécial des contrats et des pratiques restrictives. C'est très important à deux égards. D'un côté, être compétent sur les pratiques réciproques de concurrence permet de sanctionner immédiatement. Il ne s'avère pas nécessaire de développer une argumentation pour démontrer une position dominante. On peut juste constater que tel contrat est déséquilibré, que la partie forte a imposé telle ou telle clause au détriment de l'autre entreprise et on peut sanctionner immédiatement. Le second avantage, et je ne trahirai pas les délibérés ni les auditions, mais en tant que praticiens et membres du collège, grâce aux affaires de pratique restrictive de concurrence, nous avons observé des cas d'ouverture d'affaires en pratiques anti-concurrentielles. Nous avons compris, lors des auditions, que certains opérateurs s'entendaient. Pour une autorité de la concurrence, avoir ces deux fonctions, ce qui n'est pas le cas en métropole, représente un avantage considérable, notamment en termes de charge de la preuve.

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Avez-vous une grille de lecture du retour en arrière s'agissant de la Polynésie française ?

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

J'ai été très surpris du retour en arrière en Polynésie française. Selon mes informations, c'était quand même une question très politique qui n'était pas liée finalement qu'au droit de la concurrence. Avoir la possibilité de réprimer directement un accord exclusif d'importation est très important en termes de charge de la preuve. Cela nous permet aussi de sanctionner rapidement des opérateurs qui bloquent la concurrence intra-marque, c'est-à-dire la concurrence entre produits identiques. En Nouvelle-Calédonie, des opérateurs étaient les seuls à distribuer certaines marques et agissaient un peu comme des faiseurs de prix sur le marché, avec la possibilité de marges considérables. La répression est assez importante, mais avec une nuance puisque les accords exclusifs d'importation peuvent être exemptés. Encore faut-il démontrer que l'accord contribue au progrès économique, c'est-à-dire qu'il baisse les coûts et que le consommateur s'y retrouve. L'importation est certes exclusive, mais le consommateur bénéficie d'un projet de qualité et à prix attractif. À ma connaissance, aucun opérateur n'a réussi à le démontrer.

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Nicolas Genty, avocat en droit commercial, de la distribution et de la concurrence

Je remarque finalement dans cette réglementation très complexe qu'elle est rarement accompagnée de moyens pour sanctionner les comportements déviants. Nous avons l'impression de ne jamais fonctionner dans un couple que formeraient la loi et le respect de la loi. J'ai la chance d'accompagner des groupes étrangers qui s'implantent en France ou qui travaillent en France. Ils sont toujours sidérés du décalage qui existe entre la masse de la réglementation et la réglementation réellement appliquée. Vous prenez une entreprise américaine, vous lui dites que tel comportement est sanctionnable à 5 % du chiffre d'affaires. Auquel cas, l'entreprise américaine arrête immédiatement. Mais, en fait, non, le texte n'est généralement pas appliqué.

On a multiplié les réglementations sans les accompagner forcément de sanctions. On a presque l'impression que celui qui fait très attention en respectant la réglementation est celui qui a tort par rapport à ses concurrents qui réussissent, sans ni la respecter ni être sanctionnés. Ce n'est d'ailleurs pas le cas des accords exclusifs d'importation, pour lesquels un travail considérable a été réalisé. On peut être pour ou contre. On a considéré que percer cette pratique posait difficulté. Pour le coup, un véritable travail a été mené parce que cette pratique était très répandue et dont on voit qu'elle s'est largement améliorée. Ce n'est pas le cas de tous les textes, mais on peut regretter quelquefois une sophistication de la réglementation qui ne s'accompagne pas des moyens pour pouvoir la mettre en œuvre, d'autant plus quand cette réglementation a vocation à s'appliquer dans des territoires très éloignés, où la culture n'est pas forcément celle du droit de la concurrence, du respect des réglementations sophistiquées et des réglementations économiques, d'ailleurs sans même quelquefois s'interroger sur les effets possibles dans un territoire ultramarin très différent. Les économies insulaires fonctionnent de manière spécifique et à un moment, si on veut avoir la possibilité d'y appliquer des textes assez sophistiqués, il faut des moyens considérables pour faire en sorte que le droit soit appliqué.

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

Une idée m'est venue en écoutant Me Genty. Nous n'avons pas parlé de la faute lucrative. C'est un gros problème parce que le droit de la concurrence, parfois, ne réprime pas assez, si bien que certaines entreprises ont des stratégies de violation de la loi. Parfois, il est plus malin de ne pas respecter le droit de la concurrence aux fins de réaliser un chiffre d'affaires conséquent. Par la suite, si on reçoit une amende même de 10 % du chiffre d'affaires sur les quatre ou cinq années, on l'a vite thésaurisée, on n'a pas de difficulté pour rendre rentable cette violation de la loi. On pourrait aussi réfléchir à la question de comment on peut dépasser tout cela. En Calédonie par exemple, je trouve que c'est encore pire qu'en métropole, puisqu'on a 5 % du chiffre d'affaires en termes d'amende, alors qu'à l'échelle nationale, c'est 10 %.

Le moyen pour les outre-mer aussi de tordre le cou aux entreprises qui se dirigent vers ces pratiques-là, c'est de rendre attractif ce qu'on appelle l'action en réparation d'un dommage concurrentiel ou private enforcement. On a d'un côté la mise en œuvre publique du droit de la concurrence et, de l'autre côté, la mise en œuvre privée du droit de la concurrence. Qu'est-ce la mise en œuvre publique ? C'est lorsqu'une autorité de concurrence décide de sanctionner et d'infliger une amende à une entreprise. L'entreprise est sanctionnée pour le dommage provoqué à l'économie. L'amende part dans les caisses de l'État ou de la collectivité ou du territoire lorsque c'est la Calédonie. Sauf que le préjudice subi par l'entreprise n'est pas réparé. C'est ici qu'intervient la mise en œuvre privée. L'entreprise doit saisir le juge – on appelle cela une action en responsabilité – pour voir le préjudice concurrentiel réparé.

Nous n'avons pas cette culture de la réparation privée dans les outre-mer. Seule l'Autorité de la concurrence, soit locale, soit nationale, sanctionne les pratiques. Si on avait des entreprises qui saisissaient le juge, on aurait d'une part une amende et d'autre part la réparation du préjudice. Là, on a quelque chose qui est quand même beaucoup plus dissuasif que la simple mise en œuvre du droit de la concurrence par l'Autorité.

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Cette absence de culture est-elle une culture du silence, parce qu'on ne veut pas se fâcher, ou une absence de culture au sens pratique ?

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Nicolas Genty, avocat en droit commercial, de la distribution et de la concurrence

Je voulais juste rebondir sur la faute lucrative, que je n'ai jamais mesurée. Dans la plupart des cas, ce sont plutôt des comportements involontaires, sans que la question du risque ne soit posée. Effectivement, ce sont des sujets que l'on entend largement.

Je pense qu'il existe une question de culture et de compréhension du droit de la concurrence, qui est bénéfique aux entreprises. Une entreprise peut plus facilement évoluer dans un contexte concurrentiel. Si elle a réussi à se débrouiller sans respecter les règles, elle trouvera peut-être une autre entreprise qui les respectera encore moins, sans avoir la possibilité ni de se défendre ni de connaître les armes à sa disposition. Dès le départ, le droit de la concurrence est vu comme une contrainte, c'est-à-dire une réglementation supplémentaire. Personne n'aime le changement, qui fait peur. Implanter une culture de concurrence dans un territoire équivaut à un changement. Il faut donc expliquer que ce droit est bénéfique aux entreprises. Pour 80 % des acteurs économiques, il s'agit le plus souvent de méconnaissance plutôt que de la volonté de ne pas respecter la loi. Il convient aussi d'intégrer ces autorités dans la vie civile, à la rencontre des entreprises et de fournir toutes les explications sur le droit de la concurrence. Peut-être n'accordons-nous pas assez de moyens à cette implantation de la culture de concurrence dans les territoires.

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

En Nouvelle-Calédonie, le droit européen ne s'impose pas. Le droit européen intègre pourtant une directive du 26 novembre 2014 qui vient faciliter la réparation du préjudice subi par les entreprises en droit de la concurrence. Une ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles a permis de faciliter, en France, la réparation des préjudices, ce qui n'est pas le cas en Nouvelle-Calédonie.

Il faut aussi évoquer la peur des entreprises. Si une autorité de la concurrence sanctionne un opérateur pour abus de position dominante, vous avez peur, en demandant réparation au tribunal, d'être victime de représailles. Il peut s'agir d'une rupture de contrat passé avec l'opérateur dominant. En France, à l'échelle des pratiques restrictives de concurrence, on a prévu une législation qui donne pouvoir au ministre de l'économie de sanctionner les entreprises lorsqu'un déséquilibre entre les rapports contractuels apparaît. Souvent, l'une des parties, dépendante de l'autre partie, n'a pas le réflexe de saisir le juge. Sur un territoire concentré, les opérateurs se connaissent et on a toujours peur de perdre un opérateur avec lequel on travaille depuis des années. C'est une raison presque sociologique.

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Pouvez-vous repréciser en synthèse les particularités du droit de la concurrence dans les territoires dits d'outre-mer, à la fois sur le plan juridique et sur le plan économique ? Pensez-vous que les mesures réglementaires et législatives correspondent à la réalité des territoires au regard de leurs caractéristiques d'insularité, d'éloignement et d'exiguïté du marché ?

En termes d'évolution, nous constatons aujourd'hui moins de concurrence, avec une conséquence majeure pour les consommateurs. La bonne santé des entreprises est extrêmement pénalisée car le tissu économique composant les différents territoires est constitué en majorité de très petites entreprises. Par rapport à l'augmentation des concentrations, et donc une diminution de la concurrence, le niveau de vie de la majorité des peuples de ces territoires a diminué, d'autant plus en période d'inflation. Quelles seraient pour vous les mesures à mettre en œuvre, dans ce modèle aujourd'hui monopolistique et oligopolistique, pour améliorer les conditions de vie de nos peuples ?

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

Le droit de la concurrence est adapté aux territoires ultramarins. D'une part, parce que les entreprises ne sont pas les mêmes. On a bien souvent un maillage de petites et moyennes entreprises (PME), même s'il existe de grosses entreprises dominantes. Il y a aussi la prise en compte de spécificités, comme l'éloignement de la métropole, l'étroitesse du marché et le contexte d'insularité.

En Nouvelle-Calédonie, un avis a été rendu sur la formation des prix des produits de grande consommation. Cet avis a montré que les grands distributeurs n'abusaient pas sur les prix, qu'ils suivaient un modèle de gros volumes avec des marges à 2 %. On a constaté que c'étaient surtout ceux qui réceptionnaient le fret maritime – les acconiers – qui abusaient du contexte, avec des marges à 21 % contre 5,5 % en Polynésie ou en Martinique. Certains prix étaient incompressibles, comme ceux liés à l'hydrocarbure. Je cite aussi un coût sous-estimé, celui lié aux frais de personnel.

Je me suis demandé pourquoi les distributeurs néo-calédoniens n'avaient pas recours aux importations directes et s'alimentaient auprès des grossistes répartiteurs. Il ressort que ces derniers ont les moyens de stocker les produits et apparaissent indispensables. Une telle opération serait plus difficile en direct.

La concurrence s'adapte au territoire. Je me souviens du cas d'une petite entreprise sans service juridique ou n'ayant pas les moyens de faire appel à un avocat spécialisé en droit de la concurrence et il n'a pas été question de la sanctionner, mais plutôt de faire preuve de pédagogie. Nous essayons aussi d'intervenir dans les médias pour fournir des explications sur le droit de la concurrence.

Une autorité de la concurrence est vivante et doit s'adapter à la réalité. Nos échanges avec les acteurs et consommateurs apparaissent donc importants. En Nouvelle-Calédonie, dans le champ du contrôle des concentrations, nous avions prévu un niveau de seuil en chiffre d'affaires très bas, à hauteur de 600 millions de francs Pacifique. L'Autorité de la concurrence s'est retrouvée inondée de notifications pour des concentrations sans aucune incidence sur le marché. Le seuil a donc été augmenté à 1,2 milliard de francs Pacifique, ce qui a permis d'identifier les concentrations ayant une incidence sur le marché. Le droit s'adapte donc aux spécificités locales.

Pour parler de la Martinique ou de la Guyane, nous exerçons un contrôle des concentrations particulier pour le commerce de détail. À partir de 5 millions d'euros, nous pouvons contrôler la concentration, mais le texte a été limité au commerce de détail. Si nous identifions des concentrations importantes en termes de domination, il me semble important d'élargir le texte, sans le limiter au commerce de détail afin que l'Autorité puisse intervenir sur tous les marchés. Le commerce de détail est un volet de la cherté des prix, mais pas seulement.

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Nicolas Genty, avocat en droit commercial, de la distribution et de la concurrence

Vous avez parlé des barrières à l'entrée, de la concentration, du lien avec l'inflation. Nous n'avons pas encore expliqué que le droit de la concurrence, s'il est un outil, ne fait pas la politique de concurrence ni la politique du marché. Selon moi, il vise à maximiser le bien-être du consommateur notamment en lui proposant des produits au prix le plus bas, mais aussi lorsque ces produits sont respectueux de la planète. Parfois, le prix est inatteignable pour les consommateurs les plus défavorisés, alors qu'il s'agit d'un produit essentiel. Le droit de la concurrence ne règlera jamais cet aspect. La concurrence ne permet pas d'obtenir des prix inférieurs aux coûts de revient. Si ces coûts augmentent, les prix des produits également. Il peut y avoir un relais lié à la redistribution, c'est-à-dire permettre aux populations fragiles d'avoir accès à des produits, en espérant que leur situation s'améliore.

Le droit de la concurrence n'est pas une arme unique contre la vie chère. Il est aussi difficile de s'attaquer aux sur-marges. Lorsqu'on discute avec des économistes, ces sur-marges n'existent pas en théorie. La concurrence fait qu'une entreprise essaye de maximiser des marges, quelquefois en valeur absolue, donc une marge en pourcentage faible. L'entreprise peut privilégier le pourcentage, avec potentiellement moins de produits et des marges en pourcentage plus élevées. Si elle fixe des marges bien au-delà de celles de ses concurrents, une entreprise arrive en proposant des marges plus faible, et l'autre s'adapte ou disparaît. Le droit de la concurrence crée les conditions de la concurrence, qui n'arrivent pas toujours au résultat espéré. Par exemple, tout le monde devrait pouvoir se nourrir à un prix accessible, ce qui n'est pas le cas parfois.

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

Je vous ai dit qu'il fallait peut-être élargir le seuil des 5 millions d'euros pour contrôler toutes les concentrations, et pas seulement celles du commerce de détail en outre-mer. J'ai une autre proposition qui pourrait intéresser vos travaux. Nous n'avons pas parlé de l'injonction structurelle. Lorsqu'une entreprise se trouve en position dominante et que l'on décèle des pratiques de prix suspectes, l'Autorité peut imposer une cession d'actifs, notamment dans des groupes d'entreprises.

Le texte précise à ce titre : « en cas d'existence d'une position dominante d'une entreprise ou d'un groupe d'entreprises qui soulève des préoccupations de concurrence du fait de prix ou de marge élevés, en comparaison des moyennes habituellement constatées dans le secteur économique concerné ». Nous avons un problème avec ce texte, inapplicable en Nouvelle-Calédonie. L'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), émet des statistiques en France, et à l'échelle calédonienne, nous avons l'Institut de la statistique et des études économiques (ISEE), qui n'a pas les moyens de faire ces analyses. Nous ne pouvons savoir de quelle manière les prix ont évolué dans les différents secteurs ni quelles marges réalisent les entreprises. Ce texte est intéressant car il est très fort, son résultat pouvant être d'imposer une cession d'actif, mais il est impossible à mettre en œuvre en l'absence de ces informations.

Vous avez entendu parler du règlement européen du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique ou digital market act, relatif aux contrôleurs d'accès, qui doivent notifier certaines informations à la Commission européenne. Sur le même modèle, nous pourrions bâtir une législation pour les outre-mer qui imposerait aux opérateurs importants du marché de procéder chaque année à un relevé des prix et de leurs marges en vue d'une notification. L'Autorité de la concurrence pourrait ainsi voir si l'évolution des prix et des marges est suspecte. Il serait alors possible de relever les préoccupations de concurrence et les adresser à l'entreprise. Cette dernière devrait démontrer que les augmentations de prix sont liées à des phénomènes de marché, comme la guerre en Ukraine. Cette démarche permettrait de voir aussi que certaines entreprises augmentent les prix de manière un peu arbitraire et dans ce cas intervenir. Il serait ainsi possible d'éliminer une difficulté, celle de l'accès aux informations. L'Insee et l'Isee n'étant pas en capacité aujourd'hui de produire des statistiques sur tous les secteurs.

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Ma première question porte sur la concentration verticale. C'est ce qui se passe à La Réunion avec le rachat par CMA CGM de Bolloré Logistics. Comment caractériser la position dominante alors qu'elle n'est pas forcément avérée dans chacun des tronçons de l'accès aux produits ? En quoi l'octroi de mer peut-il être un élément de restriction des pratiques concurrentielles ?

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

Je n'ai pas de réponse toute faite à la première question. J'ai parlé de l'injonction structurelle. L'Autorité de la concurrence reste vigilante sur les concentrations verticales. Si elle constate qu'une telle concentration peut avoir des incidences graves sur la concurrence, elle va prohiber la concertation ou donner son accord en demandant que soit cédé tel actif ou telle activité. Sinon, la concentration ne sera pas possible. En Nouvelle-Calédonie, nous avons imposé de tels engagements. Les entreprises peuvent être sanctionnées lorsqu'elles ne respectent pas les engagements. Je cite l'affaire Fnac/Darty de 2018. L'Autorité de la concurrence a infligé une amende de 20 millions d'euros du fait d'un non-respect des engagements.

Imposer une cession d'actifs reste difficile dans les territoires ultramarins. Bien souvent, les entreprises se connaissent et il faut trouver un acteur nouveau. C'est le travail du mandataire, chargé de gérer ces engagements. En tout cas, il est parfois très difficile de trouver des acteurs, alors même qu'on veut dynamiser la concurrence sur le marché.

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Nicolas Genty, avocat en droit commercial, de la distribution et de la concurrence

Je complète sur la question des concentrations verticales. Par exemple, si un fabricant se concentre avec un logisticien qui lui-même est dominant, l'Autorité va considérer que le jeu de la concurrence est perturbé et la refusera. Si finalement les deux acteurs eux-mêmes ont une concurrence qui est saine, ils s'allient verticalement et dans ce cas-là, l'opération peut provoquer des économies d'échelle, un meilleur fonctionnement entre les deux, un coût du produit, à la sortie, moins cher dont on peut espérer que le consommateur bénéficie.

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Je suis bien d'accord avec vous. Parfois, les stratégies d'intégration verticale sont tout à fait cohérentes et peuvent bénéficier aux consommateurs et à l'entreprise. Mais cela peut être aussi un coût d'entrée sur le marché. Si vous avez la capacité à intégrer, parce que vous avez les moyens financiers, une entreprise qui a 30 % du marché et qui a le cash pour pouvoir intégrer toute la filière de distribution sans même qu'il y ait besoin d'empêcher d'autres clients de venir sur cette filière de distribution. Il n'empêche qu'il y a des économies d'échelle internes. Le coût d'entrée du marché, c'est qu'il faut entrer dans tous les segments. C'est là où il peut y avoir en effet un effet concurrentiel complexe, alors même qu'aucun des segments n'est en situation d'oligopole ni de restriction concurrentielle. L'injonction structurelle me paraît être la réponse qui convient en la matière.

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

Pour vous répondre clairement, le contrôle des concentrations fonctionne très bien. D'ailleurs, on n'hésite pas à prohiber lorsqu'il faut le faire. Il faudrait contrôler parfois sur les territoires ultramarins des concentrations qui ne le sont pas actuellement au regard des seuils. C'est un autre sujet. Une fois qu'on a réglé le problème de seuil, l'outil pour contrôler est très bon. Il n'y a pas de difficulté puisqu'on peut imposer des engagements à des entreprises et si elles tiennent à la concentration, elles doivent s'y contraindre.

J'aimerais réentendre votre deuxième question.

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En Nouvelle-Calédonie, le système de taxation permet quasiment d'interdire l'importation, en tout cas d'avoir une taxation rédhibitoire. Dans ce cas-là, elle peut peser sur l'état de la concurrence. Ma question est de savoir si ce qui, dans d'autres territoires, s'appellerait « octroi de mer » va permettre une différenciation par rapport au produit local – avec une nomenclature très fine, puisqu'on nous a dit qu'on est arrivé à cinq numéros dans le code qui définit un produit. Les produits parfois vont être très voisins : l'un va être fortement taxé et pas l'autre. Cela peut-il avoir selon vous des conséquences de restriction de la concurrence ? Est-ce que vous en avez connaissance ?

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

L'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie est très défavorable aux mesures de régulation de marché parce qu'elles posent la difficulté de l'absence de concurrence. Quand le gouvernement accepte une demande de régulation, une demande « stop », c'est-à-dire que l'on interdit l'importation d'un produit, on a mécaniquement une absence de concurrence sur le marché et des prix très élevés. On a en plus des phénomènes de pratiques illicites. Pendant un temps, en Calédonie, on avait contingenté le Nutella et tous ceux qui revenaient de métropole avec ce produit le revendaient au marché noir. Il s'ensuivait des phénomènes assez délétères.

Nous sommes très défavorables à ces questions, puisqu'elles ne permettent pas de dynamiser la concurrence et incitent l'opérateur local à augmenter ses prix et proposer des produits sur le marché qui ne sont pas forcément de qualité. J'ai l'exemple de certaines denrées alimentaires produites en Nouvelle-Calédonie de très mauvaise qualité parce qu'on avait autorisé une telle démarche. Je me souviens de l'affaire des tuyaux. Un fabricant de tuyaux bénéficiait d'une mesure « stop » jusqu'en 2019. L'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie s'était montrée offensive, en considérant que ce n'était pas une bonne mesure parce qu'elle ne dynamisait pas la concurrence. Le Gouvernement a finalement accepté une demande de mesure de taxation, consistant à taxer davantage les tuyaux concurrents. On a reçu finalement des engagements très forts de la part de l'acteur qui avait baissé ses prix, ce qui avait permis d'installer une concurrence sur le marché.

D'autre part, une problématique concerne les pays ultramarins, liée au fait qu'on est très attaché au continent européen. On veut que les produits viennent d'Europe. La Nouvelle-Calédonie est un pays et territoire d'outre-mer (PTOM), sans taxe douanière sur les produits provenant d'Europe. En revanche, des taxes s'appliquent aux produits qui viennent de Nouvelle-Zélande et d'Australie. Vous imaginez très bien que le coût d'approche de ces deux pays, à deux heures de la Nouvelle-Calédonie, est mécaniquement inférieur, avec un impact potentiel sur la vie chère par la possibilité de ne pas taxer des produits issus des pays voisins. Là aussi, il faudrait peut-être, même pour la Martinique et la Guyane, accepter d'avoir des produits qui ne sont pas forcément des produits européens, mais qui sont des produits équivalents et vendus un petit peu moins cher. Je pense qu'il faut mener un vrai travail sur la fiscalisation des produits non européens. Évidemment, c'est une question très politique, qui dépend du Gouvernement.

Je crois que vous n'avez pas évoqué l'article L. 410-2 du code de commerce, consacré à la liberté des prix. Ses alinéas 2 et 3 permettent au gouvernement d'intervenir sur les prix pendant six mois en cas de circonstances exceptionnelles ou lorsqu'un intérêt général se niche. La commission doit savoir qu'en cas d'exagération sur certains territoires, le gouvernement peut procéder par décret. Il est vrai que la démarche porte atteinte à l'économie de marché, mais elle peut aussi permettre de diminuer les prix pour un temps.

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Nicolas Genty, avocat en droit commercial, de la distribution et de la concurrence

Je ne partage pas l'ensemble de ce qui vient d'être dit. Quand on parle de vie chère, on parle de la moitié du problème, parce que le vrai problème concerne le pouvoir d'achat. Peu importe que la vie soit chère si les revenus sont élevés, et on le voit dans un certain nombre de territoires. Assurer la sécurité de la production locale, c'est assurer le fait que les personnes seront payées pour leur travail et pourront acheter des produits. C'est aussi assurer la vie économique, un certain dynamisme, notamment en attirant des investisseurs. Un territoire qui aurait la chance de voir ses prix baisser de 15 %, mais sans qu'aucun produit ne soit issu du territoire connaîtrait à terme une véritable difficulté. Je suis très sensible au fait que le tout marché ne règle pas la situation, puisque le tout marché revient à considérer qu'il ne faut surtout pas produire dans les territoires où le coût de production serait élevé. Si vous faites un produit laitier en Nouvelle-Calédonie, vous ne pouvez pas compter sur les économies d'échelle, même en cumulant les frais d'approche, par rapport à une entreprise qui en ferait mille fois plus. Il faut donc mener la réflexion sur la politique du territoire et la nature de la production.

Sur le papier, l'injonction structurelle est magnifique. L'Autorité regarde la concurrence, voit des choses qui ne lui plaisent pas et va redessiner. Le problème est que l'économie est dynamique. On va se dire que ce serait bien qu'un opérateur cède des magasins ou une usine, l'économie mondiale se retourne et, tout d'un coup, ça crée une catastrophe économique et une augmentation des prix là on avait pensé les diminuer. On peut se dire raisonnablement que les acteurs économiques sont sans doute un peu plus pertinents dans la manière de dessiner l'économie que les autorités publiques.

Cela ne veut pas dire que l'injonction structurelle est à combattre absolument. Elle existe, mais elle présente un fond de danger. Je crois beaucoup plus à un harcèlement des entreprises qui ne jouent pas le jeu plutôt que de redessiner l'économie, d'autant plus que c'est en réalité très compliqué à mettre en œuvre. On l'a vu pour imposer une cession. C'est une catastrophe absolue. J'ai un peu de réticence sur le point, mais je suis sûr que vous allez me contredire.

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

Je précise que je suis quand même en accord avec Me Genty sur la nécessité d'une économie locale. On l'a vu avec la Covid-19, ça a été très bien d'avoir une production locale, notamment de riz et de pâtes, pour permettre d'alimenter la population. Par contre, sur le sujet évoqué, j'ai une proposition, qui repose sur le modèle de la question prioritaire de constitutionnalité. Il faudrait créer ce que je nommerai une question prioritaire de concurrence. Si on a imposé une cession d'actifs, il faut créer une procédure qui permet aux entreprises de saisir l'Autorité lorsque le marché s'est renversé. Est-ce que vous nous autorisez finalement à récupérer l'actif parce que le marché n'est plus comme en 2016 ou en 2017 ? Le collège de l'Autorité pourrait dire s'il est d'accord ou pas. Il faut faire en sorte d'avoir les moyens de s'adapter à l'évolution des marchés et de ne pas imposer une injonction structurelle qui pourrait avoir des effets sur plusieurs années sans prendre en compte les évolutions du marché. Une Autorité doit s'adapter et doit prendre en compte l'évolution des marchés. C'est ce qu'elle fait de manière générale.

En tant que membre de l'Autorité de la concurrence, je suis très favorable à l'injonction structurelle et à la proposition faite par l'Autorité en 2019 dans son avis. Dans un arrêt de 2020, le souhait était de mettre en place une injonction structurelle pour la Corse.

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Je suis député de La Réunion et ma question concerne les opérations de rachat qui se sont déroulées et qui se déroulent dans nos départements et régions d'outre-mer (DROM). Vous le savez autant que moi, notre tissu économique est particulier et particulièrement fragile. La moindre opération a des impacts directs sur le niveau de vie de nos habitants. Pensez-vous que le rachat du groupe Bolloré Logistics par CMA CGM est conforme aux normes de la concurrence ? Si oui, n'y a-t-il pas un risque d'abus de position dominante à l'avenir ? Tout donne à croire que c'est déjà le cas. Cette question est aussi valable pour le rachat de Vindémia par le Groupe Bernard Hayot.

Je ne suis pas du tout économiste, mais à vous entendre, ne faudrait-il pas qu'il y ait une autorité de la concurrence dédiée seulement aux outre-mer ? Quand le territoire métropolitain commence à connaître l'inflation, nous la subissons depuis vingt-cinq ans. Nous avons cette impression que les grands groupes, ceux qui qui maîtrisent le monde économique à La Réunion, montent les prix pour voir jusqu'où la population peut aller. Au final, nous ne pouvons plus suivre.

Nous ne voulons pas d'une consommation européo-centrée, qui nous est imposée par les normes. Je prends l'exemple du fer sud-africain, qui est quatre à cinq fois moins cher que le fer allemand. Lors de la crise sanitaire, les bateaux n'arrivaient plus pour nous alimenter. L'Afrique du Sud et l'Inde étaient plus à même de nous fournir en nourriture que l'Europe. Donc on ne veut pas d'une consommation européo-centrée. Nous souhaitons sortir de ces normes pour consommer moins cher et réduire l'empreinte carbone.

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Vous avez cité la difficulté des moyens. Cette unification d'une autorité dédiée aux outre-mer serait-elle une façon de massifier les moyens et de faire en sorte qu'une expertise émerge plus sûrement ?

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

Vos questions sont très intéressantes. Je vais vous décevoir sur la première. Je ne peux pas répondre à votre question relative aux concentrations, qui implique notamment l'entreprise Bolloré Logistics, car je n'ai pas accès au dossier.

En revanche, je peux vous répondre sur l'opportunité d'installer une autorité à La Réunion ou en Martinique. Vous allez être peut-être déçus, parce que je pense que c'est une fausse bonne idée. Pourquoi ? En Nouvelle-Calédonie, l'Autorité de la concurrence a été installée en 2018, et nous sommes en 2023. Cette autorité a-t-elle fait baisser les prix ? Pas encore. Elle a pour l'instant permis de changer les mentalités, d'installer un esprit de concurrence, de lancer un signal et d'être aussi un acteur en vue pour aider le Gouvernement à bâtir des législations et à appliquer le droit de la concurrence. C'est le grand succès de l'Autorité, mais on n'a pas encore eu d'effet sur la vie chère. Si une autorité de la concurrence dédiée est installée en Martinique ou à La Réunion, elle permettra de mettre en place une discipline, mais il faudra du temps pour profiter d'une baisse des prix. Preuve en est en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie.

Ensuite, l'opportunité d'installer une autorité de la concurrence dépend des moyens accordés. En Nouvelle-Calédonie, la présidente Aurélie Zoude-Le Berre a quitté ses fonctions en décembre. Le nouveau président a été nommé en mai. Nous avons eu des fins de mandat au collège et des départs de rapporteurs. Depuis décembre, l'activité apparaît très restreinte, réduite au contrôle des concentrations, puisqu'il nous manque du personnel sur ces territoires. Nous avons un problème de moyens et aussi un problème d'attractivité. Je suis universitaire, je suis à l'Autorité de la concurrence et dans plusieurs autorités, je le fais parce j'adore le droit de la concurrence et parce que je suis habité par l'intérêt général. Mais mon poste, par exemple, n'attire pas, du fait que l'on soit très faiblement rémunéré pour ce type de fonction. Je n'ai aucune honte à vous le dire. En Nouvelle-Calédonie, pour chaque séance, je perçois 80 euros au maximum alors qu'il faut préparer les dossiers, lire des rapports de 400 pages, etc. Quand on est en activité professionnelle, c'est compliqué. Cela me prend beaucoup de temps dans mes activités de recherche et d'enseignement. À La Réunion ou en Martinique, vous rencontrerez ce problème d'attractivité des personnes compétentes.

Pour progresser, il convient d'abord de s'appuyer sur ce qui existe. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a des locaux en Martinique ou à La Réunion. Il faut renforcer les moyens. C'est un axe d'amélioration. Il faut plus d'agents et il faut que les entreprises aient conscience qu'elles peuvent être contrôlées à n'importe quel moment. Ce n'est pas le cas actuellement.

Je cite la directive (UE) 2019/1 du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, dite directive ECN +, transposée en France. On a ajouté au code de commerce un pouvoir à l'Autorité de la concurrence qui est celui de rejeter des saisines pour défaut de priorité. Si l'on a la possibilité de rejeter des saisines pour défaut de priorité, alors même que l'on sait qu'il y a une pratique anticoncurrentielle, c'est bien que l'on sait que l'on n'a pas les moyens de rendre des décisions sur toutes les affaires. Il convient donc de prioriser les gros poissons, pour parler trivialement. Là aussi, c'est un problème. La question des moyens est évidemment un sujet fondamental.

S'agissant de votre dernière question, pour avoir habité en Nouvelle-Calédonie, je réponds favorablement aussi à votre appréciation. Les citoyens ultramarins sont totalement ouverts à l'accès à d'autres produits. Au regard du niveau de vie de certains citoyens, il serait opportun d'ouvrir ces territoires à d'autres entreprises et d'autres produits. Il faut toutefois préciser qu'il existe un différentiel énorme entre les fonctionnaires, très bien rémunérés, et certains salariés soumis à des salaires beaucoup plus faibles et victimes des prix élevés. Cette situation demande une réponse politique et non pas en relation avec l'application du droit de la concurrence, qui restera insuffisante.

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Nicolas Genty, avocat en droit commercial, de la distribution et de la concurrence

Votre question donnait l'impression, monsieur le député, que l'Autorité de la concurrence nationale délaissait un peu les territoires ultramarins. Je n'ai pas les statistiques, mais j'ai le sentiment que de nombreux dossiers concernent l'outre-mer. En revanche, il peut y avoir une forme de déception dans les résultats. Le droit de la concurrence ne règle pas le problème de vie chère. Nous pouvons considérer que le fonctionnement de la concurrence en France ne fonctionne pas moins bien en 2023 qu'en 2021. Pourtant l'inflation a progressé de 15 %.

Je n'ai pas l'impression que l'Autorité de la concurrence nationale s'est concentrée uniquement sur les dossiers métropolitains, en laissant de côté les dossiers d'outre-mer. En revanche, la mobilisation du droit de la concurrence demande des moyens énormes. S'il y a cinquante pratiques anticoncurrentielles sur un territoire, il est impossible pour une Autorité de les combattre. Ce sont des dossiers très longs.

Il faut aussi mentionner le temps de traitement d'un dossier. Le contrôle des concentrations est rapide, parce que les délais sont là, mais les ententes en abus de position dominante demandent des années de travail. Nous sommes très éloignés du moment où la difficulté a été rencontrée, alors que d'autres éléments, qui peuvent concourir à une moralisation des affaires et à une lutte contre la vie chère, sont susceptibles de donner des résultats plus rapides. Créer une autorité de la concurrence spécialisée dans certains ou dans l'ensemble des territoires ultramarins suppose de se déconnecter de la question de la vie chère parce que les résultats se mesureront sans doute en décennies plutôt qu'en années.

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Nous avons aussi dans le viseur le fait qu'il y ait des différences de revenus, non pas qu'elles créent forcément la vie chère, mais qu'elles permettent à une certaine catégorie de la population d'avoir accès aux produits, alors que pour d'autres, c'est beaucoup plus complexe.

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J'ai fait le constat depuis quelques mois que les grands groupes de nos territoires, notamment ceux qui ont les monopoles et les oligopoles, sont organisés en très petites structures avec très peu de salariés. Ils ont découpé la chaîne. Nous savons très bien que chaque entreprise ne devant pas être déficitaire, il y a toujours une petite marge qui s'accumule. Aucune structure d'État, ni même l'Insee, n'est capable de nous dire à qui appartiennent ces filiales et quel est le niveau de concentration des grands groupes. Pouvez-vous me dire si ces pratiques sont normales ? Au niveau du droit de la concurrence, le fait d'avoir des dizaines de très petites entreprises dans tous les domaines de la chaîne, aussi bien en vertical qu'en horizontal, ne joue-t-il pas justement sur la question des marges arrière, cachées ou transférées ? Au final, la concurrence ne se retrouve-t-elle pas biaisée face à la consolidation de ces monopoles et oligopoles ?

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Walid Chaiehloudj, professeur des universités, co-responsable du centre du droit économique et du développement de l'université de Perpignan, membre non permanent de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie

Le droit de la concurrence s'applique à l'entreprise. L'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 23 avril 1991, Klaus Höfner et Fritz Elser contre Macrotron GmbH, dit arrêt Höfner, nous dit que l'entreprise correspond à toute entité exerçant une activité économique sur le marché. Même si une entreprise multiplie les filiales à l'envi, nous pouvons quand même saisir les pratiques au travers du droit des ententes, des positions dominantes ou encore du contrôle de concentration s'il y a besoin. À mon sens, le droit de la concurrence est outillé pour répondre à la difficulté que vous relevez. D'ailleurs, des amendes vont souvent concerner la société mère qui n'a même pas pris part à la pratique.

Je pense que les stratégies que vous citez, qui relèvent à mon sens plus du droit des sociétés que du droit de la concurrence, relèvent de l'instrumentalisation des législations fiscales.

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Nicolas Genty, avocat en droit commercial, de la distribution et de la concurrence

Les autorités de concurrence ont aussi le pouvoir de comprendre l'organisation des groupes. Bien évidemment, une entreprise qui refuserait de déclarer les intérêts qu'elle aurait dans telle ou telle entreprise sur le marché pourrait être très durement sanctionnée. Peut-être que certaines le font, mais j'ai un petit doute. Comme vous, je ne suis pas du tout spécialisé en organisation des structures d'entreprise. En réalité, cela correspond à des stratégies qui consistent à placer une activité économique dans une entreprise pour la rendre autonome, pour permettre la cession plutôt que de tout accumuler dans une même entreprise, ce qui peut être difficile à gérer. Par rapport à votre question sur les marges que doit réaliser chaque entreprise, ces entités sont, la plupart du temps, concentrées fiscalement, c'est-à-dire qu'elles appartiennent à un « groupe fiscal ». Finalement, le fait qu'il y ait des déficits dans certaines des entreprises et des bénéfices dans d'autres permet de fiscaliser l'ensemble.

Je ne suis pas sûr que cela soit vraiment une démarche qui, volontairement, multiplie les acteurs pour multiplier au final les marges. J'ai un peu de mal avec le raisonnement économique de l'entreprise qui aurait visé cela, mais il y a peut-être des situations qui m'échappent.

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Je voulais vous remercier pour la richesse de vos propos. Nous vous demandons de nous répondre par écrit aux questions qui n'auraient pas été abordées dans le questionnaire qui vous a été envoyé. N'hésitez pas non plus à proposer d'autres solutions et documents que vous jugerez utiles à la commission d'enquête.

La commission auditionne ensuite Mme George Pau-Langevin, adjointe à la Défenseure des droits, ancienne ministre des outre-mer, ancienne députée.

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en entendant Mme George Pau-Langevin. Je rappelle que vous avez été élue locale, députée de Paris entre juin 2007 et novembre 2020 et depuis cette date, adjointe à la Défenseure des droits, chargée de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l'égalité. Cependant, nous vous entendons essentiellement pour vos fonctions de ministre des outre-mer d'avril 2014 à août 2016.

Madame la ministre, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vais vous donner la parole pour une intervention liminaire d'environ dix minutes qui précédera notre échange sous forme de questions et de réponses, à commencer par celles de notre rapporteur. Je vous remercie également de déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme George Pau-Langevin prête serment, ainsi que Mmes Mariam Chadli, conseillère au secrétariat général de la Défenseure des droits et France de Saint-Martin, conseillère parlementaire.)

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George Pau-Langevin, adjointe à la Défenseure des droits, ancienne ministre des outre-mer, ancienne députée

C'est un plaisir pour moi de me retrouver dans cette maison pour parler des outre-mer. J'ai déjà travaillé sur beaucoup de sujets, mais celui-là me tient tout à fait à cœur. Vous m'avez proposé d'intervenir sur la période où j'étais ministre des outre-mer et sur la période actuelle où nous avons travaillé sur les services publics dans les outre-mer.

Nous avons fait ce rapport et c'est la raison pour laquelle je suis accompagnée par Mme Chadli, qui a tenu la plume, et par Mme Saint-Martin, qui est la conseillère parlementaire de l'institution.

Avoir été ministre des outre-mer est pour moi un grand souvenir, puisqu'essayer de se rendre utile et de peser sur le cours des événements dans un domaine qui vous tient à cœur est non seulement un grand honneur, mais aussi une grande satisfaction. Ce que j'ai constaté à cette période, c'est que ça va très vite. Quand on est ministre pendant deux ans et demi, on a le temps de lancer quelques projets et études ; quelques-uns aboutissent, mais c'est quand même extrêmement rapide.

Lorsque je suis arrivée avec mon équipe, nous avons pris la succession de Victorin Lurel que vous avez déjà interrogé. Il est vrai que Victorin avait fait de la lutte contre la vie chère un peu sa priorité. Il faut dire qu'en 2009, peu de temps avant, des émeutes extrêmement virulentes avaient éclaté en Guadeloupe et en Martinique sur cette question, même si la question de la vie chère est un problème très ancien et récurrent dans les outre-mer. À la suite de cette crise de 2009, qui était dirigée explicitement contre la vie chère – contre la profitation –, Victorin Lurel a fait voter assez vite une loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer pour arriver à réguler les mécanismes économiques dans les outre-mer, et notamment la constitution des prix. C'est ainsi qu'il a pris des mesures assez vigoureuses sur les accords exclusifs d'importation, sur les concentrations dans le commerce de détail, sur l'obligation, dans les activités que l'on entendait réguler, de transmettre des comptes et la comptabilité analytique, etc.

L'idée de s'immiscer dans la constitution des prix dans les outre-mer est quelque chose qui a beaucoup ému les grands opérateurs et les grandes structures, notamment celles qui s'occupaient de commerces et des carburants, de sorte que, quand nous sommes arrivés, le climat était extrêmement tendu entre les opérateurs  notamment les pétroliers , les milieux économiques et les ministères.

Notre axe a été de mettre en œuvre la loi Lurel et de reproduire les mesures qu'elle avait organisées, tout en pacifiant un peu les relations avec les acteurs économiques et les responsables économiques, tels que les pétroliers. Je me souviens de séances assez épiques, notamment avec les responsables de stations-service. Nous ne pouvions pas définir le prix à la pompe, mais les prix de gros. Nous nous sommes rendu compte, pour les stations-service, que des services étaient rémunérés, et que, à chaque renouvellement de contrat, quelque chose était perçu par les responsables des stations. Au final, notre travail de mise à jour ne contentait pas tout le monde, ce qui a généré des menaces sur l'emploi pour les employés dédiés aux stations-service.

Nous avons essayé de trouver des réponses aux questions posées, en prenant en considération l'intérêt des consommateurs et en respectant évidemment les opérateurs économiques, dont nous avons besoin pour travailler. Nous avons donc mis en œuvre ce fameux bouclier qualité-prix (BQP), proposé par Victorin Lurel. Cette mesure était un peu originale, puisque ce n'est mais vraiment de l'économie administrée, car elle consiste à choisir un certain nombre d'articles essentiels de la vie courante et à obtenir, par une négociation avec les acteurs économiques, des prix relativement bas et contrôlés. Pour cela, il fallait que les préfets s'investissent, tant sur les carburants que sur ces boucliers qualité-prix. Je dois dire que tout le monde a joué le jeu. Il me semble, sans être présomptueuse, qu'à la suite de la mise en place de ces mesures, le prix des carburants a été encadré et les marges dans les supermarchés ont été aussi stabilisées.

Ce problème relatif au prix des carburants est revenu à l'ordre du jour cette année dans l'Hexagone, avec une augmentation importante. J'ai noté avec satisfaction que dans les outre-mer, grâce au système déjà en place, il n'y a pas eu trop d'agitation sur ce sujet. Je considère que la démarche a été positive.

Dans le contexte de la vie chère, se pose aussi la question du logement. Quand nous sommes arrivés, de la même manière, il y avait une crise touchant la production de logements et notamment de logements sociaux. On avait touché au système de la défiscalisation et les sociétés d'habitations à loyer modéré (HLM) ne s'y retrouvaient pas encore très bien. Nous avons multiplié les discussions pour pouvoir relancer la construction de logements, notamment sociaux, en faisant en sorte que les sociétés de HLM soient adossées à Caisse des dépôts Habitat, notamment en Guyane. Il y a eu quelques réactions, mais cela a permis de les solidifier, et personne aujourd'hui ne semble remettre cela en cause, notamment au regard du savoir-faire de la Caisse des dépôts.

Pour autant, nous sommes encore loin du compte en matière de logement. Il reste des sujets difficiles à résoudre. Par exemple à Mayotte, on a donné des fonds à la société de HLM pour qu'elle puisse construire chaque année un certain nombre d'écoles. Mais, à Mayotte, il faut commencer par gérer le cadastre, la propriété du foncier. Ensuite, il faut mettre en place une forme d'ingénierie, alors que les élus locaux n'ont pas les services nécessaires. Par ailleurs, les rectorats n'avaient plus le savoir-faire pour construire des écoles. Il a donc fallu qu'on redonne la responsabilité au préfet pour qu'il trouve des fonctionnaires compétents, à même d'encadrer la construction de logements.

Vous savez que les billets d'avion constituaient déjà un sujet, mais moins complexe qu'aujourd'hui, du fait que le prix de ces billets a bondi. Une famille de quatre personnes qui souhaite se rendre en outre-mer doit débourser 6 000 euros. Les tarifs sont exorbitants. Nous avons beaucoup travaillé avec les compagnies aériennes à l'époque, notamment Corsair et Air Caraïbes, qui nous expliquaient leurs difficultés en relation avec les outre-mer et les Antilles.

Surtout, nous avons soutenu les déplacements liés à des motifs particuliers, comme les formations, le travail, les motifs familiaux tels que les décès. Le soutien a concerné l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom), un opérateur de qualité, malgré son image, associée au Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer (Bumidom), auprès de certains Ultramarins.

Les relations avec Bruxelles sont un autre élément important dans le travail de ce ministère. La prétention de Bruxelles de considérer les aides au logement comme des aides régionales et de ne pas les classer dans les services d'intérêt général nous a incités à nous battre, tout comme sur la question de l'octroi de mer. Cet impôt peut susciter des avis contrastés, certains estimant qu'il renchérit la vie puisqu'il pèse sur les produits importés. Bruxelles n'aime pas cet impôt, qui entre dans la famille des aides d'État. Pour leur part, les collectivités locales l'estiment indispensable parce que ça leur permet de pallier l'insuffisance des revenus qu'elles peuvent tirer de l'impôt local, compte tenu de la pauvreté d'une grande partie de la population. Il a fallu lutter à Bruxelles pour prolonger l'octroi de mer. Il me semble que le sujet est toujours à l'ordre du jour. Les autorisations sont délivrées pour une durée limitée.

Aujourd'hui, il faudrait trouver un autre système pour éviter de renchérir le coût de la vie, ce qui suppose de trouver un équilibre avec la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou de réfléchir à d'autres pistes de ressources pour les collectivités qui ne soient pas l'octroi de mer.

Depuis mes fonctions auprès de la Défenseure des droits, je ne constate pas énormément de saisines sur les outre-mer. Pour rappel, le Défenseur des droits a été créé en 2011, permettant de rassembler les structures relatives au Médiateur de la République, dont la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), la commission qui gère la déontologie des forces de sécurité et le Défenseur des enfants. Ce rassemblement, qui s'est opéré après la révision constitutionnelle initiée par Nicolas Sarkozy, a donné naissance au Défenseur des droits.

Ses missions consistent notamment à apporter des réponses aux particuliers dans le cadre de leurs relations avec les administrations. Il s'agit par exemple de difficultés liées aux cartes grises, aux titres de séjour, à l'interdiction de l'installation de caravanes par des collectivités, etc. Le souhait est de prendre en compte l'intérêt du particulier face à quelque chose qui est plus important que lui. C'est sous cet axe que nous avons voulu voir ce qui se passait dans les outre-mer et si l'égalité était réellement au rendez-vous.

Vous savez que l'égalité est une quête permanente depuis que les colonies sont rattachées à la France, mais nous avons eu l'égalité politique avec la départementalisation en 1946, suivie par l'égalité sociale. L'égalité réelle a fait l'objet d'une loi récente. Cette égalité constitue vraiment la quête des Ultramarins.

Notre sujet était de savoir si, dans l'accès aux services publics, les usagers ultramarins avaient la même égalité que les usagers des autres départements. Selon nous, on y tend, mais sans y être encore. Nous avons établi le bilan des principaux axes des services publics en nous appuyant sur les grandes phases de la vie. Il s'agit de vivre dans des conditions décentes, dans un environnement sain, de grandir et apprendre, de se déplacer et travailler, de se soigner, de faire valoir ses droits et de vieillir. À chaque fois, on se dit qu'il y a un principe d'égalité et que la réalité n'est pas totalement au rendez-vous.

Se pose évidemment la question de l'eau potable, qui est quand même un bien essentiel à la vie. Après des années d'efforts, le travail se poursuit. L'accès à l'eau potable a été l'un des premiers sujets qu'il a fallu régler avec les préfets quand je suis arrivée en avril 2004, notamment en Guadeloupe, parce que le prestataire menaçait de couper l'eau puisqu'il n'était pas payé comme il le souhaitait. Un marché avait été lancé, mais il était resté infructueux. Par conséquent, nous avons passé plusieurs mois avec la préfète à essayer de trouver des solutions.

Aujourd'hui, une nouvelle structure est en place. Son président nous a expliqué qu'il avait beaucoup de mal à rassembler les fonds pour payer le personnel. Il fait face à des problèmes importants d'organisation.

Ensuite, il a fallu une loi. Quand j'étais là-bas, c'était une compétence locale, donc nous pouvions essayer d'intervenir et d'inciter les gens à faire des choses. La loi du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe a suivi l'objectif de recentraliser un peu la gestion de ce dossier important.

La structure existe, mais il faut qu'elle puisse lancer les nouveaux travaux, malgré les problèmes de passif, qui restent toujours compliqués. Nous nous demandons s'il ne serait pas plus simple que l'on décide de régler, peut-être même par pertes et profits, la question du passif. Sinon, les gens risquent de s'épuiser sans que l'on puisse aboutir réellement.

Nous avons noté aussi, parmi les choses compliquées, les successions non liquidées qui font que de nombreux immeubles sont quasiment à l'abandon. Je sais que Serge Letchimy a fait adopter une loi du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer permettant d'aborder ces questions, mais manifestement, c'est insuffisant parce qu'on a encore beaucoup de centres-villes abandonnés. Ces biens à l'abandon pèsent sur le budget des ménages et c'est un élément assez lourd de la vie chère, sans même parler de la beauté et de la vie dans les centres-villes.

Comme nous bénéficions d'une forme de liberté en tant qu'autorité administrative indépendante, nous nous sommes permis de souligner un certain nombre de difficultés qui nous semblent graves. S'agissant de l'école, nous avons compris que les enfants ont quasiment 20 % de jours d'école en moins. Il ne s'agit pas de dire qui est responsable, cette situation est liée aux intempéries, aux cyclones, aux sargasses, aux mouvements sociaux. De fait, l'école reste fermée. C'est quand même un sujet préoccupant parce que si l'on souhaite que les enfants de ces îles accèdent à l'égalité avec leurs camarades de l'Hexagone, ils doivent impérativement assister au même nombre de jours de classe. Un effort mérite d'être fait pour arriver à régler les difficultés rencontrées et faire en sorte que les enfants puissent véritablement avoir le même niveau d'enseignement que les autres.

Nous avons signalé aussi les problèmes de restauration scolaire. C'est un sujet que j'ai aussi beaucoup traité quand j'étais ministre, et il apparaît toujours insatisfaisant. Bien entendu, les cantines scolaires sont disponibles dans de nombreux endroits, mais pas partout. C'est le cas en Guyane, où les enfants viennent d'assez loin et font la journée continue. S'ils n'ont pas mangé le matin, ils sont rapidement fatigués. Sans collation, ces derniers ne peuvent pas suivre la classe correctement. À Mayotte, le déjeuner à la cantine représente le seul repas correct de l'enfant. Il doit donc pouvoir en bénéficier.

Il faudrait que tout le monde se mette autour de la table, c'est-à-dire l'éducation nationale, les collectivités locales et les caisses d'allocations familiales (CAF). Aujourd'hui, les collectivités locales hésitent à avancer l'argent parce qu'elles ne sont pas certaines que les Caf les rembourseront. Les caf disent ne pas avoir le budget en début d'année et ne peuvent pas s'engager. D'autres questions se posent. Qui paiera le repas des enfants dont les parents ne sont pas inscrits à la Sécurité sociale parce qu'ils sont étrangers ou clandestins ?

Je pense qu'un pays développé devrait quand même prendre à bras-le-corps ce sujet et arriver à le résoudre. Nous avons affirmé que tout enfant doit pouvoir avoir un repas chaud à l'école tous les jours. En outre-mer, c'est quelque chose qui n'est pas encore correctement fait. J'ajoute aussi que les CAF doivent accepter que la qualité des opérateurs en Guyane ne soit pas celle de Chevilly-Larue ou de Lyon.

Je souhaite également aborder le problème de la pénurie en matière médicale. Beaucoup de jeunes partent faire leurs études en métropole et ne reviennent pas quand ils deviennent médecins. Il y a peut-être quelque chose à faire pour faciliter les retours. Il faut dire aussi que le climat est assez dur dans les hôpitaux, du fait d'un syndicalisme dynamique. Nous n'avons pas à prendre position sur la légitimité des revendications, mais nous avons quand même le sentiment que dans cette partie à trois entre l'État, les collectivités, les organisations syndicales, le consommateur est souvent celui qui se retrouve lésé. Nous avons vu des scènes un peu problématiques, où les personnes doivent quasiment demander l'autorisation de consulter leur médecin à l'hôpital. Cette situation n'est pas satisfaisante.

Parmi les points sur lesquels je voulais insister, je mentionne celui de l'accès à la justice. Nous avons entendu un peu tout le monde. Nous avons vu que, parfois, les magistrats n'étaient pas totalement à l'aise. Comme beaucoup de hauts fonctionnaires, ils viennent de l'Hexagone pour une durée limitée. Ils jugent des locaux, avec des avocats locaux, et le dialogue est souvent un peu rude. Par conséquent, nous nous sommes demandé s'il ne fallait pas mieux former les magistrats pour qu'ils connaissent mieux l'histoire, la géographie et la culture de leur lieu d'affectation, afin de ne pas statuer sur des personnes qu'ils comprennent mal. Il faudrait aussi faciliter le retour dans les îles des quelques magistrats du cru, qui pourraient peut-être aider leurs collègues.

S'agissant de la vieillesse, les caisses générales de Sécurité sociale sont manifestement sous l'eau. En Guadeloupe, c'était déjà le cas, mais un effort a été consenti, après l'intervention du Défenseur des droits il y a deux ans. En Martinique, on nous a dit que les retards relatifs à la liquidation de la pension pouvaient atteindre deux ans. La personne qui n'a plus de revenus, du fait que sa retraite n'est pas liquidée, pourrait demander le revenu de solidarité active (RSA), mais la démarche suppose de produire une attestation disant qu'elle ne perçoit pas sa pension. Mais la délivrance de cette attestation nécessite d'examiner le dossier, ce qui prend du temps. Au final, des gens restent sans revenus pendant des mois ou des années, dépendantes de la solidarité familiale. Quand nous sommes venus, la Sécurité sociale avait pris la décision de renforcer, par des aides, les services locaux. Je crois qu'il faut faire quelque chose pour que la situation puisse s'améliorer.

C'est l'essentiel de mon rapport.

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Merci madame la ministre. J'apporte une petite précision. Lorsqu'un syndicaliste empêche une personne d'aller consulter son médecin, nous ne parlons pas de dynamisme, mais de voie de fait, pénalement condamnable. Je sais que la Défenseure des droits sait nommer les choses quand il s'agit de l'État et de ce qu'il ne fait pas ou mal, je pense que l'équilibre des choses imposerait aussi d'avoir un langage clair à l'égard de ceux, notamment dans le domaine hospitalier, qui ont très largement dépassé la limite de la légalité.

Vous êtes dans une situation compliquée parce qu'évidemment, nous allons faire des allers-retours entre votre action en tant qu'en tant que ministre et votre action aujourd'hui en tant qu'adjointe de la Défenseure des droits. Vous parliez du logement. Le sujet qui revient souvent est la cherté du logement et de la construction. Les normes sont très souvent européennes, qui imposent d'importer des produits européens, ce qui entraîne une première cherté. Quels ont été les obstacles, lorsque vous étiez ministre, qui vous ont empêché de faire évoluer les choses en la matière ?

La deuxième question, qui tient aussi davantage à votre action en tant que ministre, concerne la surrémunération des fonctionnaires. Elle ne joue pas forcément un rôle sur l'inflation, mais contribue à créer un écart en permettant à une partie de la population d'accéder aux produits qui coûtent cher, alors qu'une autre ne le peut pas. Quel est votre sentiment ? Estimez-vous que cette action publique se justifie et s'est justifiée ?

Je suis totalement d'accord avec vous sur les indivisions successorales. La difficulté de mise en œuvre représente un autre sujet. Nous pouvons comprendre la peur du notariat.

En Martinique, nous ne voyons pas de problème lié à l'immigration clandestine qui viendrait gonfler la population, enfin pas de façon majeure. On nous a dit que 25 % des jeunes disparaissent des effectifs scolaires. On met parfois jusqu'à neuf mois pour les rappeler, mais derrière, on ne les retrouve pas. Quelle politique faut-il développer pour favoriser l'aller-vers en matière d'accès aux droits ?

S'agissant de l'eau potable, j'ai un peu envie de vous demander qui est responsable parce que ça fait longtemps.

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George Pau-Langevin, adjointe à la Défenseure des droits, ancienne ministre des outre-mer, ancienne députée

Vous avez raison de dire que le coût du logement est élevé. C'est l'éternelle question dans les outre-mer. Comme nous sommes à la fois des départements et des régions européennes, nous devons respecter un certain nombre de normes tout en sachant que ce n'est pas indispensable s'agissant de la construction telle qu'on la faisait traditionnellement. Auparavant, on montait sa case, qui tenait plus ou moins. Pour les logements collectifs, il faut faire davantage attention.

Il est vrai que les aides aux organismes en charge du logement sont importantes. En outre-mer, nous avons la fameuse « ligne budgétaire unique » (LBU), à laquelle sont très attachés les Ultramarins. Il faut aussi parler des rémunérations, qui sont ce qu'elles sont. Il faudrait inventer des modalités innovantes. Par exemple, nous avions soutenu la possibilité de faciliter l'accession à la propriété de logements pas totalement finis en sachant que de nombreuses personnes sont habiles de leurs mains. Par conséquent, si vous livrez déjà l'espace et le gros de la construction, la personne peut terminer le chantier par elle-même. Nous pourrions essayer d'innover dans ce domaine.

Quand je vois que les niveaux des loyers sont au niveau des métropoles urbaines de l'Hexagone, je suis un peu étonnée. On a beau dire, le prix de l'immobilier n'est pas encore au niveau des grandes villes de la métropole, et je ne suis donc pas totalement convaincue par ce niveau aussi élevé des loyers.

Concernant l'eau potable, nous avons hérité d'une situation qui était une situation antédiluvienne. Je crois que l'opérateur était la Générale des eaux. L'entretien des réseaux n'a pas été effectué pendant de longues années, ce qui oblige à tout refaire. La difficulté pour pouvoir repartir de bon pied était liée au fait que l'eau était une compétence des collectivités locales et notamment des communes. Donc, avoir un opérateur central pour pouvoir organiser les choses et faire passer les prêts permettant de lancer les travaux s'est avéré très difficile. En tant que responsable, je pouvais les réunir et les inciter à adopter des structures communes, mais sans rien pouvoir imposer. Il a fallu, après plusieurs années, que la loi soit changée pour mettre en place une structure responsable. Nous avons perdu beaucoup de temps. Pour moi, très attachée à la décentralisation, il y a quand même cette impression d'échec, car les élus locaux ne sont pas arrivés à se mettre d'accord dans l'intérêt des populations.

Vous avez mentionné les indivisions. Certaines situations qui ne sont pas réglées depuis des générations. C'est terrible parce que des gens se retrouvent quasiment spoliés. Si une famille a hérité d'un terrain de six hectares, une bonne partie de la propriété disparaît après une période de trente ans à force de céder de petits bouts au fil des ans.

On a mis beaucoup en cause les notaires lors de notre visite. J'ai cru comprendre que cela ne leur rapportait pas suffisamment, mais il me semble aussi que les familles ne sont pas non plus pressées de régler les sujets. Il faut parfois prévoir des frais pour le généalogiste, il faut retrouver les membres de la famille depuis trois générations qui sont éparpillées aux quatre coins du monde. Les notaires ne sont donc pas les seuls à mettre en cause.

La surrémunération des fonctionnaires est un sujet connu. On en parle depuis longtemps. Quelques élus ont décidé de prendre position sur sa suppression. Par exemple, l'ancien président du conseil régional de La Réunion, Paul Vergès, avait indiqué très clairement qu'il était favorable à la suppression de cette surrémunération. Maintenant, il faut que le ministre soit prêt à s'attaquer au sujet et à affronter les vagues qui risquent d'en découler.

Supprimer la surrémunération est une chose, mais il faut en même temps traiter l'attractivité. Dans certains endroits, supprimer la surrémunération les rendra encore moins attractifs. Il faut aussi, peut-être parallèlement, mettre sur pied des politiques proposant davantage de formations de cadres locaux. C'est sans doute ce qui permettrait de pallier ces questions d'attractivité. Louis le Pensec a baissé, il y a quelques années, le taux de surrémunération des médecins de 40 % à 25 %. Aujourd'hui, le nombre de médecins est insuffisant et on parle de réaugmenter la surrémunération. Nous pouvons aussi penser que si l'on développe la formation des médecins sur place, ce sera peut-être aussi une manière de régler ce problème. Malheureusement, nous n'avons pas de clé miracle.

Dans notre mission de Défenseur des droits, nous sommes étonnés de voir que des enfants peuvent passer sous les radars, arrêter d'aller à l'école sans que personne ne les cherche, malgré l'obligation scolaire. Nous avions proposé de déployer des médiateurs de rue pour se rapprocher des jeunes et s'enquérir de leur situation. À Mayotte, les Apprentis d'Auteuil assurent l'accueil de jour pour les jeunes qui sont dans la rue. La démarche permet de les réinsérer dans une forme d'activité de vie. Il me semble que ce travail vers les enfants des rues pourrait être une manière d'avancer.

Il y a aussi tous les mécanismes à mettre en place pour que les jeunes retournent en formation ou dans des emplois aidés. Nous avions lancé pas mal de choses, mais je crois que c'est encore insuffisant. Ce serait à développer. Il faut aussi mentionner le rôle des associations pour aller vers ces jeunes en difficulté. Mais si on va les chercher, cela signifie qu'il faut prévoir des structures adaptées ; on ne peut pas se contenter de leur demander de retourner à l'école où ils ne souhaitent plus aller. Peut-être que nous sommes peut-être encore un tout petit peu légers sur ce point. Nous savons que le problème n'est pas lié à un manque d'enseignants. D'autres méthodes méritent d'être proposées pour retrouver ces enfants qui ne se plaisent pas à l'école.

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En tant qu'ancienne ministre, avez-vous eu à traiter la problématique des oligopoles et des monopoles ? On constate, depuis l'histoire coloniale de notre territoire, que les consolidations de monopoles et d'oligopoles ont des conséquences directes sous le coût de la vie.

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George Pau-Langevin, adjointe à la Défenseure des droits, ancienne ministre des outre-mer, ancienne députée

Travailler sur les outre-mer soulève forcément le poids de l'histoire. Les colonies avaient comme rôle essentiel de permettre une exportation du territoire de la France continentale, organisée avec quelques grandes familles, dont les héritiers tiennent principalement l'économie. Quand nous abordons ces sujets, nous devons lutter un peu contre les monopoles et leurs puissances économiques qui sont considérables.

Cela dit, je crois que Victorin Lurel a pris le sujet à bras-le-corps et il a quand même imposé dans sa loi un certain nombre de mesures qui allaient à l'encontre des intérêts de ces grands monopoles. Je suis arrivée à un moment où il avait déjà fait une loi ayant donné lieu à un clash. Lorsque nous étions à Bruxelles, chacun suivait un peu sa logique. Nous défendions par exemple l'octroi de mer et les lobbys des structures économiques locales défendaient leurs propres intérêts. Nous avons quand même convenu de nous harmoniser.

Il faut trouver le moyen de travailler avec ces grandes puissances pour limiter les excès. Aujourd'hui, j'ai encore le sentiment que les préfets disposent de petits moyens.

Nous avons travaillé évidemment contre les accords d'exclusivité d'importation. Nous leur demandons de produire leurs comptes sociaux et la comptabilité analytique pour pouvoir analyser les marges, ce qui ne leur fait pas plaisir, mais cela nous permet de voir des choses et de prendre des mesures correctives. Nous avons aussi demandé à l'Autorité de la concurrence de se pencher sur ces dossiers. Elle a produit récemment un rapport, permettant de contrôler un peu les situations des outre-mer. L'élément majeur repose sur la transparence. Ces entreprises, par ailleurs, sont très aidées, et nous avons donc le droit de demander, en contrepartie, qu'elles puissent être plus transparentes. C'est de cette manière que nous obtiendrons des comportements plus vertueux.

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Pourquoi, à l'époque, n'avez-vous pas doté les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) de moyens suffisants pour travailler ? Pour être parfaitement honnête, vous pourriez nous renvoyer directement la remarque parce que je crains que nous n'ayons pas fait grand-chose non plus et peut-être que c'est quelque chose qu'il faut que nous retenions pour la suite des événements. Les personnes qui étaient là juste avant vous nous ont dit qu'une des difficultés sur le contrôle des positions excessivement anti-concurrentielles était l'absence de données, l'absence de transparence.

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George Pau-Langevin, adjointe à la Défenseure des droits, ancienne ministre des outre-mer, ancienne députée

L'absence de données, on en parle toujours concernant les outre-mer. Les structures économiques ne nous donnent pas suffisamment de données précises. Il faudrait surtout essayer de motiver l'Insee. L'avantage principal de ces outils était d'essayer d'y voir un peu plus clair et de comprendre ce qui se passait dans la formation des prix.

Sans doute, on aurait pu leur donner plus de moyens, mais je suis assez adepte de l'idée que le changement se fait en marchant. Le fait qu'on ait mis en place ces observatoires pour pouvoir analyser la structure des prix et les marges représente déjà un pas en avant. Il serait sans doute préférable de les doter de davantage de moyens. Leur autonomie ne me semble pas essentielle puisque ce ne sont pas des organes décisionnaires.

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Madame la ministre, vous avez exposé tout un tas de sujets sur lesquels il y avait des différences de traitements ou d'approches entre les territoires d'outre-mer et hexagonaux. Je voudrais revenir sur un fait qui s'est passé en janvier dernier sur le site de Pôle Emploi à La Réunion. Une offre d'emploi a été publiée pour un poste en contrat à durée déterminée de secrétaire juridique au tribunal judiciaire de Saint-Pierre de La Réunion. Cette offre d'emploi m'a profondément choqué, mais ce n'est pas la première fois.

Par ses détails, l'offre d'emploi montre la volonté à peine cachée de favoriser un recrutement hors territoire au détriment de l'emploi local. Cela est d'autant plus choquant puisque notre taux de chômage avoisine les 18 % et que notre faculté réunionnaise forme des juristes à ce type de poste. On pouvait lire sur cette offre d'emploi : « Climat de novembre à avril : saison chaude et pluvieuse. Consommation : chaînes de la grande distribution nationale présente. Plages : attention aux risques de requins. École : système éducatif équivalent à la métropole. » Je vous passe les autres détails aberrants.

Nous ne sommes pas un lieu de vacances pour les hexagonaux en manque d'exotisme, mais nous sommes bien un département français qui lutte contre le chômage, peut-être plus qu'ailleurs.

Vous vous demandez certainement quel est le lien entre cette offre d'emploi et l'objet de cette enquête sur la vie chère en outre-mer. Si on nous prive des postes à pourvoir dans notre territoire, n'est-on pas en train de condamner deux fois plus le Réunionnais et le jeune Réunionnais à la cherté de la vie ?

Les personnes auditionnées précédemment faisaient directement le lien entre le taux d'attractivité, le plein-emploi et ceux qui subissent la vie chère.

Pensez-vous qu'il est souhaitable qu'une agence gouvernementale soit le relais de ce type d'annonce, a minima, qui véhicule des clichés et en réalité reflète une approche totalement néocoloniale dans notre territoire ? Quelles mesures peuvent être prises pour éradiquer ces pratiques et comment faire en sorte que nous puissions avoir des postes aussi chez nous pour affronter au mieux la cherté de la vie ?

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George Pau-Langevin, adjointe à la Défenseure des droits, ancienne ministre des outre-mer, ancienne députée

Vous posez une question essentielle des problèmes d'emploi dans les outre-mer. La difficulté est qu'il faut concilier deux principes fondamentaux différents. Les personnes qui vivent dans les territoires ont évidemment le droit à l'emploi, et je crois même que c'est garanti par la Constitution. Nous avons aussi des principes de non-discrimination, qui protègent aussi les Ultramarins quand ils veulent travailler dans l'Hexagone.

Je sais bien qu'il y a un certain nombre de propositions de préférences locales, mais ce sont des choses à manier avec précaution parce que ça peut être réversible.

Nous avons eu, dans notre rôle de Défenseur des droits, à traiter la réclamation d'un sapeur-pompier ayant une compagne réunionnaise qui n'arrivait pas se faire muter à La Réunion. Dans notre mission, nous sommes tenus par les textes. Si nous disons à quelqu'un qu'on ne prend pas de métropolitain, c'est juridiquement une discrimination.

La seule voie possible dans ces cas est de mettre en avant les intérêts matériels et moraux. C'est la piste choisie sur l'égalité réelle ou l'égalité et la citoyenneté. Encore une fois, ces choses méritent d'être maniées avec beaucoup de doigté, parce que le principe est quand même l'égalité entre les citoyens.

Nous avons eu le cas d'un Réunionnais ayant postulé pour un emploi à Lyon ou à Marseille, et sa candidature avait été écartée parce que le responsable s'était demandé de quelle manière le jeune Réunionnais allait venir travailler à Lyon. C'est une discrimination en raison du lieu de résidence. Parmi les leviers à disposition des pouvoirs publics, je cite la meilleure formation de nos jeunes, le fait de prendre en compte les intérêts matériels et moraux. Mais on ne peut mettre des barrières à l'arrivée d'autres personnes. À La Réunion, c'est compliqué parce que vous avez la réputation d'être particulièrement accueillants, ce qui contribue au grand nombre de candidats. Il faudrait que les élus fassent en sorte que nos jeunes soient mieux armés face à une concurrence extérieure et surtout qu'on encourage le retour de métropole des jeunes une fois formés.

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L'exiguïté des marchés est un facteur de vie chère, nous le savons. L'éloignement aussi, étant donné que la plus grande part des denrées alimentaires ou manufacturées est importée dans les outre-mer. De plus, les petites îles qui dépendent d'îles plus grandes – je pense à la Guadeloupe par rapport à Marie-Galante, aux Saintes ou à la Désirade, et aussi à Saint-Martin et Saint-Barthélemy – sont souvent victimes de double insularité et pour elles se pose de manière encore plus forte la question de la continuité territoriale. On pourrait augmenter seulement la taille des marchés en ouvrant les échanges commerciaux avec les îles de la région des Caraïbes par exemple.

Votre ministère avait-il pris en compte le facteur de coopération régionale ? Si oui, avec quels résultats ?

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Notre mission se consacre à la cherté de la vie et à la précarité. Nous avons parlé de puissances et j'ai bien senti dans votre expression qu'il y avait vraiment ces puissances sur lesquelles nous avons quelques difficultés à agir. Elles tiennent les marchés d'une main de fer et avec de belles entrées à l'Élysée, peu importe les Présidents qui y sont. Cela nous pose véritablement un problème. Comment agir avec, et non pas contre, ces puissances sur la question des prix bas ?

Je souhaite revenir sur le sujet du logement, du coût de la construction en outre-mer et, par incidence, des loyers. Nous avons la LBU et la défiscalisation et pourtant, les loyers restent excessivement chers. Les bailleurs ont très peu de programmes d'accès à la propriété à proposer. Vous vous retrouvez à payer les loyers sur l'ensemble de votre vie, le plus souvent entre 760 et 890 euros.

Si nous voulons agir sur la cherté de la vie et la précarité, que pouvons-nous mettre en place ? Le prix du foncier apparaît rédhibitoire par endroit.

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George Pau-Langevin, adjointe à la Défenseure des droits, ancienne ministre des outre-mer, ancienne députée

Il est vrai que la double insularité représente un sujet important. Nous avons mis sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy un observatoire des prix, mais nous sommes conscients que c'est un facteur de difficulté et de vie chère pour les habitants. Il faut, vous avez raison, développer la continuité territoriale entre les îles. Pour l'instant, ce n'est pas suffisant.

J'ai été frappée par exemple de constater qu'une personne qui vient de Saint-Martin, convoquée au tribunal à Basse-Terre soit obligée de payer son billet et de prévoir un hébergement. Il y a quand même une anomalie à ce niveau. Il faut faire en sorte que la continuité territoriale soit davantage ancrée. Je rejoins les conclusions du rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la continuité territoriale présenté par la sénatrice Catherine Conconne. Elle a calculé que nous sommes loin du compte par rapport à un habitant de la Corse. Si l'on veut le développement de Marie-Galante ou de Saint-Martin, il nous faut travailler sur cette continuité territoriale. Il faut que les habitants, quand ils ont des démarches à faire sur l'île principale, soient davantage aidés.

La coopération régionale est un sujet qui nous a beaucoup intéressés et j'y avais un peu travaillé. Mais il est vrai que les différentes îles de la Caraïbe sont en lien étroit avec leur ex-métropole et on n'a pas de facilité à travailler ensemble entre les îles. Par exemple, si vous êtes de la Guadeloupe et que vous voulez aller à Porto Rico ou à Saint-Domingue, il vous arrive de changer deux fois d'avion, sans doute parce qu'il n'y a pas un flux suffisant pour que les compagnies aériennes aient intérêt à développer les liaisons. Il n'y a pas non plus de facilité à se comprendre entre l'espagnol, l'anglais ou le français.

J'avais envie de développer pour nos jeunes des parcours qui prévoient, par exemple pour l'hôtellerie, une formation en métropole, un stage dans un grand hôtel en Angleterre et une première expérience professionnelle dans un établissement de la Caraïbe, anglaise ou espagnole. Mais quand vous allez voir les responsables locaux, ils vous disent qu'ils comprennent l'intérêt d'aller en Grande-Bretagne, mais ne comprennent pas celui de venir chez eux. C'est une manière de ne pas intégrer le plus que le jeune peut apporter en faisant vivre les relations entre les îles de la Caraïbe. Je pense que cela se fera dans l'avenir. J'ai constaté que les présidents sont très intéressés par cette coopération régionale. Là encore, quand on dit qu'il faut développer les relations entre les jeunes, il faut créer un Erasmus local, donc trouver des fonds à ce titre, notamment européens.

Comment agir contre les grands acteurs économiques et notamment dans la construction ? Ce sont un peu les mesures que nous avons essayé de prendre et qui d'ailleurs ont quand même eu un résultat, puisqu'on a vu pendant quelques années que l'écart entre les Antilles et la métropole en matière de prix a un peu diminué. Continuer à soutenir les entreprises est utile, mais peut-être faut-il arriver à obtenir plus de contreparties en matière d'emploi, en matière d'emploi des jeunes.

Quand on parle aussi de logement, on a, grâce aux préoccupations environnementales, des atouts à faire valoir. On a abandonné les maisons traditionnelles, au profit de bons cubes en ciment comme en métropole, avec la climatisation. On se rend compte aujourd'hui que ce n'est pas forcément une bonne idée. Revenir à des maisons en bois ou qui utilisent des ventilations naturelles pourrait permettre de marier écologie et économie. On aura des maisons sans doute plus agréables et peut-être moins chères si l'on recourt à des manières de construire plus traditionnelles.

S'agissant du bois, en sachant qu'il est beaucoup importé, le projet de faire pousser des forêts n'est pas absurde, parce que vous avez un certain nombre de sols contaminés par le chlordécone et qu'on ne peut plus y faire pousser de produits vivriers. Je pense que si sur tous ces sols, on faisait pousser des arbres, on obtiendrait de la biomasse, qui permettrait d'alimenter des centrales aujourd'hui alimentées au fioul. On importe la biomasse du Canada, alors que nos sols sont disponibles.

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Je vous remercie et je vous laisse nous communiquer tous les documents que vous jugerez utiles à notre réflexion. Je vous invite aussi à répondre à notre questionnaire.

Puis, la commission auditionne Mme Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi) et M. Bertrand Laporte, maître de conférences-HDR à l'université Clermont Auvergne et membre du Centre d'études et de recherches sur le développement international, auteurs du rapport Impact économique de l'octroi de mer dans les départements d'outre-mer français.

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Nous poursuivons nos auditions en entendant deux chercheurs de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international. Il s'agit tout d'abord de Mme Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes et M. Bertrand Laporte, maître de conférences à l'université Clermont-Auvergne et membre du Centre d'études et de recherches sur le développement international. Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation.

Si nous vous entendons aujourd'hui, c'est avant tout en tant qu'auteurs du rapport Impact économique de l'octroi de mer dans les départements d'outre-mer français publié en mars 2020, dont les conclusions ont fait couler beaucoup d'encre. Vous imaginez bien que ce sujet n'est pas du tout neutre par rapport à nos préoccupations sur la vie chère.

Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire d'environ dix minutes qui précèdera notre échange sous forme de questions et de réponses, à commencer par celles de notre rapporteur.

Je vous remercie également de déclarer tout notre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Anne-Marie Geourjon et M. Bertrand Laporte prêtent serment).

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

Je vais commencer cette présentation en disant quelques mots sur le contexte de cette étude qui a été demandée par le Trésor français à la Ferdi, qui est une fondation d'utilité publique indépendante et qui travaille en grande collaboration avec le centre d'études et de recherches sur le développement international (Cerdi), un laboratoire de recherches du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Nous travaillons sur des études et des recherches sur le développement international et il se trouve que dans le cadre de notre programme de fiscalité, nous avons une expertise internationale en politique fiscale. C'est la raison pour laquelle nous avons été sollicités.

Nous ne nous sommes pas du tout déplacés dans les territoires concernés. Nous avons travaillé à distance avec les données disponibles qu'on a bien voulu nous communiquer et à travers des entretiens auprès de l'administration. Nous avons travaillé sur l'année 2018. Quels étaient les objectifs ? Quels étaient nos termes de référence ? C'était d'envisager une réforme de l'octroi de mer et surtout ses conséquences sur la protection des entreprises locales, puisque c'était l'objectif initial de l'octroi de mer (OM), la production, l'emploi et ce qui vous intéresse le plus aujourd'hui, les prix à la consommation.

La consigne de cette étude était de ne pas perdre de recettes fiscales, c'est-à-dire de travailler dans l'objectif de faire des propositions qui maintiennent le niveau de recettes constant. Nous n'avons pas pris en compte la répartition éventuelle de ces recettes, entre l'État central et les collectivités territoriales. C'est important puisque les recettes de l'OM sont directement affectées aux collectivités.

En tant qu'experts en politique fiscale, nous avons essayé de comprendre le fonctionnement de l'octroi de mer et, à partir de ses caractéristiques et de son fonctionnement, de nous faire une idée de cet outil en matière de politique fiscale. Nous nous sommes basés sur les grands principes en la matière, à savoir qu'une taxe est une bonne taxe si elle a un seul objectif, si elle est simple, si elle est stable et si elle est lisible.

L'octroi de mer est une taxe hybride. En 1670, il s'agissait vraiment un droit de douane qui s'appliquait à toutes les importations. Il y a eu une évolution en 1992 poussée par l'application de l'acte unique européen. On a créé l'octroi de mer interne, qui est complémentaire à l'octroi de mer externe et qui, lui, est une taxe indirecte interne dont l'objectif est un objectif de recettes, alors qu'à l'origine, l'objectif était de protéger les activités locales.

Cet objectif de protection est toujours maintenu puisque l'octroi de mer externe est toujours supérieur à l'octroi de mer interne et que le différentiel représente toujours l'équivalent d'un droit de douane. Toutefois, les deux taxes n'ont ni le même objectif ni la même assiette et ne sont pas de même nature puisqu'il y en a qui est un droit de douane et l'autre une taxe indirecte interne.

La deuxième remarque est que les taux de l'octroi de mer sont modifiés très souvent. Il est difficile d'avoir une visibilité. Cet outil de fiscalité est non prédictible et relativement instable. La fréquence de modifications est laissée à l'initiative des collectivités locales, parfois plusieurs fois dans l'année.

L'octroi de mer est aussi un outil très complexe qui risque de perdre en efficacité parce qu'il y a énormément d'exonérations. Nous avons été frappés de voir, quand on nous a communiqué, par exemple, le document concernant les exonérations pour la Guadeloupe en 2019, que ledit document se composait de 527 pages, avec 126 activités locales qui pouvaient être concernées. C'est vraiment quelque chose qui est lourd à gérer, qui demande des démarches et qui apparaît peu transparent. Comme on est obligé de considérer que les exonérations forment une exception au droit commun, il s'avère difficile de connaître la règle.

Le quatrième point que l'on a noté, c'est que ce type de fiscalité posait un problème en ce qui concerne les bons fonctionnements du marché antillais unique. Pourquoi ? Parce que cela empêche une union douanière dans la mesure où les taux d'octroi de mer sont différents entre les deux départements d'outre-mer. Ces deux territoires appliquent le texte de l'Union européenne parce que c'est le même texte, mais en ce qui concerne cet autre outil de protection qui est l'octroi de mer, il y a une différence entre les deux territoires, ce qui risque évidemment de détourner le commerce du territoire qui taxe le plus vers le territoire qui taxe le moins. C'est un encouragement aussi à la concurrence fiscale entre les deux, puisqu'ils pourraient être incités à baisser leurs taxes.

Selon notre expérience de fiscalistes, il nous a paru que l'outil, au départ, ne semblait pas vraiment un outil très efficace de politique fiscale. Il était donc tout à fait judicieux d'envisager une réforme concernant ce type de taxe.

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Bertrand Laporte, maître de conférences-HDR à l'université Clermont Auvergne et membre du Centre d'étude et de recherche sur le développement international

Bien évidemment, la suppression de l'OM entraîne une baisse des prix s'il n'est pas remplacé par un autre instrument fiscal. Donc, toutes choses égales par ailleurs, si on supprimait l'octroi de mer, on aurait une baisse des prix qui, selon les départements et régions d'outre-mer (DROM) et selon les ménages, varierait entre 4,7 et 9 %. La politique étant propre à chaque collectivité territoriale, il est bien évident que l'impact est différent. Compte tenu de la structure de consommation des ménages et du fait que les taux de l'octroi de mer sont différents suivant les biens, en précisant que le taux de taxation est plus fort sur les biens alimentaires que sur les autres biens, nous voyons donc un impact plus fort sur les populations les plus pauvres. Si l'on supprimait l'octroi de mer, les populations les plus pauvres seraient les premières bénéficiaires de la baisse des prix.

Nous avons développé trois scénarios, avec plusieurs variantes. Pour ces trois scénarios, nous avons inclus une période de mise en œuvre de la réforme qui peut être de cinq, sept ou dix ans. Ensuite, ces scénarios ont chacun un marqueur.

Le premier scénario était la suppression progressive de l'octroi de mer. C'est constant dans nos trois scénarios. Nous avons conclu, à partir de l'analyse exposée par Anne-Marie, que plutôt que de réformer, il nous semblait plus judicieux de mettre à plat et de supprimer l'OM progressivement.

Ce premier scénario envisageait donc de remplacer l'OM par la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et d'aligner les taux de TVA sur ceux de la métropole. Évidemment, ce scénario n'a pas été retenu. Il s'agissait surtout de voir ce que cela donnait. Nous n'étions pas à recettes publiques constantes, puisque ce scénario permettait d'augmenter très largement les recettes publiques, mais ce n'était pas l'objectif recherché par la réforme proposée.

Les deux autres scénarios s'entendent à recettes fiscales constantes de l'État. Ces scénarios compensaient la suppression de l'OM par une augmentation du taux de TVA, augmentation du taux de TVA qui pouvait, suivant les variantes, avoir un taux commun aux différents DROM ou des taux différenciés pour chacun d'entre eux, avec à chaque fois le même taux de TVA pour la Martinique et la Guadeloupe, avec une augmentation, ou pas, des droits sur tabac et avec des écarts plus ou moins importants entre le taux réduit et le taux normal de TVA.

La grande différence entre le deuxième scénario et le troisième scénario, c'est que le deuxième scénario n'introduisait pas de contrainte sur le taux réduit alors que dans le troisième scénario, on a maintenu le taux réduit actuellement appliqué dans les DROM. On ne faisait jouer que le taux normal.

En fait, on a choisi comme scénario de base notre scénario 3D. Je vais vous rappeler quelles sont les caractéristiques de ce scénario 3D. Il s'agit d'une suppression progressive de l'OM sur trois, sept ou dix ans, une augmentation progressive des droits sur les tabacs, avec un alignement sur la métropole puisqu'on considère qu'une taxation sur les tabacs vise à corriger une externalité négative – et notamment ici sur la santé, il n'y a pas de raison pour que cette externalité soit différente pour un métropolitain ou un ultramarin. On a maintenu les taux réduits actuels de TVA pour les DROM qui appliquaient déjà la TVA. Enfin, on a appliqué un taux spécifique de TVA pour chacun des DROM, sauf pour la Guadeloupe et la Martinique, où on a adopté le même taux.

Qu'est-ce que cela donne en termes de taux de TVA ? Pour la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, ce sont des taux de TVA autour de 17 % du taux normal, avec le maintien d'un taux réduit pour certains biens. Pour la Guyane et Mayotte, les taux variaient entre 6 et 10 % de TVA.

Bien sûr, nous avons regardé les résultats et les simulations de résultats sur ces différents points. Nous avons constaté une baisse des prix entre 0,5 et 5 % suivant les DROM, avec une baisse des prix plus importante pour les populations les plus pauvres. Nous voyons une augmentation légère de l'emploi dans chacun des DROM, sauf en en Martinique. On pourra revenir aussi sur le cas de la Martinique. Cette augmentation de l'emploi s'accompagne d'une augmentation de la production, selon notre modélisation. Il y a un lien entre production et emploi. Nous avons aussi identifié une légère augmentation du produit intérieur brut (PIB) par tête dans chacun des DROM, avec une variation de 1 à 2 %.

Bien sûr, s'il y avait augmentation de l'emploi, il y avait réduction du taux de chômage dans chacun des DROM, le taux de chômage pouvant baisser jusqu'à 4 % dans certains DROM, mais étant plutôt constant en Martinique, puisque l'effet de la réforme proposée n'avait pas beaucoup d'impact sur l'économie martiniquaise, en tous les cas sur l'emploi et la production.

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Pouvez-vous nous rappeler qui a commandé cette étude ? Je vais être assez critique. Comment pouvez-vous mener une étude sur un outil qui s'appelle l'octroi de mer sans mesurer la fiscalité dans sa globalité ? Il y a aussi une TVA en plus de l'octroi de mer sur l'ensemble des territoires. Est-il pertinent de regarder uniquement un paramètre sans regarder les conséquences économiques ? Vous avez parlé de création d'emplois en supprimant l'octroi de mer, mais les services publics contribuent aussi aux créations d'emplois. Ne faut-il pas craindre des destructions d'emplois à travers cette suppression de l'octroi de mer, alors qu'il correspond à des services publics des collectivités au service des usagers ? Je cite par exemple la cantine, l'entretien des équipements publics, les routes, les écoles, la sécurité. Tous ces postes sont financés par les recettes des collectivités qui proviennent en partie de l'octroi de mer.

Vous parlez de remplacer l'octroi de mer par la TVA, qui est une recette fiscale dont le poids en volume est aussi important en recettes, sauf qu'il repart, sans profiter à l'économie de nos territoires. Pour sa part, l'octroi de mer est de l'argent injecté directement dans l'économie locale.

J'ai bien compris que vous travaillez sur des données disponibles et très théoriques, sans jamais aller sur place constater la réalité de nos territoires. Comment pouvez-vous, sur cette base unique, émettre des propositions dont les conséquences économiques dépassent le seul cadre des recettes fiscales qui pourraient être octroyées ? Si l'octroi de mer baisse, les prix pourraient baisser. Aujourd'hui, malgré certaines baisses, nous n'arrivons pas à faire baisser les prix.

La TVA joue sur la formation des prix, mais cet aspect n'est pas pris en compte. Comment considérer ce rapport, qui porte uniquement sur l'octroi de mer, alors qu'il faut avoir une vision globale ?

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Bertrand Laporte, maître de conférences-HDR à l'université Clermont Auvergne et membre du Centre d'étude et de recherche sur le développement international

Vous avez posé plusieurs questions et j'espère que vous avez lu le rapport, qui décrit toute la fiscalité des DROM, notamment la part de chacun des éléments, que ce soit l'OM, la TVA, l'impôt sur les revenus, l'impôt sur les sociétés. Je parle des recettes fiscales publiques, qu'il s'agisse de l'État ou des collectivités territoriales. Nous n'avons pas étudié uniquement l'octroi de mer, nous l'avons mis dans son contexte de recettes fiscales.

Nous n'avons pas été mandatés pour travailler sur les mécanismes de transfert entre l'État central et les collectivités territoriales. Nous avons traité la fiscalité comme la fiscalité publique. Si on substitue la TVA à l'octroi de mer, c'est-à-dire si on supprime l'octroi de mer, il y a bien sûr la question des transferts de l'État central aux collectivités territoriales pour que ces dernières aient le même niveau de recettes. L'une des contraintes de nos travaux était d'avoir une stabilité des recettes publiques, notamment pour les collectivités territoriales.

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

Cela implique une compensation à prévoir pour les collectivités territoriales à partir de revenus qui seraient générés par la TVA.

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Bertrand Laporte, maître de conférences-HDR à l'université Clermont Auvergne et membre du Centre d'étude et de recherche sur le développement international

Ou un mécanisme d'affectation automatique d'une partie de la TVA.

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

Dans certains pays, une partie de la TVA est affectée aux collectivités territoriales. C'est le cas par exemple au Cameroun.

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Bertrand Laporte, maître de conférences-HDR à l'université Clermont Auvergne et membre du Centre d'étude et de recherche sur le développement international

Nous n'avons pas proposé ce type de mécanisme, ce n'était pas dans nos termes de référence.

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

Non, nous n'avons pas visité vos territoires, mais nous avons eu accès à toute leur comptabilité et nous avons pu mener cette étude. Nous avons conscience de ce qui est prévu pour faire fonctionner l'octroi de mer et faire une comparaison avec la TVA puisque, finalement, les deux outils sont de la fiscalité indirecte. Automatiquement, il fallait étudier les mécanismes des deux outils. Nous avons même été jusqu'à considérer aussi les taxes de consommation, puisque dans notre scénario préféré, une partie des recettes d'octroi de mer est compensée par une augmentation des accises sur le tabac.

Si vous avez bien lu le rapport, nous avons bien mentionné votre remarque. Ce n'est pas parce qu'on baisse les taxes, que ce soit la TVA ou l'octroi de mer, qu'il y a une baisse des prix aux consommateurs. Il se peut tout à fait que ce soient les marges des distributeurs ou des producteurs qui augmentent. Nous sommes d'accord, mais c'est quelque chose que l'on ne peut pas mesurer parce que cela dépend du comportement des agents économiques. C'est le risque que l'État français a pris quand il a proposé une diminution du taux de TVA pour la restauration. On s'est aperçu que finalement que la baisse des prix n'avait pas été aussi importante que celle attendue.

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Si j'ai bien compris, votre rapport a été rédigé selon l'angle fiscal. Notre commission d'enquête se consacre à la vie chère pour les collectivités relevant des articles 73 et 74 de la Constitution.

Je voudrais que l'on sorte un peu de l'angle fiscal et que l'on regarde le sujet dans sa globalité. L'octroi de mer a été créé pour protéger la production locale. Dans nos territoires ultramarins, nous avons aujourd'hui l'enjeu de réduire les importations, qui s'accompagnent d'un impact carbone et, surtout, qui coûtent cher dans le panier du consommateur.

Il faut réduire les importations et encourager la production locale. Comment fait-on pour encourager la production locale quand on diminue l'octroi de mer et que l'on compense par de la TVA ?

Dans nos territoires, nous trouvons une population en souffrance sociale. Si je prends l'exemple de La Réunion, 37 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Les mairies jouent un rôle social important. Cet octroi de mer ne sert pas à payer des personnes au moment des campagnes électorales, comme on l'entend parfois. Il sert au fonctionnement des collectivités locales. Il permet à nos mairies d'assurer les services publics.

Comment fait-on pour le manque à gagner ? Vous avez évoqué la compensation, mais je rappelle qu'avant la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA), il avait mis en difficulté de nombreux conseils départementaux.

Ce qui est reproché aujourd'hui à l'octroi de mer, c'est son assiette. On dit que l'octroi de mer contribue à la hausse des prix, qu'il est inflationniste, parce qu'il ne porte pas seulement sur le produit, mais aussi sur les transports, sur l'assurance, etc. Qu'est-ce qui fera que la TVA contribuera moins à la cherté d'un produit au final ? Les taux de TVA, dans votre esprit, seront-ils fixés par l'État ou par les collectivités locales ?

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

Je réponds d'abord aux questions relatives à la protection. Oui, nous avons compris que l'objectif initial de l'octroi de mer était de protéger les entreprises locales. Le seul problème est celui de l'application de l'Acte unique européen qui fait que la protection est normalement un droit de douane. L'octroi de mer, c'est l'équivalent d'un droit de douane et on comprend que ça ne plaise pas vraiment à l'Union européenne, dans la mesure où l'Acte unique européen tend à obliger les États membres à appliquer le tarif extérieur commun de l'Union européenne qui n'intègre pas l'octroi de mer. Comment faire si l'on veut substituer à un outil qui est un droit de douane un autre outil qui permette de protéger une entreprise ? C'est la subvention, on subventionne directement l'entreprise. Il y a d'ailleurs pas mal de papiers qui disent que c'est plus efficace de subventionner directement une entreprise plutôt que de la protéger par un droit de douane, parce qu'on sait que ça va directement à l'entreprise en question.

À la Ferdi, nous travaillons essentiellement sur les économies en développement des pays du continent africain, surtout depuis leur indépendance. Du fait de chercher à réduire les importations et suivre ce qu'on appelait la stratégie de substitution à l'importation, on s'est aperçu que c'était un jeu un peu risqué qui consistait à protéger des secteurs d'activité et à les mettre derrière. C'était l'argument, dans la littérature, de ce qu'on appelait l'industrie naissante. C'est comme si on mettait un nouveau-né dans une couveuse, mais sans jamais lui donner la possibilité de s'en sortir. Il n'y a pas vraiment d'incitation à faire des investissements qui permettent de se moderniser, de faire face progressivement à la concurrence et donc de faire baisser la protection.

Nous voyons, en ce qui concerne l'octroi de mer, que la tendance ne va pas à la diminution de la protection, elle contribue au fait d'avoir une forte demande pour augmenter le niveau de protection. Si nous regardons les différentes listes négociées avec l'Union européenne, de plus en plus de produits basculent d'une liste dans lesquelles le taux offre une protection relativement plus faible vers des listes qui proposent une protection relativement plus forte. Quand on protège des secteurs d'activité par un mécanisme qui est l'équivalent d'un droit de douane, on encourage la demande de protection. On veut davantage de protection et on reste dans des industries naissantes qui deviennent de plus en plus vieillissantes et qui n'arrivent pas à se mettre au niveau de la concurrence des industries des autres pays.

Le rôle social des mairies dépasse complètement notre champ de réflexion. Encore une fois, on nous a demandé de travailler à niveau de recettes publiques constant. Cela voudrait dire que les collectivités locales, dans notre esprit, pourraient disposer de mêmes montants de recettes et n'auraient pas vraiment de changement dans leur prise de décision.

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Bertrand Laporte, maître de conférences-HDR à l'université Clermont Auvergne et membre du Centre d'étude et de recherche sur le développement international

Oui, le champ du rapport ne portait pas sur la relation entre les collectivités territoriales et l'État central ni sur qui détermine le taux. La TVA, normalement, entre dans une loi de finances et on peut penser que c'est l'État central, mais en collaboration avec les collectivités territoriales. Nous n'avons vraiment pas abordé ces points.

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

Quel que soit le type de négociations qu'il pourrait y avoir entre les collectivités territoriales et l'État pour décider du taux de TVA appliqué, le progrès serait que le taux de TVA soit décidé au maximum selon une fréquence annuelle, sans changement en milieu d'année. Ce serait déjà un progrès énorme par rapport à l'octroi de mer. Certaines années, il a changé trois fois dans l'année. On s'aperçoit que ni les contribuables ni les administrations ne savent vraiment quel est le taux qui s'applique à un moment donné compte tenu de cette instabilité. Il est difficile pour un outil de politique fiscale de remplir son objectif et de modifier les comportements s'il n'y a pas de prévisibilité sur la taxation prévue dans les six mois à venir.

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Je suis martiniquaise, mais élue dans le Val-de-Marne. Pour tout vous dire, je n'ai pas eu l'occasion de lire votre rapport et je vous prie de m'excuser si jamais les réponses à mes questions s'y trouvent.

Qui vous a commandé cette étude ? Je sais que le rapporteur vous l'a demandé tout à l'heure, mais je ne suis pas sûre d'avoir entendu la réponse.

Je n'ai pas l'impression que vous ayez fait une différenciation entre les deux octrois de mer, puisque vous aviez bien pris la peine, en début de propos, d'indiquer qu'il y avait un octroi de mer externe, dont on comprend parfaitement la finalité qui est de protéger la production locale, et cet octroi de mer institué plus récemment, avec un autre objectif, une autre visée. Je n'ai pas l'impression que vous faites vraiment la distinction entre les deux lorsque vous parlez de la suppression, même progressive, de l'octroi de mer.

Je n'ai pas très bien compris pourquoi il n'y avait pas d'impact, sensible en tout cas, sur la Martinique, dans cette disparition potentielle de l'octroi de mer.

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

Nous avons été sollicités par la direction du Trésor français. C'est Bercy qui a commandé cette étude.

S'agissant de la distinction entre octroi de mer externe (OME) et octroi de mer interne (OMI), on met tout dans le même sac parce qu'en fait, c'est l'octroi de mer. L'OME est un droit de douane, l'OMI est une TVA mal ficelée. On comprend bien que le droit de douane, l'OME, fasse dresser les cheveux sur la tête de la Commission européenne. Pour protéger les entreprises, on suggérerait de prendre d'autres outils, à l'image des subventions directes. En ce qui concerne l'OMI, étant donné que la déductibilité n'est pas parfaite, il n'y a pas de remboursement quand il y a des crédits. Bref, c'est un mécanisme qui n'est ni une taxe sur le chiffre d'affaires ni une TVA. On peut entrer dans les détails de la fiscalité, mais pour nous, c'est une TVA mal faite.

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Pouvez-vous nous rappeler l'historique de cette taxe interne ? Dans quel but a-t-elle été mise en place ?

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

Elle date de 1992, imposée par l'Union européenne, chagrinée de voir qu'on ne taxait que les importations. Quand on taxe les importations, cela veut dire qu'on protège en créant un biais en faveur de la production locale. Ils ont considéré qu'il fallait taxer aussi la production intérieure, ce qui est illogique. L'OMI a été créé dans ce cadre, mais il est devenu une usine à gaz. Je pense que dans l'esprit de Colbert, qui a créé cette taxe au départ, c'était un pur droit de douane. Simplement, ce droit de douane est devenu insupportable dans le contexte de l'Union européenne.

Normalement, l'écart entre l'octroi de mer externe et l'octroi de mer interne devrait se réduire. Or, on observe que de plus en plus de produits concernés par un écart faible, autorisé par l'Union européenne, passent dans la liste où l'écart toléré devient un peu plus grand. On a donc tendance à augmenter la protection.

Quand on veut protéger une industrie fragile, il faut lui donner une protection, lui accorder une période au cours de laquelle elle va grandir. Vous n'allez pas laisser un nourrisson ad vitam aeternam dans une couveuse. Encore une fois, ce n'est absolument pas quelque chose qu'on observe uniquement dans les territoires d'outre-mer. C'est un vieil argument de l'industrie naissante, qui est bien vu parce qu'il semble la protéger, mais à la condition de bien maîtriser l'outil. Il faut pouvoir donner des incitations pour que l'on arrête cette demande systématique de protection. Sinon, on tombe dans une recherche de rente préjudiciable à l'efficacité économique.

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Bertrand Laporte, maître de conférences-HDR à l'université Clermont Auvergne et membre du Centre d'étude et de recherche sur le développement international

Il n'y a pas deux octrois de mer, mais quatre en tout, puisqu'il y a aussi l'octroi de mer régional avec des taux particuliers. C'est ce qui complexifie aussi le mécanisme. Dans le rapport, nous avons décortiqué ces quatre octrois de mer.

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

Il nous a fallu beaucoup de temps pour comprendre le mécanisme de l'octroi de mer, qui est excessivement compliqué.

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Bertrand Laporte, maître de conférences-HDR à l'université Clermont Auvergne et membre du Centre d'étude et de recherche sur le développement international

Pourquoi la réforme ? Le scénario que nous avons proposé a moins d'effets. J'ai été un peu rapide dans la présentation. S'agissant de la Martinique, j'ai dit qu'il n'y avait quasiment pas d'effets, il y a quand même un petit effet, mais il est bien moindre que dans les autres DROM. C'est tout simplement en raison de la politique martiniquaise sur l'octroi de mer, puisqu'en fait, les taux de protection effectifs, ce qui mesure le gain de valeur ajoutée que les entreprises obtiennent grâce à l'octroi de mer, sont plus faibles en Martinique que dans d'autres DROM. Par ailleurs, le taux effectif de l'octroi de mer sur les biens de consommation finale est plus faible.

Qu'est-ce que le taux effectif ? Un taux légal est affiché, mais bien entendu, il y a énormément d'exonérations, notamment en Martinique. De fait, le taux appliqué est beaucoup plus faible qu'ailleurs. Si on le supprime, il y a moins d'effets en comparaison des autres DROM.

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

Disons que la Martinique a pris des décisions qui permettaient déjà de neutraliser un peu les effets négatifs de l'octroi de mer. Mais ce n'est pas bien parce que cela se fait au travers de l'utilisation de mécanismes très complexes.

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Bertrand Laporte, maître de conférences-HDR à l'université Clermont Auvergne et membre du Centre d'étude et de recherche sur le développement international

Plus généralement, on estime que l'octroi de mer protège, mais dans certains cas, notamment en Guyane, il ne protège pas du tout, il favorise plutôt les importations. Nous avons fait des calculs au niveau sectoriel, qu'il faudrait affiner. En fonction des exonérations que vont obtenir les entreprises, l'OM peut générer ce que l'on appelle une protection effective négative, donc quelque chose qui, plutôt que de protéger l'industrie locale, va plutôt favoriser les importations.

Tout dépend du jeu des taux, entre le taux qui s'applique sur les intrants et le taux qui s'applique sur les produits finis. Compte tenu de la complexité du système qui implique une multitude d'exonérations, le diagnostic n'est pas si simple que cela. Il ne faut pas croire que la protection s'impose dans tous les cas. Les demandes d'exonération ne sont pas forcément rationnelles d'un point de vue macroéconomique et collectif. Ce sont souvent des demandes individuelles qui ne vont pas toujours dans l'intérêt collectif.

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

L'intérêt de l'un, que l'on veut protéger, peut pénaliser le voisin dans le même territoire.

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La simplification de l'octroi de mer, compte tenu de sa complexité, s'entend certainement à partir du diagnostic que nous pouvons tous faire aujourd'hui de la réalité du modèle économique.

Ma première question s'attache aux solutions que vous préconisez. Nous sommes des territoires considérés comme des territoires d'exportation vis-à-vis de la France hexagonale. Il y a un premier problème, c'est-à-dire que politiquement, on ne peut pas être Français et en même temps être considéré comme des territoires d'exportation. Je ne comprends pas comment l'idée de la compensation par la TVA peut avoir du sens sur le plan économique et politique.

Je retiens le deuxième principe qui est de dire que l'on fait une compensation intégrale, c'est-à-dire que les recettes perdues seraient compensées. Mais vous n'avez pas étudié le réalisme des mesures que vous proposez. Pour les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution, cela voudrait dire que la TVA repart en France et retourne en Martinique. Elle est récoltée, elle repart et elle revient, sans que nous ne sachions par quel mécanisme. Pour les collectivités relevant de l'article 74, ce serait peut-être différent, avec une TVA locale, mais dans l'article 73, c'est impossible. Confirmez-moi que vous n'avez pas étudié le côté réaliste de la mise en œuvre de cette mesure de TVA.

Je n'ai pas lu le rapport dans son entièreté, j'ai lu ce que j'ai pu dans les délais qui m'étaient impartis et je peux me tromper. Avez-vous mesuré l'impact de l'absence de cette compensation ?

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Bertrand Laporte, maître de conférences-HDR à l'université Clermont Auvergne et membre du Centre d'étude et de recherche sur le développement international

Dites-vous que nous avons traité les DROM comme des territoires d'exportation ?

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Je dis que la TVA est une taxe qui s'applique aux territoires dits d'exportation. D'après ce que j'ai lu, nos territoires d'outre-mer, vis-à-vis de la France hexagonale, qui est le premier lieu d'importation pour nos territoires, sont considérés comme des territoires d'exportation. La définition de la TVA est qu'elle s'applique pour des territoires qui sont plus considérés comme des territoires d'exportation. Quand la Martinique importe de la France, elle est considérée vis-à-vis de la France comme un territoire d'exportation, même en étant dans la République. C'est la définition que j'ai lue de ce que représente la TVA.

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

L'octroi de mer externe s'applique aux importations qui arrivent dans vos territoires, même les produits de la métropole.

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

Je ne crois que cela s'applique à la TVA. La question ne devrait pas se poser tant elle est évidente.

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C'est ce que j'ai lu dans la définition que j'ai cherchée.

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

Ce serait une application particulièrement spécifique de la TVA parce que vous devriez logiquement, en matière de TVA, être considéré comme un département français et comme elle devrait s'appliquer en métropole.

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Je lis le paragraphe : « Tous les départements d'outre-mer sont, au même titre que les pays tiers, considérés comme territoires d'exportation par rapport à la France métropolitaine. »

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Anne-Marie Geourjon, maître de conférences, responsable de programmes à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi)

En ce qui concerne la TVA ?

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Je vais un peu faire la police des débats, car je crains que nous entrions dans une dimension technique dont nous ne trouverons pas forcément l'issue. Je demanderai à Johnny Hajjar de formaliser cette question plus précisément pour que nous puissions obtenir une réponse par écrit.

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Bertrand Laporte, maître de conférences-HDR à l'université Clermont Auvergne et membre du Centre d'étude et de recherche sur le développement international

S'agissant du réalisme des mesures proposées, encore une fois, la TVA s'applique dans trois des DROM. Effectivement, les DROM vivent aussi des transferts de l'État. Il est évident que si l'on supprimait l'octroi de mer et qu'on le remplaçait par une TVA, il y aurait tout un travail à faire sur cette question de la récupération, par les DROM, des recettes issues de la TVA. Il faudrait certainement faire preuve d'imagination, mais en tous les cas, l'argument premier, c'est que la TVA est une taxe beaucoup plus claire, stable, neutre que l'octroi de mer. Elle présente des qualités économiques et fiscales plus importantes que l'octroi de mer de par les défauts que l'on a soulignés sur cet impôt.

Nous comprenons bien que pour les collectivités territoriales, cet impôt rentre directement dans les caisses. C'est un impôt sur lequel elles ont totalement la main. En proposant la TVA sans mécanisme étudié de transferts de ressources publiques entre l'État central et les collectivités territoriales, la démarche peut paraître un peu rude. Cette proposition s'entend sur la base d'un diagnostic des avantages et des inconvénients de chacun des impôts. La TVA, en termes fiscal et économique, a beaucoup plus d'avantages que l'octroi de mer. C'est le débat depuis l'origine de la science économique sur les droits de douane. Un droit de douane introduit des distorsions dans l'économie.

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Nous sommes un peu en retard et je vais vous remercier. Je vous demanderai de nous communiquer les documents que vous jugerez nécessaires et de répondre au questionnaire qui vous a été adressé. Nous vous poserons peut-être quelques questions par écrit pour avoir des éclaircissements. Personne ne nie le fait que ces questions méritent de se poser sur l'évolution de l'octroi de mer, pas forcément sur sa suppression.

La commission auditionne ensuite M. Stéphane Hayot, directeur général du Groupe Bernard Hayot, M. Michel Lapeyre, directeur général GBH Océan Indien, et M. Christophe Bermont, directeur des magasins GBH Carrefour Martinique

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Nous poursuivons nos auditions en entendant les représentants du Groupe Bernard Hayot, en présence de M. Stéphane Hayot, directeur général du groupe, M. Michel Lapeyre, directeur général de GBH Océan Indien et de M. Christophe Bermont, directeur des magasins GBH Carrefour à la Martinique. Messieurs les Directeurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation.

Présent dans de nombreux territoires ultramarins, votre groupe familial emploie 15 900 collaborateurs et son chiffre d'affaires est de l'ordre de 3 milliards d'euros. Il se répartirait entre la grande distribution alimentaire ou spécialisée pour 50 % de son montant, la distribution automobile pour 36 %, et les activités industrielles diversifiées pour 9 %, dont la production de rhum et de produits laitiers. Votre rachat de Vindémia, autorisé par l'Autorité de la concurrence en 2020, a fait l'objet de nombreuses critiques devant notre commission d'enquête. Cette audition vous donnera l'occasion de vous en expliquer.

Je voudrais faire un petit point de règlement de fonctionnement de notre commission, parce qu'évidemment, c'est l'une des auditions qui peut être passionnée, les questions qui se posent sont importantes. Je rappelle donc à mes collègues et à ceux qui nous suivent que notre commission d'enquête a été créée pour faire la lumière et établir les faits concernant le coût de la vie outre-mer. Elle n'a pas vocation à instruire le procès des personnes auditionnées.

En application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission d'enquête a le droit de se faire communiquer tous documents, sauf ceux couverts par le secret de la défense, des affaires étrangères ou de la sécurité de l'État ou relevant de l'autorité judiciaire. Si le secret des affaires n'est pas en soi opposable à ses travaux, elle n'a pas le droit de révéler des éléments de caractère secret ailleurs que dans son rapport. Par ailleurs, si nous interrogeons certains des acteurs économiques ultramarins les plus puissants, nous ne pourrons pas entendre tous leurs concurrents pour leur demander les mêmes informations. Aussi, notre pratique concernant les chiffres de ces entreprises sera constante. Si les auditionnés s'engagent publiquement à fournir par écrit les données chiffrées demandées par le rapporteur, nous ne demanderons pas qu'ils les révèlent publiquement. Bien entendu, si cet engagement n'était pas respecté, nous conserverions le droit d'aller les chercher sur pièces et sur place.

Messieurs, je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire d'environ dix à quinze minutes qui précédera notre échange sous forme de questions et réponses, à commencer par celles de nos amis réunionnais qui, je crois, doivent partir plus tôt, que suivront celles de notre rapporteur.

Je vous remercie également de déclarer tout notre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Stéphane Hayot, Michel Lapeyre et Christophe Bermont prêtent serment).

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Stéphane Hayot, directeur général du Groupe Bernard Hayot

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous vous remercions de nous donner la parole.

Je vous propose tout d'abord de vous faire une rapide présentation du groupe GBH et nous aborderons ensuite le thème qui nous rassemble aujourd'hui, étudier les mécanismes et contraintes qui concourent aux coûts de la vie en outre-mer. Nous tâcherons de donner notre vision des marchés et de nos économies et des pistes d'amélioration que nous pourrions collectivement mettre en œuvre.

Bernard Hayot a créé sa première entreprise en 1960, les établissements Bernard Hayot, une entreprise individuelle de moins de cinq salariés qui avait pour activité un élevage de poulets sous la marque Bamy ou François à la Martinique. Très vite, conscient qu'une entreprise doit se diversifier pour ne pas être dépendante d'un seul métier, il démarre une activité de rechapage de pneumatiques, métier nouveau pour la Martinique, mais déjà présent dans une île voisine, Trinidad, une île qui avait de l'avance dans de nombreux domaines. C'est en 1970, dix ans plus tard, qu'il s'est installé en Guadeloupe. Le groupe ne comptait alors que 63 collaborateurs.

Les premiers pas en Guyane se font en 1983, soit 23 ans après la création de l'entreprise, et à l'île de La Réunion en 1984. Le groupe était alors constitué d'un ensemble d'entreprises situées principalement dans les quatre départements d'outre-mer. C'est en 1994 que nous faisons nos premiers pas à l'international avec l'île Maurice, puis en République dominicaine en 2000, en Nouvelle-Calédonie en 2004, au Maghreb avec le Maroc en 2005 et l'Algérie en 2007. Nous nous installons en Côte d'Ivoire en 2013, à Sainte-Lucie en 2016 et enfin au Costa Rica en 2019.

Nous sommes aujourd'hui présents sur dix-sept territoires. Notre conviction est qu'une entreprise, si elle veut traverser le temps et quand elle est née sur des marchés limités comme ceux de l'outre-mer, doit s'installer sur plusieurs territoires. Il faut faire plusieurs fois un même métier pour bien le faire. Cela permet aux entreprises de se comparer entre elles, de trouver des pistes d'amélioration, de proposer des parcours intéressants à leurs collaborateurs et d'être de ce fait attractif.

Les principales activités de GBH, vous les avez citées, sont la grande distribution autour de magasins alimentaires, bricolage et sport ; le pôle automobile autour des métiers de l'importation et de la distribution de voitures, l'allocation automobile, la distribution de pièces, le pneumatique ; enfin, le pôle des activités industrielles avec la production de rhum à la Martinique et à Sainte-Lucie, le yaourt avec la licence Danone à l'île de La Réunion et le béton à la Martinique, à la Guadeloupe et en Nouvelle-Calédonie. Le siège de notre groupe est basé en Martinique, sur la commune du Lamentin. Il rassemble l'ensemble des équipes fonctionnelles et informatiques du groupe amenées à travailler sur tous les territoires où nous sommes présents.

Pour aborder le sujet du coût de la vie en outre-mer, lorsque la crise sociale éclate en 2009, dans nos régions, les distributeurs alimentaires, qui forment le dernier maillon de la chaîne, sont accusés de faire des marges et des profits excessifs. Cette conviction se nourrit d'une grande méconnaissance des contraintes économiques de nos territoires. Depuis, les choses ont beaucoup changé, en particulier la connaissance de nos marchés. Nous ne partons pas de zéro. Depuis 2009, de nombreuses études et enquêtes ont été menées, en particulier par l'Autorité de la concurrence, dont personne ne peut remettre en cause la totale indépendance. Une Autorité qui, après une première analyse exhaustive de nos marchés en 2009, se voit confier en 2019, à la demande du gouvernement, une nouvelle enquête approfondie. Tous les acteurs économiques, dont nous-mêmes, ont été auditionnés et ont dû expliquer dans le détail leur fonctionnement. Les conclusions de ces enquêtes montrent toutes que les écarts de prix avec la métropole ne viennent pas de mauvais comportements des entreprises, mais bien de contraintes structurelles dont les principales sont la taille des marchés - je sais que vous l'avez souvent entendu - et l'éloignement géographique de nos sources d'approvisionnement.

Ces contraintes réduisent la possibilité de fabriquer, de cultiver localement à grande échelle et donc de produire à bas coût. L'éloignement d'une source d'importation nous impose une chaîne logistique particulièrement complexe et coûteuse. La concurrence dans les outre-mer est très intense et les entreprises qui ne sont pas vigilantes sur la qualité de leur offre et sur le positionnement prix de leurs produits sont sanctionnées par le consommateur, qui se détourne d'elles. Une entreprise est fragile, rien n'est jamais acquis, quelle que soit sa taille. C'est une réalité qui a souvent été observée et qui est encore plus vraie sur nos marchés, étroits et fragiles.

Le secteur de la distribution alimentaire illustre particulièrement ce propos. Il y a vingt-cinq ans en Martinique, Guadeloupe et Guyane, c'était l'entreprise Primistères Reynoird qui était la référence de son marché. Elle était alors beaucoup plus importante que ses concurrents. Elle a disparu. Le groupe Cora-Match avait repris une partie de ses magasins. Il n'a pas réussi à les redresser et a fait le choix de quitter nos régions. Il a cédé ses magasins en 2011. À la Martinique, les groupes Ho Hio Hen et Lancry, deux acteurs de la distribution alimentaire ayant des hypermarchés et supermarchés, ont eux aussi disparu au cours des dix dernières années. À La Réunion, le grand groupe local s'appelait Bourbon. Il appartenait à Jacques de Chateauvieux. Il a vendu ses magasins au Groupe Casino en 2005, qui nous les a revendus en 2020. Un réseau de magasins en grande difficulté financière, en particulier à La Réunion, avec des magasins vieillissants et très mal positionnés en prix.

Dans le même temps, sur les outre-mer, nous avons vu émerger et se développer de nombreux acteurs performants, dont l'enseigne Leader Price animée avec talent par deux acteurs indépendants, l'un en Martinique et en Guyane, l'autre en Guadeloupe ; le groupe Parfait qui s'est développé d'abord en Martinique en reprenant les actifs du groupe Lancry et maintenant en Guadeloupe. À La Réunion, nous avons assisté en dix ans au très fort développement de deux familles locales avec l'enseigne Leclerc. C'est aujourd'hui le deuxième acteur du marché et l'acteur qui compte le plus d'hypermarchés à l'île de La Réunion. À La Réunion encore, l'enseigne U s'est beaucoup développée ces dix dernières années et exploite plus de vingt-cinq magasins aux enseignes Hyper U, Super U et U Express. C'est l'enseigne qui a le plus de magasins aujourd'hui. En Nouvelle-Calédonie, de nouveaux acteurs se développent et nous verrons l'année prochaine l'arrivée d'un nouveau groupe important avec l'enseigne Hyper U.

La plupart des enseignes métropolitaines sont présentes sur nos marchés en franchise à travers des acteurs locaux. Sur aucun de ces marchés, on ne peut parler de monopole ou d'oligopole. Au contraire, ce sont des marchés très bataillés et la disparition évoquée de nombreux acteurs ces dix dernières années montre que la compétition est âpre. Nous sommes, dans notre groupe, obsédés par ces convictions que les choses sont fragiles et qu'il faut sans cesse de remettre en cause. À la fin, celui qui décide, c'est le client. L'oublier, c'est mourir. À ce client, nous essayons de présenter des magasins confortables, accueillants et nous nous battons pour proposer les prix les plus compétitifs. Le secteur de la distribution alimentaire est particulièrement visé pour ces écarts de prix avec la métropole. En effet, si l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), en 2015, évalue entre 7 et 12 % l'écart global entre le coût de la vie en métropole et en outre-mer, cet écart est entre 28 et 38 % sur les produits alimentaires. Ces produits sont ceux qui voyagent le moins bien et ce sont ceux qui sont les plus impactés par les coûts d'approvisionnement liés à notre éloignement et à la fiscalité qui pèse sur eux.

Voyons pourquoi un directeur d'hypermarché où de supermarché basé en métropole a un fonctionnement considérablement plus simple que le nôtre. Si un lundi matin, il passe une commande de marchandises, des marchandises dont il a besoin pour remplir son magasin, il sera livré par sa plateforme logistique par camion le lendemain ou quarante-huit heures plus tard. La quasi-totalité de son stock est en magasin et dans ses linéaires. Le même directeur du magasin basé en outre-mer passe sa commande, mettons un 1er janvier. Il sera livré au mieux un mois et un mois et demi plus tard. Dans le premier cas, le processus est simple et la rupture ou le surstock sans conséquence, elle est corrigée dans la foulée. Dans notre cas, c'est plus complexe. Il faut anticiper les besoins et prévoir les saisonnalités, anticiper les problèmes logistiques.

C'est pour cela que les entreprises domiennes ont des couvertures de stock beaucoup plus importantes que leurs homologues métropolitains et cela a un coût, un coût financier pour le portage de ce stock, mais aussi un coût immobilier, puisque nous devons avoir des entrepôts ou passer par les prestataires logistiques ayant ces entrepôts. On considère qu'il faut presque autant de surfaces de stockage que de surfaces de vente sur nos territoires. La durée des étapes n'est pas la même, mais leur nombre non plus. Un magasin en métropole reçoit une commande par camion qui l'a commandée à sa plateforme. Peu importe la valeur du produit, son prix de revient en magasin n'est que 6 ou 8 % plus élevé que son prix d'achat. En Martinique, par exemple, le coût d'acheminement d'un container vide de métropole jusqu'à destination s'élève à plus de 5 000 euros. Cette audition étant publique et potentiellement vue par nos concurrents, je ne vais pas rentrer dans le détail des différentes étapes, mais il est important de dire que ces étapes ne constituent pas un empilement de marges. C'est hélas un empilement de charges issues des contraintes de notre éloignement et de notre mode d'approvisionnement.

Pour répondre à ceux qui parlent d'intégration verticale, sur ces 5 000 euros de charges, seuls 700 euros sont pour payer des prestations internes à notre groupe, prestations nécessaires et qui, si elles étaient externalisées, nous coûteraient plus cher. Les 3 800 autres euros sont payés à des prestataires totalement indépendants : le chauffeur, le camion, le transporteur maritime, des prestataires totalement extérieurs à notre groupe. Ces frais d'approche que l'on vient de décrire sont en plus forfaitaires. Ce sont les mêmes, quelle que soit la marchandise transportée. Cette contrainte est très pénalisante pour les produits qui ont un rapport volume/valeur faible.

À ces coûts s'ajouteront les taxes d'octroi de mer, qui varient sur la marchandise transportée. L'octroi de mer a deux rôles très importants pour des économies, celui de protéger la production locale et celui d'aider au financement des collectivités. Ces deux objectifs sont essentiels et il faut bien évidemment maintenir un dispositif qui assure ce rôle. Néanmoins, il a comme effet de renchérir le prix de revient des marchandises importées, et nous le verrons lors des pistes de réflexion. Nous pensons que des améliorations importantes peuvent être apportées. Dans le cas d'un conteneur de passes alimentaires, nous mettons 20 000 euros de marchandises dans le container. Il supportera les mêmes coûts de plateforme que le magasin métropolitain. Les 6 à 8 % dont je parlais tout à l'heure, auxquels s'ajoutent 5 000 euros de coût d'acheminement du conteneur et enfin un octroi de mer de 9,5 %. Le prix de revient de ces pâtes arrivées au port avant que le magasin ne prenne le moindre centime d'euro de marge est déjà augmenté de 45 %. Pour le riz, toujours à la Martinique, qui supporte un octroi de mer de 22,5 %, c'est plus de 50 % de surcoût par rapport à son prix de départ.

Quel constat pouvons-nous faire à ce stade ? Il n'existe pas d'exemple dans le monde de marchés restreints, loin de la métropole, qui ne connaissent un différentiel prix. C'est le cas sur les territoires d'outre-mer, mais c'est aussi le cas en Corse, alors que cette île n'est qu'à 160 kilomètres des côtes hexagonales, avec un surcoût des produits alimentaires de l'ordre de 10 %. C'est le cas à Hawaï, État américain qui importe des États-Unis ce qu'il ne fabrique pas localement et qui accuse un différentiel de prix de l'ordre de 50 % sur les produits alimentaires. C'est le cas de Porto Rico où l'écart sur les denrées alimentaires avec la moyenne des États-Unis est de 20 %.

Il nous semble illusoire de penser qu'une solution globale puisse être trouvée et que ces écarts disparaissent. Seule une forme de continuité territoriale qui prendrait en charge l'ensemble des surcoûts liés à l'éloignement serait efficace, mais cela aurait un coût très élevé et c'est un sujet très politique. Il existe en revanche selon nous de nombreuses pistes qui permettraient d'apporter des solutions. Permettez-moi de les aborder. Nous aimerions vous proposer six solutions qui, selon nous, sont importantes.

La première concerne les revenus. Monsieur le rapporteur, que je salue, dans le compte rendu de la séance de la commission des affaires économiques du 1er février 2023, vous citiez une étude du Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) de La Réunion qui disait que le problème de vie chère s'expliquait à 80 % par un problème de revenus et à 20 % pas un problème de prix. Nous avons dans nos régions un chômage trop élevé, un taux de pauvreté trop élevé. L'Insee, par exemple, évalue ce taux de pauvreté à 34 % de la population à la Martinique, quand il est de 14,5 % en métropole. Nous avons un nombre trop élevé de nos compatriotes qui vivent de minima sociaux qui ne leur assurent pas des revenus suffisants. Il faut augmenter le taux d'activité. Il faut améliorer l'employabilité de nos jeunes et s'assurer que les formations qu'ils suivent correspondent bien aux besoins des entreprises. Il y a aujourd'hui trop de chômage, mais en même temps trop d'entreprises prêtes à recruter, qui ne trouvent pas les compétences qu'elles recherchent.

La deuxième piste d'amélioration concerne la production locale. Notre conviction, c'est que le développement de la production locale est important pour augmenter l'activité. Ce n'est pas une réponse aux prix élevés. La production locale subit les mêmes contraintes de taille de marché et les industries doivent souvent importer les matières premières dont elles ont besoin. Pour toutes ces raisons, les produits fabriqués localement sont souvent plus chers que les produits importés. Mais produire localement, c'est créer de l'activité sur les territoires, c'est créer des emplois et donc du pouvoir d'achat. C'est aussi renforcer notre autonomie alimentaire. C'est une bonne réponse au problème des revenus. La défense de la production locale compte parmi nos convictions les plus fortes. Bernard Hayot a été président fondateur de l'Association martiniquaise pour la promotion de l'industrie (APMI) en 1971, associations qui regroupent les industriels de la Martinique. Nous demandons en permanence à nos équipes en magasin de tout faire pour développer la part de marché des producteurs locaux dans nos ventes. Cela passe par une place dans les linéaires sans cesse plus grande, la réalisation de nombreuses actions commerciales fortes et ciblées sur ces produits. Les producteurs des régions où nous sommes implantés savent qu'ils peuvent compter sur nous.

La troisième piste d'amélioration, ce sont les filières animales. L'organisation des filières animales à l'île de La Réunion est remarquable et les dispositifs mis en place pourraient être étendus aux autres territoires domiens. À La Réunion, les produits importés, concurrents de ceux des filières, sont exonérés d'octroi de mer. Cela permet de baisser le prix de revient et donc le prix de vente des produits importés. Mais cette économie en octroi de mer non payé par les importateurs est reversée sous forme de cotisations volontaires aux filières locales. Et cela leur permet à elles aussi de baisser leur prix de revient et, par ricochet, le prix de vente aux consommateurs. Ce dispositif a permis aux filières de La Réunion de se restructurer et de rester compétitives par rapport aux produits importés. Les produits issus de ces filières sont vendus 40 % moins cher à La Réunion qu'en Guadeloupe. Ce dispositif ne peut être efficace s'il est étendu qu'avec des filières très structurées et bien organisées.

Le quatrième point, ce sont les tarifs export. Je sais que ce sujet a déjà été abordé. Les fournisseurs et les industriels métropolitains pourraient se voir imposer des tarifs export plus bas que les tarifs métropole au motif qu'ils n'ont pas de coût de distribution à leur charge sur nos territoires, contrairement aux territoires métropolitains où ils assurent eux-mêmes la distribution de leurs produits.

Le cinquième point concerne la coopération régionale. Le schéma souhaitable d'intégration régionale serait de pouvoir avoir des flux dans les deux sens d'exportation de nos productions locales et d'importation des produits de pays voisins. Les difficultés sont économiques. Les salaires sont beaucoup plus faibles dans les pays voisins, les normes différentes et les habitudes de consommation par ailleurs différentes aussi. Mais cela étant dit, c'est une piste de réflexion intéressante qui nécessite une forte implication politique. Nous souhaitons nous associer à ces réflexions et aider à lever les obstacles au profit de nos industries et au profit de nos consommateurs.

Le dernier point qui me semble très important, c'est la péréquation des frais d'approche et de la fiscalité. Nous travaillons depuis plusieurs mois avec les principaux acteurs de la distribution à la Martinique sur un dispositif qui prévoit la suppression du fret et de l'octroi de mer pour près de 2 500 produits de première nécessité. Ces produits, souvent de faible valeur, sont ceux pour lesquels le différentiel avec la métropole est le plus important. Nous avons bien sûr ciblé des familles de produits qui ne concurrencent pas la production locale. Ce dispositif ne coûterait pas aux transporteurs maritimes ni aux collectivités. Les recettes non perçues sur l'implantation de ces produits seraient répercutées sur d'autres familles de produits plus onéreux et donc mieux capables d'absorber les coûts d'approche ou les produits moins sensibles. Il faut pour cela que les compagnies maritimes acceptent de sortir du prix unique pour les conteneurs transportés et que les collectivités locales acceptent de revoir la ventilation de l'octroi de mer. Les distributeurs prendraient l'engagement de répercuter l'intégralité de ces baisses en valeur pour qu'elles bénéficient au consommateur. Selon nos simulations, un scénario comme celui-là, pour la Martinique par exemple, permettrait la baisse de plus de 20 % du prix de vente au consommateur de près de 2 500 produits de première nécessité.

En conclusion, je veux juste dire que notre sentiment, c'est qu'il ne faut pas se tromper de cible. Ce n'est pas en stigmatisant les entreprises d'outre-mer que l'on réglera les problèmes de vie chère. Nos territoires ont besoin d'entreprises fortes qui investissent. C'est une chance pour nos économies d'avoir des acteurs issus de ces territoires. Nous avons vu que de nombreux groupes se sont développés ces dernières années. C'est une bonne nouvelle et cela montre que nos marchés ne sont pas figés.

Nous sommes une entreprise née à la Martinique, mais nous sommes Réunionnais, à La Réunion, Guadeloupéens en Guadeloupe, Guyanais en Guyane. Nous avons pleinement conscience des devoirs qui incombent à nos entreprises et sommes très attachés à bien nous comporter sur le marché.

Je vous le disais en introduction, notre groupe a eu cinq collaborateurs au début de son activité. Nous savons d'où nous venons. Vous pouvez compter sur nous pour travailler avec vous sur des pistes qui permettraient de rendre du pouvoir d'achat à ceux qui en ont le plus besoin. Je vous remercie de m'avoir écouté.

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Nous avons bien entendu votre discours et nous allons l'analyser. Un point quand même. Vous travaillez à La Réunion, mais vous n'êtes pas Réunionnais à La Réunion.

Pouvez-vous nous dire quelles sont toutes vos activités commerciales à La Réunion ? Dans la grande distribution, quel est votre rendement au mètre linéaire ? Avez-vous la possibilité de nous donner cette évolution sur les dix dernières années ? Si on vous donne une liste de produits, seriez-vous en capacité de nous donner la composition et la structuration des prix de l'usine jusqu'à l'étalage dans vos magasins ? Travaillez-vous avec les coopératives de La Réunion ? Quelles sont les marges que vous faites sur ces produits des coopératives ? Quelles sont vos relations économiques et financières avec CMA CGM ?

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Dans un rapport d'étude de Bolonyocte Consulting du 5 septembre 2022 intitulé État des lieux du marché de la distribution généraliste de détail à dominante alimentaire à La Réunion, publié sur le site officiel de l'observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) de La Réunion, il est indiqué en pages 11 et 12 : « Il convient en particulier de souligner la transparence dont fait preuve la quasi-totalité des dirigeants des acteurs de la distribution généraliste, lesquels ont tous accepté de fournir un inventaire précis de leur parc de magasins avec leur chiffre d'affaires respectif sur les trois dernières années significatives. Tel n'a pas été le cas s'agissant du groupe GBH, lequel a refusé de répondre à toutes les demandes d'information relatives à son activité ou certaines spécificités de ses différentes unités opérationnelles, qu'il s'agisse du chiffre d'affaires développé sur le marché de la distribution généraliste ou de celui global du groupe à travers ses différentes filières à La Réunion. »

Vous refusez de communiquer les résultats comptables de vos activités de distribution sur l'île de La Réunion et parallèlement, d'autres personnes ont qualifié de fantaisistes les estimations produites. Ne pensez-vous pas qu'il est nécessaire que ces informations soient rendues publiques et, dans la négative, quelles sont les raisons qui expliquent ce refus de communication, ceci contrairement à ce qu'ont fait les autres acteurs locaux ?

Ensuite, comme la loi l'exige, déposez-vous les comptes annuels de vos filiales réunionnaises auprès du tribunal de commerce ? Avez-vous connaissance que l'article L. 611-2 du code du commerce prévoit que lorsqu'une entreprise ne dépose pas ses comptes sociaux, le président du tribunal peut, le cas échéant, sur demande du président d'un des OPMR, lui adresser une injonction de le faire à bref délai sous astreinte ? Afin d'éviter qu'une telle injonction soit diligentée à votre encontre, ne pensez-vous pas qu'il serait préférable, voire souhaitable, de jouer la transparence sur vos activités, en sachant que l'opacité entretenue sous-entend que vous avez des choses à cacher ?

Votre position dominante sur le marché de la distribution sur l'île de La Réunion a pour conséquence un état de crainte généralisé. Ne pensez-vous pas qu'il est particulièrement détestable d'avoir à entendre ces réactions et ne serait-ce pas la démonstration évidente que vous avez dépassé toutes les limites acceptables dans vos positions sur le marché ?

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Il y a deux ans de cela, suite au rachat de Vindémia à La Réunion, vous vous êtes engagés à baisser les prix de 4 % dans vos magasins. Je cite la déclaration de M. Amaury de Lavigne. Pouvez-vous nous dire si vous y êtes parvenus ? Force est presque de constater que non. Est-ce que cela a été, comme on le dit dans notre jargon, une belle promesse de campagne ? Je rejoins mon collègue Jean-Hugues Ratenon. Quand vous dites que vous êtes Réunionnais à La Réunion, force est de constater aussi, quand on se promène sur LinkedIn, que les cadres ou les postes à responsabilité du Groupe Hayot ne sont pas aux mains des Réunionnais. C'est une drôle de façon d'être Réunionnais.

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Quand on achète GBH à La Réunion, on achète, en ce qui concerne l'automobile, Renault, Dacia, Volkswagen, Audi, Hyundai, Honda, Jeep, Smart, Mitsubishi, Suzuki, Mercedes. En location, il s'agit de Hertz, Jumbo Car, Clovis, System Lease. Pour les pneumatiques et centres autos, ce sont Speedy et Norauto. Pour les concessions de poids lourds, ce sont Mercedes, Renault Trucks, Iveco, DAF, Komatsu, Hyundai. Pour les pièces détachées, ce sont Bourbon pièces auto (BPA) et j'en passe. Pour la culture, c'est la Fnac. Pour le sport, c'est Décathlon. Pour le bricolage, c'est Monsieur Bricolage. Pour la restauration rapide, ce sont Brioche Dorée et la Croissanterie. Pour la grande distribution, c'est Carrefour. Pour la beauté et les soins, c'est Yves Rocher. Pour la production laitière, ce sont Danone, Velouté, Activia et Danette, Actimel et j'en passe. Pour le portefeuille de marques exclusives, ce sont Henkel, Mir, Le Chat, Destop, Calgon, Saint-Marc, K2R, Vittel, Perrier, Hépar, Kiri, Babybel, la Vache qui rit.

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Ma chère collègue, je crois que votre démonstration est assez parlante.

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Cette démonstration est assez éloquente sur la place que vous avez à La Réunion. Depuis 2020, on dénonce une situation de duopole et j'aurais voulu avoir votre sentiment à ce sujet. On parle de duopole, pas d'oligopole. On sait que la vie chère est synonyme de combat et de survie pour beaucoup d'habitants ultramarins. Pour appuyer le propos, je peux citer le rapport Bolonyocte qui a dénoncé en octobre dernier la création du duopole Carrefour/Leclerc aux effets potentiellement dévastateurs à La Réunion. Alors que GBH affirme qu'il participe activement au renforcement de la concurrence, la présence de ce duopole indique le contraire. Et à en croire l'Observatoire des prix, des marges et des revenus à La Réunion (OPMR), nous sommes plutôt en présence d'une fragilisation préoccupante des fournisseurs locaux et d'un appauvrissement de la diversité de l'offre, qui s'effectue au détriment des consommateurs.

Ainsi, face aux nouveaux pouvoirs de marché du Groupe GBH, ma question est de savoir si votre situation, in fine, ne participe pas à la vie chère étant donné la quasi-absence de concurrence. Si selon vous, ce n'est pas le cas, pouvez-vous nous dire comment s'établit la fixation des prix et des marges ? Le souci aujourd'hui est d'obtenir une certaine transparence vis-à-vis des habitants ultramarins.

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Stéphane Hayot, directeur général du Groupe Bernard Hayot

Monsieur le député, vous nous demandez pourquoi nous ne publions nos comptes. Plus de 50 % des entreprises à l'échelle nationale ne publient pas leur compte. En outre-mer, très peu d'entreprises déposent leurs comptes. La seule raison, c'est qu'elles essaient de se protéger et de ne pas confier à leurs concurrents des informations sensibles et importantes. En réalité, nous faisons preuve d'une grande transparence avec l'administration. Quand l'Autorité de la concurrence vient nous auditer en 2009 ou en 2019, elle ne se contente pas de propos lapidaires ni de quelques informations. Elle a un droit de police et elle nous demande des informations excessivement précises et détaillées. Elle nous demande de décortiquer notre mode de fonctionnement de A à Z et d'expliquer toute notre organisation. Pourquoi un produit met-il tant de temps à venir ? Pourquoi coûte-t-il cher ?

Nous déposons bien entendu nos comptes auprès de Bercy et des autorités fiscales. De ce point de vue, nous respectons la loi, mais c'est vrai, comme à peu près la plupart des entreprises d'outre-mer, nous essayons de nous protéger.

Vous avez parlé de position dominante. Nous considérons que nous ne sommes en position dominante nulle part. La position dominante est une position qui vous permet d'agir sans vous préoccuper de vos concurrents ou de vos clients. Dans aucun cas nous ne sommes en situation de nous moquer de ce que peut penser le client ou même de la réaction de nos concurrents. Je vous disais tout à l'heure qu'une entreprise qui n'est pas compétitive, qui n'apporte pas des prix compétitifs à son client, elle meurt. Il y a eu dans l'histoire, y compris de l'outre-mer, beaucoup de cas d'entreprises qui ont oublié cet aspect et qui n'ont pas été au rendez-vous. Quand Vindémia était à vendre, le Groupe Casino était en difficulté. Mais ces difficultés continuent. Nous lisons les journaux. Nous savons que l'un des problèmes de Casino en métropole est d'être très décroché en prix par rapport à ses concurrents. Le même problème était en place à l'île de La Réunion. En réalité, et peut-être que c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles nos concurrents ont été si vigoureusement opposés à notre reprise, il était assez confortable d'avoir un nid de marché très faible qui n'investissait pas dans ces magasins, qui avait un positionnement prix catastrophique et qui, au fond, perdait ses clients mois après mois.

Dans la vie de tous les jours, nous sommes tous des consommateurs. Personne ne nous dit ce qu'il faut faire ou il faut aller. À l'époque de Vindémia sous enseigne Casino, de moins en moins de gens allaient dans les magasins parce que, justement, ils ne répondaient pas aux attentes des clients. Depuis que nous avons repris ces magasins, nous avons tenu notre engagement de baisse de prix. Nous n'avons pas baissé les prix de 4 %, mais de 7 %. Nous avons réinvesti des sommes très importantes dans les magasins pour les refaire.

Je regrette que monsieur le député Ratenon soit parti. Je me souviens de l'avoir rencontré à l'époque de la reprise de Vindémia et lui-même admettait que le magasin Jumbo qui était à Saint-Benoît était dans un état pitoyable. Nous l'avons refait intégralement, mais on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre. Ce n'est pas en refaisant le carrelage et l'éclairage d'un magasin qu'on fait revenir les clients. C'est en améliorant les assortiments et les gammes, c'est en proposant davantage de produits locaux.

Madame, vous m'avez interrogé sur la production locale. Quand nous avons racheté Vindémia, nous sommes passés par les fourches caudines de l'Autorité de la concurrence. Le dossier a été analysé comme aucun dossier ne l'a jamais été en outre-mer. L'Autorité de la concurrence a envoyé des équipes à La Réunion, ce qu'elle ne fait jamais. En général, elle vous convoque à Paris. Dans notre cas, elle a considéré que cela ce n'était pas suffisant et ils ont répondu à la demande des hommes politiques de La Réunion. Les équipes sont venues à La Réunion pour rencontrer les fournisseurs, les industriels, nos concurrents pour sentir les choses sur place. Elles ont décortiqué le marché, elles nous ont demandé des engagements. Elles nous ont demandé de céder les magasins, quatre hypermarchés et deux supermarchés, et elles nous ont demandé des engagements comportementaux, en particulier celui d'assurer à la production locale plus de 30 % de parts de marché dans nos ventes. Nous sommes aujourd'hui, je ne veux pas dire d'erreurs, entre 35 et 36 % très au-delà et nous sommes très heureux d'être à ce niveau-là. L'objectif est d'aller plus loin encore, parce que cela correspond à une vraie conviction chez nous.

Nous avons repris un parc de magasins qui étaient en très mauvais état, où les prix étaient les plus chers du marché. D'ailleurs, beaucoup de nos concurrents se sont beaucoup développés grâce à cette situation. Nous avons baissé les prix, nous avons refait des magasins. Les clients qui, mois après mois, fuyaient cette enseigne, reviennent. La route est encore longue. Nous perdons encore beaucoup d'argent avec Vindémia à La Réunion. Elle n'est pas encore redressée, mais la courbe a changé d'inclinaison. Elle allait dans la mauvaise direction, elle va désormais dans la nouvelle direction.

Quelle meilleure réponse que celle du client ? C'est lui qui sait. C'est lui qui a le choix. Quand un client sort de chez lui pour aller faire ses courses à l'île de La Réunion en particulier, c'est vrai dans tout l'outre-mer, il a du choix. On n'est pas en monopole ni en oligopole. Vous disiez, monsieur le député, que le marché de La Réunion se concentre, mais ce n'est pas exact. En 2009, l'Autorité de la concurrence, à la suite de la crise, a fait une analyse exhaustive de nos marchés. Le Groupe Casino était à ce moment-là leader. Il avait près de 33 % de parts de marché à l'île de La Réunion. Aujourd'hui, nous avons 26,8 % de parts de marché. Nous sommes très inférieurs à ce qu'était Casino à l'époque. Le groupe Caillé avait 21 % de parts de marché. Il en a 17 aujourd'hui, puisqu'un certain nombre de ses magasins l'ont quitté. Système U était à 18,6 % de parts de marché contre 21 % aujourd'hui. Leclerc est l'acteur qui s'est considérablement développé dans cette période. Mais tout le mérite leur revient, c'est qu'ils ont bien travaillé. Ils avaient 10,8 % de parts de marché et ils en ont 21,5 %.

En réalité, aujourd'hui, le leader est moins fort en parts de marché qu'il ne l'était il y a quinze ans. Et le leader d'il y a quinze ans était un acteur qui n'entretenait pas ces magasins et qui offrait des prix élevés à son client. Aujourd'hui, nous sommes le leader, avec Leclerc qui nous talonne et Système U juste derrière. Nous ne sommes donc pas du tout en duopole, avec Run Market à 11 % à travers l'enseigne Intermarché. L'ensemble du marché est beaucoup plus dynamique qu'il ne l'était.

Vous avez cité beaucoup de produits que nous faisons. C'est vrai. Dans mon propos introductif, je disais que nous avons la conviction que quand une entreprise naît sur un petit territoire, sur un petit marché et que si elle reste sur son marché, si elle ne sort pas de son métier, si elle ne se diversifie pas et si elle n'essaye pas d'aller sur d'autres territoires, elle rencontre plus de difficultés pour traverser le temps. La crise de la Covid-19 a bousculé les métiers de façon extrêmement variable. Nous n'aurions été que dans la location automobile, nous ne serions peut-être plus là aujourd'hui. C'est bien cette chance que nous avons d'être sur plusieurs métiers qui nous permet de traverser le temps.

Faire plusieurs métiers sur plusieurs territoires n'est pas illégal. Ce qui est important, c'est de bien se comporter. Ce qui est important, c'est d'être au rendez-vous des prix et du service. Notre conviction intime est que si vous n'êtes pas à ce rendez-vous, le client va ailleurs, c'est lui le patron.

Vous avez parlé de marques exclusives. Il n'existe aucune marque exclusive. Vous avez cité un certain nombre de marques que nous importerions à La Réunion en exclusivité. Ce n'est pas vrai. La loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, dite loi Lurel, a réglé ce problème.

Je me sens très réunionnais à La Réunion. J'ai commencé ma vie professionnelle à l'île de La Réunion. Ma fille est née La Réunion. Nous avons beaucoup de collaborateurs à La Réunion et nous sommes très fiers de ces équipes. Il y a un mois et demi, nous avons organisé notre réunion annuelle avec l'ensemble de nos équipes. Nous avions 450 cadres dans un amphithéâtre du Stella Matutina. Vous auriez été présents, vous auriez été fiers parce que je pense que 80 % d'entre eux étaient réunionnais.

Nous sommes convaincus que nous devons prioritairement chercher les collaborateurs dans les territoires où nous sommes implantés. Nous multiplions en permanence les actions pour essayer de recruter, et en particulier nos ultramarins. Nous faisons en permanence, à Paris notamment, des actions pour essayer d'aller au contact de ceux qui, à l'âge de 18 ans après leur bac, sont montés dans un avion à un moment où ils ne savent pas ce qu'ils ont envie de faire. Tout l'enjeu pour les entreprises ultramarines comme les nôtres, c'est d'arriver à aller à leur rencontre et de leur présenter les postes ou missions que l'on pourrait leur proposer. Il y a quelques années, une opération, qui s'appelait la, journée outre-mer développement (JOMD) permettait à l'ensemble des entreprises de l'outre-mer d'aller au contact des ultramarins à Paris. Nous avons pu recruter beaucoup d'ultramarins de cette manière. Nous venons de lancer une opération qui s'appelle Avenir outre-mer. Vous verrez qu'un grand nombre de nos collaborateurs se présentent, présentent leur métier. Vous aurez face à vous des gens passionnés, heureux des missions qu'on leur donne. Peut-on faire mieux ? Bien sûr. A-t-on envie de faire mieux ? C'est sûr. Pouvez-vous compter sur nous ? C'est clair.

Le vrai challenge de l'entreprise est de trouver les collaborateurs compétents dont elle a besoin pour pouvoir être performante. Elle a bien sûr intérêt à trouver au maximum des collaborateurs dans les territoires où elle est implantée. Enfin, je pourrais dérouler, mais je vous répondrai par écrit, peut-être pour vous donner toutes les actions que nous essayons de mener dans ce sens.

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Le maître mot de mon intervention, c'est la transparence. Nous reconnaissons tous l'intérêt de l'entrepreneuriat et d'avoir une économie qui soit compétitive, mais la notion de transparence est aussi importante. Je le dis comme déclaration solennelle, je suis en désaccord avec le président sur le fait de ne pas permettre à ce que les éléments chiffrés publics soient rendus à travers ces auditions, pas seulement pour le Groupe Bernard Hayot, mais pour tous les grands groupes, parce que je pense que le public aussi a besoin de savoir que c'est aussi une preuve de transparence. Je souhaiterais que vous puissiez nous déposer les comptes 2022 et 2019 consolidés de votre groupe, s'il vous plaît. Même si j'entends que la pratique est d'aller à l'encontre de la loi pour des raisons de confidentialité, c'est un signal de non-transparence vérifié qui n'est pas acceptable.

Je souhaiterais que vous puissiez nous préciser la liste de toutes les entreprises du groupe ainsi que la liste de vos fournisseurs. Je souhaiterais également que vous puissiez nous donner les vingt contrats d'achat avec lesquels vous avez le plus de marges arrière, parce que dans le monde économique, il y a toujours des négociations commerciales. C'est normal, c'est évident. La difficulté que nous avons, c'est de tracer ces marges commerciales et leurs répercussions. Il y a le prix d'achat, il y a le coût de revient, il y a le prix de vente. Ce que nous avons besoin de connaître sur la question de la transparence, c'est le niveau des différentes marges. Vous avez souvent parlé de l'Autorité de la concurrence, mais vous savez comme moi que l'Autorité de la concurrence indique, dans son avis du 4 juillet 2019 concernant le fonctionnement de la concurrence en outre-Mer, que la difficulté est liée à l'accumulation des marges. Aujourd'hui, s'agissant de la multiplicité des petites entreprises de chaque grand groupe, aucun organisme d'État n'est capable de nous fournir l'affiliation. Nous ne connaissons pas, en termes de concentration verticale et horizontale, la liste de toutes les très petites entreprises. Il existe des dizaines de très petites entreprises avec très peu de salariés que nous n'arrivons pas à rattacher en 2023. L'Autorité de la concurrence reconnaît que nous ne pouvons pas remonter le niveau de concentration verticale.

Il est normal, économiquement, de réaliser des économies d'échelle, mais l'important est que cela puisse se retrouver dans les prix de vente vis-à-vis des ménages ou vis-à-vis des entreprises.

Vous avez beaucoup parlé de 2009. Vous savez que nous avons des problématiques culturelles, ce qui fait qu'on a inventé les 40 %, malheureusement pour les seuls fonctionnaires, mais c'était déjà pour faire face au coût de la vie déjà dans les années 1950. Vous savez que l'on avait un abattement fiscal de 30 % pour les ménages, abattement que l'on est en train de rogner justement parce qu'il n'y avait pas le niveau de service d'État et que le coût de la vie était excessif dans nos territoires par rapport à la force hexagonale. Vous savez également qu'il y a d'autres paramètres que le problème de la formation des prix et que le niveau des prix. Vous avez évoqué le niveau des revenus. Je vais plus loin en parlant du sous-financement des collectivités et du désengagement financier de l'État dans nos territoires.

Nous interrogeons les grands groupes pour avoir une idée claire et transparente de la formation des prix chez vous aussi. Aussi, nous avons besoin de connaître la chaîne d'approvisionnement, notamment dans la grande distribution. Je ne pense pas que vous pourrez répondre à toutes mes questions, mais il est important que vous puissiez nous fournir tous les éléments nécessaires qui nous permettraient d'avoir une analyse la plus transparente et la plus objective possible.

Nous voulons connaître la liste des entreprises que vous maîtrisez dans la chaîne d'approvisionnement, de façon à ce que nous puissions savoir, à travers vos contrats, où se situent les marges et que vous puissiez nous les démontrer. J'insiste, car c'est une question de transparence.

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Stéphane Hayot, directeur général du Groupe Bernard Hayot

Monsieur le Rapporteur, quand l'Autorité de la concurrence nous auditionne, elle a comme vous des pouvoirs importants. Je ne peux pas choisir entre ce que je suis prêt à lui donner et ce que je ne suis pas prêt à lui donner. Je lui donne tout ce qu'elle me demande. Ils sont, je crois, très organisés, très outillés pour faire des analyses comme ce fut le cas en 2009 et en 2019.

Je pense que s'il y avait eu des dysfonctionnements, des marges excessives, il y aurait eu des sanctions chez nous ou chez d'autres. Il n'y en a pas eu et je pense que cela traduit ce que j'essaie de vous dire, c'est qu'en réalité, la compétition est très difficile. Ce qui compte, c'est le bout de la chaîne, le moment où je suis face au client. Si je ne suis pas capable de lui proposer de bons prix, je suis mort. Mon magasin ferme à la fin parce que le consommateur ne viendra pas et ira ailleurs. Globalement, tout le monde achète à peu près au même prix. Je ne me fais pas d'illusion.

Nous achetons auprès de Carrefour, mais qui achète probablement peu ou prou au même prix que Leclerc, qui achète au même prix qu'Intermarché. Je ne crois pas qu'il y ait de grosses différences. Si je m'amusais à prendre des marges à plusieurs niveaux, comment voulez-vous qu'à la fin, je sois compétitif ? Comment voulez-vous que je sois en mesure de proposer un prix compétitif à mon client si j'ai pris des marges à tous les étages ? Ou alors cela signifie que chaque distributeur le fait. Mais si on part du principe que celui qui gagne la bataille du prix a gagné la bataille tout court, on en aurait trouvé un en outre-mer. Il se dirait : « j'ai la bonne idée, je ne vais pas faire comme les autres, je ne vais pas prendre de marges à tous les niveaux et je vais proposer des prix à mon consommateur beaucoup plus bas et tous les clients viendront chez moi ». Ce n'est pas ce qui se passe en réalité. C'est ce que je vous ai dit tout à l'heure. Faire venir un container vide de métropole jusqu'à nos territoires coûte plus de 5 000 euros. Sur ces 5 000 euros, 700 euros au départ de la métropole sont payés à des filiales de notre groupe pour faire de l'empotage, c'est-à-dire pour payer la main-d'œuvre qui charge le container, qui le consolide et qui gère le commissionnement en douane, c'est-à-dire le transit, pour payer le chauffeur de camion qui emmène le container à l'entrepôt ou au port. C'est une charge et je ne peux pas l'éviter.

L'entrepôt de Carrefour me livre cette marchandise après l'avoir reçue du fabricant et l'avoir stockée. Il me fait payer une charge de 6 à 8 % de taux d'intervention. Elle lui couvre ses frais. Les plateformes logistiques ne sont pas là pour faire des profits. Ce sont des moyens pour amener à destination les produits aux prix les plus bas. Carrefour va prendre sa prestation. Mon transporteur va prendre sa prestation. Le port qui reçoit le conteneur pour le mettre sur le bateau, c'est une charge. Le bateau, le fret, c'est une charge. À l'arrivée, celui qui va décharger le conteneur du bateau représente aussi une charge. Il n'y a aucune marge. Nous n'avons aucun rapport avec aucun de ces intermédiaires. Nous avons deux intermédiaires au départ, celui de notre groupe, celui qui assemble le conteneur et celui qui fait le commissionnaire en douane. Mais si je décide à la rigueur que c'est trop, qu'il n'y ait aucun acteur du groupe, je passe par un prestataire logistique qui va me facturer le même coût pour cette prestation. Je mentionne aussi le dédouanement que nous faisons en interne au départ. En réalité, cette société qui fait ce dédouanement a 30 % de clients extérieurs. Vous pensez bien qu'elle a ses clients extérieurs uniquement parce qu'elle est compétitive et qu'elle est aussi bien placée que Bolloré ou ses concurrents potentiels.

Le vrai sujet, c'est qu'on est loin de nos sources d'approvisionnement. Le vrai sujet, c'est que faire venir un container vite coûte 5 000 euros, une fortune parce que malheureusement, il y a plein de petites étapes, qui, à la fin, représentent des sommes très importantes. Sur des écrans de télévision, sur un conteneur HI-FI dans lequel on met 5000 euros de marchandise à la rigueur, ça ne coute pas beaucoup. Mais le transporteur prend le même prix pour transporter le container, quelle que soit sa valeur. Le container dans lequel on a mis énormément de marchandises ne coûte pas beaucoup. En revanche, pour le container de pâtes ou de riz, les impacts sont considérables.

Vous avez raison, nous serons transparents avec vous. Vous nous demanderez un certain nombre d'informations et vous les aurez. Nous serons transparents avec vous. Vous verrez que ce n'est pas un problème de marge. Nous devons réfléchir ensemble. Je vous disais que la péréquation du fret et de l'octroi de mer est très importante. Bien sûr qu'il ne faut pas déstabiliser la production locale et nous y sommes trop attachés pour imaginer une solution qui la déstabiliserait. Christophe Bermont pourra en parler. Il a beaucoup travaillé sur ce sujet. Nous avons identifié plus de 2 500 produits de première nécessité qui ne concurrencent pas la production locale. En supprimant le fret et l'octroi de mer sur ces produits, on baisse le prix de vente au consommateur de 20 %. C'est considérable. Ce manque à gagner en fret ou en octroi de mer, on le répartit sur d'autres produits, un peu plus de luxe, moins des produits de première nécessité ou des produits non alimentaires qui, compte tenu des écarts de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) avec la métropole, se retrouvent vendus quasiment au même prix qu'en métropole. Je pense que là, on ferait une action très intelligente. En tout cas, c'est notre sentiment et on aimerait éventuellement avancer sur ce sujet avec vous.

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Nous sentons que vous avez préparé cette audition avec passion et une volonté de transparence. C'est la raison pour laquelle nous aimerions retrouver cette transparence dans les documents que vous pourrez nous fournir en respectant la confidentialité. Ça ne me gêne pas que vous soyez Guadeloupéen en Guadeloupe, ça ne me gênerait pas non plus que vous soyez une bonne entreprise citoyenne en Guadeloupe.

Quel effort faites-vous pour l'emploi des cadres guadeloupéens sur le sol guadeloupéen dans vos différentes entreprises ?

Et en même temps, pouvez-vous dire au Guadeloupéen que je suis quelles sont vos parts de marché en Guadeloupe dans l'alimentation et dans l'automobile ?

Vous avez bâti l'empire Bernard Hayot et nous avons auditionné il y a quelque temps une personne qui a occupé de grandes responsabilités et qui parlait de puissance économique. Le moment est peut-être venu de consentir quelques efforts pour permettre à nos territoires de s'en sortir. Le groupe s'en sort, les groupes s'en sortent, mais permettez aussi aux consommateurs de ces territoires de pouvoir s'en sortir aussi. Vous nous avez donné six pistes, mais elles supposent que ce sont les autres qui auraient à faire ces efforts.

Vous êtes prêts à travailler avec nous afin d'aboutir à quelque chose qui permettrait d'abaisser les prix, car l'essentiel pour nous, c'est non seulement de faire descendre les prix, mais aussi de lever l'hypothèque mortifère de la précarité sur nos territoires. Dans la mesure où on ne peut pas compter sur la hausse des salaires de l'État, la mission s'annonce compliquée. Même chez vous, si on vous demande d'augmenter les salaires, ça va être un peu compliqué.

Si je prends l'exemple des pâtes alimentaires, quel est l'intermédiaire ? Êtes-vous son actionnaire ? La même question se pose pour les voitures, au moins pour une marque de voiture. C'est un vrai scandale. Entre les voitures que nous achetons et que nous sommes contraints de revendre au prix de l'Argus, des efforts pourraient être faits.

Il faut faire en sorte que ces territoires-là d'outre-mer trouvent un peu d'apaisement. Nous devons contribuer, autant que faire se peut, à une participation forte, intelligente, solidaire, pour permettre à nos territoires de regarder l'avenir en face.

Les autres questions ont été posées par monsieur le rapporteur. Vous n'êtes pas en position dominante, vous le dites, vous n'êtes pas en oligopole, vous n'êtes pas en monopole, vous n'êtes pas en duopole, mais vous êtes un acteur important, avec des portes bien ouvertes. Vous êtes acteur qui peut aussi ouvrir les portes pour faire baisser les prix dans les territoires.

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Je souhaite poser trois questions. Je reviens un peu sur la position dominante et au rapport Bolonyocte du 5 septembre 2022. Dans un paragraphe, il est précisé la chose suivante : « Compte tenu des spécificités du marché de La Réunion et notamment de son périmètre insulaire, limité contre elle, n'offrant aux fournisseurs et producteurs locaux que très peu d'autres alternatives que le marché de la grande distribution, représentant au demeurant pour la plupart d'entre eux plus de deux tiers de leur activité, la montée en puissance effective du groupe GBH les place inéluctablement et mécaniquement en situation de dépendance économique à hauteur du minimum de la part de marché qu'atteint déjà ce dernier, sont environ 37 %. Ce niveau de dépendance est bien supérieur au seuil d'alerte de 22 % défini par les autorités de concurrence européennes et en particulier par l'Autorité de la concurrence en France. » Confirmez-vous ou démentez-vous cette affirmation ?

En page 66 du rapport, certains éléments ont retenu mon attention. Il est précisé : « Verrouillage du marché aval des produits laitiers limitant son accès à un concurrent du marché amont ; verrouillage du marché de l'approvisionnement en produits de grandes marques, avec les effets combinés du contrôle des grossistes, des marques Bamyrex et SDCOM ; verrouillage du marché du marché de l'approvisionnement de gros par la prise de contrôle du grossiste Supercash ; verrouillage des acteurs de la production locale par des pratiques discriminatoires. » Je ne fais que lire bien sûr, en considérant que ces constats sont très inquiétants en ce qu'ils vont accroître à l'extrême la dépendance des fournisseurs locaux à l'égard de votre groupe. Quelles sont vos observations à ce propos ?

Enfin, une dernière question qui concerne un secteur important chez nous à La Réunion, le secteur des fruits et légumes. Le leader sur ce marché, le groupe LM à Saint-Pierre, intègre à la fois la coopérative agricole Société d'intérêt collectif agricole Terre Réunionnaise (SICA TR), 240 producteurs et plusieurs filiales qui se placent en première position des importations. Par ailleurs, ce groupe gère en direct, par le biais de contrats de concession de sous-traitance, plus de quarante rayons fruits et légumes dans la grande distribution, dont notamment les supermarchés Carrefour Market de votre groupe. Ma question est très simple, puisque nous n'avons pas beaucoup de transparence. Êtes-vous actionnaire du groupe LM ou pas ?

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Stéphane Hayot, directeur général du Groupe Bernard Hayot

Monsieur le député, vous parliez du paquet de pâtes alimentaires. Que voulez-vous comprendre ?

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Nous avons quand même l'impression que les marges représentent une forte valeur sur les prix. Pouvons-nous avoir un exemple, qu'il s'agisse des pâtes ou d'autre chose ? Quels sont les intermédiaires qui contribuent au prix final du paquet ?

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Stéphane Hayot, directeur général du Groupe Bernard Hayot

Globalement, j'ai essayé de vous répondre sur des chaînes d'approvisionnement et sur des structures qui nous appartenaient ou qui ne nous appartenaient pas en amont, surtout en vous précisant qu'en réalité, pour l'essentiel du coût d'acheminement du container, les charges s'entendaient vis-à-vis de structures totalement indépendantes du groupe. Donc il ne peut y avoir de marges à ce niveau.

Sur le détail des prix, si vous voulez savoir combien je paye le transporteur ou chaque étape qui permet à la fin de calculer le prix de revient, excusez-moi, mais nous sommes dans une commission publique.

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Je n'attends pas de réponse ici et maintenant. Nous préservons la confidentialité.

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Stéphane Hayot, directeur général du Groupe Bernard Hayot

Je vous remercie parce que ce sont des éléments très sensibles.

S'agissant de La Réunion, vous avez parlé de dépendance de fournisseurs. Quand l'Autorité de la concurrence nous a donné son autorisation pour Vindémia, il y avait des engagements structurels et des engagements comportementaux. Les engagements structurels, c'était la cession de quatre hypermarchés et deux supermarchés. Pour les engagements comportementaux, l'Autorité nous a imposés, mais c'est très bien, un auditeur extérieur, totalement indépendant, qui, tous les ans pendant cinq ans, vient vérifier la façon dont nous nous comportons, vient vérifier, pour chaque fournisseur, si nous augmentons ou pas notre poids chez lui, si nous créons de la dépendance, et si nous respectons les engagements que nous avions pris. Jusqu'ici, les rapports que nous avons sont très bons dans le sens où ils indiquent que le groupe respecte les engagements qu'il avait dit qu'il prendrait et qu'il devait respecter. Les propos qui peuvent être tenus ne sont pas des propos que nous considérons comme exacts. Là encore, nous n'avons pas choisi l'auditeur externe et indépendant. Il a été choisi par l'Autorité de la concurrence. Il vient nous auditer. Il va voir nos fournisseurs, il va voir l'Association pour le développement industriel de La Réunion (ADIR) à La Réunion pour l'interroger et à la fin, les rapports sont bons. Ils le sont parce que nous savons que nous devons bien nous comporter, que nous devons être au rendez-vous, que si nous ne respectons pas les engagements pris, nous serons sanctionnés. Les organismes de contrôle jouent leur rôle.

Vous avez mentionné le verrouillage de Bamyrex. Bamyrex est une société de grossistes, elle ne verrouille rien du tout. Aucun distributeur n'a l'obligation de lui acheter ses produits. C'est tellement vrai que si vous prenez un distributeur comme Leclerc par exemple, il ne nous achète rien, ou alors trois fois rien, comme le produit dont il a envie et qu'il ne peut pas importer. Cela ne doit pas représenter 1 % de notre chiffre d'affaires. Donc, il n'est absolument pas contraint. Il a fait le choix d'importer ses produits directement en métropole. Le fait-il parce qu'il considère qu'économiquement, c'est la bonne idée ou parce qu'il n'a pas envie de nous acheter ? Je n'en sais rien, mais à la fin, le fait est qu'il n'y a pas d'exclusivité ni de verrouillage.

En ce qui concerne les fruits et légumes, nous pouvons vous répondre de façon très claire. Nous ne sommes absolument pas actionnaires du Groupe LM. C'est un prestataire extérieur. Je laisse la parole à Michel Lapeyre, qui le connaît bien.

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Michel Lapeyre, directeur général GBH Océan Indien

Oui, je connais bien cette entreprise et son dirigeant. Il n'y a évidemment aucun lien. Il travaille avec nous, mais il travaille avec tous les distributeurs et nous n'avons aucun lien capitalistique avec lui. C'est clair. Il y a même eu, à un moment donné, un bruit sur le fait que nous allions ou pouvions le racheter. Tout cela est faux.

Je rebondis sur ce qui a été dit sur le rapport. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de transparence ? Ce n'est pas ça. Ce cabinet a eu un parti pris au moment où l'acquisition a été lancée, sans élément tangible concret. Quand il dit que tout le monde a été transparent, vous savez qu'il y a beaucoup d'opérateurs à La Réunion, les trois opérateurs qui ont été transparents sont les trois membres du consortium qui était l'un des candidats à la reprise et qui était évidemment très opposé au rachat. Ces trois groupes ont a priori transmis verbalement des éléments, mais tous les autres groupes, et numériquement c'est plus que les trois n'ont pas donné leurs chiffres.

Donc, il n'y a pas eu plus ou moins de transparence, il y a eu simplement des groupes, comme nous, mais comme d'autres, comme les affiliés Super U qui n'ont pas donné leurs comptes parce qu'ils ne vont pas donner les comptes de quelqu'un qui avait un parti pris très clair ou qui avait des liens extrêmement proches avec ce cabinet. C'est tout. Le deuxième rapport comporte des assertions complètement infondées et contrôlées par le jeu de ce mandataire qui nous contrôle en permanence et qui vérifie nos comportements vis-à-vis des fournisseurs.

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Je repose ma question sur la part des cadres guadeloupéens dans votre personnel. Quelle est votre part de marché en Guadeloupe sur l'alimentation ?

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Je ne serai pas forcément très longue, mais j'ai quelques interrogations bien évidemment, auxquelles je souhaite que vous puissiez répondre dans l'immédiat. La première de mes questions est de savoir si vous pouvez nous communiquer la part que vous totalisez dans les dépenses de consommation des ménages en outre-mer. Il se disait par exemple que vous représentiez à peu près 43 % de ces dépenses à La Réunion. Je voudrais savoir si vous avez ces informations pour l'ensemble des territoires sur lesquels vous êtes positionnés.

J'aimerais connaître votre part de marché sur chacun de ces territoires pour tout ce qui concerne l'alimentaire, l'automobile et votre part grossiste.

Quelle est la part de producteurs locaux dans la représentation de vos enseignes ? C'est-à-dire à quel point peut-on retrouver des petits producteurs de bananes, de cultures vivrières dans vos enseignes ? Nous avons été amenés à en auditionner certains lors de notre déplacement en Martinique il y a une dizaine de jours. Certains d'entre eux nous faisaient part de leurs difficultés puisque leurs produits, parfois, leur semblaient être mis de côté pour donner une préférence, par exemple, à la banane de Saint-Domingue. Comment pouvez-vous faire en sorte que les petits producteurs locaux soient aussi attractifs, sinon plus attractifs, dans vos enseignes, que les produits importés ?

Je crois que vous revendez aussi aux petits commerçants des produits, d'après les informations que j'ai, mais peut-être faudrait-il que vous les corrigiez si elles ne sont pas fiables. Les prix qui leur seraient faits seraient de 5 à 25 % plus chers que les prix de vente des mêmes produits dans vos supermarchés. Pouvez-vous me confirmer ces dernières informations ?

Comment, à votre niveau, pouvez-vous nous aider à faire en sorte que les prix soient moins élevés pour la population ultramarine ? Vous savez que, souvent, les ressentis sont très importants. Vous nous avez expliqué que vous ne faites pas forcément de marges très élevées. Nous pouvons l'entendre et le comprendre, mais toujours est-il que dans le ressenti de la population et des consommateurs, les prix sont chers et c'est en grande partie du fait des distributeurs.

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Vous achetez à la centrale d'achat de Carrefour et c'est le cas de l'ensemble de vos concurrents. Il n'y a pas de différence de prix à l'achat, que ce soit une destination ultramarine ou pas. Ce sont les volumes qui doivent conditionner le prix de départ.

Je voudrais que vous reveniez sur le stockage, parce qu'en effet, c'est un élément qui est venu assez régulièrement. Quel est l'impact du stockage sur le niveau des prix et l'impact de ce qui est mis à la benne ? Je parle des inefficacités de distribution ou de livraison qui aboutissent au fait qu'une partie des produits n'est pas distribuée.

Vous avez globalement répondu sur l'intégration verticale, mais je vais vous poser la question dans l'autre sens. Êtes-vous capables, et vous nous l'écrirez, de nous dire quel serait le différentiel de prix si vous aviez utilisé des prestataires extérieurs ?

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Stéphane Hayot, directeur général du Groupe Bernard Hayot

Madame la députée, dire que nous pourrions représenter 43 % des dépenses à La Réunion n'est pas raisonnable, ni sérieux, ni possible. Je crois que nous représentons moins de 2 % des emplois salariés privés à La Réunion. Je suis certain qu'avec moins de 2 % des salariés, nous ne pouvons pas représenter 43 %. En réalité, les proportions sont beaucoup plus faibles. Il y a des quantités de secteurs dans lesquels nous ne sommes pas et des secteurs très importants qui représentent une part de la dépense du consommateur très élevée.

Monsieur le député, vous m'avez demandé les parts de marché de la distribution en Guadeloupe. En 2009, l'Autorité de la concurrence indiquait que le premier groupe en Guadeloupe était le groupe Cora, qui avait racheté les magasins Primistères Reynoird. Il avait 39,4 % de parts de marché. Le troisième groupe en 2009, c'était nous et nous avions 14,4 % de parts de marché. Nous sommes aujourd'hui en quatrième position, c'est-à-dire que nous avons perdu une place en Guadeloupe, à 12,6 % de parts de marché. En réalité, c'est assez logique avec un hypermarché et deux supermarchés pour l'ensemble du marché guadeloupéen. En 2009, un acteur avait 40 % de parts de marché et aujourd'hui, vous avez un acteur à 19 %, un deuxième à 19 %, un troisième à 19 %, un quatrième à 13 %, un cinquième qui n'était pas présent et qui est un nouvel acteur, le groupe Parfait, à 9 %. Le marché s'est considérablement déconcentré. C'est très important.

J'ai beaucoup entendu qu'au fond, la commission, et notamment dans ses échanges avec l'Autorité de la concurrence ou la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), disait que l'outre-mer était important, qu'il fallait le surveiller du fait qu'il ne cessait de se concentrer. Ce n'est pas vrai. Les marchés se déconcentrent. Ce que j'ai dit pour la Guadeloupe est vrai pour La Réunion, où Casino avait 34 % de parts de marché. Nous sommes aujourd'hui leaders à La Réunion, mais avec 26,8 % de parts de marché. En Guyane, le groupe Cora était presque le seul acteur. En 2009, il y avait Cora et, c'est une particularité de la Guyane, une petite distribution excessivement dynamique et performante, composée de magasins souvent tenus par des Chinois remarquables, apportant énormément de services à leur clientèle. Aujourd'hui, le leader du marché en Guyane est Jan Du. Il a à peine plus de quarante ans et réalise 31 % de parts de marché avec l'enseigne U. Le deuxième acteur, c'est le groupe CréO de M. Fabre qui a développé les enseignes Leader Price et Caraïbe Price. Nous sommes le troisième acteur en Guyane, avec 19,7 % de parts de marché. Nous n'y étions pas en 2009. C'est typiquement un marché où la concurrence a considérablement augmenté. Il n'empêche que ce secteur de la petite distribution dont je parlais en Guyane pèse encore aujourd'hui 50 % de parts de marché dans l'alimentaire, composé de beaucoup de petits magasins.

Les marchés de l'alimentaire se sont beaucoup déconcentrés à La Réunion, à la Guadeloupe et en Guyane. À la Martinique, ils étaient déjà équilibrés en 2009 et ils le sont encore aujourd'hui avec nous. Nous détenons 25 % de parts de marché, le groupe Fabre 23 %, le groupe Parfait 22 %, le groupe SAFO 11 %. Ces parts de marché que je vous donne sont les parts de marché en mètres carrés, je ne connais pas le chiffre d'affaires de mes concurrents, mais nous faisons les mêmes métiers et avons à peu près les mêmes performances.

Dans le secteur automobile, nous avons entre 30 et 40 % de parts de marché, mais en réalité, le consommateur est parfaitement libre, il a la possibilité d'acheter où il veut. Il peut acheter une Renault chez nous, ou une Peugeot ou une Toyota chez un autre. Le client qui ne souhaite pas acheter une Renault chez nous peut l'importer directement. Nous avons en tout cas l'obligation d'entretenir sa voiture comme s'il l'avait achetée chez nous.

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Michel Lapeyre, directeur général GBH Océan Indien

S'agissant de l'automobile, les marchés sont assez proches de ce qui se passe en métropole. C'est-à-dire que l'organisation de la distribution automobile se fait selon le multi-marquisme, que ce soit dans l'Aveyron ou à la Martinique. Les parts de marché sont fluctuantes en fonction des performances des marques.

Quand l'Insee, avec l'écart de prix Fisher, positionne les produits alimentaires à +33 en Guadeloupe, le poste transport est à +1,3 et concerne notamment l'automobile, les assurances et les services. Les services intègrent les transports en commun. C'est un vrai sujet en outre-mer. Comme ils sont peu développés, on a évidemment une utilisation importante du véhicule. Elle est de 40 % supérieure à celle de la métropole. On fait 16 000 kilomètres en moyenne dans l'outre-mer avec sa voiture, contre 12 000 en métropole.

À La Réunion, il existe toute une mobilisation autour de la mobilité. Les transports en commun seraient vertueux d'un point de vue environnemental et en termes de pouvoir d'achat, puisqu'il serait beaucoup moins onéreux de les utiliser plutôt que sa voiture.

Le poste lié au transport se situe à 19 % en outre-mer contre 16 % en métropole. Son écart de prix s'établit à +1,3, en tout en cas Guadeloupe. Il est à -4,8 en Martinique. Très honnêtement, l'analyse du coût de l'impact du transport, et donc quelque part de l'automobile, dans les outre-mer n'est pas un sujet, quand il est un sujet dans l'alimentaire. Une Clio en Martinique vaut 3 % moins cher qu'en métropole. C'est surprenant puisqu'on a aussi les surcoûts. Ces surcoûts sont souvent compensés par les politiques tarifaires des constructeurs. Nous en venons aux tarifs d'export. Nous ne sommes pas corrélés à la France. Nous dépendons de divisions internationales et ces divisions ont des stratégies de prix et de positionnement par rapport à la compétition. Le marché est très concurrentiel.

Une partie des surcoûts est compensée par les tarifs export et c'est l'une des solutions que l'on préconise aussi. S'il y avait des tarifs export justifiés par l'absence de service, on pourrait avoir quelque part des prix mieux positionnés sur les produits et c'est ce qui se passe dans notre métier parce que nous ne sommes pas des simples concessionnaires, nous sommes des importateurs. Le constructeur nous délègue des fonctions qu'il n'assure pas. C'est à ce titre qu'il nous consent des tarifs plus bas, ce qui nous permet d'avoir des prix de revient plus bas et finalement de nous positionner de manière très compétitive, en particulier sur les produits d'entrée de gamme.

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Christophe Bermont, directeur des magasins GBH Carrefour Martinique

Je vais apporter un certain nombre d'éclairages sur des points évoqués, dont celui relatif au container de pâtes. Ce container, au départ, coûte 5 000 euros pour transporter une marchandise, quelle qu'elle soit. Ce point est déterminant et, bien souvent, on a le sentiment qu'il n'est recoupé que sous l'angle de positions que pourrait détenir l'importateur que nous sommes à ce moment-là.

En réalité, quatorze positions entourent le transport d'un container. Vous aurez les éléments bien précis, qui vont de l'empotage jusqu'au traitement à l'arrivée portuaire. Sur ces quatorze positions, nous n'en maîtrisons que trois.

Le container de pâtes illustre la problématique que nous rencontrons dans la perception de la cherté de la vie, qui est d'abord un élément de différentiel de prix entre la métropole et les outre-mer. Pour un container de pâtes d'une valeur de marchandise de 20 000 euros, vous trouvez 26 % de frais liés au coût d'acheminement. Ce sont les fameux 5 000 euros, ou plutôt 5 200 euros, qu'évoquait Stéphane Hayot, donc 26 % de la valeur d'achat de ces marchandises. L'octroi de mer, qui est à 9,5 % à la Martinique, représente 2 379 euros. Il faut aussi parler des coûts en amont de centrales d'achats et de plateformes, à hauteur de 7 %.

Au final, le container de pâtes qui touche le sol de la Martinique coûte 46 % plus cher que son prix de départ. Autrement dit, vous avez déjà quasiment 50 % de coûts supplémentaires avant que le produit ne soit vendu. La valeur de la marchandise est de 20 000 euros et 5 000 euros sont déjà affectés à cette valeur de marchandise.

Je prends un autre exemple assez significatif qui concerne l'eau. L'eau est une faible valeur. Vous avez 3 000 euros d'achat pour un container d'eau à quarante pieds. Au final, le coût d'acheminement représentera 173 % de la valeur de l'eau, les fameux 5 200 euros. Vous voyez que la constance de ces 5 200 euros ne prend pas le même sens en fonction de la marchandise que vous transportez.

Là encore, en bout de chaîne, toute taxe et tout élément qui vient impacter cette valeur de marchandise au départ prend une proportion que je qualifierais d'inflationniste. L'octroi de mer sur l'eau, qui est à 22,5, représente 51 % de la valeur de la marchandise de départ. Voilà comment un produit sur lequel aucun acteur n'aura fait la moindre marge touchera le sol antillais 232 % plus cher que sa valeur de départ. Personne n'a pris de marge à ce stade. Et à l'inverse, vous avez le container de télévisions qui, pour une valeur de 500 000 euros, va supporter également ces 5 200 euros. À la fin, ces 5 200 euros sur 500 000 représentent quantité quasi négligeable, soit 1 %. L'octroi de mer est à 10 %. Le produit va revenir 19 % plus cher que le prix de départ à la Martinique. En plus, vous aurez un différentiel de TVA sur ce type de produit à 8,5 % contre 20 % en métropole. Au final, le produit peut être 10 % plus cher arrivé à la Martinique.

Cela signifie que certaines catégories de produits absorbent ou supportent l'impact du transport beaucoup mieux que d'autres. Lorsqu'on parle de cherté de la vie, je n'ai pas le sentiment qu'au départ, on parle de la télévision Sony ou de l'iPhone. On parle des pâtes, du riz, des éléments essentiels à l'alimentation de nos compatriotes.

C'est la raison pour laquelle, dans les propositions que nous avions faites, lorsqu'il y a en face le bouclier qualité-prix (BQP) proposé dans les territoires qui va de 130 à 150 produits, nous avons considéré qu'il serait judicieux de tenir compte de cette problématique structurelle et de prendre en compte ces postes les plus importants, en l'occurrence le transport, le fret et l'octroi de mer, sans pour autant pénaliser les acteurs qui bénéficient de ces recettes, pour les soustraire du prix de revient des marchandises. Le but est d'abaisser le coût de revient des produits de première nécessité et donc le prix de revente. Il convient de les reporter sur d'autres produits. Si ma télévision coûte 15 % plus cher plutôt que 10 %, j'ai le sentiment que l'on touche à des produits de moindre importance dans la vie courante par rapport aux pâtes ou au riz.

C'est la base de réflexion de notre principe de péréquation, en tenant compte justement de cette structure de composition des prix. Cette solution fait sens parce qu'elle permet non pas de toucher 150 produits, comme c'est le cas à travers le BQP à La Réunion, mais 2 500 produits.

La question est de savoir si on veut réellement agir structurellement pour la baisse des prix en outre-mer. Il faut savoir aussi attaquer, d'abord en identifiant correctement les problématiques, non pas avec un parti pris, mais avec une réalité d'éléments qui permettent d'agir efficacement et de proposer de vraies solutions.

J'apporterai enfin deux réponses, notamment à la problématique d'achat et sur le fait que nous achetons auprès de nos plateformes Carrefour. Nous achetons globalement notre marque propre. Chaque enseigne achète sa marque propre auprès de ces plateformes ou éventuellement auprès de fournisseurs en direct. Nous avons en général 30 % d'approvisionnement réalisés par ce biais, 35 % avec des grossistes et le reste à partir de la production locale. Nous faisons le choix d'approvisionner notre marque propre parce qu'évidemment, elle n'est pas produite localement et qu'elle est liée à notre franchiseur. Ce sont des choix d'optimisation. Partout, nous avons les volumes suffisants. Nous cherchons à sourcer directement chez l'industriel. Nous acheminons cette marchandise dans nos entrepôts et ensuite, nous la rapatrions vers nos territoires. Lorsque nous avons des références qui sont à faible rotation, nous les commandons, quel que soit le distributeur, sur nos plateformes, nous les acheminons dans un entrepôt et ensuite, la marchandise est distribuée. C'est le processus d'achat.

S'agissant des surcoûts liés au stockage, lorsque j'ai évoqué les 35 % ou 40 % que nous achetons chez des grossistes, nous ne le faisons pas par plaisir. Les grossistes dont nous détenons les sociétés ne représentent que 4 % du chiffre d'affaires et ces mêmes grossistes sont amenés à servir d'autres distributeurs sur le marché. C'est un élément important lorsque l'on parle justement de verticalité. Les grossistes, s'ils existent, c'est qu'ils ont un sens, notamment sur la partie du stockage. La multitude de références fait que nous ne pourrions pas stocker cette marchandise dans nos territoires, dans lesquels le foncier est plus cher. Lorsqu'un entrepôt coûte 3 ou 4 euros du mètre carré en métropole, il en coûte 12 dans les outre-mer. Il faudrait donc doubler nos surfaces pour pouvoir stocker ces produits et finalement, le consommateur lui-même paierait ce coût d'entreposage. C'est une solution à moindre coût qui lui est proposée. Même si elle reste coûteuse, elle apparaît mieux-disante qu'une solution directe.

Là encore, j'illustre les mécanismes parce que l'absence de connaissance des mécanismes nous fait malheureusement souvent digresser sur des solutions ou des recherches qui n'en sont pas.

Enfin, je voudrais répondre à madame la députée sur la production locale. Les parts de la production locale dans nos linéaires sont variables en fonction de la structuration des filières. Si vous êtes dans un territoire où les filières sont structurées et peuvent approvisionner correctement les magasins, ce qui est le cas de La Réunion, vous atteignez jusqu'à 35 % de parts de marché. Aux Antilles, où nous avons plus de difficultés sur la structuration des filières, et c'est la raison pour laquelle nous pensons aussi que c'est une piste importante de développement de la production locale, nous sommes sur des parts de marché aux alentours de 20 %. Néanmoins, la volonté, quelle que soit aujourd'hui cette part de marché, est de développer la production locale. Je prends pour exemple la Martinique, où nous avons augmenté au cours des sept dernières années de 52 % la production locale dans nos magasins, beaucoup plus que la croissance du chiffre d'affaires sur la période. Parallèlement, nous avons fait un bilan il y a deux mois avec trois cents acteurs de la production locale que nous avons réunis et vis-à-vis desquels nous avons pris des engagements supplémentaires de développer encore la production de 30 % sur les cinq prochaines années.

Vous avez parlé du sujet des petits artisans. Nous avons pris également comme mesure favorable aussi au développement et à l'atteinte de ces objectifs des 30 %, non seulement de consacrer 25 % de notre budget de communication à la production locale, avec l'ambition d'avoir 15 % de produits locaux supplémentaires dans nos prospectus. Nous avons également décidé de mettre en place des espaces tremplins dans nos magasins pour favoriser l'implantation de la petite production locale, celle qui majoritairement n'a pas accès à la distribution et qui peut se développer parce qu'on considère qu'ils ont besoin d'une aide. Non seulement nous favoriserions le règlement pour ces fournisseurs, mais nous leur permettrions d'avoir une vitrine auprès des centaines de milliers de clients qui passent dans nos magasins.

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Reconnaissez-vous une accumulation de marges dans la chaîne d'approvisionnement, notamment au niveau de la grande distribution et dans les autres secteurs ? Reconnaissez-vous des marges arrière ou des remises arrière ? Lorsqu'il y a eu la remise des 750 euros de la CMA CGM sur le coût du conteneur, qu'avez-vous fait concrètement répercuter sur prix du consommateur ? Dans la production locale, notamment agricole, vous arrive-t-il d'acheter des produits à des prix que vous fixez, c'est-à-dire même en dessous du coût de revient pour l'agriculteur lui-même ?

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Stéphane Hayot, directeur général du Groupe Bernard Hayot

Tout le propos que nous tenons depuis le début de cette audition vise à expliquer que nous ne faisons pas d'accumulation de marges, mais que, hélas, nous accumulons des charges liées à des contraintes d'approvisionnement compliquées contre lesquelles nous ne trouvons pas de solution. La Martinique est loin de la métropole. Ces contraintes sont structurelles et elles perdureront.

Les marges arrière existent dans la grande distribution, bien sûr, mais elles sont reversées aux magasins intégralement. Nos magasins, sans les marges arrière auxquelles elles ont droit, seraient tous fermés. Aucun n'a, en marge avant, suffisamment de marge pour vivre. On dit globalement qu'un hypermarché a besoin de 22 à 24 % de marge pour fonctionner. Ce n'est pas la marge au prix de vente, ce sont aussi ces marges arrière. C'est l'intégralité de ces recettes qui font 23 à 24 % et avec lesquelles il faut payer ses charges, ses collaborateurs, son loyer et les amortissements du magasin. Les marges arrière sont reversées.

La CMA CGM accorde 750 euros de remise. C'est très bien. La difficulté, c'est que dans le même temps, le facteur d'ajustement de soute, la fameuse BAF (Bunker adjustment factor), cette surcharge de carburant instaurée par les compagnies maritimes il y a quelques années et qui varie en fonction du prix du pétrole, a augmenté dans les mêmes proportions ou quasiment. À la fin, le coût payé aux compagnies maritimes, qui inclut aussi le fret, n'a pas baissé.

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Christophe Bermont, directeur des magasins GBH Carrefour Martinique

Je rappellerai que la BAF, pour un quarante pieds, s'établit à 900 euros. L'aide de 750 euros n'a même pas neutralisé le coût de la BAF. Il est en train de baisser puisqu'au deuxième trimestre 2023, il passera à 794 ou 796 euros. Il n'empêche que la mesure annoncée par la CMA CGM de 750 euros est valable jusqu'en 2023. Vous voyez qu'à chaque fois, nous sommes sur des sujets qui peuvent être ponctuels, comme c'est le cas de cette aide et de la BAF qui fluctue, mais jamais sur des questions d'approche structurelle. Il pourrait être pertinent de rentrer dans ce détail. Vous avez posé des questions sur lesquelles nous ferons preuve de transparence. J'aimerais, si cela est possible, avoir aussi de la transparence sur la constitution de la BAF. Nous parlons de 900 euros de BAF sur 5 000 euros et nous ne savons jamais comment cette taxe est calculée. Personne ne le sait. Sur les quatorze éléments, nous en maîtrisons trois parce que nous sommes en fait le donneur d'ordres sur ces éléments, indispensables au processus. Nombre d'autres éléments ne sont jamais analysés et questionnés, alors qu'ils représentent une part beaucoup plus importante.

Je réponds enfin à la question sur la production locale. De façon générale, elle est structurée, c'est-à-dire qu'il existe un certain nombre de coopératives ou d'intermédiaires par lesquels nous achetons cette production locale. Les coopératives intègrent le prix d'achat aux producteurs ainsi que les éléments de son fonctionnement. Lorsque nous achetons de la marchandise, en tout cas sur les filières animales, un peu moins sur les filières végétales parce qu'elles sont un peu moins structurées, nous passons par des coopératives qui nous revendent à un prix supérieur au prix d'achat aux producteurs.

J'ai rencontré la semaine dernière un éleveur de la commune du Vauclin, qui est prêt à me vendre cinq agneaux par semaine toute l'année, ce qui représente environ deux cent cinquante agneaux. Nous cherchons de l'agneau local depuis cinq ans. Je pense que c'est sur ce genre de problématiques qu'il faut se pencher. Vous avez un vendeur qui vend le fruit de sa production, qui emploie des salariés et qui a du mal à trouver des débouchés, parce qu'aujourd'hui, il est difficile de connecter la grande distribution à un certain nombre d'éleveurs ou de producteurs, même via les coopératives, d'où l'importance de structurer les filières. Lorsqu'on veut aborder ces sujets, il faut le faire sur le terrain, au regard des problématiques rencontrées par les producteurs, les éleveurs et les distributeurs.

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Je vous remercie. Nous vous demandons de bien vouloir répondre au questionnaire que nous vous avons envoyé par écrit, de nous transmettre tous les documents que je jugerais utiles et de répondre aux questions complémentaires.

La commission auditionne enfin Mmes Nancy Wane, mandataire sociale du groupe Louis Wane, Stéphanie Ducerf, responsable du service juridique de Smart (groupe Louis Wane) et M. Jean-Luc Jaumouillé, directeur administratif et financier du groupe Louis Wane.

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Présent dans la grande distribution, les commerces de détail, l'hôtellerie, les voyages et l'importation, le groupe Wane représenterait près de 12 % du produit intérieur brut (PIB) de la Polynésie française. Mesdames, monsieur, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation.

Je vous remercie de nous déclarer tous vos intérêts publics ou privés de nature à influencer vos déclarations. Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment et de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, mesdames, monsieur, à lever la main droite et à dire « je le jure ».

(Mme. Nancy Wane, Mme. Stéphanie Ducerf et M. Jean-Luc Jaumouillé prêtent serment.)

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Nancy Wane

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les membres de la commission, nous vous remercions pour votre demande d'audition. Y participent pour le groupe Wane Mme Stéphanie Ducerf, responsable du service juridique, 50 ans, M. Jean-Luc Jaumouillé, directeur administratif et financier, 55 ans et moi-même, Nancy Wane, dirigeante et mandataire sociale des sociétés de distribution, 47 ans et mère de quatre enfants. Je suis la fille de Louis Wane, qui avait été initialement convoqué. Nous vous remercions d'avoir accepté que je me substitue à lui pour cette audition.

Louis Wane est l'enfant de deux immigrés chinois arrivés en Polynésie française au début des années 1900 avec l'espoir d'une vie meilleure. En 1964, après avoir occupé plusieurs emplois salariés dans divers domaines, monsieur Louis Wane a créé sa première entreprise dans le secteur du négoce. Nos activités ont débuté dans l'importation et le commerce de marchandises, principalement alimentaires. Le commerce de détail n'était pas aussi organisé, alors, qu'il l'est aujourd'hui. La commercialisation des produits importés en Polynésie française s'effectuait principalement au travers de petits commerçants familiaux qui avaient un magasin au rez-de-chaussée au-dessus duquel se trouvait leur logement, selon un schéma qui existe dans un certain nombre des îles d'outre-mer. Nous appelons encore « commerces traditionnels » ce type de commerce, qui existe encore en Polynésie.

En 1986, M. Tracqui crée le premier hypermarché en Polynésie française sous l'enseigne Euromarché. C'est le début de l'histoire de la grande distribution en Polynésie française, principalement à Tahiti. Puis, en 1996, Louis Wane décide de racheter les magasins du groupe Tracqui. Cette date marque, pour notre famille, le début de l'aventure de la grande distribution en Polynésie française.

À ce jour, notre groupe compte, dans le domaine de la distribution :

 quatre hypermarchés exploités sous l'enseigne Carrefour, d'une surface comprise entre 3 000 et 6 000 mètres carrés ;

 six supermarchés exploités sous l'enseigne Champion d'une surface comprise entre 500 et 1 600 mètres carrés ;

 trois magasins de proximité sous enseignes locales Easy Market.

Nous faisons sans doute partie des derniers franchisés Carrefour qui exploitent encore l'enseigne Champion.

Notre parc comporte également des sociétés d'importation et de production, dont une ferme d'aquaculture pratiquant l'aquaponie. Le secteur de la distribution alimentaire de notre groupe emploie au total 1 500 salariés sur l'île de Tahiti. S'y ajoute un petit nombre de salariés dans les îles où se trouvent les magasins Champion que nous exploitons.

À la fin des années 1990, Louis Wane s'est lancé dans le secteur de l'hôtellerie. Notre groupe compte à ce jour cinq hôtels, répartis entre Tahiti, Moorea, Bora-Bora et Rangiroa. À l'exception de celui de Rangiroa, tous ces hôtels sont exploités et gérés par des enseignes internationales appartenant aux groupes Hilton et Marriott. Le groupe détient aussi quelques agences de voyages. L'ensemble de l'activité touristique de notre groupe emploie environ 1 000 salariés à ce jour.

Au total, au travers de nos diverses entreprises, le groupe Wane emploie actuellement environ 2 500 salariés en Polynésie française.

Ces deux principales activités, le commerce alimentaire et le tourisme, constituent nos cœurs de métier. Ce sont les activités sur lesquelles nous nous concentrons ces dernières années. Louis Wane reste l'actionnaire unique de toutes nos entreprises. Notre mission consiste à maintenir le pouvoir d'achat de nos salariés et de nos clients, de manière responsable, afin de leur offrir le meilleur choix au prix le plus juste possible.

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Jean-Luc Jaumouillé

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les membres de la commission, nous vous remercions de nous permettre de nous exprimer sur ce sujet important et sensible que constitue le coût de la vie dans les collectivités d'outre-mer, plus particulièrement, pour ce qui nous concerne, en Polynésie française.

Il est vrai que nous constatons que les prix sont, chez nous, sensiblement plus élevés qu'en France métropolitaine. Nous allons tenter de vous exposer les raisons pour lesquelles, de notre point de vue, le coût de la vie est plus élevé à Tahiti qu'en France métropolitaine. Nous ne pourrons naturellement nous exprimer qu'en ce qui concerne le métier de la distribution alimentaire, qui est le nôtre. Nous ne pouvons parler pour les autres secteurs.

Je crois que vous avez auditionné l'Institut de la statistique de la Polynésie Française (ISPF) dont le dernier rapport, paru en 2016, indiquait que le niveau des prix, en Polynésie française, était supérieur de 39 % à celui constaté en métropole. Cet indicateur avait été calculé pour l'ensemble des biens à la consommation, y compris l'énergie et les transports.

S'agissant de notre secteur d'activité, nous avons identifié quatre raisons principales venant, au moins en partie, expliquer cet écart. Nous allons revenir sur chacune d'entre elles en tentant d'estimer leur impact sur le prix du produit final pour le consommateur. Nous nous sommes livrés à cet exercice afin d'être le plus précis possible. Pour certaines d'entre elles, des pistes de solutions pourront être ébauchées, à plus ou moins long terme, ce qui pourrait être l'un des points abordés par la suite au cours de la discussion avec les membres de la commission.

La première de ces raisons a trait à l'insularité et à l'éloignement. En 2022, 35 % de nos achats, pour approvisionner nos magasins, ont été effectués par des importations directes, dont la moitié venant d'Europe (essentiellement de la métropole), l'autre moitié provenant d'Asie, d'Amérique, d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Par ailleurs, 37 % de nos achats sont effectués auprès de fournisseurs locaux, qui sont eux-mêmes des importateurs. Ces fournisseurs locaux sont principalement des agents de marques. Ainsi, 72 % des produits proposés dans nos magasins sont des produits importés. Les 28 % restants sont issus de la production locale, par exemple la pêche et l'industrie locales. Le modèle polynésien repose donc très fortement sur les importations et l'éloignement de notre territoire (qui se trouve par exemple à 18 000 kilomètres de la métropole) induit des surcoûts, que nous appelons, dans notre jargon, les « frais d'approche ». Ceux-ci correspondent aux frais du fret maritime, du fret aérien, aux frais de transit, de débarquement, de dédouanement et aux frais de transport, au départ et à l'arrivée. En moyenne, sur l'ensemble des familles de produits présentes dans nos magasins, ces frais représentent 23 % du prix départ de la marchandise. Lorsqu'il faut réacheminer ces marchandises vers des îles encore plus lointaines, il faut ajouter quelques pour cent pour obtenir le taux de frais d'approche. Nous pouvons néanmoins nous en tenir à Tahiti. À ces frais s'ajoutent des droits et taxes sur lesquels nous reviendrons par la suite. Une fois tous ces éléments pris en compte, nous estimons que les frais d'approche pèsent à hauteur d'environ 10 % du prix final demandé au consommateur.

La deuxième raison est liée à l'étroitesse du marché de la Polynésie française. Celle-ci constitue un territoire à peu près vaste comme l'Europe, avec de nombreux espaces maritimes. Elle compte 289 000 habitants, selon le dernier recensement, dont 210 000 ou 230 000 habitants sur les seules îles du Vent. De très nombreux petits magasins sont ainsi dispersés aux quatre coins de l'île. Une étude de marché réalisée en 2021 dénombre 227 commerces sur l'île de Tahiti, pour une surface totale d'environ 60 000 mètres carrés. Ces magasins ont besoin d'importateurs locaux qui sont très souvent des agents de marques, lesquels, en tant qu'intermédiaires, prennent une marge. Ce type d'intermédiaire n'est pas présent en métropole, où la plupart des grandes enseignes s'approvisionnent directement auprès des centrales d'achat. Dans les territoires ultramarins et particulièrement à Tahiti, qui constitue un tout petit territoire, ces agents de marques ont toute leur raison d'être. Selon nos estimations, cette présence d'intermédiaires, pour 37 % de nos achats, pèse pour 10 % du prix final demandé au consommateur.

La troisième raison du niveau plus élevé des prix dans nos magasins, par rapport à la métropole, a trait à la fiscalité indirecte. Je parle de la taxe sur la consommation. Il existe, comme en métropole, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui est en Polynésie française de 5 % pour les produits alimentaires et 16 % pour les produits non alimentaires (contre respectivement 5,5 % et 20 % en métropole). Compte tenu du poids des produits alimentaires dans nos magasins, nous estimons à 7 % le poids de la TVA dans le prix final proposé en Polynésie, alors qu'il serait de 8 % dans un magasin métropolitain. Il faut cependant tenir compte de l'existence d'autres taxes, parmi lesquelles la Contribution pour la solidarité (CPS), instaurée en avril 2022. Son taux est de 1 % mais elle s'applique à l'ensemble des transactions, à toutes les étapes de la chaîne de consommation. Nous estimons que cette taxe représente environ 2 % du prix final du produit. Il existe aussi des droits d'entrée, appelés « octrois de mer » dans les autres départements d'outre-mer. Ces droits d'entrée représentent en moyenne, dans nos magasins, 12 % du « prix départ » du produit. In fine, nous estimons que le prix de détail dans nos magasins est accru d'environ 7 % du fait de cette fiscalité, par rapport aux prix métropolitains.

Enfin, la dernière raison est liée aux mesures protectionnistes en place depuis plusieurs années au profit de filières locales. Plusieurs secteurs de Polynésie française relevant du secteur primaire (agriculture, élevage, pêche et d'autres activités secondaires, notamment l'industrie) sont protégés de la concurrence extérieure. L'objectif initialement poursuivi consistait à préserver l'économie et les emplois, sans que des évaluations pertinentes de cette politique économique n'aient pu toutefois être réalisées. Cette protection se traduit par deux types de mesures :

 des mesures non tarifaires, qui se matérialisent par des interdictions ou des restrictions d'importation de certains produits (fruits tropicaux, certains fruits et légumes, certaines viandes et charcuteries, divers produits industriels ménagers) ;

 des mesures tarifaires qui se matérialisent par l'application de droits et taxes supplémentaires à l'entrée, lorsqu'un importateur importe des produits similaires.

La taxe la plus courante, en Polynésie, relève de cette seconde catégorie de mesures. Il s'agit de la taxe sur le développement local (TDL), dont le taux varie selon les secteurs d'activité. Plusieurs secteurs sont ainsi protégés : fromages frais, charcuterie, viennoiseries, confitures, jus, glaces, sirops, bières, sodas, eaux de source, certains matériaux de construction. Ce ne sont que des exemples, car la liste est assez longue. Au total, l'ajout de ces droits aboutit au constat de droits et taxes pouvant représenter jusque 200 % de la valeur totale du produit. Ce sont donc des mesures qui pèsent lourd. Ces mesures de protection, qui relèvent du pouvoir politique local, génèrent de l'emploi. Nous ne le nions aucunement. Elles ont cependant un impact significatif sur les prix à la consommation.

Nous sommes conscients que les filières locales doivent continuer d'exister. C'est une évidence. Elles souffrent d'un problème de compétitivité par rapport aux grandes multinationales françaises. Préserver l'emploi local suppose certainement de les aider. Nous n'en disconvenons pas. Peut-être y aurait-il cependant d'autres moyens de les soutenir. Nous pourrions en discuter par la suite.

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J'ai deux questions, avant de passer la parole au rapporteur.

Confirmez-vous que le groupe Wane générerait 12 % du produit intérieur brut (PIB) de la Polynésie française et qu'il détient plus de 50 % des surfaces commerciales (supermarchés et hypermarchés) sur les différentes îles ?

Plus généralement, la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, dite loi Lurel, a interdit les accords exclusifs d'importation. Une loi de pays a voulu revenir sur cette disposition, qui protège de la concurrence. Avez-vous eu l'occasion de peser sur cette décision et, d'une façon générale, qu'en pensez-vous ?

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Jean-Luc Jaumouillé

Effectivement, le taux de 12 % est évoqué de façon récurrente depuis 2017. Il est totalement erroné. Il a été publié par un média local – que nous ne citerons pas, car cela ne servirait à rien – en 2017 et est régulièrement repris, depuis, par d'autres médias. Comme vous le savez, le PIB se définit comme la somme des valeurs ajoutées. Calculer le poids du groupe Wane dans le PIB polynésien implique de rapporter au PIB du territoire la valeur ajoutée totale du groupe. Nous avons fait ce calcul. Sur les cinq dernières années, le poids du groupe dans le PIB polynésien est en moyenne de 2,5 %. Vous pourrez aisément vérifier ces chiffres, si vous souhaitez que nous vous communiquions par exemple les comptes consolidés du groupe.

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Stéphanie Ducerf

S'agissant de notre part dans les surfaces commerciales, précisons d'abord que le groupe détient, à Tahiti, une part de marché de 36 %. Celle-ci est calculée sur la base des surfaces commerciales de l'ensemble des commerces de Tahiti. Le groupe représente une part de marché d'un peu moins de 33 % à l'échelle de l'ensemble de la Polynésie.

Le chiffre de 50 % évoqué repose sur une structure de marché qui n'a pas de pertinence lorsqu'on considère le marché polynésien compte tenu de ses spécificités. En effet, pour aboutir à ce chiffre, l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) n'a retenu que la catégorie « hypermarchés et supermarchés » d'une part, la catégorie « enseignes » d'autre part. Or il existe en Polynésie des magasins ayant la taille de supermarchés sans porter l'enseigne de réseaux. Il s'agit de supermarchés, dont certains ont une très grande renommée au regard de la qualité des produits qu'ils distribuent et de la variété de certaines familles de produits. Ces magasins qui sont sans enseigne exercent une véritable pression concurrentielle sur les autres magasins, c'est-à-dire les hypermarchés et les supermarchés.

Il existe une autre spécificité de la Polynésie : les supérettes exercent aussi une réelle pression concurrentielle compte tenu de la petite taille du marché polynésien. L'Autorité polynésienne de la concurrence l'a mentionné dans un certain nombre de ses décisions. Elle n'excluait pas les petits commerces pour mesurer la part de marché de l'un ou l'autre des acteurs. Chacune de ses décisions, en l'espèce, concernait un hypermarché ou un supermarché. Ceci montre que le paysage commercial de la Polynésie ne regroupe pas seulement les hypermarchés et supermarchés sous enseigne : il regroupe un ensemble de commerces petits, moyens et grands, qui se livrent mutuellement une concurrence. Des études de consommation réalisées par l'APC soulignent aussi la réalité de cette pression concurrentielle exercée par l'ensemble des commerces, du fait de la petite taille du territoire et des habitudes de consommation.

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Jean-Luc Jaumouillé

Les accords exclusifs d'importation étaient effectivement interdits et ont été de nouveau autorisés. Je peux vous assurer que le groupe Wane n'est pour rien dans ce revirement. Selon les informations dont nous disposons, ce changement de politique a été décidé suite à la réalisation de travaux par des spécialistes du droit de la concurrence en Polynésie. Une telle interdiction n'aurait de toute façon aucun impact sur nos activités. Nous ne serions d'ailleurs pas opposés à une interdiction de droit (c'est-à-dire une interdiction incluse dans des contrats) des exclusivités. Nous n'avons aucune exclusivité d'importation de droits puisqu'il n'y a aucun contrat dans lequel nous aurions inscrit cette exclusivité. Je pense que les industriels y seraient aujourd'hui très réticents.

Sans doute existe-t-il des exclusivités de fait qui relèvent des industriels, lorsque ceux-ci ne souhaitent pas avoir plus d'un distributeur sur un territoire de petite taille comme celui de la Polynésie. Souvent, lorsque l'agent de marque (c'est-à-dire le grossiste) fait bien son travail, l'industriel est satisfait de la situation.

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Comment assurez-vous votre approvisionnement et quel est le niveau de maîtrise, en termes de concentration verticale, de la chaîne d'approvisionnement à votre niveau ? Quels sont le nombre et la nature des intermédiaires intervenant dans la chaîne logistique ? Surtout, avez-vous recours à un grossiste-importateur extérieur ?

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Jean-Luc Jaumouillé

L'approvisionnement de nos magasins est assuré de plusieurs façons, comme je l'indiquais. Une partie de cet approvisionnement est assurée par des importations directes. Nos magasins importent, selon les données de l'année 2022, 35 % de nos approvisionnements. Cette importation directe concerne principalement des produits à forte rotation, qui correspondent à des volumes élevés. En tant que franchisés Carrefour, nous importons aussi des produits de la marque de distributeur et des premiers prix. Ces importations de produits dans des volumes importants nécessitent de disposer d'espaces de stockage plus importants, ce qui est plus coûteux en termes d'immobilier logistique. C'est la raison pour laquelle nous nous concentrons sur les gros volumes : il n'est pas possible de tout importer.

L'autre partie de nos approvisionnements est effectuée auprès de fournisseurs locaux, parmi lesquels se trouvent des importateurs locaux. Cela représente 37 % de nos achats.

Enfin, 28 % de nos achats sont effectués auprès de producteurs et d'industriels locaux, pour des produits locaux.

Nous maîtrisons une partie de notre circuit « amont », notamment avec les importations directes. On peut parler, de ce point de vue, d'intégration verticale. Cela nous permet de réaliser des économies sur les coûts et les prix de revient. Nous nous efforçons toujours de répercuter ces coûts sur le consommateur final.

Il existe aussi une forme d'intégration vis-à-vis de la production locale. Nous avons ainsi créé, il y a quelques années, une ferme agricole, car il était très compliqué d'approvisionner nos magasins de Tahiti en certains fruits et légumes, notamment la tomate et la salade. Là aussi, il existe un protectionnisme qu'il faut souligner : l'importation de tomates est interdite. À une certaine période, nous n'avions plus de tomates dans nos magasins. Lorsque nous en avions, la tomate (pour laquelle nous nous approvisionnions auprès de producteurs locaux) était vendue à un prix astronomique. La marge étant réglementée, comme pour tous les produits classés PPN (produits de première nécessité), nous vendions la tomate à plus de sept ou huit euros le kilogramme dans nos magasins.

Nous avons décidé de prendre le taureau par les cornes en créant cette ferme agricole, dans laquelle nous avons investi beaucoup d'argent. L'objectif est de maîtriser la filière au moins pour la tomate, la salade et certains autres produits. Cela nous garantit une disponibilité quotidienne et permanente de ces produits dans nos magasins. Cela nous permet surtout de proposer un prix très inférieur à celui qui prévalait antérieurement. Lorsque nous avons commencé à vendre la tomate, nous étions en dessous de cinq euros le kilo, ce qui représentait une baisse de prix de 30 % à 40 %, voire 50 %. Détenir cette ferme nous assure aussi une bonne qualité sanitaire de ces produits. C'est également très important, car la plupart des produits que l'on nous vendait contenaient des quantités très élevées de pesticides. Nous pratiquons dans cette ferme une agriculture raisonnée et responsable.

Toutes ces formes d'approvisionnement, en importation ou en production locale, représentent en effet une forme d'intégration verticale, ce qui nous permet d'améliorer nos prix de revient et de répercuter ces moindres coûts sur le prix final au consommateur.

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Nancy Wane

Notre groupe a débuté en tant qu'importateur-négociant et est entré dans la grande distribution en 1996. L'intégration de la partie liée aux importations et de la partie industrielle est donc liée à la façon dont le groupe s'est construit. Aujourd'hui, ces deux activités sont gérées de façon complètement autonome et sont chapeautées par un directeur propre à ces activités, tandis qu'il existe un autre directeur qui a la responsabilité de l'activité des magasins.

L'activité agricole que nous avons intégrée en 2015 résulte d'un travail lancé en 2006 avec des agriculteurs locaux. L'objectif était de mettre en place des cahiers des charges sanitaires, puisque le distributeur est responsable de la qualité des produits qu'il vend à ses consommateurs. Or nous avons été confrontés, en 2006, à une opposition de fait. L'agriculture locale avait toujours fonctionné comme elle le faisait et il s'est avéré très difficile d'introduire les changements que nous souhaitions.

Le plan d'aquaculture que nous avons lancé en 2015, misant sur l'agriculture raisonnée (et certifiée), visait d'abord à garantir la qualité des produits que nous vendons dans nos magasins. Cela comblait un besoin à la fois quantitatif (disponibilité de la marchandise) et qualitatif. Ce mouvement que nous avons enclenché a induit une sensibilisation réelle à la qualité des produits agricoles, puisque de nombreux agriculteurs se sont convertis au bio ou à des méthodes agricoles beaucoup plus responsables, y compris pour des produits que nous vendons dans nos magasins.

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Quel est le coût du stockage, en proportion du prix ?

Pourriez-vous également nous parle du fret aérien ? S'agissant d'un territoire d'outre-mer, la Polynésie française se voit certainement appliquer des normes douanières et sanitaires différentes qui vous permettent de vous approvisionner plus facilement dans des territoires relativement proches de la Polynésie. Pour autant, les distances sont grandes et je suppose qu'une partie du fret ne peut être assurée que par des liaisons aériennes, par exemple pour des produits médicaux dont le délai de conservation est très court. J'aimerais avoir une idée de ces aspects mais vous pouvez nous faire parvenir des éléments écrits sur le sujet si vous le souhaitez.

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Jean-Luc Jaumouillé

Nous avons une centrale d'achat qui effectue la recherche d'approvisionnement (sourcing) de nos produits partout dans le monde et négocie les prix. Il faut ensuite faire venir les produits, les stocker et les acheminer quotidiennement dans nos magasins. Nous avons une société, Cedis, qui prélève une marge d'environ 7 % sur les magasins pour l'ensemble de ces opérations. Cedis ne réalise quasiment aucun résultat, car cette société opère au service des magasins. Nous évitons de réaliser un résultat avec cette structure, car nous devons répercuter tous les effets bénéfiques de ces importations sur les magasins. Le poids du stockage logistique stricto sensu, en termes de marge, est sans doute de 4 % ou 5 %, auxquels il faut ajouter les équipes d'achat et de négociation. Cela représente globalement 7 %.

Concernant le fret aérien, nous vous ferons effectivement parvenir des éléments écrits. Vous disposerez ainsi de chiffres plus précis. L'essentiel de nos approvisionnements s'effectue par bateau, compte tenu du prix beaucoup trop élevé du fret aérien. Nous ne pratiquons celui-ci que pour les produits qui le nécessitent, c'est-à-dire les produits ultrafrais (par exemple certains fromages et certains laitages). Souvent, ces coûts ne peuvent être répercutés sur les prix. Il est des produits que nous n'importons même pas, car nous savons que nous ne serions pas compétitifs et que nous ne parviendrions pas à les vendre. Souvent, dans de tels cas, le fret aérien a un poids très important dans le prix du produit. Si, de surcroît, des mécanismes protectionnistes et des droits supplémentaires s'appliquent, on aboutit à des prix délirants. La taxe de développement locale (TDL) que j'évoquais s'applique par exemple à certains fromages frais. Si nous faisons venir ceux-ci par avion, les seuls droits applicables (sans compter le fret) représentent déjà 200 % du prix de départ du produit. Nous évitons donc de recourir au fret aérien, sauf en cas de stricte nécessité.

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Le 5 juillet 2018, le groupe Wane a été perquisitionné à la demande de Tracfin ; pour quelles raisons et avec quelles suites ?

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Jean-Luc Jaumouillé

Nous avons effectivement reçu la visite d'agents de la Sécurité publique en 2018. Ces agents agissaient à la demande de Tracfin dans le cadre d'une enquête. Les raisons de celle-ci n'ont jamais été portées à notre connaissance. Les services de Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin) ont souhaité recueillir un certain nombre de documents administratifs et financiers sans nous donner plus d'informations.

Tous les documents demandés par les enquêteurs leur ont été communiqués. À ce jour, cette visite n'a donné lieu à aucune suite. Je ne peux vous en dire beaucoup plus, car nous ne savons pas pour quelles raisons cette enquête a été lancée.

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Merci beaucoup pour ces éléments. Nous allons vous demander de nous transmettre par écrit la réponse au questionnaire qui vous a été envoyé, ainsi que la réponse à quelques questions complémentaires que nous avons soulevées durant cette audition.

Vous êtes également invités à nous communiquer tous les documents qu'il vous semblerait utile de porter à notre connaissance afin de comprendre la problématique dont nous débattons aujourd'hui.

Je vous souhaite une bonne journée et vous remercie vivement pour votre présence.

Ceci clôt notre journée d'auditions.

La séance s'achève à vingt heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Florence Goulet, M. Frantz Gumbs, M. Johnny Hajjar, M. Frédéric Maillot, M. Philippe Naillet, Mme Maud Petit, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Guillaume Vuilletet

Assistaient également à la réunion. - M. Elie Califer, Mme Karine Lebon