La réunion

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Mercredi 11 janvier 2023

La séance est ouverte à 14 heures 30.

(Présidence de M. Jean-Félix Acquaviva, président de la commission)

La commission auditionne Mme Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles.

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Mes chers collègues, mesdames et messieurs, avant toute chose je tenais à vous faire part de mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année en vous souhaitant, à vous et à vos proches, beaucoup de santé, de bonheur et de réussite. Comme on dit en Corse, pace è salute à tutti : paix et santé à tous.

Nous débutons aujourd'hui les travaux de la commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'Arles. L'agression atroce d'Yvan Colonna par l'un de ses codétenus, Franck Elong Abé, puis sa mort, des suites de ses blessures, le 21 mars 2022, ont suscité l'incompréhension, la sidération et la colère, non seulement en Corse, mais aussi en France entière, entraînant une large mobilisation, portée notamment par la jeunesse.

Un sentiment d'injustice prévaut encore à ce jour, parce que les arguments invoqués à l'appui du maintien du statut de détenu particulièrement signalé (DPS) pour Yvan Colonna, Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, était largement contesté, depuis de nombreuses années, au regard de leur parcours carcéral, par l'ensemble de la classe politique insulaire, ainsi que par de nombreux juristes et parlementaires. Une logique allant au-delà du droit semble s'être imposée les concernant, empêchant le rapprochement familial de ces détenus liés à l'assassinat du préfet Claude Érignac. Yvan Colonna ne voyait plus ses parents depuis quinze ans, et son jeune fils depuis au moins deux ans.

Condamné par la justice française après trois procès pour sa participation à cet assassinat, Yvan Colonna purgeait sa peine à Arles. Sa période de sûreté de dix-huit ans s'était achevée en juillet 2021, et il était donc susceptible de bénéficier d'aménagements de peine depuis cette date. Il n'aurait pas dû mourir des suites d'une agression commise en détention. S'il avait été rapproché au centre de détention de Borgo en temps et heure, il est évident qu'il n'aurait pas été victime de cette agression.

Aucun détenu ne devrait mourir dans de telles circonstances. L'article L.7 du code pénitentiaire dispose que : « L'administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels ». Le 2 mars 2022, l'administration pénitentiaire a failli, d'autant plus que la seule conséquence réelle du maintien du statut de DPS est le devoir, pour cette administration, d'exercer une vigilance et une surveillance accrues à l'égard de tels détenus.

Le 6 mars 2022, le parquet national antiterroriste a ouvert une information judiciaire du chef de tentative d'assassinat en lien avec une entreprise terroriste. À la suite du décès d'Yvan Colonna, cette procédure a été étendue, par réquisitoire supplétif du 22 mars 2022, au chef d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste. À cet égard, et conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, notre commission d'enquête devra veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire. Néanmoins, son champ reste large, tant les zones d'ombre dans la genèse de ce drame sont grandes.

Ce point de procédure étant rappelé, il était naturel que nous commencions notre cycle d'auditions avec les deux chefs d'établissement qui se sont succédé à direction de la maison centrale d'Arles, peu de temps avant l'assassinat d'Yvan Colonna : Mme Corinne Puglierini, qui a dirigé l'établissement jusqu'en février 2022, puis M. Marc Ollier, qui a pris la tête de la maison centrale la veille de l'agression.

Le 30 mars 2022, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait auditionné conjointement Mme Puglierini et M. Ollier. Cette audition, organisée quelques jours après le décès d'Yvan Colonna, avait permis de porter un certain nombre d'éléments à la connaissance de la représentation nationale et des citoyens, mais avait laissé subsister plusieurs zones d'ombres et imprécisions. Depuis, de nouveaux éléments ont été rapportés par la presse ou soulignés par l'Inspection générale de la justice (IGJ), dans son inspection de fonctionnement à la maison centrale d'Arles.

À la lumière des conclusions de cette inspection, nous avons été un certain nombre de parlementaires à nous étonner rétrospectivement que certaines procédures aient été relativisées, et certains faits essentiels à la recherche de la vérité gravement dissimulés, de manière systématique, par les personnes auditionnées le 30 mars 2022. Vous devrez, madame Puglierini, nous rendre compte des véritables raisons de cette attitude.

Nous devrons, pour notre part, nous efforcer d'identifier et d'analyser les dysfonctionnements graves, voire les collusions éventuelles, ayant conduit à cette issue tragique, et formuler le cas échéant les recommandations que nous jugerons nécessaires.

Dans cette perspective, la commission parlementaire s'intéressera particulièrement aux trois thèmes suivants. En premier lieu, l'enjeu de la détection de la radicalisation en milieu carcéral, et les défaillances qui se sont manifestées dans la prise en charge de l'agresseur d'Yvan Colonna, Franck Elong Abé, depuis son incarcération en France mais également, autant que possible, depuis son interception par les autorités américaines sur le théâtre de guerre en Afghanistan. En deuxième lieu, le statut de DPS, tel qu'il a été appliqué à Yvan Colonna – et, globalement, aux détenus liés à l'assassinat du préfet Claude Érignac – et à Franck Elong Abé, et les conditions de leur surveillance à la maison centrale d'Arles. Plus généralement, nous nous pencherons sur l'histoire de la gestion administrative et politique de ce statut et des contentieux afférents. Enfin, nous évaluerons la mise en œuvre effective des recommandations de la mission d'inspection précitée.

Nous accueillons donc maintenant Mme Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles, accompagnée de M. Jean-Paul Chapu, secrétaire général de la mission de contrôle interne.

Madame Puglierini, un questionnaire vous a préalablement été transmis par notre rapporteur, M. Marcangeli. Toutes les questions qu'il contient ne pourront pas être évoquées de manière exhaustive au cours de votre audition. C'est pourquoi je vous invite à nous communiquer ultérieurement vos réponses écrites, ainsi que toutes les informations que vous jugerez utiles pour notre commission d'enquête.

Les travaux de cette commission sont très attendus. Il n'est pas anodin que deux députés de la Corse s'engagent conjointement, par-delà leurs appartenances politiques, en tant que président et rapporteur, à coordonner et animer ces travaux, en lien avec les députés MM. Colombani et Castellani, qui, même s'ils ne sont pas membres de la commission d'enquête, seront présents aux auditions pour les conduire aussi loin que possible vers la justice et la vérité.

La situation de l'île n'est toujours pas apaisée. La paix, la démocratie et le dialogue en vue d'une solution politique globale pour la Corse et sa jeunesse doivent se nourrir de justice, et notre commission a pour mission d'éclairer les chemins qui y mènent, ainsi qu'à la compréhension mutuelle et la réconciliation qui en résultent naturellement. Je sais compter sur l'éthique, la responsabilité et la détermination des membres de la commission en ce sens.

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Merci, monsieur le président. Les événements qui donnent lieu à cette commission d'enquête parlementaire m'ont convaincu d'être candidat aux élections législatives. Sans les réactions d'indignation qu'ils ont suscitées, par-delà le seul monde nationaliste, je n'aurais probablement pas été candidat à ces élections, alors même que j'exerçais des responsabilités en tant qu'élu municipal, régional et intercommunal. Ce qui s'est passé a réveillé un grand nombre de sentiments profonds que les Corses et la Corse vivent depuis le 6 février 1998. La mort d'un homme en détention dans de telles conditions n'est pas acceptable, ni explicable. Rien ne peut la justifier.

En dépit de nos orientations politiques divergentes, nous sommes donc, avec M. le président Jean-Félix Acquaviva, à la recherche de la vérité, des vérités sur les parcours de ces deux détenus, placés tous deux, pour des raisons différentes, sous le statut de DPS, privatif de certaines libertés et qui, en l'occurrence, n'a malheureusement pas donné lieu à la mise en œuvre de certaines protections.

En tant que rapporteur, je me ferai le transcripteur fidèle des propos des personnes auditionnées et de mes collègues participant à cette œuvre collective. J'arrive sans idée arrêtée, mais avec quelques convictions fortes, comme celle que ce type d'événements ne peut pas rester inexpliqué. Des convictions également concernant notre système carcéral et les conditions de détention des personnes placées sous le régime spécifique de DPS ; sur le suivi de la radicalisation religieuse en milieu carcéral et la prévention des actes qui peuvent en résulter ; sur l'histoire de ces deux hommes, qui les a conduits à se retrouver dans la même salle de sport ce 2 mars. Cette enquête aura pour objet de faire la lumière sur les manquements de certains hommes et certaines femmes dans l'exercice de leurs fonctions, mais aussi de la part du système carcéral dans son ensemble.

Par-delà les opinions politiques, ce qui s'est passé a suscité de nombreux questionnements en Corse. Notre rôle sera de laisser le moins de zones d'ombres possible. Je ne sais pas si nous parviendrons à un accord sur les conclusions de notre rapport à l'issue de notre enquête, mais je voudrais permettre à toutes les personnes qui ont été touchées par ce drame de se faire elles aussi leur opinion éclairée sur les circonstances ayant conduit à ce drame. Je remercie les collègues qui ont bien voulu faire partie de cette commission d'enquête parlementaire, ainsi que les deux députés corses non membres de la commission qui ont souhaité y participer. Les quatre députés corses sont ainsi présents dans cette salle. Il est rare que le président et le rapporteur d'une commission d'enquête soient issus d'un même territoire. C'est aussi une manière pour moi de contribuer à l'amélioration du système carcéral, que je connais bien, en tant qu'avocat de formation. De nombreux rapports parlementaires en ont déjà traité Si ce drame est de nature à lui permettre de s'améliorer, j'aurai le sentiment d'avoir rempli mon office, car les agressions mortelles en son sein sont malheureusement trop fréquentes en France.

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Madame Puglierini, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Corinne Puglierini prête serment.)

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Madame Puglierini, je vous laisse la parole pour un exposé d'une dizaine de minutes.

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Au préalable, je souhaite rappeler la vocation des maisons centrales. Les personnes détenues dans ces maisons présentent toutes un potentiel de dangerosité, apprécié selon plusieurs critères : la gravité des faits commis ; les troubles de personnalité souvent avérés qu'elles présentent ; leur potentiel de passage à l'acte violent ; leur risque d'évasion ; leur appartenance au grand banditisme ou à une mouvance terroriste.

Au moment des faits, l'effectif de la maison centrale d'Arles se composait de 127 détenus, dont 15 détenus inscrits au répertoire des DPS, 15 condamnés purgeant des peines de réclusion criminelle à perpétuité, 35 présentant un reliquat de peine supérieur ou égal à vingt ans, et 4 détenus dits « terroristes islamistes » (TIS), condamnés donc pour des faits de terrorisme. Plus de la moitié des condamnés le sont pour des faits de meurtre, de meurtre aggravé ou d'assassinat. La plupart sont suivis par l'unité de soins psychiatriques, compte tenu de leurs troubles du comportement ou de maladies psychiatriques avérées. À titre de comparaison, à la même époque, sur les établissements de la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Marseille, étaient incarcérés 32 détenus inscrits au répertoire des DPS, 26 TIS et 78 détenus dits « radicalisés » (RAD), donc suivis au titre de la radicalisation, quoique condamnés pour des faits de droit commun.

Comme vous l'avez rappelé, la prison est un lieu où les agressions physiques sont plus nombreuses que dans la société civile. Elles touchent les personnes détenues, mais aussi le personnel, parfois des intervenants. Tous les détenus présentent des parcours atypiques, et nous avons la charge, dans les maisons centrales, non seulement de les surveiller, mais aussi de les accompagner vers la sortie et le retour dans la société civile, toujours envisagés à l'issue de la peine. Toute mort violente d'un détenu au sein d'un établissement pénitentiaire, suite à une agression ou un suicide, affecte beaucoup l'ensemble des professionnels, et donne chaque fois lieu à un retour d'expérience sur les circonstances qui y ont conduit et les manières de les éviter à l'avenir, en sachant toutefois que le risque zéro n'existe malheureusement pas.

J'ai préparé cette audition à partir du questionnaire qui m'a été transmis, sachant que, depuis que j'ai quitté le poste de chef d'établissement de la maison centrale d'Arles il y a presque un an, je n'ai plus accès à mes archives ni à mes mails, et je n'ai pas eu de relation avec l'établissement ni avec le personnel. Je répondrai donc à vos questions le plus précisément possible avec les informations à ma disposition.

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Madame Puglierini, nous nous sommes déjà rencontrés lors de votre audition libre devant la représentation nationale le 30 mars 2022. Depuis, vous avez été auditionnée dans le cadre de l'enquête de l'Inspection générale de la justice, dont les conclusions ont été publiées dans un rapport, et sont claires.

À votre arrivée en 2015 à la centrale d'Arles, vous êtes saluée par la presse pour votre longue expérience de l'administration pénitentiaire et votre extrême rigueur. Vous avez commencé votre carrière en 1989 au centre de détention de Tarascon, puis vous avez travaillé à Dijon, Besançon et Autun. Décorée du grade de chevalier de la Légion d'honneur en 2013, vous avez aussi été auditrice de l'Institut des hautes études de la défense nationale en 2006, et vous avez donc dirigé l'une des sept centrales de France, où les détenus sont très peu nombreux, par rapport par exemple à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis.

Ce qui frappe est le contraste entre cette expérience, et cette rigueur qui vous est attribuée, et les conclusions de l'Inspection générale de la justice suite à votre audition du 30 mars dernier.

Nous y lisons que vous avez présidé les commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) dangerosité qui, à quatre reprises, de février 2020 au 24 janvier 2022, ont à l'unanimité recommandé l'orientation de Franck Elong Abé en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER), dans des termes qui interpellent, puisqu'en février 2020, deux mois avant la sortie d'isolement de Franck Elong Abé, la CPU soulignait par exemple qu'il voulait « mourir par le djihad » et « être grand par l'Islam ». Systématiquement, pourtant – ce qui est signalé comme un cas unique par une de vos adjointes –, vous êtes allée contre ces recommandations unanimes, et n'avez pas transmis à votre hiérarchie les comptes rendus de ces CPU. La seule qui lui ait été transmise ne l'a pas été de votre fait, mais par un officier du bureau de gestion, à la demande du chef de département de la DISP de Marseille, qui se demandait pourquoi les trois précédents comptes rendus n'avaient pas été transmis.

Pire encore, en audition libre devant la commission des lois, vous avez omis de mentionner les incidents commis par Franck Elong Abé, qui avaient donné lieu à quatre sanctions disciplinaires. Or, il s'agit quand même de l'agression d'un détenu, de l'agression d'un membre du personnel et de l'utilisation d'un bâton pour éteindre des éclairages, avec une tentative d'évasion. Vous nous avez au contraire présenté une personne courtoise, qui allait bien et qui discutait avec le personnel, afin de justifier son passage par pallier de l'isolement au quartier d'insertion, puis en détention ordinaire le 6 février 2021. De même, vous nous avez expliqué que Franck Elong Abé avait abandonné l'activité « jardins et espaces verts » parce qu'il y était trop absent, et qu'il avait selon vous reconnu lui-même que « cela ne lui convenait pas ». Or, nous avons su ensuite que, s'il avait abandonné cette activité, c'est parce qu'il avait frappé un détenu. Notre intime conviction est que vous nous avez masqué ces incidents dus à Franck Elong Abé lors de la commission du 30 mars.

Pourquoi donc n'avez-vous pas suivi les avis unanimes des CPU ? Pourquoi ne les avez-vous pas transmis à votre autorité ? Lorsque ces questions vous ont été posées par l'Inspection générale de la justice, vous avez convenu « avec une honnêteté déconcertante », selon les inspecteurs, ne pas avoir suivi ces avis, mais n'avez pas su l'expliquer.

Lors des CPU, vous aviez également trouvé à Franck Elong Abé des excuses, au regard de son parcours en isolement, de l'impossibilité de requalifier les faits en violences, etc.

Tout cela est-il le fait de votre seule gestion ? Aviez-vous reçu des instructions de la part de votre hiérarchie administrative, au sein de l'administration pénitentiaire, ou au niveau politique, pour gérer Franck Elong Abé d'une manière particulière ? Symétriquement, au regard du parcours d'Yvan Colonna et du refus de lever son statut de DPS, aviez-vous reçu des instructions de votre hiérarchie administrative ou au niveau politique pour gérer d'une manière particulièrement rigoureuse Yvan Colonna, en raison de l'acte qu'il avait commis ?

À ce jour, nous n'avons pas de réponse à ces questions, et nous souhaitons que vous les apportiez.

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Je n'ai reçu aucune instruction particulière concernant la manière de gérer Franck Elong Abé ou Yvan Colonna, ni aucun autre détenu à la maison centrale d'Arles.

S'agissant des faits que j'aurais masqués lors de ma dernière audition libre concernant le parcours disciplinaire de Franck Elong Abé à la maison centrale d'Arles, j'avais quitté cet établissement, et les informations que je vous avais fournies reposaient sur mes seuls souvenirs. Durant son temps d'incarcération à Arles, Franck Elong Abé avait fait l'objet de trois passages en commission de discipline. J'aurais pu présider ces commissions, mais il se trouve que je n'ai présidé aucune d'elles.

Son premier passage date du 23 juillet 2020, pour des faits du 17 juillet 2020 en formation professionnelle : selon le compte rendu d'incident (CRI), « suite à une mauvaise compréhension pour l'utilisation d'un tuyau d'arrosage, il a mis un coup de tête à un autre détenu ». Pour ces faits, qu'il a reconnus et regrettés, Franck Elong Abé n'a été sanctionné que de six jours de suspension de formation, car ce « coup de tête » n'a pas nécessité une prise en charge de la victime, ce qui n'excuse en rien ce passage à l'acte. Il a ensuite démissionné de sa formation professionnelle à une date que je ne retrouve pas.

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Nous avons lu le rapport de l'Inspection générale de la justice, donc nous connaissons les quatre incidents qui ont eu lieu : il est inutile de les rappeler. Le dernier précède quand même de trois semaines votre autorisation de le rémunérer comme auxiliaire : bien que sanctionné le 12 septembre, il est nommé auxiliaire le 28 septembre.

La question est de savoir pourquoi vous avez, de toute évidence, masqué ces faits en commission des lois, et pourquoi vous n'avez pas suivi les avis des CPU dangerosité, en l'orientant en QER.

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Je n'ai eu aucune volonté de masquer le parcours disciplinaire de Franck Elong Abé. Je ne me souviens plus qui, de moi ou de mon collègue, a évoqué ce parcours lors de l'audition, mais je pense qu'il avait été évoqué. Chaque fois qu'il est passé en commission disciplinaire, des sanctions ont en effet été prises le concernant.

La CPU dangerosité s'est en effet réunie à plusieurs reprises concernant Franck Elong Abé. Son passage en QER avait été évoqué dès son arrivée, car elle avait précédé de peu l'organisation d'une CPU dangerosité « radicalisation ». La CPU dangerosité est en effet scindée en deux avec une CPU dangerosité « DPS », présidée par la directrice de détention, et une CPU dangerosité « radicalisation ». Dès son arrivée, la radicalisation de Franck Elong Abé, compte tenu de sa condamnation, ne faisait pas de doute. Pour autant, une affectation en QER n'avait pas été décidée dans son établissement précédent de Condé-sur-Sarthe, sans que nous sachions pourquoi. Nous connaissions néanmoins son dossier d'orientation, et la décision de l'affecter à la maison centrale d'Arles était motivée par ses problèmes de comportement et les nombreux incidents qu'il avait occasionnés dans le précédent établissement. Les transferts de détenus d'une maison centrale à une autre constituent ainsi souvent des « échanges » entre des détenus difficiles à gérer, visant, dans l'intérêt des établissements et surtout des détenus, à les orienter vers d'autres personnels pour améliorer leur suivi.

Je n'avais pas reçu de consigne particulière indiquant qu'en cas d'amélioration de son état psychique, je devrais réaliser un dossier d'affectation au QER. Pour autant, nous ne sommes pas restés inactifs, puisque la décision avait été prise d'organiser des rencontres avec la psychologue de la mission de lutte contre la radicalisation violente (MLRV), de la direction interrégionale. Franck Elong Abé l'a rencontrée, quoique de manière non assidue. Il a parfois préféré aller au sport.

Je vous confirme avoir conservé à mon niveau les préconisations de la CPU, m'étant convaincue à tort d'attendre plutôt la fin de sa peine pour solliciter son orientation au QER. En effet, les avis de la CPU étaient partagés concernant la nécessité de l'orienter également pour préparer sa sortie, puisqu'il était libérable dans moins de deux ans.

Par ailleurs, comme je l'ai dit lors de l'audition, l'un des objectifs du QER est d'orienter les personnes détenues radicalisées. Dès lors que la radicalisation de Franck Elong Abé ne faisait pas débat, je ne suis pas allée plus loin, à tort, que le suivi déjà mis en place.

Le QER a aussi pour objectif de déterminer si les personnes radicalisées doivent être gérées à l'isolement, ou peuvent être gérées en détention ordinaire. À son arrivée, Franck Elong Abé a été directement placé en isolement. Nous avons ensuite demandé la prolongation de cet isolement, avant d'en demander la levée, sur la base d'un rapport adressé à la direction interrégionale et à la direction de l'administration pénitentiaire (DAP). La hiérarchie aurait alors pu demander une affectation au QER avant d'accepter la levée d'isolement. Cela n'a pas été le cas. De même, la direction interrégionale a accepté les demandes de travail de Franck Elong Abé sans y faire obstacle.

J'assume ma part de responsabilité concernant mon appréciation de la situation de Franck Elong Abé. Mon but était de l'orienter vers le QER pour préparer son retour à la société. Je n'avais pas perçu de signe de passage à l'acte imminent. Nous savions certes que ce détenu était violent, et que son parcours avait été violent dans ses établissements précédents. À la maison centrale d'Arles, il s'était tenu tranquille durant un certain temps, ce qui peut paraître facile, mais la gestion du temps en détention ne s'apprécie pas de la même manière qu'à l'extérieur. En matière d'accompagnement, nous avions cherché à baliser son parcours avant de prendre des décisions.

Je regrette également que, devant mon inaction, le relais n'ait pas été pris par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP), qui pouvait aussi, selon les textes, initier une demande d'orientation au QER. Je n'ai pas non plus été alertée par ma hiérarchie sur le fait qu'aucun dossier ne remontait.

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Durant vos fonctions et au cours de son parcours carcéral en général, Yvan Colonna a-t-il été à l'origine d'incidents ? A-t-il fait l'objet de sanctions disciplinaires internes ? Quels rapports entretenait-il avec le personnel de l'établissement et les autres détenus, et particulièrement avec celui qui lui a ôté la vie ?

Des dispositifs particuliers étaient-ils prévus à la maison centrale d'Arles pour encadrer la réunion de deux ou plusieurs DPS au même endroit, sans surveillance ? Une telle situation était-elle fréquente ? Le statut de DPS est souvent confondu avec l'idée de détenus qui seraient particulièrement surveillés, mais cette erreur se comprend, car, de fait, les DPS sont certainement particulièrement surveillés.

Sous votre direction, d'autres DPS occupaient-ils fréquemment des fonctions au niveau du service général, par exemple d'entretien ou de jardinage, comme Franck Elong Abé ? Des consignes particulières portaient-elles sur Franck Elong Abé et Yvan Colonna à cet égard, ou étaient-ils traités au même titre que les autres DPS ? Comment justifier qu'après le parcours émaillé d'incidents assez graves de Franck Elong Abé – dont le coup de tête est l'un des moins graves, les rapports de l'inspection indiquent qu'il a également proféré des menaces physiques bien plus graves dans le cadre de sa détention –, on ait pu l'autoriser à accéder à des endroits où d'autres détenus se retrouvaient ?

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Lors de l'audition libre, les procédures disciplinaires dont Yvan Colonna avait fait l'objet avaient été détaillées.

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Vous parlez aujourd'hui sous serment. Vous pouvez donc répéter vos déclarations : elles n'ont plus la même signification.

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Depuis 2015, Yvan Colonna avait fait l'objet de quelques mesures disciplinaires, mais jamais pour des faits de violence.

En 2015, il avait été placé six jours en confinement, dont quatre avec sursis, pour avoir possédé dans sa cellule un couteau de type Laguiole, ce qui n'est pas anodin s'agissant d'un DPS. Aurait-on trouvé le même couteau dans la cellule de Franck Elong Abé, il serait retourné immédiatement à l'isolement. Chaque décision tient ainsi compte du parcours individuel et de la bonne foi estimée du détenu.

En 2020, Yvan Colonna avait reçu un avertissement pour la possession d'une carte SD et d'un lecteur MP3, ce qui reste de l'ordre du détail.

En 2021, il avait été privé d'activité sportive suite à la découverte d'une montre connectée ; puis il avait été placé trois jours en quartier disciplinaire pour avoir refusé, par inertie, de changer de cellule dans le cadre d'une rotation de sécurité ; enfin, il avait reçu cinq jours de quartier disciplinaire avec sursis pour un refus de promenade conjointement avec un autre détenu, en protestation de solidarité avec un autre bâtiment à l'encontre des mesures restrictives que nous avions prises en lien avec la gestion du covid-19.

Ce parcours disciplinaire n'a en effet rien à voir avec celui de Franck Elong Abé.

Les quinze DPS présents dans l'établissement étaient d'abord délibérément dispersés dans l'ensemble des deux bâtiments de la maison centrale, hormis le quartier d'isolement. Les détenus présentant un profil psychologique problématique sont toutefois plus facilement orientés vers le bâtiment A, car, étant plus petit que le bâtiment B, il permet une surveillance plus adaptée.

Le bâtiment B comporte deux cours de promenades et le bâtiment A une seule. L'accès à ces cours était libre dans des horaires déterminés selon un séquençage, mais, dans ce cadre, des tours de promenade n'étaient pas organisés. Les détenus pouvaient alors librement s'y croiser, sauf si une mesure de séparation – nécessairement ponctuelle, les mesures de séparation ne peuvent pas être permanentes – était à mettre en œuvre entre certains détenus.

Huit de ces quinze DPS étaient classés au travail, un en formation professionnelle, et cinq au service général. Lorsque les demandes de travail des DPS sont examinées, on étudie précisément comment organiser la surveillance pour éviter qu'ils soient trop nombreux au même endroit au même moment, hormis dans la cour de promenade. En l'occurrence, l'un d'eux travaillait aux ateliers à l'expédition ; deux travaillaient aux ateliers à la confection ; un autre était auxiliaire de bibliothèque ; un autre auxiliaire d'étage ; un autre auxiliaire de cantine ; un autre suivait la formation professionnelle à l'extérieur jardins-espaces verts (JEV) qu'avait également suivie Franck Elong Abé ; enfin, Franck Elong Abé était auxiliaire sport au bâtiment A et Yvan Colonna auxiliaire sport sur la zone du plateau sportif, à l'extérieur. Le maximum était ainsi fait pour que ces personnes détenues ne soient pas concentrées en un seul lieu d'activité.

Des incidents ont nécessairement eu lieu dans le cadre de ces travaux. Je n'ai pas d'exemple précis à vous donner. Ils ont donné lieu à des sanctions proportionnées à leur gravité : placement en quartier disciplinaire en cas d'extrême gravité, suspension de travail, passage en commission de discipline assorti d'une sanction, etc.

Aucune mesure de surveillance particulière supplémentaire à celles prévues dans le cadre du statut de DPS n'était par ailleurs appliquée à MM. Colonna et Elong Abé.

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Cette commission d'enquête est importante. Yvan Colonna n'aurait pas dû mourir ce jour-là. Il avait commis un crime, qu'il avait payé pour partie en restant dix-huit ans en détention. Il est mort dans une maison centrale, censée être surveillée, ce qui atteste nécessairement de dysfonctionnements, qu'il s'agit d'éclairer.

J'ai moi-même présidé la commission d'enquête sur l'assassinat de Sarah Halimi, qui avait été massacrée parce que juive alors qu'une vingtaine de fonctionnaires de police étaient présents. J'y ai rencontré de nombreuses difficultés, avec l'impression parfois d'être « muselé » et de ne pas pouvoir aller au bout de mes investigations. Pour la mémoire de la victime, pour la Corse, pour la France, il est très important que vous alliez au bout des vôtres. La seule chose qui intéresse les Français est la vérité.

Madame Puglierini, avez-vous perçu des dysfonctionnements à un niveau ou un autre ? À votre niveau personnel ou au niveau de l'administration, avez-vous senti des défaillances ? Rétrospectivement, auriez-vous agi différemment, et vous sentez-vous une responsabilité quelconque dans ce drame ? Le meurtrier avait un passé islamiste, et malheureusement l'écrasante majorité des crimes terroristes dans notre pays ont été commis par des personnes avec un passé ou une culture islamistes.

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Madame Puglierini, vous avez mentionné plusieurs incidents commis par Franck Elong Abé et plusieurs passages en commission de discipline, pour s'être rendu coupable de menaces, et d'un coup de tête. Pourtant, vous avez dit ne pas avoir noté de signes annonciateurs de passage à l'acte. Rétrospectivement, ces incidents n'auraient-ils pas dû constituer pour vous de tels signes annonciateurs ?

Par ailleurs, Yvan Colonna et Franck Elong Abé avaient-ils déjà été laissés en contact sans surveillance avant ce jour tragique ?

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Madame la directrice, cette audition est pour vous l'occasion de nous aider à faire éclater une vérité que vous avez contribué à étouffer dans vos précédentes déclarations, comme l'a pointé le rapport de l'Inspection générale de la justice. Ainsi, nous n'avons toujours pas de réponse claire aux trois questions suivantes.

Premièrement, pourquoi avez-vous déclaré ne rien avoir noté de particulier dans le comportement de Franck Elong Abé, alors que les rapports d'incidents révèlent un comportement violent qui témoigne de sa radicalisation ?

Deuxièmement, comment pouvez-vous justifier le fait d'avoir accordé un poste d'auxiliaire de ménage à un DPS radicalisé, dont vous n'avez jamais évalué la dangerosité, lui donnant ainsi l'occasion de se retrouver en tête-à-tête avec sa victime Yvan Colonna, qui était un détenu exemplaire ? D'après nos informations, la montre trouvée sur Yvan Colonna était connectable, mais n'était pas connectée. Pourtant, il a été immédiatement placé en quartier disciplinaire, et fait l'objet d'autres sanctions, cependant que le parcours de Franck Elong Abé ne faisait l'objet d'aucune action.

Troisièmement, pourquoi avoir menti en déclarant que vous aviez pris part à la transmission de la synthèse relative à l'évaluation de la dangerosité de Franck Elong Abé, alors que vous n'avez pris aucune initiative en la matière, ignorant au passage de multiples sollicitations d'affectation en QER, conformément aux dispositions en vigueur ?

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Madame Puglierini, je me demande si vous aviez mis en place un régime de faveur envers Franck Elong Abé, ou si votre gestion de la détention n'était pas extrêmement laxiste d'une manière générale. Dès lors, je ne sais pas s'il est opportun de vous demander si vous constatez des défaillances dans l'administration, car votre gestion elle-même est défaillante : elle met manifestement en danger tous ceux qui travaillent et entrent dans nos prisons, surveillants comme détenus.

Vous n'avez toujours pas expliqué pourquoi vous avez classé Franck Elong Abé en tant qu'auxiliaire quelques jours seulement après son passage en commission de discipline. Comment avez-vous pu prendre une telle décision ?

Par ailleurs, avez-vous informé le service du renseignement pénitentiaire que Franck Elong Abé aurait exercé une pression sur certains détenus afin d'occuper une place d'auxiliaire au sein de votre établissement ?

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Madame Puglierini, lorsque nous vous interrogeons sur de possibles omissions lors de votre audition libre, vous nous dites : « je me suis appuyée sur mes souvenirs », parce que vous n'aviez plus accès à vos archives, etc. Pourtant, dans le cadre professionnel, comme probablement dans d'autres cadres, lorsque des événements graves surviennent, nous avons toujours le réflexe d'examiner ce qui a pu conduire à cette situation. N'avez-vous pas eu ce réflexe de reprendre l'ensemble des événements ayant conduit au décès d'Yvan Colonna, pour les graver ainsi en votre mémoire ?

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Quel était le taux d'emploi des personnes détenues dans votre établissement au moment où ce poste d'auxiliaire a été proposé à Franck Elong Abé ? Était-il fréquent dans votre établissement de proposer un poste d'auxiliaire aussi rapidement, et avant évaluation de la dangerosité d'un détenu, ou cette situation a-t-elle été particulière à Franck Elong Abé ?

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Rétrospectivement, j'agirais évidemment de manière différente. Je demanderais plus rapidement l'affectation de Franck Elong Abé en QER. De même, à l'échelon local, le directeur des services d'insertion et de probation demanderait probablement lui aussi une orientation, ce qu'il n'avait pas fait non plus sur l'ensemble des CPU, alors qu'il y participait ; chaque échelon interrégional m'alerterait sur le fait que je n'avais pas transmis une demande ; enfin, à chaque maillon de la chaîne, personne ne réagirait de la même manière après coup.

Même considérés a posteriori, en revanche, les incidents à la charge de Franck Elong Abé, et ses passages en commission de discipline, n'annonçaient pas nécessairement un passage à l'acte. Au regard de son attitude et de son parcours disciplinaire passés, il s'était largement apaisé à la maison centrale d'Arles. Certes, il était imbu de sa personne et avait beaucoup de mal à gérer sa frustration. En commission de discipline, il a montré de l'impatience en refusant de réintégrer sa cellule et en poussant un agent, car il voulait aller à la douche. Dans la cour de promenade du quartier spécifique d'intégration (QSI), le quartier dans lequel il se trouvait, il s'est armé d'un bâton et il a fallu l'intervention du chef des détentions pour rétablir la situation, et il a alors été placé en prévention. Toutefois, dans un établissement antérieur, il avait détruit sa cellule et commis un certain nombre d'actes. Ainsi, les détenus des maisons centrales n'ont pas toujours un comportement identique sur l'ensemble de leurs détentions.

La dernière audition était libre, et n'avait donné lieu à aucun questionnaire préalable. Je n'avais aucune intention d'étouffer quoi que ce soit concernant le parcours d'Yvan Colonna ou de Franck Elong Abé. J'avais noté que ce dernier se contenait. Il n'avait commis aucune agression physique envers le personnel ou les autres détenus. Le coup de tête constituait un signe, mais nombre des détenus de la maison centrale passent en commission de discipline pour des bagarres, des gifles, des agressions ou des crachats sur le personnel. Le comportement de Franck Elong Abé n'était pas idéal, mais il s'était clairement amélioré par rapport au nombre d'incidents qu'il avait pu provoquer dans son établissement précédent. Il ne savait pas gérer sa frustration, avait le sentiment de toujours avoir raison et ne supportait pas la contradiction, mais cela ne lui était pas spécifique : de nombreux détenus présentent ce profil, sans que cela annonce un passage à l'acte.

Franck Elong Abé avait postulé à plusieurs reprises à des offres d'emploi parues dans l'établissement, sans que nous y ayons donné suite, au regard notamment de son comportement. Il avait par exemple dit vouloir travailler aux ateliers pour « relever le niveau » : il n'avait pas été retenu, en lui expliquant qu'il devait réfléchir à ses propos et à son comportement. Le niveau des ateliers n'avait pas besoin d'être relevé par sa présence. Par ailleurs, les personnes déjà présentes à ces ateliers excluaient qu'il y soit présent également. Un classement en service général au niveau du bâtiment A correspondait mieux à ses capacités d'une part, et à nos possibilités de surveillance à son égard, d'autre part, car ce bâtiment est plus petit. Il avait aussi demandé à être surveillant d'étage, mais cela lui avait naturellement été refusé, puisque nous ne voulions pas qu'il puisse profiter de ce travail pour se déplacer trop facilement.

Les cellules de la maison centrale d'Arles sont vraiment fermées et les détenus y sont véritablement seuls. Dès lors, toutes les activités, qu'il s'agisse de l'accès à la cour de promenade, du travail ou des activités sportives, sont gérées au rez-de-chaussée. L'objectif de ces activités est de laisser les détenus en cellule le moins possible, et de leur procurer des temps d'échange et de vie sociale, car la maison centrale est aussi un lieu de vie pour les détenus, qui y passent plusieurs années.

Franck Elong Abé a obtenu ce travail peu de temps après avoir été sanctionné. Je présidais alors la CPU, et j'y avais constaté que sa demande avait été ajournée la semaine précédente. Je m'étais naturellement entourée des avis des membres de la CPU pour prendre cette décision. Je ne me souviens pas si l'avis de la CPU était unanime, et ce n'est pas retranscrit dans la traçabilité de la CPU, mais elle ne s'était pas opposée à ce que Franck Elong Abé obtienne le poste.

En aucun cas Franck Elong Abé a reçu un régime de faveur de ma part. Je l'ai géré avec une équipe. Son parcours en détention était jalonné, et a fait l'objet de centaines d'observations. À son arrivée, il est passé par le quartier d'isolement, qui est géré par l'adjointe à la cheffe d'établissement.

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Dans le rapport de l'Inspection générale de la justice, vos adjointes ont pourtant indiqué que vous ne déléguiez jamais la gestion de Franck Elong Abé, dont vous faisiez une « chasse gardée » selon ce qui ressort de ce rapport.

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

La note d'organisation du fonctionnement de la CPU de la maison centrale d'Arles, qui ne lui est pas spécifique, prévoit que « le chef d'établissement ou son représentant préside la CPU ». En cas de délégation, une note de délégation est publiée, et il était rare que l'ensemble des membres de la direction soient présents à toutes les CPU ordinaires, qui étaient hebdomadaires. Cela dépendait de leurs charges de travail respectives.

La CPU dangerosité DPS était présidée par la directrice de détention, tandis que je présidais la CPU dangerosité radicalisation. Pour autant que je me souvienne, l'adjointe de la cheffe d'établissement ne participait à aucune des deux. Je n'avais transmis aucune consigne en ce sens, que ce soit à elle ou à la directrice de détention.

Toutes mes décisions concernant Franck Elong Abé ont été prises sur la base d'éléments précis. Il a toutefois eu affaire à plusieurs personnels de direction, selon les bâtiments dans lesquels il se trouvait, puisque l'adjointe à la cheffe d'établissement supervisait les quartiers d'isolement, tandis que le QSI et le bâtiment A disposaient de directrices dédiées. Les avis émis par ces personnels de direction et par les officiers étaient évidemment pris en compte.

La maison centrale dispose d'un délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP) dédié, et c'était plutôt à lui qu'à moi que revenait la charge d'informer le renseignement pénitentiaire. De même, c'était lui qui, si j'avais « besoin d'en connaître », selon la formule employée dans les textes, devait porter des renseignements à ma connaissance plutôt que l'inverse. Il travaille sur le terrain, en détention, auprès des personnels et mène à la maison centrale d'Arles un excellent travail d'investigation et de renseignement. Il dépend hiérarchiquement de la cellule interrégionale de renseignement pénitentiaire (CIRP) et doit recueillir des renseignements sur place, réaliser des audiences, suivre les personnes détenues TIS, RAD et DPS et rendre compte à la CIRP et à la direction interrégionale de toutes les décisions ou de tout changement concernant un détenu.

Je n'ai jamais été informée d'une éventuelle pression exercée par Franck Elong Abé auprès d'autres détenus classés auxiliaires ou susceptibles de le devenir pour qu'il obtienne ce poste.

Le taux d'emploi des personnes détenues était très important à la maison centrale d'Arles. Il dépassait 70 %, entre le travail aux ateliers et le service général. Il était plus important au bâtiment B, dont le nombre de détenus était également plus important, qu'au bâtiment A.

Était-il fréquent de proposer un poste d'auxiliaire aussi rapidement avant une évaluation ?

Sur les quatre TIS présents dans l'établissement, l'un était géré en isolement sans orientation au QER ; un autre, condamné à perpétuité, travaillait aux ateliers, mais n'avait pas fait l'objet d'une orientation au QER non plus, même si j'ai appris qu'une demande avait été effectuée en ce sens, en tenant compte d'une fin de parcours possible ; et un quatrième, qui avait été affecté à Arles jusqu'à sa libération en 2022, avait, lui, été évalué avant son arrivée à la maison centrale.

S'agissant des détenus suivis au titre de la radicalisation (RAD), l'un d'eux avait fait l'objet, avant mon départ, d'un dossier d'orientation au QER, à la demande des services de la DAP, mais n'y a pas encore été orienté jusqu'à présent. Un autre est bien passé au QER, où son évaluation n'a toutefois pas pu aboutir du fait de son comportement. Il est donc revenu à l'établissement.

J'avais obtenu des services de l'administration centrale un certain nombre d'éléments pour préparer avec mon collègue la première audition, qui ne faisait pas l'objet de questions précises. Depuis, je n'ai cependant plus eu aucun lien avec les établissements ni avec les services, pour raisons d'enquête. C'est pourquoi j'ai dit que je devais m'appuyer sur mes souvenirs, et non pour évacuer les questions. Lorsque je suis partie de la maison centrale, j'ai aussi tourné une page. Personne n'avait imaginé ce passage à l'acte. Personne ne mérite en effet de mourir de cette manière.

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Franck Elong Abé purgeait plusieurs peines de prison, dont une de neuf ans pour association de malfaiteurs terroristes. Pourquoi donc n'a-t-il jamais été orienté vers un QER ? Avait-il des contacts avec Yvan Colonna ? Quels motifs l'ont, selon vous, conduit à l'assassiner ?

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Était-ce la première fois que Franck Elong Abé et Yvan Colonna se retrouvaient seuls sans surveillance ? Comment deux DPS ont-ils pu se retrouver aussi longtemps sans surveillance ? Le rapport de l'Inspection générale de la justice signale notamment que l'agresseur, au moment des faits, ne regarde jamais les caméras de surveillance, et que celles-ci ne sont pas nécessairement utilisées pour regarder ce qui se passait à ce moment dans la salle. Est-il possible qu'il ait su qu'elles n'étaient pas utilisées à ce moment-là, et pourquoi ne l'étaient-elles pas ? Il paraît incroyable que des DPS aient pu être laissés seuls aussi longtemps sans une surveillance visuelle, qui aurait certainement permis d'éviter ce qui s'est passé.

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Franck Elong Abé purgeait en effet une peine correctionnelle de neuf ans. Lorsqu'il est arrivé à la maison centrale d'Arles le 17 octobre 2019, il était écroué depuis mai 2014. Une demande avait été initiée par le précédent établissement, à laquelle il n'avait pas été donné suite, pour différents motifs dont je vous ai dit ne pas connaître les détails. Des CPU radicalisation se sont ensuite tenues à la maison centrale d'Arles, et ont émis des préconisations, que je n'ai pas transmises immédiatement, me concentrant à tort sur la fin de peine de Franck Elong Abé. Conformément à ce qu'indique le rapport d'inspection, je n'avais pas fait moi-même les démarches pour transmettre ces préconisations. Lors de demandes particulières concernant les personnes détenues – en matière de radicalisation, mais aussi de transfert, etc. –, il est plutôt habituel de commencer par saisir le département de la sécurité et de la détention (DSD) de la direction interrégionale pour évoquer le dossier, afin de connaître les délais et les priorités de l'administration centrale. Cependant, je n'ai visiblement pas saisi par mail les services de la direction régionale dans ce cas, même si des démarches avaient parallèlement été entamées en ce sens.

Les observations des agents attestent que, depuis que Franck Elong Abé avait été affecté au bâtiment A, il côtoyait Yvan Colonna, mais pas tous les jours, essentiellement dans la cour de promenade et sur le parcours sportif. Je ne sais pas s'ils s'étaient déjà trouvés en salle de musculation ensemble.

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Ils auraient joué aux échecs ensemble.

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

J'ai moi aussi lu dans les observations journalières du personnel sur les DPS que Franck Elong Abé jouait aux échecs, mais je ne me souviens pas que c'était avec Yvan Colonna. Je ne sais pas s'ils ont pu jouer à d'autres jeux de société. En revanche, ils pouvaient avoir de longues discussions dans la cour de promenade.

J'ai également lu dans les observations qu'un incident avait failli survenir avec un autre détenu, parce que Franck Elong Abé avait vu dans la cuisine, ou une autre salle d'activité, un tapis de sol qu'il croyait, à tort, appartenir à Yvan Colonna, et qu'il voulait lui rendre. La situation n'avait cependant pas dégénéré.

Franck Elong Abé était plutôt solitaire, mais il fréquentait quelques détenus, qui, comme Yvan Colonna, n'étaient pas tous d'accord avec ses idées. Il en allait de même pour Yvan Colonna.

Je n'ai aucune idée des motifs qui ont pu conduire Franck Elong Abé à assassiner Yvan Colonna. Lors de la précédente audition, des suppositions ont été émises : Yvan Colonna aurait-il blasphémé ? Franck Elong Abé aurait-il voulu « se payer » quelqu'un de connu, comme mon collègue l'a dit ? Je n'en sais strictement rien. Ce n'était cependant pas le style d'Yvan Colonna de blasphémer. Il a toutefois pu émettre une opinion sur la religion, que Franck Elong Abé aurait pu interpréter différemment.

Dans le cadre de la crise sanitaire, nous avions déjà limité à deux personnes la présence commune dans une même salle d'activité, et nous avions demandé aux auxiliaires de nettoyer les salles autant que possible. Je ne sais pas si Franck Elong Abé et Yvan Colonna s'étaient déjà retrouvés dans de telles circonstances auparavant, pour pratiquer le sport tous les deux, ou dans la situation d'auxiliaire pour l'un ou l'autre. En revanche, il n'y avait pas de mesure de séparation les concernant, sinon ils ne se seraient jamais retrouvés ensemble, ne serait-ce que dans la cour de promenade.

La surveillance continue des personnes détenues par le biais de la vidéo n'existe pas dans la réalité. 280 caméras sont présentes dans l'établissement, dont un nombre important sont surveillées par le poste d'information et de contrôle (PIC), selon différents scénarios possibles. Sont généralement surveillés en priorité les lieux tels que les accès, les escaliers, etc., où les risques d'agressions et d'incidents sont élevés. Il n'était donc pas inhabituel de ne pas surveiller une salle. Instinctivement, les agents se servent davantage de la vidéo lorsque des problématiques sont connues entre certaines personnes détenues, ce qui n'était pas le cas des personnes concernées, ou dans une période de détention tendue, ce qui avait notamment pu être le cas à d'autres moments en raison du contexte sanitaire. Des consignes de surveillance vidéo sur les cours de promenade ou à certains endroits avaient alors été passées, car on pouvait craindre que la situation dégénère en cas d'incident. Enfin, lorsqu'une alarme est déclenchée dans une salle pourvue de caméras vidéo, ce qui n'a malheureusement pas été le cas en l'occurrence, une image vidéo de la salle concernée s'affiche automatiquement au niveau du PIC et du poste centralisé des informations (PCI), ce qui permet de localiser l'incident, d'identifier sa nature et de connaître le nombre de personnes impliquées, afin de pouvoir intervenir de manière adaptée.

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L'agression semble avoir duré neuf minutes, ce qui paraît long. Comment expliquer que, durant ce temps, personne ne soit intervenu ?

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Mon collègue sera probablement plus à même de répondre à cette question.

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Le rapport de l'Inspection générale de la justice pointe cependant un manque de formation des agents de surveillance vidéo, et recommande d'autres choix de priorisation dans l'usage des caméras.

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

D'après le rapport de l'IGJ, les surveillants du PIC suivaient presque systématiquement un « scénario jour » depuis la réouverture de l'établissement.

Lorsque j'ai dit que nous nous appuyions sur la vidéosurveillance en cas de détention tendue, je ne tenais pas compte par ailleurs des changements intervenus à cet égard courant janvier 2022. Je ne contredis pas le rapport de l'IGJ en la matière.

Un manque de formation du personnel a en revanche été relevé, l'agent de surveillance ayant dit ne pas avoir été formé. Je ne me suis pas rendue au niveau des PIC pour voir les icônes et les scénarios proposés. Dans le cadre du marché avec la société en charge des travaux, nous lui avions demandé de former une équipe de surveillants, qui pourraient eux-mêmes devenir formateurs auprès de leurs collègues. Ces travaux ont toutefois pris plus de temps que prévu, rendant la situation insatisfaisante.

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Quels sont et quels étaient vos critères en matière de signes de radicalisation, justifiant une surveillance particulière en milieu carcéral ?

Pourquoi vous être concentrée sur la fin de peine de Franck Elong Abé ?

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Je souhaite d'abord avoir une pensée pour Yvan Colonna. Nous l'avions rencontré très peu de temps avant sa disparition, qui nous a bouleversés, au regard notamment des conditions atroces de celle-ci. Pour sa famille, ses amis, pour la Corse et tous les démocrates, nous attendons la lumière sur ces faits, et sur les circonvolutions administratives qui ont pu conduire à ce drame, car des manquements graves sont manifestes dans la gestion du parcours d'Yvan Colonna et de Franck Elong Abé, comme dans leur mise en présence directe. Nous sommes notamment loin, madame, de partager votre tranquille certitude concernant une absence de problème dans la gestion de Franck Elong Abé, au regard des antécédents de ce personnage. Comment également ont été gérées les longues minutes de cette agression ?

Derrière ce drame se pose généralement la question de la sécurité et du traitement des DPS dans toutes les prisons françaises. À cet égard, il faudrait apporter des réponses concrètes, qui aillent au-delà de statistiques globales ou de considérations générales. Quelles leçons tirez-vous de ce drame en matière de gestion des DPS ? À la lumière également de votre expérience, quelles mesures concrètes préconisez-vous dans ce domaine pour éviter que pareil drame se reproduise ?

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Franck Elong Abé présentait des signes de radicalisation dès avant son arrivée à la maison centrale d'Arles. Les signes de radicalisation en milieu carcéral sont multiples. On peut d'abord évoquer le rigorisme, même s'il ne se confond pas avec la radicalisation : Franck Elong Abé en présentait tous les signes habituels, disposant de livres religieux, dormant par terre, n'ayant pas la télévision, etc. Ensuite, le discours : Franck Elong Abé pouvait ne pas discuter avec certains personnels, mais discuter plus librement avec d'autres, en affichant alors ses convictions, ce qui confirmait sa radicalisation, mais ne la révélait pas. Le port de la barbe, enfin : lorsque la question m'a été posée à brûle-pourpoint au cours de l'audition libre, je vous ai répondu ne pas m'en souvenir, ce qui était vrai.

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Je note que vous avez en revanche un excellent souvenir de notre échange à ce sujet en audition libre.

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

J'ai en effet revu cet échange, ce qui était la moindre des choses. Mon collègue a quant à lui confirmé que Franck Elong Abé arborait une belle barbe depuis quelques mois, ce qui constitue un signe également.

Si je me suis concentrée sur la fin de peine de Franck Elong Abé, c'est que, parmi les TIS de l'établissement, il était le seul à approcher d'une fin de peine dans moins de deux ans. Or, comme cela a été dit et acté par écrit lors d'une CPU radicalisation, nous ne craignions pas tant qu'il passe à l'acte en détention, mais plutôt après sa sortie, d'autant plus qu'il n'avait pas vraiment de projet sérieux concernant ce qu'il ferait à ce moment. Il avait vaguement parlé d'élever des chèvres au service pénitentiaire d'insertion et de probation.

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Dans l'administration, chacun savait donc que Franck Elong Abé présentait tous les signes d'une radicalisation à surveiller particulièrement ?

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Je ne sais pas s'il présentait tous les signes. Par exemple, il ne faisait pas de prosélytisme. Néanmoins, sa radicalisation était connue à tous les niveaux, depuis le début de son incarcération.

La question de savoir comment améliorer la gestion des DPS pour éviter le renouvellement d'un tel drame est très vaste. 32 DPS étaient alors détenus dans la région, dont 15 à la maison centrale d'Arles, ce qui constitue un chiffre conséquent. Même s'ils répondent à des critères précis, les profils de ces détenus, qui sont loin d'être tous TIS, peuvent cependant différer les uns des autres. Ils sont généralement gérés en maison d'arrêt dans un premier temps, puis dirigés vers une maison centrale une fois condamnés, parce que le niveau de sécurité y est plus élevé qu'en centre de détention et qu'elles accueillent un nombre de détenus bien moindre.

Les derniers textes sur la gestion des DPS datent de janvier 2022 et ne modifient pas profondément ceux qui précédaient. Je n'ai pas particulièrement de mesures concrètes à proposer. Il faut rester vigilant. Toute la difficulté, même dans un établissement sécuritaire, consiste à adapter le niveau de sécurité mis en place aux profils des détenus et à leurs niveaux de dangerosité. La sécurité active et passive et la bonne connaissance des détenus par les agents sont alors essentielles pour adapter au mieux nos décisions et nos modes de surveillance aux intéressés. Par ailleurs, même s'agissant de DPS condamnés à perpétuité et TIS en maison centrale, le but reste, certes de garder les personnes détenues et de les protéger, mais aussi de les accompagner vers la sortie, en cherchant à ce que ce temps de détention leur soit utile et leur permette d'évoluer.

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La commission se réserve le droit de vous demander d'autres explications par écrit, voire de vous faire revenir en audition, selon les informations qui apparaîtront au cours des nombreuses auditions qui suivront.

Je constate que vous confirmez n'avoir sciemment pas suivi les avis des CPU dangerosité radicalisation, parce que vous misiez sur la fin de peine de Franck Elong Abé. En cela, vous confirmez les propos que vous aviez tenus devant l'Inspection.

Vous relativisez, ce que nous regrettons, les quatre incidents dont j'ai dit qu'ils avaient été masqués lors de l'audition libre : l'attaque sur le personnel, le coup de tête, etc. Vous avez ainsi pu faire fi de l'existence de ces incidents dans votre démarche consistant à passer progressivement Franck Elong Abé de l'isolement à l'insertion, en passant par la détention ordinaire. Au même moment, les CPU de février 2020, novembre 2020, mai 2021 et janvier 2022 soulignent pourtant par écrit que le détenu a la volonté de mourir en héros, et l'ambition d'être « grand par l'islam », et proposent une évaluation au QER. À ce stade, nous ne pouvons que constater un manque d'explication sur ce grand écart.

D'après l'IGJ, sur 500 TIS recensés dans toute la France, seuls 13 ne sont pas passés en QER, soit environ 6 %, dont Franck Elong Abé fait donc partie. Je soupçonne que, parmi ces 13 détenus TIS, peu auront provoqué autant d'incidents que lui, avant et après son arrivée à la maison centrale d'Arles, et se seront ainsi montrés aussi dangereux. Nous y reviendrons au cours d'autres auditions, mais le « goût d'inachevé » que nous laisse la justification de votre « marche en avant » vers un projet de sortie, malgré les événements graves qui concernaient ce détenu, reste très curieux.

Avec MM. Colombani et Castellani, nous avons visité deux fois la maison centrale d'Arles, la première fois sans médiatisation, en juillet 2019, et la deuxième fois avec une médiatisation, en janvier 2022. En 2019, malgré notre insistance, vous n'avez pas voulu que nous rencontrions Yvan Colonna. C'est pourquoi j'ai insisté en introduction sur votre rigueur : face à des députés, vous vous êtes, de manière rigoriste, réfugiée derrière des textes. Durant trois heures, de quinze heures à dix-huit heures, nous sommes ainsi passés dans tous les bâtiments de la centrale en votre compagnie et celle de vos services, pour essayer de voir Yvan Colonna, ce que vous avez veillé à éviter. Yvan Colonna lui-même nous a informés qu'il était au courant dès le matin de la venue de députés. Bien sûr, on ne lui avait cependant pas dit qu'il s'agissait de députés insulaires.

Dans cette centrale de 137 détenus, un « village », où l'on pouvait « manger par terre », aviez-vous été informée préalablement de notre arrivée en juillet 2019, et par qui, le cas échéant ? Par ailleurs, aviez-vous reçu des instructions pour nous « gérer » afin que nous ne rencontrions pas Yvan Colonna ?

Enfin, vous avez dit que vous n'étiez pas au courant du passé de Franck Elong Abé. Étiez-vous néanmoins en possession d'informations sur sa dangerosité au regard de son comportement sur le théâtre de guerre en Afghanistan ?

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Non. Comme je l'ai déjà dit, je savais seulement que, comme il le disait lui-même, il avait combattu et été incarcéré un certain nombre de mois en Afghanistan, et que les autorités américaines l'avaient remis aux autorités françaises. Lors de la dernière audition, vous avez donné des précisions sur son parcours là-bas, mais je n'en disposais pas préalablement.

S'agissant de votre première visite, j'avais dû en être avertie une heure ou une heure et demie avant par un attaché parlementaire. Je ne me souviens pas avoir été surprise par votre arrivée. J'ai alors appliqué les textes relatifs aux visites de députés en établissement pénitentiaire. Je vous ai proposé de visiter certains secteurs de l'établissement, et d'examiner avec vous les thématiques que vous souhaitiez aborder. Il n'était pas prévu dans ce cadre que vous rencontriez Yvan Colonna, et les textes applicables ne le permettaient pas. Je ne sais pas qui avait pu l'informer dès le matin de votre venue, mais aucune personne détenue n'avait alors à savoir que des députés insulaires viendraient visiter l'établissement. Nous ne sommes pas censés prévenir les détenus d'une telle visite.

Lors de votre seconde visite, en revanche, nous nous étions organisés pour que vous puissiez discuter longuement avec Yvan Colonna, car la demande en avait été faite au préalable, et que cela constituait la majeure partie de votre visite de l'établissement à ce moment.

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C'est l'administration pénitentiaire qui vous avait alors demandé de nous laisser rencontrer Yvan Colonna.

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Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l'administration pénitentiaire, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Je n'y ai pas vu de problème. Simplement, je ne pouvais pas vous octroyer d'emblée cette possibilité.

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Nous allons mettre un terme à cette audition. Merci à toutes et tous.

La commission auditionne ensuite M. Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles.

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M. Ollier, je vous souhaite la bienvenue.

Nous venons d'auditionner Mme Puglierini, à laquelle vous avez succédé à la direction de la maison centrale d'Arles le 1er mars 2022. Vous étiez donc le chef d'établissement en poste le jour où Yvan Colonna a été agressé par Franck Elong Abé.

Avec Mme Puglierini, vous avez déjà été auditionné par la commission des lois de l'Assemblée nationale le 30 mars 2022. Vous aviez alors livré une première analyse des faits et des conditions dans lesquelles ils se sont déroulés. Depuis, une inspection de fonctionnement, conduite par l'Inspection générale de la justice (IGJ), a été diligentée. Elle a identifié les causes et les circonstances dans lesquelles Yvan Colonna, pourtant détenu particulièrement signalé (DPS), a pu être agressé par un autre DPS, Franck Elong Abé, qui était de surcroît « terroriste islamiste » (TIS).

Dans ses conclusions générales, l'inspection relève notamment les points problématiques suivants, qui seront au cœur de nos échanges : « un défaut de vigilance de la part du surveillant concerné » ; une mauvaise exploitation du dispositif de surveillance vidéo, couplée à une défaillance dans la formation des agents chargés d'utiliser ce matériel ; l'absence, à plusieurs reprises, d'orientation de M. Franck Elong Abé en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER), et une gestion inexplicablement favorable de son parcours entre isolement, insertion et détention ordinaire, malgré les incidents qu'il avait provoqués et les avis contraires de la CPU.

Notre rapporteur vous a transmis un questionnaire préalablement à votre audition. Je crois savoir que vous avez déjà apporté des éléments de réponse écrits à ces questions, et fourni les documents demandés par M. Marcangeli. Je vous remercie donc pour votre diligence.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Marc Ollier prête serment.)

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Je suis directeur de la maison centrale d'Arles depuis le 1er mars 2022. Ouvert en 1990, cet établissement, initialement conçu pour être un centre de détention pour femmes, est immédiatement une maison centrale à vocation sécuritaire. Elle a été inondée en 2003 par une crue du Rhône et a été fermée jusqu'en 2009. Elle est composée de deux bâtiments de détention : un bâtiment A d'environ 60 places, et un bâtiment B d'un peu plus de 90 places, pour une capacité théorique de 159 places, mais limitée, comme dans toutes les centrales, à 130 ou 135 détenus. Elle en contient aujourd'hui 130.

Au bâtiment A, le rez-de-chaussée comprend une aile et demie dédiée aux activités, où a eu lieu l'agression, et une demi-aile dédiée au quartier arrivants et au quartier spécifique d'intégration. Le premier étage est un étage de détention ordinaire, et le deuxième étage comprend un quartier de détention (QD) de huit places et un quartier d'isolement (QI) de huit places, respectivement situés à gauche et à droite.

Au bâtiment B, le rez-de-chaussée comprend deux ailes d'activité, l'une à gauche, l'autre à droite, et chacun des deux étages comprend une aile de détention à gauche comme à droite.

S'y ajoutent des ateliers, sur plus de 2 000 mètres carrés de surface, et un gymnase.

L'effectif théorique du personnel est de 151 surveillants, contre 141 actuellement et 144 à l'époque des faits, 11 premiers surveillants, contre 10 actuellement, et 14 officiers, contre 13 actuellement, ainsi que 20 personnels administratifs et techniques, et 4 membres de la direction, bientôt 3.

Nous détenions à l'époque 14 DPS, dont 4 TIS, contre aujourd'hui 10 DPS, dont aucun TIS. Sur ces 4 TIS, Franck Elong Abé a été transféré à la prison de la Santé, un autre a été libéré fin juillet, et les deux derniers, devenus « ingérables », ont été transférés dans d'autres établissements par mesure d'ordre.

Nous comptons encore 7 détenus radicalisés (RAD), dont certains DPS.

Nos autres détenus sont de droit commun.

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Quelle est votre analyse des conclusions de l'inspection ?

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

J'en ai pris connaissance comme tout le monde. Nous avons très largement mis en œuvre ses recommandations, partiellement s'agissant de la vidéo et complètement s'agissant des autres recommandations.

Je prends note du fait que l'agent n'aurait pas été suffisamment rapide ni perspicace dans son travail, contrairement à ce que je pensais à l'époque. Il n'en reste pas moins un bon agent.

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Vous n'étiez arrivé dans l'établissement que la veille de l'agression. Les conclusions du rapport de l'inspection indiquent que vos propos en audition libre du 30 mars n'ont pas permis d'expliquer pourquoi le surveillant était resté aussi longtemps loin de son poste de surveillance. Votre argumentation avait fait valoir que les surveillants s'étaient rendus dans les unités de vie familiale (UVF) en raison de la venue d'intervenants extérieurs auprès de détenus de droit commun présentant des troubles psychiatriques, ce que les surveillants auraient priorisé par rapport à la présence de deux DPS, qui se connaissaient bien, dans une même salle.

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Les surveillants n'étaient pas du tout en UVF. L'agression a eu lieu dans l'aile d'activité gauche, où étaient présents cinq détenus, tandis que ma troisième adjointe était présente dans l'aile droite, avec un détenu. On m'avait dit que, dans le même temps, sept détenus participaient à une formation horticole. Après maintes vérifications, il s'est avéré que cette formation n'avait pas eu lieu ce jour-là.

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L'inspection conclut en effet qu'il n'y a pas eu d'événement ce jour-là.

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Tout à fait.

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En tant que professionnel expérimenté du milieu carcéral et de la détention de personnes présentant des risques avérés de radicalisation, et au regard des conclusions de l'inspection sur les conditions d'organisation de la détention sur votre lieu de travail, considérez-vous avec le recul, puisque les faits se sont maintenant déroulés il y a un an, que le parcours carcéral de Franck Elong Abé a été géré de manière correcte avant votre arrivée à votre poste ?

Si vous aviez alors été en responsabilité, auriez-vous pris d'autres mesures, en lui interdisant notamment d'accéder aux fonctions qui lui avaient été accordées, et en exerçant sur lui une surveillance particulière, au regard des incidents qu'il avait commis dans cet établissement et dans ceux qu'il avait fréquentés préalablement ?

D'une manière plus générale, pensez-vous que le statut de DPS, qui concernait alors plus de 10 % de l'effectif total de la maison centrale d'Arles, puisse s'appliquer de manière indifférenciée à des détenus comme Yvan Colonna et Franck Elong Abé ?

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Il serait facile de dire après-coup que je n'aurais pas classé Franck Elong Abé au service général. En réalité, je ne sais vraiment pas ce que j'aurais fait. Je ne suis pas le supérieur de ma collègue, je n'ai fait que lui succéder en poste.

Par ailleurs, je suis fonctionnaire de catégorie A, mais je ne suis ni politique ni directeur de l'administration pénitentiaire. Votre question sur le statut général de DPS devra donc plutôt être adressée au ministre, si vous le convoquez, ou au directeur de l'administration pénitentiaire.

Cependant, ce statut obéit à des notes publiées périodiquement, qu'il reste ensuite à appliquer sur le terrain, de manière individualisée. Sous réserve de ne pas les regrouper à dix dans un même atelier ou un même secteur, certains DPS pourront être affectés à n'importe quel travail. En revanche, je ne classerai jamais certains autres DPS, que ce soit comme auxiliaires au sport, au nettoyage, à la cuisine ou aux ateliers. En effet, si tous les détenus présentent par nature un risque d'évasion, ce risque est beaucoup trop élevé chez certains d'entre eux. S'y ajoutent les risques d'agression envers les codétenus et le personnel.

De même, certains détenus, DPS ou non, pourront accéder à n'importe quelle activité sans poser de problème. À l'inverse, nous savons qu'il est inutile de permettre à certains détenus d'accéder à quelque activité que ce soit, car, en présence d'autres détenus, DPS ou non, ils déclencheront systématiquement une agression.

En revanche, tous les détenus sans distinction ont le droit d'accéder aux parloirs.

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Dans votre établissement, quels critères formels et informels observez-vous pour déterminer quelle personne peut occuper tel poste d'auxiliaire ? Ces critères ont-ils évolué depuis votre arrivée ? Dans ce cas, quels étaient-ils avant votre arrivée ?

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Je n'avais jamais pensé à cette question, mais ces critères n'ont pas évolué.

Un premier critère sera la compétence du détenu, s'agissant de postes où des compétences particulières sont requises, comme en cuisine. Certains postes cependant, comme celui auxiliaire d'étage, qui consiste à nettoyer l'étage, les douches, etc., ne nécessitent pas une compétence forte, et, aux ateliers, les détenus sont formés par le personnel de la régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP).

Le comportement du détenu jouera également, même s'il n'existe pas de critère strict d'évaluation à cet égard. Parmi les conditions pour être classé figurent l'absence d'agression envers un codétenu, sauf si elle remonte à plus de dix ans, ou si elle reste mineure, et l'absence d'agression envers le personnel. Un détenu qui se sera bien comporté sera classé à peu près n'importe où. Un détenu qui aura été « hyper-agressif » avec d'autres détenus ou envers le personnel ne sera pas classé. S'agissant des DPS, nous examinerons la présence d'autres DPS dans le secteur : par exemple, nous ne prendrons pas le risque de classer plus de deux ou trois DPS aux ateliers et plus d'un DPS en cuisine.

Enfin, nous examinerons également les risques d'évasion. Il est plus facile de s'évader dans certaines zones de la maison centrale que dans d'autres. Un détenu condamné à une très longue peine, par exemple à deux fois la perpétuité, et qui pourrait disposer d'aides extérieures, sera ainsi placé de préférence dans une zone située pleinement à l'intérieur de la détention.

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Au niveau de la vidéosurveillance, des carences en surveillance électronique, un manque de formation des agents, et un nombre trop grand de tâches à effectuer simultanément pour le personnel disposant d'un retour caméra ont été constatés. Quelles mesures de formation des agents avez-vous prises depuis le meurtre d'Yvan Colonna ? Depuis quand les avez-vous lancées, et pour quels agents ?

Continuez-vous à découvrir des postes stratégiques en matière de sécurité, par manque de personnel dans l'établissement ?

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Les postes ne sont jamais découverts dans les étages ou dans les miradors. Le poste le plus souvent découvert est le poste central de circulation (PCC), qui effectue la jonction entre le PCI, qui correspond plutôt à l'entrée de l'établissement, les deux bâtiments de détention, à gauche et en face, et les ateliers, à droite. Plus rarement, nous découvrons aussi le poste de porte d'entrée principale (PEP) numéro 2.

Découvrir ces postes est anormal, mais nous y sommes contraints en raison du nombre d'agents absents. Sept à huit agents sont en permanence en congé maladie, et six à sept en congé accident du travail ou agression, pour des arrêts qui remontent souvent alors à trois ou quatre ans. Certains agents sont arrêtés depuis 2016, 2017 ou 2020, et il est difficile de les pousser à la reprise. L'un d'eux a 39 ans et n'envisage aucune reprise, même dans un autre établissement, dans un service d'insertion ou à la direction régionale. Un dossier de commission de réforme sera donc instruit en ce qui le concerne.

S'y sont ajoutés, depuis mon arrivée, des arrêts de deux à trois jours, et un arrêt de dix jours pour une surveillante qui avait reçu un coup. Deux agents ont eu le poignet cassé : l'un récemment, lors d'une formation, qui est arrêté jusqu'à mi-février ; l'autre lors d'une intervention en quartier disciplinaire.

Un agent en accident du travail a toutefois été récupéré le 2 janvier. J'ai créé pour lui un poste de surveillance du rez-de-chaussée activité A ou B. Aucun poste n'est découvert dans les étages ou dans les miradors.

À mon arrivée, les agents recevaient une formation de six heures au PCI – le principal poste de surveillance, et le plus complexe – et de six heures à la PEP. Depuis l'agression d'Yvan Colonna, six heures de formation au PIC du bâtiment A et six heures au PIC du bâtiment B se sont ajoutées à ces douze premières heures. Neuf stagiaires arrivés quelques jours après l'agression, suivis un mois après par l'affectation de sept agents titulaires, en ont ainsi bénéficié, de même que quelques agents arrivés au mois d'août.

Depuis novembre, ces nouveaux agents, ainsi que les 40 qui n'avaient pas été formés depuis des années, suivent également une formation de trois heures au PCI et aux PIC, délivrée par les « agents PCI », qui ne prennent leur service qu'au PCI. Un document explicatif est fourni, et les diverses manières de réagir aux différentes alarmes du PCI – alarme incendie, alarme hyperfréquence en cas de présence dans les zones non construites, alarme en détention, etc. – sont présentées.

La direction régionale a également validé une demande de formation supplémentaire par le prestataire privé qui a conçu le système vidéosurveillance. Les 59 surveillants, mais aussi, à ma demande, les officiers et les gradés, seront ainsi formés pour un budget de 4 300 euros, à raison d'une heure trente par personne à partir du mois de février 2023.

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Vous veniez à peine d'être placé en responsabilité au moment des faits. Selon vous, l'évaluation de la radicalisation en milieu pénitentiaire en France est-elle efficiente ? Pourrait-on la rendre plus efficace ?

Durant votre carrière, avez-vous fréquemment échoué à identifier la dangerosité de certains détenus ? Constate-t-on fréquemment de la part des détenus une capacité à dissimuler une grande dangerosité ?

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

La radicalisation reste un problème relativement récent. L'administration pénitentiaire y est confrontée depuis 2015. De nombreuses mesures ont été prises : des évaluations, des binômes de soutien, la création des QER, la création des quartiers de prévention de la violence (QPV), ou encore la mise en place de formations, initiales et continues. Face à un tel problème, les mesures prises seront cependant toujours insuffisantes.

Les radicalisés ont en effet une capacité à se dissimuler supérieure à celle des autres détenus. La dangerosité de certains détenus violents ou apparemment « fous », même s'ils ne présentent pas toujours de véritable problème psychiatrique, est manifeste : à la moindre contradiction, ils peuvent agresser un détenu ou un membre du personnel. Nous en gérons ainsi une douzaine en quartier d'isolement avec des « protocoles » : c'est-à-dire que nous y montons en tenue d'intervention, généralement à quatre agents et un gradé, plus rarement à deux agents seulement. Certains détenus, radicalisés ou non, réussiront cependant toujours à dissimuler leur dangerosité, et deviendront soudainement violents, parce que leur femme les quitte, parce qu'ils reçoivent une nouvelle peine, ou encore parce que leurs enfants ne veulent plus les voir. Cependant, la dangerosité des radicalisés a toujours été la plus difficile à détecter.

Les systèmes et les procédures ont été multipliés à cette fin. Sans doute les QER seront-ils plus nombreux à l'avenir. Il faudra poser la question au directeur de l'administration pénitentiaire. Des progrès ont été réalisés, car, il y a quelques années, nous ne savions pas en quoi consistait la radicalisation. Un ou deux binômes de soutien, composés d'un éducateur et d'un psychologue, ont été mis en place par direction régionale. Ils voient les détenus que nous soupçonnons d'être radicalisés, mais seulement lorsque ces derniers l'acceptent. Or, généralement, ceux qui acceptent sont les moins radicalisés. En effet, il n'existe pas de système permettant d'obliger un détenu à rencontrer quelqu'un en prison.

Néanmoins, le dispositif reste imparfait, et le restera. Dans tous les établissements où je suis passé, hormis le premier, donc depuis 2004, j'ai toujours vu des détenus passer soudainement à l'acte, en agressant un membre du personnel ou un codétenu, sans explication, et alors même qu'ils ne présentaient pas de véritable problème psychiatrique. Au mois d'août, un détenu issu du grand banditisme, certes violent, mais qui se tenait bien jusque-là, s'est radicalisé en deux jours un samedi. Le mardi, il a méchamment agressé à coups de poing un codétenu, qui a dû être hospitalisé par deux fois.

La meilleure prévention consiste à s'assurer que les agents et l'encadrement connaissent les détenus autant que possible, les voient à l'audience, aillent à leur contact en détention et fouillent régulièrement leurs cellules. Aucune méthode ne permet cependant d'anticiper mathématiquement les passages à l'acte.

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La Corse a besoin de vérité. Je suis constamment interpellé dans la rue par mes concitoyens sur les incohérences qui empêchent de croire au scénario nous présentant un unique surveillant en bouc émissaire.

Comment croire par exemple que, malgré la présence de plus de 50 caméras dans l'ensemble de l'établissement, dont deux dans la salle de sport, où deux DPS étaient réunis, personne n'a été capable de voir qu'une agression y avait lieu durant plus de douze minutes ?

Yvan Colonna n'était pas en fin de peine, mais il avait fini sa peine de sûreté, il avait demandé un aménagement de peine quelques jours auparavant. À notre connaissance, aucun événement majeur n'en faisait un détenu plus dangereux que les autres.

Avec mes collègues MM. Acquaviva et Castellani, nous sommes retournés sur les lieux au mois de juillet, pour matérialiser les faits. Nous sommes aujourd'hui dans cette salle séparés d'une distance équivalente à celle qui séparait le premier gardien au poste de surveillance de la salle où Yvan Colonna a été agressé. Plusieurs personnes étaient également présentes dans d'autres cellules. Pourtant, personne n'aurait rien entendu. C'est également difficile à croire.

Nous avons donc besoin de vos éclairages. Les autres détenus ont-ils été entendus ? Qu'en est-il ressorti ?

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Cinq détenus étaient en effet présents dans l'aile : deux à la bibliothèque et trois dans « le gourbi », une salle commune qui sert de cuisine collective. Nous ne les avons pas interrogés, dès lors qu'une enquête judiciaire était en cours. Cependant, ils ont tous été entendus par la police, la sous-direction antiterroriste (SDAT), et par l'inspection. À l'inspection du moins, tous ont dit ne rien avoir entendu. Or, au regard des personnalités très fortes d'au moins deux de ces détenus, ils auraient dit avoir entendu quelque chose si cela avait été le cas.

Par ailleurs, je comprends qu'on s'étonne que personne n'ait rien vu sur la vidéosurveillance. J'étais en congé lorsque vous êtes venus en juillet, mais vous avez dû visiter le poste du surveillant du PIC A, qui est identique à celui du PIC B. Y sont exactement reportées 46 caméras, qui couvrent les cours de promenade, les deux étages et le rez-de-chaussée. Or, un seul surveillant est affecté à ce poste, très petit, où seuls deux écrans de caméras sont disponibles : il est complètement dépassé. Il doit répondre au téléphone, surveiller et ouvrir 15 portes et grilles sur appel de ses collègues par émetteur-récepteur, après s'être assuré que l'appel ne vient pas d'un détenu, ou qu'il est alors bien accompagné d'un agent. Il doit passer les consignes de l'encadrement aux agents d'étage. Il ne faut pas du tout croire que ce poste est équipé, comme certaines communes, d'un mur de caméras : chaque écran fait la taille d'une télévision d'appartement, et neuf « tuiles », correspondant à neuf caméras, y apparaissent successivement durant trois à quatre secondes. De plus, à l'époque, les surveillants suivaient uniquement le « scénario jour », consistant à surveiller prioritairement les étages et les déplacements collectifs des détenus. Ainsi, les caméras des salles d'activité n'étaient presque jamais regardées, car il n'est pas possible de demander à un agent de regarder simultanément 50 caméras. Or, le poste ne peut pas accueillir physiquement plus d'un agent, et les effectifs disponibles ne le permettraient pas. Le système a été conçu de cette manière et le modifier supposerait de réaliser des travaux très importants. Enfin, l'aile gauche, où a eu lieu l'agression, fait quand même 35 mètres, et l'agression y a eu lieu à plus de 25 mètres du poste de surveillance. L'agent du PIC ne pouvait donc absolument rien entendre de ce qui avait lieu dans cette salle. Ce n'est d'ailleurs pas son rôle.

Reste qu'un surveillant a mis 10 à 12 minutes pour passer, ce que l'inspection ne s'explique pas. Dont acte. On m'avait initialement dit qu'un groupe de détenus était présent dans l'aile droite, ce qui s'avère ne pas avoir été le cas. J'ai désormais pris des mesures pour que l'agent passe désormais 5 fois par heure au minimum, et pour que, lorsqu'il quitte une aile, l'agent du PIC examine systématiquement les caméras des salles d'activité de cette aile à tour de rôle.

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L'inspection relève le fait qu'en entrant dans la salle, Franck Elong Abé ne regarde pas les caméras, mais fait plutôt attention au gardien. Il semble donc connaître les priorités de surveillance dont elles font l'objet, d'après le scénario « jour » que vous venez d'évoquer, et qui vise davantage, dans les salles d'activité du moins, à disposer de preuves en cas d'événement qu'à prévenir un tel événement.

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Il fait en effet attention au surveillant, puisqu'on le voit vérifier que celui-ci s'éloigne après l'avoir fait entrer dans la salle.

Je ne peux cependant pas vous confirmer qu'il avait repéré le processus de surveillance. Peut-être se savait-il filmé et ne s'en souciait-il pas. Il est vrai en tout cas que les caméras étaient visibles, et qu'il s'en « moquait » totalement : il ne les a jamais regardées.

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Ce qui étonne, c'est « l'alignement des planètes » entre plusieurs faits, qui s'expliquent individuellement, mais qui, mis bout à bout, forment un ensemble invraisemblable.

Vous nous expliquez que le scénario de vidéosurveillance n'était pas adapté, et que c'était ainsi.

Tout à l'heure, Mme Puglierini nous a expliqué avoir choisi de ne pas suivre les recommandations des CPU, qui, à cinq reprises, avaient conclu à la nécessité d'une orientation au QER pour Franck Elong Abé, parce qu'elle avait préféré miser sur sa fin de peine. Là aussi, « c'est ainsi ». Pourtant, d'après l'inspection, seuls 13 TIS sur 500 ne sont pas passés en QER depuis la création des QER, et Franck Elong Abé fait manifestement partie des plus dangereux de ces 13 TIS.

S'y ajoute le fait qu'une maintenance vidéo de deux minutes ait été réalisée par la société de prestation au moment précis où Franck Elong Abé entrait dans la salle d'activité.

D'un point de vue politique ou démocratique, l'enchaînement de ces faits ayant conduit à l'agression manifeste donc, soit un cumul d'incompétences et de dysfonctionnements très grave, soit une préméditation ou davantage. L'Inspection générale de la justice parle ainsi d'une « extinction de la ligne hiérarchique », pour signifier qu'une défaillance est attestée à chacun de ses étages.

J'ai dit tout à l'heure à Mme Puglierini que son audition me paraissait inachevée, car nous n'avions pas toutes les réponses à nos questions, notamment sur le fait de savoir pourquoi elle avait refusé de transmettre les comptes rendus de CPU, et pourquoi elle considère que les incidents provoqués par Franck Elong Abé – un coup de tête, l'agression d'un membre du personnel, etc. – et qu'elle a masqués en audition libre, n'attestent pas suffisamment de la dangerosité de ce détenu : elle assume pour l'instant personnellement ses décisions, comme reposant sur sa seule interprétation subjective, dès lors qu'elle a rejeté toute influence de sa hiérarchie.

Lors des auditions libres, vous aviez dit qu'il n'y avait pas de cellule de renseignement dans la maison centrale. Un délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP) y est pourtant présent. Il sera d'ailleurs auditionné par notre commission. Pouvez-vous nous confirmer que vous n'avez pas d'autorité hiérarchique sur ce délégué local ? Connaissez-vous néanmoins l'organisation du renseignement, de l'établissement à la cellule centrale, concernant notamment la détection à la maison centrale d'Arles, sachant que seuls quatre DPS TIS y étaient présents ? Comment étiez-vous informés, en amont ou en aval, en cas de détection ?

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Il y avait quatre TIS au mois d'avril à la maison centrale d'Arles, mais il n'y en a plus aucun aujourd'hui. Néanmoins, nous en recevrons probablement d'autres dans les prochains mois.

La maison centrale accueille un DLRP, qui a le grade de capitaine et qui ne dépend pas de moi, mais de la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire (CIRP), dont le directeur à son tour ne dépend pas du directeur interrégional, mais, comme le DLRP, du service national du renseignement pénitentiaire (SNRP).

Nous travaillons en bonne intelligence avec le DLRP, qui circule en détention sans que tous les détenus sachent qu'il est DLRP, et qui dispose de sources de renseignement à l'intérieur comme à l'extérieur de maison centrale, avec les services de police adéquats. Lorsqu'il dispose d'informations, sûres ou non, il me les transmet immédiatement. Certaines de celles qu'il m'a transmises m'ont été confirmées, d'autres non, mais il vaut mieux qu'il en soit ainsi, afin qu'aucun risque ne soit pris. J'espère que ce fonctionnement est le même dans tous les autres établissements. C'est ensuite le DLRP, et non la direction locale, qui a des relations avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) au niveau local, dans les Bouches-du-Rhône. La CIRP en a probablement aussi.

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Vos propos ne m'ont pas permis de distinguer une radicalisation liée au terrorisme islamiste d'une simple radicalisation de comportement, qui pourrait être celle de détenus de droit commun. Or, j'ai compris que ce point constituait une difficulté dans le quotidien des gardiens, sachant aussi que cette notion de radicalisation reste relativement récente.

Lors des auditions libres du printemps 2022, Laurence Vichnievsky avait signalé que, selon le directeur de l'administration pénitentiaire, chaque maison centrale devait disposer d'une note de service relative à la surveillance des DPS. Avez-vous connaissance de ce document ? Ma collègue avait demandé à en avoir connaissance. Lui a-t-il été communiqué ? Quel est le niveau de sensibilité ou d'intérêt de ce document ?

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Ce document a été demandé dans le cadre de notre commission d'enquête parlementaire.

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Les notes de la DAP concernant les DPS sont publiées tous les douze à seize mois, généralement pour rappeler des règles inchangées. La dernière, de février 2022, a cependant demandé que les changements de cellule, jusque-là réalisés tous les trois mois dans tous les établissements, le soient désormais tous les six mois, ce qui est plus logique. En effet, les détenus s'habituent à leurs cellules, où ils aménagent leur « petit confort » au quotidien, et ces changements occasionnaient presque toujours des incidents, ce qui est moins le cas maintenant, du moins à Arles. À mon arrivée, la première note que j'ai signée, dès le 1er mars, était ainsi une note locale, que ma première adjointe avait préparée pour faire appliquer une note de la DAP publiée quelques semaines auparavant. Nous veillons ainsi à rester parfaitement en conformité avec l'ensemble des règles fixées par ces notes de la DAP. Un mois après, une note presque identique a été publiée concernant la surveillance des TIS. Ces règles portent sur l'observation, les changements de cellule, les fouilles périodiques, les fouilles intégrales, etc., ce qui permet d'uniformiser les traitements d'un établissement à un autre.

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Les changements de cellule se faisaient-ils exactement de la même façon sous la direction de Mme Puglierini. Le protocole de la DAP était-il respecté ?

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

C'est à elle qu'il aurait fallu poser la question. Je ne sais pas exactement ce qui se pratiquait avant le 1er mars. Il est en tout cas appliqué depuis.

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Avez-vous eu écho, dans les jugements de l'administration pénitentiaire, d'un risque d'évasion potentiel, ou de volonté d'évasion, de la part d'Yvan Colonna ?

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Le dossier d'Yvan Colonna ne fait état d'aucune volonté d'évasion de sa part. Il présentait un risque d'évasion au regard des connaissances dont il disposait en Corse, mais il ne disposait d'aucun moyen matériel à cette fin à ma connaissance.

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Vous venez de reprendre le critère retenu dans la justification des décisions réglementaires, qui devront être analysées, car elles ont été contestées devant les tribunaux. Le tribunal administratif de Toulon, notamment, a jugé qu'il y avait eu excès de pouvoir, avant que cette décision soit cassée en Conseil d'État, sur la forme cependant, et non sur le fond.

Au regard seulement du comportement et du parcours d'Yvan Colonna, présentait-il un risque d'évasion ?

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Rien n'est remonté à cet égard concernant une quelconque volonté de sa part de s'évader.

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À l'aune de ces faits, considérez-vous aujourd'hui qu'Yvan Colonna aurait pu mériter un rapprochement familial ? Était-il traité comme tous les autres détenus en matière d'accès aux visites, dès lors que sa famille – son fils, ses parents – était située en Corse, à plus de 550 kilomètres de la maison centrale d'Arles, et que le voyage coûte plusieurs centaines d'euros ?

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Juridiquement, Yvan Colonna ne pouvait pas être affecté en Corse, et à Borgo en particulier, puisqu'il avait le statut de DPS. Deux autres détenus corses sont dans la même situation à la maison centrale : ils ont le statut de DPS et ne peuvent pas partir en Corse.

Par ailleurs, si le statut de DPS avait été levé, Yvan Colonna aurait certes pu être rapproché de sa famille, mais il n'y a pas d'UVF à Borgo, alors qu'il y en a à Arles. Les deux détenus évoqués précédemment en bénéficient allègrement, ce qui est leur droit et ne pose aucun problème. Seuls des parloirs sont présents dans toutes les prisons.

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Combien de lieux permettant à des détenus de se retrouver à plusieurs comprend cet établissement ? Comment y sont-ils surveillés ? Une salle de sport comprend des équipements lourds pouvant servir à une agression. Pourtant, celle-ci n'était apparemment surveillée que par un seul agent PIC, situé assez loin dans un bureau, et par l'intermédiaire d'un système de vidéosurveillance aboutissant à deux écrans, sur lesquels la surveillance des caméras était en fait rendue impossible, surtout au regard des autres missions de cet agent, qui doit aussi ouvrir les portes de la prison et dialoguer avec ses collègues situés aux autres étages. Ce poste de sécurité ne répondait donc pas à ses missions premières de surveillance des détenus et des gardiens.

Quel dispositif a été mis en place pour éviter la reproduction d'événements similaires ?

Comment justifier que, malgré les défaillances de ce poste de sécurité, un surveillant soit resté à l'extérieur, pendant que deux détenus étaient laissés dans une salle où ils disposaient de tous les équipements requis pour commettre le pire ?

Cette situation est difficile à concevoir alors qu'en garde à vue, la surveillance est de chaque instant.

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Au rez-de-chaussée du bâtiment A, les détenus peuvent se retrouver à plusieurs dans 15 salles, petites ou grandes. Le bâtiment B compte 10 salles de ce type par aile, soit 20 au total. Depuis la crise sanitaire, et plus encore depuis l'affaire Colonna, le nombre de détenus par salle est cependant limité : à deux détenus maximum dans une salle de musculation, trois détenus dans les « gourbis », deux en bibliothèque, etc., ces chiffres dépendant ensuite de la taille des salles. Par ailleurs, un nombre maximum est fixé par aile : il est par exemple de 20 détenus maximum dans l'aile gauche du bâtiment A, où a eu lieu l'agression, et d'une dizaine dans l'aile droite, qui est beaucoup plus petite. Au bâtiment B, il est de 20 détenus maximum dans chaque aile. Si ce nombre est atteint dans chaque aile, cela signifiera sans doute que quelque chose se prépare, et qu'il faut s'inquiéter.

Le matériel de musculation n'est pas celui d'une salle classique. Aucun haltère n'y est présent depuis des années, et tout fonctionne avec des courroies, des chaînes, etc. Ce matériel est professionnel, fourni par des sociétés agréées, et fixé au sol avec des vis et des contre-écrous. On ne trouve pas ce type de matériel à Décathlon ou Intersport.

Un agent activité est prévu pour deux ailes au bâtiment B, et un pour une aile et demie au bâtiment A. Pour éviter la reproduction de ce type d'incident, dès qu'un agent activité quitte une aile pour une autre, ou pour se rendre dans le bureau de l'officier ou du gradé, il doit désormais se signaler à son collègue du PIC, qui doit immédiatement passer sur le scénario « salles d'activité », et examiner les salles d'activité les unes après les autres, en prêtant évidemment une attention particulière aux salles où sont présents des détenus.

Le bâtiment B comprend donc 20 salles à surveiller, sur deux ailes complètes de 35 et 37 mètres ; et le bâtiment A une aile et demie de 35 et 20 mètres. Les agents des PIC ne peuvent pas tout surveiller. Initialement, ces agents devaient uniquement surveiller les caméras des appels de grille, pour s'assurer que des détenus ne circulaient pas. Pour des raisons tenant à l'histoire de l'administration pénitentiaire, d'autres fonctions ont été ajoutées aux PIC : des caméras ont été ajoutées dans les couloirs, dans les escaliers, dans les salles d'activité et dans les cours de promenade, pour aboutir à 60 caméras au bâtiment A, et 70 au bâtiment B.

L'agent rez-de-chaussée activité, quant à lui, ne peut pas être présent simultanément dans les deux ailes dont il doit s'occuper.

En garde à vue, une surveillance constante est certes assurée, mais nous n'avons pas les effectifs pour disposer un agent derrière chaque salle d'activité. Je serais déjà très content d'avoir un agent par aile. Ce n'est cependant pas prévu dans l'organigramme de l'effectif de référence de l'établissement, qui comprend 151 postes, dont seuls 141 sont pourvus, en raison de mutations, de détachements et de nombreux départs vers les diverses polices municipales, d'une démission en cours, et surtout de difficultés considérables de recrutement au niveau national. Les inscrits au concours sont nombreux, mais les présents à l'écrit beaucoup moins, et tous les candidats retenus à l'écrit ne se présentent pas à l'oral. Du fait de notre système complexe d'heures de travail, il faudrait cinq agents supplémentaires pour qu'un agent soit présent en permanence dans chaque aile. Même alors, chaque agent ne pourrait cependant pas voir dix salles en même temps.

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J'ai lu que vous aviez un avis très personnel sur les motifs qui ont conduit Franck Elong Abé à commettre ce crime. Pouvez-vous davantage étayer cet avis ?

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Au départ, j'ai eu l'impression que Franck Elong Abé avait choisi quelqu'un de connu pour faire parler de lui, Yvan Colonna étant alors le détenu le plus médiatique présent dans l'établissement. Ce n'était cependant qu'une impression, et je ne sais pas si je maintiendrais aujourd'hui cet avis, car je ne dispose d'aucun élément permettant de la fonder. Cet acte avait-il été préparé ou non ? Je ne sais pas.

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Malgré un problème d'effectifs dans l'établissement, l'administration, voire la direction interrégionale ne semblent pas prendre la mesure du problème de vidéosurveillance qui se pose. Vous avez dit que vous formeriez prochainement des agents avec un budget de 4 000 euros, mais vous devez simultanément découvrir un poste, celui du PCC, ce qui vous oblige probablement à transférer l'ouverture de certaines portes au PCI, qui ne dispose peut-être pas d'une visibilité sur l'ensemble de ces portes. Vous avez dit que l'agent devait regarder les images caméra avant d'ouvrir les portes, mais je crois que ce n'est pas possible sur toutes les portes reliées au PCI.

Que demandez-vous à l'administration pour renforcer le système de vidéosurveillance actuel ? Peut-être vous faut-il des caméras supplémentaires, mais aussi des agents auxquels cette fonction seule pourrait être attribuée, à l'exclusion de toute autre fonction annexe simultanée.

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Lorsque le PCC est découvert, toutes les grilles et portes sont automatiquement transférées au PCI, qui dispose bien d'une visibilité par caméra sur chacune d'elles. Aucune ouverture n'est réalisée « à l'aveugle ». Toutefois, cela ajoute 12 grilles et portes à surveiller au PCI, qui a déjà d'autres missions.

Toutes les semaines, nous remontons hiérarchiquement une « note d'ambiance » recensant les principaux faits de l'établissement : incidents, mesures de quartier disciplinaire, grèves de la faim, nombre de congés maladie, etc. Les effectifs quant à eux sont officiellement remontés une fois par mois à la direction régionale, qui en est cependant informée au quotidien.

En tant que chef d'établissement, je demande que mes effectifs théoriques soient augmentés, mais aussi à ce qu'ils soient comblés. Cependant, avec les mutations prévues, en arrivée et en départ, au 1er mars, je perdrai encore trois agents, et je ne me fais pas d'illusion : je n'obtiendrai pas les 13 agents qui me manqueront alors, sachant que presque tous les établissements de France sont aussi en situation de sous-effectifs.

En matière de vidéosurveillance, j'ai demandé au budget 2023 une opération de gros travaux que je n'ai pas chiffrée, car cela dépasse mes compétences et celles de mes services. Il est toujours possible d'ajouter des caméras, mais le risque est alors qu'on ne puisse plus suivre leurs images dans les PIC : je ne suis donc pas sûr que ce soit la solution. En revanche, le rapport de l'inspection préconise de créer un poste ad hoc dédié exclusivement au suivi des images des caméras et au déclenchement d'alarmes, et non à l'ouverture de grilles. Cette solution pourrait être intéressante, mais ce type de poste n'existe qu'à Fleury-Mérogis, et peut-être à Fresnes, qui sont des établissements d'une autre taille que la maison centrale d'Arles. De plus, le coût de cette mesure dépasserait facilement 1 million d'euros, en comptant le report des systèmes et la création d'un poste à tenir en permanence, ce qui supposerait le recrutement de quatre ou cinq agents supplémentaires. Mettre en place cette mesure sans disposer des effectifs afférents serait donc « suicidaire ».

Pour l'instant, nous nous sommes donc limités à des petits travaux : le passage de caméras analogiques à des caméras IP, et le changement des tablettes dans les PIC. Je vais également proposer à ma direction régionale la suppression de certaines alarmes, mais il faut aussi penser à l'avenir, s'agissant d'une centrale sécuritaire.

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Comment ont été suivies les recommandations du rapport de l'Inspection générale de la justice ?

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Il faudra interroger le directeur de l'administration pénitentiaire sur les recommandations qui le concernaient. S'agissant des six recommandations qui m'étaient adressées, cinq ont été mises en œuvre à 100 %, d'août à décembre, ce qui a été acté à l'issue de la venue de la mission du contrôle interne, la semaine du 5 au 12 décembre, pour suivre la mise en œuvre des recommandations de l'IGJ, mais aussi des recommandations émises il y a un an et demi suite à une visite ordinaire. Tous les mois, un comité de suivi vérifie la mise en œuvre des recommandations de l'IGJ pour Arles et d'autres établissements, et le chef de mission m'a explicitement dit et écrit qu'on pouvait considérer que les recommandations de l'IGJ étaient désormais mises en œuvre, qu'il s'agisse de l'interdiction faite aux détenus auxiliaires de se rendre dans les salles d'activité lorsqu'elles sont utilisées, du fait d'impliquer davantage le surveillant PIC dans la surveillance des salles d'activité, ou encore d'améliorer la formation des agents.

La recommandation relative à la vidéo, quant à elle, n'a été mise en œuvre que partiellement, avec une demande de gros travaux pour restructurer le système, la mise en place de formations pour les agents, ainsi que la réalisation de petites modifications qui pourront être effectuées localement par la société sous-traitante.

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Des informations nous sont parvenues concernant des détenus qui auraient été situés dans le « gourbi », et qui voulaient intervenir, mais dont la porte était fermée. Ils souhaitaient être auditionnés par notre commission.

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Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Ils ont pourtant dit à l'inspection qu'ils n'avaient strictement rien entendu. L'un d'eux, qui a depuis été libéré, a précisément dit que, s'il avait entendu quelque chose, il serait intervenu, c'est-à-dire qu'il aurait crié, puisque la porte était fermée. Je ne sais pas ce qu'ils ont dit à la SDAT.

Outre ceux que je vous ai déjà envoyés rapidement, je pourrai, si cela vous intéresse, vous adresser huit ou dix autres documents, que j'ai collectés depuis le mois de juin : par exemple une note, préalable au rapport de l'IGJ, sur l'interdiction pour les auxiliaires de se rendre en salle d'activité lorsque des détenus y sont présents.

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Merci en effet de transmettre ces documents au secrétariat. Tout document permettant à notre enquête d'avancer sur le fond est attendu.

La séance s'achève à 18 heures 15.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Sabrina Agresti-Roubache, Mme Ségolène Amiot, M. Romain Baubry, M. Mickaël Cosson, M. Meyer Habib, M. Mohamed Laqhila, M. Emmanuel Mandon, M. Laurent Marcangeli, Mme Élisa Martin, M. Didier Paris, M. Thomas Portes, Mme Angélique Ranc, Mme Cécile Rilhac, M. Hervé Saulignac.

Assistaient également à la réunion. – M. Michel Castellani, M. Paul-André Colombani.