La réunion

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La séance est ouverte à quinze heures.

La commission auditionne M. Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+.

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Mes chers collègues, nous reprenons les auditions de la commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre (TNT). Nous tiendrons deux auditions et non trois, celle de Reporters sans frontières (RSF) étant reportée en raison de l'état de santé de Christophe Deloire, auquel nous souhaitons un prompt rétablissement.

Nous souhaitons la bienvenue à M. Vincent Bolloré.

Monsieur Bolloré, votre parcours de capitaine d'industrie, notamment au sein des médias, est connu. Dans les années 1990, vous vous êtes intéressé à TF1. En 2001, vous avez repris la Société française de production (SFP). En ce qui concerne notre sujet, je rappellerai que vous êtes en un acteur depuis 2005. Vous participez au lancement de la TNT en 2005 en créant, au sein du groupe Bolloré, la chaîne Direct 8, devenue C8. En 2010, ce groupe rachète au groupe Lagardère la chaîne Virgin 17, devenue CStar.

En 2012, après la revente de ces deux chaînes au groupe Canal+ via un échange d'actions, vous devenez le premier actionnaire de Vivendi dont vous présidez le conseil de surveillance à partir de 2014, puis, en 2015, celui de Canal+, société qui détient sept autorisations d'émettre sur la TNT, utilisées par des chaînes payantes et par des chaînes gratuites.

Si vous avez abandonné ces fonctions exécutives, vous êtes toujours conseiller du président du directoire de Vivendi, M. Arnaud de Puyfontaine, et vous contrôlez le groupe Vivendi via plusieurs sociétés holding – le groupe Bolloré détient 29,5 % de vivendi. Un projet de scission du groupe Vivendi a été annoncé ; le devenir du groupe Canal+, détenue à 100 % par ce groupe, fera sans doute l'objet de questions.

Monsieur le président, je vous remercie d'avoir pris le temps de répondre à notre invitation. Votre nom a été souvent cité lors de nos auditions. Il nous a semblé important de vous interroger directement et de vous offrir la possibilité de répondre aux propos tenus devant nous, d'autant que la plupart ont été présentés comme rapportés.

Je vous laisserai la parole pour une intervention liminaire de dix minutes au plus, à l'issue de laquelle je vous poserai des questions, avant de céder la parole à M. le rapporteur, puis aux autres membres de la commission d'enquête. Comme l'a décidé le bureau, cette audition durera deux heures. Elle s'achèvera donc un peu après dix-sept heures.

Les règles applicables aux interventions des députés sont celles qui ont été décidées par le bureau et appliquées dans les précédentes auditions. Chaque député membre de la commission d'enquête dispose de trois minutes, fractionnables en deux parties s'il le souhaite. Les autres députés disposent chacun de deux minutes, également fractionnables en deux parties.

Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Dans un souci de transparence, j'invite chaque orateur à rappeler, en début d'intervention, toute éventuelle activité passée dans l'audiovisuel public ou privé.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Vincent Bolloré prête serment.)

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Je réponds naturellement à votre invitation et comprends qu'il me faut donner les grandes lignes de mon parcours.

J'ai eu la chance de naître dans une famille catholique, bretonne, riche et célèbre. Elle était riche d'argent, grâce à la vente du papier à cigarettes OCB, qui était extraordinairement connu – « Si vous les aimez bien roulées, OCB », disait la publicité – et rentable. Elle était aussi riche de tendresse. C'était une famille nombreuse. Nous étions – nous sommes toujours – très heureux ensemble.

Certains de ses membres étaient célèbres, parce qu'ils avaient fait une guerre admirable. Le 6 juin 1944, dont nous allons bientôt fêter le quatre-vingtième anniversaire, deux des 177 Français qui ont débarqué – le général de Gaulle, prévenu l'avant-veille, avait exigé la participation de troupes françaises – étaient de ma famille. Mon père était résistant, ainsi que certains de mes oncles, tandis que d'autres étaient à Londres ou dans l'escadrille Normandie-Niemen. En les écoutant, sur la terrasse en Bretagne, raconter leurs souvenirs, nous étions heureux.

Je n'avais donc plutôt rien à faire dans ma vie, la reprise de la papeterie étant assurée par René-Guillaume, fils de René. Moi qui étais le cinquième fils de Michel, je n'étais destiné à rien, sinon à avoir assez d'argent pour ne pas faire grand-chose, ce qui, sincèrement, était tout à fait dans mes cordes. J'ai donc passé dix ans dans la banque, tranquillement, après des études convenables, jusqu'au doctorat de droit, et j'étais très heureux.

Malheureusement, face aux difficultés de l'entreprise, il a fallu que quelqu'un s'y colle. Le papier à rouler ne trouvait plus preneur. Notre grande spécialité était le papier carbone, un papier noir – dont certains se souviennent – servant à dupliquer les documents, était rendu inutile par l'apparition de la photocopieuse. L'entreprise employait 800 personnes. Personne ne voulait prendre le risque social d'aller dans cette affaire, qui était très endettée.

J'y suis allé et j'y ai passé quarante ans, de 1981 à 2022. À mon arrivée, nous étions 800 ; à mon départ, 80 000. Disons que les choses ont plutôt bien marché. Nous faisons partie des 500 premiers groupes mondiaux. Grâce à cette période de ma vie, j'ai contribué ou participé à plusieurs aventures industrielles fortes.

Nous sommes passés du papier carbone, dont j'ai arrêté la production, aux sachets à thé, alors en tissu. Il s'est avéré que le papier présente les qualités mécaniques nécessaires pour résister à la traction de la cuillère et à l'eau bouillante. Nous sommes devenus numéro un mondial des sachets à thé. Puis nous nous sommes lancés dans les films pour condensateur, dont nous sommes toujours le numéro un mondial. Ce sont de petits composants qui équipent notamment vos appareils photo et vos voitures.

Ensuite, nous sommes devenus l'un des cinq premiers groupes mondiaux dans les transports. Nous avons investi, créé des filières, embauché des gens, construit des hangars et développé des lignes logistiques. Nous avons continué ainsi dans divers secteurs, car je pensais qu'être un groupe diversifié permettait de réduire les risques. En ne mettant pas tous ses œufs dans le même panier, on a plus de chance de s'en sortir. J'avais été un peu traumatisé par le contraste entre ma jeunesse très sympathique, agréable, et ce moment où tout a failli basculer.

Le groupe s'est bien développé. Il s'est lancé dans les médias il y a un peu plus de vingt ans pour deux raisons. La première est que mon deuxième fils, Yannick, ne voulait pas travailler dans le groupe, car aucun de ses secteurs d'activité ne l'intéressait. Il était parti dans le cinéma. J'ai pensé qu'en me lançant dans les médias, avec Philippe Labro, je pourrais l'y faire venir, et j'y suis en effet parvenu. La seconde raison est plus triviale. Contrairement à ce que les gens imaginent, le secteur des médias est le deuxième secteur d'activité le plus rentable au monde, après le luxe. Ainsi, pour des raisons relevant à la fois de l'intime et de l'attrait du gain, nous nous sommes lancés dans les médias.

Au début, personne n'y croyait. Nous avons commencé par une petite chaîne de la TNT, dans laquelle personne ne voulait investir. Les grands groupes, Canal+ compris, n'en voyaient pas l'intérêt. Notre groupe est devenu le premier groupe audiovisuel non seulement français mais aussi européen. Il fera sans doute partie des grands groupes mondiaux ; il diffusera l'image de la France et les contenus européens dans le monde. Notre conviction est la suivante : entre les contenus américains, formidables mais un peu répétitifs – de Spider Man 1, 2 et 3 à Batman 1, 2 et 3 –, et les contenus asiatiques un peu plus compliqués à comprendre, il y a sans doute une culture intéressante à mettre en avant. Jusqu'à présent, elle a du succès.

Le 17 février 2022, date du bicentenaire du groupe Bolloré, j'ai pris ma retraite. Je l'avais prévu à mon arrivée, quarante ans plus tôt. On me disait : « Vous ne resterez pas longtemps. Vous venez de la banque, vous allez repartir ». J'ai promis de rester jusqu'au bicentenaire du groupe. Pour être franc, il m'est arrivé de trouver le temps long, mais en fin de compte l'échéance est arrivée assez rapidement. J'ai cédé mes fonctions opérationnelles à mes successeurs, qui dirigent admirablement puisque le groupe, depuis que je suis parti, marche encore mieux. Je me réjouis d'avoir nommé les bonnes personnes aux bons endroits.

Je conserve un rôle de conseil, mais j'y passe peu de temps, m'étant lancé dans la philanthropie. Les Anglais disent qu'il y a trois périodes dans la vie : learning, celle où l'on apprend ; earning, celle où l'on construit ; giving, celle où l'on rend. J'ai beaucoup reçu. Je suis né avec une cuillère en argent dans la bouche. Ce que j'ai fait, je l'ai fait non par choix, mais par nécessité.

J'avais créé la Fondation de la 2ème chance, que dirige ma fille Marie, et qui a aidé près de 9 000 personnes en un peu plus de vingt ans, grâce à plus de 1 000 bénévoles ayant accepté d'être parrain ou marraine de gens en difficulté. Pour les aider, nous avons construit des cliniques et des foyers. Nous lançons une association sur nos fonds personnels, Mayday, qui a pour objet d'aider les personnes en difficulté.

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Merci de ces premières indications.

Avant que nous n'en venions aux questions des députés, je rappelle que la présente commission d'enquête a pour objet l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur TNT. Seules les questions portant sur ce sujet ont leur place dans cette enceinte.

Monsieur le président, vous avez dit que le secteur des médias est le deuxième secteur d'activité le plus rentable au monde après le luxe. Or les trois chaînes gratuites du groupe Canal+ représentent 3 % du chiffre d'affaires des chaînes gratuites et 5 % du marché publicitaire. Leur résultat net, même s'il progresse, est nettement négatif, à hauteur de 47,6 millions. Pourquoi ne sont-elles pas rentables ?

Plus généralement, vous avez été l'un des premiers à croire en la TNT, au moment où elle suscitait le doute. Pourquoi ? Comment voyez-vous l'avenir de la TNT et la place du groupe Canal+ en son sein ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

La réussite de Canal+ est incontestable, comme le montre le nombre de ses abonnés, qui est supérieur à 25 millions et atteindra prochainement 50 millions, et surtout ses résultats – un profit de près d'un demi-milliard a été annoncé pour l'exercice 2023 et il sera supérieur pour l'exercice 2024. Par sa taille, par le nombre de ses salariés et par ses développements, Canal+ est le premier groupe européen, en passe de devenir un grand groupe mondial. Le groupe Canal+ dans son ensemble – c'est ce qui m'intéresse et intéresse nos actionnaires – est un succès formidable.

À l'intérieur de Canal+, vous avez du gratuit et du payant. Lorsque je suis arrivé dans le groupe, ses chaînes payantes diffusaient chaque jour six heures d'émission en clair, donc gratuites. Si vous payez un abonnement à 20 ou 25 euros, avoir le meilleur du sport, des films et du reste est peut-être formidable, mais si vous voyez par la fenêtre votre voisin y avoir aussi accès sans payer, il y a un petit problème. Les dirigeants de Canal+ ont donc pratiquement supprimé la diffusion en clair, qui coûtait beaucoup d'argent – c'était l'époque du « Grand Journal » et des « Guignols », sur laquelle certains de mes amis ici présents reviendront certainement.

Canal+ s'est alors lancé dans la diffusion de chaînes gratuites. C'est à cette occasion que j'y suis entré. Lors de l'un de mes « dîners bretons », Bertrand Méheut m'a proposé d'acheter Direct 8. J'étais d'autant moins vendeur que mon fils s'en occupait, mais j'ai fini par l'intégrer dans Vivendi, ce qui m'a permis d'en gravir les échelons, de stagiaire à président du conseil de surveillance.

Lorsque je me suis lancé dans la TNT, le pari pouvait sembler un peu fou. À l'époque, personne n'y croyait, à raison. Les téléviseurs ne la recevaient pas, à moins d'acheter un énorme appareil qu'il fallait poser dessus. Il a fallu attendre cinq ou six ans avant que les téléviseurs ne soient compatibles avec la TNT. Celle-ci n'en était pas moins un progrès formidable, grâce auquel les Français avaient accès à vingt chaînes gratuites. Lorsque je revenais des États-Unis, je racontais à mes enfants qu'on y avait le choix, chaque soir, entre douze films, quatre séries et cinq émissions de variétés, tandis que la France n'avait que six chaînes.

La TNT offrait des potentialités importantes. Avec Philippe Labro, que j'avais rencontré lorsqu'il travaillait à RTL et avec lequel j'avais toujours dit que je ferais de la télévision, nous avons décidé de les saisir. Nous avons commencé avec Jean-Christophe Thiery, un haut fonctionnaire de la direction générale des finances publiques que nous avons débauché. Nous avons transformé un étage de notre tour en studio. Sur Direct 8, tout était en direct et tout pouvait arriver – ce concept nous semblait de nature à intéresser les gens. Après un certain temps, nous sommes devenus la première chaîne de la TNT.

Quant à CNews, elle perdait de l'argent à son lancement et en perd toujours, mais elle s'est fait une place. Depuis trois mois, elle est régulièrement devant BFM TV, laquelle, dit-on, gagne beaucoup d'argent. CNews sera à l'équilibre non pas dans plusieurs années, comme vous l'ont dit les gens de mon équipe, mais assez rapidement. Dans la télévision gratuite, les choses sont simples : tout est fonction de l'audience. Plus elle est importante, plus les publicitaires paient. Dès lors que C8 est devenue la première chaîne de la TNT et CNews la première chaîne d'info, je ne doute pas qu'elles gagneront de l'argent.

Les équipes de Canal+, dont j'ai suivi l'audition, sont extraordinairement attachées aux chaînes gratuites, qui sont un pilier interne du groupe. Chaînes gratuites et chaînes payantes forment un tout, qui soutient le cinéma, la production de séries et une grande part du sport français, ainsi que de nombreuses émissions de variétés et de nombreux documentaires. Canal+ est un énorme soutien de la création française.

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L'évocation des auditions des chaînes du groupe Canal+ me permet de clarifier un point à l'attention de ceux qui suivent nos travaux – tant mieux si les travaux parlementaires sont largement suivis ! Si nous avons fait le choix d'auditionner toutes les chaînes du groupe Canal+, c'est parce que nous avions auditionné tous les éditeurs de contenus et toutes les autres chaînes. Anticipant, à juste titre, l'émotion que susciterait l'audition des chaînes du groupe Canal+, nous nous sommes assurés de pouvoir travailler correctement avec les autres, sur des sujets qu'il était légitime d'aborder avec elles.

Au cours de nos travaux, plusieurs personnes – j'en citerai deux, Jean-Baptiste Rivoire et Rodolphe Belmer – nous ont fait part d'une forme d'intervention de votre part, lorsque vous exerciez des fonctions exécutives, sur les contenus. M. Belmer a parlé de « micro-management ». Certaines de ces personnes n'ont pas eu de contact avec vous, et nous ont livré des interprétations ou des propos rapportés. Il nous semble important que vous précisiez à la commission d'enquête quelle était votre façon de fonctionner, le mode de management que vous avez adopté et la liberté que vous laissiez aux journalistes dans les diverses activités que vous avez exercées au sein du groupe.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Lorsque Philippe Labro, Jean-Christophe Thiery et moi-même avons lancé Direct 8, je m'occupais de tout, parce que nous partions de zéro et ne pouvions faire autrement.

La période Canal+ est plus complexe. Lorsque je suis devenu président du conseil de surveillance de Vivendi, nous avions à peine 10 % du capital. Nous étions très minoritaires, aux côtés de nombreux actionnaires très majoritaires. Au sein de Vivendi, Canal+ posait problème. Comme vous l'a rappelé Maxime Saada, lorsque j'y suis arrivé, la chaîne essuyait des pertes de 460 millions – 400 sur le payant et 60 sur le clair – sur le marché français. Personne chez Vivendi n'osait s'aventurer chez Canal : Jean-Marie Messier, qui était le prédécesseur de mon prédécesseur, avait été jeté dehors, certes avec tout ce qu'il fallait, pour avoir essayé de changer l'équipe de Canal+ qui dépensait beaucoup.

Or, tout actionnaire minoritaire que j'étais, je regardais ce qui se faisait. J'ai moi-même des actionnaires qui en font autant. Alberto, un restaurateur italien qui travaille avec sa femme et des amis siciliens de six heures du matin à vingt-trois heures, a mis tout son argent dans des titres Vivendi-Bolloré. Si le titre baisse, je plonge dans le menu des pizzas. J'étais donc tenu, en vertu de l'obligation fiduciaire, de faire en sorte que les choses se redressent.

Dès lors, à mon arrivée chez Canal+, je n'ai pas l'impression d'avoir fait du micro-management. J'ai au contraire tout repris en main. La fermeture de la diffusion en clair a été un moment extraordinairement terrifiant. Le Monde a consacré trois ou quatre unes à l'arrêt des « Guignols », du « Grand Journal » et de la couverture du Festival de Cannes. Malheureusement, il fallait que quelqu'un fixe un cap. J'étais le seul à pouvoir le faire, ne risquant pas d'être renvoyé, ce qui au demeurant ne m'aurait pas posé de gros problèmes sociaux.

J'ai fixé un cap et nommé les équipes, en les renouvelant assez largement. Leur compétence n'était pas en cause : ils n'avaient pas envie de changer de train de vie. Dans ma famille dont j'ai rappelé qu'elle était très riche, lorsqu'il a fallu décider de vendre les belles voitures et les bateaux avec lesquels nous faisions de la voile le week-end et de faire les choses autrement, cela n'a pas plu du tout. Chez Canal+, c'était pareil.

Sur les contenus, on me ressert indéfiniment, depuis près de dix ans, la même tarte à la crème : l'histoire du documentaire sur le Crédit mutuel, en l'expliquant par le fait que cette banque me finance. Elle ne me finance pas plus que les quinze autres grandes banques françaises, notamment les cinq principales. Maxime Saada, que vous avez auditionné il y a deux semaines et qui l'a été il y a deux ans au Sénat et il y a six ans à l'Assemblée nationale, a toujours dit qu'il est seul chargé des programmes et que je ne lui ai rien demandé.

Toutes ces tartes à la crème sont mises en avant parce que, lorsque vous mettez fin à une fête, les gens disent non pas « C'est affreux, on arrête la fête ! », mais « Il se mêle de tout ! », « Il est d'extrême-droite ! », « C'est un type affreux ! » et d'autres accusations que chacun connaît. Je ne suis jamais intervenu dans le choix des contenus diffusé par le groupe Canal+, d'autant que je n'en avais pas le temps. Nous avons une vingtaine de chaînes offrant le meilleur des films, des séries et du reste, ce qui au demeurant n'est pas cher payé ; aucun patron, si interventionniste soit-il, n'est capable de s'en mêler.

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Vous faites bien d'évoquer le documentaire sur le Crédit mutuel, évoqué par M. Rivoire.

Permettez-moi de vous poser une question un peu abrupte, qui permettra de clarifier une idée, qui est pour certaines personnes une peur ou un fantasme : êtes-vous le grand organisateur d'un grand projet idéologique et politique, comme certains se plaisent à l'écrire, le dire ou le chuchoter ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

J'ai des convictions, dont je vous parlerai peut-être.

Les contenus du groupe Canal+ n'ont qu'un objectif : servir ses abonnés et ses téléspectateurs. Au demeurant, s'ils servaient à autre chose, le groupe ne connaîtrait pas le succès, qu'il doit au seul fait d'être le meilleur. CNews est un succès parce que CNews raconte la vérité, reçoit tout le monde, du moins ceux qui le souhaitent, et offre un espace de liberté.

Je crois savoir que vous auditionnerez Cyril Hanouna demain. Vous lui demanderez pourquoi il rassemble chaque soir sur C8 plus de 2 millions de téléspectateurs, jeunes pour la plupart, qui ont envie de regarder ce qu'il propose. Y a-t-il de l'idéologie là-dedans ? Je n'en suis pas sûr. Il y a une liberté et une joie.

Souvent, les gens rentrent chez eux fatigués. La vie en France, aujourd'hui, est peut-être moins facile que ce qu'elle était avant. Je crois que les gens sont contents d'allumer la télé le soir. Ceux qui peuvent s'offrir le payant ont Canal+ et beaucoup de distractions possibles ; ceux qui ont moins ou pas de moyens peuvent regarder des chaînes gratuites. Nos chaînes sont devenues ce qu'elles sont en étant en concurrence avec des costauds, notamment les chaînes du service public, auxquelles l'État apporte 4 milliards chaque année, et TF1, qui était numéro un depuis plus de trente ans.

Le groupe Canal+ se développe à l'international. Là est la question que vous devez vous poser en tant qu'élus de la nation : le groupe Canal+ est-il capable de porter l'image de la culture française – pour ma part, je crois qu'il y a une culture française – à l'international, comme il en a l'ambition ?

Vous devriez y voir un champion national. Je le dis d'autant plus facilement que je ne m'en occupe plus. La vraie question est de savoir si vous avez envie d'avoir, comme l'Allemagne a Bertelsmann et l'Amérique Disney, un grand champion, qui aide notamment le cinéma, les dessins animés, les documentaires et la création.

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J'aurais aimé vous interroger sur la stratégie du groupe Canal+ à l'international, mais le temps nous manque, et nous avons eu l'occasion d'aborder ce sujet lors de l'audition de M. Saada, ainsi que dans le cadre de la mission d'information sur l'audiovisuel public présidée par Jean-Jacques Gaultier.

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Monsieur Bolloré, je vous remercie de votre propos liminaire et de vos premières réponses. Je rappelle que l'objet de la commission d'enquête est de vérifier l'attribution des autorisations d'émettre sur la TNT, notamment les critères retenus, le respect des obligations et des conventions par les chaînes, et les éventuelles sanctions de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Nous allons donc traiter de ces sujets.

D'abord, j'aimerais m'assurer, même si je n'en doute pas, que quelqu'un qui est dans votre position s'entoure des meilleurs, à tout le moins des personnes les plus compétentes.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

J'ignore s'ils sont les meilleurs, mais ils sont les meilleurs que j'ai trouvés. J'ai indiqué avoir eu une jeunesse paresseuse, ce qui amène à développer, lorsqu'il faut aller travailler, un sixième sens permettant de trouver la personne qui va aller travailler à votre place.

En arrivant chez Canal+, j'ai trouvé Maxime Saada, parmi une quarantaine de personnes. Pour faire d'Universal Music le numéro un mondial, j'ai trouvé Lucian Grainge parmi un certain nombre de personnes. J'essaie de trouver les meilleurs. Y a-t-il meilleur ailleurs ? Je n'en sais rien. Le meilleur peut-il devenir mauvais ? C'est possible. Un mauvais peut-il devenir meilleur ? Sûrement.

Nous n'avons pas que des meilleurs. Dans un orchestre, en général, vous n'avez pas cinquante cadors. Si vous en avez quelques-uns et que vous réussissez à les faire travailler ensemble, c'est déjà bien.

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En partant du principe que vous faites appel à des gens compétents, je m'interroge par exemple sur la décision rendue par le tribunal de commerce de Paris en mars 2019 dans une procédure que vous avez ouverte contre M. Tristan Waleckx, auteur d'un reportage diffusé dans « Complément d'enquête ». La décision du tribunal est la suivante : « La société Bolloré SA ne pouvait ignorer que la présente action […] ne pouvait ressortir de la compétence du tribunal de commerce ».

Dans la mesure où vous faites appel à quelqu'un de compétent, je me demande pourquoi vous avez intenté une telle action. Votre avocat était-il incompétent ? Sinon, vous obéissait-il ? Visiez-vous d'autres buts ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Le clou du reportage auquel vous faites allusion était l'interview, dans une plantation au Cameroun, d'un jeune garçon noir affirmant qu'il a 14 ans alors qu'il en a 18 je crois, peu importe. Le journaliste lui fait observer qu'il a un gant troué et il répond : « M. Bolloré, il veut pas payer les gants ». Or je n'ai jamais été propriétaire de cette plantation au Cameroun. Je n'y suis jamais allé.

Nous étions donc attaqués. Il ne s'agit pas d'un problème d'amour-propre, mais d'image auprès de nos clients et de nos salariés. Or c'est devant un tribunal de commerce que les chances d'obtenir une indemnité correspondant au préjudice subi sont les plus élevées. Pour nous, il ne s'agissait pas de faire constater la diffamation, mais de réparer les coûts d'image subis. C'est pourquoi nos responsables ont porté l'affaire devant le tribunal de commerce.

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Je connais le dossier. Ce que je me demande, c'est pourquoi vous avez décidé, avec un avocat compétent, d'entamer une procédure qui ne relevait manifestement pas de la compétence du tribunal de commerce. Je cite l'arrêt rendu par ce dernier : « La société Bolloré SA ne pouvait ignorer que la présente action […] ne pouvait ressortir de la compétence du tribunal de commerce […] ». De fait, il s'agissait d'un délit de presse, qui relève d'une autre juridiction. Cette observation n'appelle pas de réponse.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Si, elle appelle une réponse. J'ai fait six ou sept années de droit, et même si je travaillais en même temps, je suivais un peu les cours. Si vous voulez simplement faire reconnaître votre bonne foi, vous pouvez choisir d'aller devant un tribunal judiciaire, mais si vous estimez que votre entreprise a subi un préjudice, c'est devant le tribunal de commerce que vous avez une chance d'obtenir des dommages et intérêts au titre des articles 1382 et suivants du code civil, dans leur ancienne rédaction.

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Vous avez été condamné pour procédure abusive, ce qui est extrêmement rare. J'en tire la conclusion que votre avocat n'a fait que vous obéir – puisqu'il est compétent en droit, il aurait sans doute pris une autre décision.

La question de l'obéissance et de la loyauté est en réalité centrale. M. Stéphane Guy a été licencié pour défaut de loyauté. Envers qui a-t-il été déloyal ?

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Monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous préciser qui est Stéphane Guy et par quelle société il était employé ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Puisque je suis ici pour défendre le groupe, j'aimerais souligner que notre avocat est très bon. Il peut lui arriver de perdre des procès mais il en a aussi gagné dans plein d'autres domaines.

Pardonnez-moi, monsieur le rapporteur, mais pouvez-vous me rappeler qui est Stéphane Guy ?

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Ce monsieur a soutenu un certain Sébastien Thoen, que vous devez mieux connaître et qui avait lui-même été licencié. Par la suite, Stéphane Guy a lui aussi été licencié, pour déloyauté.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Je crois honnêtement que je n'ai jamais rencontré Stéphane Guy de ma vie. Demandez-lui ! Je ne le connais pas.

Quant à Sébastien Thoen, il me semble que je ne l'ai vu qu'une fois. On m'avait demandé de faire un show à l'Olympia devant tout le personnel de Canal+, auquel je devais me présenter puisque j'arrivais avec une réputation d'Attila. Je crois que Sébastien Thoen m'a salué à la sortie mais je n'ai jamais parlé avec lui. Je ne le connais donc pas et je ne suis pour rien dans ce que vous évoquez.

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L'ennui, c'est que des témoignages attestent qu'après avoir été licencié pour un sketch, M. Thoen a reçu un SMS de Maxime Saada avec cette explication : « décision de l'actionnaire ». Vous êtes l'actionnaire, je suppose ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

L'actionnaire, c'est Alberto, dont je vous ai parlé tout à l'heure… Je plaisante.

Je n'ai jamais rencontré ce monsieur, je ne sais pas ce qu'il a fait, je n'ai jamais vu ce dont vous parlez. Je suis désolé pour ce garçon, j'espère que tout va pour lui, mais je dirigeais alors un groupe de 80 000 personnes et je ne suis absolument pas responsable de tout ce qui s'y est passé. En politique, vous êtes responsables de ce que vous dites puisque c'est ce que vous faites toute la journée, mais quand vous êtes à la tête d'un grand groupe, français ou étranger, vous ne pouvez gérer que les six ou sept personnes qui dépendent de vous. Je peux donc vous parler de mes relations avec les six ou sept personnes qui dépendaient de moi à l'époque, mais je ne connais malheureusement pas celles dont vous me parlez. Je le répète, je suis désolé pour elles.

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Revenons sur l'éviction de l'une des personnes qui dépendaient de vous – peut-être pas totalement –, M. Belmer. Lui-même a considéré que son départ était dû à une situation de « micro-management ». Confirmez-vous qu'il a pris la décision de partir ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Peut-être avait-il pris, dans sa tête, la décision de partir, mais il a été révoqué par le conseil de surveillance ; du reste, nous avons signé avec lui un accord reprenant les mêmes termes. J'ai sous les yeux une copie du procès-verbal de la réunion du 3 juillet 2015, au cours de laquelle la décision a été prise : le président du conseil de surveillance était Arnaud de Puyfontaine, les autres participants étaient Hervé Philippe, Éric Bayle, Vincent Bolloré, Frédéric Crépin, Simon Gillham, Stéphane Roussel, Vincent Vallejo, Bertrand Meheut, Maxime Saada, Grégoire Castaing et Édouard de Chavagnac. Rodolphe Belmer a été révoqué à l'unanimité, non parce qu'il était un mauvais garçon ou qu'il avait fait de mauvaises choses, mais pour les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure.

Comme toute l'équipe de Canal+, Rodolphe Belmer n'avait aucune envie de changer de train de vie. Vous êtes tous très jeunes et n'avez donc pas connu le Canal+ de cette époque où les dirigeants étaient des seigneurs. C'était extraordinaire ! À l'occasion du Festival de Cannes, 300 personnes étaient logées pendant quinze jours dans des hôtels pour un coût avoisinant 50 000 euros par semaine. Le champagne coulait à flots. Ces gens-là allaient ensuite au rallye de Monaco, puis à Wimbledon, avant de couvrir les élections américaines depuis Washington, et ils invitaient beaucoup de monde. Quand nous sommes arrivés, nous avons fait 400 millions d'économies, ce qui nous a valu une réputation atroce. J'étais le sale type, mais c'est à cela que je sers, au fond : je suis le paratonnerre, le bouc émissaire. On n'a pas dit que j'avais arrêté la fête, mais que j'étais un type affreux. Je lis de temps en temps mes aventures dans des lettres où je suis décrit comme Attila, ce que je trouve d'ailleurs inquiétant du point de vue psychologique.

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À l'époque de la reprise, vous aviez annoncé vouloir investir 2 milliards d'euros dans Canal+. Est-ce ce que vous avez fait ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Nous avons même investi beaucoup plus. Pour vous donner un exemple, nous sommes en train d'acheter une entreprise d'une valeur de 2,9 milliards. Il y a quelques mois, nous sommes entrés au capital d'une entreprise valant 1 milliard. Nous dépensons énormément d'argent : Canal+ est le premier soutien du sport et du cinéma. Nous dépensons chaque année quelque 3 milliards d'euros de contenus – il faudra redemander les chiffres à Maxime Saada –, 500 millions pour des films, dont 300 millions en France et 200 millions pour des films dont le tournage n'a même pas commencé. Je ne veux pas dire de bêtise, mais nous avons peut-être investi 4 milliards – en tout cas, beaucoup plus que les 2 milliards que vous évoquez.

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Combien de personnes ont quitté le groupe Canal+ ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Des gens sont partis, d'autres sont arrivés, et les seconds sont heureusement bien plus nombreux que les premiers.

Je n'en veux pas à ceux qui sont partis : ils étaient habitués à vivre dans le luxe et n'avaient aucune envie de changer les choses. J'aimerais d'ailleurs corriger ce que j'ai dit tout à l'heure : c'était la fête à Canal+, mais 95 % des employés du groupe avaient des petits salaires et travaillaient avec ardeur. Je ne parlais que du haut du panier, de ceux qui sont finalement partis et ont été remplacés par d'autres, beaucoup plus économes.

Dans les entreprises, on est malheureusement toujours rattrapé par les questions d'argent. Lorsque vous avez fait votre bilan, votre comptable vous reproche de dépenser trop d'argent et votre banquier – le Crédit mutuel ou d'autres – vous dit qu'il ne peut pas vous prêter indéfiniment. Il a fallu mettre un terme à tout cela, et certains de ceux qui avaient vécu dans la richesse sont partis. Autres temps, autres mœurs !

Est alors arrivé le groupe BeIN, dont on disait qu'il ne pourrait traiter indéfiniment à perte et que les actionnaires ne pourraient réinjecter de l'argent tout le temps. Or ce groupe est toujours là, très riche, ce dont nous nous réjouissons d'autant plus que nous sommes désormais associés avec lui. On disait aussi, à l'époque, que Netflix allait faire faillite, mais l'entreprise vaut aujourd'hui 200 milliards. Canal+ s'est adapté à cette nouvelle situation. Nous avons eu le courage de tout changer : le groupe, qui emploie 1 000 ingénieurs, a notamment créé la plateforme MyCanal et est devenu extrêmement rentable.

Ce n'est pas moi qui ai fait tout cela – j'en aurais été bien incapable –, mais les gens que j'ai choisis et qui ont travaillé pour moi. Il n'empêche que je sers de bouc émissaire à chaque fois que quelqu'un est renvoyé. Vous parliez tout à l'heure de M. Rivoire : je l'ai vu dix ou vingt secondes dans ma vie, lorsque je visitais les bureaux de Canal+. Alors que je passais la tête dans le bureau où il se trouvait, il m'a dit, si je me souviens bien, qu'il travaillait sur les investigations et qu'il allait en réaliser une sur moi ; je lui ai répondu que c'était une très bonne idée, puis je suis reparti et je ne l'ai jamais revu. Il ne manque pourtant pas une occasion de parler de moi, parce que c'est plus vendeur. Tout à l'heure, lorsque je me suis installé dans cette salle, quarante photographes se sont précipités : est-ce grâce à vous, ou à cause de vous ?

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Le rapporteur et moi-même avons bien compris que les photographes n'étaient pas là pour nous, mais nous ne désespérons pas d'attirer leur attention un jour pour une autre raison…

Vous corroborez les propos de M. Rivoire : vous ne vous êtes vus qu'une seule fois, pendant dix secondes. Vous souvenez-vous du nombre de départs du groupe ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Certaines personnes sont parties naturellement. Maxime Saada, qui a élaboré le plan de départs volontaires, vous l'a raconté : certains salariés ont profité de l'occasion qui leur était donnée pour toucher de l'argent et aller faire autre chose ailleurs. Il y a peut-être eu 100 départs forcés, mais les entrées ont été bien plus nombreuses, puisque le groupe Canal+ compte aujourd'hui 2 000 ou 3 000 personnes de plus qu'à mon arrivée.

Ce n'est pas que j'aie envie d'attirer les photographes – depuis dix ans, je ne réponds à aucun journaliste –, mais vous m'avez convoqué et j'ai été obligé de venir devant vous, sinon vous m'auriez amené ici de force. Cela donne l'impression que je suis important, alors que je ne suis plus rien aujourd'hui dans ce groupe. Il est vrai que je suis l'actionnaire ultime – j'ai donné mes actions mais conservé mes droits de vote, on ne sait jamais… –, mais je ne devrais pas être ici. En arrivant en voiture, j'entendais sur France Info que Vincent Bolloré allait être auditionné à quinze heures : cela donne envie d'écouter ce qu'il va dire ! Mais comme je vous le disais tout à l'heure, c'est un peu effrayant d'être présenté comme Attila…

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Vous êtes effectivement ici à notre demande. Nous allons essayer d'avoir des questions et réponses du tac au tac, dans le temps limité que nous nous sommes fixé.

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J'ai bien compris que vous n'étiez qu'un paratonnerre, mais vous avez vous-même revendiqué plus d'une fois l'utilisation de la terreur. Vous avez dit qu'elle faisait bouger les gens. J'ai en mémoire une autre phrase, que vous avez prononcée en septembre 2015 et que je citerai en entier pour être très honnête : « Je pense que “Les Guignols”, au-delà de la partie rigolote de l'été où je tue “Les Guignols” comme on a tué les pauvres journalistes de Charlie, je pense que “Les Guignols” méritent au contraire un autre avenir. » S'agissant du plan de départs volontaires que vous avez évoqué, une multitude de témoignages que je ne peux citer ici corrobore l'idée qu'il régnait une forme de terreur dans les entreprises et que les départs étaient en réalité moyennement volontaires – l'ambiance était telle que les employés se sont sentis poussés vers la sortie.

Avez-vous déjà été à l'origine d'une ou plusieurs émissions sur vos chaînes ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

J'aimerais réagir à votre remarque sur la terreur car les choses ne sont pas passées comme cela. Lorsque je suis arrivé dans cette maison en fête et qu'il fallait arrêter les dépenses – nous n'avions pas l'État derrière nous et c'étaient nos propres finances qui étaient mises à contribution –, une certaine panique s'est installée au sein du groupe Canal+. Lors d'un comité d'entreprise, un participant m'a dit : « Vous coupez les têtes et vous inspirez la terreur. » J'ai répondu en citant Mauriac : « La peur est le commencement de la sagesse. »

Honnêtement, je n'inspire la terreur à personne que je connais ; je ne l'inspire qu'à des gens qui ne m'ont jamais vu et qui croient un certain nombre de petites lettres me décrivant comme un type épouvantable qui fait des choses horribles. M. Deloire, le secrétaire général de Reporters sans frontières, que vous avez évoqué tout à l'heure et qui est souffrant – j'en suis désolé –, a dit : « Là où Bolloré passe, le journalisme trépasse. » Avant même que j'arrive quelque part, les gens crédules ont peur et s'en vont. C'est donc une histoire de réputation, toujours alimentée par les mêmes journaux, les mêmes lettres… Cela rejoint ce que je disais tout à l'heure : je suis un paratonnerre, un bouc émissaire. En réalité, je suis plutôt très gentil, plutôt rigolard, plutôt affable. Je me méfie de mes propres blagues. Des tas de gens avec qui je travaille depuis quarante ans sont très contents de moi. Mais Kipling disait : « Si tu peux supporter d'entendre tes paroles / Travesties par des gueux pour exciter des sots, / Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles / Sans mentir toi-même d'un mot / […] Tu seras un homme, mon fils. » Peut-être deviendrai-je un homme un jour !

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Avez-vous déjà été à l'origine d'une ou plusieurs émissions sur vos chaînes ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Directement, non…

Ce n'est pas tout à fait vrai : lorsque j'ai monté Direct 8, j'ai été à l'origine de toutes les émissions. J'ai inventé « Les Animaux de la 8 », qui marche toujours, « Voyage au bout de la nuit », où une dame lit des livres en direct, ainsi que « Boîte de N'huit ». J'ai aussi créé Thui-Thui, un animal qui, à cause de problèmes écologiques, n'allait plus pouvoir voler. En revanche, depuis que je suis arrivé à Canal+, je n'ai plus inventé aucune émission.

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Êtes-vous à l'origine de la programmation des émissions « Dieu Merci ! », sur Direct 8, et « En quête d'esprit », sur CNews ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Je ne peux que répéter ce qu'ont dit mes camarades que vous avez déjà auditionnés et que j'ai écoutés, comme vous pouvez l'imaginer. Il y a un très gros bassin judéo-chrétien en France, ce qui explique qu'une telle émission intéresse les Français – elle rencontre d'ailleurs un succès formidable. Serge Nedjar vous a raconté qu'il voulait un moment de calme, de paix et de tranquillité pendant le week-end, ce qui l'a amené à monter « En quête d'esprit ». Je regarde cette émission et je la trouve très bien, même si son contenu est un peu ardu – ce n'est pas de la vulgarisation religieuse. Serge Nedjar, Gérald-Brice Viret et Maxime Saada vous ont dit que je n'étais pas à son origine et que je ne les avais jamais – ni à l'époque de M. Belmer, ni par la suite – encouragés ou dissuadés de lancer tel ou tel programme.

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Depuis combien de temps connaissez-vous M. Aymeric Pourbaix ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Depuis pas très longtemps. Je crois que Serge Nedjar et Gérald-Brice Viret le connaissaient auparavant mais, pour ma part, je n'ai fait sa connaissance que lorsqu'il a commencé à présenter l'émission. Ce n'était pas un ami. D'ailleurs, contrairement à ce qui est dit, France catholique ne m'appartient pas à titre personnel : le magazine fait partie du groupe, au même titre que les autres.

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Participeriez-vous désormais, de près ou de loin, à la supervision de cette émission ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Non.

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Arrêtons-nous un instant sur l'émission consacrée à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dont nous avons parlé avec la direction de CNews. Les dirigeants que nous avons auditionnés ont considéré que la diffusion de cette émission, et en particulier du visuel présentant l'IVG comme une cause de mortalité, était une faute très grave. Ils en ont parlé comme d'une meurtrissure et Laurence Ferrari s'en est excusée, de même que Christine Kelly. Estimez-vous également qu'il s'agit d'une faute très grave ? Si oui, qui mériterait d'être sanctionné ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Les dirigeants de CNews ont dit que c'était une erreur technique, et je n'ai aucune raison de mettre en doute la parole des gens qui travaillent au sein du groupe. Il ne me revient pas d'accabler telle ou telle personne à l'intérieur des chaînes : on ne peut pas à la fois m'accuser de censurer les uns ou les autres si je me mêle de ce qui s'y passe et me reprocher de ne pas intervenir si je ne me mêle de rien.

Si vous voulez mon avis sur le sujet lui-même, je peux l'exprimer, même si ce n'est pas l'objet de votre commission d'enquête. Comme vous le savez, je suis très attaché à la liberté, qui coule dans mon ADN. Or, dans cette affaire, deux libertés se heurtent : la liberté des gens à disposer d'eux-mêmes et la liberté des enfants à vivre. Tout en voulant préserver la liberté, qui est fondamentale, un certain nombre de gens en France nous invitent à ne pas oublier qu'il s'agit d'un acte par lequel une vie ne s'exprime pas. C'est en tout cas ma conviction forte. Nous parlons de quelque chose de terrible.

Je vais vous faire une confidence. Il y a de nombreuses années, la femme avec qui je vivais a appris qu'elle était enceinte alors qu'elle prenait des médicaments contre-indiqués en cas de grossesse. J'avais déjà quatre enfants, j'étais faible, je n'ai pas fait attention et j'ai laissé faire. Je peux vous assurer qu'il ne se passe pas un jour sans que je pense à cette vie que j'ai contribué à supprimer. Je suis pour la liberté, pour la préservation de la liberté, mais cette vie est importante. Je ne suis pas le seul à le dire : le pape et beaucoup de gens le disent aussi.

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Je vous remercie pour ces éléments, mais il est important d'en rester aux questions du rapporteur. Je vous informe – ce qui vous rassurera en même temps – que vos opinions politiques et vos convictions intimes n'entrent pas dans le champ de notre commission d'enquête, de même qu'une condamnation personnelle de certains crimes de guerre n'avait pas à être demandée à M. Nedjar lors d'une précédente audition.

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Il y a des questions qui ne doivent pas être posées !

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Je m'étais bien gardé de vous poser cette question. Celle que je vous ai posée n'appelait pas ce genre de réponse.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Les chrétiens pensent cela. Je suis né catholique : je suis tombé dedans quand j'étais petit. Cela ne m'a pas quitté.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

C'est une grande force dans la vie. Cela ne m'empêche pas d'être pour la liberté : chacun fait ce qu'il veut.

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Je pense que nous avons fait le tour de la question concernant cette émission.

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J'aimerais revenir un instant sur le rapport que vous avez avec certaines incarnations des chaînes que vous contrôlez. Cyril Hanouna a dit : « Je suis d'une fidélité indéfectible et c'est réciproque, je crois. » Est-ce réciproque ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Jusqu'à présent, vous avez remarqué que c'est le cas : en dépit d'amendes et de problèmes divers, Cyril Hanouna est toujours à l'antenne. Ce n'est pas qu'une question de fidélité personnelle : vous avez entendu que tout le monde avait envie de le garder. Lorsque vous avez demandé à Maxime Saada s'il considérait les suggestions de Vincent Bolloré comme des instructions, il a répondu, grosso modo, que c'étaient des conseils, et qu'il ne les respectait pas toujours – ce que je trouve d'ailleurs un peu dangereux, mais bon, vous me direz que les primes de fin d'année sont passées…

Cyril Hanouna est protégé par son succès. Demandez-vous pourquoi il rassemble chaque soir plus de 2 millions de téléspectateurs, autour de sujets qui parlent à tout le monde et reflètent la réalité de la vie en France.

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Nous recevrons bien Cyril Hanouna demain, de quatorze heures à seize heures trente, conformément à la convocation que nous lui avons envoyée.

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Vous avez dit que le train de vie de Canal+ était dispendieux. Combien gagne Maxime Saada ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Ce chiffre est public : je crois que Maxime Saada touche 1,5 million d'euros brut en salaire fixe et peut recevoir une prime allant jusqu'à 100 % en fonction de ses résultats. Tout cela a été discuté en conseil d'administration et adopté par l'assemblée générale de Vivendi, où nous ne détenons que 29 % des voix.

Maxime Saada pourrait gagner beaucoup plus à l'extérieur car c'est un garçon d'une qualité extraordinaire et une vedette internationale. Il se trouve actuellement à Los Angeles et pourrait travailler demain chez Disney ou partout ailleurs. C'est un type formidable !

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On aimerait connaître une telle politique d'austérité.

Vous avez dit que vous n'étiez pas soutenu par l'État. Or, durant la crise de la Covid-19, alors que Vivendi versait 697 millions d'euros de dividendes à ses actionnaires – un chiffre en hausse de 20 % – et que vous organisiez le rachat d'une partie du capital afin de consolider votre position et d'accroître vos propres dividendes, Canal+ recourait au chômage partiel, contre l'avis du Gouvernement. N'est-ce pas une façon de détourner les deniers publics ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Je ne sais pas à quoi vous faites allusion : ni Canal+ ni aucune société de notre groupe n'a reçu de deniers publics. Nous n'avons pas demandé d'argent à l'État ni souscrit de prêts garantis par l'État (PGE).

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Avez-vous eu recours au chômage partiel ou activité partielle ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Je ne sais pas si Canal+ a recouru au chômage partiel à l'époque.

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Nous poserons cette question au groupe et transmettrons l'information aux membres de la commission d'enquête présents.

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Selon le journal Le Monde daté du 4 mars 2024, vous auriez rencontré Mme Saporta aux obsèques de Pal Sarkozy, le père de Nicolas Sarkozy, lui-même administrateur de Lagardère, le 9 mars 2023. Avez-vous bien eu une discussion avec elle à cette occasion ? Portait-elle sur le cardinal Sarah ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

J'ai effectivement croisé Mme Saporta, en présence de l'ensemble des gens venus assister aux obsèques du père de l'ancien président de la République. Je lui ai parlé à voix basse : elle m'a dit bonjour, Nicolas Sarkozy me l'a présentée et je lui ai dit bonjour. Je ne sais pas ce qu'elle m'a dit ensuite ; quant à moi, je n'ai pas parlé davantage car, dans ma religion, on ne parle pas dans une église.

Isabelle Saporta voulait probablement parler du livre du cardinal Sarah. Ne confondons pas ce sujet avec la fameuse couverture de Paris Match sur les cardinaux, dans laquelle elle n'est pour rien.

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Est-ce bien le sujet de la conversation qui a eu lieu ? Vous dites qu'il n'y en a pas eu…

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Je ne crois pas qu'il y ait eu de conversation puisque nous étions dans une église. Elle m'a dit : « Bonjour, je suis contente de vous rencontrer. » Je n'ai pas écouté ni parlé. Lorsque je suis dans une église, je me trouve en présence du Christ.

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Vous n'avez donc donné aucune directive à Mme Saporta à cette occasion ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Non. Je ne parle pas dans les églises et je n'ai jamais parlé de ma vie à Mme Saporta, excepté au moment où on me l'a présentée.

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Je reviens à la question des incarnations. Pascal Praud a déclaré : « Quand j'étais à TF1, j'étais 100 % TF1. Quand j'étais au FC Nantes, j'étais 100 % FC Nantes. Et aujourd'hui, à CNews, je suis 100 % Bolloré. » Ce qui m'interpelle, c'est qu'il ne dit pas « Je suis 100 % CNews. » De la même façon, M. Morandini a expliqué qu'il devait les résultats – en réalité contrastés – de ses émissions à « la confiance sans faille de Vincent Bolloré ». Si ces personnes disent la vérité, comment imaginer que vous ne seriez pas interventionniste ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

C'est l'autre côté du totem, du paratonnerre – et heureusement ! De même que les gens qui ne se sentent pas bien me présentent comme l'homme qui fait des choses horribles, ceux qui se sentent bien pensent que c'est grâce à moi qu'ils sont à leur place.

Je suis très content que Pascal Praud dise qu'il est « 100 % Bolloré » puisqu'il était encore, il n'y a pas si longtemps, à 50 % sur RTL. Il a d'ailleurs bien fait de changer puisqu'il était, me semble-t-il, très proche de Nicolas de Tavernost, lequel a récemment annoncé son prochain départ.

Je représente, par mes quarante ou quarante-cinq ans de vie professionnelle, le développement d'un groupe constitué d'équipes soudées. Ceux qui ne m'aiment pas sont généralement ceux qui ne me connaissent pas, car les gens qui me connaissent un peu m'aiment bien. Je leur donne, à tous, la stabilité et le goût d'entreprendre. Nous parlions tout à l'heure des chaînes gratuites qui perdaient de l'argent, mais on a perdu beaucoup plus d'argent dans le développement de la batterie électrique que dans la télévision ! Un industriel accepte de réinvestir son argent, au contraire d'un financier qui garde l'argent qu'il a gagné. Je l'ai dit tout à l'heure : notre groupe, qui est entré dans sa 203e année, n'a cessé de réinvestir. C'est ce qui explique qu'il y a des gens qui nous suivent et nous respectent, face à d'autres personnes, crédules, qui pensent à tort que je suis Attila.

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Nous en venons aux questions des députés membres de cette commission. Je redonnerai la parole au rapporteur avant seize heures cinquante pour ses ultimes questions, avant de lever la réunion à dix-sept heures.

Je tiendrai compte du poids des différents groupes politiques. Je rappelle que les questions doivent s'inscrire dans l'objet de la commission d'enquête. Vous disposerez chacun de trois minutes pour poser vos questions, fractionnées en deux temps si vous le souhaitez.

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Je précise que je suis un ancien journaliste – carte de presse n° 66956 ayant évolué dans les domaines de l'écrit, de la radio et de la télévision, dans le public comme dans le privé, notamment au sein du groupe Canal+ à l'époque où M. Bolloré n'en faisait pas partie.

La chaîne Canal+ a vu le jour le 4 novembre 1984. Cinq jours plus tard, elle diffusait son premier match de Ligue 1 – Nantes contre Monaco –, commenté par Michel Denisot et Charles Biétry pour lequel nous avons une pensée émue. Quarante ans plus tard, le sport constitue toujours l'une des deux mamelles de votre groupe, avec la culture – j'y reviendrai dans ma deuxième question. Vous avez longtemps acquis l'exclusivité des droits du football, du rugby et de la Formule 1, entre autres. Vous avez également diffusé en intégralité et vingt-quatre heures sur vingt-quatre certains Jeux olympiques. Allez-vous poursuivre dans cette voie, à l'heure où de nouveaux appels d'offres sur le marché sportif permettent à certains de prospérer – suivez mon regard ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Canal+ est un grand soutien du sport pour une raison simple : ses abonnés ont envie d'en voir – rugby, foot, Formule 1, auto-moto... Le sport est un élément essentiel de Canal+ et sa diffusion en direct est un atout très important.

Nous continuerons donc à investir dans le sport. Nous formons une plateforme avec BeIN Sports, qui possède certains droits de son côté. Nous sommes contents des associations qui ont pu être nouées avec certaines fédérations, par exemple la Ligue nationale de rugby, que nous avons soutenue, permettant à un nombre considérable de personnes de regarder le rugby. Je pense également à la Formule 1, où les circuits attirent un nombre de spectateurs très important. La force de Canal+, ce n'est pas seulement d'acheter les droits d'événements sportifs et de diffuser ceux-ci, c'est aussi tout ce qui va autour, par exemple la réalisation de documentaires sur les coureurs automobiles, les footballeurs ou les rugbymen. C'est une sorte de relation de fidélité qui fait de Canal+ un partenaire de long terme du sport français et international.

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L'autre mamelle du groupe Canal+, c'est la culture, présente sur les sept chaînes de la TNT. Elle produit beaucoup de lait pour l'économie de notre pays ; nul ne saurait s'en plaindre. Sauriez-vous nous parler de son modèle concernant l'emploi, la création et la production cinématographiques ? Continuerez-vous à entretenir ce cercle vertueux de la culture française sans être aspiré par la traite d'outre-Atlantique ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Le modèle du cinéma français est très important car il lui permet d'être l'un des derniers à exister en Europe. Le cinéma italien des années 1960 et 1970, que j'adorais, était extraordinaire mais il s'est effondré. Sans une véritable volonté de soutien, le cinéma peut disparaître. Maxime Saada, Jean-Christophe Thiery, Laurent Hassid, Gérald-Brice Viret, Franck Appietto et d'autres sont de farouches partisans de l'achat et de la création de films, comme le récent Anatomie d'une chute.

Par ailleurs, on oublie que StudioCanal est un producteur important, à l'origine de nombreux films. Notre ambition est de persévérer. Mon fils Yannick, qui a commencé dans le cinéma, a pris la présidence de Vivendi aux côtés d'Arnaud de Puyfontaine ; ce sont tous deux des fondus de cinéma, qui poursuivront dans cette voie.

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Pour la bonne information de tous, le groupe Canal+ a confirmé qu'il maintiendrait le financement à plus de 200 millions d'euros par an et qu'il reprenait les engagements de financement des groupes qu'il a rachetés, à savoir Orange et OCS. C'est une bonne chose pour le cinéma.

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Je suis député du Nord, vice-président de l'Assemblée nationale et, puisqu'il faut le mentionner, j'ai œuvré il y a une quinzaine d'années comme directeur-adjoint de la communication de la chaîne France 24.

Pour ma part, ce qui m'intéresse, ce n'est pas de savoir qui vous avez croisé à un enterrement ou à l'Olympia, mais le regard que vous portez sur l'avenir du groupe. Si un cahier des charges devait éloigner CNews de ce qu'elle est aujourd'hui, si des contraintes nouvelles devaient être fixées dans un cahier des charges et modifiaient le profil de la chaîne, si l'attribution d'une fréquence venait à remettre en cause l'existence même de CNews, quelle direction prendrait alors le groupe ?

Par ailleurs, quel regard portez-vous sur notre commission et sur le fait que nous n'ayons pas entendu le principal actionnaire de TF1, M. Bouygues, qui dispose de sept chaînes de la TNT ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Concernant les nouvelles réglementations qui pourraient advenir, nous sommes légalistes : nous les appliquerons, comme tout le monde. Cela fait 202 ans que notre groupe existe, il s'adaptera quoi qu'il arrive. N'ayez aucun doute sur le fait que nous respecterons l'ensemble de nos obligations, et si elles changent en cours de route, on s'y adaptera, cela fait partie de l'agilité de notre groupe.

En revanche, si, par extraordinaire, une chaîne du groupe Canal+ se voyait retirer sa licence, cela poserait deux types de problème. Tout d'abord, il s'agit d'un ensemble : si vous lui retirez l'un de ses piliers, cela crée une difficulté. Ensuite, cela constituerait une marque de défiance très importante. Il suffit de lire la presse pour se rendre compte que le succès et la liberté de ton de Canal+ gênent. Personnellement, je n'y crois pas du tout mais c'est le sentiment que cela donne aux gens de Canal+, notamment à Maxime Saada qui, en dépit de tous les éloges que j'ai pu faire le concernant, est tout de même particulièrement susceptible et paranoïaque.

Au-delà de cette marque de défiance, cela soulève le problème de la liberté d'expression, au cœur de cette commission d'enquête. Je ne suis pas un perdreau de l'année : je vois bien comment cela se passe. C'est comme à l'école : quand on veut vous expulser, on commence par dire que votre composition de français n'était pas bonne, puis on vous reproche ceci ou cela, on vous décerne un blâme, et on sait qu'on est sur le toboggan.

Vous l'avez dit, je suis le seul convoqué... Mais je suis très honoré d'être devant la représentation nationale ! Il est important de parler sans fard car la démocratie est un sujet sérieux. Supprimer la diffusion en clair déséquilibrerait le premier groupe français et européen. Ce serait pris comme une gifle – c'est d'ailleurs le but recherché, j'imagine.

En ce qui me concerne, je suis un optimiste : je pense que le groupe s'adaptera. Nous ne sommes pas dans le verbe mais dans la réalité économique. Quand on est responsable de 80 000 salariés, on ne fait pas des colères lorsque des gens ne sont pas contents. Mais j'alerte : le groupe Canal+, après avoir traversé une grosse épreuve, est devenu un protagoniste international. C'est, dans le domaine des médias, une des seules marques françaises réputées dans le monde entier, puisque les autres marques françaises ne se développent pas à l'étranger. Vous devriez plutôt choyer votre champion national. Si c'est moi qui vous déplais, ce n'est pas grave – cela ne durera pas longtemps : la biologie fera son œuvre… – mais si c'est Canal+, c'est plus embêtant.

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M. Éric Zemmour, que vous avez personnellement choisi d'installer à l'antenne de CNews, a déclaré sur LCI, le 21 janvier 2022 : « Ce que je sais, pour en avoir discuté avec lui, c'est que Vincent Bolloré est très conscient du danger qui nous guette, du danger de remplacement de civilisation. Il veut léguer à ses enfants et à ses petits-enfants la France telle qu'on la lui a léguée. » À son intervieweur qui lui demande s'il y a chez vous le sentiment d'une mission politique menée par votre groupe de médias, Éric Zemmour acquiesce : « Moi, je trouve ça noble. […] Je préfère quelqu'un qui est patriote […] et je lui rends hommage. »

Monsieur Bolloré, menez-vous une mission politique à travers votre groupe médiatique ? La programmation des nombreux programmes religieux, quasi exclusivement dédiés au catholicisme, serait-elle purement fortuite et sans aucune portée idéologique ? Je tiens à préciser, parce que j'ai entendu une remarque derrière moi il y a quelques minutes, que je n'ai absolument aucune animosité envers la religion catholique, étant moi-même catholique, croyante et pratiquante.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Tout d'abord, je n'ai pas choisi Éric Zemmour : ce sont Gérald-Brice Viret et Serge Nedjar qui l'ont choisi. Accessoirement, toutes les chaînes voulaient mettre Éric Zemmour à l'antenne à l'époque car il vendait des centaines de milliers de livres. Pour ma part, j'ai déjeuné avec lui comme je déjeune avec beaucoup de monde. J'ai trouvé que ce garçon avait des idées extraordinairement claires ; il était compréhensible par les gens de la télévision. Quand Éric Zemmour a été choisi par les dirigeants de Canal, il était d'ailleurs sur la 6, et peut-être même sur le service public.

Ensuite, il faudrait éviter de prendre des petits bouts de phrase de différentes personnes qui parlent à l'extérieur et de me les coller sur le dos. Vous savez bien comment ça marche. Je suis un grand garçon et je suis capable de m'exprimer sur ce que je suis et sur ce que je veux faire. Je suis démocrate-chrétien. Démocrate, cela signifie que je respecte les élus de la nation. Je suis pour la démocratie – nous l'avons toujours été, dans ma famille, et nombre de ses membres ont fait des guerres extraordinaires. Si l'on remonte au Moyen-Âge, les Bolloré se battaient contre les envahisseurs de l'époque, qui étaient Anglais, Espagnols... On les appelait pour protéger des rivières – je vous raconterai tout cela un jour, si cela vous intéresse. La démocratie coule donc dans mes veines ; je ne supporte que les démocrates et je suis moi-même démocrate.

Je suis par ailleurs chrétien, qui n'est pas un vilain mot. La chrétienté, c'est la charité, c'est l'espérance. Cela aussi coule dans mes veines. En novembre 1918, un de mes arrière-arrière-grand-pères, le général Francfort, est mort en servant la messe, canonné dans l'église Saint-Gervais par la Grosse Bertha. Un autre de mes arrière-arrière-grand-pères, procureur à Nantes, a démissionné en 1880 parce que…

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Nous allons devoir nous cantonner à de réponses courtes, même si c'est très intéressant. S'agissant de votre projet politique et idéologique, y en a-t-il un ou est-ce un fantasme ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Si je ne crois pas en quelque chose, je ne vais pas le mettre sur mes antennes. Je suis obligé de rentrer dans cette intimité parce que ce que je lis sur moi me fait peur, parfois ! Je suis tranquillement en Bretagne ou sur la Méditerranée et je lis des journaux qui racontent que j'ai tel ou tel projet... Certains journaux – je ne serais pas fier à leur place – ont été achetés ou sont subventionnés par des gens qui ne veulent pas avoir une mauvaise image. Ainsi, Libération reçoit 38 millions de Daniel Kretinsky, que j'aime beaucoup par ailleurs – c'est un homme tout à fait intéressant et francophile. J'aimerais beaucoup que l'on écoute ce que je dis. Je suis démocrate-chrétien et je n'ai aucun projet idéologique – si j'en avais, les chaînes de Canal se seraient d'ailleurs effondrées depuis longtemps. Il y a heureusement dans notre pays une pluralité de gens, tous différents ; pour ma part, je suis tout doux et débonnaire – pas du tout un Attila !

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Ce que vous venez de dire est fort intéressant : « Si je ne crois pas en quelque chose, je ne vais pas le mettre sur mes antennes. » J'entends que si vous croyez en quelque chose, vous le diffusez sur vos antennes.

Concernant Lagardère, dont vous n'êtes pas encore propriétaire puisque la Commission européenne n'a pas tranché à ce jour, avez-vous l'intention de racheter Le Parisien ? Existe-t-il, comme on peut l'entendre, un pacte avec M. Bernard Arnault et ce pacte implique-t-il de lui céder Paris Match alors que, je le rappelle, vous n'en êtes pas encore propriétaire ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Madame la députée, puisque vous représentez le peuple et que je suis un démocrate, je respecte ce que vous dites, mais c'est un tout petit peu spécieux : je n'ai pas dit que je ne mettais rien à l'antenne parce que je n'avais rien en tête. J'ai dit que non seulement je ne mettais rien mais que, en plus, j'étais démocrate-chrétien : il me serait donc compliqué d'aller mettre des choses auxquelles je ne crois pas.

S'agissant des religions, je vous rappelle que nous avons créé « Les enfants d'Abraham ». Mon fils Yannick avait monté cette émission avec des représentants des trois religions. Elle a été supprimée par Canal+.

Je vais aussi vous expliquer notre proximité avec le monde musulman. Non seulement j'ai beaucoup d'amis musulmans, avec qui je vis en paix et en fraternité, mais figurez-vous que le commandeur des croyants et descendant du Prophète, Mohammed V, alors qu'il avait été exilé par notre pays, est venu habiter dans notre propriété de Garches-Vaucresson, en novembre 1955. Nous sommes restés extrêmement amis avec cette famille, jusqu'au fils de son fils, aujourd'hui sur le trône. Ce n'est pas parce que je suis chrétien que je ne peux pas parler des autres religions. Je pense au contraire que l'on peut et doit vivre en paix : c'est essentiel.

En ce qui concerne Lagardère, nous en sommes propriétaires. Le groupe Vivendi a obtenu l'autorisation de la Commission européenne. Arnaud Lagardère est un garçon absolument remarquable, courageux et fidèle. Il est à la tête de son groupe, qui restera indépendant, d'abord parce qu'il a d'autres actionnaires que nous, ensuite parce qu'il gère très bien son groupe. La valeur des actions Lagardère dans trois ou quatre ans sera tout à fait remarquable.

En ce qui concerne Paris Match, je connais Bernard Arnault depuis quarante ans ; c'est quelqu'un pour qui j'ai beaucoup d'amitié. Ce n'est pas un secret : il a envie de Match. Il aime les belles choses et il trouve que Match est un magazine important, ce qui est vrai. Arnaud Lagardère a des dettes trop élevées ; il a envie de développer le commerce dans les gares et les aéroports ou travel retail et l'édition, et il est d'accord pour entrer en conversation exclusive avec Bernard Arnault. Je trouve cela très bien puisque vous avez d'un côté quelqu'un qui a envie d'acquérir ce titre de presse et de l'autre quelqu'un qui est prêt, si le prix est bon, à s'en séparer, en dépit de la peine que cela lui fait sans doute.

Y avait-il un accord secret ? Pas le moindre : nous n'avons jamais rien signé. Lagardère a des titres qu'il peut vendre ou acheter mais nous sommes majoritaires. Il n'y a pas besoin d'avoir fait Polytechnique pour comprendre que quand vous détenez 51 % des parts, c'est vous qui dirigez. Nous n'étions engagés et forcés à rien. Mais, je le répète, c'est un garçon remarquable et je suis sûr qu'il fera de Match quelque chose d'exceptionnel.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Le Parisien n'est pas à vendre, à ma connaissance. Il n'y a donc pas de discussion, pas d'engagement le concernant. Quand une chose n'est pas à vendre, je ne commence pas à en rêver.

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Comment concevez-vous la liberté d'expression et d'enquête des journalistes au sein de votre groupe, qui compte de nombreux médias, dont quatre chaînes de la TNT ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Les journalistes sont entièrement libres, comme partout.

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Si je vous ai posé cette question, c'est parce que je m'inquiète de la très longue liste de procès que vous avez intentés aux journalistes de notre pays et d'ailleurs. Nous avons évoqué tout à l'heure le numéro de « Complément d'enquête » d'avril 2016, diffusé sur la TNT publique, « Vincent Bolloré, un ami qui vous veut du bien ? », reportage récompensé par un prix Albert-Londres en 2017.

Vous avez intenté pas moins de cinq procédures judiciaires en France. Pour chacune d'entre elles, vous avez été débouté. Le média Bastamag a publié en 2012 une enquête sur les activités de plusieurs groupes en Afrique. Vous intentez alors deux procès, étant le seul groupe incriminé à le faire, et vous les perdez tous les deux. En 2015, Mediapart, L'Obs et Le Point relaient un récit de l'ONG ReAct concernant vos activités camerounaises. Vous leur intentez un procès, que vous perdez à nouveau – votre avocat ne semble pas bon… En 2016, une nouvelle enquête de Mediapart accuse votre société d'avoir ruiné deux entreprises camerounaises. Vous intentez un procès, que vous perdez en appel. En 2017, deux journalistes publient un livre sur vous. Vous les attaquez pour la publication de cet ouvrage, procès qui se retourne contre vous car il vous vaut une condamnation pour procédure abusive.

Ces actions en justice vous ont valu de nombreuses critiques et une réputation d'expert en procédures bâillons, qui ont pour objet de faire taire les journalistes en les assommant de procès coûteux que tous n'ont pas le moyen d'honorer. Ce sujet transversal ne touche pas que la TNT. Pour rappel, le petit média Basta !, successeur de Bastamag, a ainsi dépensé 13 000 euros pour se défendre de vos accusations, et France Télévisions y a perdu en frais de justice plusieurs centaines de milliers d'euros, payés par le contribuable – des sommes qui n'ont jamais été récupérées.

Sachez que je ne reprends pas à mon compte ces accusations car le droit à ester en justice est un droit fondamental. Vous avez, comme tout un chacun, le droit de vous défendre contre une accusation. J'avoue toutefois ne pas comprendre les motivations de tous ces procès car, en homme d'affaires aguerri, vous devez être très bien entouré. J'imagine que vos avocats ne pensaient pas que chacun de ces procès, tous perdus, pouvaient être remportés. Quelles sont dès lors vos motivations pour mener de telles procédures ? Considérez-vous que la liberté des médias, dont la TNT, s'arrête là où commence votre intérêt économique ? Trouveriez-vous légitime qu'un journaliste de votre groupe mène une enquête sur une entreprise dans laquelle vous auriez un intérêt ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Concernant votre dernière question, cela ne poserait évidemment aucun problème : les journalistes font ce qu'ils ont à faire dans le cadre de leur travail et de ce qui intéresse les abonnés.

S'agissant de votre première question, je suis pas du tout d'accord avec vous. Nous gagnons l'essentiel de nos procès et, à chaque fois, il est indiqué qu'il y a diffamation. Nos juristes ont préparé une note à ce propos, que je communiquerai au bureau de votre commission – nous nous doutions bien que vous nous poseriez une question sur ce sujet. En fait, ils gagnent pratiquement à chaque fois mais la cour reconnaît qu'il y a diffamation, tout en précisant que c'est « de bonne foi », c'est-à-dire que les gens n'ont pas eu le temps de vérifier, etc.

Si le groupe intente des procès – ou en intentait car, comme vous le savez, nous sommes sortis d'Afrique : nous n'avons donc plus ce genre de problème –, c'est parce que si nous ne réagissons pas à ces accusations, certains de nos clients hésitent à continuer à travailler avec nous. Nous sommes donc obligés d'aller devant la cour quand nous estimons que les reproches qui nous sont adressés ne sont pas justes. C'est une nécessité car qui ne dit mot consent. Ainsi, dans la plupart des cas, les services juridiques font des procès et les gagnent pour l'essentiel mais cela n'a pas d'effet puisqu'il s'agit de diffamation de bonne foi : cela protège les journalistes et les investigateurs, ce que je trouve très bien en ce qui me concerne.

Je reviens sur ces histoires dont vous parliez tout à l'heure, qui sont quand même extraordinairement injustes. Je suis allé pour la première fois en Afrique il y a une quarantaine d'années et je suis immédiatement devenu afro-optimiste : de la même façon que j'avais vu la Chine, qui n'était rien du tout, devenir la deuxième, voire la première puissance mondiale…

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Monsieur Bolloré, il faut vraiment que vous vous en teniez à la question posée. Êtes-vous sûr de la pertinence de votre réponse ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Je dis simplement qu'étant afro-optimistes, nous avons beaucoup construit là-bas, à la satisfaction des gens avec qui nous avons travaillé. Nous avons construit des maillages qui ont permis d'acheminer les biens et les nourritures. Certaines personnes, qui n'avaient pas envie que cela réussisse, en ont fait tout un charivari.

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Plutôt que de citer des propos rapportés, je me permets de reprendre ceux que vous avez tenus ici même, devant nous. Vous venez de dire : « Si je ne crois pas en quelque chose, je ne le mets pas sur mes antennes. » Il est assez bizarre qu'une personne n'ayant aucun rapport avec ce qui passe à l'antenne, qui ne s'occupe de rien, parle ainsi à la première personne. Ne trouvez-vous pas étrange de parler de « vos » antennes alors qu'il s'agit de chaînes de la TNT, qui sont des services d'intérêt général ? C'est là sans doute une différence de conception entre nous.

Vous avez dit que cela poserait un problème si Canal+ était renouvelé et pas CNews, mais nous n'avons pas bien compris pourquoi. On a même cru lire dans votre réponse une forme de pression. Pourquoi serait-il embêtant que CNews ne soit pas renouvelée, alors qu'elle perd de l'argent, et que Canal+ ne soit pas inquiété ? Au nom de quoi, si l'Arcom, en tant qu'autorité indépendante, en décide ainsi ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Je reviens tout d'abord sur votre premier commentaire. Je ne suis pas du tout d'accord avec vous. On m'a reproché d'être quelque chose et de le mettre sur mes antennes. J'ai répondu que je ne mettais rien sur mes antennes car ce ne sont pas mes antennes, elles appartiennent à un groupe, qui a des responsables. Je n'ai fait que reprendre l'intitulé de la question - qui était : « Le mettriez-vous sur vos antennes ? » - pour dire que de toute façon, je ne pense pas ce que vous croyez que je pense. Je suis démocrate-chrétien. Ne déformez pas mes propos : c'est important.

Quant à votre deuxième question, je ne suis pas décisionnaire : l'Arcom fera ce qu'elle aura à faire. Si, par extraordinaire, la fréquence de CNews n'était pas renouvelée, je pense que cela poserait problème à Canal+. Je connais les gens qui y travaillent, je connais les entreprises. Ce n'est pas du tout une forme de pression : je dis simplement que cela poserait problème.

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On n'a pas bien compris quel problème cela poserait. Vous avez dit tout à l'heure que CNews raconte la vérité. Or, la chaîne a été encore une fois épinglée hier parce que M. Pascal Praud avait lié immigration et punaises de lit. Je ne dresserai pas la liste de toutes les demandes de rectification de l'Arcom, et des sanctions parfois assez exemplaires qu'elle a prises. Non, monsieur Bolloré, il arrive souvent que CNews ne raconte pas la vérité.

Vous avez dit deux choses qui semblent contradictoires. D'une part, vous avez affirmé que vous n'alliez pas vous arrêter parce que le directeur n'est pas gentil et vous fait des remarques. De fait, l'Arcom est un peu le directeur, et vous ne vous êtes pas arrêtés à la suite de ses remarques. D'autre part, vous avez affirmé que vous étiez légaliste. Je ne comprends pas pourquoi vous laissez vos chaînes poursuivre des activités clairement contraires à la loi, puisque le pluralisme n'y est pas respecté et que les fausses nouvelles ou fake news y sont légion. Je tiens à votre disposition la liste des remarques de l'Arcom et des sanctions qu'elle a prononcées à ce titre.

Vous avez également affirmé que CNews était un espace de liberté. Je disais à M. Praud la semaine dernière à quel point on ne peut pas parler d'espace de liberté lorsqu'un invité se fait couper sans arrêt la parole et ne peut pas terminer une phrase. Je ne crois pas que CNews soit un espace de liberté.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Je répète que ce ne sont pas mes chaînes : ce sont des chaînes gérées par un certain nombre de gens. Elles n'appartiennent pas au service public ; elles ont conclu des conventions. De ce que je sais, l'ensemble des conventions existantes sont respectées. Ces chaînes respectent la loi intégralement, que vous le vouliez ou pas. L'arrêt du Conseil d'État, que j'ai lu, le confirme.

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Monsieur Bolloré, de par votre expérience à la tête du groupe Canal+ et, aujourd'hui, en votre qualité de conseiller du président du même groupe, qui est un acteur majeur du paysage audiovisuel français de la TNT, comment appréhendez-vous la fin prochaine des autorisations de diffusion pour six de ces chaînes en 2025 ? Quelle est votre analyse des enjeux liés à la procédure de renouvellement des autorisations par l'Arcom, notamment en matière de respect des obligations légales et contractuelles et de l'adaptation de ces engagements à l'évolution des attentes des téléspectateurs et au défi posé par le numérique ? Comment envisagez-vous la contribution du groupe Canal+ à la diversité, au pluralisme et à l'innovation dans les contenus de l'offre de programmes proposée ? Enfin, quelle est votre vision du pluralisme et quelle stratégie adoptez-vous pour la garantir ? Est-ce une des priorités du groupe ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

N'étant pas conseil du président du groupe Canal+ mais du président du groupe Vivendi, je ne suis pas capable de répondre aux questions que vous m'avez posées concernant les chaînes de Canal. Pourriez-vous reformuler votre question pour que je puisse y répondre ? Je suis un peu gêné parce que je ne sais pas quoi vous dire, si ce n'est reprendre ce que j'ai affirmé tout à l'heure.

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Vous pouvez tout de même nous faire part de votre vision du pluralisme.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Le pluralisme, c'est la capacité à avoir l'ensemble des opinions qui sont exprimées. Comme vous le savez – l'Arcom l'a indiqué –, CNews respecte les temps de parole. Peut-être, à l'avenir, les règles changeront-elles et ne prendra-t-on pas simplement en compte les temps de parole des journalistes, mais étant légalistes, nous nous adapterons à ce qui sera demandé. Pour l'instant, on ne peut pas dire que les obligations qui ont été imposées ne sont pas respectées.

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Est-ce un sujet qui revient souvent au sein du groupe ? Vous êtes tout de même proche du groupe Canal+, même si vous n'êtes plus à sa tête et si vous n'êtes pas conseiller de son président. Le pluralisme est-il une des priorités ? Comment est envisagé tout ce qui est dit autour de CNews et des chaînes d'information ? Cette question est-elle traitée sérieusement ? C'est un sujet important dans le cadre des procédures d'attribution des fréquences de la TNT par l'Arcom.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Maxime Saada vous l'a dit, il a clairement envie de développer la partie française de Canal+ et la partie gratuite, en clair, qui correspond à un ensemble substantiel du groupe. Les dirigeants qu'il a nommés, et que je connais un peu, sont de qualité, comme le prouve le succès de ces chaînes. Si ces chaînes avaient très peu d'audience, ni vous ni personne n'en parlerait. Je suis frappé de voir à quelle vitesse cela monte. Le vrai sujet est de savoir si vous avez envie d'encourager un grand groupe français qui, par ailleurs, connaît des développements internationaux, ou si vous voulez que quelqu'un d'autre prenne la place. On s'adaptera. Notre groupe occupe une place majeure dans d'autres métiers : nous sommes le premier actionnaire du premier groupe musical au monde. Là aussi, nous y avons travaillé. Je vous ai raconté l'histoire de Canal+ et des sachets à thé… On part de ce que l'on trouve en l'état et, en dix ans, en vingt ans, avec nos équipes, en suivant les caps que l'on s'est fixés, on transforme les entreprises en grands champions. Il nous arrive, ensuite, de les marier, de les vendre.

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Nous comprenons que vous ne pouvez pas répondre précisément à la question puisque vous n'occupez plus de fonction exécutive au sein du groupe.

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Le monde audiovisuel actuel est hyperconcurrentiel et en pleine mutation. L'offre de contenus a été facilement multipliée par 100 depuis vingt ans. En France, on compte quelque 70 titres de presse, plus de 1 000 radios et plus de 200 chaînes de télévision. Cela étant, on observe une captation des recettes publicitaires par les grandes plateformes américaines, autrement dit les géants du numérique. Il est donc nécessaire d'avoir un grand groupe national, de grands champions et des actionnaires qui investissent. Je pense que les représentants de la nation sont fiers de l'objectif fixé par le groupe Canal+ d'intégrer le top 5 des acteurs mondiaux des contenus payants en 2030. Cela étant, qui dit grand groupe dit concentration des médias. Le respect du pluralisme est aussi une des conditions de la démocratie. Comment concilier la concentration des médias, pour avoir une activité économique rentable, et le respect du pluralisme ? Le contrôle de la concentration des médias en France est à mon sens très complexe et obsolète. Comment le moderniser, selon vous ?

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Je signale qu'Inaki Echaniz et Isabelle Rauch ont mené, au nom de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, une mission d'évaluation de l'impact de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche ».

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Si l'on additionne les audiences des chaînes du groupe Canal+, on n'obtient rien d'extraordinaire. CNews doit faire à peu près 3 %, C8, 3,5 ou 4 %, CStar, 1 %, et Canal+, par nature, doit faire 1 %. On représente environ 10 % face au groupe TF1, avec toutes ses chaînes, qui doit en totaliser 30 ou 40 %, et au groupe M6, qui doit en représenter 20 ou 30 %. Nos concurrents ont commencé par dire que la TNT ne marcherait pas puis, lorsqu'ils ont vu que ça commençait à fonctionner, sont apparues des chaînes comme TMC ou W9, qu'ils ont rachetées. Je ne crois pas que l'on puisse dire que nous ayons une audience excessive.

Lorsqu'on allume la télé, on a énormément de choix. Le pluralisme existe aujourd'hui en France. Les différentes opinions peuvent s'exprimer – c'est mon avis de téléspectateur.

Et encore, on ne parle pas de l'univers essentiel, celui de l'internet, qui ne fait pas l'objet de ce contrôle, et qui se développe considérablement.

La concentration ne nous menace pas, compte tenu de nos positions actuelles. Je ne crois pas que Canal+ menace qui que ce soit, d'autant plus que, par la force des choses, son centre de gravité est en train de se déporter vers l'international. Il doit faire croître le nombre de ses abonnés pour amortir ses films et ses séries. Nous espérons atteindre les 50 millions d'abonnés dans les dix-huit mois qui viennent, sachant que nos concurrents en ont 100 ou 200 millions.

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Êtes-vous gênés dans vos perspectives de développement par les règles relatives au contrôle sectoriel de la concentration des médias ? Êtes-vous favorable à une certaine évolution, à l'instar de grands acteurs audiovisuels privés ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Il faut le demander à Maxime Saada, à Gérald-Brice Viret ou aux personnes qui s'occupent des chaînes. Personnellement, je ne pense pas que cela constitue une gêne dans le cadre du développement de Canal+ à l'international. Je ne crois pas qu'il y ait de blocages réglementaires. Si de nouvelles règles étaient décidées, le groupe Canal+ s'adapterait, comme il l'a toujours fait depuis sa création. Le problème que l'on peut constater, et que l'on a abordé ici, est la situation de liberté de Canal+ et de ses filiales.

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Pour ma part, je m'en tiendrai au strict objet de notre commission d'enquête. Je me présenterai comme un socialiste républicain universaliste, laïque et attaché au droit. Comme chef d'entreprise ou homme d'affaires, si un de vos partenaires enfreignait de manière régulière les termes du contrat qui le lie à vous, j'imagine que vous vous interrogeriez avant de le renouveler. Vous avez dû dénoncer des contrats commerciaux ou des partenariats à de très nombreuses reprises au cours de votre vie. Or, les chaînes du groupe, à elles seules, représentent l'écrasante majorité des sanctions que le juge de l'audiovisuel a prononcées, puisqu'elles en ont reçu quarante et une. Comme juriste de formation et compte tenu de votre attachement à la légalité, comprendriez-vous que le non-respect de ces obligations puisse se traduire par un non-renouvellement ? Qu'avez-vous fait, dans le passé, pour mettre un coup d'arrêt à la multiplication de ces sanctions ? On aurait pu imaginer que la modulation des rémunérations ou que les contrats passés avec les producteurs soient indexés sur l'existence de ces sanctions. Avez-vous cherché à instituer ce type d'incitation ? La question que se posera l'Arcom, et que nous nous posons dans le cadre de notre réflexion est comment mesurer l'intention d'un exploitant de réduire ce qui constitue, contrairement à ce que vous avez dit, un non-respect de la convention qui vous lie.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Les chaînes de Canal+ sont scrutées à la loupe par des tas de gens qui ne souhaitent pas qu'elles continuent à exister, pour des raisons diverses, qui peuvent tenir à la concurrence. Ces personnes font un bruit considérable auprès de l'Arcom en disant qu'il se passe des choses affreuses sur ces chaînes. Un dossier est préparé depuis un certain temps. On le sait, qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. On monte en épingle des choses qui, pour certaines, me paraissent regrettables et qui, pour d'autres, ne me semblent pas importantes – j'avoue éprouver parfois une certaine surprise. Je pense à l'histoire d'Hanouna et de l'association Le Refuge. À la suite d'une blague à la Hanouna, on a dit qu'un pauvre garçon, qui se trouvait à la rue et au bord du suicide après avoir été reconnu par ses parents lors de son passage à l'antenne, avait appelé Le Refuge. Tout le monde a dit que c'était épouvantable, jusqu'à ce que Cyril Hanouna porte plainte et qu'une enquête de police révèle que c'était faux. Il me semble que le directeur du Refuge a dit que l'appel avait été inventé.

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Les sanctions doivent-elles être prises en considération dans le cadre des décisions de renouvellement ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Si vous n'encourez aucun reproche, il sera difficile de ne pas vous attribuer une fréquence – dans le cas contraire, la décision serait qualifiée d'antidémocratique. Si vous avez envie de supprimer des chaînes, vous êtes obligés de faire des cas pour expliquer d'éventuelles décisions. Le plus grand saint pèche sept fois par jour, dans le christianisme, on a donc de la marge ! Le succès de ces chaînes devrait conduire à récompenser les dirigeants davantage qu'ils ne le sont. C'est un succès formidable. Des groupes, qui n'étaient pas les plus puissants de France, ont réussi à se hisser jusqu'aux premières positions.

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Ce que vous nous dites, d'une certaine façon, c'est que la fin justifie les moyens et que le succès, même au prix du non-respect de la convention, doit être valorisé et non sanctionné.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Non, je ne dis pas cela !

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L'autre sujet qui justifie votre présence est la question de savoir si on peut faire des chaînes d'opinion. Dans votre audition devant la commission d'enquête du Sénat, en janvier 2022, vous affirmiez que ce n'était pas du tout votre intention. Pourtant, ce n'est pas le sentiment qui se dégage lorsqu'on regarde ces chaînes. On a vu les chiffres : elles se caractérisent par une surreprésentation de certains courants d'opinion. Vous êtes tenus au respect de règles telles que l'honnêteté, la rigueur dans la présentation et le traitement de l'information, la maîtrise de l'antenne. Pourtant, ces principes n'ont pas toujours été suivis : vous avez parfois été sanctionnés. D'autres sanctions pourraient être prises. Par exemple, dans l'affaire des étoiles bleues taguées sur les murs, vous vous êtes précipité pour donner une explication alors que des signes nous indiquent aujourd'hui que la Russie était derrière tout cela. Par la chaîne d'opinion et l'influence que vous lui donnez, par l'application du principe selon lequel la fin justifie les moyens, n'avez-vous pas le sentiment de chercher avant tout à servir le public au mépris de l'éthique et du principe de responsabilité, lesquels devraient faire écho aux valeurs que vous avez mentionnées ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Je ne partage pas du tout votre point de vue. En aucun cas, la fin ne justifie les moyens. Nous avons au contraire beaucoup de morale, de points de surveillance au sein du groupe, de façon générale. Cela fait partie de l'ADN de ce groupe d'être très respectueux et de faire attention à tout. Sur le deuxième point, comme ce n'est pas moi qui gère, je prends la défense des gestionnaires. L'Arcom comme le Conseil d'État ont dit que CNews était une chaîne d'information et non d'opinion. Je ne vais pas me substituer à ces institutions, et je ne pense pas que vous non plus ayez un motif pour le faire.

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Je tiens à préciser, par souci d'honnêteté, que j'ai travaillé vingt ans dans l'audiovisuel. J'ai commencé ma carrière à TF1, j'ai eu la chance de diriger les antennes de TV5 Monde ainsi que plusieurs groupes de production télévisuelle, mais je n'ai jamais travaillé ni pour vous, Monsieur Bolloré, ni pour le groupe Canal+. C'est parce que j'aime la télévision que je m'intéresse aux conditions dans lesquelles les licences de la TNT sont renouvelées.

Je suis quelque peu surpris par cette audition : j'ai un peu l'impression d'assister au procès d'une personne. On a pu lire un certain nombre de déclarations, comme celles de M. le rapporteur : « Il est temps de sanctionner Bolloré et ses lamentables marionnettes », « Xénophobie et voyeurisme, c'est la recette de la petite clique des Bolloré », « Cyril Hanouna défend l'oligarque Bolloré, bravo à Louis Boyard d'avoir dit la vérité sur l'argent sale de ce saccageur de l'Afrique ». Louis Boyard, ancien salarié de Canal+, déclarait, pour sa part que le système Bolloré attise le racisme et l'islamophobie.

Une chaîne de télévision, ce sont des programmes, des hommes et des femmes qui les animent, mais aussi une réputation. L'offensive politique très claire – dont cette commission est, malheureusement, parfois le théâtre – qui est menée contre votre personne et le groupe dont vous êtes actionnaire, ces propos très vindicatifs, parfois à la limite de la haine, nuisent-ils à l'image de votre chaîne et à vos audiences ? Cela rend-il plus difficile le travail de vos équipes au quotidien ? Lorsqu'on travaille dans une chaîne de télévision, il y a beaucoup de cœur, beaucoup d'allant, parce que l'on porte un projet, et ces critiques peuvent blesser. Avez-vous noté un impact de ces attaques contre vous et votre groupe ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Il est certain que ce n'est pas agréable, mais j'ai pris l'habitude de servir de paratonnerre : vous aurez noté que ni Arnaud de Puyfontaine, ni mon fils Yannick, qui est pourtant président de la société, ne sont ici présents. Tout cela m'attriste. Dans une période où beaucoup de Français ont du mal à vivre, les disputes, les guéguerres ne sont pas très utiles. Mieux vaudrait essayer de voir comment on peut bâtir ensemble et faire en sorte que les choses aillent mieux, mais l'expérience montre que l'on se dispute souvent lorsque cela va mal, et que, dans cette situation, on cherche des boucs émissaires. Ma personne, ce n'est pas le problème – à mon âge, dans ma situation… Peut-être même cela me permet-il de devenir un homme, en reprenant le poème de Kipling.

J'en viens aux équipes. Ce qui fait la force de Canal+, ce sont ses abonnés qui ne comprennent rien à ce qui est dit ici. Ils souscrivent à notre offre parce qu'on diffuse Anatomie d'une chute, Barbie, Oppenheimer, la Ligue des champions, le rugby, etc. Je ne pense pas que ce que vous mentionnez ait d'effet sur Canal+ aujourd'hui, mais cela a été le cas par le passé. Lorsque je suis arrivé, ces mêmes attaques existaient, mais Canal+ était dans une situation fragile – on espérait que Canal+ devienne Canal– et que d'autres prennent sa place, permettant ainsi aux anciens de revenir. Aujourd'hui, ça ne va pas renverser les choses. Toutefois, dans l'état où se trouve notre pays, mieux vaudrait construire que de s'envoyer des invectives.

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Un certain nombre de députés, dont certains sont ici présents, ont signé une pétition pour que vos chaînes s'arrêtent. Le vent du boulet venu parfois du Parlement vous amène-t-il à changer certains de vos programmes pour préserver l'avenir ou continuez-vous comme si de rien n'était ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Vous savez, pour les avoir reçues, que les équipes de Canal+ sont très attentives à ce qu'il se passe. Des gens comme Gérald-Brice Viret, Franck Appietto, Jean-Marc Juramie ou Serge Nedjar savent qu'ils sont scrutés jour après jour. Ce n'est pas agréable, mais il faut être courageux. Dans notre ADN, il y a le courage et l'espérance, donc nous allons essayer.

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Je rappelle que notre commission d'enquête a fait le tour de l'ensemble des éditeurs et des obligations des conventions. Jusqu'à maintenant, se sont exprimés deux députés Renaissance, deux députés Rassemblement national, un député de La France insoumise – groupe auquel appartient le rapporteur –, un député Les Républicains, un député Modem, un député Socialiste et une députée Écologiste. Nous avons respecté les équilibres en prenant en compte le fait que j'appartiens au groupe Renaissance. Il y a encore sept demandes de parole, dont six émanent de membres de la commission. Je donne toutefois la parole à M. le rapporteur, de manière à ce qu'il puisse aller au bout de ses travaux. Je suis sincèrement désolé pour les collègues frustrés, mais j'ai d'abord donné la parole aux membres du bureau, puis aux députés membres en respectant les équilibres politiques.

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Monsieur Bolloré, j'ai quatre questions à vous poser, auxquelles je vous demanderai de bien vouloir répondre brièvement. La première concerne le Togo, qui est un peu le fil rouge de vos activités télévisuelles. En octobre 2017, un reportage de « L'Effet Papillon » est retiré des antennes. Puis le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) sanctionne la chaîne pour la diffusion de ce qu'il a considéré comme étant un publireportage en faveur du régime de ce pays, qui est dirigé par Faure Gnassingbé. Par la suite, le numéro deux de Canal+ International, François Deplanck, est licencié pour la diffusion en Afrique du reportage de « L'Effet Papillon » qui n'était plus visible en ligne. Cette affaire concerne aussi la concession du port de Lomé, pour laquelle vous avez plaidé coupable. L'affaire étant en cours, je ne vous demanderai évidemment aucun détail sur le sujet, mais il me paraît toutefois assez évident que vos intérêts au Togo ont déterminé des choix au sein de la rédaction de Canal+. Comment pourriez-vous nous prouver le contraire ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Ce n'est pas à moi de prouver le contraire. Je ne suis jamais intervenu là-dessus, je n'ai jamais vu les choses dont vous me parlez, donc je ne peux pas apporter de preuve au sujet de quelque chose que je ne connais pas. Pardonnez-moi, j'essaie, comme vous me l'avez demandé, d'être le plus concis possible. Je ne suis pas au courant.

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La diffusion de ce publireportage concernant le régime togolais sur Canal+ a donc été tout à fait fortuite, alors que vos pratiques pour obtenir la concession du port de Lomé ont été frauduleuses ?

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Je rappelle que la concession du port de Lomé n'est pas l'objet de cette commission d'enquête. On peut parler du reportage mais pas du port et de la concession, sujets sur lesquels vous n'avez pas à répondre, monsieur Bolloré.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Nous avons obtenu la concession il y a vingt ans, donc ça ne peut pas entrer en ligne de compte. Je ne suis intervenu en rien, je ne suis au courant de rien, j'ai simplement lu ce qui a été dit, au cours des auditions, par les équipes, lesquelles ont indiqué que je n'étais pour rien là-dedans. Je n'ai pas l'habitude de me défiler mais, en l'occurrence, je ne peux pas vous apporter de réponse.

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Le CSA s'était prononcé, pourtant.

Pouvez-vous me dire si vous participez aux réunions du mardi à Vivendi ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Moins maintenant. J'y vais un mardi sur trois ou un mardi sur quatre, c'est-à-dire sept à huit fois par an. Ils ont déménagé, ils avaient trois bâtiments différents…

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Pardon, mais pouvez-vous m'expliquer ce qu'il se passe au cours de cette réunion du mardi, car je fais partie de ceux qui ne savent pas de quoi il s'agit ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Le mardi était le jour où je venais systématiquement. C'était un truc chic ; alors, on faisait le ménage et les gens arrivaient plus tôt parce que j'étais là. Il y avait une petite agitation. Demandez à Jean-Christophe Thiery – il racontait que, lorsque je venais le mardi, il y avait plus de monde. Le temps a passé, j'y vais maintenant moins souvent. Cela commence par un café dans le bureau de Maxime Saada, puis un certain nombre de gens passent. Je n'y étais pas mardi dernier, ni le mardi précédent. J'espère y aller mardi prochain.

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En revanche, vous téléphonez tous les jours à Serge Nedjar, mais sans jamais cherchez à l'influencer ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Je ne lui téléphone pas tous les jours, mais chaque fois qu'il fait plus de 3 % et qu'il bat BFM TV – ce qui, depuis trois semaines, se produit quatre jours par semaine. Je le connais très bien. Il est sur les charbons ardents, car il a 66 ans et doit encore rembourser un prêt immobilier pendant neuf ans, me semble-t-il. Il se demande ce que va devenir son gagne-pain. Lorsque je l'appelle, ça dure dix secondes. Généralement, je ne lui passe un coup de fil que lorsqu'il a réalisé les performances dont je viens de vous parler.

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Il semble qu'en septembre 2023, vous vous soyez rendu à l'Élysée pour rencontrer le Président de la République. Pouvez-vous nous dire quel était l'objet de votre rencontre et quels sujets ont été abordés au cours de la discussion ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Il se trouve que, dans ma situation, je rencontre beaucoup de gens. J'ai rencontré beaucoup de présidents de la République. J'ai commencé à connaître le général de Gaulle, je tutoyais Pompidou, avec qui je jouais aux cartes. Je ne parle pas de Nicolas Sarkozy ni de François Hollande. Pour revenir à votre question, j'ai peut-être été reçu, je ne sais pas si c'est à la date que vous dites. Je suis reçu régulièrement, plusieurs fois par an, par des personnages importants, pas forcément français, d'ailleurs, qui me demandent mon avis, qui trouvent que l'on a bâti un groupe intéressant. On parle de la batterie électrique, de la Bretagne, à laquelle je suis très attaché, de choses comme cela. Je suis très honoré d'être reçu par des personnes importantes, comme d'être ici devant vous. C'est une preuve de considération.

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Avez-vous évoqué les propos de Mme Rima Abdul-Malak, qui était ministre de la culture, ou de M. Pap Ndiaye, qui était ministre de l'éducation nationale, au sujet de la réattribution des fréquences des chaînes, et de CNews et d'Editis ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Absolument pas.

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Mme Abdul-Malak déclarait : « C'est le rôle de l'Arcom […] au moment de faire le bilan de ces obligations, de vérifier qu'elles ont été bien respectées, pour pouvoir ensuite évaluer si la reconduction de cette fréquence est justifiée ou pas ». À la suite de cette affirmation, qui rappelait le cadre légal, nous avons relevé plusieurs communiqués officiels, une campagne de publicité élaborée par une agence appartenant à Havas, des heures d'antenne sur CNews – qui y a consacré vingt-neuf débats –, trois articles dans Le Journal du dimanche, et un éditorial dans Paris Match pour défendre les chaînes du groupe. Par ailleurs, le 11 juillet 2023, sur le plateau de CNews, Louis de Raguenel accable Pap Ndiaye et Rima Abdul-Malak, en qui il voit les deux « ministres woke » du Gouvernement. En septembre 2023, un sondage de CSA, qui vous appartient, pour CNews, qui vous appartient, révèle que 62 % des Français ne feraient pas confiance à Pap Ndiaye en tant que ministre de l'éducation. Cette opération contre les deux ministres était-elle concertée et coordonnée entre les différents médias du groupe ? Le but était-il de les intimider ? Un bandeau indiquait, sur la chaîne CNews : « CNews, C8 : la ministre de la culture veut retirer les fréquences. » Manifestement, cette affirmation n'était pas exacte. Partagez-vous cette appréciation ?

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Le groupe est tellement vaste – je ne sais pas combien il y a d'heures d'antenne, de journaux, de livres – que vous pouvez lui faire dire n'importe quoi. L'autre jour, quelqu'un m'a dit : « Mais en fait, vous êtes LFI : M. Caron, M. Boyard, Mme Unetelle travaillent chez vous ». On peut y trouver de tout. J'ai vu que le livre de Mme Binet, secrétaire générale de la CGT, sortait ce matin chez Grasset, maison d'édition qui est chez moi. Vous pouvez prendre des petits bouts, les coller et bâtir une théorie. Je ne connais pas Mme Rima Abdul-Malak. Par nature, je respecte tous les ministres de la République comme tous les députés. Mme Abdul-Malak a le droit de penser ce qu'elle veut. Je ne la connais pas, je ne sais pas, je ne peux pas vous dire, mais vous pouvez sans doute regarder sur d'autres chaînes. Je déplore que l'on dise du mal des gens, mais les personnes publiques se font de temps en temps chahuter. Ce n'est pas parce que je suis sur TF1, le soir, et passe pour un crétin devant je ne sais combien de millions de téléspectateurs que je pense que c'est parce que Martin Bouygues m'en veut : je considère que c'est le lot des personnes publiques. Les gens de Canal+ font bien leur boulot, vous les connaissez. Jean-Christophe Thiery, Maxime Saada et leurs équipes sont remarquables. Les équipes de Vivendi sont de grande qualité. Je suis fier de leurs résultats, de ce groupe et de tous les gens qui y travaillent.

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Dans le numéro du 17 février 2024, L'Opinion publie un article intitulé : « Pourquoi Jordan Bardella vole au secours de CNews ». Je vous en livre quelques extraits : « “ L'antenne de CNews n'exprime pas le pluralisme politique d'une chaîne d'info !" Le sermon ne vient pas de Reporters sans frontières, mais de Marine Le Pen. En octobre 2021, […] [elle] admonestait son directeur, Serge Nedjar, lui reprochant de rouler pour son concurrent, Éric Zemmour. » On lit, un peu plus loin que Sébastien Chenu déjeunait avec Serge Nedjar l'an passé. Notre collègue Philippe Ballard affirmait quant à lui : «“ Reconquête a disparu du paysage, nous sommes puissants. Depuis deux ans et demi, je sens un changement [comprendre : dans les médias] : peut-être les médias sentent-ils qu'on arrive au pouvoir ?ˮ » (Exclamations.)

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Le même article rapporte des propos de Philippe Olivier, qui parle de vos chaînes : « “ Ses chaînes parlent immigration, sécurité et dette […]. Nous lui sommes très reconnaissants de ce qu'il a fait dans les médias : Europe 1, CNews, Le JDD. Avant, nous avions si peu de présence à la télévision que nous collions des affiches quand c'était le cas ! ˮ » Ces citations ne sont-elles pas de nature à vous faire penser que, peut-être, vous coopérez, que vous le vouliez ou non, à une entreprise politique.

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Vincent Bolloré, conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+

Je répète que l'on peut prendre des petits bouts de chaque chose et faire dire aux gens exactement le contraire de ce qu'ils ont voulu dire. J'avais affirmé lors de la dernière audition, il y a deux ans, que j'étais woke, car Le Robert, à la pointe sur l'écriture inclusive, faisait partie du groupe. Si vous prenez des petits bouts de phrase, vous pouvez faire dire n'importe quoi. Je ne crois pas du tout que l'on puisse, à partir de théories que l'on veut mettre en avant, prendre ces petits bouts et en tirer des conclusions. Ce n'est pas juste.

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Merci, monsieur le président, pour l'ensemble des réponses que vous nous avez apportées. Vous pouvez nous adresser tous les documents que nous n'avons pu évoquer au cours de l'audition. Ils seront remis aux membres de la commission d'enquête, à l'instar des réponses écrites que vous voudrez bien fournir au questionnaire qui vous a été transmis. Je présente mes excuses aux députés qui n'ont pas pu poser de question. J'ai pris en compte les temps des différents groupes, en décomptant le mien de celui du groupe Renaissance – je prie ses membres de m'en excuser. Nous avons donné la priorité aux membres du bureau. Nous avons respecté – et même appliqué avec une certaine rigueur – la décision du bureau qui avait été prise à l'unanimité des groupes.

La commission auditionne des représentants sur l'accessibilité des programmes aux personnes malentendantes et malvoyantes :

- Mme Pauline Combredet-Blassel, directrice générale adjointe de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)

- M. Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH)

- M. Thomas Soret, président de l'Union des associations nationales pour l'inclusion des malentendants et des sourds (Unanimes)

- M. Bernard Defebvre, président de la Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et des amblyopes (CFPSAA)

- Mme Chantal Clouard, docteur en psychologie, orthophoniste, co-fondatrice du groupe de recherche sur les apprentissages et le langage de l'Institut national des jeunes sourds de Paris (INJS)

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Mes chers collègues, nous allons à présent tenir une table ronde consacrée à l'accessibilité des programmes de la TNT aux personnes en situation de handicap sensoriel, sourds et malentendants, malvoyants et non-voyants.

Je précise que nous avons mis en place un dispositif d'accessibilité pour la présente table ronde, à la suite de l'incident de la semaine dernière intervenu lors de la table ronde consacrée à la diversité de la société française, qui n'était pas totalement accessible aux participants sourds. Cet épisode nous montre à quel point ce dispositif n'est malheureusement pas la norme à l'Assemblée nationale, alors même que nos travaux doivent être accessibles à tous.

Pour y remédier, des boucles magnétiques et des prises casques sont disponibles aujourd'hui dans la salle. Nous avons également prévu un dispositif de transcription des propos tenus. Cette transcription est incrustée en sous-titres de la vidéo diffusée sur le site internet et sur les télévisions qui sont placées devant vous, chers collègues. Enfin, deux interprètes traducteurs permettront aux personnes de suivre et de s'exprimer en langue des signes pendant la table ronde. Nous convenons que ce dispositif n'est pas exceptionnel et qu'il aurait dû être mis en place dès la semaine prochaine, mais l'organisation de la réunion du Congrès dans des délais resserrés ne l'avait pas permis la semaine précédente.

Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mmes Combredet-Blassel, Clouard et MM Boroy, Soret, Defebvre prêtent serment).

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Pauline Combredet-Blassel, directrice générale adjointe de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Je vous remercie pour cette invitation, qui me permet de parler d'un sujet auquel l'Arcom attache une réelle importance. Le cadre qui fixe l'accessibilité des programmes audiovisuels a évolué avec le temps, d'abord en 2005 avec la demande que les programmes audiovisuels soient rendus accessibles aux personnes sourdes et malentendantes ; puis en 2009, avec la nécessité que les programmes soient rendus accessibles aux personnes aveugles et malvoyantes. Enfin, en 2020 a eu lieu la transposition de la directive du 14 novembre 2018 dite « directive services de médias audiovisuels (SMA) », qui demande que les services de médias audiovisuels, et non plus seulement les chaînes de la TNT, contribuent à rendre accessibles certains de leurs programmes.

En pratique, la loi précise que les chaînes du service public et les chaînes de la TNT dont la part d'audience est supérieure à 2,5 % doivent rendre accessibles aux personnes sourdes et malentendantes l'ensemble de leur programmation. Les chaînes dont la part d'audience est inférieure 2,5 % doivent convenir dans le cadre des conventions établies avec l'Arcom la proportion de leurs contenus qui doivent être rendus accessible aux personnes sourdes et malentendantes, c'est-à-dire être sous-titrés. Non seulement les chaînes appliquent ces exigences, mais elles les dépassent souvent en réalité.

Ce point est important, dans la mesure où les textes indiquent que le régulateur contribue à l'amélioration continue de l'accessibilité, tant d'un point de vue qualitatif que quantitatif. Nous avons donc travaillé avec les différents éditeurs pour améliorer la qualité des contenus proposés et nous nous saisissons de chaque opportunité pour essayer de renforcer ces exigences. Ainsi, en 2022, dans le cadre d'une procédure de reconduction simplifiée pour six chaînes de la TNT, nous avons augmenté la proportion de contenus qui devaient être sous-titrés.

Il convient également de mentionner les dispositifs qui ont été mis en place pour développer l'utilisation de la langue des signes française (LSF). La loi n'impose pas aux chaînes d'y avoir recours. Cette utilisation intervient dans le cadre des conventions établies avec elles, notamment pour les chaînes d'information qui doivent proposer chaque jour un ou deux journaux télévisés (JT) traduits en langue des signes, à différents horaires. Il en va de même pour certaines chaînes jeunesse qui proposent des programmes comme T'choupi, Trotro ou Barbapapa, qui sont également accessibles en langue des signes.

S'agissant de l'accessibilité des contenus aux personnes aveugles et malvoyantes, la loi impose simplement que les chaînes dont la part d'audience est supérieure à 2,5 % conviennent avec l'Arcom d'une certaine quantité de contenus audiodécrits. En pratique, nous avons réussi à être mieux-disants, puisque toutes les chaînes de la TNT ont, dans leur convention, des obligations en matière d'audiodescription. En conséquence, selon les chaînes, il existe environ une dizaine à une centaine de contenus audiodécrits chaque année. Ici aussi, à chaque fois qu'une occasion se présente dans nos discussions avec les éditeurs, nous essayons de rehausser le niveau d'exigence. Par exemple quand TF1 et M6 ont récemment remporté l'appel à candidature que l'Arcom avait lancé, le nombre de contenus audiodécrits est passé d'une centaine à 375 par an, à l'horizon 2027. Ensuite, pour les services de médias audiovisuels à la demande, nous établissons avec eux, en fonction de leur chiffre d'affaires, un pourcentage de leur catalogue qui doit être rendu accessible et qui va de 1 % à 5 %. Ces pourcentages peuvent paraître faibles, mais ils concernent un nombre important de contenus, compte tenu de la profondeur de leur catalogue.

Le bilan de la mise en œuvre de cette mission est globalement positif selon nous. Chaque année, les éditeurs proposent de nouveaux engagements. Naturellement, des progrès restent à accomplir et nous travaillons à l'amélioration de la quantité et de la qualité des contenus accessibles. À ce sujet, l'enjeu de la quantité de contenus accessibles pose la question de l'automatisation, qu'il faut évidemment regarder avec intérêt, mais aussi vigilance. En matière de sous-titrage, des expérimentations sont ainsi intéressantes. Un sous-titrage automatique n'équivaut pas à un sous-titrage réalisé par un professionnel, mais dans certains cas, il constitue une solution complémentaire, qui présente un intérêt. Nous avons notamment observé avec beaucoup d'intérêt l'expérimentation menée par la chaîne France Info, qui a sous-titré de façon automatisée l'intégralité de sa programmation. En matière d'audiodescription, une telle automatisation est en revanche bien plus difficile.

S'agissant de l'amélioration de la qualité de l'accessibilité, trois éléments doivent être relevés. En premier lieu, il faut essayer d'accompagner au mieux les éditeurs. L'Arcom a ainsi produit plusieurs chartes et guides en matière de langue des signes française et d'audiodescription. Il nous paraît important de guider les éditeurs dans la mise en place des solutions qu'ils choisissent. Par exemple, il suffit qu'un interprète porte des vêtements de la même couleur que le fond de l'image pour rendre le dispositif non opérationnel.

Ensuite, le deuxième point concerne la réflexion sur la nature des contenus rendus accessibles en matière d'audiodescription, que les associations nous ont fréquemment fait remonter. La majorité des contenus audiodécrits sont des fictions, mais il existe une réelle attente pour qu'il en soit de même pour des magazines d'information ou des magazines d'enquête. Nous devons travailler particulièrement sur ce point.

Enfin, le dernier point a trait à l'accessibilité des événements importants de notre vie démocratique, notamment les élections. En 2022, à l'occasion des élections présidentielles et législatives, nous avons demandé aux éditeurs – alors même que la loi ne les y oblige pas – que tous les programmes des campagnes électorales officielles soient intégralement interprétés en langue des signes française. Nous envisageons de prendre des dispositions similaires pour les élections européennes à venir.

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Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées

Je vous remercie pour cette invitation renouvelée à échanger sur les enjeux de l'accès à l'information et aux programmes audiovisuels. Je me réjouis de la confirmation que l'Assemblée nationale a la capacité de rendre accessibles ses commissions d'enquête et les réunions qu'elle organise.

Le Conseil national consultatif des personnes handicapées privilégie la co-construction des politiques publiques, en s'assurant de la participation et de la représentation des personnes handicapées, quel que soit leur handicap, mais aussi de leurs familles et des professionnels qui contribuent à leur autonomie au quotidien. Nous veillons à l'accès aux droits fondamentaux de toutes les personnes que nous représentons. Le sujet que nous évoquons aujourd'hui est vraiment au cœur de notre implication, puisque l'accès aux programmes audiovisuels est la condition de l'accès à l'information, à la citoyenneté et à l'éclairage du citoyen.

Il y a exactement vingt ans, en février 2004, débutaient les débats parlementaires qui aboutirent à la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. À l'époque, nous essayions de convaincre de l'intérêt d'engager une obligation d'accessibilité sur les programmes télévisés dans la loi et le législateur a finalement retenu ce principe, créant une obligation pour l'ensemble les chaînes de rendre accessibles leurs programmes, d'une part avec le sous-titrage ; et d'autre part avec l'audio description, dans des proportions qui n'étaient pas précisées à l'époque. En outre, les chaînes publiques et les chaînes privées dont l'audience annuelle est supérieure à 2,5 % avaient cinq ans pour rendre accessible la totalité de leurs programmes. En 2010, l'objectif avait quasiment été atteint, notamment grâce à une montée en puissance très importante en 2007, à la veille de l'élection présidentielle. En l'espace de quinze jours, à la fin mars 2007, en plus de France 2 qui le faisait déjà, TF1, M6 et Canal+ ont commencé à sous-titrer leurs programmes en temps réel. Nous avons ensuite continué à interagir avec le régulateur et les chaînes, notamment les chaînes publiques. Malheureusement, notre collaboration avec les autres chaînes s'est ensuite un peu affaissée.

Désormais, il reste un certain nombre de défis à relever, afin que cette accessibilité demeure efficace et pertinente, au quotidien, dans la vie des personnes. Le premier concerne les enfants, pour leur permettre d'avoir accès à l'ensemble des programmes télévisés qui leur sont destinés. En effet, le sous-titrage suppose de savoir lire, ce qui n'est pas toujours le cas des jeunes enfants. Il est donc important de disposer de programmes jeunesse accessibles grâce aux autres langues et outils de communication, comme la langue française parlée complété (LFPC), qui peuvent être parfois utilisées par les jeunes sourds.

Un autre défi porte sur le volume de programmes accessibles en langue des signes. En effet, dans ce domaine, à part quelques engagements pris collectivement, notamment par les chaînes d'information continue, il n'existe pas de cadre précis pour inciter les chaînes à progresser dans la diffusion de programmes accessibles en langue des signes.

Le sujet des télévisions locales a également pris de plus en plus d'importance, à mesure que celles-ci se sont développées. Il est nécessaire de pouvoir les embarquer dans notre dynamique d'accessibilité.

En outre, la qualité des modalités d'accessibilité est essentielle. Le sous-titrage, la langue des signes et l'audiodescription ont fait l'objet de trois chartes distinctes. Malheureusement, notamment pour les programmes diffusés en direct, toutes les chaînes ne sont pas en mesure d'afficher un sous-titrage permettant de comprendre ce qui est dit, en temps réel. À ce sujet, il existe aujourd'hui des solutions très intéressantes. Lors de certaines occasions, notamment lorsque le Président de la République intervient, le nombre d'interprètes à l'écran est parfois doublé pour améliorer la simultanéité des interventions. Tel a été par exemple le cas lors du débat de l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle, avec un interprète pour chaque candidat. Ce modèle, mis en place pour la première fois à titre expérimental en 2007 par La Chaîne parlementaire (LCP), qui s'est arrêtée un peu après, n'est pas encore le choix de l'ensemble des chaînes de télévision. Il peut aussi s'appliquer au sous-titrage.

Un autre défi concerne la meilleure quantification de l'objectif d'accessibilité avec l'audiodescription, qui n'est pas encore suffisamment disponible sur les programmes. Il convient aussi de mentionner la possibilité de rendre accessibles les mêmes programmes sur les sessions de rattrapage – en replay – quelles que soient les modalités de consommation (télévision, tablette ou téléphone).

Enfin, nous devons également penser notre accessibilité au-delà des seuls publics de personnes sourdes, malentendantes, aveugles ou malvoyantes. En effet, d'autres publics sont aussi en difficulté face aux programmes télévisés. Je pense notamment aux personnes qui souffrent d'un handicap de la compréhension, comme les personnes aphasiques ou les personnes consommatrices du français facile à lire et à comprendre. Ces modalités peuvent également être déclinées dans la diffusion de programmes, qu'il s'agisse de l'animation de certains programmes ou d'un sous-titrage qui pourrait être adapté en fonction des circonstances.

Le dernier concerne les publics « dys », qui éprouvent des difficultés face à l'écrit. Des initiatives intéressantes ont vu le jour dans ce domaine. Je pense notamment à Canal+, qui a développé un sous-titrage spécifique pour les personnes dys, qui peuvent le choisir dans les réglages « préférences ». Ce dispositif est encore très récent et ne peut encore faire l'objet d'un bilan, mais il a le mérite d'exister.

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Thomas Soret, président de l'Union des associations nationales pour l'inclusion des malentendants et des sourds

Notre association représente une population, mais qui est également très diverse, tels les sourds signants, les sourds oralisants, les sourdaveugles, les malentendants, les implantés et les appareillés. J'en profite pour vous remercier d'avoir assuré l'accessibilité de cette commission d'enquête et de la considération concernant l'enjeu de l'accessibilité pour l'audiovisuel.

Les deux précédents intervenants ayant déjà évoqué nombre de sujets clefs, je détaillerai des problématiques pour les personnes sourdes et malentendantes, sourdaveugles. Je pense notamment au décalage entre la parole et le sous-titrage, qui peut être parfois important ; la qualité du sous-titrage ; la qualité de l'interprétation en langue des signes française ; la présence ou non de l'audiodescription. De plus, il demeure une inégalité importante entre les programmes nationaux et les programmes régionaux. La représentante de l'Arcom a également bien souligné que l'audiodescription était effectivement plus fréquente pour les programmes de fiction, quand la LSF est plutôt présente lors des programmes d'information.

Je souhaite également mentionner le cas spécifique des sourdaveugles, qui sont confrontés à l'accessibilité des sous-titres. Ils ne peuvent pas toujours bien lire les sous-titres, ni paramétrer la taille ou même la police, notamment avec la police luciole, une police élaborée pour les malvoyants. En résumé, un véritable enjeu porte sur la qualité du sous-titrage, mais aussi la visibilité des interprètes. Lors de la dernière conférence du Président de la République, la vélotypie et le médaillon de l'interprète étaient à peine visibles, ce qui nous a conduit à produire un communiqué de presse.

En conclusion, l'accessibilité audiovisuelle pour tous les sourds malentendants et sourdaveugles s'est nettement améliorée. Cependant, malgré le respect de la réglementation, nous sommes encore loin de répondre aux attentes des personnes concernées.

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Bernard Defebvre, président de la Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et des amblyopes

Je vous remercie de nous recevoir pour traiter ce sujet important. Notre confédération rassemble les grandes associations nationales de personnes déficientes visuelles. Aujourd'hui, environ deux millions de personnes en France souffrent de problèmes de vue, dont 200 000 aveugles. Cependant, avec l'âge, un grand nombre de personnes éprouvent des difficultés visuelles.

La déficience visuelle est malheureusement trop souvent ignorée. Grâce à l'ancienne conseillère du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), Mme Christine Kelly, les premières conventions portant sur l'audiodescription ont été signées avec les chaînes de télévision. Si elle n'avait pas été là, la situation aurait évolué beaucoup plus lentement. Aujourd'hui, de nombreuses fictions et séries sont audiodécrites, soit environ 81 % des œuvres diffusées. La situation est néanmoins bien plus compliquée pour le reste des programmes. Certes, les personnes aveugles sont adeptes d'autres modes de diffusion, particulièrement la radio. Cependant, nous sommes aujourd'hui réunis pour évoquer les chaînes de la TNT.

Encore une fois, de nombreux efforts ont été réalisés. Aujourd'hui, les films récents qui sont diffusés à la télévision depuis 2020 sont obligatoirement audiodécrits, grâce au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et des documentaires commencent à l'être, ce qui est véritablement utile. Le groupe qui propose à ce titre le plus grand nombre d'audiodescriptions est France Télévisions, lequel fournit un véritable effort en la matière.

Cette audiodescription aujourd'hui est souvent bien réalisée, grâce à de nombreux laboratoires spécifiques, dont la qualité des productions varie néanmoins. Celle-ci est particulièrement liée à l'attention humaine qui lui est portée et nous pouvons à ce titre craindre le développement de l'intelligence artificielle, qui est déjà utilisée sur les chaînes payantes. Certes, un plus grand nombre de programmes seront audiodécrits, mais s'ils sont de mauvaise qualité, cela ne sera pas utile.

Comme mes collègues, je souhaite mettre en avant la nécessité de l'audiodescription pour les chaînes locales. Je conçois bien qu'il ne s'agit pas d'une obligation, mais cette audiodescription permet à de nombreuses personnes de pouvoir suivre en temps réel des fictions, et bientôt des programmes de sport. À l'occasion des Jeux olympiques de Paris cet été, les chaînes, et notamment France Télévisions, diffuseront au moins sept heures d'oralisation des programmes. Ce dispositif est différent de l'audiodescription, plus compliqué car simultané.

En conclusion, les grandes chaînes publiques de télévision ont joué le jeu de l'audiodescription. En revanche, les petites chaînes, dont la part d'audience est inférieure à 2,5 % proposent un nombre de programmes bien plus limité, malgré la vigilance de l'Arcom. Enfin, je suis très heureux que vous puissiez aborder ce procédé d'audiodescription à l'Assemblée nationale, car il est essentiel pour la population des déficients visuels. Créé aux États-Unis en 1989, mis en place à la télévision à partir de 2012, il n'est utilisé que pour 4 % de l'ensemble des programmes diffusés.

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Chantal Clouard, docteur en psychologie, orthophoniste

Je vous remercie de votre invitation à cette audition. En premier lieu, il me faut insister sur l'effort considérable qui a été réalisé dans l'extension des offres proposées à la télévision, en particulier les journaux télévisés et les fictions. Cette extension est également due au rôle de certaines plateformes de diffusion de programmes en continu ou streaming, qui offrent des systèmes diversifiés, aussi bien concernant la langue des signes que le sous-titrage ou la vélotypie.

Si le développement quantitatif reste un objectif majeur, il ne peut s'accomplir au détriment de la qualité. Il s'agit à la fois d'une exigence, d'un équilibre, mais aussi un certain défi à tenir. Au fond, on ne saurait négliger les règles de bonnes pratiques telles qu'elles ont pu être énoncées dans les précédentes chartes relatives à l'émission et la réception des contenus.

S'agissant de l'interprétation en LSF, la visibilité du locuteur, la taille et le fond de l'image, l'éclairage et le cadrage ne sont pas toujours respectés. Or il faut y être attentif. Un effort considérable a été produit pendant la période de pandémie, pour la diffusion. Compte tenu de cette expérience adaptative, de nouvelles habitudes et peut-être de nouvelles régularités de diffusion en langue des signes française pourraient être instituées. La langue des signes doit être valorisée comme une langue à part entière, parmi d'autres langues, en tenant compte de certaines de ses spécificités.

Les sous-titrages sont donc nombreux et plus accessibles, mais là aussi, les règles spécifiques doivent absolument être respectées. En particulier, la charte a défini des règles d'harmonisation quant aux codes de couleur, l'agrandissement du texte ou la qualité du discours et de l'orthographe. Dans certains cas, sur certaines chaînes, il a pu être constaté que ces sous-titres étaient souvent trop petits ou peu lisibles. Dès lors, des améliorations sont à attendre, dans le sens d'une plus grande exigence. Ensuite, la diffusion des séries et des fictions étrangères a plutôt favorisé dans les faits la qualité du sous-titrage : les adaptations françaises, par exemple de l'anglais, sont souvent de bonne qualité.

Pour avoir moi-même vécu l'expérimentation de la vélotypie dans l'institut où je travaille, j'estime que cette offre est particulièrement précieuse. Elle peut être utilisée conjointement à la langue des signes, ou de manière spécifique. Il faut souligner qu'elle est complexe et qu'elle a des exigences propres, afin d'éviter les contresens et les erreurs portant sur les noms propres, les termes techniques. Elle exige un travail de préparation pointu et si l'automatisation peut revêtir un intérêt, il importe surtout de ne pas perdre la qualité du discours.

En outre, il me semble primordial de tenir compte de la diversité du public, y compris du public déficient sensoriel, des personnes malentendantes, et de proposer également des offres en direction d'une meilleure réception vocale. En effet, comme vous le savez, chez les sujets sourds, les difficultés sont différentes. Dès lors, en matière de réception vocale, l'intelligibilité et la qualité sont extrêmement importantes. À ce titre, je souhaite faire part ici d'une initiative nouvelle : la chaîne Arte offrira en avril une nouvelle fonctionnalité, le « confort audio », inspiré du « Klare Sprache » des chaînes allemandes, en particulier ARD et ZDF. Il s'agit d'une piste audio supplémentaire qui permettra une meilleure qualité et une meilleure accessibilité des voix et des dialogues.

Enfin, pour conclure, je tiens aussi insister sur la représentation du handicap sensoriel. Les supports identificatoires, en particulier les modèles, sont importants pour les enfants et les adolescents. Cependant, il me semble primordial de veiller à ne pas présenter ces modèles de manière réductrice, caricaturale, eu égard aux particularités des personnes présentant un handicap. Il faut éviter de diffuser de fausses représentations, puisque le point de vue adopté doit être encore une fois exigeant, et tenir compte de la diversité des individus à l'intérieur d'un même handicap.

Ainsi, une présentation parfois abusive de super-performance en langue des signes ou en lecture labiale n'est pas constructive. Il convient plutôt de s'assurer de la présence accrue de personnes « véritables », c'est-à-dire de présentateurs, d'acteurs, d'animateurs, de personnes du monde social, qui serait beaucoup plus apte à véritablement proposer un projet d'inclusion, d'accueil et de reconnaissance des difficultés.

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Comme vous le soulignez, si l'accessibilité est importante, la représentation – sur laquelle un travail complémentaire doit être effectué – est encore plus essentielle. Je vous remercie par ailleurs pour les mots prononcés à l'égard de l'audiovisuel public qui doit montrer l'exemple. Arte et France Télévisions agissent en ce sens et nous nous devons de les accompagner.

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Avant d'interroger les personnes auditionnées, je souhaite effectuer une annonce devant notre commission. J'ai demandé l'audition de l'ancienne ministre Mme Rima Abdul Malak dans le cadre de notre commission. Le président de la commission d'enquête n'a pas souhaité donner suite à cette demande jusqu'à présent. En conséquence, je demanderai que le président réunisse la commission, afin que nous nous prononcions ensemble sur l'opportunité d'auditionner Mme Rima Abdul Malak.

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Si la demande d'une réunion de bureau limite son ordre du jour à l'audition Mme Rima Abdul Malak, un refus sera opposé. En effet, Mme Abdul Malak n'a jamais été citée jusqu'à présent par les auditionnés comme étant intervenue dans le moindre dossier concernant le sujet qui nous réunit. Si nous devions l'interroger, il nous faudrait alors auditionner l'ensemble des ministres de la culture qui se sont succédé depuis le début de la TNT.

Enfin, nous avions décidé communément, avec l'ensemble des groupes politiques, de la liste des auditions jusqu'à la fin de la commission d'enquête, le 21 mars. Cette audition n'était pas sur la liste de l'ensemble des groupes politiques qui étaient présents lors de la réunion de bureau. Je vous confirme donc que l'ensemble des auditions prévues sont programmées. Cette commission d'enquête ne s'est jamais limitée pour traiter les sujets qui la concernaient, allant jusqu'à auditionner des actionnaires, des journalistes, des producteurs et des présentateurs.

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Nous aurons l'occasion d'en rediscuter, puisqu'il me semble qu'un point de règlement permet, de droit, à la commission de se prononcer sur ce genre de sujet et que vous n'êtes en la matière que délégataire de la responsabilité de ces décisions.

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M. le rapporteur, je pense que l'audition de ce jour n'est pas le lieu idoine pour discuter de ces sujets. Je regrette ce manque de courtoisie de votre part qui, qui ne correspond pas au travail que nous avons conduit depuis quelques mois. Il est bien dommage d'en finir de la sorte, mais ainsi en va-t-il en politique. Enfin, j'ai consulté la plupart des membres votants du bureau et vous annonce que sept sur dix ne souhaitent pas mener cette audition. Mais si vous y tenez vraiment, nous verrons.

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Monsieur Boroy, vous avez évoqué le fait que les relations avec certaines chaînes se sont distendues avec le temps. Pouvez-vous nous en dire plus ?

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Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées

De manière historique, nous avons engagé un lien avec les chaînes publiques, principalement celles du groupe France Télévisions. Nous participons ainsi à une réunion annuelle avec la présidente du groupe, complétée par plusieurs d'échanges dans l'année avec l'ensemble des directions concernées. Au sein du groupe, il existe ainsi une filiale entièrement dédiée à l'accessibilité des programmes. À ce titre, un rapprochement avec les stations de Radio France aurait toute sa pertinence en ce qui concerne les sujets d'accessibilité et les progrès afférents à accomplir. Le dialogue que nous avons engagé est donc satisfaisant et a permis de porter ses fruits concernant la chaîne de télévision France Info.

En 2009, sous la houlette de Christine Kelly, déjà citée, un accord est intervenu avec les chaînes d'information continue de l'époque, LCI, BFM TV et I-Télé. Ces chaînes considéraient qu'elles n'étaient pas en mesure de rendre l'ensemble de leurs programmes accessibles. L'arrangement établi par le CSA a consisté à répartir des parties de la journée entre ces trois chaînes. Pour chacune des tranches horaires concernées, les chaînes devaient sous-titrer quatre journaux et assurer l'interprétation en langue des signes d'un journal.

Ensuite, quand la chaîne France Info a été créée, les dirigeants Delphine Ernotte et Mathieu Gallet ont annoncé que la chaîne assurerait le sous-titrage de six journaux par jour. De notre côté, nous considérions que cette chaîne était une chaîne publique et qu'à ce titre, elle devait rendre accessible aux personnes sourdes et malentendantes l'intégralité de ses programmes. Il a fallu quelques mois, pour pas dire quelques années, pour parvenir à un consensus, qui a été formalisé à la conférence nationale du handicap de 2020. À cette époque, il a été convenu que la vélotypie ne serait peut-être pas facilement mobilisable vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C'est à ce moment que nous avons noué un partenariat pour tester et évaluer la solution automatique sur cette chaîne.

Nous menions également des échanges réguliers avec d'autres chaînes, soit directement, soit sous la houlette de l'autorité de régulation. Malheureusement, ces échanges se sont interrompus, sauf cas précis. Par ailleurs, il existe, au sein de ce dispositif, un « trou dans la raquette » avec La Chaîne parlementaire et Public Sénat, qui ne sont pas soumises au même régime, bien qu'elles soient diffusées via la TNT et qu'elles constituent le support d'une information publique à laquelle les citoyens doivent pouvoir accéder en temps réel.

Enfin, je profite de nos échanges de ce jour pour vous réitérer notre disponibilité et notre détermination, afin de faire en sorte que ces deux chaînes progressent en direction d'une information intégralement accessible.

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Comme vous le savez sûrement, la présidence de La Chaîne parlementaire sera bientôt renouvelée. Dans le cadre du rapport de cette commission d'enquête, je préconiserai que les candidats évoquent ce sujet de manière précise.

Madame Clouard, vous avez évoqué l'initiative d'Arte, inspirée d'un dispositif allemand. Je m'adresse à chacune et chacun d'entre vous : avez-vous des échanges avec des homologues étrangers qui vous permettraient de connaître des procédures, des méthodes ou des modes de financement dont la France devrait s'inspirer ?

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Chantal Clouard, docteur en psychologie, orthophoniste

Personnellement, je ne dispose pas d'autre contact, mais nous essayons d'être attentifs à cette question.

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Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées

Je souhaite souligner la particularité du sous-titrage à l'intention des personnes sourdes ou malentendantes. Il ne s'agit pas du sous-titrage classique que l'on connaît bien lorsque l'on regarde un programme diffusé dans une autre langue : il fait l'objet d'une adaptation supplémentaire, avec notamment un code couleur, qui permet de savoir qui parle et d'avoir des informations sur l'environnement sonore, qui apportent parfois du sens à l'image. L'objectif d'un sous-titrage de qualité dit « sourds ou malentendants » consiste ainsi à pouvoir regarder le programme, sans rien entendre. Ce sous-titrage adapté est vraiment nécessaire. Arte offre un sous-titrage qui peut être de la simple traduction, mais aussi dit « sourds ou malentendant » en français ou en allemand, en fonction du contexte.

S'agissant des pratiques étrangères, celles-ci sont variées. En termes de législation, le cadre réglementaire français a longtemps été plus intéressant que celui d'autres pays. La récente directive européenne sur l'accessibilité des biens et des services, qui confirme l'accessibilité des médias et de l'information, contribuera à harmoniser les pratiques.

Sans avoir de chiffres en tête, il me semble que d'autres pays sont plus habitués à la diffusion de programmes accessibles en langue des signes, qu'il s'agisse d'une interprétation simultanée ou de contenus présentés directement en langue des signes. L'exemple bien connu est le programme « L'œil et la main » de France 5, un programme bilingue présenté d'abord en langue des signes. Or ce type de programmes est plus fréquent dans d'autres pays, notamment les pays anglo-saxons.

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Pauline Combredet-Blassel, directrice générale adjointe de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

De notre côté, nous n'avons malheureusement pas identifié de modèles étrangers qui seraient particulièrement inspirants. Cependant, nous allons nous y intéresser avec d'autant plus d'attention que les compétences de l'Arcom en matière d'accessibilité ont été significativement élargies en 2023. Elles ont ainsi été étendues aux contenus numériques, ce qui nous invite encore plus à travailler avec nos homologues pour identifier les meilleures solutions de contrôle. Le dialogue entre l'Arcom et le CNCPH ne s'est pas distendu mais peut-être devons-nous veiller à ce que le CNCPH soit davantage associé. En effet, pour être efficaces en matière d'accessibilité, nous avons absolument besoin de l'expérience des associations et des publics qu'elles représentent.

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Thomas Soret, président de l'Union des associations nationales pour l'inclusion des malentendants et des sourds

Je souhaite revenir sur les deux interventions précédentes. L'Union des associations nationales pour l'inclusion des malentendants et des sourds a créé l'application Common TV, qui a pour ambition d'évaluer l'accessibilité audiovisuelle d'un programme. Depuis ma prise de fonction qui date de trois mois, je nourris l'ambition de relancer ce service, de développer un observatoire et d'élargir ce projet à l'audiodescription, pour concerner les personnes sourdaveugles ou les déficients visuels, mais aussi intégrer les plateformes de streaming.

Cette application a vocation à être utilisée par des milliers de personnes et constituer un outil pour l'Arcom et les chaînes, afin que les laboratoires de sous-titrage puissent améliorer rapidement leurs produits, notamment pour les émissions en replay. En effet, il existe parfois un décalage sur les émissions en direct entre la parole le sous-titrage, qui est reproduit en replay, alors qu'il suffirait parfois de décaler simplement le document qui contient les sous-titres.

Enfin, même si cela dépasse le champ de cette commission d'enquête, je souhaite évoquer le cas des réseaux sociaux. De nombreuses vidéos sont sous-titrées, mais ce sous-titrage s'interrompt bien souvent à la moitié du programme. De nombreux progrès demeurent donc à accomplir en la matière.

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Monsieur Defebvre, disposez-vous d'exemples de bonnes pratiques à l'étranger dont nous pourrions nous inspirer ?

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Bernard Defebvre, président de la Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et des amblyopes

Votre question est intéressante. Malheureusement, je n'ai pas de réponse adaptée ; je vais m'enquérir auprès de l'Union européenne des aveugles et de l'Union mondiale des aveugles. Cependant, je peux vous indiquer qu'au Royaume-Uni, les audiodescriptions existent depuis plus longtemps qu'en France.

Par ailleurs, j'ai oublié de mentionner un élément important pour les déficients visuels, qui sera peut-être réglé grâce à l'Arcom : les replays et les sites internet des chaînes de télévision autorisées en TNT sont en général difficilement accessibles. En effet, seulement 3 % des sites internet sont accessibles en France. Tel est malheureusement le cas du site des impôts par exemple. Cependant, je pense que le site de l'Assemblée nationale l'est.

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Des progrès demeurent à accomplir, y compris sur le site de l'Assemblée nationale.

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La question du modèle de financement me semble également primordiale. En effet, j'imagine que l'une des grandes résistances des chaînes concerne le coût des dispositifs. Selon vous, existe-t-il un modèle de financement ? Je pense au cas des chaînes d'information, que M. Boroy a précédemment mentionné. Vos associations cherchent-elles à promouvoir un modèle particulier permettant de mutualiser les coûts ?

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Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées

Nous ne cherchons pas particulièrement à promouvoir tel ou tel modèle, à partir du moment où l'on considère que l'accessibilité est de la responsabilité de tous. Dès lors, elle doit pouvoir être intégrée dans le budget de fonctionnement habituel des chaînes. C'est la raison pour laquelle la loi du 11 février 2005 avait prévu une montée en charge sur plusieurs années, pour permettre aux chaînes d'anticiper et de programmer leurs investissements et leurs budgets. Aujourd'hui, aucune chaîne ne se trouve normalement confrontée à des dépenses imprévues en matière d'accessibilité. Tout le monde est en mesure de chercher les solutions qui permettent d'y parvenir.

Néanmoins, les médias publics sont soumis à un autre régime, qui est plutôt entre vos mains. Il conviendrait donc de sécuriser et même de renforcer leurs ressources en matière d'accessibilité, non seulement pour s'assurer du respect de la loi, mais également pour progresser et rendre disponibles les solutions développées auprès de tous. Je rappelle à nouveau l'existence de cette filiale de France Télévisions dédiée à l'accessibilité, qui développe un certain nombre de projets de recherche et qui les met à la disposition de tous, pour améliorer les dispositifs d'accessibilité en temps réel.

Ensuite, un autre élément majeur concerne les entreprises qui interviennent dans la chaîne de fabrication des équipements dont nous avons besoin pour consommer les médias, afin que les terminaux ou les box produits soit eux-mêmes accessibles. Une veille est ainsi assurée par l'Arcom en la matière, mais il s'agit d'un sujet de vigilance permanent.

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Pauline Combredet-Blassel, directrice générale adjointe de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Il n'existe pas de dispositif particulier de financement, ces questions sont à la charge des chaînes. Ceci explique d'ailleurs que les niveaux d'engagement sont liés à leur audience ou, pour les services de médias audiovisuels à la demande, à leur chiffre d'affaires. Nous en tenons évidemment compte lorsque nous fixons le niveau de nos attentes. Nous prêtons cependant une certaine attention aux solutions automatisées, afin d'offrir une plus grande exhaustivité dans certains cas, même si nous sommes conscients de leurs limites.

En matière de solutions, je souhaite vous faire part d'un élément encourageant. Il concerne les évolutions législatives intervenues à la fin de l'année 2023, à travers la transposition du cadre européen. Celles-ci imposent ainsi une accessibilité beaucoup plus large, qui inclut notamment les contenus numériques. Il existe donc une assez bonne dynamique pour rechercher des solutions qui permettent d'atteindre de bons niveaux d'accessibilité, y compris dans l'univers numérique.

Enfin, les règles qui s'appliquent aux contenus en rediffusion sont normalement les mêmes que celles qui s'appliquent aux chaînes. En revanche, si les conventions des services de médias audiovisuels établis en France comportent un certain nombre d'obligations, il n'en va pas de même pour ceux qui sont établis hors du territoire national. Dès lors, Netflix rend certains contenus accessibles, mais dans des proportions qu'il détermine lui-même.

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L'appel à candidatures pour le renouvellement des chaînes, comporte-t-il un critère d'accessibilité qui irait au-delà de ce que la loi prévoit ?

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Pauline Combredet-Blassel, directrice générale adjointe de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

L'accessibilité figure parmi les critères, notamment dans le chapitre de cohésion sociale, qui sont pris en compte pour l'appréciation des candidatures. Comme je le rappelais en introduction, lorsque TF1 et M6 ont remporté le dernier appel à candidatures, l'échange qui s'est ensuivi a permis de rehausser significativement le nombre de contenus mis à disposition en audiodescription.

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Pouvez-vous indiquer à quoi correspond concrètement cette hausse significative ? Quels sont les chiffres en question ?

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Pauline Combredet-Blassel, directrice générale adjointe de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Jusqu'en 2022, TF1 et M6 devaient mettre à disposition cent programme audiodécrits, dont cinquante inédits. Dans le cas d'une montée en charge progressive jusqu'en 2027, il s'agira désormais de 375 contenus audiodécrits, dont au moins soixante-dix inédits.

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Comme vous l'avez tous souligné, les plateformes constituent un enjeu. Les plus grandes d'entre elles semblent relativement vertueuses ou tendent à le devenir. Selon vous, est-il nécessaire de modifier le cadre légal ou réglementaire qui leur est applicable en la matière ? Considérez-vous que leur influence soit d'une certaine façon bénéfique, dans la mesure où elle stimulerait les chaînes ?

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Pauline Combredet-Blassel, directrice générale adjointe de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Le cadre juridique qui s'applique aux plateformes n'est pas évident. Les dispositions qui ont été transposées en droit français portent sur les sites internet. Techniquement, les plateformes devraient seulement assurer l'accessibilité des contenus qu'elles éditent, soit concrètement peu de contenus qui intéressent les utilisateurs. En revanche, l'accessibilité des contenus pris individuellement incomberait plutôt à ceux qui les postent.

À ce stade, il n'existe pas de leviers permettant franchement de les faire évoluer. Les représentants des associations pourraient certainement en parler mieux que moi, mais nous avons pu observer sur certaines plateformes des solutions d'accessibilité très séduisantes, très efficaces. Je pense notamment à YouTube, qui propose la transcription de l'ensemble de ses contenus vidéo. Les plateformes sont plutôt à la recherche de solutions techniques assez performantes. De ce point de vue, notre regard est donc plutôt positif.

Cependant, en pratique, nous sommes très éloignés d'un niveau d'accessibilité satisfaisant pour les personnes qui les utilisent. Si l'approche devait porter sur le cadre juridique, j'imagine que la réflexion devrait être menée dans le cadre du règlement sur les services numériques, qui représente maintenant le véhicule le plus adapté pour faire évoluer les plateformes.

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Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées

Ma perception de YouTube est plus nuancée. Si le service propose effectivement une transcription automatique, l'expérience montre que celle-ci n'est clairement pas idéale et qu'elle ne peut être une solution à préconiser. En conséquence, il faut saisir toute opportunité d'aller au-delà de ce que l'Arcom est en mesure de négocier avec les plateformes.

Je suis par ailleurs conscient des différences de traitement entre les contraintes qui pèsent sur les plateformes françaises et les autres. Je rappelle simplement qu'il existe en France un autre circuit, qui veille à l'accessibilité des films subventionnés par le CNC et qui consiste, dès la post production du film, à rendre disponibles les fichiers de sous-titrage et d'audiodescription. Ils ne sont pas disponibles pour tout le monde, tout de suite ; mais les films sont accessibles, dans leur très grande majorité. Dans ce cadre, les moindres contraintes qui pèsent sur les plateformes posent effectivement des problèmes.

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Thomas Soret, président de l'Union des associations nationales pour l'inclusion des malentendants et des sourds

Il convient à la fois de dissiper les ambiguïtés, mais également de ne pas sombrer dans une inflation normative. Il importe d'encourager les bonnes pratiques par un recours plus systématique aux associations, afin de mettre en place une émulation positive avec les plateformes et les réseaux sociaux, et faire en sorte que l'accessibilité soit systématiquement prise en compte dès la création du documentaire ou du film, de manière qualitative.

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Puisque la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances a été évoquée, je me dois de citer l'apport de Jean-François Chaussy, ancien député de la Loire, qui a beaucoup travaillé sur ces sujets.

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J'ai relevé de nombreux éléments de vos interventions, notamment la possibilité d'avoir une accessibilité et surtout une diversification des programmes accessibles sur les chaînes de la TNT, notamment ceux liés à la vie politique. À ce titre, j'inclus non seulement La Chaîne parlementaire, Public Sénat, mais également tous les grands événements qui participent à la vie de notre société, à l'instar des Jeux olympiques.

Vous avez également souligné la nécessité d'avoir une meilleure représentation des personnes atteintes d'un handicap, c'est-à-dire une représentation non exceptionnelle, « normalisée ». Par ailleurs, je suis préoccupée par les propos qui ont porté sur l'automaticité des sous-titrages. À ce titre, pour en avoir fait moi-même l'expérience en tant que diffuseur de contenus sur YouTube, j'ai constaté que cet outil est peu performant pour réellement suivre et comprendre les propos qui sont tenus.

Vous avez en outre mentionné le développement de l'intelligence artificielle, qui permettrait d'augmenter le nombre de contenus accessibles. Pour autant, la qualité n'est pas forcément au rendez-vous et le contenu n'est donc pas réellement accessible. De quels outils disposez-vous pour signaler qu'un contenu prétendument accessible ne l'est pas en réalité ? Avez-vous constaté sur certaines chaînes de la TNT la récurrence de tels problèmes de mauvaise accessibilité ou de mauvais confort ?

Enfin, avez-vous connaissance, à l'instar de « L'œil et la main », de programmes qui visent à être pédagogiques pour l'ensemble de la population et participent de ce fait à l'inclusion, de façon très générale, au-delà même du simple programme, à l'instant t ?

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Pauline Combredet-Blassel, directrice générale adjointe de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Je ne voudrais surtout pas vous donner le sentiment que tel ou tel outil de transcription automatique est parfait. Simplement, tout en ayant conscience que l'automaticité ne remplace pas le travail humain réalisé pour le sous-titrage ou l'audiodescription, il nous semble important d'être en éveil sur les solutions automatiques. En effet, il nous paraît nécessaire de rechercher des solutions face à l'immense quantité de contenus disponibles en ligne. À ce titre, je pense à l'exemple de la chaîne France Info, qui a cherché à utiliser des outils automatiques. Naturellement, il convient de demeurer vigilant et de ne pas partir du principe que cela suffira à assurer l'accessibilité. L'Arcom considère que cet outil peut participer d'une solution plus globale, en restant prudents, afin qu'il ne se traduise pas par une dégradation trop importante de la qualité des sous-titres.

Ensuite, les signalements qui peuvent être adressés à l'Arcom ne concernent pour l'instant que les programmes audiovisuels. Il n'existe pas a priori sur les plateformes de dispositifs de signalement encadrés, ce qui ne signifie cependant pas qu'elles n'en disposent pas. Lorsque nous recevons des signalements, nous trouvons généralement des solutions à travers un dialogue avec les chaînes. De fait, nos interventions ne se sont pas matérialisées par des sanctions, par exemple.

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Chantal Clouard, docteur en psychologie, orthophoniste

Je crois que les usagers eux-mêmes, qu'ils soient par exemple malentendants ou malvoyants sont parfaitement en mesure de décrire précisément la qualité ou l'absence d'accessibilité, ce dont nous ne sommes pas toujours conscients, puisque nous voyons et entendons correctement. Dès lors, il faut largement se fonder sur les retours d'expérience des utilisateurs de ces offres. À titre d'exemple, lors de la récente cérémonie qui s'est déroulée au Panthéon, si une traduction en langue des signes était bien assurée, certains éléments n'étaient pas ou insuffisamment accessibles, d'après les retours qui m'en ont été donnés.

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Thomas Soret, président de l'Union des associations nationales pour l'inclusion des malentendants et des sourds

L'Union des associations nationales pour l'inclusion des malentendants et des sourds déplore que les chaînes ne prennent pas en compte nos signalements et qu'aucune sanction ne soit prononcée. Certaines chaînes ne nous entendent pas.

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Bernard Defebvre, président de la Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et des amblyopes

Pour les déficients visuels, nous avons mis en place le « panel de l'audiodescription », qui permet à chacun de pouvoir juger de sa bonne ou mauvaise qualité. Malheureusement, le dialogue avec les chaînes est plus difficile depuis deux ans, quand celui-ci était plus simple auparavant. Le CNC a mis en place un observatoire de l'accessibilité, qui permet de lister les problèmes rencontrés, ce qui constitue une avancée. Malheureusement, cet observatoire ne s'est pas réuni en 2023 ; la prochaine réunion ayant le lieu le 26 mars prochain. L'audition de ce jour constitue donc une opportunité pour que vous puissiez nous entendre, quel que soit le handicap que nous représentons.

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Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées

Je souhaite quant à moi vous répondre sur les opportunités et les limites des solutions automatiques. En effet, nous menons des réflexions similaires sur d'autres canaux d'accessibilité, comme la téléphonie ou les visioconférences pour les personnes sourdes, malentendantes, sourdaveugles et aphasiques. Depuis quelques mois, nous observons ainsi des progrès spectaculaires en matière de transcription.

Cette transcription automatique nous permet en réalité d'accélérer, d'aller plus loin, de gagner du temps. Des limites sont rapidement atteintes si nous nous fions seulement à une solution unique. Cependant, à partir du moment où il est possible de mobiliser plusieurs solutions au-delà du seul sous-titrage, comme la reconnaissance des sons, la possibilité à moyen terme de positionner automatiquement les sous-titres au bon endroit sur l'écran et d'apporter l'information spécifique à la bonne compréhension des sous-titres, il n'y a pas de raisons pour que nous ne parvenions pas à progresser.

Dans l'immédiat, néanmoins, cela n'est pas encore le cas. Pour certains programmes, en particulier les débats intervenant lors des élections, nous devons être conscients qu'il ne faut pas laisser les chaînes procéder par le seul sous-titrage habituel : nous ne pouvons pas suivre ces programmes de cette manière-là. La solution idéale est celle de la vélotypie, que vous avez mis en place à l'occasion de notre audition. À ce titre, la vélotypie est une technique de transcription simultanée précise, qui suppose l'utilisation d'un clavier. Elle nous permet de suivre de façon très confortable : c'est vers ce niveau de qualité que nous devons aller.

Le jour où il sera décidé d'embarquer les télévisions locales dans une démarche d'accessibilité, il faudra bien engager la mobilisation des solutions technologiques à notre disposition, afin que ces ressources soient utilisées à bon escient, au moment où nous en avons vraiment besoin.

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En guise de conclusion, souhaitez-vous porter à notre connaissance des éléments supplémentaires ?

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Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées

Je souhaite mentionner deux opportunités. La première porte sur la possibilité de développer d'autres formats d'accessibilité pour embarquer d'autres publics. Elle pourrait passer par l'encouragement des chaînes à faciliter l'accès de personnes locutrices de la langue des signes ou productrices d'informations faciles à lire et à comprendre ou faciles à entendre et à comprendre, afin qu'elles soient elles-mêmes actrices de l'information qui est diffusée à la télévision. Les chaînes publiques agissent déjà de la sorte, puisque dans certains programmes, l'interprétation en direct est assurée par des interprètes eux-mêmes sourds.

Ensuite, je me permets d'insister sur un élément déjà mentionné. Au-delà de l'opportunité que constitue la future désignation des dirigeants de La Chaîne parlementaire, je pense que cette chaîne et Public Sénat doivent vraiment être embarqués dans un cadre pérenne d'accessibilité. Cette tâche incombe aux parlementaires, à travers la loi et les moyens conférés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Au nom de cette commission d'enquête, je pourrai demander à la présidente de l'Assemblée nationale et au bureau de l'Assemblée nationale, qui sont compétents dans le cadre de cette nomination, de bien aborder ce sujet lorsqu'ils recevront l'ensemble des candidats.

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Thomas Soret, président de l'Union des associations nationales pour l'inclusion des malentendants et des sourds

Ma préconisation dépasse le champ de cette commission d'enquête. Il y a deux ou trois semaines, nous avons été auditionnés par la commission des affaires culturelles. Il me semble nécessaire d'intégrer autant que possible les enjeux de l'accessibilité lors de telles auditions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie et vous indique que nous sommes naturellement intéressés par tous les éléments complémentaires qui vous sembleraient utiles à nos travaux.

La séance s'achève à dix-neuf heures.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Nadège Abomangoli, Mme Ségolène Amiot, M. Philippe Ballard, M. Quentin Bataillon, M. Mounir Belhamiti, M. Louis Boyard, M. Sébastien Chenu, Mme Fabienne Colboc, M. Jocelyn Dessigny, M. Inaki Echaniz, M. Laurent Esquenet-Goxes, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Jérôme Guedj, M. Laurent Jacobelli, M. Karl Olive, M. Jérémie Patrier-Leitus, M. Emmanuel Pellerin, Mme Béatrice Piron, Mme Sophie Taillé-Polian

Excusée. – Mme Constance Le Grip

Assistaient également à la réunion. – Mme Farida Amrani, M. Carlos Martens Bilongo, Mme Eléonore Caroit, M. Florian Chauche, M. David Guiraud, M. Meyer Habib, Mme Rachel Keke, M. Arnaud Le Gall, M. Hervé de Lépinau, Mme Caroline Parmentier, M. René Pilato, M. Adrien Quatennens, M. Antoine Vermorel-Marques, M. Christopher Weissberg