Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mercredi 19 octobre 2022 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures.

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Nous sommes réunis pour examiner les crédits des missions Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation ; Défense et le programme Gendarmerie nationale de la mission Sécurités. Nous commençons par la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation.

Mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation »

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Le budget qui nous est soumis pour examen est respectueux du monde combattant, même si des améliorations pourraient être envisagées. Il préserve et consolide l'existant, tout en introduisant des mesures nouvelles. Après l'évolution de la maquette budgétaire, la mission se divise en deux programmes distincts. Le programme 169, reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, mémoire et liens avec la nation, relevant du ministère des armées, s'adresse au monde combattant, à la jeunesse et à l'ensemble de la société française. Il offre une vision globale des politiques concourant au lien entre l'armée et la nation. Le programme 158, indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale, relève de la Première ministre. Dotés de près d'1,9 milliard d'euros en crédits de paiement (CP), les montants alloués aux deux programmes diminuent de 7,38 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022. Cette baisse n'est toutefois que le reflet de la diminution naturelle du nombre de bénéficiaires de la dette viagère.

Lors des auditions que j'ai réalisées, le monde combattant a exprimé des inquiétudes et des revendications concernant la valeur du point d'indice de la pension militaire d'invalidité (PMI). Dans un contexte d'inflation généralisée, cette question a pris une place plus particulière encore. La revalorisation de 3,5 % du point de PMI, promise par la secrétaire d'État aux anciens combattants et à la mémoire lors de son audition par notre commission le 4 octobre, et qui devrait intervenir par décret le 1er janvier 2023 afin de tenir compte de la hausse du point d'indice de la fonction publique intervenue en juillet 2022, permettra de répondre en partie aux attentes des associations.

Par ailleurs, le PLF 2023 contient un certain nombre de mesures nouvelles, et notamment l'extension du droit à pension aux victimes d'actes de terrorisme pour les attentats commis avant le 1er janvier 1982, pour un coût prévisionnel d'1 million d'euros. Je me réjouis que soit mis fin à l'injustice d'une différence de traitement entre les victimes d'attentats ne reposant sur aucun critère objectif.

Autre mesure attendue : la pérennisation des maisons Athos, pour un montant de 2,9 millions. Pour prendre en compte cette évolution, l'office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) voit sa subvention pour charge de services publics portée à 60 millions d'euros, soit une hausse de 6,8 %. En matière de solidarité figurant à l'action 3 du programme, la subvention accordée à l'ONACVG pour financer son action sociale a été sanctuarisée à hauteur de 25 millions d'euros, conformément aux demandes des associations d'anciens combattants.

L'effort de solidarité en faveur des harkis et rapatriés se poursuit et s'intensifie avec près de 101 millions d'euros inscrits à l'action 7 de la mission. Le montant de l'allocation viagère et de l'allocation de reconnaissance, porté à 8 390 euros par an, a doublé à compter du 1er janvier 2022, signe de l'attention prêtée à la situation des harkis et des rapatriés. Ces deux dispositifs font l'objet de revalorisations mécaniques chaque année, en fonction de l'évolution de l'indice des prix à la consommation. Par ailleurs, le budget 2023 prévoit un financement important de 60 millions d'euros – en augmentation de 14 millions – au titre du droit à réparation créé par la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie, anciennement de statut civil de droit local, et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leur famille. Le budget 2023 tiendra cette promesse.

Je salue la rapidité avec laquelle la Commission Bockel s'est mise au travail. Néanmoins, entre 40 000 et 50 000 des 90 000 harkis et membres de leur famille arrivés en France ne peuvent prétendre à indemnisation, car ils ont séjourné en dehors des camps et hameaux de forestage, en milieu ouvert. Je suis donc favorable à une extension de la liste des structures donnant droit à réparation et je demeurerai attentive aux propositions que pourra formuler la commission dans son premier rapport.

Concernant le projet de budget pour la politique de mémoire, je souligne l'effort de 3,7 millions d'euros portant les crédits de l'action 9 à 20,9 millions d'euros, dont 13,6 millions consacrés à la restauration et à la mise en valeur du patrimoine mémoriel.

Le budget 2023 de la politique en faveur de la jeunesse s'établit à 24,6 millions d'euros, en hausse de 4 %. L'augmentation des crédits consacrés à l'organisation de la journée défense et citoyenneté (JDC) s'explique pour l'essentiel par la hausse attendue du nombre de jeunes et par la prise en compte de l'inflation des coûts de transport et d'alimentation. 3,3 millions d'euros sont consacrés au service militaire volontaire (SMV).

Enfin, s'agissant de la demi-part fiscale accordée au conjoint survivant, et le plus souvent aux veuves d'anciens combattants, la secrétaire d'État a fait part de son engagement, en annonçant une évaluation du nombre de personnes concernées.

J'ai souhaité consacrer la partie thématique de mon rapport au SMV, qui, encore méconnu, constitue pourtant une vraie réussite qu'il convient de valoriser davantage. Outil militaire d'inclusion sociale et territoriale expérimenté à partir de 2015, puis pérennisé dans la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, le SMV s'adresse aux jeunes adultes de la République en situation de rupture, mais en quête de structuration personnelle, professionnelle et citoyenne. Depuis sa création, plus de 7 000 jeunes ont rejoint ses rangs. En 2022, le SMV devrait accueillir et former 1 300 volontaires sous le double statut de militaires et de stagiaires de la formation professionnelle. Le SMV a conduit à un taux d'insertion professionnelle de 82 % en 2021, dont 55 % dans un emploi durable, ainsi qu'à un taux de réussite au brevet militaire de conduite de 70 %.

Toutefois, plusieurs améliorations pourraient être proposées, notamment dans le recrutement des jeunes et l'harmonisation des contributions régionales complémentaires visant à assurer une solde minimum aux volontaires. En effet, c'est parce que la rémunération est très, voire trop faible – 313 € net par mois – et très variable d'une région à l'autre qu'en 2022 l'objectif ambitieux de 1 500 jeunes a été réduit à 1 300. À cela s'ajoute la concurrence d'autres dispositifs d'insertion comme les établissements pour l'insertion dans l'emploi (Epide).

En outre, à moyens constants, il n'apparaît pas possible d'accroître le nombre de centres. Dans son format actuel, le SMV atteint ses limites de soutenabilité. Une réflexion doit être menée quant à l'ambition initiale d'étendre le dispositif à tout le territoire, d'autant que les militaires n'ont pas vocation à régler le problème de l'insertion professionnelle des jeunes défavorisés.

Enfin, une attention particulière doit être portée à la coordination des dispositifs du ministère des armées en faveur de la jeunesse, au risque d'une perte de cohérence globale. Le plan « ambition armées – jeunesse » a pour ambition d'instaurer un parcours cohérent par tranche d'âge entre les jeunes et les armées, en coordonnant les dispositifs existants en un seul et même parcours.

J'insiste encore une fois sur l'importance de l'existence d'une volonté du pouvoir politique afin de faire en sorte que ce dispositif rencontre le succès qu'il mérite en raison de sa portée et de son caractère de militarité que saluent tant le personnel militaire que les jeunes volontaires que nous avons rencontrés.

J'exprime un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Anciens combattants mémoire et liens avec la Nation » pour 2023.

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Certains des dispositifs que vous avez mentionnés sont liés à des listes, définissant par exemple les opérations reconnues comme extérieures ou les lieux ouvrant droit à compensation pour les harkis. Il nous est régulièrement demandé d'en étendre le périmètre. Serait-il possible que les dispositifs soient plus globaux afin d'y intégrer de nouveaux bénéficiaires ?

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Pouvez-vous dresser un premier bilan de la loi relative aux harkis ? Quel est le nombre de décisions rendues par la commission nationale de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis ?

Pour la deuxième année consécutive, ce droit à réparation sera financé à hauteur de 60 millions d'euros. Comment ces crédits seront-ils répartis ?

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Votre réflexion sur le SMV concerne notamment les accords passés avec les régions. Il existe sept SMV en France. Quelles sont les limites à l'extension de ce dispositif ? Comment rendre le SMV obligatoire dans chaque région ?

Vous n'avez pas évoqué le SNU, qui participe pourtant au lien armée-nation et au devoir de mémoire. Comment relier les centres SMV aux centres régionaux du SNU ?

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Comme chaque année, on justifie la baisse du budget alloué aux anciens combattants par la diminution du nombre de ressortissants de l'ONACVG. Ne serait-il pas pertinent de le conserver à la même hauteur pour accorder plus de droits à ses bénéficiaires ou encore de mieux traiter les blessés et les conjoints d'anciens combattants ?

Vous avez salué la création d'une nouvelle maison Athos. Ne faudrait-il pas simplifier la procédure de reconnaissance du statut de blessé psychique, alors que de plus en plus de soldats sont concernés, en raison, notamment, des opérations extérieures au Mali ? Cela permettrait de faciliter leur accès aux soins et à leurs droits.

Plusieurs veuves d'anciens combattants de mon département m'ont fait part de difficultés à faire valoir leur droit à la demi-part fiscale supplémentaire ouvert par la décision de l'Assemblée nationale en 2020. S'agit-il d'un phénomène récurrent ou spécifique à la Seine – Saint-Denis ?

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Les crédits prévus au titre de la demi-part fiscale des veuves d'anciens combattants sont-ils sanctuarisés dans le PLF, même en cas de recours à l'article 49.3 de la Constitution ?

Le budget est de nouveau en baisse en raison de la disparition des anciens combattants. Or maintenir un budget à niveau constant permettrait de répondre à plusieurs revendications, notamment à celle de l'augmentation du point de PMI pour rattraper la perte de pouvoir d'achat des anciens combattants liée à l'inflation.

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La liste des harkis bénéficiaires de l'indemnisation est fixée par décret et examinée par la commission Bockel. Un travail pour étendre cette liste est mené par des historiens. Je considère comme vous que nous devrions pouvoir indemniser plus de personnes.

Monsieur Bordat, nous avons auditionné la commission Bockel. Au 28 septembre, sur 21 000 demandes, 3 041 dossiers avaient été traités, dont 2 953 ont fait l'objet d'une réponse favorable, pour un montant de 25 millions d'euros et une indemnisation moyenne de 8 592 euros. L'avancement des travaux de cette commission paraît donc satisfaisant, et il permettra d'indemniser davantage de personnes.

Le dispositif du SMV est également satisfaisant, nous l'avons constaté en nous rendant dans un centre pour rencontrer des jeunes et le général qui en a la charge. Toutefois, ce dispositif a des limites. Il nécessite un encadrement militaire des jeunes en difficulté. Or, cette tâche ne relève pas des missions traditionnellement affectées aux militaires et de nouveaux recrutements permettraient difficilement de remédier à cette difficulté. Par conséquent, nous devons réfléchir aux moyens de faire évoluer ce dispositif, si c'est notre souhait puisque d'autres dispositifs en lien avec nos armées ciblent également la jeunesse. Par ailleurs, le problème principal soulevé par le SMV réside dans les disparités de rémunérations, qui varient de 300 à près de 1 000 euros selon la région dont sont issus les jeunes. L'harmonisation du système de rémunération devrait contribuer à l'attractivité du SMV. Ainsi, si je salue ce dispositif, il me paraît nécessaire de réfléchir aux moyens d'encadrer les jeunes, car les armées ne peuvent s'en charger.

Je ne me suis pas attardée sur le SNU, car ce dispositif ne relève pas de notre programme.

Monsieur Lachaud, les budgets diminuent en raison de la disparition des anciens combattants. Il serait bien entendu souhaitable de conserver un budget constant, mais les crédits sont limités. D'autres dispositifs ciblant la jeunesse existent. Les auditions que j'ai menées ont montré que ce budget est à la hauteur des demandes des anciens combattants.

Concernant les maisons Athos, une convention menée avec le service de santé des armées (SSA) facilitera l'accès aux soins. Le dispositif évoluera. Des maisons sont en construction. Les militaires se disent satisfaits de leur prise en charge. Les auditions réalisées me conduisent à juger qu'il s'agit d'un dispositif prometteur.

Monsieur Roussel, un amendement sur la demi-part fiscale a été voté au début du PLF. En outre, la ministre avait indiqué lors de son audition qu'elle mènerait une étude pour évaluer le nombre de personnes concernées en France, afin de rendre sa décision. Ces deux éléments laissent donc présager une évolution positive de ce dispositif.

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Le vote sur la demi-part fiscale est intervenu sur un amendement déposé par mon groupe. Malgré la diminution systématique et constante du budget alloué aux anciens combattants, le Gouvernement a annoncé de nouvelles mesures que les députés ont toujours soutenues : extension des droits en faveur des conjoints des grands invalides de guerre, attribution de la carte du combattant aux militaires déployés en Algérie entre le 2 juillet 1962 et l'année 1964, revalorisation du point de PMI au 1er janvier 2022. L'amendement a été adopté lors de l'examen du PLF en séance, le 13 octobre, ce qui permettra, si le Gouvernement respecte notre vote, d'accorder une demi-part fiscale supplémentaire à toutes les veuves d'anciens combattants, quel que soit l'âge de décès de leur époux. Je salue cette avancée importante.

J'ai récemment échangé avec Michel Huet, président de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie (Fnaca) de la Loire, qui regrette que le rattrapage du retard constaté sur la valeur du point de PMI ne soit pas à la hauteur de l'inflation.

Par ailleurs, le poids croissant des frais d'Ehpad rend indispensable le maintien du fonds de solidarité de l'ONACVG, malgré l'accélération de la mortalité des anciens combattants.

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Je vous remercie d'avoir déposé cet amendement, qui était très attendu par les Français. J'espère que le Gouvernement le conservera malgré le recours à l'article 49.3.

Mission Défense : Environnement et prospective de la politique de défense.

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Je suis heureux de vous présenter mes conclusions sur les crédits du programme 144, l'un des quatre programmes de la mission Défense dont notre commission est saisie pour avis.

Ce programme regroupe les crédits de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), les crédits dédiés à l'analyse stratégique et à la diplomatie de défense, gérés par la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) et les crédits consacrés à la recherche et à l'innovation de défense, gérés par l'état-major des armées (EMA) et par la direction générale de l'armement (DGA) par l'intermédiaire de l'Agence de l'innovation de défense (AID).

La ressource du programme 144 pour 2023 s'élève à 1,989 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une baisse de 7 % qui s'explique essentiellement par des raisons techniques, et à 1,9 milliard d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 7 %.

Le programme 144 finance deux projets immobiliers d'envergure pour la DGSE et la DRSD. Il s'agit du nouveau siège au Fort neuf de Vincennes pour la DGSE, à hauteur de 1,16 milliard d'euros, et du projet de nouvelle direction centrale de la DRSD, pour un total de 80 millions d'euros. Or, le niveau élevé de l'inflation bouleverse le plan de financement initial de ces deux projets et induira inévitablement des surcoûts, compte tenu notamment des prévisions de l'évolution de l'indice de référence dans le secteur du bâtiment. Pour 2022, la stratégie consiste à faire peser ces surcoûts sur le report de charges. Je serai très vigilant sur l'exécution du budget 2023 et sur la bonne intégration, si nécessaire en cours de gestion, de ces surcoûts, car ces deux projets immobiliers revêtent une importance capitale pour l'avenir des deux directions.

En outre, un rapport publié en février dernier sur le projet de réforme des grands corps techniques de l'État distingue trois scénarios d'évolution pour ces grands corps. Le premier consiste en un maintien des quatre corps techniques de l'État – ingénieurs des mines, ingénieurs de l'armement, ingénieurs des ponts, eaux et forêts et administrateurs de l'Insee. Le deuxième scénario envisage la création d'un corps commun des ingénieurs de l'État. Le troisième scénario repose sur l'intégration des ingénieurs des quatre corps techniques dans le corps des administrateurs de l'État, issu de la réforme de la haute fonction publique.

Ces trois scénarios présentent des avantages et des inconvénients. Si la réflexion doit être poursuivie, j'attire toutefois l'attention sur trois éléments. Nous devons d'abord veiller à la militarité et au statut d'officier des ingénieurs de l'armement. Les écarts de rémunération élevés, de 10 à 20 %, entre les ingénieurs du corps des mines et ceux de l'armement doit également appeler notre vigilance. Enfin, le scénario de fusion des corps présente un risque de marginalisation des compétences techniques spécifiques à la défense. Ces trois points de vigilance devraient faire l'objet d'une réflexion approfondie de la part de notre commission.

La partie thématique de mon avis est consacrée à la préparation de l'avenir au prisme de la guerre en Ukraine. À l'issue de mes travaux, j'ai d'abord conclu que l'anticipation stratégique devrait davantage intégrer les biais cognitifs des parties prenantes, voire le caractère relatif et polysémique de la notion de rationalité. En effet, cette dichotomie entre la rationalité des Occidentaux et celle de la Russie explique en partie les divergences d'interprétation quant aux intentions de Vladimir Poutine avant le déclenchement de la guerre. Il sera par ailleurs nécessaire, dans la perspective de la Revue stratégique de défense nationale en cours d'élaboration, de placer encore davantage la réflexion à l'échelle interministérielle pour veiller à l'efficacité de notre prospective. Enfin, notre réflexion devra porter sur le Five Eyes, car les informations dont disposaient les États-Unis quant aux intentions de Vladimir Poutine n'étaient manifestement pas partagées en dehors de ce cercle.

De plus, l'intégration de l'innovation de défense dans les réflexions sur l'économie de guerre ne me paraît pas suffisante. En effet, les réflexions en cours sur la simplification des processus, la reconstitution des stocks ou encore l'établissement d'un agenda de relocalisation n'intègrent pas cet enjeu à la hauteur qu'il mérite. Or, il me semble opportun de réfléchir aux apports potentiels de l'innovation de défense en ces domaines. Je n'en citerais que deux : la maintenance prédictive – car l'économie de guerre ne devrait pas se résumer à l'augmentation et à l'accélération de la production des matériels, mais aussi à leur régénérescence et à leur résilience –, qui est un domaine clé, ou encore l'effort d'innovation dans le domaine des matériaux, afin d'identifier des substituts viables aux matériaux critiques que la France ne pourra pas relocaliser. Nous devrions également réfléchir à la manière dont nous pourrions accélérer les procédures dans le cadre des contrats d'armement en matière d'innovation, notamment celles ayant trait au dérisquage et aux spécifications.

Enfin, les enseignements de la guerre en Ukraine en matière d'innovation de défense sont bien connus. L'AID a intégré les enjeux de l'utilisation intensive des drones, de l'hypervélocité, de la guerre cognitive et informationnelle, du cyber ou encore du spatial en accélérant ses feuilles de route dans ces domaines.

Toutefois, à l'issue de mes travaux, je souhaite formuler deux remarques. D'une part, ces domaines ne sont en réalité innovants que d'un point de vue franco-français : certains États disposent déjà de ces capacités. Il ne s'agit donc pas tant d'innovations à proprement parler que de rattrapages de retards capacitaires par rapport à d'autres États. Par ailleurs, si ces initiatives sont évidemment salutaires, les lacunes mises en évidence par la guerre en Ukraine en masquent en réalité d'autres de la France, encore relativement peu visibles. À cet égard, si je salue le lancement de la stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins – domaine d'innovation absolument capital pour l'avenir, comme le savent les Norvégiens qui ont été victimes d'un sabotage de leurs câbles sous-marins en novembre 2021 – je constate également que certains États disposent d'ores et déjà de capacités avancées en la matière, notamment les États-Unis et la Russie. La France, de son côté, a dû faire l'acquisition de drones sous-marins sur étagère. C'est le retour d'expérience majeur de la guerre en Ukraine pour l'innovation de défense : au-delà du rattrapage des capacités manquantes, il faut nous intéresser dès maintenant aux domaines d'innovation qui nous donneront non pas seulement aujourd'hui, mais également demain, les moyens de nous défendre, ce qui suppose de ne pas négliger les enseignements que nous pouvons tirer des conflits autres que la guerre en Ukraine, en particulier pour la future LPM.

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Je souhaite vous interroger sur l'appréciation de l'évolution du risque cyber pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD) et pour nos armées. Votre rapport aborde les moyens alloués à la DRSD, mais également à tous les services de l'État qui concourent à l'élévation du niveau de cybersécurité de nos outils industriels et de nos armées. Comment évaluez-vous le suivi des recommandations émises par nos services, notamment auprès des industriels de défense ? Quelles orientations la future LPM devrait-elle comprendre à cet égard ?

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Selon vous, quel est le meilleur niveau pour organiser et piloter l'économie de guerre ?

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Vous avez évoqué les effets de l'inflation sur le projet immobilier de la DGSE. Alors que son coût dépasse 1 milliard d'euros, ce projet représente une forme de boîte noire couverte par le secret défense. Or, certaines matières premières ont connu une augmentation des prix de quasiment 100 %. Le secteur du bâtiment connaît un taux d'inflation largement supérieur à 4 % – ce qui représenterait déjà un surcoût de 40 millions pour un budget de 1 milliard. Quelle est votre estimation des surcoûts de ce projet en raison de l'inflation ?

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Vous parlez des efforts à mener en matière d'innovation. En 2019, un drone Patroller de type Male du groupe Safran s'est écrasé à l'occasion de son deuxième vol de réception industrielle. Les organisations syndicales de Safran, tout comme les salariés de Thales, nous ont signalé que les coûts de production, les cahiers des charges et les appels d'offres lancés par l'État dans ce domaine conduisaient à une sécurisation insuffisante de la production de ces matériels. Cela nous rend toujours plus dépendants du matériel étranger, notamment américain, pour nous fournir en drones tactiques de grande taille. Est-il prévu que les appels d'offres tiennent compte de cet accident, et que des crédits plus importants soient alloués aux groupes industriels afin qu'ils puissent produire dans de bonnes conditions le matériel dont nous avons besoin ?

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La nécessité d'accélérer la production de nos armements est confrontée à un contexte réglementaire et législatif, qui nous contraint à respecter un certain nombre de règles de droit commun, portant notamment sur les marchés publics. Ne pourrions-nous pas envisager une modification législative ou des dérogations au droit commun pour accélérer les processus d'acquisition de certains matériels indispensables aux armées dans le cadre de l'évolution très rapide du contexte géostratégique ?

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Nos services, en particulier la DRSD, ont engagé depuis longtemps un travail approfondi sur le cyber et le numérique. En matière de transformation numérique, la DRSD s'est lancée dans la création d'une base de données souveraine, dénommée SIRCID, qui a donné lieu à de nombreux travaux et mobilisé des crédits importants. L'outil devrait être livré au cours de l'année 2023. La formation des agents et l'engagement des services pour s'approprier cet outil seront nécessaires. Il constituera un nouvel élément de souveraineté pour les années à venir.

En outre, la DRSD réfléchit au recours à des outils d'intelligence artificielle, qui représentent un appui important dans les missions d'habilitation de cette direction. Dans ce domaine, l'outil SPECTRE permettra d'utiliser davantage l'intelligence artificielle pour mieux identifier les profils et accompagner le travail des agents, tandis que l'outil ENF sera employé pour vérifier l'empreinte numérique des personnes.

Enfin, l'action de cyberdéfense se concentrera dans la création de centres CERT (computer emergency response teams), qui effectuent des missions de veille, d'alerte et d'accompagnement de la BITD dans les territoires. Une première expérimentation à Bordeaux a été concluante. Un CERT maritime a également été créé à Brest. Ces CERT régionaux au sein des territoires et des bases de défense françaises seront pilotés au niveau national.

Monsieur Thiériot, s'agissant de l'économie de guerre, une revue est en cours d'écriture et le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) y tient cette année un rôle prédominant. La DGA contribue largement et à bon niveau aux travaux sur l'économie de guerre, en accordant une part importante aux sujets d'innovation. La DGRIS a également un rôle à jouer dans ce débat et ces travaux.

Monsieur Lachaud, le chantier des locaux de la DGSE est en effet important. Les installations du boulevard Mortier sont anciennes, et leur rénovation aurait coûté fort cher. Dès lors, il semblait logique d'envisager un déménagement. Le Fort de Vincennes s'est imposé dans les réflexions comme le site le plus adapté pour recevoir les locaux de la DGSE. Il y a des difficultés : il s'agit d'un site militaire, qui comprend une partie des archives du service historique de la Défense, dont le déménagement entrainera des coûts. En outre, beaucoup d'installations classées sensibles ou confidentielles entraîneront des travaux de sécurisation importants, dont une partie est classifiée. Vous avez raison de souligner que l'inflation sera forte dans le domaine du bâtiment. Si elle nous appelle à la vigilance, notamment dans le cadre de la LPM, nous ne pouvons en anticiper le niveau avec exactitude.

Monsieur Roussel, il ne faut pas tirer trop rapidement d'un accident la conclusion que les procédures seraient inadaptées ou que l'investissement dans l'innovation nous amènerait à prendre des risques. Néanmoins, j'ai pu interroger différents interlocuteurs sur la bonne manière d'innover en matière de drones. Dans le milieu maritime ou aérien, la tenue de tests impose de s'adapter aux réglementations en vigueur, notamment civiles, ce qui suscite parfois des aménagements complexes et chronophages. Ainsi, il serait utile d'identifier des solutions permettant de dérisquer en amont les démonstrateurs pour répliquer une même innovation sur différents prototypes. Le geocaging en est un bon exemple : lors du premier vol d'un démonstrateur de drone, ce dernier se pose immédiatement en dehors de certaines zones délimitées. Plutôt que d'appliquer un dispositif spécifique à chaque type de drone, un système unique pourrait permettre, dans la phase d'essai, de limiter l'évolution du drone dans une zone définie.

Enfin, Monsieur Royer-Perreaut, l'accélération des processus d'acquisition de certains matériels, s'agissant notamment des marchés publics, soulève la question des spécifications et des procédures de dérisquage. Nous devons éviter de surspécifier en amont certains éléments pour garantir une meilleure agilité. En greffant des dispositifs issus du monde civil sur des équipements militaires, avec des coûts d'intégration limités, l'exercice Polaris a présenté un résultat satisfaisant sans toutefois être optimum. De même, un missile qui aurait une allonge optimale de 90 % au lieu de 100 % resterait efficace.

Mission Défense : soutien et logistique interarmées

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«  Notre ressource la plus précieuse, ce sont les hommes et les femmes qui ont décidé de s'engager et qui s'engageront demain pour protéger la France ». Ce propos, tenu par le chef d'état-major des armées Thierry Burkhard le 5 octobre devant notre commission, sera le fil conducteur de mon intervention.

Avant d'évoquer le thème de mon rapport, j'appellerai votre attention sur plusieurs aspects touchant aux programmes 212 et 178. En effet, la marche des 3 milliards n'est pas respectée puisque la revalorisation du point d'indice de la fonction publique représente 366 millions d'euros sur le titre II, soit plus de 10 % de cette marche.

La hausse des coûts des facteurs ne semble pas non plus prise en compte dans la construction de ce PLF. C'est en particulier le cas des carburants, pour lesquels il table sur un baril à 63,30 euros. Or, entre janvier et août de cette année, le cours moyen du Brent s'est élevé à 96,77 euros. Pourquoi avoir construit le budget 2023 sur pareille hypothèse ?

Un autre point ayant retenu mon attention concerne le service d'infrastructure de la défense, confronté à un effet de ciseaux bien connu, avec une hausse de sa charge d'activité et des effectifs restreints. Le service est contraint de recourir à des externalisations qui renchérissent le coût des opérations et pèsent sur les budgets d'infrastructure des armées. Il convient de mettre fin à ces externalisations, surtout dans le contexte stratégique que nous connaissons.

J'ai choisi pour thème de mon rapport la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) qui a été lancée en 2021, avec l'indemnisation de la mobilité géographique des militaires, et poursuivie en 2022 avec l'indemnisation de sujétions d'absence opérationnelle (Isao) et les primes de commandement, de responsabilité et de performance (PCRM). L'an prochain sera le moment le plus important de cette nouvelle politique avec l'indemnisation de l'état militaire et l'indemnisation du non-choix par les militaires de leur lieu et de leur temps d'affectation, sous la forme d'une indemnité de garnison. Seront également versées des primes dites de compétences spécifiques (CPS) et des primes de parcours professionnels.

Même si les militaires servant aujourd'hui dans les armées n'ont pas tous connu le traumatisme du logiciel unique à vocation interarmées de la solde (Louvois), la question de la solde reste une source d'anxiété pour les militaires et leurs familles et cette affaire a laissé des séquelles durables.

Ayant eu l'occasion d'auditionner les armées, directions et services sur cette vaste réforme, sans malheureusement disposer des projets de textes réglementaires du troisième volet, j'aurai plusieurs observations à formuler.

La rémunération des militaires comprend quatre parts : l'indiciaire, l'indemnitaire, la pension et la rémunération indirecte. Pourquoi le Gouvernement commence-t-il par réparer la toiture avant les fondations de l'édifice ? Pourquoi avoir commencé par l'indemnitaire avant de traiter de l'indiciaire ? On sait pourtant que la rémunération indiciaire des militaires, qui entre dans le calcul de la pension, est largement insuffisante et que la progression de cette part indiciaire est très faible entre le début et la fin de carrière, quels que soient le corps et le grade. Le tassement des grilles indiciaires va à l'encontre de l'objectif de fidélisation et remet en cause le principe d'escalier social. On peut aussi déplorer que la NPRM soit déconnectée de la réforme à venir des pensions militaires qui, elle aussi, suscite des inquiétudes.

Toujours sur le plan de la méthode, le Gouvernement a procédé par étapes, préparant les textes réglementaires au fur et à mesure, sur trois ans. Cette manière de faire empêche les services comme la concertation d'avoir une vision d'ensemble des effets conjugués de la réforme. On peut comprendre que la réforme entre en vigueur par étapes pour s'assurer que Source Solde fonctionne bien et pour étaler dans le temps les effets budgétaires de cette nouvelle politique, mais encore eût-il fallu présenter les projets de textes aux intéressés d'un seul trait. Le ministère aurait aussi dû fournir aux armées, directions et services ainsi qu'à la concertation des simulations et études d'impact précises sur tout le dispositif.

Plusieurs principes retenus par le Gouvernement me semblent également contestables. On nous dit qu'en année pleine, plus de 480 millions d'euros de mesures supplémentaires seront consacrés à la réforme. Cependant, le problème n'est pas le court mais le moyen terme, car la plupart des primes sont forfaitisées, à l'exception de celle de parcours professionnel, alors que plusieurs d'entre elles étaient auparavant indexées : je pense par exemple aux indemnités qui sont remplacées par l'Isao, par la PCRM et par l'indemnité de garnison. En période d'inflation, la forfaitisation ne peut que se traduire par une érosion des revenus dès lors qu'aucune revalorisation automatique n'est prévue. L'objectif est bien la maîtrise de la masse salariale et non la condition militaire.

Un autre principe me semble philosophiquement inacceptable : il s'agit de l'introduction d'une part variable dans la prime versée aux militaires exerçant des responsabilités en état-major. Outre que cela pose de sérieux problèmes de cohésion, un mécanisme permet déjà de valoriser le mérite des militaires : la notation, l'avancement donc l'indiciaire, auquel le Gouvernement n'a pas touché. Sachant que les militaires acceptent de donner leur vie pour leur pays, il est surprenant de les soumettre à une logique pécuniaire de récompense financière allant à l'encontre de ce qui fait la singularité militaire. Je m'oppose formellement à ce changement de philosophie.

Certaines primes appellent également des commentaires. Le plafonnement à neuf mobilités de l'indemnité de mobilité géographique fera certes très peu de perdants, mais ces derniers se trouveront précisément parmi ceux qui peuvent toucher leur pension à liquidation immédiate et qu'il faut donc fidéliser pour leur expérience précieuse.

On ne peut qu'être surpris du décalage criant entre les montants de la PCRM et de la prime de performance qui sera versée aux contrôleurs généraux, aux ingénieurs de l'armement et aux commissaires. Il serait cocasse qu'un commissaire des armées exerçant un emploi de quatrième niveau touche une solde bien plus élevée que celle de son commandant d'unité. Il ne s'agit pas de dresser les unes contre les autres différentes catégories de militaires ni de souhaiter une révision à la baisse de la PCRM mais, au contraire, de la revaloriser fortement afin d'assurer un rééquilibrage.

Pour ce qui est de la prime de parcours professionnel, je déplore que rien ne soit prévu pour les militaires du rang et que cette prime soit contingentée. Même si le contingentement est suffisamment large pour ne pas avoir d'effets à court terme, son principe même pose problème. Il faudra en outre que nous veillions à ce que cette prime reste bien indexée sur la solde de base.

La fiscalisation de l'indemnité de garnison suscite des inquiétudes, en particulier de la part des locataires chargés de famille qui touchaient auparavant la majoration d'indemnité pour charges militaires et qui pourraient voir leur fiscalité augmenter malgré la compensation prévue par le Gouvernement. Cela pourra notamment concerner les militaires dont l'indemnité de mobilité sera plafonnée au-delà de neuf mutations, ou encore ceux dont le conjoint ou la conjointe a des revenus importants. Cette hausse du revenu imposable pourrait aussi avoir des effets sur les militaires du rang et les sous-officiers en début de carrière qui pourraient perdre leur droit à certaines prestations sociales. Le ministère a certes prévu de couvrir cette fiscalisation par une mesure de périmètre, mais comment être sûr que les perdants seront bien identifiés ?

Certains segments professionnels, pourtant critiques, ne sont pour l'instant pas pris en compte dans les projets de textes réglementaires relatifs à la prime de compétences spécifiques (PCS). Je pense aux spécialités du cyber et du service de l'énergie opérationnelle, aux compétences des auxiliaires de santé du service de santé des armées mais aussi à celles que nécessite le renseignement. Ce sont pourtant des domaines dont le ministère des armées affirme chercher à fidéliser les personnels.

En conclusion, je voudrais insister sur les répercussions considérables de la mobilité sur l'activité professionnelle des conjoints et sur le revenu global des familles de militaire, qui s'en trouvent appauvries par rapport aux ménages de même niveau socioprofessionnel. La NPRM ne résoudra pas cette difficulté et, lorsque les militaires arrivent en fin de carrière, ils voient leur revenu s'effondrer. Seule une réévaluation indiciaire redonnera aux familles de militaires un revenu à la hauteur de leur investissement pour la défense de la nation.

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L'affaire McKinsey a rappelé la place des cabinets de conseil dans la conduite des politiques publiques en France, et le secteur de la défense n'en est pas exempt. En 2018, les prestations de conseil auprès du ministère des armées s'élevaient à plus de 22 millions d'euros, et à 10 millions en 2021. Un bilan de ces prestations a-t-il été dressé ? Quelles sont les perspectives dans ce domaine ?

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En 2019, le directeur du commissariat des armées, le commissaire général Stéphane Piat, indiquait que 25 % des 315 restaurants gérés par le commissariat souffraient d'une dégradation avancée de leur infrastructure. De même, les matériels de restauration collective affichaient une moyenne d'âge de quatorze ans, contre quatre à cinq ans dans le secteur privé. Pouvez-vous nous apporter des précisions ?

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Vos conclusions témoignent d'une certaine orientation de votre rapport. Je souhaitais rappeler les efforts faits par le Gouvernement en faveur de la communauté de défense en général et plus particulièrement de nos militaires. L'effort de défense auquel consent la nation depuis plusieurs années à l'initiative du Président de la République est colossal. Pour la première fois, une LPM sera entièrement exécutée. Nous portons une attention particulière à la condition des militaires, à leur pouvoir d'achat et aux conditions de vie de leur famille.

Vous avez conclu que les traitements des militaires en fin de carrière allaient « s'effondrer ». Le terme est particulièrement fort. Quels éléments vous amènent à porter une telle appréciation ?

Vous avez rappelé les nombreuses primes qui complètent les traitements des militaires. Connaissez-vous le délai précis du paiement de ces primes ? Avez-vous des recommandations à faire dans ce domaine ?

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Les militaires voient leurs revenus s'effondrer au moment où ils liquident leur droit à pension. Si le taux de remplacement brut des Français est estimé à un peu plus de 60 % celui des militaires atteignant leur limite d'âge ou de service est légèrement inférieur à 60 % dans la gendarmerie et à 50 % dans les autres armes, du fait de la surreprésentation de la part indemnitaire dans leurs revenus : il est de 45 % pour un officier, 48 % pour un sous-officier, 30 % pour un militaire du rang quittant à 20 ans de service.

Il existe autant de caractéristiques de versement que de primes : certaines sont mensuelles, d'autres annuelles, comme la PCRM, versée en décembre. D'autres encore, comme l'Isao, sont versées de manière plus aléatoire, en fonction des impératifs de service. Ces derniers sont parfois à l'origine d'importants délais, qu'il conviendrait de réduire en travaillant sur la gestion de la solde.

Monsieur Piquemal, nous savons qu'en 2022, un appel d'offres a été lancé à hauteur de 50 millions d'euros pour des prestations de cabinets de conseil. Le montant était réparti en quatorze lots. Un seul a été attribué, pour un montant de 3,333 333 millions d'euros, soit un quatorzième de l'accord-cadre global. Les documents que nous avons demandés pour étudier cet appel d'offres ne nous ayant été fournis que très tardivement, nous sommes encore en train de les examiner. Il est en tout cas certain que le recours aux cabinets de conseil se poursuit. La pratique de la sous-traitance de ces lots est en outre autorisée, ce qui nous semble plus qu'étrange dans le domaine militaire.

Madame Martin, plusieurs des personnes auditionnées nous ont rapporté des signalements d'autorités vétérinaires demandant la fermeture administrative de lieux de restauration. Seules des réparations d'urgence permettaient de maintenir ouverte l'offre de restauration dans certains sites. Le service du commissariat des armées, gestionnaire des restaurants, continue de procéder à des concessions, notamment à l'économat des armées. L'objectif pour 2025 fixe la part des restaurants concédés à 40 %, et à 60 % ceux gérés en régie. Il est important pour nos armées de conserver cette compétence afin de la projeter en opération. Or, le service reste très hétérogène et de nombreux bâtiments sont vétustes. Le lancement d'un plan rénovation semble impératif pour résoudre ces problèmes récurrents et pour contribuer à la fidélisation de nos armées.

Mission Défense : préparation et emploi des forces terrestres

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Alors que nous entamons l'examen du premier budget de la législature, je suis fier d'être rapporteur pour avis des crédits d'un budget qui, pour la cinquième année consécutive, traduit une LPM ambitieuse et rigoureusement exécutée. Porté à 32,3 milliards d'euros en 2017, le budget de la défense atteint aujourd'hui 43,94 milliards, concrétisant le franchissement d'une nouvelle marche de 3 milliards, dont 213 millions de CP supplémentaires pour l'armée de terre. Le montant du budget opérationnel du programme Terre est ainsi porté à 1,88 milliard d'euros en CP afin de financer la hausse de l'activité et le renforcement du niveau des stocks.

Le PLF 2023 est capital dans la poursuite de la modernisation engagée par l'armée de terre. 18 % de la cible Scorpion devrait être réalisée d'ici la fin 2022, et 25 % en 2023. Des commandes cruciales seront passées cette année, notamment 420 véhicules Serval supplémentaires, tandis que 123 Griffon, 119 Serval et 22 Jaguar seront réceptionnés. Les crédits permettront à l'armée de terre de tenir l'objectif d'une brigade interarmes Scorpion projetable en 2023. L'exercice majeur Orion 2023 permettra de franchir une étape décisive dans la préparation des forces terrestres renforcées, conformément à la vision stratégique du chef d'état-major de l'armée de terre.

Cette modernisation s'accompagne de ressources en hausse. Parmi elles, une priorité clairement affichée dans ce budget est l'augmentation de 18 % des crédits consacrés au maintien en condition opérationnelle (MCO) par rapport à la loi de finances initiale 2022, soit une hausse de 184 millions d'euros en CP. La hausse des crédits dédiés à l'entretien programmé des matériels contribuera à améliorer la disponibilité des matériels. Cette augmentation prendra principalement en compte la prise en charge depuis juillet 2022 du soutien du Griffon par le programme 178, le soutien simultané des parcs d'anciennes générations, les effets de l'inflation et la pérennisation du char Leclerc.

Par ailleurs, le budget des équipements d'accompagnement et de cohérence, retracé dans le programme 178, est lui aussi en hausse de 3 %. Il reflète l'effort consenti dès 2023 en faveur de l'achat de munitions supplémentaires pour couvrir les besoins de la haute intensité. Les crédits permettront principalement l'acquisition de roquettes AT4F2 et d'obus éclairants de mortier de 120 millimètres.

Je me réjouis que l'armée de terre ait pu remplir ses objectifs de recrutements en 2022, étant ainsi l'une des rares armées en Europe capable d'attirer environ 14 000 recrues chaque année. Ces efforts, combinés à ceux de l'ensemble du ministère dans le cadre du plan « famille » et à des mesures volontaristes, comme la prime de lien au service, parviennent à fidéliser davantage de militaires.

Enfin, pour atteindre ces objectifs dans la durée, l'armée de terre développe une offre de formation innovante. Ainsi, je suis très attaché à l'ouverture de l'école militaire, préparatoire et technique (EMPT) de Bourges, qui permettra de recruter et de former les compétences nécessaires pour les métiers en tension, comme la maintenance aéronautique et terrestre, ainsi qu'à celle du BTS cyber à Saint-Cyr-l'École.

Autre indicateur à saluer, 79 % des soldats de l'armée de terre jugent leur moral bon, voire excellent, grâce aux livraisons d'équipements, au style de commandement et au sens donné à leur métier. L'engagement opérationnel soutenu suscite toutefois des défis accrus pour la conciliation avec la vie personnelle – notamment la vie familiale – des militaires et diminue le temps disponible pour la préparation opérationnelle. Aussi l'armée de terre doit-elle encore poursuivre ses efforts dans ce domaine.

Enfin, au regard de la forte inflation et des surcoûts qui n'avaient pu être anticipés lors du vote de la loi de finances pour 2022, je demeurerai vigilant à ce que le niveau d'activité des forces terrestres soit préservé en gestion et lors des prochains exercices.

L'exercice budgétaire 2023 ne peut être décorrélé du tournant stratégique de la guerre en Ukraine. Les conséquences sur les forces terrestres sont à la fois budgétaires et opérationnelles, marquées par des cessions de matériel emblématiques et de nouveaux déploiements visant à renforcer la posture dissuasive et défensive de l'Otan sur le flan est de l'Europe. J'ai donc choisi de consacrer la partie thématique de mon avis budgétaire aux conséquences de l'effort consenti en faveur de la nation ukrainienne et de son armée et aux premières leçons tirées de la guerre en Ukraine pour la préparation et l'emploi des forces terrestres. En effet, l'effort consenti par notre défense nationale doit être pris en compte et compensé afin de trouver un juste équilibre entre l'aide apportée et la préservation des intérêts de nos forces terrestres – même s'il convient de rappeler que les deux parties de l'équation ne sauraient être opposées tant l'aide apportée aux forces ukrainiennes contribue à notre propre défense. Dans le cadre de mes travaux, je suis allé à la rencontre du 27e bataillon de chasseurs alpins à Annecy qui revenait de l'opération Aigle en Roumanie, et en Estonie, auprès des forces participant à l'opération Lynx. J'ai pu mesurer la réactivité avec laquelle les militaires se sont déployés sous très court préavis et constater sur le terrain l'importance de leur présence pour assurer la crédibilité de la France vis-à-vis de ses alliés et renforcer l'interopérabilité de nos armées.

Toutefois, j'ai souligné dans mon avis budgétaire la nécessité de compenser en gestion les efforts consentis par les forces terrestres au risque de compromettre leur capacité à assurer l'ensemble de leurs missions. De la même manière, il serait souhaitable que les missions opérationnelles de l'armée de terre puissent faire l'objet d'une prise en charge ad hoc au même titre que les Opex, afin de se prémunir contre les risques d'éviction.

Par ailleurs, j'ai tenu à présenter dans mon avis budgétaire les premières leçons que les forces terrestres ont tirées de la guerre en Ukraine. Le conflit étant en cours, le retour d'expérience ne peut être que partiel, même si je le considère comme nécessaire dans la perspective de la prochaine LPM. Le retour de la haute intensité en Europe confirme le bien-fondé du durcissement de la préparation opérationnelle entrepris par l'armée de terre et la pertinence de la modernisation en cours.

J'identifie trois grands axes d'amélioration. Il s'agit premièrement de compléter nos stocks et d'acquérir les équipements qui permettront aux forces terrestres de gagner la guerre de ce soir, mais aussi celle de demain. En effet, les cessions de matériel ont mis en lumière des capacités dimensionnées au plus juste qui conduisent à écarter pour l'instant de nouvelles cessions importantes prélevées directement sur les stocks des forces terrestres. À ce titre, je salue la décision du Président de la République d'annoncer un fonds de 100 millions d'euros qui permettra aux autorités ukrainiennes de s'approvisionner directement auprès de nos industriels. Passer d'une logique de cession à une logique de production suppose néanmoins de renforcer la réactivité des industriels de la BITD. Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, s'y emploie.

Deuxièmement, nous devons renforcer notre capacité à durer. La guerre en Ukraine a en effet démontré la nécessité de rechercher dès maintenant une plus grande efficacité des soutiens couplée à une plus grande profondeur logistique. Cela suppose de renforcer le niveau des stocks de pièces de rechange et de prendre davantage en compte la problématique du MCO de guerre dans les travaux en cours sur l'économie de guerre, tout en poursuivant le réhaussement engagé du niveau de nos stocks de munitions.

Enfin, cette guerre a rappelé la nécessité de consolider les forces morales. Cela passe évidemment par l'objectif de doublement des réserves affiché par le Président de la République. Nous ne pouvons en parallèle nous dispenser d'une réflexion sur le format des forces opérationnelles terrestres. Je formule ainsi dans mon avis un certain nombre de constats et de propositions qui, je l'espère, constitueront autant de pistes de réflexion dans la perspective de la prochaine LPM.

Je salue enfin la disponibilité des différentes directions que nous avons sollicitées, ainsi que celle des bataillons auprès desquels nous nous sommes rendus. J'exprime un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Défense pour 2023.

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Quelles leçons tirez-vous de votre visite de la base de Tapa, en Estonie ?

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Dans le cadre de mes travaux, je me suis rendu du 12 au 14 septembre à Tallinn, où j'ai rencontré les autorités politiques estoniennes, puis à Tapa où se trouvent nos forces terrestres. Je me suis entretenu avec des militaires déterminés, engagés et heureux de mener cette mission en Estonie et de servir la France. 300 Français y sont présents, dont 200 dans les forces opérationnelles et 100 dans les forces de soutien. Ils participent avec le Danemark à un battle group sous commandement britannique, le Royaume-Uni tenant le rôle de nation-cadre en Estonie. Toutefois, cette situation est amenée à changer puisque le Président de la République a décidé de pérenniser la présence française en Estonie et d'y affecter 100 militaires supplémentaires : une compagnie d'infanterie légère sera déployée en 2023 avec des véhicules Griffon. Ce mode « surge », qui maintient présentes des forces qui auraient dû quitter le pays, a pour conséquence d'offrir à nos soldats des conditions d'hébergement rustiques, qu'il nous faut améliorer. Par ailleurs, nous devrons investir dans des locaux garantissant la maintenance de nos matériels dans de meilleures conditions.

En Estonie, j'ai rencontré la vice-ministre de la défense, le président de la commission de la défense et l'ancien ministre des armées. Les Estoniens vivent avec la crainte d'être la prochaine cible de Vladimir Poutine. L'Estonie a été occupée pendant cinquante ans par l'Union soviétique dans des conditions comparables à celles qu'a connues la France pendant les cinq années d'occupation allemande. Chaque année environ 3 200 conscrits rejoignent l'armée estonienne. Si leur adhésion à l'Union européenne et à l'Otan leur garantit une forme de protection, les Estoniens nous demandent, comme les Roumains, de renforcer notre présence militaire et notre soutien politique.

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La LPM 2019-2025 prévoyait un effort significatif en faveur du MCO, qui a fait l'objet de réformes majeures. La Cour des comptes, qui a souligné l'importance de l'effort budgétaire, a cependant dressé plusieurs constats. Tout d'abord, les performances observées montrent que la disponibilité des matériels majeurs reste souvent insuffisante entre 2018 et 2020. Néanmoins, dans son rapport annuel de performance, le ministère des armées a indiqué que la disponibilité des matériels terrestres majeurs s'était globalement améliorée. Ce constat est vrai pour le char Leclerc, dont la disponibilité reste stable à 87 %, et pour le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), stable à 61 %, soit une hausse de 3 points par rapport à 2020. Cette amélioration a essentiellement résulté de l'arrivée des véhicules Scorpion.

Depuis plusieurs années, le niveau de disponibilité semble se situer dans une dynamique positive, malgré le manque d'informations publiques sur les taux de disponibilité technico-opérationnelle. Votre travail présente ainsi un intérêt d'autant plus fort.

Pouvez-vous nous préciser la disponibilité du matériel terrestre au moment où nos armées sont sollicitées ? Comment expliquez-vous ces évolutions ? Quels enjeux identifiez-vous en matière de MCO ?

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Notre commission a accordé ces dernières années une attention redoublée au MCO, notamment après les rapports de Mme Mauborgne et de M. Gassilloud.

Les crédits d'entretien programmés du matériel s'établissent pour 2023 à 1,228 milliard d'euros, soit une hausse significative de 18 % et de 184 millions. L'augmentation la plus notable, de 28 %, concerne le MCO terrestre. Même si certains parcs, vieillissants, présentent certaines fragilités, le niveau moyen de disponibilité technique des matériels majeurs est ainsi en amélioration puisqu'il atteint plus de 90 % en moyenne en opérations contre 70 % il y a dix ans. Il est conforme aux cibles que nous avions fixées.

Le char Leclerc fait l'objet d'opérations de pérennisation. Le nouveau marché de soutien notifié en mars 2021 pour dix ans offre des perspectives de disponibilité favorables. Le taux de disponibilité technique opérationnelle, qui se mesure par rapport à l'objectif déterminé de disponibilité, s'élève à 87 % en 2021 et devrait atteindre 94 % en 2022. De plus, dix-huit chars Leclerc rénovés seront livrés en 2023. Le programme de rénovation des Leclerc vise à intégrer ces chars dans le dispositif de combat collaboratif Scorpion, en l'adaptant aux nouvelles menaces et en traitant les problématiques d'obsolescence lourdes. La cible fixe un total de 200 chars Leclerc rénovés pour pérenniser nos capacités en 2040.

Toutefois, un pic de MCO est attendu dans les années à venir. En effet, le MCO suit une courbe en U : il coûte cher en début et en fin de carrière des matériels. Or, nous devons combiner le MCO de matériels vieillissants et celui des nouveaux matériels qui nous sont livrés. Nous devons trouver un équilibre entre la nécessité de rendre les parcs aussi disponibles que possible afin que les militaires puissent s'entraîner, et la prévention de l'usure de ces matériels. La structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) consacre ses efforts à la maintenance opérationnelle et industrielle des matériels. À titre d'exemple, lors de mes travaux, j'ai été frappé d'apprendre qu'il faudra attendre jusqu'à quatre ans avant de pouvoir réinjecter dans les régiments les matériels utilisés dans le cadre de l'opération Barkhane, en raison des délais de réacheminement en France et de traitement par les industriels.

Je formule dans mon rapport la recommandation de passer à un MCO de guerre, reposant sur une industrie de guerre étatique et privée préparée associée à une maintenance opérationnelle capable de conférer l'autonomie tactique nécessaire aux unités interarmes.

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La montée en puissance de l'économie de guerre a été suscitée par l'évolution de la situation géopolitique. Pourtant, comme en attestent les carences françaises en matériel mises en lumière par la guerre en Ukraine, cette intensification nécessite un effort accru dont la soutenabilité à court terme ne cesse de nous interroger. La hausse globale de 3 milliards d'euros du budget de la défense se heurtera à une inflation importante, que le seul report de charges ne suffira pas à combler. Nos industriels eux-mêmes sont dubitatifs quant à la faisabilité de cette montée en puissance. En effet, certains sont engagés par des contrats avec des puissances étrangères qu'ils doivent honorer. Ils émettent en outre de sérieux doutes quant à la capacité financière et humaine des TPE et PME sous-traitantes avec lesquelles ils travaillent, et dont la situation est fortement perturbée par l'épidémie de covid-19 et par la crise de l'énergie. Des questions logistiques se posent également. Enfin, les nouveaux matériels produits par nos industriels et de leurs sous-traitants sont, de l'aveu même des militaires de haut rang, plus lourds et plus coûteux en matière de maintenance, et nécessitent des temps de formation plus importants.

Dans quelle mesure ce budget permet-il la montée en puissance souhaitée par le Président de la République et rendue nécessaire par l'effort consenti à l'Ukraine ?

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Le surcoût Ukraine est évalué à 342 millions d'euros en 2022 pour les forces terrestres, et il sera également pris en compte dans le surcoût des opérations extérieures (Opex).

L'inflation conditionnera en effet notre capacité à monter en puissance dans les années à venir. Elle sera en très grande partie prise en charge par le mécanisme de report de charges, dont les objectifs ont été revus à la hausse pour 2023. Ce levier peut être actionné sans risque, car le ministère avait conformément à la LPM réduit son report de charges sur la période antérieure. Toutefois, face à la forte augmentation du coût des matières premières, le coût des facteurs a été réévalué en mars 2022 afin de sincériser au maximum la programmation militaire pour 2023.

S'agissant de l'économie de guerre, le ministre des armées a réuni début septembre l'ensemble des entreprises de la BITD pour leur demander de réfléchir à leur capacité à monter en puissance. Des groupes de travail rendront leurs conclusions dans les prochains jours.

Il est certain que nous devons augmenter de façon régulière nos commandes à la BITD pour lui garantir un niveau de production suffisant afin de tripler, si nécessaire, la capacité de production en passant en 3x8. Certains industriels estiment que nos commandes sont parfois trop erratiques pour s'organiser correctement, notamment pour recruter et former de nouveaux salariés. Nous n'avions par exemple pas commandé de canons Caesar depuis quinze ans. 18 ont été commandés pour compenser nos cessions à l'Ukraine, puis 33 autres de nouvelle génération pour atteindre un total de 109 en parc. Nous devons sans doute également revoir la chaîne de production avec nos fournisseurs. Ainsi, l'alliage spécifique nécessaire à la production du canon Caesar provient d'Aubert & Duval, dont nous ne sommes pas le client principal, et qui ne peut nous fournir qu'une fois par an.

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Lors de notre déplacement en Estonie au mois de novembre, le ministre de la défense nous avait confié s'attendre à une attaque russe après les Jeux olympiques. Son analyse était juste, et la présence française dans ce pays est capitale.

Comment définiriez-vous un MCO de guerre efficace ? Il pourrait en effet s'agir de la possibilité d'augmenter le volume horaire en contractualisant d'avance avec nos fournisseurs, ce qui aurait toutefois un coût budgétaire, ou de renforcer le MCO effectué en interne au sein de nos armées.

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Ce sont deux options, qui figuraient en effet dans le rapport que vous aviez écrit avec Patricia Mirallès. Outre ces suggestions, nous devrons nous montrer imaginatifs. L'un de nos interlocuteurs a proposé qu'une réserve civile constituée de salariés ayant récemment travaillé dans la BITD puisse renforcer la production en cas de besoin.

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Le « surge » décrété en Estonie rejoint les conclusions de la mission que j'avais menée l'hiver dernier avec Charles de la Verpillière.

L'entraînement est un sujet majeur pour la montée en puissance de l'armée de terre. Cette dernière s'entraîne environ 14 000 heures par an sur les chars Leclerc alors qu'il faudrait 70 000 à 90 000 heures pour un entraînement à un conflit de haute intensité.

Comment voyez-vous l'évolution du parc de nos équipements et matériels dans l'armée de terre au regard de la bulle Scorpion ? En effet, le déploiement de cette dernière rend nécessaire l'interopérabilité voire la connectivité des matériels plus anciens de l'armée de terre, sous peine de les voir devenir obsolètes.

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L'entraînement soulève la question des ressources humaines. J'ai souligné la grande capacité de recrutement de l'armée de terre et son effort de fidélisation de ses troupes. Les effectifs de la force opérationnelle terrestre ont été augmentés après les attentats de 2015 pour les porter à 77 000 hommes et femmes, soit une hausse de 11 000 effectifs. En 2016, 21 000 militaires ont été recrutés, 18 000 en 2017, 15 000 en 2018, 2019 et 2020, et enfin 17 000 en 2021. En 2022, les recrutements devraient atteindre plus de 14 000 nouveaux effectifs.

La disponibilité de nos hommes repose également sur l'équilibre des forces réparties entre différentes missions. Plusieurs milliers de soldats sont engagés pour la protection de la nation sur le territoire français dans le cadre de l'opération Sentinelle. Les effectifs rattachés à Héphaïstos ont lutté contre les grands feux, tandis que les militaires de Titan protègent la base de Kourou.

Enfin, nous devons prêter attention à la disponibilité de notre matériel, qui est liée aux contrats que nous passons avec les industriels. Des crédits suffisants doivent nous permettre d'atteindre les objectifs que nous nous assignons. Il serait intéressant que la commission de la défense se penche en 2023 sur l'exercice Orion, qui sera de très grande ampleur.

La bulle Scorpion a donné de si bons résultats qu'elle rend souhaitable son élargissement à d'autres armements, notamment au feu.

Mission Défense : préparation et emplois des forces de la Marine

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« L'oracle avait dit : défends ta cité par une muraille de bois inexpugnable. Thémistocle lança la construction d'une flotte » (Hérodote). Les empires sont de retour, les trente dernières années n'ont été qu'une parenthèse. Ces empires, que certains pensaient disparus, n'étaient qu'endormis. La guerre en Ukraine, attaquée par un membre permanent du Conseil de sécurité, à deux heures d'avion de Paris, en témoigne. Les équilibres du monde, dont notre vision hexagonale, parfois naïve, très continentale, métropolitaine, nous incite à ne pas toujours percevoir qu'ils se transforment, doivent nous rappeler à nos devoirs de grande nation.

En Indo-Pacifique, la France, avec ses départements et collectivités d'outre-mer, et quelque 9 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive (ZEE) sur les 11 millions qu'elle possède, a des responsabilités. Nos trois armes y sont présentes sur terre, en l'air et sur mer. La République populaire de Chine, pour sa part, y développe sa marine et poursuit un objectif stratégique – disposer de forces militaires de premier plan en 2035 – et un objectif politique – qu'elle qualifie de « rêve chinois » – d'ici à 2049. La Chine nourrit aussi, à l'instar de la fédération de Russie, des ambitions sans retenues en Afrique. La Turquie conduit des efforts importants depuis dix ans pour s'imposer comme une puissance régionale majeure. L'Iran continue à chercher à se doter d'une capacité nucléaire. Ce sont là quatre théâtres d'opérations – l'Europe, le golfe Persique, l'Afrique et l'Indo-Pacifique – sur lesquels des événements pourraient survenir simultanément. Voilà qui nous rappelle avec force à nos devoirs diplomatiques et militaires, et qui nous fait nous souvenir qu'il n'y a pas de diplomatie sans puissance, pas de puissance sans constance et pas de constance sans efforts.

Pour la première fois depuis bien longtemps, le budget de la défense et des forces armées ne sert pas de variable d'ajustement. La loi de programmation militaire 2019-2025, exécutée à l'euro, permet au budget de la défense de progresser année après année : celui-ci s'accroît, cette année encore, de 3 milliards. C'est heureux, car nous avions atteint, en 2017, les limites de l'exercice. C'est par la persévérance que se bâtit une armée, que se construisent ses équipements, que se pensent nos bâtiments de surface, nos avions, nos porte-avions et nos sous-marins pour les trente à quarante années à venir.

Il faut dès aujourd'hui recruter, former, faire monter en compétence les officiers et officiers mariniers qui armeront le ou les futurs porte-avions, les équipages des nouveaux sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) ou lanceurs d'engins (SNLE). Il faut poursuivre l'adaptation de nos infrastructures portuaires outre-mer afin d'y accueillir des bâtiments plus gros, plus nombreux et pourquoi pas un SNA présent par des rotations régulières avec la métropole dans l'Indo-Pacifique.

Le temps des drones est venu, dans l'air, sur l'eau ou sous les mers. Ils révolutionnent certaines pratiques et imposent d'en posséder en nombre et de s'en défendre. N'oublions pas que 98 % des communications internet transitent par des câbles sous-marins à des profondeurs où l'humain n'opère pas. Les derniers développements ne font qu'illustrer l'impérieuse nécessité de protéger ces infrastructures.

Enfin, les armes hypervéloces confèrent pour le moment un avantage tactique qu'il ne faut pas négliger.

L'Europe découvre que les peuples n'ont pas d'amis mais des intérêts. Nous devons être prêts à défendre nos intérêts et protéger notre souveraineté au-delà des mers, partout dans le monde, face aux menaces croissantes qui pèsent sur notre ZEE.

On a créé un fonds européen de défense doté de 7 milliards pour la période 2021-2027. Pour la première fois, la notion de BITD existe à l'échelle européenne. Notre BITD, héritière d'un savoir-faire séculaire, est toujours en mesure de produire pour nos forces ce qui se fait de meilleur et ce, malgré des années de reports de programmes, ou de trop faibles volumes de commandes jusqu'en 2017. C'est un exploit !

L'importance de l'effort budgétaire, qui portera à 50 milliards le budget de la défense en 2025, démontre la place que le Président de la République et le ministre des armées accordent à nos forces, à notre BITD. La démocratie a besoin d'être défendue, au besoin militairement, pour demeurer. La marine bénéficiera donc, comme les autres armées, d'un surcroît de crédits de 9 % au titre du programme 178, à 3,088 milliards en CP, auquel il faut ajouter les 2,733 milliards d'euros en CP (soit plus 6 %) au titre des dépenses de personnel relevant du programme 212.

Nous ne pouvons que saluer cet effort de la nation, qui permettra une remontée en puissance de l'outil naval et financera, notamment, deux domaines traditionnellement négligés : d'abord, les infrastructures, hors dissuasion, où les besoins sont immenses, voient leurs crédits augmenter de 219 % en AE, à 212,9 millions d'euros, et de 12 % en CP, à 146,1 millions d'euros ; ensuite, les munitions bénéficient d'un abondement en hausse de 53 % en AE, ce qui permet de commencer à passer les commandes et à regarnir des stocks réduits.

Par ailleurs, l'augmentation des crédits affectés au programme 212 permettra d'améliorer les conditions de rémunération des marins, effort lui aussi bienvenu dans un contexte d'inflation.

J'en viens à l'avenir de la marine dans la perspective de la prochaine LPM, ainsi qu'à la région Indo-Pacifique, à laquelle j'ai consacré la parte thématique de mon avis.

La guerre en Ukraine est la cause ou l'illustration d'une triple rupture stratégique. La première est le retour de la guerre de haute intensité sur le continent européen, incluant la menace du recours à l'arme nucléaire, alors qu'on la croyait définitivement bannie de notre histoire. La deuxième est la prise de conscience de notre dépendance à la mer, par laquelle transitent les biens mais également – de manière croissante avec l'embargo sur les exportations russes – l'énergie. La troisième est la résurrection de l'Otan, vers qui tous les États européens se sont tournés face à la menace russe.

Ces trois ruptures s'accompagnent d'une transformation de la menace en mer. Celle-ci est redevenue un espace de compétition et de confrontation entre les puissances, particulièrement en Indo-Pacifique, sous la pression chinoise. La menace est désormais partout, sur toutes les mers de la planète mais également en dessous et au-dessus.

Généralisée, la menace est également plus intense. Le réarmement naval est massif dans le monde, particulièrement, une fois encore, en Indo-Pacifique ; nos marins, avec le retour du combat naval, connaîtront probablement le feu à la mer.

Enfin, cette menace se nourrit de notre propre faiblesse. Demain, toute faiblesse réelle ou supposée d'un État sera considérée par ses compétiteurs comme une occasion de remettre en cause les situations acquises, y compris par la force, alors même que l'on fait face à un risque de désagrégation de l'ordre juridique international.

Face à ces nouvelles menaces, les moyens de notre marine doivent continuer à croître. Déjà déployée sur de multiples théâtres, elle est à la limite de ses capacités. Ce qui est en jeu, c'est l'accroissement de son format – et non sa modernisation à taille constante –, d'abord grâce à un deuxième porte-avions. En effet, la France ne dispose pas aujourd'hui d'un porte-avions mais de 65 % d'un porte-avions, puisqu'un tiers du temps, celui-ci est en entretien. Un deuxième porte-avions – et non pas un deuxième groupe aérien – permettrait de disposer en permanence de cet outil puissant, prêt à être déployé sur un théâtre lointain comme l'Indo-Pacifique, voire sur deux théâtres en cas de menace exceptionnelle. Nous avons encore un peu de temps pour décider mais il semble indispensable d'y penser dans la perspective de la future LPM.

L'accroissement du format passe aussi par un plus grand nombre de frégates de premier rang. Le Livre blanc de 2013 fixait un objectif de quinze frégates pouvant être déployées sur deux ou trois théâtres simultanément. Ce nombre est clairement insuffisant alors même que notre marine est aujourd'hui engagée sur quatre théâtres. Le risque d'épuiser les hommes et le matériel est réel. Il faut donc revenir, au minimum, au format des 18 frégates qui prévalait avant.

Enfin, la marine doit relever pleinement le défi de la dronisation, levier permettant de dépasser à la fois les limites humaines et les contraintes financières, tout en maîtrisant les risques.

Mais la marine, ce sont avant tout des équipages, qui devraient connaître, à défaut d'une évolution quantitative, une transformation en profondeur. Avec le retour du combat naval et du risque du sacrifice ultime en mer, face à des États comme la Russie ou la Chine, puissamment armés et aux valeurs situées à l'opposé des nôtres, adapter la doctrine et la préparation opérationnelle des marins à la haute intensité est une nécessité.

Face à ce nouvel environnement stratégique, notre pays est à la croisée des chemins : soit il affiche ses ambitions et dote la marine des capacités nécessaires pour qu'elle puisse tenir son rang, soit il les réduit, acceptant un lent déclassement qui se paiera, dans les prochaines décennies, par la perte de la maîtrise de notre destin et de notre capacité à peser sur la marche du monde.

Le temps de la marine, et celui de la défense en général, est un temps long. Les décisions qui sont prises aujourd'hui nous engagent pour des décennies. Face à tant de menaces et d'incertitudes, le principe de précaution doit s'appliquer et notre pays se préparer au pire pour mieux le prévenir.

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L'Indo-Pacifique est-il, à vos yeux, un concept pertinent ? Ne devrions-nous pas avoir une stratégie différenciée entre l'océan Pacifique et l'océan Indien ? Nous sommes très présents dans l'océan Indien, avec des élongations relativement courtes, mais le Pacifique, c'est évidemment autre chose.

Il faut augmenter le format de la marine ; à ce titre, les dix-huit frégates que vous évoquiez sont un strict minimum. Parallèlement, il faut conduire un effort sur l'armement. Je suis un peu dépité de voir que les FDI (frégates de défense et d'intervention) qui vont être mises à la disposition de notre marine ne pourront tirer que seize missiles, contre trente-deux pour celles que nous vendons à la Grèce.

S'agissant de la capacité amphibie légère, du fait de la disparition des bâtiments de transport léger (Batral), nous aurions du mal à projeter rapidement des forces si nous rencontrions, à l'avenir, un problème dans les îles Éparses.

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Il faut en effet différencier les choses. Le Pacifique est un immense désert maritime. Nous y disposerons à l'avenir de deux patrouilleurs d'outre-mer (POM) et d'un bâtiment de soutien outre-mer par plot, ainsi que de frégates de surveillance. L'effort en direction de l'Indo-Pacifique concerne avant tout l'océan Indien et, en particulier, La Réunion, Mayotte et le canal du Mozambique. Celui-ci, qui est une voie stratégique, revendiquée par plusieurs pays, abrite les îles Éparses, qui nous permettent de contrôler le canal. C'est pourquoi nous devons porter nos efforts sur ces secteurs et concevoir, par exemple, le remplacement des frégates de surveillance par des bâtiments plus armés et plus puissants. Les POM se substitueront bientôt aux patrouilleurs d'outre-mer – le premier entrera en service l'an prochain ; ils offriront une allonge démultipliée, qui atteindra 5 500 nautiques, soit plus de 10 000 kilomètres, à laquelle il faut ajouter les drones embarqués. Nous pourrions attendre des futures corvettes de patrouille européennes, bien armées, qu'elles puissent remplir certaines de ces missions.

S'agissant de la capacité de tir des frégates en missiles Aster, je n'ai pas la réponse stratégique mais il est évident que nos bâtiments – notamment ceux qui, outre-mer, remplaceront les frégates de surveillance – doivent être puissamment armés.

On peut se féliciter du remplacement des Batral par des bâtiments de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM). Certes, les Batral permettaient d'accoster sur la plage, mais moins de 30 % des plages situées dans nos secteurs d'intervention se prêtent à cette manœuvre. Les bâtiments de soutien représentent une montée en gamme, puisqu'ils peuvent emporter une trentaine de personnes et un hélicoptère, être utilisés pour assurer une intervention aussi bien que des travaux de levage.

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Nos compétiteurs, voire nos adversaires, montent en puissance et font parfois le choix d'acquérir un, voire deux porte-avions. Quel serait, selon vous, l'intérêt opérationnel d'avoir un deuxième porte-avions – au côté du futur porte-avions nucléaire prévu par la LPM ?

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À titre d'exemple, la Méditerranée représente 1 % du volume des mers du monde, 25 % du trafic maritime et 65 % des approvisionnements énergétiques de l'Europe : qui tient la mer a la maîtrise du commerce et du monde. Un porte-avions est à portée d'ailes de 80 % des villes du globe. C'est un puissant instrument militaire, qui peut emporter des armes conventionnelles et nucléaires, mais c'est aussi un outil à vocation diplomatique. La France a eu, par le passé, deux porte-avions avec un seul groupe aérien. Je rappelle que le Charles-de-Gaulle connaîtra, en 2023, un arrêt technique majeur. Tous les grands pays, et même les puissances régionales, se dotent de plusieurs porte-avions ou porte-aéronefs. Nous devons entendre le message.

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Abstraction faite des risques de confrontation, pensez-vous que la marine nationale est en mesure d'assurer la police des mers dans notre ZEE et de protéger la biodiversité ? Si ce n'est pas le cas, comment y parvenir ?

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La France doit faire respecter sa souveraineté et protéger ses intérêts sur les 11 millions de kilomètres carrés de sa ZEE. Les navires étrangers n'en franchissent pas les limites, car ils savent que, dans le cas contraire, ils seraient immédiatement interceptés. De surcroît, les patrouilleurs d'outre-mer seront dotés de drones SMDM (systèmes de minidrones pour la marine), qui leur offriront une allonge de 50 kilomètres supplémentaires.

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Avez-vous pu vous faire une idée précise des besoins de la marine française en matière de drones ? On s'intéresse, actuellement, à de nouveaux démonstrateurs adaptés aux grands fonds, à l'image du docking, qui est une station d'accueil sous-marine permettant de lancer et de récupérer un sous-marin autonome chargé, notamment, de protéger les approches côtières. Les besoins semblent se concentrer sur la grande profondeur, à partir de 6 000 mètres.

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La limite des 6 000 mètres constitue l'enjeu essentiel, sachant que les choses se compliquent dès que l'on franchit le seuil des 3 000 mètres. L'importance des fonds marins provient, notamment, des câbles, même si ces derniers sont surveillés en permanence par les sociétés qui les ont posés. La stratégie Objectif 2030 nous permettra d'être encore plus robustes en ce domaine. La marine est très sensibilisée à la maîtrise des fonds marins : un officier supérieur en charge de cette question vient d'être nommé au sein de l'état-major et un autre, placé auprès de l'amiral commandant la force d'action navale (Alfan), supervise l'action en la matière. La difficulté est de communiquer avec un drone évoluant jusqu'à 6 000 mètres de profondeur. On est capable, aujourd'hui, de confier à un drone des missions de plusieurs natures, parmi lesquelles l'observation. Nos performances s'accroîtront grâce à des sociétés comme Exail ou Naval Group.

Mission Défense : préparation et emploi des forces dans l'armée de l'air et de l'espace

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J'ai été autrefois élève-officier de réserve de la marine ; j'habite non loin de la rade de Toulon ; ma circonscription abrite un atelier de l'aéronaval à Cuers. Le moins que l'on puisse dire est que je n'étais pas prédestiné à devenir rapporteur du budget de l'armée de l'air et de l'espace. J'ai découvert, dans le cadre de mes travaux, une armée mobilisée sur tous les fronts, menant des missions variées et hautement stratégiques, riche d'hommes et de femmes passionnés et engagés au service de notre nation, de notre sécurité et de la défense de nos intérêts.

Comme vous le savez, derrière les chiffres, il y a surtout des hommes, des soldats en l'occurrence, qui ont décidé de consacrer leur vie à nous défendre, au prix souvent de nombreux sacrifices, et c'est à eux que je souhaiterais ici rendre hommage. Je crois que la plus belle façon de le faire, c'est, pour nous, représentants de la nation, de dire la vérité sur la situation de nos armées, pour alerter, à l'heure du retour de la guerre en Europe, sur notre capacité ou non à faire face à un conflit de haute intensité.

Vous le savez, le général Burkhard, dans une lettre à ses officiers, au début de l'année, a qualifié l'armée russe d'« armée du mensonge ». Il signifiait par là qu'une partie de l'échec russe en Ukraine tenait au fait que personne n'osait dire la vérité sur la situation. Aujourd'hui, cette exigence de vérité et ce devoir d'alerte s'imposent d'autant plus qu'on perçoit une tentation de l'exécutif de museler la liberté de parole de nos chefs d'état-major. On l'a vu notamment lors de cette mise en scène quasi « nord-coréenne », comme l'ont qualifié certains, à l'occasion de la dernière audition du ministre.

S'agissant de l'armée de l'air et de l'espace, je voudrais partager avec vous trois constats. Le premier est que cette armée a subi de plein fouet la déflation de nos capacités militaires au titre des prétendus dividendes de la paix, de la RGPP (révision générale des politiques publiques) et des autres réformes dites structurelles.

Trois chiffres illustrent la réduction drastique des moyens de l'armée de l'air : depuis 2008, celle-ci a connu une réduction de moitié du format de sa flotte de chasse, a perdu 30 % de ses effectifs et a subi la fermeture, en moyenne, d'une base aérienne par an. Voilà d'où l'on vient. D'aucuns se gargarisent de la marche de 3 milliards – ramenée à 1,5 milliard par l'inflation : c'est mieux que rien, naturellement, mais il faut remettre les choses en perspective.

Mon deuxième constat, c'est que l'armée de l'air et de l'espace n'a pas, à l'heure actuelle, les moyens de satisfaire l'ensemble de ses contrats opérationnels. Plus précisément, compte tenu du format des flottes, dans l'hypothèse où la tension monterait avec un pays doté de l'arme nucléaire, l'armée de l'air ne serait pas en mesure d'assurer à la fois sa mission permanente de dissuasion nucléaire et la pleine exécution de ses missions conventionnelles, comme l'engagement dans des combats aériens. En effet, en cas de renforcement de la posture de dissuasion nucléaire, une partie significative – pour ne pas dire plus – de nos Rafale et de nos avions ravitailleurs MRTT (Multi Role Tanker Transport) seraient sanctuarisés et ne pourraient plus participer aux autres missions.

Voilà où nous en sommes réduits en raison de décennies de déflation et de sous-investissement dans nos armées, et notamment dans l'armée de l'air et de l'espace. Le format de notre aviation de chasse, par exemple, a atteint son étiage. Cela a des conséquences directes sur nos aviateurs puisque les taux d'activité opérationnelle sont en chute libre. Un pilote de chasse devrait voler 180 heures par an, conformément à la norme de l'Otan, qui est reprise dans la LPM « pour des forces aptes à être engagées en missions opérationnelles ». Or, en 2022, nos pilotes auront effectué en moyenne 162 heures de vol, et il est prévu qu'ils en fassent 147 en 2023, en raison de la réduction du format de l'aviation de chasse, due notamment aux livraisons de 24 Rafale d'occasion à la Grèce et à la Croatie.

Certes, pour la première fois depuis plus de cinq ans, des Rafale seront livrés à l'armée de l'air – 42 devraient l'être en 2023 –, mais cela ne permettra pas d'atteindre les objectifs de la LPM. L'Ambition 2030 prévoit en effet que l'armée de l'air dispose, dans huit ans, de 185 avions polyvalents – autrement dit, de Rafale. Or, en l'état des commandes, elle n'en aura que 159. De surcroît, l'Ambition 2030 a été établie dans un contexte stratégique très différent de celui que l'on connaît aujourd'hui : l'attrition de l'aviation ne constituait pas, alors, un véritable enjeu.

Mon troisième constat est un peu plus positif : l'armée de l'air et de l'espace a de nombreux atouts pour monter en puissance rapidement, pour autant qu'il y ait une volonté politique et que l'on se donne les moyens, notamment financiers, qu'exige le contexte stratégique. Les atouts de l'armée de l'air sont bien sûr ses aviateurs, des facultés de projection et d'allonge très importantes grâce, notamment, aux avions A400M et A330 MRTT, des capacités d'entrée en premier comme l'a montré l'opération Hamilton en Syrie, et une industrie aéronautique qui constitue un fleuron national.

Comment opérer cette remontée en puissance ? En premier lieu, il faut revoir le format de nos flottes, et plus particulièrement de notre flotte d'aviation de chasse. J'estime qu'il faudrait disposer au minimum de 225 Rafale dans l'armée de l'air et de l'espace pour être en mesure d'assumer pleinement l'ensemble de nos missions, nucléaires comme conventionnelles.

J'ajoute qu'il ne suffit pas d'avoir des avions, encore faut-il qu'ils soient équipés pour mener à bien des missions de haute intensité : je pense ici aux équipements missionnels – notamment les radars Aesa (Active Electronically Scanned Array) et les nacelles de désignation laser – qui sont essentiels au combat mais dont on manque cruellement. Je pense également aux munitions – les missiles Meteor, Mica (missile d'interception, de combat et d'auto-défense) ou Scalp (système de croisière conventionnel autonome à longue portée) –, dont le recomplètement doit constituer une priorité.

En second lieu, il nous faut combler nos lacunes capacitaires, mises en exergue par le Retex (retour d'expérience) de l'Ukraine, et évoquées par le chef d'état-major, lors de sa dernière audition, en matière de capacité de destruction des défenses antiaériennes ennemies (Sead). Nous devons également consolider notre système de défense sol-air, bien trop clairsemé pour faire face aux défis actuels.

En troisième lieu, il faut oser faire le pari de notre autonomie stratégique. Grâce à la compétence de nos militaires, de nos ingénieurs, de nos industriels, nous construisons de façon autonome des sous-marins nucléaires et des porte-avions. Alors, oui, nous serons capables de construire de façon autonome le futur système de combat aérien, qu'il s'agisse de l'avion, des effecteurs déportés ou du système de systèmes. Cessons de tergiverser avec des industriels allemands qui n'ont qu'un seul objectif dans le cadre de ce programme : nous prendre nos savoir-faire, nos trésors industriels nationaux, pour monter en compétence. Nous sommes capables de bâtir ce système, mais cela suppose deux choses qui nous font cruellement défaut actuellement : une volonté politique et une ambition financière.

J'ai choisi de consacrer le thème de mon avis au maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique. C'est un sujet essentiel pour nos armées, puisqu'il s'agit de faire en sorte que nos avions soient en capacité de voler. Une grande réforme, lancée en 2018, a introduit le principe de « verticalisation des contrats », qui vise à responsabiliser les industriels sur la disponibilité des flottes. Les enjeux financiers sont considérables : pour l'armée de l'air et de l'espace, l'entretien programmé des flottes représentera près de 1,8 milliard de CP en 2023.

Je suis cependant incapable de vous dire si la politique menée donne des résultats, car on refuse de me fournir les chiffres de la disponibilité technique des aéronefs. On m'a uniquement communiqué les chiffres relatifs à la disponibilité technique opérationnelle (DTO), qui figurent dans les documents budgétaires, mais ceux-ci ne permettent pas de déterminer le nombre d'avions disponibles sur l'ensemble du parc. À toutes les questions de mon questionnaire budgétaire qui demandaient des chiffres précis – sur la disponibilité, l'évolution du coût de l'heure de vol… –, on m'a répondu que c'était classifié, alors même que ces chiffres étaient publics il y a encore quelques années et que certains ont été divulgués début 2022 lors d'une conférence de presse du ministère.

Cette opacité revient à me priver de mon droit constitutionnel de contrôler l'action du Gouvernement et d'évaluer la politique publique du MCO aéronautique, alors que les enjeux financiers et opérationnels sont majeurs.

Par conséquent – je vous le dis solennellement, mes chers collègues, et j'espère être entendu à l'hôtel de Brienne –, si, l'année prochaine, les taux de disponibilité technique des aéronefs ne me sont toujours pas communiqués, j'userai de mes pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place, au ministère des armées ou à la direction de la maintenance aéronautique, et j'irai chercher moi-même l'information s'il le faut.

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Le matériel est essentiel ; nos discussions montrent que la représentation nationale en a conscience. Mais il faut des hommes pour l'utiliser. Pouvez-vous détailler les enjeux de ressources humaines pour 2023 et les années suivantes ?

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Ce qui fait la richesse de l'armée de l'air et de l'espace, ce sont ses aviateurs. L'enjeu est non seulement de les recruter, mais aussi et surtout de les fidéliser : qu'il s'agisse du personnel navigant ou des mécaniciens du MCO, la concurrence de l'industrie, dont les salaires sont beaucoup plus attractifs, est forte. La nouvelle politique de rémunération a certes permis de freiner la fuite vers le privé, notamment grâce aux primes de lien au service, mais nous arrivons aux limites du recours aux primes : il faut maintenant revoir la partie indiciaire de la rémunération.

La fidélisation suppose aussi l'amélioration des conditions de vie. Des efforts ont été faits en matière d'infrastructures, mais surtout au profit de celles qui accueillent les fleurons de notre aviation ; ce système à deux niveaux peut décourager certains. J'espère que la prochaine LPM mettra l'accent sur les infrastructures de vie, indispensables à la force morale de nos aviateurs.

De plus, l'aérobashing, c'est-à-dire les campagnes de dénigrement du monde de l'aviation sous couvert de préoccupations environnementales, en détourne une partie de la jeunesse, ce qui est préjudiciable pour nos forces. L'époque où Top Gun, dans les années 1980, avait donné envie à tous les adolescents de devenir aviateurs est bien révolue.

Enfin, pour s'adapter au fait que les jeunes soldats ont du mal à accepter la contrainte des mutations géographiques, l'armée de l'air et de l'espace les limite, y compris dans le cadre de plans de réorganisation. C'est compréhensible, mais la prise en compte des aspirations personnelles des soldats ne doit pas conduire à revenir sur le socle de la militarité. Au moment où la spécificité du statut militaire est remise en cause par la justice européenne, nous n'avons rien à gagner à laisser s'estomper la frontière entre civils et militaires.

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L'espace est un théâtre d'opérations de plus en plus important pour nos armées, comme le montrent la création du commandement de l'espace, implanté à Toulouse, et le développement de nos capacités d'observation, notamment satellitaires. La pollution de l'orbite basse terrestre expose nos satellites à des menaces. Cette dimension est-elle suffisamment prise en compte ? Le budget pour 2023 permet-il de traiter ces enjeux ?

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Nous avons envisagé de contrôler spécifiquement le budget dédié à l'espace. Mais nous manquons de recul ; le centre de commandement est tout récent. Les moyens montent en puissance afin d'envoyer des satellites pour améliorer le renseignement d'origine électromagnétique et pallier les ruptures temporaires de capacité.

Mission Défense : Équipement des forces – Dissuasion

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Au lendemain de l'invasion de l'Ukraine, des Rafale équipés de missiles Meteor et Mica, appuyés par des avions ravitailleurs Phénix A330-MRTT, décollaient de la base de Mont-de-Marsan pour des missions de police du ciel en Pologne. Les avions A400M transportaient matériel et munitions en Roumanie pour le bataillon Aigle. Dans le même temps, le groupe aéronaval, composé notamment du porte-avions, des frégates multimissions (Fremm), de frégates à capacité aérienne renforcée et d'avions de patrouille maritime, croisait en Méditerranée. Parallèlement, sous-marins nucléaires lanceurs d'engin (SNLE) de la force océanique stratégique et aéronefs des forces aériennes stratégiques (FAS) assuraient la posture permanente de dissuasion nucléaire. Enfin, à quelques milliers de kilomètres de là, en bande sahélo-saharienne, les véhicules blindés du programme Scorpion (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l'infovalorisation) continuaient leurs actions pour lutter contre les groupes armés terroristes.

Tous ces équipements qui permettent à nos forces armées d'assurer leurs missions au quotidien ont été financés par le programme 146. Il s'inscrit dans le cadre d'une loi de programmation militaire respectée à l'euro près depuis 2019, fait inédit – on ne le rappellera jamais assez – depuis des décennies. Ce texte avait été adopté dans un esprit de coopération transpartisane entre la majorité de notre Assemblée et celle du Sénat, il y a quatre ans. Je ne doute pas que le même esprit animera aujourd'hui ceux qui ont contribué hier à définir ce cap pour notre défense.

La modernisation des équipements de nos forces armées est au cœur de l'ambition de la LPM : depuis 2017, les crédits du programme sont passés de 10 à 15,4 milliards d'euros, soit l'équivalent des crédits alloués à l'ensemble de la mission Sécurités. Au total, le programme représente plus de 35 % des crédits de la mission Défense.

Le budget que nous examinons poursuit et accélère le renouvellement de l'ensemble de notre spectre capacitaire. Il contribue au renouvellement de nos capacités de dissuasion, grâce aux travaux en cours sur les futurs missiles nucléaires ou le sous-marin nucléaire de troisième génération. Il renforce nos capacités de combat, avec, pour 2023, la commande de quarante-deux nouveaux Rafale, la création d'une brigade interarmes Scorpion d'ici à la fin de l'année, la livraison du deuxième sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) de type Barracuda, ou encore la poursuite des travaux préparatoires sur le porte-avions de nouvelle génération. Il modernise nos capacités de commandement, de communication et de renseignement, avec le lancement en 2023 du deuxième satellite de télécommunication Syracuse IV et du troisième satellite CSO (composante spatiale optique) d'observation de la constellation, ou encore les travaux sur les successeurs de l'avion radar Awacs (Airborne Warning And Control System), que j'ai eu l'occasion de voir sur la base d'Avord. Enfin, il amplifie nos capacités de projection, comme en témoigne le renouvellement de notre flotte de transport tactique et stratégique grâce aux A400M et A330-MRRT Phénix, qui offre une capacité d'élongation inédite à notre armée de l'air et de l'espace.

Au-delà de la poursuite des grands programmes structurants, les crédits tiennent naturellement compte du contexte stratégique. Un effort particulier est ainsi prévu, à hauteur de 2 milliards d'euros en autorisations d'engagement – 1,1 milliard en crédits de paiement –, pour la nécessaire reconstitution de nos stocks de munitions : missiles moyenne portée pour l'armée de terre, missiles Exocet pour la marine, missiles Aster pour nos systèmes de défense antiaérien, missiles Scalp.

Cet effort doit être poursuivi et amplifié. Il y va de notre capacité à durer dans le cadre d'un conflit. Car le budget que nous examinons n'est pas seulement la traduction fidèle d'une programmation largement adoptée : il constitue également la base de la programmation pluriannuelle à venir de nos dépenses militaires.

Les coopérations européennes les plus emblématiques connaissent des difficultés. Elles ont cependant du sens, non seulement opérationnellement, en favorisant l'interopérabilité, mais aussi financièrement, car elles permettent le partage des coûts. Notre première responsabilité est donc de tout faire pour les concrétiser dès lors qu'elles satisfont un certain nombre de principes, notamment celui du best athlete. En revanche, ne soyons pas naïfs : pour certains de nos partenaires, privilégier la sécurité du parapluie américain plutôt que la construction, patiente et nécessairement plus longue, d'une souveraineté européenne est une tentation certaine et qui n'est pas nouvelle. Elle n'a pas empêché l'esprit de coopération d'avancer, mais elle a parfois ralenti sa progression et a pu avoir raison de certains programmes. Notre volontarisme ne doit donc pas nous amener à ignorer les risques d'échec des coopérations engagées, a fortiori lorsqu'elles se heurtent à des blocages qui se multiplient. Tout plan A doit être assorti d'un plan B ; je retiens des contacts établis dans le cadre du présent avis budgétaire que nos industriels et états-majors en ont pleinement conscience.

Les crises que nous traversons imposent une forme d'économie de guerre, qui nous permette de produire plus et plus vite ce qui est essentiel à leur résolution.

Sur le plan militaire, la guerre en Ukraine a servi d'électrochoc. Elle rappelle que les guerres de haute intensité sont caractérisées par une forte attrition du matériel et consommation de munitions. Bien plus, nous avons pris conscience à l'occasion de ce conflit que nos industriels n'avaient pas la capacité de recompléter rapidement des stocks ponctionnés par les livraisons indispensables au bénéfice de l'Ukraine. Comment faire, alors, pour produire plus et plus vite ?

D'abord, simplifier nos processus, en premier lieu l'expression des besoins de nos armées. Nos flottes et nos parcs d'équipements sont trop hétérogènes et un même système d'armes est souvent produit en plusieurs versions ayant chacune sa spécificité. Il nous faut rechercher l'homogénéisation de nos équipements, sur le modèle de l'hélicoptère interarmées léger (HIL) Guépard.

Il nous faut également simplifier la conduite des opérations d'armement. Les forces et la DGA doivent associer les industriels le plus en amont possible, dès la phase de l'expression des besoins, pour identifier les spécifications génératrices de coûts ou de délais. Au stade du développement, la démarche incrémentale – la fameuse méthode agile – doit être privilégiée, pour favoriser l'appropriation progressive du système d'armes par les forces, ainsi que la possibilité de prendre en compte au plus tôt le retour d'expérience du terrain en vue des développements à venir. Au stade de la qualification, la mutualisation des essais doit permettre de gagner du temps et de mettre un terme aux duplications entre DGA et industriels.

La simplification vaut aussi pour les normes. Il faut cesser d'appliquer mécaniquement des normes issues du monde civil sans tenir compte des conditions d'emploi de nos équipements et matériels. Les travaux en cours sur la réforme des règles de navigabilité ou de la certification des drones vont dans le bon sens. Dans ce débat sur les normes spécifiques à l'armement militaire, il nous faut aussi distinguer et prioriser les combats, en conservant à l'esprit que si un monde en paix est loin d'être une condition suffisante pour des solutions efficaces face aux crises écologiques, on perdrait assurément le combat climatique dans un monde en proie au chaos et à la guerre.

Le deuxième axe permettant d'adapter la BITD à l'économie de guerre consiste à renforcer notre autonomie, notamment en sécurisant les chaînes d'approvisionnement.

Cela exige de constituer des stocks de matières premières ou de composants critiques qui pourraient être mutualisés entre les entreprises de défense. Cela passe également par la réduction de nos dépendances à l'égard de certains pays étrangers, par exemple en relocalisant certaines filières critiques, telles que la filière poudre. L'anticipation des approvisionnements sera par ailleurs favorisée si l'État donne à nos industriels, notamment aux PME, davantage de visibilité concernant ses commandes, par exemple grâce à de nouveaux mécanismes contractuels.

La troisième et dernière piste consiste à se mettre en capacité de résister.

Une plus grande résilience de la BITD exige tout d'abord de pouvoir mobiliser des ressources humaines en nombre suffisant en cas de crise. Je soutiens à cet égard la proposition du patron de Nexter de créer une réserve industrielle de défense. Le même réflexe doit permettre de mobiliser, lors de conflits, les ressources matérielles indispensables au fonctionnement de la BITD. Des réflexions sont en cours pour adapter et rendre plus agiles nos régimes juridiques de réquisition et de priorisation, au bénéfice des besoins de défense.

Enfin, outre la nécessaire protection de nos entreprises face à des actes de sabotage, matériels ou immatériels, un pan qui me semble trop négligé dans les réflexions actuelles sur l'économie de guerre est le maintien en condition opérationnelle de nos équipements en cas de conflit. Au-delà des moyens financiers, comment adapter notre organisation industrielle afin qu'elle soit suffisamment résiliente et réactive pour régénérer le matériel usé par des dommages de guerre ? C'est une question majeure qu'il me semble nécessaire d'anticiper.

Notre défense passe par des moyens et par un état d'esprit. Ce budget dégage des moyens utiles ; ensemble, au-delà des limites de nos groupes politiques et avec tous les acteurs de la défense nationale, nous avons également à créer et à cultiver un état d'esprit que ce moment si particulier de notre histoire rend essentiel.

Je vous invite évidemment à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146.

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Est-il question de réévaluer le niveau cible des stocks de munitions ou est-ce l'objet de la prochaine LPM ? Je pense notamment aux armes du champ de bataille, aux munitions de 155, mais aussi aux missiles sol-air de type Aster. Existe-t-il une opportunité de relancer la production d'armements air-sol de type ASM, ou bombe guidée ?

Avons-nous l'assurance que les moyens industriels et humains seront au rendez-vous pour répondre à l'accélération des commandes de munitions ? La réserve industrielle dont vous parliez fait-elle partie de la solution ? Et la réduction des normes ?

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Les chiffres précis concernant les commandes de lots de munitions ne sont pas publics, pour des raisons que nous connaissons tous. On peut cependant citer, parmi les commandes, les missiles de moyenne portée (MMP) pour l'armée de terre, les missiles Exocet mer-mer et les missiles destinés à équiper les frégates de défense antiaérienne pour la marine, ainsi que les missiles Aster ; et, du côté des livraisons attendues en 2023, les MMP et Exocet pour la marine, ainsi que les Scalp rénovés et des air-air Meteor et Mica pour l'armée de l'air et de l'espace.

La nouvelle cible relèvera de la prochaine LPM, le PLF pour 2023 se chargeant du rééquilibrage et de donner une nouvelle impulsion, mais en restant fidèle à la LPM en cours d'exécution. Travaillons-y donc ensemble, avec les armées et les ministères concernés.

Je soutiendrai à titre personnel l'idée d'une réserve industrielle de défense.

Quant à l'évolution normative, j'ai constaté des aberrations ; il faudra œuvrer – notamment dans le cadre du groupe de travail formé avec Jean-Louis Thiériot –, avec la BITD, la DGA et l'ensemble des forces qui concourent aux spécifications, à des améliorations pour ne pas entraver l'accélération de notre capacité de production.

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Je partage votre analyse au sujet de la BITD et des coopérations.

Avez-vous évalué les conséquences de l'inflation, à la fois globale et touchant des matières premières ou des composants critiques propres au domaine militaire ?

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S'agissant des coopérations, le plan B est censé nous aider à faire aboutir le plan A. Je le répète, nous devons tout faire pour qu'elles réussissent. Il y va de notre capacité à franchir les étapes requises par les ruptures technologiques et à nous doter d'équipements à la hauteur des enjeux.

La prise en compte de l'inflation dans le programme 146 représente 80 millions d'euros dès 2022 et 450 millions en 2023. Le programme n'est pas mis en danger ; plusieurs mécanismes comptables et contractuels ont été adaptés eu égard à la situation. Je pourrai vous donner davantage de détails.

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Depuis mars 1967, la dissuasion nucléaire n'a pas été fragilisée une seule seconde. Elle est permanente sous l'eau comme dans les airs, du fait de l'emport de l'ASMP (air-sol moyenne portée) par les Rafale de la marine.

Les efforts consacrés à la dissuasion dans le cadre du programme 146 sont-ils pertinents ? Nous permettront-ils d'atteindre la capacité la meilleure sur les nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, notamment pour emporter le M51.3 ? Nous avons dans ce secteur une base industrielle et technologique exceptionnelle.

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Le programme consacre à la dissuasion 4,1 milliards en autorisations d'engagement et 4,6 en crédits de paiement, soit 30 % de ses crédits et plus de 10 % de ceux de la mission Défense. Sur les dix programmes d'armement les mieux dotés financièrement, quatre concernent la dissuasion. Encore ces montants ne tiennent-ils pas compte des vecteurs d'emploi tels que les Rafale et les ravitailleurs.

Concernant le renouvellement de la composante nucléaire océanique, citons le SNLE de troisième génération, qui entre en service en 2035, et le développement et la production du M51.3, missile nucléaire stratégique à têtes multiples à capacité intercontinentale emporté sur les SNLE. Le PLF pour 2023 confirme un effort colossal en la matière. Le renouvellement de la composante nucléaire aéroportée concourt également à la posture, avec la rénovation à mi-vie du missile nucléaire air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A), emporté par les Rafale des FAS. S'y ajoute la poursuite des travaux de préparation du missile air-sol nucléaire de quatrième génération (ASN4G), qui succédera à l'ASMP-A en 2035.

Ces éléments correspondent à l'exécution fidèle de la loi de programmation militaire et à l'affirmation de la posture permanente de dissuasion.

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Nous envisageons prochainement un cycle d'auditions sur la dissuasion.

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Concernant l'économie de guerre, pour pouvoir monter en cadence, il faut donner de la visibilité à nos industriels sur toute la chaîne de la BITD, depuis le premier rang jusqu'aux petites PME. Vu les tensions sur les matières premières et la nécessité d'accélérer, comment faire ?

S'agissant du spatial, la situation ukrainienne montre que l'emploi de technologies duales quoique principalement civiles, comme Starlink, fragilise la posture militaire, son financement étant suspendu au bon vouloir d'un Elon Musk. Pouvez-vous faire le point sur les principaux programmes spatiaux et les perspectives à envisager pour l'année prochaine et en vue de la LPM à venir ?

J'en terminerai par le petit calibre, véritable serpent de mer à propos duquel je me suis censuré lorsque j'étais à votre place, car l'approvisionnement n'avait pas atteint un niveau critique. Le moment n'est-il pas venu d'en reparler ? Nous avons en France de nombreux industriels et sites qui se prêteraient à sa production, notamment autour de Nobel Sport, dans le Finistère.

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Je partage votre diagnostic à propos de la visibilité de l'ensemble de la chaîne de production. Elle fait souvent défaut à nos PME au-delà de trois mois, malgré le cap fixé par la LPM. Je salue donc les travaux lancés par le ministre, qui a réuni dès le 7 septembre l'ensemble des grands maîtres d'œuvre et donneurs d'ordre de la BITD. Ils sont en cours, s'agissant notamment du plan Action PME, qui est à amplifier. Je fais confiance à l'exécutif, qui a pris la mesure de l'enjeu et formulera des propositions d'ici quelques semaines.

Concernant le spatial, outre le lancement du CSO-3, la mise en orbite de Syracuse IV est prévue pour 2023 et le renseignement électromagnétique d'origine spatial a été renforcé. Pour le reste, je vous inviterai à lire le rapport. Il faudra aussi travailler à notre stratégie de défense spatiale dans le cadre de la LPM. L'espace et le cyberespace sont à prendre au sérieux vu l'hybridité et la dimension multichamps auxquelles nos armées sont confrontées.

Enfin, nous pourrons reparler du petit calibre à propos des amendements.

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Depuis la fin des essais nucléaires, la simulation informatique est devenue un enjeu majeur pour toutes les puissances nucléaires, car elle rend crédible leur capacité de dissuasion. La France est en pointe dans ce domaine grâce aux investissements importants des dernières décennies. Les moyens qui lui sont actuellement alloués sont-ils suffisants ?

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L'amélioration de nos capacités de simulation informatique a rendu possible l'arrêt – salutaire – des essais nucléaires. Dans le PLF pour 2023, les crédits alloués à ce secteur baissent car les besoins diminuent très légèrement, mais ce n'est pas inquiétant : en la matière, on progresse de façon non linéaire, mais par cycles, au rythme des sauts technologiques nécessaires. À l'intérieur d'un cycle, on utilise les capacités déjà produites plutôt que de réinvestir. Or nos capacités ont été fortement soutenues dans la période précédente.

Mission Sécurités : Gendarmerie nationale

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Le 7 septembre dernier, le Conseil des ministres adoptait le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI), un texte attendu depuis de longues années par les forces de sécurité intérieure. Traduction concrète de ce projet de loi de programmation, le projet de budget de la gendarmerie pour 2023 se caractérise par l'augmentation du programme 152 de 349 millions d'euros en crédits de paiement. Les forces de sécurité intérieure restent, comme sous le quinquennat précédent, une priorité budgétaire du Gouvernement et la dynamique ascendante des crédits de la gendarmerie sera désormais sanctuarisée en loi de programmation.

Les crédits supplémentaires prévus l'an prochain devraient permettre de financer l'augmentation du schéma d'emploi de la gendarmerie de 950 équivalents temps plein (ETP) et d'améliorer les conditions de présence des agents sur le terrain, en métropole comme en outre-mer. Ces hausses permettront aussi d'armer en effectifs les nouvelles brigades rurales et les nouveaux escadrons de gendarmes mobiles, la LOPMI prévoyant la création de 200 brigades et de 7 nouveaux escadrons. En même temps que le maillage territorial des brigades sera renforcé, la gendarmerie met l'accent sur sa volonté de passer d'une logique de guichet à une logique de « pas de porte » : il s'agira pour les gendarmes d'aller encore davantage au contact de la population, des élus et des victimes, en particulier les personnes vulnérables – personnes âgées ou isolées – et les victimes de violences intrafamiliales.

La gendarmerie se prépare à faire face à un empilement des missions actuelles et à venir en faveur de la sécurité du quotidien ainsi que de la lutte contre la menace terroriste, l'immigration irrégulière et les trafics de stupéfiants, pour ne citer que les principales. À ces missions s'ajoutent plusieurs rendez-vous internationaux tels que la coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024. C'est pourquoi, dans un contexte de fractures territoriales et face à une demande de plus en plus prégnante de sécurité de la part de nos concitoyens, le Président de la République a annoncé, le 18 avril 2021, le renforcement de la réserve opérationnelle de premier niveau, qui sera portée à 50 000 réservistes d'ici à 2027. Le budget de la réserve augmentera de 14 millions d'euros l'an prochain, pour atteindre 84 millions.

La transformation numérique de la gendarmerie se poursuit également. La LOPMI prévoit le déploiement du réseau radio du futur et la création d'une agence du numérique pour les forces de sécurité intérieure. Cette transformation sera financée en 2023 à hauteur de 30,4 millions d'euros. Grâce aux 120 millions d'euros de crédits dont bénéficieront ses systèmes d'information et de communication, la gendarmerie poursuivra l'équipement de ses personnels en téléphones NEO2 et en ordinateurs Ubiquity.

Enfin, la LOPMI prévoit un renforcement de la formation initiale des gendarmes : le temps passé en école devrait passer de huit à douze mois. Quant à la formation continue, elle sera également renforcée et la gendarmerie créera treize centres régionaux de formation. L'école de Fontainebleau accueillera deux nouvelles compagnies. Le projet de loi de finances pour l'an prochain consacrera 5 millions d'euros supplémentaires aux formations.

Je me réjouis que les moyens de la gendarmerie continuent sur la voie ascendante, au profit des habitants de nos territoires, parfois dans des zones très rurales et très reculées. J'émettrai bien sûr un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 152 de la mission Sécurités.

J'en viens à présent au thème que j'ai choisi de traiter dans mon avis budgétaire : la stratégie de la gendarmerie nationale dans les nouveaux champs de la délinquance, en particulier dans le cyberespace.

La stratégie globale de la gendarmerie dans le champ cyber couvre l'ensemble du spectre de ses missions. Opérationnel depuis le 1er août 2021 et fort de 147 ETP au 1er septembre 2022, le commandement de la gendarmerie dans le cyberespace (ComCyberGend) est investi à la fois de missions de proximité numérique, de prévention et d'investigation sur l'ensemble du territoire. Il s'appuie pour cela sur le dispositif CyberGend, réseau de 7 700 cyber- gendarmes aux compétences diverses, mais aussi sur le centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) et ses 11 antennes régionales au sein des sections de recherche. Le C3N est l'unité de police judiciaire à compétence nationale de la gendarmerie en matière de lutte contre la cybercriminalité. La force de frappe du ComCyberGend repose aussi sur les compétences de haut niveau de 7 335 correspondants nouvelles technologies, dits NTECH, de 352 enquêteurs sous pseudonyme, de 307 enquêteurs « nouvelles technologies » et de 67 enquêteurs spécialisés dans la traçabilité des crypto-actifs. À titre d'exemple, la semaine dernière, après deux ans d'investigations, une enquête menée conjointement par le ComCyberGend et le service d'enquêtes judiciaires des finances sur « DrugSource », un trafiquant de stupéfiants sur le darknet, a conduit à la saisie de 450 000 euros en biens et en valeurs et à deux interpellations.

Les gendarmes ont su se munir d'un dispositif parfaitement intégré aux écosystèmes à la fois de la gendarmerie et de la cybersécurité. Je tiens ici à souligner la capacité impressionnante de l'institution à se transformer et à se moderniser. Les principes militaires de subsidiarité des unités et de complémentarité des moyens président aux engagements quotidiens. Poursuivant un impératif de réactivité garant de l'efficacité opérationnelle, le dispositif intégré du ComCyberGend vient s'agréger aux échelons territoriaux de commandement et se combine à d'autres compétences d'exception –négociateurs, spécialistes de certains milieux – pour intervenir au plus vite et au plus près de chaque situation. Que ce soit sur le segment de la prévention comme sur celui de l'investigation numérique, la gendarmerie s'inscrit résolument dans une démarche collaborative avec l'ensemble des acteurs français. De plus, la gendarmerie est en relation permanente avec ses partenaires étrangers, forces de sécurité intérieure comme experts techniques internationaux, au travers de groupes fermés d'experts permettant une interaction technique de haut niveau entre les acteurs. L'appui de la gendarmerie est en outre reconnu par des organismes internationaux tels qu'Europol.

Enfin, la stratégie prospective de la gendarmerie lui permet d'anticiper au mieux les menaces cyber de demain. La formation cyber de ses personnels est une priorité, d'où la création d'un centre national de formation cyber, implanté à Lille, qui formera les effectifs, accueillera les partenaires et diffusera des contenus sur tout le territoire. Le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) a souhaité que la moitié des officiers recrutés soient titulaires d'un diplôme d'ingénieur ou équivalent. La gendarmerie compte déjà dans ses rangs 1 200 ingénieurs et 300 docteurs et doctorants dans les domaines de la vitesse de calcul, de l'intelligence artificielle, des réseaux ou encore des nouvelles technologies de chiffrement. Les réservistes cyber opérationnels contribuent également à renforcer la gendarmerie dans des domaines d'expertise de pointe. Par ailleurs, l'institution s'est récemment dotée d'outils sécurisés et résilients, dont les applications sont hébergées dans un data center qu'elle maîtrise. La gendarmerie a aussi développé des applications pour faciliter le traitement de données de masse et alléger le travail de ses enquêteurs.

Voilà, en quelques mots, ce que je souhaitais vous dire des capacités cyber de la gendarmerie.

Je voudrais à présent terminer mon propos en rendant hommage à l'ensemble des femmes et des hommes de la gendarmerie qui, quels que soient leur grade, leur lieu d'affectation et leur mission, contribuent, de jour comme de nuit et parfois malheureusement au péril de leur vie, à assurer la sécurité des Français sur la quasi-totalité du territoire national. La semaine dernière encore, un gendarme est décédé dans un accident de la route lors d'une mission d'escorte à Bayonne. Par ailleurs, les gendarmes sont malheureusement de plus en plus victimes d'agressions dans l'exercice de leurs fonctions. L'abnégation des personnels de la gendarmerie nous oblige : il m'importait de le souligner.

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Le commandement des forces aériennes de la gendarmerie nationale coordonne l'action de l'ensemble des unités placées sous son autorité. Il apporte un concours opérationnel aux unités de gendarmerie et à d'autres partenaires, soit par un engagement autonome, soit, le plus souvent, en appui d'unités au sol sur l'ensemble du territoire national.

Le renouvellement de la flotte d'hélicoptères a été prévu en loi de finances rectificative pour 2020 avec l'acquisition d'hélicoptères H160 commandés auprès d'Airbus, dont le coût s'élève à 20 millions d'euros pièce. Pourriez-vous faire le point sur l'avancée du renouvellement de cette flotte et évoquer les prochaines livraisons à venir ?

Par ailleurs, concernant l'implantation des 200 brigades supplémentaires, quelles sont les différentes composantes que les gendarmeries doivent prendre en considération afin de voir leur projet aboutir ?

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Nous disposons de cinquante-six hélicoptères, dont trente biturbines sont en dotation actuellement. Dans le cadre du plan de relance de l'aéronautique, adopté à la suite du premier confinement en 2020, la gendarmerie nationale a obtenu des crédits exceptionnels de 200 millions d'euros pour acquérir dix nouveaux hélicoptères H160, destinés à remplacer une partie de la flotte vieillissante des Écureuils. Ces aéronefs devraient être livrés par Airbus Helicopters entre 2024 et 2026.

La création de 200 brigades, fixes et mobiles, reposera sur des critères de choix relatifs aux sites – potentiel immobilier, sécurisation du site, capacité de stationnement des véhicules, accès au réseau de télécommunication, conditions financières proposées pour la mise à disposition des locaux – mais aussi à la population, aux besoins opérationnels et à l'attractivité du secteur pour les gendarmes et leurs familles.

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En 2019, 44 % des plaintes pour violences physiques ou sexuelles enregistrées par les services de sécurité ont concerné des violences commises au sein de la famille, ce qui représente 160 000 victimes. De 2019 à 2020, ces plaintes ont augmenté de 14 %, probablement en raison du Grenelle sur les violences conjugales, lancé en 2019, qui a pu favoriser un meilleur accueil par les services de sécurité et inciter les victimes à davantage déposer plainte. La pandémie de covid-19 et les confinements ont par ailleurs entraîné une hausse de 10 % des violences intrafamiliales en 2020.

Les violences intrafamiliales, sexuelles et sexistes sont un phénomène que la gendarmerie essaie d'appréhender pour prévenir la commission de faits ou, à défaut, garantir une prise en charge. Pourriez-vous préciser la stratégie GEND 20.24 en la matière et nous renseigner sur les axes d'amélioration identifiés ? C'est un sujet très compliqué, notamment en ruralité.

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Les modalités de prise en charge des victimes de violences intrafamiliales et à caractère sexuel et sexiste ont évolué de façon significative depuis 2019, notamment dans la dynamique du Grenelle des violences conjugales lancé en 2019.

La qualité de l'accueil des victimes est axée sur une approche globale et partenariale, l'objectif étant d'assurer une prise en charge complète et pluridisciplinaire des victimes. Cette approche s'appuie sur des éléments déontologiques communs aux forces de sécurité intérieure ainsi que sur une politique d'audit et d'évaluation.

L'action de la gendarmerie s'appuie également sur la judiciarisation systématique – interdiction du recours à la main courante, recherche du dépôt de plainte de la victime ou, à défaut, ouverture d'une enquête en lien avec l'autorité judiciaire –, sur une chaîne fonctionnelle « prévention » – 100 officiers adjoints dédiés à la prévention de la délinquance, 99 maisons de protection des familles, 2 300 correspondants territoriaux de prévention, au moins 1 référent dédié aux violences intrafamiliales par unité –, sur des permanences ou points d'accueil d'associations d'aide aux victimes installés dans les brigades, sur l'action d'intervenants sociaux en gendarmerie, et sur des cellules d'enquêteurs, dans certains groupements, dédiées à la prise en compte des victimes.

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Vous avez évoqué le souhait du Gouvernement d'investir dans la formation des gendarmes, notamment en allongeant la durée de formation initiale. Cette formation est destinée à asseoir un socle d'enseignements fondamentaux afin d'assurer la meilleure préparation possible au premier emploi de l'ensemble des militaires de la gendarmerie, quel que soit leur corps d'appartenance. Le passage en école a pour but de forger l'identité du futur militaire de la gendarmerie par une adhésion aux valeurs de l'arme et de lui faire acquérir les connaissances et les compétences techniques fondamentales nécessaires à l'exercice de ses futures fonctions.

Au vu de l'élargissement des champs de conflictualité, quelles seront les évolutions concernant les piliers fondamentaux de la formation initiale ? Certains gendarmes reçoivent-ils une formation spécifique dans le domaine cyber, afin de les doter de compétences techniques spécifiques et de sortir d'école en tant que cybergendarmes ?

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La formation initiale adapte ses programmes et contenus pédagogiques aux évolutions du métier de gendarme. Le principal changement dans les prochains mois sera l'allongement du temps de scolarité en école, qui sera progressivement porté de huit à douze mois dans les prochaines années. La LOPMI prévoit en effet la densification du plan de formation des gendarmes avec l'augmentation du temps de présence en école et l'intégration d'une formation en police judiciaire dès la formation initiale.

En outre, la gendarmerie intègre les évolutions technologiques dans l'ingénierie pédagogique et dans l'exercice du métier de gendarme, que cela soit en formation initiale, avec le développement de la simulation numérique, ou en formation continue. À cet effet, trois compagnies « numériques » sont activées en 2022, dans la continuité de l'expérimentation menée en 2021.

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Nous sommes souvent au contact des gendarmes dans nos circonscriptions, ce qui donne souvent lieu à des échanges très intéressants. Il en ressort qu'ils souhaitent conserver leur statut militaire, ce qui est très important à l'ère des guerres hybrides, alors que les gendarmes peuvent être amenés à intervenir dans des opérations à l'extérieur, comme on a pu le voir en Ukraine.

Le ComCyberGend lutte contre la cybercriminalité mais il fait aussi beaucoup de prévention, souvent en proximité dans nos territoires. Pouvez-vous nous éclairer sur ces actions de prévention ?

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Le ComCyberGend élabore des contenus de prévention qui visent à une prise de conscience des dangers liés aux usages numériques. Au travers de l'application « Ma Sécurité », créée par des gendarmes et disponible sur smartphone, des sensibilisations sont régulièrement adressées au grand public.

La gendarmerie est également un acteur important du dispositif « permis internet », qui assure la sensibilisation des jeunes publics au primaire. Des expérimentations sont en cours avec l'association e-enfance visant à opérer le même type de sensibilisation au collège. Par ailleurs, en partenariat avec l'Association des maires de France et avec cybermalveillances.gouv.fr, le dispositif « Immunité cyber » permet à chaque collectivité locale d'estimer son niveau de vulnérabilité. Enfin, les entreprises, même les plus petites, étant également des cibles, un dispositif d'autodiagnostic cyber créé par les gendarmes est en cours d'expérimentation.

Pour conclure, la gendarmerie est pleinement engagée dans la sensibilisation et l'aide aux victimes. Elle agit en lien avec ses partenaires, dont le groupement d'intérêt public Action contre la cyber malveillance et l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), et participe activement à la mise en place du dispositif 17-Cyber souhaité par le Président de la République. Il existe même des gendarmes « cyberpatrouilleurs », qui ont pour vocation d'assurer, comme dans le monde physique avec les patrouilles régulières, une présence dissuasive.

La séance est levée à douze heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Mounir Belhamiti, M. Pierrick Berteloot, M. Christophe Bex, M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. Benoît Bordat, M. Hubert Brigand, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, M. François Cormier-Bouligeon, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Christelle D'Intorni, Mme Martine Etienne, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Emmanuel Fernandes, Mme Stéphanie Galzy, M. Thomas Gassilloud, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, Mme Charlotte Goetschy-Bolognese, M. José Gonzalez, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Anne Le Hénanff, Mme Murielle Lepvraud, Mme Delphine Lingemann, Mme Brigitte Liso, Mme Alexandra Martin, Mme Pascale Martin, Mme Michèle Martinez, M. Frédéric Mathieu, Mme Lysiane Métayer, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. Christophe Naegelen, M. Laurent Panifous, Mme Anna Pic, M. François Piquemal, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Valérie Rabault, M. Julien Rancoule, M. Fabien Roussel, M. Lionel Royer-Perreaut, Mme Nathalie Serre, M. Bruno Studer, M. Michaël Taverne, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Corinne Vignon

Excusés. - M. Xavier Batut, M. Julien Bayou, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Anne Genetet, M. David Habib, M. Olivier Marleix, Mme Josy Poueyto, M. Aurélien Saintoul, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, Mme Mélanie Thomin

Assistait également à la réunion. - M. Dino Cinieri