Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du lundi 22 janvier 2024 à 18h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • JAF
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La réunion

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La séance est ouverte à 18 heures 05.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La Commission examine, selon la procédure de législation en commission, la proposition de loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau routier national non concédé (n° 1959) (M. David Valence, rapporteur).

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Nous examinons tout d'abord, selon la procédure de législation en commission, la proposition de loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau routier national non concédé.

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Il arrive souvent que la loi soit bavarde, mais il arrive aussi qu'elle soit elliptique, voire lacunaire : c'est le cas de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS. Cette proposition de loi a pour objet de combler les lacunes de ses articles 40 et 41. L'article 40 ouvre la possibilité d'une mise à disposition, aux régions qui le souhaitent, de fractions du réseau routier national non concédé. Cette possibilité de différenciation et d'expérimentation, qui s'inscrit dans le cadre de la décentralisation, puisque les régions ne sont pas compétentes en matière de voirie, a été ouverte afin de compléter les outils de gestion des mobilités mis à la disposition des régions, qui sont cheffes de file en ce domaine. L'article 41 permet de déléguer la maîtrise d'ouvrage de projets futurs aux régions, mais également aux départements et aux métropoles.

La liste des sections susceptibles d'être transférées ou soumises à expérimentation, fixée par un décret du 30 mars 2022 – soit à peine un mois après la promulgation de la loi – totalise 10 000 kilomètres de voirie, sur un total d'un peu plus de 1 million de kilomètres de voies routières. Ces sections représentent l'ensemble du réseau routier national non concédé, à l'exception de l'autoroute A20 reliant Vierzon à Montauban – l'Occitane –, de l'autoroute A75, reliant Clermont-Ferrand à Béziers – la Méridienne – et de l'ensemble autoroutier reliant Dunkerque à Bayonne – la route des estuaires. Ce décret a fixé une période de six mois afin que les régions puissent délibérer avant de se positionner. Les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie et Grand Est ont manifesté leur volonté de bénéficier d'une mise à disposition de certaines de ces sections et la décision interministérielle du 4 janvier 2023 a identifié les 1 600 kilomètres d'autoroute pouvant être mis à leur disposition afin qu'elles puissent améliorer la qualité de service, par exemple en aménageant des voies réservées sur certaines sections autoroutières, ou accélérer la transition écologique, notamment en équipant les aires de service de davantage de bornes de recharge électrique. La faible réponse des régions, puisque seules trois sur douze ont manifesté leur intérêt, s'explique par des doutes sur les modalités de compensation financière de l'État, même si ses investissements dans le réseau routier ont crû de manière très significative ces dernières années, ainsi que l'Observatoire national de la route (ONR) l'a souligné.

La loi 3DS et les textes réglementaires prévoient la mise à disposition de personnel, par service plutôt qu'à titre individuel – environ 850 équivalents temps plein (ETP) sont concernés dans les trois régions –, mais elle ne contient aucune disposition autorisant le président de région à déléguer sa signature aux agents de la direction interdépartementale des routes (DIR). Cette délégation est pourtant indispensable à la gestion quotidienne des routes : une interdiction de circulation, à la suite par exemple d'une traversée de gibier ou d'un accident de la circulation, demande une réponse opérationnelle qui aujourd'hui exigerait du président de région qu'il signe tous les actes nécessaires à sa mise en œuvre. L'impossibilité de déléguer sa signature aux fonctionnaires de l'État chargés du suivi de ces routes entraînerait donc une dégradation de la qualité du service.

Le code général des collectivités territoriales n'autorise la délégation de signature d'un exécutif local au profit d'agents de l'État que pour des actes délibérés par les assemblées régionales, départementales ou communales et la jurisprudence administrative a considérablement restreint le champ d'application de cette disposition. Les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Grand Est et Occitanie ont donc fait savoir qu'elles n'étaient pas en capacité de gérer les sections du réseau routier national mis à leur disposition sans une extension de la délégation de signature, qui ne peut être faite – le Conseil d'État l'a rappelé – que par voie législative. J'ai donc décidé de déposer cette proposition de loi. J'ai bien conscience qu'il ne s'agit pas du texte du siècle et je vous remercie, chers collègues pour votre présence, mais, en tant que législateur, nous devons veiller à la bonne application de la loi et à son effectivité.

Les discussions entre l'État et la région Grand Est sont très avancées : une convention de mise à disposition – portant sur les autoroutes A31, A30, A33 et A313 et les routes nationales RN4, RN44, RN52 et RN431 – a été signée le 19 octobre 2023. La loi est donc prête à être appliquée dans la région Grand Est. En revanche, les discussions avec les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie ne pourront aboutir dans le délai fixé par la loi – un amendement de M. Boris Vallaud propose d'ailleurs de l'étendre – car elles achoppent sur les investissements nouveaux, plutôt que sur la compensation de la maintenance et des travaux d'entretien courant sur le réseau.

Nous avons donc besoin de ce texte pour permettre aux régions de mener à bien cet exercice de différenciation et de décentralisation.

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Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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La loi 3DS n'est peut-être pas assez bavarde, mais elle comprend 270 articles et crée plus de 60 nouveaux dispositifs pour faciliter l'action publique, l'expérimentation et la différenciation. Elle prévoit notamment la mise à disposition pour une période de huit ans aux régions qui le souhaitent d'une fraction du réseau routier national non concédé. Trois régions ont manifesté leur intérêt et une décision interministérielle en date du 4 janvier 2023 a déterminé les sections routières concernées. Nous soutiendrons d'ailleurs l'amendement CL6 de M. Boris Vallaud visant à étendre le délai initialement prévu pour la passation des conventions entre les régions et l'État de huit à seize mois.

Le bon exercice de la compétence ainsi reconnue aux conseils régionaux implique que le président de leur exécutif puisse déléguer sa signature à des agents de l'État en charge des services routiers pour des actes concernant les fractions du réseau routier national mises à disposition. Les dispositions actuelles du code général des collectivités territoriales ne prévoient de possibilité de délégation de signature du président du conseil régional à des agents de l'État que pour la préparation et l'exécution des délibérations de l'assemblée régionale. En dehors de ce champ restreint et hors dispositions législatives expresses, la jurisprudence constante du Conseil d'État exclut toute délégation des exécutifs locaux aux agents de l'État. Les régions qui ont activé le mécanisme prévu par le III de l'article 40 de la loi 3DS, notamment pour des raisons économiques liées aux compétences régionales, demandent que cette délégation de signature à des agents de l'État soit autorisée, faute de quoi elles ne s'estiment pas en capacité de gérer les routes qui auront été mises à leur disposition. Le texte propose donc de permettre au président du conseil régional ou à son délégataire de déléguer sa signature aux chefs de service ainsi qu'aux agents de l'État exerçant des fonctions de responsabilité au niveau territorial ou fonctionnel. Il garantira ainsi la sécurité juridique et facilitera la délégation de signature aux services de l'État pour les actes d'utilisation du domaine public routier et la protection de ce dernier. Il propose également de préciser que le président du conseil régional exerce sur les routes ainsi mises à disposition les attributions de l'article L. 4231-3 du code général des collectivités territoriales.

Il ne s'agit certes pas du texte du siècle, mais nous y serons favorables.

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La centralisation et la décentralisation sont deux processus fonctionnant comme une respiration : un temps pour l'un, puis un temps pour l'autre, au bon moment. C'est un équilibre délicat entre le maintien de l'unité de la nation et le besoin d'adaptation des politiques publiques dans les territoires. Cette proposition de loi n'est toutefois pas le fruit d'une vision politique de redynamisation de la France et de développement plus efficace des territoires : elle s'inscrit dans le cadre de la stratégie purement comptable d'un État en déficit qui n'est plus capable d'assumer ses responsabilités et qui se défausse sur des collectivités qui sont, dans l'ensemble, bien gérées puisque soumises à des contraintes budgétaires beaucoup plus strictes. La logique décentralisatrice de ce gouvernement et de sa majorité consiste à transférer aux collectivités toutes les politiques coûteuses. Celles-ci n'ont alors d'autres choix que d'augmenter les taxes locales que l'État a bien voulu leur laisser. Le Gouvernement passe ainsi pour un bon gestionnaire, laissant aux élus locaux la responsabilité d'assumer la gestion publique devant leurs administrés.

Le transfert de routes non concédées aux régions n'est pas un projet raisonnable d'amélioration du service public. Le nouveau service routier régional créé par la loi 3DS fait en effet doublon avec celui de l'État et des départements, souvent constitué de portions routières particulièrement mal entretenues. L'État masque ainsi son échec à entretenir notre réseau routier et dilue sa responsabilité dans les budgets massifs des régions, aidé en cela par des présidents de région avides de récupérer des compétences pour flatter leur ego et jouer au substitut de l'État dans leurs grandes baronnies. Ce projet est par ailleurs hypocrite puisque les présidents de région vont donner délégation de signature aux agents de l'État mis à disposition de leur collectivité. Leur nouvelle compétence se trouvera donc gérée par les mêmes agents, dont seul le cadre statutaire change.

La volonté décentralisatrice qui sous-tend cette proposition de loi pose un problème politique et idéologique majeur. Elle consacre en effet le renforcement de la région au détriment de l'État qui s'inscrit au cœur du programme européen de démolition des États au profit de grandes régions dotées de toutes ses compétences. L'Union européenne veut que les régions reçoivent directement ses subventions, qui sont prélevées sur le budget des États et qu'elles soient ses interlocuteurs directs. La région est en effet beaucoup plus malléable que l'État et les grandes régions européennes ne sont que des entités administratives qui n'ont pas d'identité. Pour les fédéralistes européens, leur fonction est d'administrer les peuples sans contrainte et d'éviter que des hommes d'État ne leur mettent des bâtons dans les roues.

Nous sommes donc opposés à ce texte, car il favorise un nouveau processus décentralisateur au profit non pas des Français, mais de la Commission européenne, et organise l'abandon de l'État et de son rôle stratégique en matière d'aménagement du territoire.

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L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que « la loi est l'expression de la volonté générale ». Cette citation peut paraître incongrue dans le cadre de la discussion d'un texte sur la gestion du réseau routier, mais elle m'amène à me demander si les citoyens ont effectivement réclamé que certaines sections du réseau routier soient gérées par les régions et que la loi 3DS soit complétée sur le point technique de la délégation de signature.

La loi 3DS ouvre la possibilité aux régions de gérer pour une période de huit ans une partie du réseau routier national non concédé aux entreprises privées. Nous souhaitons que les autoroutes gérées par le privé soient nationalisées, car les péages coûtent de plus en plus chers et je m'inquiète que, à l'issue de cette période, les régions ne décident de privatiser les autoroutes et les routes dont elles ont la charge, ce qui ne servira pas l'intérêt général et ne constituera certainement pas l'expression de la volonté générale.

Je m'inquiète également de l'embrouillamini bureaucratique créé par la loi 3DS et par cette proposition de loi puisqu'il est prévu, d'une part, que la région et le département pourront se transférer mutuellement des compétences dans le domaine routier et, d'autre part, que les agents de l'État continueront à gérer les routes sous compétence régionale – pourquoi, dès lors, ne pas laisser l'État continuer à gérer ces routes ?

Ces textes posent également un problème financier car le transfert de gestion exige un transfert de financement. La région Occitanie estime ainsi que les conditions ne sont pas réunies pour la réussite de l'expérimentation et la région Auvergne-Rhône-Alpes a déclaré vouloir attendre le contrat de plan État-région (CPER) pour savoir si elle n'héritera pas de routes abîmées par des nids-de-poule. Tout cela donne l'impression que l'État se défausse de ses responsabilités sur les régions sans leur donner les moyens de les assumer.

Ce gloubi-boulga bureaucratique ne sert certainement pas l'intérêt du peuple français et transfère une propriété de la nation à des entités – les régions – qui ne la représentent pas dans son entier, n'en déplaise à Bruxelles.

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Les deux orateurs précédents ont défendu une vision très jacobine : je m'y attendais de la part de la France insoumise, mais j'ai été étonné par les propos de l'orateur du Rassemblement national.

Ce texte est un texte de bon sens qui vise à combler une lacune de la loi 3DS, sans doute pas assez pas bavarde, ce qui est assez rare pour être souligné. Le réseau routier concerné ne s'étend que sur 12 000 kilomètres – alors que le réseau total s'étend sur 1,1 million de kilomètres – mais concentre 19 % du trafic global. Il s'agit donc de dispositions importantes qui traduisent bien la volonté des Français puisque ceux-ci ont besoin de routes en bon état. En autorisant les présidents de conseil régional à déléguer leur signature aux agents de l'État des services routiers afin de gérer au quotidien la fraction du réseau transférée aux régions, cette proposition de loi permet de répondre au plus près aux besoins des citoyens. C'est la bonne façon de faire de la politique.

Notre groupe, qui soutient farouchement les politiques de décentralisation et de déconcentration, sera donc favorable à ce texte.

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L'article 40 de la loi 3DS permet, pour une durée de huit ans, d'expérimenter la mise à disposition aux régions volontaires de portions d'autoroutes et de routes non concédées et relevant du domaine routier national. Trois régions – Occitanie, Grand Est et Auvergne-Rhône-Alpes – ont demandé à pouvoir bénéficier de ce dispositif, mais celui-ci n'est pas encore pleinement opérationnel, certaines coordinations juridiques ayant été oubliées dans la rédaction de la loi. Sa mise en œuvre implique en effet que le président de région puisse déléguer sa signature aux agents de l'État mis à disposition pour intervenir sur les portions de route relevant de sa compétence. Or le code général des collectivités territoriales ne le permet pas aujourd'hui. La proposition de loi vise à remédier à cet oubli et prévoit par ailleurs les subdélégations nécessaires, notamment pour les vice-présidents ou conseillers régionaux délégués chargés de cette compétence. Elle apporte également une précision sur les compétences domaniales du président de région sur ses voies et les routes.

La région Occitanie, avec laquelle nous avons travaillé sur ce texte, a confirmé que celui-ci répond aux difficultés rencontrées. Nous soutiendrons donc son adoption mais nous souhaitons y apporter des précisions, par trois amendements. Le premier propose une modification du délai pour la prise des délibérations relatives à la convention État-région afin de sécuriser juridiquement les délibérations prises en dehors du délai initialement prévu par la loi. Ces retards sont le fait de discussions prolongées, notamment, entre l'État et la région Occitanie. Le deuxième propose que la convention entre l'État et la région précise le périmètre exact du domaine et des installations mis à disposition, alors que la liste comprise dans la décision ministérielle ne comporte que l'identification des portions et de routes sans autre précision. Le troisième, et j'insisterai particulièrement sur ce point, propose que le versement de la soulte correspondant au montant des financements restant dus par l'État pour l'exécution des contrats passés par lui soit versée au premier semestre de chaque année pour limiter la charge de trésorerie pour les régions. Nous voterons donc pour cette proposition de loi en espérant que ces améliorations techniques venues du terrain soient adoptées.

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La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à rendre effective l'expérimentation prévue à l'article 40 de la loi dite 3DS, permettant aux régions volontaires de se voir mettre à disposition des portions du réseau national routier non concédé. Je rappelle que cette expérimentation était notamment demandée par Régions de France. Les régions, qui sont déjà autorités organisatrices de la mobilité, pourront ainsi, grâce à ce dispositif, mettre en place une politique de transport cohérente entre la gestion des infrastructures d'intérêt régional et l'organisation des services de transport associés. Trois régions – Auvergne-Rhône-Alpes, Grand Est et Occitanie – se sont portées candidates et les 1 638 kilomètres d'autoroutes et de routes concernées ont été déterminés par une décision gouvernementale du 4 janvier 2023.

Afin de permettre la pleine application de l'expérimentation, la proposition de loi permet aux exécutifs régionaux de donner délégation de signature aux agents de l'État en charge des services routiers mis à leur disposition. L'ajout de cette possibilité technique ne modifie en rien le champ et les modalités de l'expérimentation, mais permet simplement sa bonne exécution pratique. Le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de ce texte de bon sens. J'ajoute que nous avons, en tant que députés, le devoir d'intervenir sur tous les sujets – comme celui de la réglementation de l'intervention des autorités publiques pour interrompre la circulation, ce qui peut sauver des vies – que le droit met à notre charge, que nous les jugions importants ou pas.

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Le présent texte introduit des dispositions techniques facilitant la mise en œuvre de la décentralisation d'une partie du réseau routier national non concédé au profit des régions. Cette possibilité a été créée par votre loi 3DS – à la fois bavarde et elliptique.

La première de ces dispositions concerne les délégations et subdélégations de signature du président de région, des vice-présidents et d'autres membres du conseil régional au profit des chefs de service et des agents du service routier, qui demeurent agents de l'État, travaillant sur les fractions du réseau routier national mises à la disposition de la région ; la seconde concerne l'exercice de l'autorité de gestion du président du conseil régional sur les fractions du réseau routier national non concédé mis à disposition conformément à l'article L. 4231-3 du code général des collectivités territoriales.

Ces dispositions sont certes techniques, mais elles s'inscrivent plus largement dans le cadre de la politique de décentralisation des transports. À ce titre, elles mettent en lumière un éparpillement des compétences entre les différents échelons de collectivités – département, métropole de Lyon, métropole, région – empêchant toute cohérence dans la lecture de la répartition des compétences sur le réseau routier national et de leur financement. Je peux d'ailleurs témoigner, en tant que rapporteure spéciale pour les transports auprès de la commission des finances, qu'il est très difficile de parvenir à agréger les données pour évaluer le coût des transports, et pas seulement du transport routier. Cette analyse est tout aussi valable pour la répartition des compétences des collectivités de manière générale.

Le dispositif de mise à disposition du réseau routier a fait l'objet d'un faible engouement puisque seules trois régions sur douze ont manifesté leur intérêt. Dans le contexte actuel de raréfaction des ressources et de difficultés financières des régions – que la présidente de Régions de France a confirmé lors de son audition en commission des finances la semaine dernière, au cours de laquelle elle a notamment parlé de l'attrition de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui concerne toutes les régions –, cette mise à disposition représenterait pour les régions des investissements non négligeables, alors que les expériences précédentes montrent à suffisance la mauvaise compensation financière par l'État des compétences transférées. Bien que la proposition de loi apporte les ajustements pratiques nécessaires à la bonne mise en œuvre du transfert de compétences, les mesures proposées portent sur un texte qui, sur plusieurs aspects, émiette ces compétences et leur répartition, alimentant davantage encore le millefeuille territorial. La Cour des comptes, dans son rapport public annuel publié le 10 mars 2023, a d'ailleurs regretté que la décentralisation ait perdu son souffle initial à la suite de l'abandon de la logique des blocs de compétence, principe cardinal des lois de décentralisation de 1982 et 1983. Les règles de la décentralisation forment aujourd'hui un maquis inextricable que la loi 3DS, fût-elle complétée par cette proposition de loi, continuera à alimenter. Pour toutes ces raisons, notre groupe s'abstiendra.

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L'expérimentation prévue par la loi 3DS permettant la mise à disposition aux régions volontaires des autoroutes, des routes et des portions de voies non concédées, s'inscrit dans un mouvement de décentralisation progressive du réseau routier national. La Cour des comptes, dans un rapport publié en mars 2022 sur l'entretien des routes nationales et départementales, relève que le réseau routier français, le plus long et le plus dense d'Europe avec environ 1,1 million de kilomètres, est géré en grande partie par les collectivités territoriales : 380 000 kilomètres le sont par départements et plus de 700 000 kilomètres par les communes. Cette organisation résulte de différentes vagues de décentralisation et la loi 3DS poursuit ce mouvement en créant un nouveau cycle de transfert d'une partie substantielle du réseau routier national. La Cour des comptes souligne qu'il s'ensuit une fragmentation croissante de la compétence routière en France. Notre pays évolue vers un modèle complexe et assez rare en Europe, dans lequel les responsabilités sont réparties entre tous les niveaux de collectivités publiques, tandis que l'avenir des autoroutes concédées demeure incertain à l'échéance des contrats en vigueur. Or il ne semble pas que cette transformation et ces perspectives aient donné lieu à une réflexion sur le nouveau rôle de l'État en matière de politique routière. La Cour des comptes déplore l'absence d'une véritable politique routière alors que les expérimentations que vous envisagez sont conduites jusqu'en février 2030, ce qui représente un délai substantiel.

L'expérimentation de mise à disposition du réseau routier non concédé avait été justifiée, lors des débats sur la loi 3DS, par son importante dégradation mais celle-ci résulte de plusieurs années de sous-investissement de l'État malgré le rôle stratégique du réseau routier national non concédé en termes de trafic et de liaison logistique. Au moment de l'examen de la loi 3DS, le groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR-NUPES) avait proposé la suppression de cette mise à disposition et avait dénoncé une forme de désengagement de l'État nuisible à l'unicité du réseau national et à l'égalité territoriale. En cohérence avec cette prise de position, nous ne soutiendrons pas cette proposition de loi technique qui vise à rendre effectif un dispositif auquel nous nous étions opposés.

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Je remercie M. Pradal d'avoir rappelé que la mise à disposition de fractions du réseau routier national non concédé au bénéfice des régions a été introduite dans la loi 3DS à la demande unanime de Régions de France, toutes régions et toutes sensibilités politiques de leurs présidents confondues, ces derniers indiquant – je le rappelle à l'intention de M. Léaument – qu'ils étaient interpellés chaque jour à propos du mauvais état de certaines parties de ce réseau. J'aurais aimé, monsieur Léaument, que vous soyez, comme moi, conseiller régional depuis neuf ans et interpellé vous aussi quotidiennement, à propos, par exemple, du mauvais état de la route nationale 4 – qui est l'une des routes les plus empruntées entre l'Est de la France et Paris –, notamment entre Stainville et Châlons-en-Champagne, dans le Grand Est. Vous vous seriez trouvé dans la même situation d'impuissance que les élus locaux : auriez-vous renoncé à la capacité d'agir si elle vous était donnée ou si vous pouviez vous en saisir ? L'honneur de la politique consiste à faire ce qu'il faut et à bien entretenir le patrimoine public.

Je remercie à ce propos l'oratrice du groupe de la Gauche démocrate et républicaine d'avoir rappelé qu'à quelques exceptions près, la quasi-totalité de notre réseau routier est déjà gérée par des collectivités territoriales, et que la nouveauté concerne des axes de très longue distance, qui traversent plusieurs départements et dont il convient, par souci de cohérence, de ne pas confier la gestion par petits bouts à différents départements. Je rappelle en outre que les régions sont également compétentes en matière de transport interurbain et de ferroviaire, donc de multimodalité, et qu'elles sont de plus en plus nombreuses à se positionner dans le domaine du transport de marchandises. C'est donc en toute cohérence que cette possibilité a été ouverte, à leur demande, dans la loi.

Comme M. Balanant, je suis étonné du jacobinisme exprimé, notamment, par les groupes La France insoumise et Rassemblement national. À entendre ce dernier, il y aurait d'un côté les bonnes collectivités, et de l'autre les mauvaises. Or, pour moi, en France, une collectivité est une collectivité. Allez donc expliquer, chers collègues, à la Wallonie, à la Bretagne, à l'État de Hambourg ou au Val d'Aoste qu'ils n'ont pas d'identité : vous les surprendrez ! Les régions ont leur identité et ont montré qu'en matière de transports, elles se situaient parfois à la bonne échelle pour gérer des déplacements sur de longues distances.

Madame Arrighi, nous avons souvent des échanges dans le cadre de votre travail de rapporteure spéciale pour les infrastructures et services de transports, et j'ai partagé certains de vos points de vue. Cependant, je tiens à préciser devant M. Rebeyrotte, responsable du groupe majoritaire pour l'examen de la loi 3DS, que je n'ai pas dit que cette loi était bavarde et elliptique, mais que les lois étaient souvent bavardes, et que celle-ci était elliptique.

En l'état actuel des textes européens et du droit français tel qu'il résulte de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, ou loi climat et résilience, et de la loi 3DS, si l'on veut que les régions puissent lever l'écoredevance – ou écotaxe, car ce n'est pas du nom qu'il s'agit –, la seule possibilité est précisément de leur permettre de bénéficier de fractions du réseau routier national non concédé, et il conviendrait donc de faciliter l'expérimentation en la matière. J'en parle en connaissance de cause, en tant qu'élu d'une région traversée chaque jour par des milliers de poids lourds et sur laquelle l'abandon de l'écotaxe a eu des conséquences désastreuses, ces poids lourds ne s'arrêtant même pas pour faire un plein sur son territoire, pourtant étendu. Cette région Grand Est a activé le dispositif destiné à lever l'écoredevance mais, concrètement, si on ne lui permet pas de gérer ce réseau routier – ce qui suppose une délégation de signature au triple niveau du vice-président de région, du directeur régional et d'autres agents habilités, s'il le souhaite, par ce dernier –, cela n'aboutira pas.

Quant à l'idée que tout cela n'aurait pas d'utilité pratique et que les présidents de région ne seraient, selon la caricature qu'en fait le Rassemblement national, que de grands féodaux uniquement préoccupés d'accroître leur pouvoir, elle revient à sous-estimer l'attachement de centaines d'élus au bien public. Surtout, elle méconnaît les raisons pour lesquelles les trois régions volontaires se sont positionnées. Comme je l'ai dit, en effet, certaines d'entre elles visent à assurer la maîtrise d'ouvrage de certains projets qui sont complémentaires de projets existants, considérant qu'elles seront plus efficaces que l'État pour tenir les délais. D'autres pensent qu'elles seront plus efficaces dans la transition de la route – c'est là une question majeure, car chacun aura malheureusement constaté que, sur les aires de service du réseau routier national, l'équipement en bornes de recharge électrique est bon, voire excellent, sur les parties concédées, mais parfois inexistant pendant des centaines de kilomètres sur le réseau non concédé. L'État a beau avoir augmenté ses investissements dans une proportion très significative depuis cinq ans, comme le montre le rapport que vous avez reçu, le retard est tel et il y a tant de décisions à prendre pour savoir où et comment équiper le réseau, que les régions peuvent penser qu'elles le géreront mieux et plus vite.

Le principe de la différenciation de la décentralisation suppose aussi de leur laisser la liberté de se positionner. Si un automobiliste trouve difficile de payer pour circuler sur un réseau concédé, c'est précisément parce qu'il sait qu'il s'agit d'un bien public, et c'est la seule chose qui lui importe. Les gens qui empruntent tous les jours les routes ne se posent pas la question de savoir si c'est le département ou la commune qui les entretient : ils veulent qu'elles soient bien entretenues. Des régions nous disent qu'elles feraient mieux. Donnons-leur cette possibilité, et nous verrons.

Monsieur Léaument, au terme de la période d'expérimentation de huit ans, soit en février 2030, en l'absence d'actes législatifs, la gestion quotidienne du bien retournera dans le patrimoine de l'État, dont le bien lui-même n'est jamais sorti. En fonction du bilan qui pourra être tiré de l'expérimentation – sans doute en 2028-2029 –, il appartiendra au législateur de décider s'il souhaite la prolonger ou d'en rester là. C'est une sage perspective.

Je tiens enfin à préciser que le maquis dépeint par M. Léaument est parfaitement inexact. La loi 3DS ne prévoit aucunement que des régions délèguent la gestion des routes à des départements. Il est prévu que les départements et les métropoles puissent bénéficier d'un transfert mais, comme cela s'est fait à de très nombreuses reprises et sous tous les gouvernements, les départements ont récupéré une grande part de l'ancien réseau routier national. Le texte prévoit donc une nouvelle phase de transferts possibles, y compris vers les métropoles, comme cela a par exemple été le cas récemment dans l'Eurométropole de Strasbourg en vertu de textes plus anciens. Il prévoit aussi l'expérimentation pour les régions, mais il n'existe aucun lien entre les articles 38 et 40. Il est donc tout à fait inexact d'affirmer que la loi 3DS prévoit des délégations entre ces entités : ce n'est le cas ni dans la loi existante ni dans la proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui.

Article unique (art. 40 de la loi n° 2022‑217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale ) : Institution d'une faculté de délégation de signature par l'exécutif régional aux agents de l'État dans le cadre de la mise à disposition expérimentale de routes aux régions prévue par la loi « 3 DS »

Amendements CL3 et CL4 de Mme Andrée Taurinya

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Nous sommes cohérents : puisque nous ne voulons pas de la délégation des autoroutes et des routes nationales aux régions, nous proposons de supprimer l'article unique.

Vous nous dites que les gens vous interpellent à propos de la nationale 4, mais nous pourrions prendre aussi l'exemple de l'autoroute A6, dont un tronçon, en direction de l'Essonne, présente des bosses qu'il conviendrait de réparer, car c'est vraiment galère, même en respectant les limitations de vitesse ! Quand je passe sur l'autoroute, je ne me dis pas qu'il faudrait que la région Île-de-France la gère pour que cela aille mieux, mais que l'État doit investir pour réparer cette autoroute. Quand je vois des nids-de-poule sur une route gérée par l'État, je me dis également que c'est celui-ci qui doit faire son travail, et non pas concéder la gestion de cette route à une région, et encore moins à une entreprise privée qui me rackettera ensuite chaque fois que j'aurai envie de l'emprunter, comme c'est le cas pour ceux de nos compatriotes qui sont obligés de le faire pour se rendre au travail ou ailleurs – sans parler des vacances, où il faut payer une taxe privée à ceux à qui les autoroutes ont été déléguées. Nous sommes tout à fait opposés à ce système et favorables à des routes nationales et à des autoroutes nationales gérées par l'État, sans délégation.

L'amendement CL4, quant à lui, vise à supprimer l'article 40 de la loi 3DS qui permet cette délégation aux régions. Cet article dispose en effet, en son V, que « pendant la durée de l'expérimentation, les départements peuvent transférer à la région la gestion d'une route départementale identifiée comme d'intérêt régional » et, en son VI, que « pendant la durée de l'expérimentation, la région bénéficiant de la mise à disposition peut transférer à un département qui en fait la demande la gestion d'une route mise à disposition à titre expérimental ». La loi permet donc bien de transférer la gestion d'une route à la région, qui peut elle-même en transférer la gestion au département, lequel peut également la transférer à la région. Tout cela n'a pas de sens et crée un embrouillamini total.

Vous nous dites qu'au terme des huit ans de l'expérimentation, il est prévu que nous légiférerions à nouveau, mais les débats auront lieu à l'intérieur des conseils régionaux, et non pas devant la représentation nationale, alors qu'il s'agit précisément de biens appartenant à la nation tout entière, et non pas à telle ou telle région.

Il est donc vrai qu'à cet égard je suis jacobin – je l'assume pleinement et je n'ai jamais menti à ce propos. Je vous rappelle toutefois que le jacobinisme était une décentralisation démocratique : selon la Constitution de 1793, si une partie des départements – je ne me souviens plus exactement de la proportion – s'opposaient à une loi, celle-ci ne s'appliquait pas. D'un point de vue démocratique, je suis donc favorable à un jacobinisme décentralisé de ce genre, mais pas à votre décentralisation bureaucratique et technique, qui ne mène à rien. Je le répète : jamais je n'ai entendu quiconque dire qu'il souhaitait que la route nationale soit déléguée à la région – il est possible que des présidents de région vous le disent parce qu'ils y trouvent intérêt, mais c'est pour vous demander ensuite de leur donner de l'argent. Il sera plus efficace de supprimer tout cela.

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Avis évidemment défavorable à ces deux amendements.

Vous contestez le principe même du pouvoir représentatif. En effet, le rôle des élus consiste à trouver des solutions aux aspirations des citoyens. Or ces solutions ne sont pas toujours visualisées ou énoncées en tant que telles, et nos concitoyens nous demandent simplement de trouver les moyens de réaliser ce qu'ils souhaitent voir advenir. Si l'on appliquait votre raisonnement, il n'y aurait plus de démocratie représentative et nous en arriverions aux sections locales et à la Terreur de 1793. Je ne crois pas – et c'est un professeur d'histoire qui parle – qu'on puisse regretter ce temps-là et ce jacobinisme terroriste.

J'assume le fait d'être girondin : il faut donner de la liberté et faire confiance aux collectivités, qui sont, je le rappelle, une partie de l'État. En science politique, en effet, l'État est la personne publique qui incarne le citoyen, et non pas seulement l'État central. Donner de la liberté aux collectivités pour leur permettre de mieux exercer des compétences touchant à la vie quotidienne de nos concitoyens, et faire ensuite le bilan, modestement mais en responsabilité, au terme de huit ans, me paraît relever d'une bonne logique, et vouloir l'empêcher ne me semble pas être guidé par le souci de l'efficacité de l'action publique.

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Nous voterons naturellement contre ces amendements.

Je rappelle comme vous, monsieur le rapporteur, que ces dispositions ne figuraient pas dans le texte initial de la loi 3DS : ce sont les auditions, et notamment celle de l'Association des régions de France, qui ont conduit à les ajouter, les présidents de région étant unanimement favorable à une expérimentation de cette solution pour de la voirie ou des axes routiers qui ont souvent une dimension économique. Leur motivation tient, du reste, moins à l'état des routes proprement dit qu'aux délais de leur remise aux normes, qui peuvent durer des années compte tenu du nombre de priorités que l'État doit gérer pour assumer, en outre, les extensions potentielles du réseau. Il est donc normal qu'un président de région puisse vouloir traiter dans des délais beaucoup plus courts un axe routier qu'il considère comme prioritaire, notamment pour des raisons économiques – et ce n'est pas vous, président du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), qui me démentirez.

Contrairement aux orateurs des deux extrêmes qui se sont exprimés précédemment, nous considérons qu'il faut écouter les acteurs du terrain, au niveau tant local et régional que départemental.

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Qu'une route soit communale, départementale, régionale ou nationale, l'usager, le citoyen, se moque de savoir qui la gère : ce qui lui importe est la qualité du service.

Vous ne serez pas surpris de notre attachement à la différenciation et à la décentralisation. De fait, il s'agit bien ici d'expérimentation, ce qui n'écarte pas les inquiétudes, du fait notamment des difficultés financières rencontrées récemment par les collectivités régionales. Faisons confiance aux élus territoriaux quant aux décisions qu'ils prennent, en particulier avec cette expérimentation qui nous montrera probablement si l'État a été à la hauteur des attentes des régions en matière d'accompagnement. Le moment venu, donc, nous jugerons de la pertinence qu'il y aurait à aller plus loin dans ce dispositif. À ce stade, en tout cas, puisque la loi l'autirise, il serait regrettable de ne pas permettre aux trois régions qui l'ont décidé de procéder à cette expérimentation.

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Sans doute m'aura-t-on mal compris : je ne suis pas opposé à la démocratie représentative, mais je souhaite qu'il y ait davantage de démocratie directe et locale. L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que je lisais tout à l'heure, se poursuit ainsi : « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. » Je souhaite, pour ma part, qu'ils le fassent des deux manières : personnellement et par leurs représentants.

Je souscris à l'idée qu'en général, nos compatriotes veulent que cela fonctionne : les routes doivent être sécurisées et il ne doit pas y avoir de nids-de-poule. Quant à savoir si la gestion doit relever de la région ou du conseil départemental, le système était jusqu'à présent assez organisé, avec des axes nationaux définis par l'État et des axes départementaux gérés par les départements, les communes devant quant à elles gérer le réseau sur leur territoire.

Le système actuel est assez simple et compréhensible, mais vous ajoutez ici une couche intermédiaire avec des schémas régionaux. Non seulement cette couche ne sert à rien mais, en outre, elle m'inquiète, car si, au terme de l'expérimentation de huit ans, on venait à se féliciter de la gestion par les régions, ces dernières, une fois investies de la délégation permanente, pourraient bien dire que, finalement, cette gestion leur coûte cher et qu'elles veulent privatiser certaines parties des routes dont elles ont la charge.

Je fais le pari qu'au bout du compte, ces routes et autoroutes seront privatisées, mais je pense que nos compatriotes ne le souhaitent pas.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CL6, CL7 et CL5 de M. Boris Vallaud

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L'amendement CL6 vise à porter du huit à seize mois le délai prévu pour la prise de délibération, afin d'éviter les contestations fondées sur le fait qu'un conventionnement serait intervenu hors délais.

L'amendement CL7, travaillé avec la région Occitanie, vise à préciser que la convention de mise à disposition entre l'État et la région définit le périmètre exact du domaine et des installations mis à disposition. Comme je l'ai indiqué dans mon propos liminaire, si la décision ministérielle arrête la liste des routes transférées, en excluant parfois une portion de celles-ci, elle n'est que peu détaillée.

Quant à l'amendement CL5, sur lequel j'avais annoncé que j'insisterais tout particulièrement, il porte sur le calendrier des versements de l'État aux régions, dont nous souhaitons qu'ils interviennent le plus tôt possible, notamment dans le courant du premier semestre, afin que la trésorerie des régions procédant à l'expérimentation ne soit pas pénalisée par celle-ci.

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Avis favorable à l'amendement CL6 qui, bien que le texte ne crée pas de sanction en cas de dépassement du délai, vise à sécuriser juridiquement cette option lorsqu'elle est activée, notamment pour les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie.

En revanche, et toujours pour des raisons de sécurité juridique, je demande le retrait de l'amendement CL7, relatif au périmètre exact du domaine ; à défaut, l'avis serait défavorable. Le décret précise en effet explicitement que ce périmètre est fixé par une décision ministérielle et l'introduction dans la loi de cette disposition fragiliserait la convention déjà conclue par la région Grand Est, à moins de discussions portant sur des axes routiers particuliers.

Je demande également le retrait de l'amendement CL5 et émettrai, à défaut, un avis défavorable, car les appels de fonds par les régions peuvent avoir des calendriers différents, et mon expérience d'élu régional m'a montré que les difficultés rencontrées par les régions Auvergne Rhône-Alpes et Occitanie dans leur dialogue avec l'État, et qui expliquent qu'elles n'aient pas encore signé de convention à ce jour, tiennent moins au montant de la compensation des coûts de fonctionnement et d'entretien courant des routes qu'aux modalités du financement et du choix des opérations à financer.

Ainsi, dans le cadre des conventions relatives aux trains express régionaux (TER), qui sont l'une des dépenses les plus significatives du budget des régions – avec un montant de 550 millions dans celle dont je suis élu –, certaines d'entre elles procèdent à d'importants appels de fonds et de trésorerie tout au long de l'année et d'autres seulement en début ou en fin d'année. Inscrire dans la loi l'obligation de verser dès le premier semestre l'intégralité de la compensation de l'État préjuge donc de la manière dont les régions gèrent leur trésorerie. Il faut, dans la convention qui sera pilotée, laisser aux régions le soin de discuter avec l'État de la manière dont ces versements se feront. La région Grand Est, pour sa part, a choisi, selon sa propre convenance, de répartir ces appels sur deux semestres. La disposition proposée par l'amendement est donc trop rigide et exprime trop de défiance vis-à-vis de l'État.

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Vous comprendrez la défiance que j'ai parfois envers l'État, qui a parfois tendance à laisser traîner les versements pour soulager sa trésorerie. Je comprends, quant à moi, que les régions appliquent des modalités différentes de gestion budgétaire. L'amendement CL5 est en tout cas un amendement d'appel invitant à une grande vigilance dans la rédaction des conventions relatives aux modalités de versement, afin de nous assurer que, compte tenu du fort engagement des régions, l'opération ne se fasse pas au détriment de la trésorerie de celles d'entre elles qui ont montré leur volontarisme pour cette mesure. Il faudrait voir comment les conventions peuvent garantir l'engagement que vous évoquez.

Je comprends également, à propos de l'amendement CL7, l'argument selon lequel ce dispositif pourrait fragiliser une convention déjà signée par la région Grand Est, mais il me semble toutefois important et sécurisant pour les régions de préciser au mieux la liste des biens, terrains et équipements.

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Le groupe Renaissance suivra le rapporteur. En effet, les deux derniers amendements sont consubstantiels à la convention, car les modalités dépendront du contenu de cette dernière. Faisons confiance à l'État et aux régions, même si cette question est très compliquée – la négociation de ces conventions est toujours du sport !

Pour ce qui est, en revanche, de l'amendement CL6, il peut en effet être bon de nous donner plus de temps pour conclure la convention et ne négliger aucun des problèmes soulevés. Il faut d'abord faire l'inventaire du domaine concerné, évaluer sa qualité, voir ce qu'il convient d'y faire évoluer et, éventuellement, les travaux neufs réalisés. Cela demande du temps et l'amendement me semble donc très judicieux.

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Nous nous opposons à cet amendement qui vise à allonger la durée de l'expérimentation, puisque, précisément, nous sommes opposés à cette dernière. Après nous avoir dit que les régions et les présidents de région sont au plus près du terrain et savent ce qu'il faut faire pour les routes et les autoroutes, vous nous dites maintenant qu'on n'aura pas le temps – en huit ans ! – de voir ce qu'il faudra modifier sur les routes ni de réaliser les travaux nécessaires. Il y a là une incohérence dans l'argumentation.

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C'est le délai qui passe de huit à seize mois !

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Au temps pour moi ! J'ai lu trop vite et j'ai cru que la durée de l'expérimentation passerait de huit à seize ans. Je retire donc ce que j'ai dit.

Nous nous abstiendrons sur cet amendement.

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Pour abonder dans le sens de votre correction, monsieur Léaument, je précise que l'extension du délai n'est pas une extension de la durée de l'expérimentation, mais du temps laissé pour négocier la convention. La fin de l'expérimentation interviendra bien au début de 2030, quoi qu'il arrive.

La commission adopte l'amendement CL6.

Elle rejette successivement les amendements CL7 et CL5.

Elle adopte l'amendement rédactionnel CL9 du rapporteur.

Elle adopte l'article unique modifié.

L'ensemble de la proposition de loi est ainsi adopté.

Puis, la commission examine la proposition de loi visant à allonger la durée de l'ordonnance de protection et à créer l'ordonnance provisoire de protection immédiate (n° 1970) (Mme Émilie Chandler, rapporteure).

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L'ordonnance de protection, dispositif de protection des personnes victimes de violences conjugales, est bien connue de notre commission puisqu'elle est issue d'une proposition de loi adoptée par notre assemblée en 2010. Il s'agit d'un mécanisme de droit civil dans lequel le juge aux affaires familiales peut prendre des mesures destinées à protéger une personne victime de violences commises par son conjoint ou son ex-conjoint. Toutes les formes de violences sont concernées, pas uniquement les violences physiques.

Le juge aux affaires familiales (JAF), qui doit se prononcer dans un délai de six jours à compter de la fixation de la date de l'audience, peut prononcer des interdictions de contact ou de paraître, mais aussi proposer une prise en charge sanitaire ou psychologique à la partie défenderesse.

Deux éléments doivent être réunis pour qu'une ordonnance soit délivrée : des violences vraisemblables commises sur la partie demanderesse et un danger vraisemblable auquel cette personne ou ses enfants seraient exposés. Cette notion de danger fait d'ailleurs l'objet de débats, mais je ne le détaillerai pas car nous aurons l'occasion d'y revenir en examinant les amendements.

Comme le répète souvent Ernestine Ronai, qui est à la fois présidente de l'Observatoire des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et présidente du comité national de l'ordonnance de protection, cette ordonnance est la première marche de protection des femmes victimes de violences conjugales. Elle n'a pas vocation à résoudre l'ensemble des problèmes liés à ces dernières, mais elle protège la victime et lui donne l'espace et la sécurité nécessaires pour stabiliser sa situation juridique et financière.

La lutte contre les violences conjugales, considérées voilà encore quelques années comme du ressort de l'intime et du foyer conjugal, est devenue un véritable enjeu de politique publique : nous parlons désormais de violences intrafamiliales (VIF). Le Grenelle des violences conjugales, organisé dès 2019, a favorisé cette prise de conscience collective. Le foyer doit rester le lieu de la sécurité essentielle.

Dans le cadre de ma mission sur les violences intrafamiliales, menée aux côtés de la sénatrice Dominique Vérien, j'ai ainsi pu constater les progrès réalisés en matière de lutte contre les violences perpétrées au sein du foyer. Il reste néanmoins du chemin à parcourir, comme en témoigne le nombre de féminicides encore recensés en 2023.

Si le dispositif de l'ordonnance de protection est aujourd'hui maîtrisé par les principaux maillons de la chaîne judiciaire, le nombre d'ordonnances de protection demandées est encore trop faible par rapport à celui des femmes qui se déclarent victimes de violences conjugales. Mme Vérien et moi-même avons formulé cinquante-neuf recommandations, qui forment le plan Rouge vif. Cette proposition de loi met ainsi en œuvre l'une de ces recommandations : la création d'une ordonnance de protection immédiate. Les violences intrafamiliales sont un fléau que notre société ne doit jamais cesser de combattre. C'est l'affaire de chacun et de tous.

L'article 1er crée ainsi un nouveau dispositif : l'ordonnance provisoire de protection immédiate, qui complète l'ordonnance de protection. L'objectif est de permettre au juge aux affaires familiales de prononcer des mesures de protection en urgence, soit vingt-quatre heures après sa saisine.

Le juge aux affaires familiales se prononcera seulement sur les éléments présentés dans la requête : aucun élément présenté par la partie défenderesse ne sera examiné.

L'absence de contradictoire et le délai très court dans lequel le juge aux affaires familiales peut prononcer des mesures restrictives de liberté entraînent un encadrement très strict du dispositif, pour garantir l'équilibre entre la protection de la partie demanderesse et les atteintes aux libertés de la partie défenderesse.

Ainsi, seul le procureur de la République sera en mesure de saisir le juge aux affaires familiales pour demander cette ordonnance provisoire, et ne pourra le faire que si une demande d'ordonnance de protection a été formulée : l'ordonnance provisoire de protection immédiate n'est pas un dispositif autonome, mais une étape préalable avant l'ordonnance de protection. Le monopole du procureur de la République, ainsi que l'obligation de déposer une ordonnance de protection pour obtenir une ordonnance provisoire, doivent limiter les risques d'instrumentalisation de l'ordonnance provisoire de protection immédiate.

Autre garantie, les mesures prises dans le cadre de l'ordonnance provisoire sont limitées dans le temps : elles prennent fin dès que le juge aux affaires familiales statue sur la demande d'ordonnance de protection. L'article 1er prévoit également, dans sa rédaction actuelle, une borne maximale de six jours, que je vous proposerai de supprimer par amendement, pour garantir que la personne en danger reste protégée jusqu'à la délivrance de l'ordonnance de protection.

Les mesures à la main du juge aux affaires familiales sont aussi limitées en nombre : il pourra uniquement prononcer des interdictions ou obligations propres à faire cesser le danger immédiat constaté – une interdiction de contact, de paraître dans certains lieux, de porter ou de détenir une arme, et l'obligation de remettre son arme aux forces de l'ordre.

Enfin, les exigences de délivrance sont renforcées par rapport à l'ordonnance de protection : en plus des violences vraisemblables, le juge devra estimer qu'il existe un danger grave et immédiat pour délivrer l'ordonnance provisoire de protection immédiate.

L'article 2 prévoit que toute violation des mesures prononcées dans le cadre d'une ordonnance provisoire de protection immédiate est passible de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. Cette sanction pénale est indispensable pour inciter au respect desdites mesures.

L'article 3 permet l'application en outre-mer de l'ordonnance provisoire de protection immédiate.

La réussite du nouveau dispositif implique une coopération forte entre parquet et juge aux affaires familiales, qui devrait être facilitée par la création des pôles spécialisés au sein de chaque tribunal judiciaire. L'objectif est bien de protéger la personne en danger en attendant que le JAF puisse analyser la situation et prononcer des mesures pour un temps plus long dans le cadre de l'ordonnance de protection.

L'article 1er modifie également les caractéristiques de l'ordonnance de protection en portant de six à douze mois la durée des mesures édictées par le JAF. Actuellement, la prolongation des mesures n'est possible que si le couple est en instance de divorce ou a des enfants. Rien n'est prévu pour les victimes non mariées et sans enfants. L'allongement du délai vient combler cette lacune.

Je souhaite saluer l'investissement sans faille des magistrats, des avocats et des associations pour protéger les victimes des violences intrafamiliales. Nous devons tous rester mobilisés pour que chaque individu, majeur ou mineur, puisse être en sécurité dans son foyer.

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Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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Le 3 août dernier, Sylvie Sanchez a été tuée par son ex-compagnon malgré une main courante déposée pour menaces de mort deux mois plus tôt. Le futur meurtrier avait quitté la gendarmerie avec une simple convocation pour une audience qui devait se tenir le 3 novembre, soit cinq mois après les faits. Ce délai est tristement habituel.

La lutte contre les violences intrafamiliales souffre d'un paradoxe entre les délais nécessaires à l'enquête et à l'audiencement, d'une part, et l'urgence à traiter la situation, d'autre part. Le temps de la procédure est souvent incompatible avec celui de la victime. Quels que soient les progrès accomplis, les féminicides ne pourront pas être éradiqués si le facteur temps n'est pas érigé en priorité absolue.

L'ordonnance de protection, créée en Espagne en 2003 et en France en 2010, est l'un des moyens de concilier deux exigences inaccordables. Toutefois, la modestie doit rester de mise. Le nombre de demandes d'ordonnance reste bien plus élevé en Espagne, pays de référence dans la lutte contre les VIF, qu'en France tandis que le nombre d'ordonnances délivrées est dix-sept fois moins important en France qu'en Espagne.

Certes, nous partons de très loin. Rien n'a été fait pendant des dizaines d'années. Là encore, le temps joue contre les victimes. Il nous faut, à tout prix, rattraper le temps perdu. Si l'ordonnance de protection est un progrès incontestable, nous devons être plus ambitieux encore.

Ainsi, lorsque l'éloignement de la victime s'avère nécessaire ou préférable au maintien dans le domicile familial ou conjugal, il convient d'accroître le nombre de places d'hébergement mises à leur disposition afin de répondre aux besoins spécifiques des femmes et des enfants victimes de violences. Seuls les hébergements spécialisés sont en mesure d'apporter le réconfort, la sécurité et l'aide indispensables à une reconstruction. Or leur nombre est trente-trois fois moins élevé qu'en Espagne alors que la population française est supérieure de 30 %. Selon les enquêtes de victimation, le nombre de places disponibles représente 15 % des besoins identifiés, sans compter les enfants, covictimes des violences conjugales.

Il nous faut également augmenter le nombre de greffiers et de juges car les ordonnances de protection viennent s'ajouter à des rôles des audiences déjà bien chargés. Dès lors que la moitié des effectifs du JAF dans un tribunal judiciaire manquent, le système connaît très rapidement des dysfonctionnements et les délais s'allongent encore.

Malgré le Grenelle des violences, malgré les campagnes de sensibilisation, malgré les progrès incontestables dans la prise en charge des victimes, malgré les avancées procédurales apportées par l'ordonnance de protection, le nombre de féminicides continue d'augmenter. Après une envolée record en 2022, je ne pense pas que les chiffres pour 2023 montrent un retour à un niveau – je ne peux pas dire acceptable car rien ne l'est en cette matière – moins élevé.

Le texte fait partie des avancées qui méritent d'être saluées. Le groupe Rassemblement national le votera.

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En 2022, 244 000 victimes de violences conjugales ont été enregistrées par les forces de l'ordre. Au cours des dernières années, de nombreuses mesures ont été adoptées pour lutter contre ce fléau, parmi lesquelles le bracelet antirapprochement, l'ordonnance de protection ou encore le téléphone grave danger.

L'ordonnance de protection apparaît comme un outil essentiel de lutte contre les violences conjugales, désormais bien connu du grand public et maîtrisé par les professionnels du droit. Elle est plébiscitée par les associations de défense des femmes victimes de violences qui y voient un dispositif rapide et efficace.

Entre 2017 et 2021, le nombre d'ordonnances délivrées a augmenté de 153 %. Néanmoins, ces résultats encourageants ne doivent pas nous démobiliser car, en comparaison de nos voisins, l'Espagne notamment, ce nombre reste insuffisant. La durée, le délai d'obtention et les conditions de prolongation peuvent être améliorés. C'est tout l'objet de la proposition de loi d'Émilie Chandler dont je salue l'engagement en faveur de cette noble cause.

L'article 1er prévoit de porter la durée initiale des mesures prononcées de six à douze mois. L'article 515-12 du code civil limite la durée à six mois à compter de la notification de l'ordonnance ; celle-ci peut être prolongée « si, durant ce délai, une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d'une demande relative à l'exercice de l'autorité parentale. »

En allongeant la durée, le législateur accorde plus de temps aux victimes pour réorganiser leur vie et ouvre le bénéfice de l'ordonnance de protection aux victimes non mariées ou sans enfant.

Par ailleurs, l'article 1er crée l'ordonnance provisoire de protection immédiate, nouvel outil à la main du procureur pour protéger dans un délai de vingt-quatre heures une personne en danger sous réserve de son accord. Cette ordonnance n'est pas conçue comme une alternative à l'ordonnance de protection. Elle a vocation à protéger provisoirement la victime pendant un délai maximal de six jours entre l'audience et la décision du JAF lorsqu'il existe un risque sérieux pour la victime de se trouver en situation de vulnérabilité face à son conjoint.

L'article 2 introduit dans le code pénal une nouvelle infraction pour non-respect de l'ordonnance provisoire de protection immédiate. L'article 3 concerne l'application des dispositions en outre-mer.

Le ministère de la justice a recensé 94 féminicides en 2023. Ce chiffre marque une baisse encourageante de 20 % par rapport à 2022 mais il ne masque pas les problèmes de société structurels que posent les violences conjugales. Chaque féminicide est un meurtre de trop.

La proposition de loi dote la justice de nouveaux outils utiles pour les femmes et parfois les hommes, victimes de violences. S'il propose quelques ajustements par voie d'amendement, le groupe Renaissance la votera, résolument et avec enthousiasme.

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Votre rapport « Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales » avait le mérite d'être très ambitieux, bien plus que cette simple proposition de loi. Nous attendons donc avec impatience les 58 autres propositions de loi devant le décliner.

La proposition de loi va dans le bon sens en créant un nouvel outil pour protéger en urgence les victimes de violences conjugales ou intrafamiliales. Elle pose néanmoins deux problèmes majeurs : d'une part, cet outil est créé à moyens constants. Or les tribunaux judiciaires sont déjà surchargés. Les JAF n'auront pas les moyens ni le temps d'un examen sérieux de la situation individuelle des victimes. D'autre part, le texte s'inscrit dans une fuite en avant sécuritaire et le règne du provisoire qui caractérisent votre traitement des violences sexistes et sexuelles (VSS). Il ne prend pas la mesure du problème en se contentant d'ajouter un outil provisoire. Il ne s'inscrit pas dans une politique publique plus large de prévention des violences et d'accompagnement des victimes dont l'hébergement d'urgence, le téléphone grave danger, l'éviction du domicile familial de l'auteur des violences, le bracelet antirapprochement, etc. sont des illustrations.

Le provisoire est une ruse pour cacher le manque de moyens pour l'accompagnement et la protection des victimes. Il suffit de passer une journée auprès des JAF : dix minutes par dossier et des audiencements tardifs pour une famille qui se déchire, signe d'une justice qui se désagrège et qui ne tient que par des rafistolages provisoires comme celui que vous proposez.

L'allongement de la durée de l'ordonnance de protection est une bonne mesure qui laisse le temps aux victimes de prendre les dispositions matérielles et juridiques pour se protéger. Nous défendons cependant un accompagnement des victimes jusqu'à la sortie effective et durable des violences. L'ordonnance ne se suffit pas à elle-même, elle doit se doubler d'un accompagnement des victimes, qu'il s'agisse de l'hébergement, du suivi psycho-social, pour les enfants notamment, ou de l'accès à des avocats spécialisés. En outre, il ne faut pas oublier la police qui est bien souvent le premier interlocuteur.

Bien que le Gouvernements se targue d'un budget historique pour la justice, le recrutement des magistrats – 327 postes supplémentaires en 2024 – n'est pas à la hauteur des enjeux. Le manque de greffiers et de magistrats empêchera les tribunaux de s'emparer efficacement du nouvel outil.

Enfin, nous constatons une nouvelle fois un basculement de la logique de la prévention et de la réinsertion vers celle de la répression, sans réel effet dissuasif sur la récidive. Or la solution réside dans l'accompagnement des victimes et la sensibilisation.

Je vous renvoie à une expérience nantaise, Citad'elles, un lieu ouvert depuis 2019 qui a accompagné 12 500 femmes, a traité 3 180 dossiers et a suivi 60 % des femmes dans le cadre d'un parcours de sortie des violences sur trois ans. Cela ne coûte pas plus cher que le service national universel ou l'uniforme, cela coûte moins cher que la lubie machiste du réarmement démographique.

Tous le disent – JAF, associations féministes, psychologues, avocats, syndicats de police –, il faut mettre le paquet sur les VSS et les VIF et cordonner tous les acteurs. Ils vous demandent 2 milliards d'euros pour mettre sur pied ce projet. Nous nous engageons à sortir le carnet de chèques pour la cause des femmes.

Nous voterons le texte en dépit de son effet marginal sur le contentieux familial et des VSS.

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« Le monde est trop dangereux pour qu'on y vive, non pas à cause de ceux qui font le mal mais à cause de ceux qui les laissent faire sans bouger. » Ces propos d'Albert Einstein sont criants de vérité pour les victimes de violences conjugales et intrafamiliales.

Pour nombre d'entre elles, la justice manque encore d'efficacité et ne les protège pas assez. Dire que nous n'avons pas agi ou que tout est résolu serait mentir. Nous devons nous féliciter des avancées des dernières années.

En faisant de la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales l'une des grandes causes de son quinquennat, le Président de la République a permis qu'un coup d'accélérateur y soit donné, notamment par le biais du Grenelle des violences conjugales. Nous avons pris la mesure de l'urgence sociétale dans ce domaine.

Le déploiement du bracelet antirapprochement et du téléphone grave danger, la création d'une infraction d'outrage sexiste, la suspension des droits de visite et d'hébergement de l'enfant mineur dont la personne mise en examen est titulaire sont autant d'avancées concrètes qui nous permettent aujourd'hui d'assurer une plus grande protection, une meilleure prise en charge et un meilleur suivi de l'ensemble des victimes.

Mais l'actualité nous rappelle la triste réalité : nous ne sommes que le 22 janvier et déjà neuf femmes seraient décédées sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. Force est de constater que nous n'avons pas su répondre encore à toutes les attentes de nos concitoyens.

La proposition de loi est la suite logique de la loi visant à agir contre les violences faites aux femmes du 28 décembre 2019 qui a réduit à six jours le délai maximal dans lequel les ordonnances de protection doivent être prises par le JAF. Lors du débat, j'avais insisté sur la nécessité d'agir encore plus vite – ce sont des situations d'urgence. L'année dernière, l'examen de la proposition de loi de Cécile Untermaier visant à renforcer l'ordonnance de protection a été l'occasion de plaider en faveur d'aménagements pour développer son usage, faciliter sa délivrance, et allonger la durée des mesures.

Le plan Rouge vif dont vous êtes l'une des autrices, madame la rapporteure, acte la nécessité d'une ordonnance provisoire de protection immédiate. La proposition de loi est le fruit de ce travail et nous nous félicitons de la voir examinée. Cependant, nous divergeons sur le dispositif.

Nous estimons ainsi qu'il serait préférable de laisser l'ordonnance provisoire de protection immédiate à la main du procureur en lieu et place du JAF, qui n'est pas un juge de l'urgence. À l'instar de l'ordonnance de placement provisoire des mineurs en danger, l'attribution au procureur permettrait de répondre aux impératifs d'une prise en charge rapide et effective par le biais de mesures coercitives décidées en l'absence de contradictoire, lesquelles seraient ensuite maintenues, modifiées ou rapportées par le JAF. Ce sera l'un des amendements du groupe Démocrate qui salue votre texte et le votera.

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En 2023, quatre-vingt-quatorze femmes ont été tuées. Cela représente une baisse de 20 % par rapport à 2022, année qui avait enregistré une hausse de 15 %. Chaque année, nous faisons un bilan, mais derrière les chiffres, ce sont des vies perdues et bouleversées. Nous ne pouvons pas nous en satisfaire.

La réponse judiciaire pour protéger les victimes d'un partenaire ou ancien partenaire violent qu'est l'ordonnance de protection est loin d'être parfaite, nous le savons. Certes, le nombre de demandes approuvées a augmenté de 129 % entre 2015 et 2021 mais on part de très bas. 3 852 demandes ont été acceptées en 2021 : ce chiffre est dérisoire lorsqu'il est mis en regard du nombre de personnes qui se sont déclarées victimes de violences par un partenaire ou ex-partenaire – plus de 208 000.

Nous sommes tous d'accord pour admettre que le dispositif doit être amélioré. C'était l'objet de ma proposition de loi qui avait été adoptée à l'unanimité par notre assemblée le 9 février 2023.

La mesure, qui visait à porter de six à douze mois la durée maximale des mesures, est reprise dans votre texte. Six mois, c'est très court pour organiser une séparation. L'allongement du délai permet aussi de faciliter le travail du juge.

Afin de favoriser la délivrance de l'ordonnance de protection, la proposition de loi prévoyait également – nous y tenons – la suppression du critère de danger dans l'appréciation du JAF afin que celle-ci porte uniquement sur l'existence de violences vraisemblables. Selon le Comité national de l'ordonnance de protection, le critère de danger rend plus complexe la décision du juge ; elle le conduit à établir une hiérarchie dans les violences en distinguant celles qui sont source de danger et celles qui ne le sont pas, ce qui s'apparente à une mission impossible. Nous devons vraiment travailler en vue de la séance sur ce point très important qui donnera tout son sens à votre texte.

Je rappelle que cette disposition avait été adoptée à l'unanimité après avoir été ajustée avec la Chancellerie. Pourquoi ne pourrions-nous pas la reprendre ? C'était un signal important adressé aux magistrats pour leur enjoindre de se préoccuper des violences uniquement. L'ordonnance de protection est un outil de prévention, pas une sanction. Le juge ne se prononce pas sur une culpabilité mais sur un risque potentiel. J'espère que vous apporterez votre soutien à nos amendements, comme vous l'aviez fait il y a tout juste un an.

Si l'ordonnance provisoire de protection immédiate semble être un outil pragmatique, je m'interroge néanmoins sur la capacité des JAF, qui sont déjà surchargés, à traiter les demandes. Ils sont d'ailleurs très inquiets ; les procureurs le sont aussi mais ils paraissent davantage en mesure de répondre.

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Nous parlons d'un sujet lourd que nous ne devons jamais considérer comme traité. Le combat contre les violences faites aux femmes s'adresse à toutes les générations et concerne tous les territoires. Il est jalonné de réussites, qui se mesurent au nombre d'actes de violence évités, mais aussi, il faut le dire, d'échecs. Chaque année, de nombreuses femmes décèdent sous les coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint. Chacun de ces féminicides est un échec qui nous appelle à nous remettre en question et à agir pour que cessent définitivement ces violences difficiles à concevoir.

Si l'égalité entre les hommes et les femmes est la grande cause du quinquennat du Président de la République, les violences conjugales figurent parmi les plus vives de nos préoccupations. Derrière les chiffres tristement recensés chaque année, il y a des visages, des histoires intimes et des enfances brisées ; l'enfant témoin de violence est une victime.

Les autorités œuvrent jour après jour pour protéger les femmes des violences dans l'espace public comme dans la sphère privée. À la suite du Grenelle des violences conjugales, la mobilisation de tous a été requise pour faciliter le difficile chemin des victimes vers leur émancipation. De plus en plus de femmes, parfois d'hommes, osent en parler.

Nous avons une obligation de résultat. Tant qu'il restera des victimes, nous agirons pour combler les failles des dispositifs existants. C'est l'objet de la proposition de loi qui renforce l'arsenal juridique dont nous disposons pour prévenir les faits de violences conjugales et mettre les personnes qui en sont victimes en sécurité le plus rapidement possible. Elle s'appuie pour cela sur l'ordonnance de protection, dispositif créé en 2010, qui a déjà fait ses preuves.

L'article 1er double sa durée, reprenant le dispositif proposé par notre collègue Cécile Untermaier dans une précédente proposition de loi adoptée à l'unanimité. L'audition de la direction des affaires civiles et du sceau a confirmé la pertinence de cette mesure pour les situations les plus complexes, dans lesquelles aucune solution ne peut être apportée dans un délai de six mois. Le juge conserve la possibilité de fixer une durée inférieure.

L'article crée également l'ordonnance provisoire de protection immédiate qui figurait dans le rapport sur la lutte contre les violences intrafamiliales qu'ont présenté la rapporteure et Dominique Vérien. L'ordonnance serait sollicitée par le procureur de la République avec l'accord de la personne en danger ; elle serait délivrée sans contradictoire par le JAF dans un délai de vingt-quatre heures si deux conditions sont réunies : la vraisemblance de la commission de faits de violences alléguées ; le danger grave et immédiat auquel la victime ou ses enfants sont exposés ; l'ordonnance prendrait fin à compter de la décision statuant sur la demande d'ordonnance de protection, au plus tard dans un délai de six jours.

Bien que l'absence de contradictoire pose question, il s'agit, comme l'a également relevé la direction des affaires civiles et du sceau, d'un dispositif judiciaire préventif qui touche aux libertés individuelles et intervient en l'absence de toute condamnation. La garantie des libertés individuelles suppose qu'un juge du siège se prononce sur la délivrance de l'ordonnance de protection.

Le groupe Horizons soutient la proposition de loi. La violence sous toutes ses formes menace gravement notre société. Nous en faisons tous les jours l'expérience de près ou de loin. Nous devons y faire face et apporter des réponses à tous les niveaux, de la prévention par l'éducation à l'esprit civique jusqu'à la répression. Georges Clemenceau résumait notre mission collective en ces termes : « Faire que les bons citoyens soient tranquilles, que les mauvais ne le soient pas. »

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Nous examinons une nouvelle intervention du législateur sur l'ordonnance de protection, pourtant créée en 2010.

Le texte, qui crée une ordonnance de protection immédiate permettant l'intervention rapide d'un juge, indispensable pour protéger les personnes victimes de violences intrafamiliales, va dans le bon sens – l'enjeu est trop grave et trop sérieux pour ne pas le dire.

Néanmoins, dans un esprit constructif, nous relevons plusieurs lacunes. Nous regrettons que la victime ne puisse pas solliciter elle-même l'ordonnance de protection immédiate – seul le procureur le peut. Par ailleurs, aucun assouplissement des conditions de l'ordonnance de protection n'est proposé alors que le critère de danger reste difficile à apprécier et freine la délivrance des ordonnances.

Par ailleurs, nous ne pouvons pas passer sous silence le bilan de la majorité en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et contre les violences intrafamiliales. Un rapport de la Cour des comptes de septembre 2023 pointe « l'absence de politique globale, continue et coordonnée » dans ce domaine. Il n'y a pas de vision d'ensemble, pas de feuille de route claire. La preuve en est, depuis l'élection d'Emmanuel Macron, c'est la quatrième fois que les dispositions relatives à l'ordonnance de protection sont modifiées, loin d'une vision holistique des violences sexistes, sexuelles et intrafamiliales. Le rapport de la Cour des comptes reconnaît quelques avancées qu'il juge néanmoins insuffisantes dans la lutte contre les violences conjugales. Il pointe du doigt un manque criant de lisibilité des moyens alloués à la politique de lutte contre les violences faites aux femmes.

En dépit des lacunes, nous voterons le texte.

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Vous savez que la question des violences intrafamiliales me tient à cœur, d'autant que le département de La Réunion est particulièrement touché par ce qu'on peut qualifier désormais de véritable fléau.

À La Réunion, 28 % des cas de violences concernent des violences envers les femmes. On recense sept plaintes par jour et plus de vingt et une interventions des services de police et de gendarmerie liées aux VIF. En 2023, contrairement à la tendance nationale, les choses ne s'arrangent pas : selon les associations, on recense une hausse de 30 % des violences intrafamiliales et des violences particulièrement sur les enfants. Ces chiffres sont inacceptables. On pourrait presque dire qu'ils nous font honte. Nous avons l'impérieuse nécessité d'agir.

La proposition de loi est évidemment la bienvenue, et, sans suspense, je peux vous dire que nous la voterons.

Cependant, madame la rapporteure, l'allongement de la durée de l'ordonnance de protection avait déjà été proposé il y a plus d'un an par Cécile Untermaier dans un texte qui avait été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale et qui stagne aujourd'hui au Sénat – il me semble pourtant que le Gouvernement y dispose de quelques soutiens si l'on en croit la récente actualité politique. Si le processus législatif s'était poursuivi, nous aurions gagné de précieux mois au bénéfice des victimes de violences intrafamiliales.

Votre proposition de loi comporte des avancées. L'allongement de la durée de l'ordonnance de protection est une nécessité quand on connaît les délais de la justice et les difficultés à voir les procédures aboutir.

En revanche, s'agissant de l'ordonnance de protection immédiate, je m'interroge, comme d'autres, sur le choix de ne pas confier sa délivrance au procureur de la République, qui pourrait, sur le modèle du contrôle judiciaire, interdire aux auteurs des violences d'approcher les victimes, en attendant que le JAF fasse le nécessaire pour les mesures strictement civiles dans les délais de l'ordonnance de protection. Ces délais me semblent déjà assez rapides, compte tenu de l'engorgement de la justice et du manque de moyens humains. Je m'interroge sur la possibilité de rendre une justice convenable.

Pour le reste, l'allongement de la durée de l'ordonnance est une nécessité urgente. Il y a derrière quelques querelles politiques ou juridiques de nombreuses personnes – des femmes, des enfants, des hommes – qui n'en peuvent plus d'attendre que la justice statue et que l'on prenne à bras-le-corps leurs problèmes.

Nous voterons bien évidemment le texte. Nous ne pouvons qu'enjoindre la majorité, le Gouvernement et tous ceux qui se sentent concernés à prendre le sujet à bras-le-corps et à ne pas se contenter de cette ordonnance qui est premier pas nécessaire, mais absolument pas suffisant. Quand on voit les chiffres, on ne peut pas se dire que c'est une fatalité, pas en 2024, pas dans notre pays.

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En ce qui concerne les hébergements d'urgence, le plan Rouge vif aborde le sujet. Sachez que 1 000 places d'hébergement d'urgence supplémentaires ont été mis financées en 2023. Les choses avancent, je ne connais pas les chiffres pour le futur mais je sais que le Gouvernement y travaille.

L'allongement à douze mois de la durée de l'ordonnance de protection avait pour but de mettre fin à la rupture d'égalité au détriment des couples non mariés sans enfant. C'était à mes yeux une vraie injustice de les priver d'un outil très utile, notamment en l'absence de dépôt de plainte.

Le plan Rouge vif comporte cinquante-neuf recommandations mais toutes ne requièrent pas une intervention législative. Nombre d'entre elles relèvent du domaine réglementaire. Je peux vous assurer que je suis avec une grande attention leur mise en œuvre. Je suis à votre disposition pour en parler. On avance et personne ne lâchera, j'en suis convaincue.

Enfin, s'agissant du rôle du ministère public et du contrôle judiciaire évoqué par Mme K/Bidi, ce dernier ne peut être décidé que dans le cadre d'une procédure pénale, lorsque les éléments constitutifs de l'infraction sont établis. Or l'ordonnance de protection est un outil complémentaire entre les mains des juges civils. Elle est demandée par une personne qui n'a pas forcément encore porté plainte. Puisque le dossier n'a pas encore de volet pénal, le procureur ne peut pas se saisir. Je vous propose, avec l'ordonnance provisoire de protection immédiate, de combler le vide que laisse le délai de six jours avant que l'ordonnance de protection ne soit prise, période pendant laquelle, on l'a vu, des drames peuvent se produire.

Article 1er (art. 515-12 et 515-13-1 [nouveau] du code civil) : Extension de la durée des mesures prises dans le cadre d'une ordonnance de protection et création de l'ordonnance provisoire de protection immédiate

Amendements CL1 et CL2 de Mme Cécile Untermaier, amendement CL17 de Mme Pascale Martin (discussion commune)

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L'amendement CL1 vise à clarifier la condition de délivrance de l'ordonnance de protection en supprimant la notion de danger. L'amendement CL2 est un amendement de repli.

Même s'il n'y a pas d'autorité de la chose votée, nous avons adopté récemment une disposition mieux-disante que le texte que vous nous présentez car le magistrat a beaucoup de mal à identifier le danger potentiel sur la base des violences infligées. Va-t-il estimer qu'une claque n'est pas un signe de danger ? Le danger est-il fonction du degré de violence commise ? Les études montrent que ce n'est pas le cas.

Le Comité national de l'ordonnance de protection (Cnop), dont la compétence est évidente, indique que le juge a du mal à prendre une ordonnance de protection car il doit justifier les violences vraisemblables mais aussi le danger vraisemblable dans ses considérants. Les juges expriment cette difficulté. Il suffit d'ailleurs de lire une ordonnance de protection pour se rendre compte qu'ils essaient de contourner le problème en prenant un nombre de considérants incroyable, ce qui est contraire à notre volonté d'apporter une protection aux victimes de violences qui en font la demande. La véritable avancée du texte est de ne pas refuser la protection demandée par une personne qui a subi des violences.

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Le groupe LFI-NUPES considère aussi que cette notion de danger devrait être supprimée, alors que la loi actuelle oblige le juge à apprécier séparément et cumulativement les deux critères suivants : la vraisemblance des violences ; le danger encouru par la victime. Or le danger est difficile à évaluer. Cette contrainte pousse certains juges à refuser de délivrer une ordonnance de protection, au motif que la victime n'encourrait aucun danger. Des divergences d'interprétation existent pourtant quant à l'évaluation du danger. Un juge a pu ainsi écrire : « Tout danger écarté car madame est relogée et monsieur a quitté le domicile conjugal. » Or les nombreux féminicides commis après une séparation montrent bien que la décohabitation ne supprime pas le danger pour la femme victime de violences conjugales.

Le Cnop et la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) demandent la suppression du critère de danger. Mme Chandler propose aussi cette suppression dans son rapport. Le présent texte nous offre l'occasion idéale de répondre à ces demandes.

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Ce n'est pas tout à fait ce qui est écrit dans le rapport, mais je reconnais que l'on peut faire mieux s'agissant du nombre d'ordonnances de protection délivrées. Lors de nos auditions, il est apparu que les magistrats avaient eu besoin de temps pour s'approprier l'ordonnance de protection et que c'est désormais chose faite grâce aux efforts entrepris en matière de sensibilisation et de formation, à mobilisation de tous et à la création de pôles depuis le 1er janvier. Les magistrats sont désormais sensibilisés à la mesure.

Je comprends vos amendements qui consistent à supprimer la notion de danger comme critère de délivrance d'une ordonnance de protection, et je salue d'ailleurs le travail mené par Mme Untermaier l'année dernière ce sujet. J'ai évidemment pris connaissance des préconisations du Cnop, dont j'ai auditionné la présidente, et j'ai échangé à de nombreuses reprises avec le ministère. Toutefois, il ne me semble pas opportun à ce stade de supprimer cette notion.

Tout d'abord, ce critère de danger constitue une garantie de constitutionnalité du dispositif : l'ordonnance de protection est un mécanisme dans lequel un juge civil a la possibilité de prendre des mesures restrictives de liberté dans un délai court. Assouplir à l'excès les conditions de délivrance de l'ordonnance de protection fragiliserait l'équilibre du dispositif. Soit on rend systématique l'ordonnance de protection car le danger potentiel n'est jamais exclu, ce qui est attentatoire aux libertés individuelles ; soit on ne rend jamais d'ordonnance de protection car les magistrats ne peuvent pas prédire l'avenir. Il faut faire confiance au juge pour apprécier la dangerosité de la situation : les juges aux affaires familiales se sont emparés du dispositif, et, même s'il faut continuer nos efforts en matière de formation, beaucoup de progrès ont déjà été faits. Nous ne lâcherons pas.

C'est pourquoi j'émets un avis défavorable concernant ces amendements qui visent à supprimer ou amoindrir la notion de danger.

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Je ne comprends pas trop l'argument d'inconstitutionnalité qui nous est opposé pour refuser cette amélioration du texte. Si le texte que nous avons adopté à l'unanimité il y a moins d'un an était inconstitutionnel, comment a-t-il pu passer ? Cela ne vous a d'ailleurs pas dérangé de nous proposer des dispositions parfaitement inconstitutionnelles dans le projet de loi sur l'immigration. Cet argument ne peut pas servir à tort et à travers.

L'amendement de notre collègue Cécile Untermaier a été travaillé avec des professionnels du droit. Dans le cadre de la législation actuelle, nombre de procédures d'ordonnances de protection, concernant les dangers auxquelles des victimes de violences et l'un ou plusieurs de leurs enfants sont exposés, n'aboutissent pas car il faut que le danger soit présent – ce n'est pas du conditionnel. Dès lors que la victime s'est mise à l'abri, le juge rejette systématiquement l'ordonnance de protection, comme le montre la jurisprudence. Nous avons bien sûr confiance en la justice, mais les juges ne peuvent pas statuer contra legem : ils ne font qu'appliquer la loi que nous votons. En l'occurrence, nous proposons d'améliorer la loi et de supprimer ce critère pour permettre que davantage d'ordonnances de protection soient délivrées dans des cas où il n'y a pas de danger immédiat car la victime a pu se mettre à l'abri. Il est nécessaire d'améliorer le dispositif de protection des victimes et l'argument d'inconstitutionnalité ne me semble pas opérant.

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Pour ma part je suis contre l'adoption de lois inconstitutionnelles, vous le savez…

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Sans reprendre l'argument – que j'estime justifié – de l'écueil constitutionnel soulevé par Mme la rapporteure, j'ajouterai que les textes sur l'ordonnance de protection sont dérogatoires au droit commun en ce sens qu'ils prévoient des mesures très restrictives. Il est donc aisé de comprendre qu'ils pourraient se révéler inconstitutionnels.

L'article 515-11 du code civil exige la réunion de ces deux conditions, mais il faut faire confiance aux magistrats qui, dans l'exercice de leur pouvoir souverain d'appréciation, sont tout à fait à même de distinguer ce qui relève d'une ordonnance de protection de ce qui relève du droit commun. Jusqu'à présent, nous avons fait confiance aux magistrats et cela se passe relativement bien. M'étant livrée à une petite exégèse de la jurisprudence des cours d'appel du grand Sud, je peux vous dire que le nombre d'ordonnances de protection accordées est bien supérieur à celui des ordonnances rejetées.

La plupart du temps, le magistrat inclut le danger auquel la victime est exposée dans sa motivation, se fondant sur la vraisemblance des violences. Le risque de réitération des violences constatées suffit généralement à caractériser le danger. Dans certaines ordonnances de protection accordées, on retrouve la mention suivante : « La preuve des violences est rapportée et les circonstances de leur commission caractérisent le danger auquel la victime est exposée. » Estimant qu'il faut faire confiance aux magistrats, je m'opposerai donc à ces amendements.

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Tout d'abord je note avec satisfaction, madame la rapporteure, que vous avez le soutien du Rassemblement national…

Madame Bordes, vos propos correspondent exactement à ce que nous souhaitons : nous faisons évidemment tous confiance aux magistrats, que nous soutenons – nous ne sommes pas en rupture par rapport à la justice. Mais les magistrats eux-mêmes nous disent qu'avoir à démontrer le caractère vraisemblable du danger dans un jugement relève d'une mission impossible. Pour ma part, je les écoute. Je sais ce que signifie être juge, avoir à rédiger un jugement qui pourra faire l'objet d'un appel, risquer d'être déconsidérée pour n'avoir pas manié le code avec le degré d'exigence requis. Ce ne sont pas les magistrats qui font le droit, ce sont les parlementaires. En tant que législateurs, nous avons le rôle important d'identifier les obstacles à la délivrance de l'ordonnance dans le texte qu'ils devront appliquer. En l'état, nous leur assignons une mission impossible : expliquer pourquoi des violences vraisemblables caractérisent un danger potentiel.

Ensuite, madame la rapporteure, j'aimerais vous faire remarquer que mon amendement de repli a été validé par les services de la chancellerie avec lesquels vous avez travaillé. Le problème n'est pas constitutionnel car le législateur n'est pas sous le couperet de la Constitution. Il ne me paraît pas inconstitutionnel de simplifier et décrire la réalité afin de permettre au juge d'utiliser un outil utile à la protection des femmes.

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Nous voulons tous protéger la personne victime de violences, et je voudrais apporter quelques nuances dans cet échange car tout n'est pas blanc ou noir. La position de Mme la rapporteure me paraît plutôt juste car, contrairement à ce que vous dites, madame Untermaier, ce n'est pas une mission impossible qui est confiée aux juges en matière d'ordonnance de protection. Pour avoir beaucoup plaidé pour la délivrance de cette mesure lorsque j'exerçais mon métier d'avocate spécialisée en droit de la famille, je peux vous assurer – comme le montrent d'ailleurs les chiffres – qu'elle est fréquemment prononcée par les juges. À mon avis, la notion de danger, telle que définie dans les dispositions de l'article 515-9 du code civil, permet de rassurer les juges : dès qu'il y a danger, il est nécessaire de délivrer une ordonnance de protection. Sans cette notion de danger, l'avocat de l'autre partie pourrait plaider, avec des chances de voir son analyse partagée par le juge : les violences sont anciennes et ne justifient pas de restreindre la liberté de quiconque. S'il n'était fait mention que des violences, le juge aurait une position moins confortable pour prononcer l'ordonnance de protection.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL5 de Mme Pascale Bordes

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Si l'ordonnance de protection est un outil efficace de lutte contre les violences conjugales, ce dispositif contient toutefois des mesures pouvant être prononcées à l'encontre de la partie défenderesse ; leur bilan est donc contrasté et elles sont perfectibles. Il en est ainsi de la simple proposition faite à la partie défenderesse d'effectuer une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique. En effet, cette mesure se heurte à la nécessité d'un accord préalable du partenaire ou ex-partenaire violent, très rarement obtenu en pratique. Ce dernier expliquant généralement qu'il n'est pas violent, c'est avec une certaine cohérence qu'il refuse ces mesures dont il peut penser que leur acceptation vaudrait presque un aveu de sa dangerosité, voire de culpabilité, au cas où il aurait à comparaître devant le tribunal correctionnel. Cet amendement a donc pour objet de rendre plus efficientes les mesures visées dans cet article en supprimant la nécessité d'obtenir l'accord préalable du partenaire violent.

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Dans le cadre d'une procédure civile, il est très délicat de forcer la partie défenderesse à effectuer une prise en charge sociale ou psychologique puisque vous ne pouvez pas l'envoyer en détention en cas de refus. Cela doit demeurer une possibilité laissée à la partie défenderesse. En cas de refus, le JAF peut évidemment prononcer le reste des mesures pour protéger la partie demanderesse. J'émets donc un avis défavorable.

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La personne ne sera pas envoyée en prison si elle refuse cette prise en charge, mais le magistrat peut prononcer d'autres mesures ou transférer le dossier au procureur de la République qui, lui, prendra des dispositions adéquates.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL6 de Mme Pascale Bordes et CL23 de Mme Caroline Yadan (discussion commune)

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La rédaction actuelle de l'article 515-12 du code civil prévoit une prolongation des mesures visées dans l'ordonnance de protection pour les époux en instance de divorce ou de séparation de corps ou pour les partenaires liés par un pacte civil de solidarité (pacs) et les concubins en cas de demande relative à l'exercice de l'autorité parentale, ce qui suppose la présence d'enfant. En revanche, aucune prolongation des mesures n'est prévue pour les couples non mariés, ce qui est injuste puisque cela revient à traiter de manière différente des personnes qui sont dans la même situation.

L'absence de prolongation se traduit par des conséquences très concrètes. Pour la victime, c'est la fin du secret de son domicile ou de l'attribution gratuite de la jouissance du domicile conjugal. Pour l'auteur des violences, c'est l'heure de la restitution de l'arme déposée au greffe. L'absence de prolongation marque aussi la fin de l'interdiction de contact entre l'auteur et la victime des violences. Si le concubin ou le partenaire violent est propriétaire ou copropriétaire du logement, titulaire ou cotitulaire du bail d'habitation, il pourra aussi revenir dans le logement. Tout cela parce que les gens ne sont pas mariés et n'ont pas d'enfants.

Actuellement, la seule possibilité offerte à la victime dans cette situation est de solliciter une nouvelle ordonnance de protection auprès du JAF, en recommençant le processus initial, ce qui peut se révéler coûteux en temps et en argent.

Nous proposons donc de supprimer cette différence de traitement entre les victimes.

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En l'état actuel du droit, la prolongation de l'ordonnance de protection est réservée aux cas dans lesquels « une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d'une demande relative à l'exercice de l'autorité parentale ». La prolongation est alors impossible pour les cas de violences dans les couples non mariés ou qui n'ont pas d'enfant, ce qui paraît injustifié. Pour réparer ce défaut de protection de la loi, le présent amendement vise à permettre la prolongation de l'ordonnance de protection s'il subsiste un danger auquel sont exposés la victime et ses enfants.

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Je comprends votre préoccupation, mais je crois que la prolongation de la durée à douze mois y répond : elle permettra en effet de protéger les personnes qui ne sont pas mariées et n'ont pas d'enfant, ce qui les empêche, dans les conditions actuelles, de se voir accorder une prolongation des mesures au bout de six mois. C'est pourquoi je demande le retrait de ces amendements.

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J'entends vos arguments, madame la rapporteure. Il n'en demeure pas moins que ce qui a motivé l'ordonnance de protection est identique, que l'on soit marié ou pas, que l'on ait des enfants ou pas. Il me semble choquant que les mesures ayant trait à la sécurité de la victime – l'adresse tenue secrète, la confiscation de l'arme, etc. – ne puissent être prolongées dans un cas et non dans l'autre.

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Mon groupe votera contre ces amendements, en accord avec la position de la rapporteure, car l'ordonnance de protection n'est pas destinée à durer indéfiniment. La durée de douze mois a été établie dans un but de simplification : il s'agit de permettre au juge de s'organiser sans avoir à revenir sur le dossier au bout de six mois et non pas de faire perdurer une situation très inconfortable et dangereuse pour la femme sous ordonnance de protection. Pour ma part, je souhaite surtout que cette mesure soit bien gérée et efficace. Or, plus le temps s'écoule, moins les forces de police ou de gendarmerie sont présentes auprès des personnes pour les protéger lorsque le conjoint violent tente de revenir dans le périmètre qui lui est interdit. Comme Mme la rapporteure, je pense qu'il est préférable d'en rester au dispositif prévu.

L'amendement CL23 est retiré.

La commission rejette l'amendement CL6.

Amendement CL26 de M. Erwan Balanant

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C'est une disposition que j'avais déjà proposée en 2019 lorsque nous avions commencé à travailler sur ces sujets. Un jour ou l'autre, nous en viendrons à la solution que je propose, j'en suis intimement persuadé. Je pars d'un constat : le JAF n'est pas un juge de l'urgence, contrairement au juge des référés ou au procureur de la République.

En l'occurrence, je propose de donner au procureur la possibilité de prendre une ordonnance provisoire de protection immédiate, sous réserve de saisir le JAF pour validation ou non de la mesure dans le délai de six jours, ce qui permettra l'exercice du débat contradictoire. En fait, ce dispositif est calqué sur celui existant pour les ordonnances de placement provisoire des mineurs en danger, tel que prévu par l'article 375-5 du code civil.

Cette solution permet d'agir avec la rapidité nécessaire. Depuis que nous traitons ce sujet, c'est-à-dire depuis 2010 pour certains d'entre nous, nous savons que la vitesse de réaction permet de sauver des vies. On pourra certes m'opposer que ces victimes ne sont pas des majeurs incapables, mais le rôle du procureur est de protéger la société. C'est pourquoi, étant persuadé que cette solution est la bonne, je la propose une nouvelle fois. Comme nous l'avons constaté au cours de nos auditions, c'est ce qu'attend une grande partie des acteurs concernés par le sujet. Madame la rapporteure, je suis prêt à travailler pour combiner les dispositifs en nous inspirant de l'article 375-5 du code civil.

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Nous avons déjà échangé sur votre proposition, monsieur Balanant. Si certains professionnels vont dans votre sens, d'autres se rallient à mes propositions.

Vous souhaitez que l'ordonnance provisoire de protection immédiate soit à la main du parquet et non du JAF, ce que je comprends d'autant mieux que c'était l'une de mes premières hypothèses de travail. Néanmoins, le statut actuel du parquet n'offre pas suffisamment de garanties pour que nous lui donnions cette prérogative : contrairement aux juges du siège, les procureurs sont soumis au principe hiérarchique et ils ne sont pas inamovibles. Le représentant de la Conférence nationale des procureurs de la République, que nous avons auditionné, partageait ce point de vue.

En l'état actuel du droit, le procureur de la République peut d'ailleurs prendre des mesures visant à protéger une victime de violences conjugales, dès lors qu'une procédure pénale est enclenchée. Il est donc plus logique de conserver l'intervention du juge civil dans le dispositif de l'ordonnance provisoire de protection immédiate.

En outre, dans votre proposition, l'ordonnance provisoire de protection immédiate n'est plus du tout liée à l'ordonnance de protection. Dans quel cadre le procureur de la République serait-il alors amené à se prononcer, s'il n'y a ni demande d'ordonnance de protection ni procédure pénale en cours ?

Pour toutes ces raisons, je demande le retrait de cet amendement. À défaut, j'émettrais un avis défavorable.

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Je ne vais pas le retirer. La voie de passage pourrait consister à travailler sur une combinaison des deux solutions, en nous inspirant de l'article 375-5 du code civil sur les mineurs en danger, que j'invite mes collègues à relire. Peut-être ce double dispositif compliquerait-il un peu les choses. Quoi qu'il en soit, je suis vraiment sûr d'une chose : le JAF n'est pas le juge de l'urgence, contrairement au juge des référés ou au procureur. Quant à votre argument sur l'allégeance du procureur à sa hiérarchie, il ne tient pas : le procureur représente, lui aussi, l'autorité judiciaire. De toute façon, je reviendrai toujours à la charge car je pense que cette solution finira par s'imposer, à la faveur de cette proposition de loi ou d'un autre texte.

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Les JAF font déjà de l'urgence par diverses procédures comme ils en ont fait pendant des années par le biais du référé JAF. Je vous invite à regarder le code de procédure civile. Depuis l'adoption de la loi sur l'ordonnance de protection, que font les JAF s'ils ne font pas de l'urgence ?

La commission rejette l'amendement.

Elle adopte l'amendement rédactionnel CL31 de la rapporteure.

Amendements CL3 et CL4 de Mme Cécile Untermaier

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Il me semble encore plus nécessaire de supprimer la notion de danger quand il s'agit d'une ordonnance provisoire de protection immédiate.

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Je me suis déjà exprimée sur la notion de danger dans l'ordonnance de protection. Ma position est la même s'agissant de l'ordonnance provisoire de protection immédiate : il me semble impératif de conserver cette notion de danger grave et immédiat, qui justifie une décision en vingt-quatre heures et une absence de contradictoire. Même la notion de danger potentiel, que vous proposez, me paraît insuffisamment précise pour garantir la constitutionnalité du dispositif. Avis défavorable.

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Nous demanderons à la chancellerie, qui était favorable à ce que nous proposons, si elle a changé d'avis.

La commission rejette successivement les amendements CL3 et CL4.

Amendement CL34 de la rapporteure, amendements CL24 et CL25 de Mme Caroline Yadan (discussion commune)

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Mon amendement vise à supprimer la disposition qui prévoit la fin des mesures prises dans le cadre d'une ordonnance provisoire de protection immédiate au bout de six jours, même en l'absence de décision du JAF sur l'ordonnance de protection. L'objectif est d'éviter que la personne en danger soit sans protection entre la fin des mesures prononcées et la délivrance de l'ordonnance de protection, dans les rares cas où le JAF ne se prononce pas en six jours car il a accepté une demande de renvoi – à bref délai – formulée par l'une des parties. L'amendement que je propose permettrait alors de poursuivre l'ordonnance provisoire de protection immédiate jusqu'à la délivrance de l'ordonnance de protection.

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L'amendement de Mme la rapporteure justifie le retrait des miens. Pour éviter un trou dans la raquette, je prévoyais un délai de cinq jours ou de trois jours. Qui peut le plus peut le moins : cet amendement CL34 supprime tout délai, ce qui est encore mieux.

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L'ordonnance de protection doit être prise dans les six jours ou, dans les situations gravissimes, en vingt-quatre heures. Et l'on admet que la mesure qui va venir relayer cette ordonnance provisoire de protection immédiate, prise en vingt-quatre heures, puisse intervenir beaucoup plus tard. Peut-être ai-je mal compris, sinon cela m'ennuie.

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Tous les magistrats interrogés nous ont indiqué que les éventuels renvois sont ordonnés à très bref délai, afin de permettre à un avocat d'apporter quelques pièces supplémentaires, notamment quand il a été saisi la veille de l'audience. Rappelons qu'en matière civile, le renvoi n'est pas de droit comme dans le cadre d'une procédure pénale où il peut être question de détention, mais il est laissé à l'appréciation du magistrat. Nous avons fixé le délai de délivrance de l'ordonnance de protection à six jours : faisons confiance aux magistrats. S'il y a un renvoi, il ne pourra se faire qu'à très bref délai.

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Cet amendement de Mme la rapporteure a le mérite d'éviter un trou dans la raquette tout en conjuguant l'urgence avec le respect du principe du contradictoire auquel nous sommes tous attachés. Quand un dossier est renvoyé, c'est pour permettre au défendeur, quel qu'il soit, d'avoir une défense honorable. Je voterai pour cet amendement.

Les amendements CL24 et CL25 sont retirés.

La commission adopte l'amendement CL34.

Elle adopte l'article 1er modifié.

Article 2 (art. 227-4-2-1 du code pénal [nouveau]) : Sanction pénale en cas de violation des mesures prises dans le cadre d'une ordonnance de protection

La commission adopte successivement l'amendement rédactionnel CL33 et l'amendement de précision CL32 de la rapporteure.

Elle adopte l'article 2 modifié.

Après l'article 2

Amendements CL16 de Mme Cécile Untermaier, CL20 de M. Andy Kerbrat et CL21 de Mme Pascale Martin (discussion commune)

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L'amendement CL20, de repli, vise à demander un rapport sur l'indemnisation des avocats concernant les ordonnances de protection. Le Cnop ainsi que le rapport intitulé « Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales », rédigé par vous-même, madame la rapporteure, et la sénatrice Dominique Vérien, préconisaient de revaloriser les indemnités des avocats en matière d'ordonnance de protection. L'avocat étant un échelon essentiel pour la protection des victimes et leur accès à la justice, il est nécessaire de revaloriser ses indemnités afin d'élargir le vivier d'avocats disponibles pour accompagner les victimes.

Quant à l'amendement CL21, il propose la remise d'un rapport sur les conditions dans lesquelles les ordonnances de protections sont délivrées au sein des juridictions. Le plan de recrutement de magistrats et de greffiers n'est pas suffisant pour remédier à la situation critique de tribunaux judiciaires surchargés. Un tel rapport permettrait aux parlementaires de disposer des données essentielles sur les conditions d'accès et de travail de la justice civile en matière d'ordonnance de protection, outil majeur de la lutte contre les violences intrafamiliales et sexistes et sexuelles.

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L'amendement CL16 de Mme Untermaier est satisfait car les données demandées ont déjà été compilées par le ministère, qui a publié en juin dernier un document sur les ordonnances de protection délivrées entre 2019 et 2021. À cela s'ajoutent les travaux conduits par le Cnop. Avis défavorable.

L'amendement CL20 demande un rapport sur l'accès des victimes aux avocats en matière de violences intrafamiliales. Vous le dites vous-même, il existe déjà des rapports sur le sujet, notamment celui du CNOP ou celui que j'ai rédigé avec Mme Vérien. Je ne crois pas nécessaire d'en rajouter. Avis défavorable.

L'amendement CL21 demande un rapport sur les ordonnances de protection et sur les ordonnances provisoires de protection immédiate. Votre demande est satisfaite car le Cnop, dédié au suivi de l'ordonnance de protection, formule régulièrement des recommandations. Avis défavorable.

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Il existe en effet des rapports sur l'intervention des avocats et il n'est peut-être pas utile d'en rajouter. Mais encore faudrait-il qu'ils soient suivis d'effet. Au barreau de Saint-Pierre de La Réunion, par exemple, il faut six mois pour obtenir l'aide juridictionnelle. Une victime met donc six mois à obtenir l'aide qui va lui permettre d'engager la procédure, délai bien trop long au regard de l'urgence et du risque auquel elle fait face. La situation s'est dégradée car, il y a encore un an, la décision d'aide juridictionnelle intervenait en quinze jours.

L'amendement CL16 est retiré.

La commission rejette successivement les amendements CL20 et CL21.

Article 3 (art. 711-1 du code pénal) : Adaptations outre-mer

La commission adopte l'article 3 non modifié.

Titre

Amendement rédactionnel CL30 de la rapporteure, amendement CL18 de M. Andy Kerbrat (discussion commune)

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L'amendement CL18 vise à modifier le titre. Il s'agit de le rendre plus conforme à l'objet réel du texte – allonger la durée de l'ordonnance de protection mais surtout renforcer cette dernière – et aux amendements déposés par notre groupe. Cet amendement nous a été suggéré par des avocats.

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Vous souhaitez modifier le titre dans un sens qui ne correspond pas à ce que nous souhaitons faire. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission adopte d'amendement CL30.

En conséquence, l'amendement CL18 tombe.

La commission adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.

La séance est levée à 20 heures 30.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Erwan Balanant, Mme Pascale Bordes, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Jean-François Coulomme, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Sacha Houlié, Mme Emeline K/Bidi, M. Andy Kerbrat, M. Antoine Léaument, M. Benjamin Lucas, M. Didier Paris, M. Emmanuel Pellerin, M. Jean-Pierre Pont, M. Philippe Pradal, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Cécile Untermaier, M. David Valence, Mme Caroline Yadan

Excusés. - M. Ian Boucard, M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, Mme Marie Guévenoux, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Didier Lemaire, Mme Marie-France Lorho, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Thomas Portes, M. Jean Terlier

Assistaient également à la réunion. - Mme Christine Arrighi, M. Alexis Jolly, Mme Pascale Martin