Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires a procédé à l'audition de M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

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Mes chers collègues, Nous accueillons ce matin M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

L'IRSN est l'expert public en matière de recherche et d'expertise sur les risques nucléaires et radiologiques. C'est un établissement public à caractère industriel et commercial, placé sous la tutelle conjointe des ministres chargés de l'écologie, de la recherche, de l'énergie, de la santé et de la défense.

L'IRSN exerce ses missions d'expertise et de recherche dans les domaines suivants : la sûreté nucléaire ; la sûreté des transports de matières radioactives et fissiles ; la protection de l'homme et de l'environnement contre les rayonnements ionisants ; la protection et le contrôle des matières nucléaires ; la protection des installations nucléaires et des transports de matières radioactives et fissiles contre les actes de malveillance.

L'Institut apporte un appui technique à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), au délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les installations et activités intéressant la défense (DSND) et aux autorités et services de l'État chargés de la protection et du contrôle des matières nucléaires. Il leur propose des mesures d'ordre technique, sanitaire et médical, en cas d'incident ou d'accident impliquant des sources de rayonnements ionisants.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées devant une commission d'enquête de déposer sous serment. Elles doivent jurer de dire toute la vérité, rien que la vérité. Avant de vous céder la parole, je vous invite donc, messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Jean-Christophe Niel et M. Georges-Henri Mouton prêtent serment.)

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie d'abord de nous avoir invités à être auditionnés par cette commission ; c'est un devoir et un honneur de vous rendre compte de nos activités et de répondre à vos questions.

Je suis accompagné par le président du conseil d'administration de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), M. Laurent Moché, qui a pris par intérim la succession de Mme Dominique Le Guludec, nommée présidente de la Haute Autorité de santé (HAS), par M. Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint, chargé des missions relevant de la défense, qui interviendra avec moi, et par Mme Audrey Lebeau-Livé qui suit les relations avec le Parlement.

Avant de revenir rapidement sur les missions et les priorités de l'IRSN comme vous m'y invitez, je voulais vous rappeler qu'à la création de l'Institut, le Parlement et le Gouvernement ont souhaité que, pour des raisons liées à la sensibilité de la matière traitée, des dispositions spécifiques soient prises pour la mise en oeuvre des missions de l'IRSN relevant de la défense et la sécurité. Comme le prévoit le décret de création de l'Institut, et dans ce cadre-là, en particulier, le directeur général de l'IRSN est donc assisté par un directeur général adjoint, poste aujourd'hui occupé par M. Mouton. Ce directeur général adjoint, nommé par décret pris sur rapport des ministres de la défense et de l'énergie, est chargé de mettre en oeuvre les missions de l'établissement dans les domaines de la défense et de la sécurité. C'est donc M. Mouton qui vous répondra sur ces questions.

Comme vous l'avez rappelé, l'IRSN est l'expert public du risque radiologique et nucléaire. C'est un établissement public doté de cinq tutelles : environnement, défense, énergie, recherche et santé ; vous comprendrez pourquoi en m'écoutant. C'est un organisme qui rassemble 1 800 personnes et qui traite de sûreté nucléaire, ce qui inclut la prévention des accidents nucléaires et la limitation de leurs conséquences, au cas où ils se produiraient néanmoins ; la sécurité nucléaire, c'est-à-dire tout ce qui a trait à la prévention des actes de malveillance ; la radioprotection, c'est-à-dire la protection des personnes –travailleurs, public ou patients – contre les usages des rayonnements ionisants. En effet, si on a tendance, en matière de risque nucléaire, à ne considérer que les grosses installations, au premier rang desquelles les réacteurs d'EDF, le champ d'intervention de l'Institut couvre également les rayonnements ionisants dans le domaine médical et leurs conséquences sur les soignants ou les patients.

Nous assurons, comme vous l'avez également mentionné, deux missions essentielles. D'abord une activité d'expertise au profit des autorités, qui consiste à mobiliser les connaissances existantes à l'appui d'une décision. L'IRSN procède donc à une évaluation des risques en toute indépendance par rapport à l'autorité, qui, en fonction de ses conclusions, prendra sa décision : c'est un schéma assez proche de celui des agences sanitaires, dans lequel les fonctions d'évaluation et de décision sont très nettement séparées. Cette séparation, voulue par le législateur, a été confirmée par la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte.

Les autorités pour lesquelles nous rendons des avis sont l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), l'Autorité de sûreté nucléaire défense (ASND), le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de la transition écologique et solidaire, ainsi que toutes les institutions ayant à traiter du risque radiologique ou nucléaire. Ainsi, le ministre de l'environnement peut-il nous interroger sur des sites pollués par la radioactivité, le ministère de la santé se tourner vers nous pour certaines questions d'ordre médical, le ministère de l'intérieur pour ce qui a trait à la gestion de crise ; je pourrais également citer le ministère du travail ou le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), bref : toute institution qui a à connaître de sujets concernant la radioactivité.

Nous rendons un peu plus de huit cents avis par an, la majeure partie – à peu près cinq cents – au profit de l'ASN, une centaine pour l'ASND et une centaine pour le haut fonctionnaire de défense et de sécurité.

Cette mission d'expertise se complète d'un accompagnement des inspections. Nous n'avons évidemment pas compétence pour mener des inspections mais avons la faculté d'accompagner les inspecteurs, à qui nous apportons notre connaissance de ce que sont les installations et des risques potentiels. Nous disposons également d'un centre de crise, permettant de pratiquer l'expertise en temps réel, soit dans le cadre d'exercices, soit lorsque survient une crise du type de l'accident de Fukushima.

J'ajouterai à cette mission d'expertise, la surveillance de l'environnement, directement confiée à l'IRSN par la loi et le règlement : nous gérons ainsi un réseau de balises ou d'instruments de mesure de la radioactivité, grâce auquel nous avons notamment pu mesurer, fin septembre début octobre, la pollution au ruthénium, dont il a beaucoup été question.

Nous avons également pour mission de surveiller l'ensemble des doses radioactives reçues par les 370 000 travailleurs exposés à la radioactivité, employés pour la plupart dans le secteur médical. La réglementation oblige ces travailleurs à être surveillés. Les doses qu'ils reçoivent sont enregistrées dans une grande base de données, dont nous avons la responsabilité. Chaque année, nous produisons un rapport sur le bilan des doses reçues.

Nous avons enfin la responsabilité du suivi des sources radioactives au titre de la protection contre les rayonnements ionisants.

En ce qui concerne les enjeux en terme de sûreté nucléaire, ils concernent notamment la prolongation de l'exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans, la mise en service d'installations comme le réacteur européen pressurisé – European Pressurized Reactor (EPR) – ou le Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), ou encore les démantèlements en perspective.

La seconde activité importante de l'Institut est la recherche, dont la vocation est avant tout d'alimenter notre expertise, laquelle doit être la meilleure possible, sachant que si la recherche alimente l'expertise, l'inverse est également vrai.

Quelque 40 % du budget de l'IRSN sont consacrés à la recherche, ce qui nous permet d'attirer les profils de haut niveau dont nous avons besoin. Pour l'essentiel, nos travaux de recherche se font en partenariat avec d'autres institutions en France, en Europe ou dans le monde : avec des homologues étrangers ou des Technical Safety Organizations, dont la plupart des pays sont désormais dotés ; avec les organismes de recherche comme le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), avec lequel nous avons amorcé un rapprochement, en particulier sur le site que nous partageons à Fontenay-aux-Roses, où nous animons un laboratoire de radiobiologie ; avec enfin les laboratoires académiques et les industriels, qui doivent être parties prenantes de cette recherche, sachant que, dans ce dernier cas des précautions déontologiques sont nécessaires pour que cette collaboration n'interfère pas avec notre expertise. Nous travaillons activement à renforcer ces partenariats au niveau national et international, notamment autour des plateformes techniques dont dispose l'IRSN, certaines de ces plateformes étant récentes et donc particulièrement intéressantes pour la recherche des années à venir.

À titre d'exemple de nos travaux de recherche, nous travaillons actuellement sur un programme destiné à étudier le comportement accidentel du combustible nucléaire. Nous avons donc élaboré un réacteur, baptisé Cabri, sur lequel, dans quelques semaines, nous allons simuler un accident pour observer le comportement du combustible. Les données que nous récupérerons iront alimenter des codes qui nous permettront d'affiner notre expertise.

J'insisterai enfin sur le souci d'ouverture qui nous anime, dans le respect, naturellement, des règles de confidentialité qu'exigent certains sujets. C'est dans cette optique que nous dialoguons notamment avec l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) et les experts non institutionnels. Ces dialogues ont notamment eu lieu lorsque se posait la question de la prolongation d'un réacteur au-delà de quarante ans, à propos de la cuve de l'EPR ou à propos de Cigéo. Dans ce dernier cas, la démarche a été assez novatrice puisque le dialogue a eu lieu en cours d'expertise.

Cette démarche d'ouverture à la société s'applique évidemment à l'expertise, mais elle s'applique également à la recherche, grâce à une structure très originale dont l'IRSN est l'un des rares établissements, avec l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), à disposer : il s'agit du Comité d'orientation des recherches (COR), qui rassemble des élus, des associations, des industriels et des institutionnels en vue de réfléchir sur les enjeux sociétaux liés à la recherche.

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La loi relative à la transition énergétique a clarifié les relations entre vous-mêmes et l'ASN. Cette clarification vous a-t-elle permis de parvenir à des relations satisfaisantes, ou des modifications vous semblent-elles encore souhaitables ?

La multiple tutelle qui pèse sur l'IRSN est-elle un facteur de contrainte ou de complexification ? Vous oblige-t-elle à établir une hiérarchisation entre vos tâches ?

Considérez-vous enfin que l'IRSN dispose des moyens humains, financiers et juridiques suffisants pour mener à bien ses missions ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

L'ASN est évidemment un interlocuteur majeur de l'Institut et, sur les mille huit cents personnes qui travaillent pour nous, quatre cents environ sont affectées aux missions d'appui à l'ASN, l'IRSN évaluant les risques, l'ASN prenant ses décisions en fonction des évaluations fournies par l'IRSN.

Nous produisons chaque année près de cinq cents avis d'accompagnement d'inspection ou de gestion de crise, ce qui nécessite un protocole extrêmement structuré. Dans le cadre de ce protocole pluriannuel, chaque expertise fait l'objet d'une convention annuelle, son contenu ainsi que son cadre technique étant discutés en amont lors de la saisine. Le système, conforté par loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte, me semble être opérationnel et répondre aux objectifs assignés, l'ASN et l'IRSN étant, selon moi, en phase sur le processus.

En ce qui concerne la séparation entre l'expert et le décideur, l'évaluateur et le prescripteur, elle a pour fonction de ne pas faire porter le poids de la décision sur l'instance d'évaluation, selon la même logique que celle qui a présidée à la mise en place des agences sanitaires.

Pierre-Franck Chevet, que vous auditionnez ce soir, vous dira en quoi la loi sur la transition énergétique a donné de nouvelles prérogatives à l'ASN. En ce qui concerne l'IRSN, elle a inscrit son statut dans la loi et renforcé son rôle en matière de recherche ; elle a surtout demandé à l'IRSN, de rendre ses avis publics, à l'exception de ceux qui sont soumis à une obligation de confidentialité, notamment au titre de la défense et de la sécurité.

En ce qui concerne notre tutelle multiple, nous ne sommes pas le seul organisme à relever de cinq tutelles, puisque c'est également le cas de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Notre quintuple tutelle s'explique par la diversité de nos missions, de nos activités et des sujets dont nous avons à connaître. Ainsi, nous dépendons du ministère de l'environnement, pour ce qui relève de la sureté nucléaire ; du ministère de la santé pour l'effet des rayonnements ionisants dans le domaine médical ; du ministère de la défense pour tout ce qui concerne les problématiques liées à la défense et à la sécurité du territoire ; du ministère de l'énergie et enfin du ministère de la recherche, pour des raisons évidentes. Dans la mesure où tous ces ministères sont plutôt bienveillants avec nous, cette multiple tutelle ne constitue pas réellement un problème à mes yeux. Chacune assume notamment son rôle au sein du conseil d'administration, en assistant l'IRSN dans ses choix et ses grandes orientations.

Plus complexe en revanche est la gestion des autorités multiples auxquelles nous répondons, qui nous oblige en permanence à hiérarchiser et à prioriser telle ou telle mission. Nous intervenons en effet dans un domaine où l'imprévu a toute sa part, ce qui nous oblige en permanence à reconsidérer nos priorités. Ainsi, lorsque survient, par exemple, le problème de la digue du Tricastin, il devient naturellement prioritaire. Nous disposons de processus internes pour hiérarchiser ce type d'interventions.

Vous m'interrogez sur nos moyens. En 2014 et 2016, les moyens alloués à l'ASN et à l'IRSN devaient leur permettre de faire face à une série d'enjeux exceptionnels, comme la poursuite de l'exploitation de certains réacteurs, l'EPR ou Cigéo. Nous nous félicitons qu'en 2017 et 2018, notre budget reste stable, car je sais que, dans le contexte budgétaire qui est le nôtre, beaucoup d'organismes n'ont pas la chance de l'IRSN. Reste que, malgré cet effort budgétaire, nos moyens demeurent insuffisants.

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C'est une question très importante dans la mesure où il s'agit de la sûreté et de la sécurité nucléaires. Concrètement, considérez-vous que le fait que vos moyens soient insuffisants peut engendrer des risques, tout simplement parce que vous ne pouvez pas remplir vos missions dans de bonnes conditions ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Si nous étions dans une situation qui présente des risques pour la sûreté et la sécurité, je le dirais évidemment publiquement, mais nous n'en sommes pas là. Les conséquences du manque de moyens se mesurent surtout par leur incidence sur le processus de traitement des dossiers, en nous conduisant, par exemple, à retarder des expertises, ce qui peut également avoir des conséquences pour les industriels. Tout ceci a été documenté au moment de la discussion budgétaire, en 2014 et en 2016.

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Parmi vos missions figure la surveillance des doses de radioactivité reçues par les travailleurs qui sont en contact avec des matières nucléaires. On sait que les personnels d'EDF ou d'Orano sont suivis de très près, mais qu'en est-il du personnel des entreprises sous-traitantes qui travaillent sur les sites nucléaires : ces entreprises font-elles l'objet des mêmes enquêtes administratives ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Le nombre de travailleurs surveillés est d'environ 370 000, dont 25 000 qui travaillent chez EDF. Pour les autres travailleurs, notre base de données ne nous permet pas en l'état de déterminer lesquels travaillent pour des sous-traitants, mais c'est un sujet sur lequel nous travaillons.

Globalement, nos chiffres montrent que, sur 370 000 personnes, 14 000 ont reçu une dose supérieure à 1 millisievert, un ou deux cas seulement ayant dépassé la limite réglementaire des 20 millisieverts. En ce qui concerne EDF, la dose moyenne reçue par les travailleurs et de l'ordre de 1 millisievert, aucun cas n'ayant été répertorié au-dessus de la dose limite de 20 millisieverts.

Si je ne suis pas en mesure de vous fournir de chiffres précis pour les sous-traitants, j'attire néanmoins votre attention sur le fait que, dans la mesure où l'essentiel des activités en arrêt de tranche sont sous-traitées et où c'est lorsque le réacteur est à l'arrêt que le risque de radioactivité est le plus élevé puisque l'on intervient dans le réacteur, il a été établi que les travailleurs sous-traitants recevaient en moyenne des doses de radioactivité plus élevées que les personnels d'EDF, qui ne font pas les mêmes métiers.

Quant aux dispositions réglementaires, elles s'appliquent à tous les travailleurs.

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En matière de sûreté, les enjeux sont au nombre de trois, à savoir la prolongation de certains réacteurs au-delà des quarante ans, les mesures à prendre pour mettre les installations aux normes post-Fukushima et la question de Cigéo. Où en est-on aujourd'hui de la mise en oeuvre des dispositions de sûreté dites « noyau dur post-Fukushima » exigées par l'ASN auprès d'EDF ? Les mesures déjà mises en oeuvre vous semblent-elles satisfaisantes, et comment voyez-vous la suite ? Avez-vous une idée de ce que cela représente en termes d'investissement pour les exploitants ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Suite à l'accident de Fukushima, la France a, comme les autres pays, pris un certain nombre de mesures visant à renforcer la sûreté des installations. Il s'agissait en premier lieu de se prémunir contre ce qu'on appelle les agressions externes, comme ce qui s'est produit à Fukushima, c'est-à-dire contre un séisme ou une inondation de très grande ampleur.

Dans cette perspective, l'objectif de la démarche « noyau dur », d'ailleurs proposée par l'Institut, était triple : prévenir la survenance d'un accident grave ou à tout le moins limiter ses effets ; prévenir les rejets radioactifs à grande échelle ; faciliter la gestion de crise, pour éviter ce qui s'est produit à Fukushima, où les opérateurs japonais ont eu du mal à intervenir sur le site après l'accident.

Cette démarche comporte trois phases. La première, qui est aujourd'hui achevée, a consisté à mettre en place des moyens mobiles supplémentaires, pour amener l'électricité et l'eau sur les sites : à Fukushima, en effet, le séisme a détruit les pylônes, et l'inondation a noyé les circuits électriques. A également été détruite la source froide indispensable pour refroidir les réacteurs, d'où la nécessité de prendre également des mesures pour garantir le maintien de l'alimentation en eau froide des systèmes de refroidissement.

Dans le cadre de cette première phase, la France a également créé une force d'action rapide nucléaire (FARN), constituée d'équipes dédiées positionnées en permanence sur plusieurs sites EDF et prêtes à se projeter en appui des équipes locales en cas d'accident sur un site.

La deuxième phase est encore en cours. Elle concerne essentiellement la mise en place du diesel ultime secours (DUS), c'est-à-dire l'installation de très gros appareils capables de résister aux agressions extérieures pour fournir de la puissance électrique après un accident. Je ne dispose pas d'un état des lieux site par site, mais la couverture du parc en DUS devrait normalement être achevée fin 2018.

La seconde mesure importante de cette deuxième phase et la mise en place de centres de crise durcis : dans leur malheur, les Japonais ont en effet eu une chance, c'est qu'ils disposaient, sur le site de Fukushima, d'un centre de ce type, qui n'existe pas dans toutes les centrales mais a permis en l'occurrence aux équipes d'avoir un point de repli où travailler et se reposer.

La troisième phase est assez spécifique à la France et se compose de mesures qui n'ont pas nécessairement été adoptées par les autres pays. Il s'agit d'abord d'installer sur les sites une source froide alternative permettant de refroidir le réacteur en cas d'accident. Il s'agit ensuite de protéger l'intégrité de l'enceinte afin d'éviter les fuites radioactives : si un accident empêche le combustible de se refroidir, sa température va augmenter au point qu'il peut fondre et passer au travers de la cuve du réacteur ; l'énergie dégagée est alors tellement importante que, si elle n'est pas évacuée, la pression va augmenter jusqu'à abîmer l'enceinte, ce qui est la chose à éviter absolument. EDF doit donc mettre en place des dispositifs ad hoc, selon un calendrier qui s'organisera en fonction des visites décennales, jusqu'en 2030.

À ce dispositif en trois phases, il faut également ajouter une série de recherches en cours à l'IRSN, l'Agence nationale de la recherche (ANR) ayant décidé de financer plusieurs programmes expérimentaux destinés notamment à étudier le refroidissement du combustible en réacteur et en piscine. Nous construisons actuellement à cet effet sur l'un de nos sites, une piscine à l'échelle 16e. Nous achevons également une étude sur l'ingestion de comprimés d'iode. Jusqu'à l'accident de Fukushima, en effet, la doctrine était que des cachets d'iode étaient distribués de manière préventive à la population, l'autorité responsable indiquant le cas échéant, en cas d'émanations radioactives, à quel moment prendre ces cachets, dont l'effet est d'éviter que l'iode radioactif ne se fixe sur la thyroïde. Or l'accident de Fukushima a montré que les rejets radioactifs pouvaient se prolonger au-delà de quelques heures, ce qui pose la question des dosages d'iode. Nous sommes donc en train de travailler sur les effets d'une prise répétée de comprimés d'iode.

En ce qui concerne enfin le coût global de ces mesures, cela ne relève pas directement de mon champ de compétences, et je ne saurais donc répondre à votre question.

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Un certain nombre d'incidents ont été rapportés concernant des installations nucléaires. Avez-vous le sentiment que ces incidents traduisent une dégradation de nos installations ? Quelles en sont les conséquences sur la possibilité de prolonger certaines de nos centrales au-delà de quarante ans ? Cette prolongation vous paraît-elle techniquement et financièrement réalisable ? J'entends bien que sur ce dernier aspect de la question, votre réponse sera moins documentée, mais nous avons besoin de votre expertise pour évaluer l'ampleur du travail que nécessite une utilisation prolongée de nos réacteurs au-delà de quarante ans.

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

La sûreté des installations nucléaires et la possibilité de prolonger leur emploi après quarante ans dépend d'une part de la conception des centrales, qui doivent être conçues de manière à pouvoir faire face aux accidents, et, d'autre part, de l'exploitation, car une installation bien conçue mais mal exploitée peut présenter des risques. Or il arrive qu'un réacteur parfaitement sûr à un moment donné, voie son niveau de sûreté décroître pour des raisons liées à son exploitation, par exemple à des problèmes de management.

Pour que la prolongation puisse être validée, la loi de 2006 sur la transparence et la sécurité nucléaire a donc rendu obligatoires des réexamens de sûreté tous les dix ans, sachant qu'auparavant ces examens étaient réalisés de manière systématique pour les réacteurs d'EDF, mais pas pour les autres installations. Ces réexamens de sûreté se composent d'une part d'une analyse approfondie de la conformité de l'installation à certains critères et, d'autre part, d'une amélioration du niveau de sûreté. En d'autres termes, l'Autorité de sûreté nucléaire exige des opérateurs que, à l'occasion du réexamen qui va accompagner le passage au-delà de quarante ans – ce qu'on appelle la quatrième visite décennale –, le niveau de sureté des réacteurs soit élevé à la hauteur de ce qu'il est pour les réacteurs plus récents, de troisième génération.

Je souligne qu'il s'agit là d'une exigence française et européenne – elle a été reprise dans la directive Euratom de 2009, modifiée en 2014 suite à l'accident de Fukushima –, mais que ce n'est en aucun cas une pratique qui s'est généralisée au niveau mondial, les États-Unis demeurant pour leur part dans une logique qui consiste à maintenir le niveau de sûreté requis, sans chercher à l'améliorer.

Concrètement, les réacteurs de nouvelle génération, dits de troisième génération, comme l'EPR, ont été conçus en intégrant les leçons de l'accident survenu à Three Mile Island en 1979, lequel n'avait pas été anticipé par les concepteurs de la centrale américaine. Ces derniers avaient en effet imaginé que l'accident le plus grave qui puisse intervenir était la rupture de la canalisation la plus grosse ; ils furent contredits par les faits, qui montrèrent que des dysfonctionnements plus subtils pouvaient s'avérer tout aussi lourds de conséquences.

À l'époque, la plupart des réacteurs en activité aujourd'hui avaient déjà été conçus et n'intégraient donc pas les enseignements de l'accident de Three Mile Island. Il a donc fallu les améliorer, ce qui a donné lieu au développement de toute une industrie spécialisée dans l'accidentologie nucléaire.

En revanche, les réacteurs de nouvelle génération, construits à partir de la fin des années 1980 et du début des années 1990, intègrent, eux, ce type de risques. Concrètement, ils sont équipés, sous la cuve, d'un core catcher, un récupérateur de corium ou cendrier, censé recueillir le combustible fondu qui aurait traversé la cuve. Réfractaire, le récupérateur de corium va arrêter la progression du combustible et faire en sorte qu'il ne traverse pas le radier et ne se répande pas dans l'environnement.

Pour en revenir aux réacteurs d'ancienne génération, la question est de savoir comment, concrètement, on se rapproche de ces nouvelles normes. EDF, en effet, considère qu'il est impossible, faute de place, de rajouter des core catchers sous les cuves. En revanche, l'opérateur affirme qu'il est possible d'arriver au même résultat en travaillant sur les interactions entre corium et béton. L'IRSN est évidemment investi dans la recherche sur cette question. Il reste que, pour l'heure, au titre de notre expertise, nous ne sommes pas en mesure de conclure qu'il y a là une solution adaptée et satisfaisante. En tout état de cause, à l'issue de leur quatrième visite décennale, les réacteurs de deuxième génération auront atteint un niveau de sûreté supérieur, mais en deçà néanmoins du niveau de sureté des réacteurs de troisième génération. On ne peut en effet faire du neuf avec du vieux, toute la question étant de savoir si le niveau de sûreté atteint est néanmoins considéré comme suffisant.

Vous avez évoqué les incidents survenus dernièrement. Il faut ici distinguer les événements nucléaires et les incidents, inclus dans les précédents. Là encore nous avons eu à tirer des enseignements de l'accident de Three Mile Island. En effet, dix-huit mois auparavant, une séquence accidentogène identique s'était déroulée sur un autre réacteur sans que, grâce à une meilleure réaction des opérateurs, l'accident se produise. Malheureusement, à l'époque, rien n'obligeait les opérateurs à rendre publics ces événements, qu'ils gardèrent donc pour eux. Pour éviter que ne se reproduisent de tels manquements, il est désormais exigé des opérateurs qu'ils se livrent à un retour d'expérience et déclarent toute survenue d'événement à leur autorité afin qu'elle puisse être partagée au niveau mondial.

Les événements ainsi déclarés – un peu plus de six cents par an en France – sont ensuite répertoriés en fonction de leur degré de gravité. Pour la plupart d'entre eux, l'impact sur la sûreté est peu significatif. En ce qui concerne les autres, ils sont classés – sur une échelle de gravité de 1 à 7 – au niveau 1 ou 2, le niveau 3 n'étant en général jamais atteint. On a ainsi dénombré en 2017, 64 événements de niveau 1 ainsi que 4 incidents de niveau 2, ce qui ne s'était plus produit depuis 2012. Ces quatre incidents peuvent signifier deux choses : soit que le niveau de sûreté des installations s'est dégradé, soit que les investigations ont été poussées plus loin qu'elles ne l'étaient auparavant, EDF ayant dernièrement engagé une série d'examens visant à déceler les points de non-conformité de ses installations.

Il est donc difficile d'évaluer le niveau de sûreté sur la seule base du nombre d'incidents survenus, et nous n'avons pas les moyens à ce stade de définir clairement la cause de cette remontée des statistiques. Sachant que les événements de niveau 1 connaissent depuis plusieurs années une baisse limitée mais régulière, nous considérons qu'il n'existe aucun signal tangible témoignant d'une dégradation de la sûreté. Nous estimons en revanche que les opérateurs doivent faire preuve d'une vigilance particulière dans au moins deux domaines, celui d'abord de la conformité des installations et celui ensuite de la perte de qualité liée à la maintenance.

Les réacteurs nucléaires font l'objet d'opérations de maintenance régulières qui sont soit programmées – c'est-à-dire inscrites dans le calendrier d'entretien –, soit réactives – c'est-à-dire faisant suite à un événement particulier. Or il arrive que ces opérations de maintenance, parce qu'elles ne se déroulent pas comme il aurait fallu, introduisent de la non-conformité dans le système et que cette non-conformité ne soit décelée que longtemps après. L'IRSN appelle donc EDF à la plus grande vigilance en la matière, car l'effort fait pour augmenter le niveau de sûreté des installations sera nécessairement obéré si l'installation n'est pas conforme. L'opérateur est donc appelé à intensifier ses examens de conformité.

Pour en revenir aux quatre incidents de niveau 2 survenus en 2017, ils concernent précisément des points de non-conformité relativement anciens. Deux d'entre eux avaient trait pour l'un à l'ancrage, pour l'autre au vase d'expansion des diesels de secours, c'est-à-dire à l'accroche au sol et au système permettant d'absorber les variations de l'eau de refroidissement des systèmes électriques. Le troisième incident concerne la dégradation du réseau d'alimentation en eau contre les incendies, qui aurait pu, en cas de séisme maximum de sécurité (SMS), provoquer l'inondation des locaux. Le quatrième enfin a trait à l'insuffisante résistance de la digue du Tricastin.

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Nous interrogerons l'ASN pour savoir pourquoi elle a déclarée apte au fonctionnement la cuve de l'EPR de Flamanville malgré la détection d'éléments non conformes, mais j'aimerais vous interroger sur un livre paru récemment, qui évoque des défauts découverts sur les cuves de réacteurs belges. À votre connaissance, des examens ont-ils été menés, depuis la découverte de ces problèmes en Belgique, pour s'assurer que les cuves de notre parc étaient exemptes de ces défauts, sachant que, si j'ai bien compris, seule la première épaisseur de la cuve était régulièrement surveillée jusqu'à présent ? Pouvez-vous par ailleurs nous dire si vous disposez de résultats qui confirmeraient les affirmations publiées dans ce livre, selon lesquelles des défauts ont été détectés dans six cuves sur lesquelles les contrôles n'avaient auparavant rien donné, affirmations que conteste EDF ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Nous avons découvert ce livre au moment de sa parution et n'avons jamais rencontré ces auteurs ; nous sommes d'ailleurs tout disposés à le faire. Il s'agit d'un livre qui aborde de nombreux sujets dont celui des cuves, problème qui concernerait une série de réacteurs au sujet desquels l'IRSN n'a pas d'information particulière mais pour lesquels nous sommes naturellement preneurs de tous renseignements utiles.

En ce qui concerne les défauts dus à l'hydrogène découverts sur les cuves du réacteur de Doel, l'ASN, conformément à la pratique des retours d'expérience, a demandé à l'époque demandé à EDF de réexaminer les documents de fabrication de ses cuves afin de vérifier qu'elles ne comportaient pas les mêmes défauts, sachant que, sur les vingt centimètres d'épaisseur de paroi, les défauts dus à l'hydrogène sont susceptibles de se trouver sur les huit premiers centimètres. EDF n'a rien trouvé. Par ailleurs, il lui a également été demandé d'effectuer des sondages sur les cuves : six ont ainsi été contrôlées sur toute leur épaisseur sans qu'aucun défaut n'ait été détecté. Voilà en tout cas ce que je possède comme informations. Elles sont d'ailleurs publiques et figurent sur le site de l'Institut.

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Donc, pour vous, les cuves ne présentent aucun défaut dû à l'hydrogène ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Ce que je peux dire, c'est que, selon nos analyses, il n'y a pas de défauts. Maintenant, s'il existe des éléments tendant à démontrer le contraire, nous sommes évidemment preneurs et sommes tout prêts à les étudier.

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Quels sont, selon vous, les risques que comporte pour la sûreté nucléaire une mauvaise maîtrise de la sous-traitance ? Je pense en particulier au défaut de compétence pouvant découler de l'absence de procédures ou de modes opératoires standardisés ou, à tout le moins, de retards dans leur mise à jour, sachant qu'il faut en moyenne deux à trois ans pour former un chef de quart pour une station de traitement des effluents.

L'IRSN impose-t-elle des protocoles spécifiques aux sous-traitants pour garantir la sûreté des installations ?

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Vous nous avez rassurés en nous expliquant, non seulement que les problèmes budgétaires n'affectaient nullement la sûreté de nos installations nucléaires, mais que, de surcroît, le « grand carénage » devrait se traduire par son renforcement, ce qui est plutôt positif. Pourtant, dans le même temps, vous avancez, pour expliquer les quatre événements de niveau 2 qui se sont produits en 2017, une double hypothèse : soit que des investigations plus poussées ont permis de déceler des failles qui n'avaient pas été détectées auparavant, soit que la sûreté s'est dégradée. Il y a là selon moi un paradoxe. En effet, si ces événements de niveau 2 n'étaient pas détectables auparavant, c'est donc que l'indicateur de sûreté était biaisé, et tout nous porte à douter de ce qu'il est aujourd'hui : si le niveau de sûreté ne se mesure pas à la quantité d'événements signalés, sur quelle base en effet pouvez-vous affirmer que nous avons en France un bon niveau de sûreté ?

Vous nous avez par ailleurs expliqué que l'IRSN avait un rôle d'expert, tandis que les arbitrages étaient du ressort de l'ASN. Pouvez-vous nous préciser ce qui, dans les choix que doit faire l'ASN, est susceptible de contrebalancer votre expertise technique sur la sûreté nucléaire ? Ne pensez-vous pas qu'il faudrait également joindre à cette expertise technique une expertise financière, dès lors que finit par se poser la question du coût marginal de la sûreté ? Quel arbitrage rendre lorsqu'il est préconisé d'augmenter le niveau de sûreté mais que le coût de cette augmentation est jugé financièrement disproportionné ?

En ce qui concerne ensuite les radiations auxquelles est susceptible d'être exposée la population, qu'est-ce qui procède de l'activité nucléaire civile, qu'est-ce qui procède de l'activité médicale et qu'est-ce qui procède de sources nucléaires extérieures ? De ces trois sources, laquelle a le plus d'impact sur la santé des Français ?

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Le budget de recherche représente, à ma connaissance, une part importante du budget total de l'IRSN. Or, en tant que rapporteur budgétaire de la prévention des risques, j'ai pu constater que ce budget subissait depuis plusieurs années une érosion aujourd'hui de l'ordre de 10 %. Quel est l'impact de cette érosion sur votre activité et, par voie de conséquence, sur la sécurité et la sûreté de nos installations nucléaires ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Madame Krimi, la sous-traitance est un choix industriel, qui se justifie notamment lorsque l'opérateur veut avoir recours à des compétences spécifiques. Aujourd'hui, EDF sous-traite ainsi 80 % de la maintenance sur le gros matériel, sachant que la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte et les décrets en découlant ont limité à trois les niveaux de sous-traitance.

En 2015, l'IRSN a réalisé, à la demande de l'ASN, une expertise de la sous-traitance des activités d'EDF. Cette expertise a été conduite sur trois sites, où nous avons interviewé cent soixante personnes et observé quarante interventions. Nos conclusions ont montré qu'EDF avait mis en place des dispositifs techniques et organisationnels lui permettant de maîtriser les activités sous-traitées, tout en mettant cependant en lumière quelques points de faiblesse dans les processus de vérification par EDF de l'aptitude de ses sous-traitants à adapter les opérations dont ils avaient la charge aux exigences requises en termes de sûreté.

Nous avions également recommandé de renforcer les dispositions permettant aux sous-traitants de faire face aux aléas susceptibles de survenir lors de leurs interventions. Les arrêts de tranche sont en effet des chantiers très complexes à gérer, et une modification du calendrier peut engendrer pour le prestataire toute une série de difficultés en termes de disponibilité du personnel, des outils ou de l'interface avec d'autres chantiers.

Notre troisième préconisation enfin était de renforcer les retours d'expérience des sous-traitants vers EDF.

En résumé, les conclusions de notre expertise en matière de sous-traitance conduisaient à préconiser le passage d'une relation client-fournisseur à une logique de coconstruction.

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Avez-vous évalué les problèmes de sécurité que peut poser la sous-traitance, en particulier pour ce qui concerne les risques d'attentats ?

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Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint de l'IRSN, chargé des missions relevant de la défense

L'IRSN ayant lui-même recours à des équipes de sous-traitants, nous sommes particulièrement sensibles à cette question, et procédons à des contrôles réguliers selon les procédures générales de contrôle des habilitations du personnel pénétrant sur les sites à caractère nucléaire.

Afin de renforcer ces procédures de renseignement et d'habilitation, et compte tenu des nouvelles menaces, l'État a décidé l'an dernier de la création du commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (COSSEN). Nous sommes actuellement dans une phase de transition entre l'ancien système et la montée en puissance du COSSEN, dont les responsables sauraient vous éclairer plus en détail sur les nouvelles procédures mises en oeuvre. Je puis en tout cas dire qu'en matière de contrôle, les sous-traitants sont traités de la même manière que les entreprises publiques ou EDF – nous avons pu le constater dans quelques cas délicats.

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Monsieur Aubert, nous n'avons pas d'éléments montrant une évolution significative du niveau de sûreté de nos installations, puisque, comme je l'ai indiqué, la comptabilité du nombre d'incidents est complexe à interpréter dans la mesure où elle peut traduire soit une plus grande précision de nos observations soit, dans le cas de l'augmentation que nous avons connue en 2017, une dégradation de la sûreté.

J'attire néanmoins votre attention sur le fait que, au-delà du constat global, nous avons ponctuellement mis en exergue plusieurs points nécessitant un renforcement de la vigilance, à savoir la non-conformité, la non-qualité de maintenance et la rigueur d'exploitation.

Les non-conformités sont un problème essentiel puisque, si une installation n'est pas conforme à ce qu'elle devrait être, cela peut évidemment en compromettre la sûreté. C'est la raison pour laquelle nous considérons qu'EDF doit renforcer et y systématiser la recherche de non-conformités sur ses installations, afin qu'elles ne soient pas découvertes fortuitement.

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Je me permets de réitérer ma question : quel est l'indicateur qui permet de juger de la sûreté d'une installation, si les incidents ne permettent pas selon vous de l'évaluer correctement ? Existe-t-il un relevé des incidents de non-conformité, suivi d'année en année ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Il n'existe pas d'indicateur synthétique, en revanche l'IRSN examine chaque année plusieurs éléments, à partir desquels il élabore son rapport sur la sûreté nucléaire, selon les diverses catégories de risque : non-conformité, non-qualité de maintenance, gestion du risque incendie, radioprotection. C'est cette évaluation multicritère qui permet de dresser un panorama complet. Notre rapport de synthèse pour 2017 est en cours d'élaboration sur ce modèle, et je suis disposé à venir vous le présenter si vous le souhaitez.

Cette approche multicritères fait que, sur certaines installations, le niveau de sûreté constaté est en progression sur un point mais qu'il s'est dégradé sur un autre. Quoi qu'il en soit, je répète que c'est aux questions de non-conformité que l'IRSN attache le plus d'importance, car c'est dans ce domaine que les plus gros progrès restent à faire, notamment, comme je l'ai dit, car plusieurs de ces non-conformités ont échappé aux programmes de contrôle et de maintenance d'EDF et n'ont été découvertes que de manière fortuite. J'y insiste d'autant plus que, dans le cas de la prolongation des installations, il est évidemment souhaitable de renforcer la sûreté mais que si, en parallèle, le problème des non-conformités n'est pas traité, on passe à côté d'une partie du sujet.

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Je voudrais que vous clarifiiez la nature des relations entre EDF et l'IRSN. Vous avez semblé dire, à propos des cuves, que vous aviez estimé satisfaisante l'expertise menée par EDF sur les défauts d'hydrogène de ses cuves : est-ce à dire que vous vous satisfaites des données techniques fournies par l'opérateur, ou menez-vous votre propre expertise indépendante ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

La problématique des cuves est un peu particulière, car il se trouve que, pour des raisons historiques, nous partageons notre compétence technique avec l'ASN. Cela étant, pour répondre à votre question qui avait une portée plus globale, l'IRSN s'appuie évidemment sur les dossiers fournis par les exploitants, mais ne se limite pas à ces pièces puisque, grâce à nos équipes de recherche, nous avons la capacité de produire nos propres calculs, lesquels peuvent nous servir à pousser les opérateurs dans leurs retranchements. Par exemple, lorsqu'un opérateur nous explique qu'une procédure de contrôle non destructif serait trop compliquée à mettre en oeuvre sur telle ou telle pièce, nous pouvons lui opposer les résultats de l'un de nos programmes de recherche qui démontrent le contraire.

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Pourriez-vous user de termes plus simples que le concept de « contrôle non destructif » ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Je vous prie de m'excuser. On désigne par le terme de contrôle non destructif tous les procédés permettant de contrôler des installations sans les détruire, à l'aide d'outils qui permettent en quelque sorte de « radiographier » les matériaux pour s'assurer qu'ils ne comportent ni fissures ni défauts d'aucune sorte.

Si le contrôle non destructif des métaux est une technique désormais mûre est maîtrisée, il n'en va pas de même pour le béton. Or il est essentiel de surveiller le vieillissement du béton, notamment sur les réacteurs de 1 300 mégawatts. L'IRSN a donc mis en place des programmes de recherche permettant de développer des méthodes de contrôle non destructif sur le béton. Toutes ces recherches se font, comme je l'évoquais, en collaboration avec des équipes internationales. C'est en particulier grâce à ce type de coopération que l'IRSN a pu se doter d'un code de calcul de thermohydraulique, baptisé SOFIA – pour « simulateur d'observation du fonctionnement incidentel et accidentel ». Je profite d'ailleurs de l'occasion pour convier votre commission d'enquête à l'IRSN, afin que nous vous présentions cet outil, qui nous a notamment servi pour expertiser la cuve de l'EPR ou des générateurs de vapeur dont la concentration en carbone était trop importante.

Les avis techniques que nous rendons sont le fruit d'un débat technique contradictoire avec les opérateurs, débat d'autant plus long et d'autant plus approfondi que le sujet est complexe, l'objectif étant de parvenir à nous entendre sur nos points d'accord et de désaccord. Au bout du compte, c'est l'ASN qui tranchera entre la position de l'IRSN et celle de l'opérateur, sachant qu'elle a généralement tendance à se ranger à nos avis.

Quant à l'expertise financière, elle est hors du champ de compétence de l'IRSN. Il s'agit d'un exercice complexe qui se pratique régulièrement aux États-Unis, mais pas en France. En 2005, EDF avait néanmoins souhaité adopter cette approche coûts-bénéfices, et l'ASN avait donc demandé à l'IRSN de travailler dans cette direction. Nous avions ainsi produit un rapport sur le coût d'un accident nucléaire, considérant en effet que, dans l'hypothèse où ne survient aucun accident, toute mesure de sûreté devient par définition trop chère. J'indique d'ailleurs que ce rapport est public et consultable sur notre site.

En ce qui concerne l'exposition des travailleurs et du public à la radioactivité, et sous réserve de vérification des chiffres que je vais vous donner, l'exposition moyenne des travailleurs d'EDF est de 0,99 millisievert par an, celle des 230 000 travailleurs du secteur médical suivis par l'IRSN de 0,33.

Pour ce qui concerne la radioactivité émanant des installations nucléaires et ayant un impact sur le public, elle est négligeable. Cela étant, la dose moyenne reçue par la population est de 4,5 millisieverts par an, dont 2,9 millisieverts d'origine naturelle, c'est-à-dire présente dans les aliments comme le lait – qui contient du potassium 40 –, dans l'atmosphère – chargée en radon – ou dans le rayonnement issu du sol ou du ciel ; le 1,6 millisievert restant provient des examens médicaux.

Il s'agit là de moyennes et, selon votre mode de vie ou l'endroit où vous habitez, ces doses de radioactivité peuvent fortement varier : quelqu'un qui mange beaucoup de poisson ou qui habite en montagne sur un sous-sol primaire, absorbera par exemple une dose plus importante. Ces chiffres sont publiés sur le site de l'IRSN, qui propose par ailleurs un outil vous permettant de calculer votre exposition aux rayonnements ionisants.

Je signale enfin que nous organisons, les 22 et 23 mars prochains avec l'ANCCLI, un séminaire sur la radioprotection et la santé.

Monsieur Brun, il est exact que le budget alloué à l'IRSN est en diminution depuis plusieurs années. Même si cette baisse reste mesurée, c'est pour nous un sujet de préoccupation, dans la mesure où la recherche est une composante essentielle pour la qualité de notre expertise. Nous avons jusqu'à présent réussi à compenser ces baisses de crédits par des redéploiements ; si d'aventure elles devaient s'accentuer, nous pourrions être amenés à interrompre des programmes.

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Ma question porte sur le futur centre d'enfouissement des déchets nucléaires de Bure, dont le site du bois Lejuc fait actuellement l'objet d'une opération d'évacuation par la gendarmerie, son occupation ayant été jugée illégale. Pouvez-vous nous indiquer quel est votre calendrier d'expertise sur ce projet, et quelles conséquences la décision d'évacuation pourrait avoir sur son avancement, dont certains estiment qu'il pourrait se trouver accéléré ?

Je rappelle que, dans votre dernier rapport relatif au stockage des déchets radioactifs de haute activité, datant de l'été 2017, vous aviez évoqué plusieurs problèmes relatifs à la sûreté, mais aussi à la sécurité du site, notamment pour ce qui est de l'architecture utilisée pour éviter les transferts de radionucléides, ainsi que des moyens de surveillance des risques tout au long de l'exploitation. Vous aviez également indiqué qu'il fallait travailler sur les possibilités d'intervention en cas de survenance d'une situation susceptible d'entraîner une contamination. Enfin, vous aviez souligné un risque d'incendie dans une alvéole de stockage des colis d'enrobés bitumineux. Il semble qu'il y ait encore beaucoup à faire en matière d'expertise avant d'en arriver à la demande d'autorisation. Quelles précisions pouvez-vous nous donner sur ce point ?

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Au-delà des questions de stockage des déchets, je souhaite connaître votre avis sur le projet d'EDF de construire une piscine géante destinée à permettre le stockage des combustibles en cours de refroidissement, et savoir ce que vous pensez de la solution du stockage à sec.

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La question du budget, qui a été évoquée par plusieurs de mes collègues, est une question centrale. On peut imaginer que, compte tenu de la prolongation de la durée de vie d'un certain nombre de réacteurs, la question de la sûreté et la nécessité de disposer d'une expertise de haut niveau soient de plus en plus importantes. Selon vous, le budget de l'IRSN doit-il évoluer en conséquence au cours des années à venir, le cas échéant dans quelles proportions ?

Par ailleurs, l'association Greenpeace a mené une enquête dont elle n'a pas rendu le résultat public, en raison du caractère sensible des renseignements qu'elle contient. Commentant ce document, vous avez eu tendance à relativiser les informations qui y figurent. Ainsi, au sujet des piscines de stockage des combustibles usagés, vous avez laissé entendre que la « bunkérisation » n'était pas nécessairement une bonne idée : selon vous, quelle solution faudrait-il mettre en oeuvre pour mieux assurer la sécurité de ces piscines ?

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Au sujet de Cigéo, une thèse soutenue par l'historien des sciences Leny Patinaux affirme qu'il est impossible d'apporter la preuve de la sûreté à long terme d'un tel stockage. Quel est votre avis sur ce point ?

Par ailleurs, j'aimerais savoir si vous avez étudié des solutions alternatives, par exemple celle du stockage en subsurface.

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Le projet Cigéo consiste à stocker à 500 mètres de profondeur environ 10 000 mètres cubes de déchets de haute activité à vie longue (HAVL) et 70 000 mètres cubes de déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL). Je ne vais évidemment pas commenter l'opération d'évacuation qui a lieu en ce moment, qui n'entre pas dans le champ de responsabilité de notre institut.

L'idée du stockage en couche géologique profonde part du principe selon lequel la radioactivité des déchets est présente pour plusieurs centaines de milliers d'années : dès lors, il faut trouver la meilleure manière de protéger les personnes et l'environnement sur cette très longue durée. L'option de stockage en couche géologique profonde est l'option de référence, sous réserve que soit apportée la justification que le stockage remplit bien l'objectif de sûreté. Le site de Bure, exploité par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), est situé à la limite des départements de la Meuse et de la Haute-Marne. Le stockage proprement dit doit se faire dans une couche d'argile d'une épaisseur de 100 à 150 mètres, située à 500 mètres de profondeur. L'objectif est que la radioactivité ne puisse pas se retrouver à la surface, et pour cela il faut éviter deux choses. D'une part, il ne faut pas que la surface se rapproche du colis, notamment du fait de l'érosion, dont l'effet sur une période de plusieurs centaines de milliers d'années ne doit pas être négligé : c'est pourquoi le stockage se fait à une telle profondeur, et c'est aussi ce qui explique que nous écartions l'option du stockage en subsurface. D'autre part, il ne faut pas que la radioactivité remonte à la surface, notamment en étant transportée par l'eau : c'est ce qui explique le choix d'effectuer le stockage au milieu d'une couche d'argile, destinée à assurer une certaine imperméabilité.

Cette installation nécessite une attention particulière, car elle est inhabituelle à la fois en termes de durée – à elle seule, sa durée d'exploitation serait d'une centaine d'années – et pour ce qui est de la profondeur à laquelle elle est située : à l'heure actuelle, il n'existe aucune installation de surface conçue pour durer si longtemps – le réacteur EPR, par exemple, est construit pour une durée de soixante ans.

Où en sommes-nous actuellement ? Le processus a commencé au début des années 1990 avec la sélection de plusieurs sites, parmi lesquels celui de Bure a finalement été retenu. L'ANDRA a transmis à l'ASN, en avril 2016, le dossier d'options de sûreté : nous sommes donc plutôt en amont du processus, et pas encore aux détails de la conception. Le dossier d'options de sûreté comprend une première partie relative au concept de stockage, à l'inventaire et aux objectifs de sûreté, une deuxième partie relative à la sûreté en exploitation et une troisième partie relative à la sûreté après fermeture.

L'ASN nous ayant saisis sur ce sujet, nous avons rendu un avis au cours de l'été dernier. Si nous considérons que le projet a une maturité suffisante à ce stade, notamment compte tenu des progrès faits dans l'acquisition des connaissances nécessaires à la démonstration de sûreté, nous avons cependant identifié un certain nombre d'interrogations, ce qui n'a rien d'anormal car le processus de démonstration de sûreté avec l'IRSN se fait toujours de manière interactive : nous soulevons des questions auxquelles l'exploitant ayant déposé le dossier doit apporter des réponses.

En l'occurrence, nous avons identifié quatre questions. La première est celle de l'optimisation de l'architecture de stockage. La deuxième est celle de la surveillance en exploitation, qui n'était pas suffisamment détaillée dans le dossier d'options de sûreté compte tenu de la durée d'exploitation prévue : durant cent ans, l'ANDRA doit être en mesure de surveiller les ouvrages souterrains, mais aussi les colis qu'ils contiennent.

La troisième question est celle des modalités d'intervention de l'ANDRA dans le cas où surviendrait une situation pouvant conduire à une contamination – je rappelle qu'à la suite d'un incendie, une contamination s'est produite au Waste Isolation Pilot Plant (WIPP), un centre de stockage de déchets radioactifs au Nouveau-Mexique, ce qui a nécessité l'arrêt du stockage durant trois ans et la mise en oeuvre de mesures de protection spécifiques : il s'agit donc d'une hypothèse qui ne peut être exclue et à laquelle nous devons réfléchir.

Enfin, la quatrième question est celle des déchets bitumineux : ces déchets, issus du traitement des effluents de l'installation nucléaire, sont enrobés dans du bitume, une matière présentant la caractéristique de pouvoir s'enflammer. Nous soulevons donc la question du degré de maîtrise d'un incendie dans le stockage, qui nécessite d'examiner deux sujets : d'une part, la réactivité du produit lui-même, à savoir les fûts de bitume, d'autre part, la conception du stockage. Aujourd'hui, on considère que si un feu démarrait sur un fût de bitume, l'incendie ne se propagerait pas très vite, mais la conception du stockage empêcherait l'ANDRA d'intervenir pour retirer le colis en train de brûler.

Toutes ces questions sont importantes, et peuvent même revêtir un caractère structurant. Cependant, je répète qu'il n'est pas anormal qu'elles se posent à ce stade du projet, à savoir celui du dossier d'options de sûreté, dont l'instruction est appelée à se poursuivre. Pour répondre précisément à votre question, je dirai que nous continuons à travailler afin de nous préparer à la réception du dossier déposé par l'ANDRA, correspondant à sa demande d'autorisation de création de site en 2019.

Comme je l'ai dit précédemment, nous avons mis en place un processus d'interaction avec l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI), la commission locale d'information (CLI) et le comité local d'information et de suivi (CLIS) de Bure, des experts non institutionnels et des personnes ayant participé au débat public de 2013. Nous avons souhaité que cet échange ait lieu en cours d'expertise, ce qui n'avait jamais été fait auparavant : d'ordinaire, on procède à l'expertise avant d'engager les discussions – c'est ce qui s'est fait pour l'étude relative à l'EPR, ainsi pour les quatrièmes visites décennales.

Nous ne connaissons pas la thèse à laquelle vous faites référence, mais nous trouvons que la démarche de l'ANDRA, consistant à accepter de faire analyser son mode de fonctionnement par un historien spécialiste des sciences humaines, est assez intéressante. De ce que j'ai pu lire à ce sujet, je retiens une interrogation sur l'accès aux bonnes données, notamment par l'IRSN. En tout état de cause, l'institut ne se contente évidemment pas des données de l'ANDRA : nous examinons les données qu'elle nous fournit, constituant le dossier qu'elle dépose, mais nous avons aussi nos propres moyens de calcul – je pense notamment à Mélodie, un logiciel très performant de simulation numérique de diffusion de la radioactivité dans l'environnement. Parmi les autres outils dont nous disposons figure également un tunnel ferroviaire datant du xixe siècle, situé près de la ville de Roquefort, dans l'Aveyron : l'argile dans laquelle est creusé ce tunnel ressemblant à celle de Bure, nous pouvons y mener des expériences indépendantes et en transposer les résultats au site expérimental de Cigéo – et je dois dire que nous constatons au quotidien une grande similarité entre les données fournies par l'ANDRA et celles que nous obtenons par nous-mêmes. Il existe par ailleurs une littérature internationale abondante portant sur la géologie et le stockage en milieu géologique, pratiqué dans plusieurs pays, ce qui nous permet de nombreux échanges d'informations.

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Il me semble que vous répondez de manière un peu évasive aux questions précises qui vous sont posées. En l'occurrence, je vous ai demandé ce que vous pensiez de la thèse de M. Patinaux, qui affirme qu'il est aujourd'hui impossible de démontrer que l'on peut garantir sur le long terme la sûreté des installations. Une telle affirmation est-elle vraie ou fausse ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Je n'ai pas lu cette thèse, qui compte 400 pages, mais je pense avoir compris que le propos de l'auteur consiste à dire qu'il est impossible de faire la démonstration mathématique que la sûreté à long terme des installations peut être garantie. En cela, il a raison, mais ce genre de raisonnement pourrait s'appliquer à toutes les sciences de la vie et de la nature : dans le domaine qui nous intéresse, une juxtaposition d'éléments va nous conduire à considérer que la sûreté du site sera maîtrisée raisonnablement – étant précisé qu'on ne pourra jamais exclure les cas extrêmes, comme c'est le cas dans tous les domaines.

Je rappelle que nous n'avons pas donné notre aval au lancement du projet d'enfouissement : nous n'en sommes qu'au stade des études expérimentales, pas à celui des résultats. En tout état de cause, notre démarche ne consiste pas à apporter une démonstration mathématique, mais à rassembler des éléments de nature à conforter la conviction que la sûreté est maîtrisée.

Par ailleurs, je crois que la thèse en question renvoie à des débats sur les cas extrêmes, car la démarche de sûreté ne se contente pas d'examiner le niveau moyen, mais envisage aussi les cas extrêmes, pris en compte pour le dimensionnement des installations – ce qui ne signifie pas que ces cas extrêmes vont se produire.

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Quand vous parlez des cas extrêmes, pensez-vous à celui de la chute d'un générateur de vapeur, qui ne pouvait théoriquement pas survenir ?

Par ailleurs, vous n'avez pas répondu au sujet des alternatives possibles au projet Cigéo ni au sujet des piscines.

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Pour ce qui est des alternatives, le concept de subsurface présente quelques avantages en termes de protection, mais aussi une faiblesse essentielle résidant dans le fait qu'il ne garantit pas la sûreté sur une très longue durée : dans la mesure où les colis seraient stockés près de la surface, on ne peut exclure qu'ils finissent par s'y retrouver, soit du fait de phénomènes naturels – érosion, séisme, inondation –, soit en raison d'une intrusion accidentelle. Ce risque pose la question des contrôles institutionnels sur le long terme. L'objectif du stockage en couche géologique profonde est de considérer que l'enveloppe géologique va assurer cette protection sur le long terme.

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Doit-on, oui ou non, considérer que l'industrie nucléaire fonctionne sans que l'on dispose d'une solution satisfaisante au stockage des déchets ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Aujourd'hui, le site Cigéo n'est pas autorisé, puisque son dossier est en cours d'instruction. Au demeurant, cette situation n'est pas spécifique à notre pays : les Suédois et les Finlandais travaillent, eux aussi, sur des projets de stockage géologique. Les Américains avaient commencé à travailler sur le site de Yucca Mountain, au Nevada, mais ils ont mis fin à leurs études.

Pour ce qui est du concept des piscines centralisées, le combustible issu d'un réacteur nucléaire après avoir été utilisé passe généralement de deux à quatre ans en piscine de réacteur, avant de rejoindre le site de La Hague, où il fait l'objet d'un retraitement durant une dizaine d'années, afin d'en extraire le plutonium entrant dans la composition des combustibles MOx, qui alimentent les réacteurs de 900 mégawatts. Quand on examine l'équilibre global, on s'aperçoit que, tous les ans, les piscines de La Hague reçoivent une petite centaine de tonnes de combustible supplémentaire, ce qui, à terme, ne peut mener qu'à la saturation de ces piscines. C'est ce qui avait été indiqué dans un dossier que constitue EDF régulièrement à l'intention de l'ASN, appelé dossier « cycle ». Dans ce document, EDF analyse l'ensemble du cycle du combustible nucléaire, afin de vérifier qu'il ne comprend pas d'impasses ou de points auxquels il faudrait apporter des modifications.

L'analyse du dossier « cycle » conduit à vérifier que la capacité nécessaire à l'entreposage de l'ensemble des déchets produits par l'industrie nucléaire est disponible. Le sujet a été clairement identifié et, aujourd'hui, les évaluations conduisent à estimer que le risque de saturation n'apparaît qu'à l'échéance d'une dizaine d'années, c'est-à-dire vers 2030. Dans le cadre du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) 2016-2018, EDF, à qui il avait été demandé de proposer des dispositions visant à définir de nouvelles capacités d'entreposage, a déposé un dossier d'options de sûreté, sur lequel nous avons travaillé. Il s'agit d'une piscine qui aura une capacité légèrement inférieure à celles de La Hague. Chargée de l'expertise de sûreté, l'IRSN va être amenée à vérifier la protection contre les aléas et contre les agressions – notamment la chute d'avion, dont le risque est plus spécifiquement pris en compte depuis les attentats du 11 septembre 2001. Par ailleurs, du fait que l'installation est censée durer cent ans, elle nécessite une analyse particulière de la prise en compte du risque sismique.

L'autre enjeu important pour la sûreté d'une piscine est la maîtrise du niveau d'eau. L'IRSN sera donc particulièrement attentive à la question des tuyauteries qui pourraient être connectées par le bas de la piscine – nous préférons qu'elles soient connectées par le haut –, ainsi qu'à la capacité d'inspecter le liner pour vérifier l'absence de fuites.

Enfin, la durée exceptionnelle de l'installation rend également nécessaire une surveillance spécifique des assemblages. L'ASN doit nous saisir prochainement sur ce sujet. Nous souhaitons être en mesure d'engager un dialogue avec les experts non institutionnels.

Pour ce qui est des délais, nous avons été saisis par l'ASN sur le dossier d'options de sûreté, et je prévois de rendre un avis technique en décembre 2018. Je ne dispose, en revanche, d'aucune visibilité sur le planning industriel, qui relève de la responsabilité exclusive d'EDF.

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Les autres options ont-elles été étudiées, le cas échéant à quel moment, et quel avis ont-elles reçu ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Le stockage à sec, auquel vous faites allusion, est une solution mise en oeuvre dans certains pays, notamment aux États-Unis. En France, le choix du stockage en piscine est lié au retraitement. L'IRSN n'a pas travaillé sur le stockage à sec parce qu'aucun projet de ce type n'a été engagé, et qu'elle n'a donc été saisie d'aucun dossier. L'un des éléments que je peux préciser au sujet du stockage à sec, c'est que cela nécessite un entreposage sur site, qui rend plus difficile le contrôle des combustibles. Cela étant, si on demandait à l'IRSN d'établir un comparatif des différentes options, elle serait tout à fait disposée à le faire.

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Quand vous dites « on », vous voulez parler de l'autorité de tutelle ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Nous sommes tout à fait capables de rassembler la documentation technique, de faire des calculs et d'établir des comparaisons avec ce qui se fait à l'étranger.

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Nous nous interrogeons au sujet de la gouvernance relative à ces questions. À en croire les chiffres qui ont été avancés, la construction de la piscine coûterait environ un milliard d'euros – or, comme on le sait, les premières estimations sont souvent revues à la hausse. Avant de faire un tel investissement, la moindre des choses n'est-elle pas de se demander s'il n'existe pas une autre solution ?

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Cela fait vingt ans qu'on y réfléchit !

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Je partage votre point de vue, madame la rapporteure, mais ce n'est pas à l'IRSN de se poser cette question et d'y répondre seule – en revanche, nous sommes évidemment prêts à contribuer, sur le plan technique, au débat qui aurait vocation à se tenir dans le cadre du PNGMDR.

J'en viens à la question de M. Saulignac sur le budget de l'institut. Nous demandons une petite vingtaine de postes sur les sujets liés aux enjeux majeurs, notamment en sûreté et en sécurité. Notre budget est alimenté d'une part par des subventions, d'autre part par une contribution payée par les opérateurs. Il nous semble que cet outil très flexible, qui a fait ses preuves par le passé, pourrait être mobilisé pour nous permettre de disposer des moyens qui nous sont nécessaires.

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Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint de l'IRSN, chargé des missions relevant de la défense

M. Saulignac a évoqué le rapport de Greenpeace, au sujet duquel l'Institut a émis un commentaire par la voix de Jean-Christophe Niel. Si ce rapport est intéressant en ce qu'il constitue une compilation d'un certain nombre de documents liés à la sûreté, envisageant différents risques potentiels, il ne nous a pas appris grand-chose.

Parmi les attributions de l'institut figure celle consistant à examiner la capacité de résistance intrinsèque des installations nucléaires et de leur sécurité, en fonction d'un référentiel de menace qui nous est donné par l'État, plus précisément par l'autorité de sécurité nucléaire, c'est-à-dire le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de la transition écologique et solidaire (MTES). À partir de ce référentiel, nous examinons la capacité de résistance intrinsèque des installations d'EDF – piscines, enceintes de réacteurs –, mais aussi du CEA et d'Areva, ce qui nous conduit à faire des études, par exemple, sur la capacité de résistance d'un réacteur de recherche, dans la mesure où il contient de la matière nucléaire.

Depuis 2001, de nombreuses études ont été menées sur l'ensemble des installations par l'IRSN au profit du haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de la transition écologique et solidaire. Vous comprenez bien que, compte tenu du degré d'ancienneté de chaque installation et des particularités géographiques des sites concernés, les résultats ne sont pas tous identiques. Ils diffèrent également en fonction du type de menace envisagé : les risques liés au terrorisme, par exemple, ne sont pas les mêmes que ceux que représente l'éventualité d'une chute d'avion. Nous procédons à l'évaluation de ces différentes situations, et communiquons les résultats à l'ASN – que je ne peux révéler publiquement, comme vous pouvez le comprendre.

Ce qui fait la spécificité de la sécurité nucléaire par rapport à la sûreté, et ce qui justifie qu'elle relève de la responsabilité d'un ministère ayant la qualité d'autorité de sécurité nucléaire, c'est qu'il s'agit d'un sujet qui engage la responsabilité de l'État. Par exemple, si un commando terroriste projette d'attaquer une installation nucléaire, l'État est concerné dans le sens où cette situation intéresse les services de renseignement – l'enjeu pour lui est sa capacité à en savoir suffisamment sur les menaces que les groupes terroristes sont susceptibles de faire peser sur les installations nucléaires.

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C'est typiquement le genre de question intéressant notre commission d'enquête : pouvez-vous justement nous indiquer si nous possédons suffisamment de renseignement sur la menace terroriste ?

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Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint de l'IRSN, chargé des missions relevant de la défense

Je suis désolé, mais je n'ai pas la compétence pour vous répondre à ce sujet. Ce que je peux vous dire, c'est que le commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (COSSEN) a un rôle en matière de renseignement, comme le précise le décret du 20 avril 2017 relatif à sa mise en place : plus précisément, il vise à fédérer les différents services afin que les informations relatives à la sécurité nucléaire fassent l'objet d'un traitement spécifique. Cela dit, le renseignement ne permet pas de tout prévoir, comme l'ont montré les attentats qui ont eu lieu en France au cours des dernières années.

En dehors du renseignement proprement dit, les compétences de l'État en matière de transport aérien lui permettent d'exercer une certaine surveillance dans ce domaine, que ce soit au moyen des formalités d'embarquement ou par les mesures de surveillance dont font l'objet les pilotes depuis le crash du vol 9525 de Germanwings. Ces mesures de surveillance, qui compliquent la tâche des personnes qui auraient l'intention de prendre le contrôle d'un avion pour le faire s'écraser sur une installation nucléaire, relèvent de la compétence du ministère des transports, qui impose des règles aux opérateurs du transport aérien.

Il existe une troisième ligne de protection contre les attaques par avion, constituée par les moyens de la défense – ceux de l'armée de terre s'il s'agit de neutraliser au sol les membres du commando terroriste grâce aux moyens obtenus par les services de renseignement de l'air, ceux de l'armée de l'air s'il s'agit d'intercepter un avion en vol.

C'est seulement si ces trois lignes de défense devaient être franchies par les terroristes que les forces de sécurité de la centrale concernée interviendraient. Ces forces font l'objet d'exigences très élevées en matière de réactivité, et l'IRSN accompagne les inspections menées par le MTES sur tous les sites nucléaires, visant à vérifier que les délais d'intervention des équipes de sécurité locales sont compatibles avec les exigences qui leur sont imposées.

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L'INRS n'intervient donc que lors de cette dernière phase ?

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Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint de l'IRSN, chargé des missions relevant de la défense

Nous aidons le MTES à procéder à l'évaluation des équipes locales de sécurité, en faisant intervenir des inspecteurs dépendant directement du MTES mais qui, historiquement, faisaient partie de notre département « sécurité ». Cette organisation permet qu'il y ait suffisamment d'inspections sur l'ensemble des sites nucléaires.

Nous intervenons également dans l'évaluation de la résistance intrinsèque des installations.

Enfin, pour ce qui est du scénario d'attaque, il faut rappeler que le système de la sécurité nucléaire est un système de défense en profondeur. Si les premières lignes de défense n'ont pas suffi à stopper l'attaque en amont, et qu'elle finit par se produire, il faut que la capacité de résistance intrinsèque de l'installation – que nous sommes chargés d'évaluer – et les forces de sécurité de l'exploitant – qui peuvent se trouver renforcées très rapidement par les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG) – puissent tenir pendant une durée prédéfinie constituant un objectif de sécurité qui fait régulièrement l'objet d'exercices de simulation. Chaque année, nous en faisons au moins un par site, ainsi qu'un grand exercice à l'échelle nationale, au cours du duquel nous mettons en oeuvre tous les moyens de sécurité – nous sommes le seul pays au monde à pouvoir se prévaloir de cette fréquence d'exercices de sécurité au niveau national.

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Nous voulons vraiment que cette commission d'enquête soit utile : c'est pourquoi je vais vous poser à nouveau ma question, aussi simplement que possible, et en espérant que vous allez enfin y répondre. Greenpeace nous explique que les piscines n'ont pas été conçues pour résister à une attaque terroriste, même basique : selon cette association, les piscines sont accessibles et vulnérables. En tant que représentant du peuple français, je veux savoir si Greenpeace nous raconte n'importe quoi ou si les caractéristiques techniques de ces piscines les rendent effectivement vulnérables.

Quand j'entends dire que les piscines dans lesquelles sont immergés des combustibles usagés ne sont abritées que par des murs de trente centimètres d'épaisseur, j'aimerais savoir si c'est vrai ou si c'est faux. Vous possédez l'expertise pour répondre à cette question, et j'attends de vous une réponse claire. Si nous sortons de cette commission d'enquête uniquement avec le genre de réponses que vous nous avez faites jusqu'à présent, je ne vois pas à quoi cela va servir. Pardonnez-moi ma franchise, mais nous avons vraiment besoin de savoir.

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Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint de l'IRSN, chargé des missions relevant de la défense

Il me semble que je suis clair quand je dis que les études faites sur la capacité de résistance des piscines montrent que celle-ci varie en fonction des risques et des menaces auxquelles elles pourraient être exposées, et que la protection de ces piscines ne repose pas sur leurs seules capacités de résistance intrinsèques.

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Vous nous dites que la capacité de résistance des piscines varie, mais nous voulons surtout savoir si elle est suffisante et, dans la négative, si la force d'action rapide nucléaire (FARN) est en mesure de pallier une capacité insuffisante de résistance.

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Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint de l'IRSN, chargé des missions relevant de la défense

La FARN est une disposition de sûreté qui peut permettre, en cas de besoin, de réalimenter en eau la piscine ; en amont, l'intervention des forces de sécurité publique est aussi destinée à éviter que l'attentat ait lieu.

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Les piscines en elles-mêmes ont-elles des capacités de résistance suffisantes ? Que pensez-vous des scénarios de rupture évoqués ?

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Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint de l'IRSN, chargé des missions relevant de la défense

Si aucune mesure n'est prise, on peut toujours imaginer un scénario dans lequel une piscine se trouverait détruite.

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Pour ce qui est de la sécurité, des mesures d'anticipation sont prévues afin d'éviter qu'une attaque ne puisse se produire, et d'autres mesures sont prévues pour répondre à l'attaque dans l'hypothèse où elle aurait finalement lieu. Comme vous l'avez reconnu vous-mêmes, les renseignements ne sont pas infaillibles et on ne peut donc écarter l'éventualité de voir un commando essayer de détourner un avion, ou attaquer directement une piscine – par exemple en tirant au lance-roquettes.

Pouvez-vous nous dire si les systèmes de défense passive sont suffisants, en d'autres termes si les piscines sont assez bunkérisées pour résister, par exemple, à l'impact provoqué par le crash d'un avion ou un tir de roquette ? Si la réponse est non, il faut des mesures d'interception fiables. Or, Greenpeace a expliqué de manière assez convaincante – notamment dans un film dont nous allons recevoir les auteurs – qu'il est impossible d'intercepter un avion avant qu'il ne s'écrase sur une piscine : le temps que les avions de chasse décollent des bases aériennes et arrivent sur site, l'avion utilisé comme projectile aura eu le temps de s'écraser deux fois !

Pour disposer de moyens d'interception efficaces, il faudrait installer des missiles Crotale sur site et, à défaut de le faire, on ne peut écarter l'hypothèse du crash d'un avion sur une piscine nucléaire – dès lors, il faut bunkériser les installations de ce type, avec toutes les questions techniques et financières que cela implique. Ce sont ces questions-là que nous nous posons, des questions très concrètes auxquelles nous avons vraiment besoin de réponses de votre part. Le risque évoqué existe – malheureusement, il s'est même déjà réalisé – et aujourd'hui on ne peut plus faire comme si ce n'était pas le cas, car nous ne parlons pas d'installations anodines, mais d'installations nucléaires.

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Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint de l'IRSN, chargé des missions relevant de la défense

J'appelle votre attention sur le fait que le dispositif de sécurité constitue une chaîne globale. Greenpeace peut affirmer que les avions de chasse n'auraient pas le temps d'arriver, personnellement je suis incapable de dire si c'est vrai ou pas : si vous voulez une réponse fiable à cette question, il faut la poser à des experts de l'aviation de combat.

En tout état de cause, face à une multitude de scénarios, une installation finit toujours par révéler une vulnérabilité intrinsèque. Ce qui compte, c'est de savoir si l'ensemble du dispositif de protection est à même d'éviter une crise majeure, et comment nous pouvons organiser au mieux les moyens de ce dispositif. Le rôle de l'autorité de sûreté nucléaire et de l'État, c'est de déterminer s'il vaut mieux renforcer le contrôle dans les aéroports, ou doter tous les sites nucléaires d'une batterie de missiles Crotale, plutôt que d'essayer de renforcer la sécurité intrinsèque des installations – ce qui est sans doute très difficile dans certains cas.

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J'entends bien ce que vous dites sur le fait que vous ne possédez pas tous les éléments de réponse, c'est pourquoi je vais reformuler ma question. Pouvez-vous nous dire si une autorité a fait le travail de démonstration inverse des scénarios de Greenpeace ? En d'autres termes, quelqu'un s'est-il employé à démontrer que ces scénarios ne pouvaient pas se réaliser, ou à proposer des solutions pour empêcher qu'ils puissent se réaliser ?

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Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint de l'IRSN, chargé des missions relevant de la défense

Le travail que nous effectuons avec le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de la transition écologique et solidaire consiste en grande partie à imaginer des scénarios de crise, et je peux vous dire qu'ils sont autrement créatifs que ceux de Greenpeace car, connaissant beaucoup mieux les installations, nous pouvons imaginer beaucoup plus de choses !

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Très bien, mais y a-t-il quelqu'un qui agrège tous ces éléments pour dire s'il est possible ou pas que l'un des scénarios conduisant à une crise grave se réalise ? Si la réponse à cette question relève du secret défense, il vous suffit de nous le dire, et nous organiserons une session à huis clos.

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Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint de l'IRSN, chargé des missions relevant de la défense

Comme je vous l'ai dit, c'est le MTES qui agrège tous les éléments résultant des exercices que nous effectuons, ainsi que de notre analyse de la résistance intrinsèque des installations et des capacités des forces locales de sécurité publique à réagir dans un délai donné. Il est nécessaire que cette mission revienne à l'État, qui est le seul à pouvoir disposer d'une vision globale des moyens alloués.

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Vous avez parlé de la mesure du niveau des radiations provenant du nucléaire civil et du nucléaire médical, mais vous n'avez pas encore répondu à la question que j'ai posée tout à l'heure, portant sur l'exposition de la population aux radiations provenant de l'étranger.

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Mme la rapporteure a évoqué tout à l'heure l'incident survenu en mars 2016 dans le bâtiment du réacteur n° 2 de la centrale nucléaire de Paluel. Comment analysez-vous cet accident, consistant en la chute d'un générateur de vapeur, et ses incidences sur la sûreté de l'installation ?

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En matière budgétaire, il apparaît que l'IRSN souhaite consolider son budget de recherche en obtenant une vingtaine de postes supplémentaires. En tant que rapporteur sur la prévention des risques, j'avais préconisé de relever le plafond de la contribution annuelle au profit de l'IRSN, due par les exploitants d'installations nucléaires. Je souhaite que notre commission d'enquête fasse sienne cette proposition au terme de ses travaux, afin de doter l'expert des moyens qui lui sont nécessaires pour effectuer sa mission – à mon sens, il ne faut pas lésiner.

Pour ce qui est de la sécurité, une proposition circule depuis quelques années, consistant à classer les centrales nucléaires en zone de défense hautement sensible (ZDHS), ce qui permettrait, notamment en cas d'attaque terroriste, que les militaires puissent déployer la force armée adaptée. Aujourd'hui, face à une intrusion sur un site nucléaire, le PSPG présent sur les lieux ne peut recourir à la force armée que dans les mêmes conditions que celles appliquées partout ailleurs sur le territoire, ce qui pose un gros problème en termes de réactivité, ce dont conviennent les responsables chargés de commander ces PSPG. Quelle est votre analyse sur ce point ?

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Il est un niveau de vulnérabilité que nous n'avons pas évoqué : celui des transports de matières radioactives sur rail et sur route. Quel est votre regard sur ce point ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Pour répondre à M. Aubert, je dirai que si l'exposition aux radiations provenant des installations civiles, notamment médicales, peut faire l'objet d'une évaluation parce qu'elle est bien identifiée, l'exposition à la radioactivité naturelle peut avoir de multiples sources, y compris celle d'une éventuelle radioactivité provenant de l'étranger, qui s'y trouverait incluse. Cela dit, notre réseau de surveillance n'a pas détecté de radioactivité provenant de l'étranger. Même pour ce qui est du ruthénium, les niveaux constatés en France ont toujours été extrêmement faibles.

Le 31 mars 2016, l'ASN a été informée de la chute en cours de manutention d'un générateur de vapeur dans le bâtiment du réacteur 2 de la centrale de Paluel, au cours de la troisième visite décennale de ce réacteur. Paluel 2 constitue la tête de série, c'est-à-dire qu'il était le premier réacteur de 1 300 mégawatts à subir sa troisième visite décennale, au cours de laquelle les générateurs de vapeur peuvent être remplacés. Deux des quatre générateurs avaient déjà été extraits, et la cuve et la piscine du réacteur étaient vides, comme le prévoit le protocole : le combustible se trouvait dans une piscine extérieure, ce qui fait que le risque était limité en termes radiologiques lorsque l'accident est survenu. Cependant, les conséquences auraient pu être dramatiques pour les travailleurs présents : quand un générateur de vapeur pesant 400 tonnes tombe de toute sa hauteur, l'ébranlement et le bruit provoqués par cette chute sont énormes – en l'occurrence, plusieurs personnes présentes ont été choquées.

L'enjeu essentiel de cet accident a résidé dans la sécurité des travailleurs, sans qu'il s'agisse d'un sujet nucléaire à proprement parler. La chute d'un objet de 400 tonnes d'une hauteur de 22 mètres a deux types d'effets : d'une part un effet direct, à savoir l'impact de l'objet sur le sol en béton et les équipements se trouvant à proximité, d'autre part des effets indirects, notamment un ébranlement pouvant se répercuter sur différents systèmes. EDF a engagé un contrôle de requalification dans lequel l'IRSN est intervenue en procédant à des calculs d'ébranlement, qui l'ont conduite à recommander d'élargir le champ des contrôles initialement prévus : nous avons conseillé de vérifier les circuits électriques, d'eau et de ventilation qui nous paraissaient susceptibles d'avoir subi certains effets liés à l'ébranlement. EDF prévoit maintenant un redémarrage en juin 2018, à l'issue d'un bilan complet intégrant nos recommandations, qui nous paraît a priori globalement satisfaisant en termes d'étendue – sous réserve, évidemment, de ses résultats. En tout état de cause, le réacteur ne redémarrera que lorsqu'il aura obtenu l'autorisation de le faire.

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D'après ce que j'ai compris, avant que l'accident ne se produise, la chute d'un générateur de vapeur était considérée comme impossible par tous les organismes chargés de se prononcer sur la sécurité des installations nucléaires. La survenance de cet accident a-t-elle conduit l'IRSN à revoir sa grille d'analyse des événements possibles ou impossibles, avec toutes les conséquences que cela implique en termes de sûreté et de sécurité ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Il est évident que l'accident de Paluel a, comme tout événement ayant une incidence sur la sûreté, donné lieu à un retour d'expérience de la part de l'opérateur, mais aussi de la part de l'IRSN, qui développe ses propres analyses. En l'occurrence, cet événement va influer sur certaines décisions techniques à l'occasion de prochains travaux, lorsque nous devrons choisir de mettre en oeuvre, ou non, certaines évolutions.

Toutes les semaines, l'IRSN organise une réunion consacrée aux retours d'expérience, lors de laquelle nous passons en revue tous les événements, que nous classons en fonction de leur importance. Pour ce qui est de l'accident de Paluel, s'il n'était pas susceptible d'entraîner des conséquences radiologiques directes, il pouvait avoir un impact non seulement sur la sécurité des travailleurs, mais aussi sur la sûreté à terme des installations, en raison des dommages causés par l'impact et par l'ébranlement qu'il a provoqué.

Enfin, il ne m'appartient pas de me prononcer sur la proposition de M. Brun consistant à relever le plafond de la contribution annuelle au profit de l'IRSN.

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Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint de l'IRSN, chargé des missions relevant de la défense

M. Brun nous a également interrogés sur l'éventualité de classer les centrales nucléaires en zone de défense hautement sensible (ZDHS), ce qui modifierait les règles d'ouverture du feu en cas d'agression. Il s'agit d'une question importante, mais je ne suis pas très bien placé pour y répondre. Une réflexion a été engagée au sein de l'État, portant d'abord sur l'interprétation juridique qui est actuellement faite des autorisations, dont on peut se demander si elle n'est pas un peu restrictive. Par ailleurs, il convient de prendre en compte le fait que les gendarmes ont une capacité de réponse qui n'équivaut pas tout à fait à celle des policiers. En tout état de cause, il semble que l'on puisse envisager de moduler les autorisations d'ouverture du feu en fonction de la classification réglementaire de chaque installation concernée.

Plusieurs renforcements ont déjà été décidés. Ainsi, les préfets ont désormais le pouvoir de prendre des arrêtés d'interdiction de stationnement, ainsi que de prévoir des mesures de surveillance particulières aux abords des installations – la sévérité de ces mesures de restriction augmentant à mesure que l'on se rapproche d'une installation, selon une répartition en cercles concentriques. Cela implique beaucoup les forces de sécurité publique, ce qui justifie que l'État – en l'occurrence, le MTES – dispose d'une vision globale de ces questions, afin d'être en mesure de déployer, en liaison avec les préfets, une capacité de défense allant plus loin que la résistance intrinsèque des installations.

Pour ce qui est des transports, le dispositif actuel prévoit que le niveau de protection mis en oeuvre est modulé en fonction de la dangerosité de chaque transfert – s'évaluant en termes de sûreté, c'est-à-dire en fonction des conséquences radiologiques potentielles en cas d'accident ou d'attaque.

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Ce dispositif vous paraît-il satisfaisant ?

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Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint de l'IRSN, chargé des missions relevant de la défense

J'estime que beaucoup de moyens sont mis en oeuvre en termes de suivi et de protection des transports. En tant que responsable de l'IRSN, mon rôle consiste à analyser les dispositifs de sécurité – et bien sûr, je leur trouve toujours des défauts, ce qui me conduit à formuler des propositions d'évolution des modes de protection. Le COSSEN est chargé de la doctrine d'emploi des forces de sécurité publique, sur lesquelles l'IRSN travaille beaucoup en ce moment, en liaison avec le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du MTES.

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D'après les recherches que j'ai effectuées, les dernières données de l'IRSN relatives aux accidents ayant eu lieu au cours des dernières années remontent à 2007. Pouvez-vous nous indiquer si d'autres incidents de transport ont eu lieu depuis ?

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Georges-Henri Mouton, directeur général adjoint de l'IRSN, chargé des missions relevant de la défense

Le dernier incident de transport dont je me souvienne consistait en un problème de frein sur un camion, ayant entraîné l'arrêt du véhicule, et il n'est rien survenu de plus important.

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Le principe de la sûreté des transports repose sur l'emballage. Chaque année, nous procédons à un bilan des événements de transport – je n'ai pas les chiffres en tête, mais nous pourrons vous les faire parvenir. Je précise qu'un événement de transport ne consiste pas forcément en un accident de la circulation : il s'agit pour nous d'un incident au sens de la sûreté nucléaire.

Un colis de transport – l'emballage et son contenu – doit être boulonné au moyen d'un appareil mesurant le couple, c'est-à-dire la force appliquée au serrage : ce couple doit en effet être suffisamment élevé pour assurer que le colis est bien arrimé, mais pas trop afin de ne pas créer de tensions qui pourraient être néfastes. Le fait de s'apercevoir lors d'un contrôle qu'il a été appliqué un couple non conforme peut être constitutif d'un événement.

De mémoire, je dirai que la plus grande partie des événements de transport concerne des colis radiopharmaceutiques. Peu radioactifs, les produits radiopharmaceutiques sont transportés dans des colis relativement peu résistants, et il arrive fréquemment que des colis chutent ou se trouvent écrasés en aéroport.

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Pour en revenir à la sûreté des cuves, nous savons que des pièces fabriquées au Creusot présentaient des malfaçons, et que l'audit de l'usine a mis en évidence des irrégularités dans les procédures de fabrication, considérées par l'autorité de sûreté nucléaire comme des falsifications. L'ASN a cependant autorisé que les pièces défectueuses, se trouvant sur le site de l'EPR mais aussi sur d'autres sites, restent en exploitation. Je ne vous demande pas de vous prononcer sur la décision de l'ASN, mais pouvez-nous nous dire si, en tant qu'experts, vous n'êtes pas inquiets à l'idée que des cuves et d'autres pièces non conformes soient encore en exploitation et risquent de le rester pour longtemps ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Les non-conformités résultant de falsifications sont évidemment inacceptables. Cela dit, quand une cuve présente un défaut, toute la question est de savoir s'il est nocif ou non, et c'est précisément là que l'expertise de l'IRSN intervient. En 2016, on a découvert que les générateurs de vapeur équipant dix-huit réacteurs en France pouvaient présenter des anomalies similaires à celles affectant la cuve de l'EPR de Flamanville, ce qui a conduit l'ASN à demander l'arrêt ou le maintien à l'arrêt d'une douzaine de réacteurs.

Notre intervention en la matière n'a pas consisté en un contrôle de conformité, celui-ci relevant de la compétence de l'ASN, mais à apporter notre expertise sur le plan technique. Le fond primaire d'un générateur de vapeur est fabriqué à partir d'un lingot, c'est-à-dire d'une grosse pièce de métal en fusion. Les processus physico-chimiques survenant au cours du refroidissement de cette pièce aboutissent à ce que du carbone se concentre en certains points, entraînant des modifications des propriétés physiques de la pièce concernée, notamment celle de moins bien résister à la propagation d'une fissure. La bonne pratique en ce cas, consistant à supprimer les parties du lingot où le carbone se trouve en excès, n'a pas été mise en oeuvre, ce qui fait que les calottes hémisphériques formant les fonds primaires présentent aujourd'hui ce défaut.

Notre travail a consisté à vérifier, par des moyens de contrôles destructifs et non destructifs, que les méthodes utilisées par EDF étaient acceptables, et que les résultats présentés par EDF et Areva étaient cohérents. Pour que la concentration anormale en carbone pose problème, il faut trois éléments : premièrement, que les propriétés de la pièce métallique soient dégradées ; deuxièmement, que cette pièce présente un défaut à partir duquel une fissure est susceptible de se propager – car une fissure ne part pas de rien – ; troisièmement, un choc thermique – du chaud sur du froid ou l'inverse. Après avoir mesuré la concentration en carbone, nous avons effectué des calculs de thermo-hydraulique afin d'évaluer l'ampleur des chocs auxquels les pièces concernées sont soumises. Enfin, nous avons vérifié les résultats d'EDF sur la présence ou l'absence de défauts. L'ensemble de ces opérations nous a permis de conclure, dans l'avis que nous avons remis à l'ASN, que, moyennant la mise en oeuvre de mesures compensatoires, les conditions de fonctionnement au niveau de sûreté requis étaient réunies – j'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un avis portant sur la conformité, mais d'un avis technique.

Pour ce qui est des mesures compensatoires, nous avons recommandé à l'ASN de demander à EDF de limiter, par un certain nombre de dispositions, la probabilité que se produisent des chocs thermiques. Par exemple, quand un réacteur s'arrête, il se refroidit selon une pente de baisse de température : sa température diminue de 28 °C par heure. Nous avons conseillé que cette baisse de température soit deux fois moins rapide, afin de limiter l'importance des écarts thermiques.

En notre qualité d'expert technique, je le répète, nous avons considéré le niveau de sûreté requis pouvait être assuré – un niveau moindre que si le générateur de vapeur était en bon état, mais suffisant.

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Ces mesures compensatoires ont-elles été mises en oeuvre par EDF ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

C'est à l'ASN qu'il est revenu de le vérifier, mais je pense que oui. Sur la base de notre expertise technique portant sur l'évaluation des risques, l'ASN impose des prescriptions à l'opérateur et effectue des inspections pour vérifier que ces prescriptions sont mises en oeuvre.

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La non-conformité résultant d'une concentration excessive en carbone concerne deux situations différentes : d'une part l'EPR, c'est-à-dire un réacteur qui n'est pas encore en activité, d'autre part des réacteurs qui fonctionnent depuis des années. Les mesures compensatoires que vous avez préconisées devront-elles être appliquées pour la totalité de la durée de vie estimée de la cuve de l'EPR, à savoir soixante ans ? Par ailleurs, avez-vous pris en compte la prolongation éventuelle d'activité des réacteurs, au-delà des quarante ans initialement prévus ?

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Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Pour ce qui est de la prolongation de la durée de vie des réacteurs au-delà de quarante ans, l'ensemble des risques va faire l'objet d'une réévaluation dans le cadre du processus en cours.

En ce qui concerne l'EPR, nous avons conclu que l'exploitation pouvait être autorisée sous réserve d'un renforcement du suivi en service – notamment au moyen de contrôles non destructifs. La prolongation de l'exploitation de la cuve dépendra donc des résultats des contrôles qui vont être effectués, à la fois sur le fond de la cuve et sur son couvercle. Si nous estimons que rien ne s'oppose sur le plan technique au développement de procédés de contrôle non destructifs pour le fond de la cuve, il n'en va pas de même pour son couvercle, qui est traversé par les barres de contrôle – des pièces mobiles insérées dans le réacteur, qui permettent de freiner, donc de contrôler, la réaction nucléaire. Par ailleurs, le fond d'un réacteur est habituellement traversé par des pénétrations de fond de cuve (PFC), c'est-à-dire des tubes soudés permettant l'introduction de sondes d'instrumentation dans le coeur du réacteur, afin de le surveiller et de le protéger. Dans le cadre des améliorations de sûreté de l'EPR, il a été décidé que ce dispositif de contrôle devait être placé non pas sur le fond, mais sur le couvercle de la cuve. S'il s'agit là d'une amélioration pour le fond de la cuve, désormais débarrassé du dispositif qui le traversait et donc redevenu totalement lisse, c'est un facteur de fragilité supplémentaire pour le couvercle. Nous avions des interrogations sur la capacité d'EDF à développer un dispositif de contrôle permettant de vérifier régulièrement l'état du couvercle, c'est pourquoi nous avons indiqué dans notre avis qu'à défaut d'être en mesure de mettre au point un tel dispositif, EDF devrait changer le couvercle au bout d'un certain temps – et, sur la base de cet avis technique, l'ASN a prescrit un délai pour le remplacement du couvercle.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous vous remercions pour les précisions que vous nous avez fournies. Celles-ci soulevant à leur tour d'autres questions, nous vous solliciterons probablement une nouvelle fois afin de poursuivre nos échanges.

Permalien
Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

Nous vous remercions également pour les questions que vous nous avez posées – c'est notre devoir que d'y répondre, et nous le faisons bien volontiers. Nous vous ferons parvenir une réponse écrite au questionnaire que vous nous aviez adressé, en l'enrichissant de ce qui a été dit aujourd'hui. Par ailleurs, je vous renouvelle notre invitation à visiter l'IRSN, soit à Fontenay-aux-Roses, soit à Cadarache, afin que nous puissions vous montrer nos installations de recherche en radioprotection et en sûreté nucléaire.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 9 heures

Présents. - Mme Bérangère Abba, M. Julien Aubert, M. Xavier Batut, M Fabrice Brun, Mme Émilie Cariou, M. Paul Christophe, Mme Sonia Krimi, Mme Célia de Lavergne, Mme Sandrine Le Feur, M. Adrien Morenas, M. Jimmy Pahun, Mme Claire Pitollat, Mme Barbara Pompili, M. Hervé Saulignac

Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Anthony Cellier, Mme Natalia Pouzyreff