La réunion

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Jeudi 17 octobre 2019

L'audition débute à neuf heures trente-cinq.

Présidence de M. Serge Letchimy, président de la commission d'enquête

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La commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat, procède à l'audition de M. Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation.

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Nous entendons aujourd'hui M. Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation.

Je vais, Monsieur le ministre, vous passer la parole pour une intervention liminaire de cinq à dix minutes qui précèdera nos échanges. Mme la rapporteure Mme Justine Benin posera les premières questions.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires nous impose et impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Par conséquent, je vous invite à prêter serment successivement car je suppose que vous allez passer la parole aux personnes qui sont avec vous.

Monsieur le ministre, veuillez lever la main droite et dire « je le jure ».

M. Didier Guillaume prête serment.

Mme Anne Bronner, Mme Bénédicte Bergeaud, M. Thomas Roche, M. Olivier Prunaux, Mme Hanane Boutayeb, M. Mohamed Idardon, M. Jean Bernicot, Mme Gwladys Jean-Joseph et Mme Cécile Daussun prêtent serment.

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Je suis très heureux d'être présent et de pouvoir répondre aux questions de cette commission d'enquête, qui est très importante. En effet, tout le monde sait combien le chlordécone a eu des conséquences chez vous ; ainsi, en ma qualité de ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, j'ai l'intention de répondre très tranquillement mais très franchement, en toute transparence, à l'ensemble de vos questions.

« La pollution au chlordécone est un scandale environnemental. L'État doit prendre sa part de responsabilité dans cette pollution et doit avancer dans le chemin de la réparation et des projets. » Ainsi parlait Emmanuel Macron, Président de la République. Pour la première fois, un chef de l'État a reconnu clairement une responsabilité de l'utilisation du chlordécone. Le Président de la République a par ailleurs, par ces mots en septembre 2018, fixé les grandes lignes d'une politique ambitieuse pour faire face à la pollution environnementale par le chlordécone.

Dans ce contexte, je tiens à réaffirmer et à saluer les travaux de votre commission d'enquête, qui doit permettre de mieux comprendre comment ce produit a pu être autorisé pendant des années aux Antilles alors même que sa toxicité et son pouvoir persistant dans l'environnement étaient connus.

Vous le savez, ces autorisations, autorisations provisoires de vente ou homologations ont été délivrées entre 1972 et 1993 par le ministère chargé de l'Agriculture pour lutter contre le charançon du bananier.

À ce titre, je vous assure, Monsieur le Président et Madame la rapporteure, de mon plein engagement et du plein engagement du ministère dont j'ai la responsabilité pour apporter toute la transparence possible sur le sujet.

Un travail important de recherche a ainsi été engagé cet été par la Direction générale de l'alimentation, par notre service juridique, pour retrouver l'ensemble des pièces disponibles sur la période de 1972 à 1989 et intervenant dans le processus de délivrance des autorisations relatives au chlordécone. La majorité de ces documents, dont la disparition avait déjà été soulignée par la commission parlementaire en 2005, a pu être retrouvée et a été transmise dès que possible à votre commission les 23 août et 7 octobre 2019. J'y ai veillé personnellement. Le fait que ces archives n'étaient pas disponibles pour diverses raisons était absolument inacceptable. J'ai demandé au directeur de recruter des personnels contractuels pour effectuer ce travail, qui a été fait et bien fait.

Par ailleurs, force est de constater que les procédures de délivrance des autorisations provisoires de vente et des homologations étaient bien moins encadrées à l'époque qu'actuellement. Notamment, le principe de précaution des cultures guidait bien plus les décisions que celui de protection de la santé publique et de l'environnement. Les choses ont bougé aujourd'hui. Les paramètres prioritaires étaient l'efficacité du produit et éventuellement la phytotoxicité, c'est-à-dire l'effet toxique sur la plante traitée. Les effets chroniques sur les populations étaient encore bien moins pris en compte.

Deuxièmement, les fabricants de produits phytosanitaires ont siégé dans la commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole jusqu'en 2001.

Enfin, un produit pour lequel le dossier de demande d'homologation était jugé insuffisant pouvait faire l'objet d'autorisations provisoires, et ce pendant plusieurs années. Les temps ont changé.

Depuis, et fort heureusement, la réglementation a fortement évolué, avec un cadre réglementaire européen, une stricte séparation entre évaluation et autorisation des produits phytosanitaires, une approche scientifique et rigoureuse conduite au niveau national par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Désormais, face à cette pollution environnementale, le Gouvernement se doit d'assurer une protection maximale des Guadeloupéens et des Martiniquais.

Pour le ministère de l'Agriculture, cela passe par un plan ambitieux visant le zéro chlordécone dans l'alimentation aux Antilles. Il s'agit de l'un des objectifs prioritaires de la feuille de route interministérielle sur le chlordécone 2019-2020, présentée fin août dernier aux parlementaires ultramarins et aux exécutifs locaux et traduisant les engagements du Président de la République.

Cet objectif complète les deux autres enjeux prioritaires de cette feuille de route portés en lien avec les trois autres ministres concernés : Annick Girardin aux Outre-mer, Agnès Buzyn à la Santé et Frédérique Vidal à l'Enseignement supérieur et la Recherche. Ils sont de deux ordres :

– les enjeux environnementaux, avec une meilleure compréhension de la contamination des sols et de l'eau ;

– l'accompagnement des populations, avec des actions de prévention adaptées et renforcées ainsi que la poursuite des études sur les effets sanitaires du chlordécone.

Viser le zéro chlordécone dans l'alimentation passe par la prévention de tout risque de contamination des productions agricoles ; l'établissement d'une cartographie des sols est à ce titre indispensable. Il est également question de renforcer la réglementation et les contrôles sur les denrées alimentaires mises sur le marché.

Le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation est ainsi le premier contributeur de l'enveloppe budgétaire gérée par la préfecture de Martinique et dédiée au plan d'action contre la pollution par le chlordécone. L'ambition du Président de la République est de porter cette enveloppe globale à hauteur de 3 millions d'euros pour le prochain plan chlordécone, qui verra ainsi son ambition renforcée.

En outre, le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation a mis en place des financements complémentaires et spécifiques pour accompagner les agriculteurs dans le renouvellement de leurs pratiques culturales ou encore les pêcheurs à travers des mesures d'aide sociale.

Au-delà du chlordécone, le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation se mobilise pleinement pour une alimentation saine, sûre, durable, tracée et équitable au service de l'autonomie alimentaire des départements d'Outre-mer. Je le répète : les solutions peuvent venir de Paris mais sont également et surtout sur les territoires. Le ministère accompagne ainsi plus globalement la montée en gamme des produits de l'agriculture ultramarine, l'élaboration des projets alimentaires territoriaux, le développement de la pêche par le renouvellement de la flotte et la formation pour transformer les filières. Voilà ce que je voulais vous dire en introduction. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions, Mesdames et Messieurs les députés.

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Merci Monsieur le ministre. Je voudrais saluer la présence des parlementaires Didier Martin, François Pupponi et Hélène Vainqueur-Christophe.

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En préambule, je souhaite saluer le travail mis en oeuvre par vous, Monsieur le ministre, et l'ensemble de vos services afin de retrouver l'intégralité des pièces disponibles, en tout cas les archives que la commission d'enquête avait réclamées et qui paraissaient introuvables en 2005 lors de la mission d'information parlementaire portée par Philippe Edmond-Mariette et Joël Beaugendre.

Vous le dites bien : le fait que ces archives étaient introuvables était pour vous inacceptable. Un grand merci pour les populations de Guadeloupe et de Martinique.

Pouvez-vous nous indiquer quelle était entre 1968 et 1993 la procédure d'homologation des substances et d'autorisation de vente des produits phytopharmaceutiques d'une part, et d'autre part, les autorisations provisoires de vente accordées pour un an étaient-elles renouvelables par tacite reconduction ?

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Je l'ai dit dans mon introduction : les temps ont changé, les choses ont changé et on ne voit plus les choses aujourd'hui comme on les voyait dans les années en question.

Pour répondre clairement à votre question, je peux distinguer deux périodes : 1968 à 1972 et 1972 à 1993, qui sont légèrement différentes. Entre 1968 et 1972, il existait trois dispositions réglementaires que je pourrai vous donner : les arrêtés de 1934, de 1943 et de septembre 1954. Quand on se réfère à un arrêté de 1934, même en 1972 il s'est passé un peu de temps.

La procédure d'homologation était la suivante.

– Une demande devait être adressée au service de la protection des végétaux du ministère, dont le contenu du dossier était précisé réglementairement.

– Suivait l'instruction par le directeur du laboratoire Phytopharmacie, la présentation au comité d'étude des produits antiparasitaires à usage agricole rendant son rapport et proposant une décision, soit une décision d'homologation, soit un refus d'homologation, soit, comme cela a été beaucoup utilisé, une mise en étude assortie, le cas échéant, d'une proposition d'autorisation provisoire de vente (APV).

– Pour terminer, la décision finale d'homologation revenait au ministère chargé de l'Agriculture, pour une durée maximale de dix ans renouvelables.

C'est totalement différent aujourd'hui. Les autorisations provisoires de vente pouvaient durer deux ans mais elles étaient renouvelables.

Pour la période entre 1972 et 1993, quatre arrêtés s'appliquaient aussi : un de 1943, deux de 1974 et un de 1987 ; des arrêtés ont été adoptés pendant cette période pour faire évoluer la jurisprudence. Le comité d'étude des produits antiparasitaires à usage agricole a été remplacé à cette époque par une « commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés », chargée d'examiner les risques de toxicité directe ou indirecte pour l'homme, les animaux et l'environnement. La décision finale prise par le ministère chargé de l'Agriculture prenait effet pour une durée maximale de dix ans renouvelables. L'APV était annulée d'office si l'homologation n'intervenait pas dans un délai maximal de quatre ans. Cette autorisation provisoire pouvait être exceptionnellement reconduite pour un délai maximum de deux ans et pouvait durer au maximum six ans.

Je vous donne ces précisions car cela montre bien ce qui a dû se passer, ce qui a pu se passer à l'époque où ces autorisations ont été données. Aujourd'hui, tout cela serait obsolète puisque la prise en compte de la prévention, du principe de précaution, de la santé des végétaux et de la population n'est plus du tout la même. Le processus d'homologation a changé mais il faut se référer à ce qu'il était à l'époque.

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Justine Benin a raison d'insister sur le fait que grâce à vous, nous avons, les Martiniquais, les Guadeloupéens, la France tout entière a pu avoir accès à travers la commission d'enquête aux archives. Je tiens vraiment à vous remercier car en plus, vous précisez que vous avez dû renforcer les équipes pour retrouver les archives, premièrement car M. Thierry Beaugendre et M. Philippe Edmond-Mariette n'ont pas pu avoir accès à ces archives, voir et refaire la chronologie des décisions, on pourrait même dire la chronologie d'un drame environnemental économique et humain. Je voulais rajouter ces deux termes après « environnemental » car les conséquences sont sociales, humaines et économiques.

Après vous avoir remercié pour cette détermination à donner ces documents, j'ai une question à vous poser, mais à titre personnel : comment, face à un tel drame pendant des années, ces archives dites nationales ont pu disparaître ? Comment expliquer une telle situation dans une République de droit, où la transparence doit prévaloir au-delà même de toute posture et opinion politique ?

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Je partage ce que vous dites, Monsieur le Président. Ce n'est pas une histoire d'opinion, cela s'appelle l'État, l'État républicain et le prolongement de l'État républicain quelles que soient les périodes. Ce Gouvernement est très attaché à la transparence (comme d'autres, vraisemblablement).

Je ne peux pas répondre précisément à votre question, j'ignore ce qui s'est produit par le passé. Des déménagements et des réorganisations ont eu lieu, l'organisation des archives n'était peut-être pas aussi optimisée qu'elle aurait dû l'être… je n'excuse pas ce qui s'est passé, je fais un constat factuel. Ce que je dis, c'est que lorsque nous avons pris à bras-le-corps ce sujet après votre interpellation et notamment après l'audition de M. Ferreira, directeur général de l'alimentation (DGAL) au ministère, nous avons investi de grands moyens. Nous avons consulté les archives nationales et l'ensemble des archives du ministère de l'Environnement car lorsqu'une commission d'enquête demande des archives, c'est dans toute l'acception du terme. Nous avons aussi consulté les archives de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), nous avons interpellé l'ANSES, nous avons engagé un vrai travail pour répondre à ce que vous souhaitiez et c'est la raison pour laquelle nous avons réussi à vous remettre quasiment la totalité de ce que nous pouvions.

À mon sens, il n'y a eu aucune volonté de cacher tout cela, je ne peux même pas l'imaginer. Il y a sûrement eu un problème d'organisation d'archives, auquel nous avons essayé de mettre fin.

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Je tiens à poser cette question car grâce à vous, Justine Benin et moi ainsi que tous les membres de la commission avons établi des vérités avec des pièces. Il ne s'agissait pas pour nous de déclamer mais d'établir avec des preuves des vérités. Je tenais à vous le dire car nous allons entrer dans le fond du débat sur la question de la responsabilité. Je souhaite vraiment que nous tranchions clairement là-dessus, plus particulièrement avec vous. Le Président de la République Emmanuel Macron et vous-même l'avez répété, nous étions très heureux d'entendre la ministre des Outre-mer hier dire que la responsabilité est reconnue – et elle a ajouté « engagée ». Nous ne vous donnons pas toutes les billes dont nous disposons, vous imaginez bien que nous ne vous donnons que quelques éléments, mais les preuves que nous avons nous montrent clairement le niveau d'engagement de l'État, qui n'est pas seul : je considère que d'autres responsabilités sont toutes aussi importantes.

Je tenais vraiment à vous remercier car grâce à vous, nous avons pu établir les preuves de la chronologie précise non pas entre 1972 et 1993 mais entre 1968 et 1993 et entre 1943 et 1993, une chronologie assez particulière de l'époque, que vous avez décrite, qui montre aussi que le privilège accordé aux dérogations peut expliquer des dynamiques d'autorisation incroyables conduisant à une catastrophe.

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Monsieur le ministre, je vous remercie pour vos propos et votre engagement, sur lequel nous n'avions aucun doute.

Vous avez dit qu'il fallait que nous ayons une cartographie. Le temps viendra de savoir ce qui s'est passé, et ce que fait la commission d'enquête est important pour reconnaître les faits et les responsabilités éventuelles des uns et des autres. Or il faut aussi aujourd'hui éviter que les populations soient encore exposées au risque. Pour cela, il faut que nous sachions quelles terres sont polluées, ont été touchées par le chlordécone.

Nous avions déjà eu l'information mais M. le Président l'a dit et la ministre de l'Outre-mer territoires l'a confirmé hier : la cartographie ne concerne que 15 % des territoires. Comment est-il possible, alors que tout le monde sait que le chlordécone est dangereux et que la population est exposée à un risque, que l'administration ne soit pas en capacité, dans un pays comme le nôtre, sur une région comme celle-là, depuis tant d'années, de faire une cartographie précise et exhaustive du risque pour empêcher que d'autres populations continuent à être exposées ? Je souhaitais connaître votre sentiment à ce sujet et vous demander comment le Gouvernement compte faire pour que cette cartographie soit établie dans les meilleurs délais.

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Je vais vous répondre très précisément, mais c'est très compliqué pour des raisons juridiques, pour des raisons du droit de la propriété et par rapport à l'évolution de l'agriculture.

L'objectif de mon ministère est de procéder à une cartographie des sols à même de sécuriser au maximum les productions agricoles ; j'y suis favorable. Nous aurons à faire face à des difficultés juridiques : il faudra se rendre chez chaque propriétaire et chaque agriculteur, partout. Nous allons y travailler.

Le ministère a déjà initié des analyses de sol en 2004 après votre demande en 2003. En 2006 et 2007, les analyses des sols agricoles ont été intégrées à un système d'information géographique, et une cartographie est accessible sur les sites Internet des préfectures de Martinique et de Guadeloupe depuis avril 2018. Cependant, j'ai conscience que cela ne suffit pas par rapport à la question que vous posez et que se posent M. le Président et Mme la rapporteure. Ces surfaces cartographiées en zones agricoles reposent sur des résultats clairs. Je vais vous donner deux chiffres car je me doutais que cette question serait posée et je les ai fait ressortir.

Je vous rappelle qu'étant responsable politique et non pas technicien, je suis obligé de m'appuyer sur des services et des demandes car je n'ai pas la connaissance de tout cela, mais en Martinique aujourd'hui la cartographie représente 6 144 hectares sur 36 500 au total, auxquels il convient d'ajouter les sols ayant un historique de culture de bananeraies considérées comme à risque de contamination de 9 100 hectares, soit un total de 15 844 hectares cartographiés sur les 36 500.

En Guadeloupe, on m'a indiqué 3 470 hectares cartographiés sur 52 000. L'objectif que je fixe au sein du ministère est de cartographier les sols pour lesquels des cultures sensibles, des cultures intermédiaires ou encore des élevages de plein air sont présents.

Cartographier la totalité des sols risque d'être compliqué mais si on s'arrête en disant qu'on ne va pas le faire parce que c'est compliqué, on ne le fera jamais. La volonté du ministère et la mienne (nous travaillons avec les services) sont de commencer sur la cartographie. Je pense que vous souhaitez une cartographie totale, ce que je comprends tout à fait. Par conséquent, nous allons essayer d'avancer pour voir si nous sommes capables de l'obtenir.

Cette cartographie sur laquelle nous avons déjà travaillé sur les 15 000 hectares en Martinique et sur les 3 400-3 500 en Guadeloupe continuera à être complétée cette année et l'année prochaine par les analyses de sol qui vont être réalisées (200 en Guadeloupe et 170 en Martinique). 550 analyses de sols supplémentaires seront programmées en Guadeloupe, et 100 prélèvements réalisés par la profession sur les parcelles plantées en bananes. C'est important de voir que les choses bougent sur place.

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Il y a un problème lié à l'agriculture ; il y a aussi et surtout un problème de santé publique. La cartographie relève certainement du ministère de l'Agriculture, mais ne croyez-vous pas qu'elle relève également du ministre de la Santé, voire du Premier Ministre ? Interviennent-ils pour savoir si des personnes en Martinique ou en Guadeloupe sont encore exposées à un risque ? Certes, il faut sauver l'agriculture, mais aussi et d'abord des êtres humains, ainsi que l'environnement. Ne faudrait-il pas décréter la prise en charge de ce dossier par une structure intergouvernementale ? Cela concerne la santé, la recherche, l'agriculture, cela concerne tout le monde. Mon sentiment depuis que nous auditionnons est que chaque ministère prend sa responsabilité mais sans vision globale.

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C'est l'aspect gouvernance mais je voulais qu'on revienne sur le point de départ de Mme Benin sur la question de la cartographie. Monsieur le ministre, il faut que nous soyons très prudents : cartographie ne veut pas dire analyse. La cartographie comporte une partie présomption, parce que si c'est planté en bananes, on s'attend à la présence de chlordécone. La cartographie est réalisée en fonction de la décision individuelle de chacun de faire analyser son sol car l'analyse n'est pas obligatoire. J'ai entendu des chiffres concernant la Martinique. Nous devons rester prudents mais en gros, cela tourne autour de 15 % de cartographie réelle. Quand on rajoute les grandes plantations par supposition de pollution, ce chiffre peut légèrement augmenter.

Seriez-vous favorable à ce que la carte et les analyses de sol soient gratuites, notamment pour les professionnels de la diversification agricole ?

Êtes-vous favorable à ce que la cartographie soit obligatoire ? Je ne vois pas comment on peut piloter une politique de reconquête des sols et de l'agriculture sans connaître la vraie teneur de chlordécone dans le sol. Certaines zones sont très polluées, d'autres moyennement polluées et d'autres encore très peu polluées mais polluées quand même.

Pour finir, seriez-vous d'accord pour que la cartographie s'effectue sur la totalité des terres agricoles, y compris des terres périurbaines entre le milieu agricole et le milieu urbain ? C'est une très forte demande ; par infiltration, on trouve des terres « chlordéconées » sur des terres non agricoles.

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Vos questions s'inscrivent tout à fait dans le prolongement de celles qu'évoquait le député Pupponi à deux niveaux.

Je peux donner mon avis et dire que je suis favorable mais tout ne dépend pas de moi ; cela doit se faire au niveau du Premier Ministre et de l'interministérialité. À mon poste, je suis chargé de l'Agriculture mais c'est la ministre de la Transition écologique et solidaire qui est en charge de la partie environnement et de la partie urbaine. Vous m'interrogez, je vous réponds « oui » mais dans la partie qui me concerne ; je ne peux pas répondre « oui » sur la partie globale. Je n'ai pas le mandat ni l'arbitrage pour répondre au nom du Gouvernement, même si bien sûr, je crois qu'il faut aller dans cette direction.

D'après ce qui m'a été dit, il n'est pas possible à l'heure actuelle de réaliser cette cartographie, ce pourquoi nous étudions la possibilité de l'imposer par arrêté préfectoral, notamment sur les productions sensibles (système racinaire, maraîchage…) Aujourd'hui, à ma connaissance, nous ne pouvons pas aller plus loin, en tout cas ma responsabilité ne peut pas aller plus loin.

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Pour compléter, vous avez parlé de cartographie mais il s'agit aussi d'analyse de sol.

Par conséquent, vous seriez partisan de rendre cela obligatoire afin qu'il existe une couverture juridique et que ce ne soit pas dépendant de la volonté de chaque agriculteur de le faire ou de ne pas le faire.

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Oui. Je pense qu'il faudrait conditionner la mise sur le marché des productions sensibles à l'analyse de sol.

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Vous êtes favorable au fait que les victimes qui sont les petits producteurs agricoles, qui ne sont pas responsables de la pollution, puissent bénéficier de la gratuité des analyses.

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Vous avez raison, Monsieur le Président, le problème concerne les petits producteurs. C'est le problème de l'histoire de ces territoires et de la façon dont on fait l'agriculture vivrière, la vente directe au bord de la route… Le petit producteur ne peut pas être en plus celui qui va être obligé de payer des choses alors qu'il n'a pas les moyens de le faire ou en partie. C'est pour cela qu'il faudrait regarder la possibilité, peut-être à travers le fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), de le financer. Or vous pensez bien que ce matin, dans l'état actuel des choses, je ne peux pas répondre en évoquant la gratuité.

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D'accord, mais lorsqu'une collectivité comme la collectivité de Martinique refuse de mettre le FEADER en marche pour financer les petits agriculteurs, n'y a-t-il pas une obligation de flécher, exactement comme le préfet a l'obligation de faire payer une dette ?

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Cela fait partie des sujets que nous avons aujourd'hui, dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune, avec les régions et les territoires pour voir comment réorienter le FEADER. Au début de la négociation, certaines régions voulaient avoir la totalité du second pilier de la politique agricole commune (PAC) et donc du FEADER ; l'État, le Premier Ministre n'a pas arbitré dans cette direction, car par rapport à ce que vous venez de dire, il est indispensable qu'une politique soit nationale et qu'il n'y ait pas uniquement des politiques territoriales. Il faut de la flexibilité, il faut la possibilité de faire des choses, mais dans un cadre national. Si nous laissions uniquement aux régions ou aux territoires la gestion totale du FEADER, il n'y aurait plus de coordination nationale et l'État ne pourrait plus intervenir. J'ai bien l'intention d'intervenir, même s'il faudra attendre les arbitrages du Premier Ministre et peut-être du Président dans cette direction. À titre personnel, je suis favorable à ce que cette cartographie et ces analyses soient réalisées pour les productions sensibles. Bien sûr que le petit producteur, qui représente la majorité des personnes concernées, ne doit pas être contraint de payer, faute de quoi cela ne pourra pas fonctionner et on fera l'impasse sur certains aspects, on mettra la poussière sous le tapis et on continuera comme on l'a fait depuis des années.

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Monsieur le ministre, je voudrais avant tout également vous remercier pour votre effort de transparence dans le cadre de cette commission d'enquête en nous transmettant ces archives perdues.

Combinés aux auditions locales que nous avions menées, ces documents nous interrogent véritablement sur la responsabilité de l'État ; responsabilité sur les autorisations et prorogations mais aussi sur la gestion postérieure à 1993.

Les Chambres d'agriculture ont-elles donné un avis sur ces dérogations ? Le rapport Snégaroff en 1977 puis le rapport de l'INRA en 1980 ne parlaient pas encore de contamination mais au moins d'une exposition, donnaient des éléments sur la pollution et suggéraient des investigations plus poussées. Est-ce que votre ministère, les Chambres d'agriculture et les services locaux de la direction de l'agriculture et de la forêt (DAF) et de la préfecture par exemple ont été informés de ces rapports ?

À l'heure actuelle, quelle est la méthodologie utilisée par vos services en cas de retrait de l'homologation d'un produit ? Je pense par exemple au glyphosate. Dans l'hypothèse d'un arrêt de commercialisation, comment se passera le retrait ? Quel protocole mettrez-vous en place pour vous assurer que tous les stocks ont véritablement été éliminés ou rendus et ne sont plus utilisés ?

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Concernant votre dernière question, comme je le disais en introduction, aujourd'hui, la situation est différente et le contrôle est différent. Je ne vais pas vous répondre directement sur le glyphosate car ce n'est pas le thème de la commission mais évidemment, le jour où le glyphosate sera interdit à l'échelle européenne, des vérifications seront effectuées de manière à ce qu'il ne soit plus utilisé. Nous n'allons pas recommencer ce que nous avons vécu là car sinon nous ne nous en sortirions plus.

Je suis confus de ne pas pouvoir répondre directement à votre question sur les Chambres d'agriculture car je n'ai pas assez regardé dans les archives. C'est dans les archives mais je ne peux pas vous dire si les Chambres d'agriculture ont donné un avis. M. le Président le sait peut-être mais je l'ignore.

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Monsieur le ministre, je souhaiterais m'associer aux propos du président de la commission d'enquête pour saluer l'effort de transparence totale qui a été le vôtre pour apporter à notre commission d'enquête tous les documents pour établir au plus près possible la vérité et la chronologie de ce qui s'est passé tout au long de ces décennies.

Ma question revient sur l'exposition résiduelle actuelle de la population à travers son alimentation, puisque nous ne pouvons pas revenir sur ce qui s'est passé autrefois. Aujourd'hui, il s'agit de protéger la population contre ces risques établis sur le cancer, sur la santé des enfants et sur les perturbateurs endocriniens.

Un arrêté interministériel du début de l'année 2019 a abaissé les limites maximales de résidus de 0,1 mgkg à 0,02 mgkg dans la viande de boeuf. C'est important mais l'objectif, comme vous l'avez souligné, est zéro chlordécone dans l'alimentation de la population. Vous avez déjà tracé quelques pistes avec la cartographie et des analyses des sols, qui doivent effectivement permettre d'apporter des préconisations pour les producteurs actuels, mais pouvez-vous, dans le cadre futur du plan chlordécone IV, nous indiquer quelles mesures vous souhaiteriez renforcer afin que la population, si possible, soit totalement protégée d'une contamination alimentaire étant donné que l'alimentation relève de votre ministère ?

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

L'alimentation, en France comme en Outre-mer, est la priorité du ministère et du Gouvernement car c'est la priorité de la population. Aujourd'hui, nos concitoyens réclament une alimentation la plus sûre, la plus saine, la plus durable, la plus tracée possible et ce que nous pouvons répondre, y compris dans ce contexte de commission d'enquête, c'est que l'alimentation française issue de l'agriculture française, qu'elle vienne de l'Hexagone ou des Outre-mer, est sûre, saine et durable telle qu'elle est faite. Or vous parlez de sujets qui se sont passés auparavant. Lorsque nous baissons les limites maximales de résidus (LMR) pour la viande bovine, c'est tout simplement car nous savons contrôler cela et nous savons qu'il n'y a pas de problème.

Je veux à la fois être dans la totale transparence et dire clairement qu'aujourd'hui, lorsqu'un citoyen français mange, il n'a pas de risque sanitaire, que ce soit un produit qui vient du circuit court, d'une entreprise ou de l'industrie agroalimentaire, car cette alimentation est bonne. Je tiens à le rappeler car trop de personnes passent leur temps à dire qu'on mange mal…, ce n'est pas vrai. Certains produits sont peut-être moins bons que d'autres mais globalement, les contrôles sanitaires que nous faisons, que font la Direction générale de l'alimentation (DGAL) et la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) montrent qu'aujourd'hui, la chaîne alimentaire française est une chaîne alimentaire solide dont nous pouvons être fiers. Je tiens à le dire car c'est très important. C'est pour cela que lorsque nous décidons de baisser les LMR, c'est parce que nous pensons que les contrôles sont suffisants pour pouvoir les réduire.

J'en viens à ce qui nous préoccupe ici, c'est-à-dire la situation en Guadeloupe et Martinique sur les résidus, les traces de chlordécone dans l'alimentation et le plan chlordécone tel que nous pouvons l'élaborer. Le ministère est impliqué depuis une dizaine d'années dans le plan avec le ministère des Outre-mer (MOM), le ministère de la Santé et le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Les inspections générales des ministères ont été saisies et sont censées, dans le cadre du futur plan chlordécone, faire des propositions début 2020. J'étudierai avec beaucoup d'attention les recommandations des inspections générales.

Au risque de dire des choses qui ne plaisent pas toujours, je m'appuie sur la science et les scientifiques et sur les instituts indépendants. Nous avons un problème d'actualité aujourd'hui avec les zones de non-traitement, etc. Je peux comprendre que certains veuillent pousser le principe de précaution fort loin, que certains, pour des raisons de posture politique, veuillent dire des choses. Ce n'est pas votre cas mais je le dis globalement. En ce qui me concerne, je m'appuie sur les études menées par notre conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux et nos inspections générales, et sur l'ANSES. C'est la réalité aujourd'hui. À moins que l'on remette en cause les inspections générales et l'autorité indépendante sanitaire, je ne vois pas d'autre possibilité pour le faire.

Un certain nombre de choses ont déjà été lissées grâce au renforcement du principe de précaution, la prévention d'une éventuelle contamination des productions agricoles, la cartographie dont nous avons parlé tout à l'heure… nous avançons bien dans cette direction. Mais vous avez raison, nous allons de toute façon maintenir l'accompagnement des agriculteurs, qui est indispensable. Si nous voulons aller jusqu'au bout, il faut que les mesures du futur plan chlordécone soient encore plus fortes et contraignantes afin d'arriver à avancer et à assurer les habitants de Guadeloupe et de Martinique que l'alimentation qu'ils mangent, produite par l'agriculture de ces territoires, ne met pas leur santé en danger. C'est aussi simple que cela mais nous allons réaliser le même travail, la même force pour les Outre-mer que pour l'Hexagone, sachant que l'agriculture est quand même différente (l'agriculture vivrière, l'agriculture de circuits courts, de vente au bord des champs et des routes, de vente directe). Il va falloir prendre cela en compte.

Ce que je demande aux services du ministère de l'Agriculture, à celles et ceux qui établissent les règles et les circulaires, c'est de tenir compte de la diversité de la France. La France est une et indivisible, c'est la République, ce sont les fondements de notre République. Elle est une et indivisible mais elle est diverse. Tant que l'on ne comprend pas complètement cela, on ne peut pas bien comprendre ce qu'est la République française dans sa diversité. Les règles sont les mêmes pour tous. Un citoyen français, qu'il soit à Pointe-à-Pitre, à Fort-de-France, à Paris ou à Dijon, a les mêmes droits et les mêmes devoirs, sauf que si je suis à Basse-Terre, au Diamant ou ailleurs, je ne vis pas de la façon et je n'aborde pas l'alimentation de la même façon que si je suis dans le 7e arrondissement et que je vais au Franprix de la rue de Bourgogne. C'est totalement différent et nous avons besoin que l'administration française le comprenne : on met des règles fortes pour tout le monde mais il faut tenir compte des spécificités. Par conséquent, par rapport aux perspectives sur lesquelles vous m'interrogiez, il faut absolument renforcer la lutte contre les difficultés que vous rencontrez. Le renforcement de cette lutte passera par un nouveau plan chlordécone IV fort qui s'appuiera sur ce que vous publierez. Je ne sais pas quand sortira votre rapport mais le Gouvernement (et dans mon ministère, nous travaillerons avec mes collègues) s'appuiera évidemment sur le rapport que rédigera Mme Benin sur la commission d'enquête chlordécone. L'indépendance est claire, la séparation de l'exécutif et du législatif est absolument indispensable, c'est la constitution. Mais l'exécutif a besoin de l'appui du législatif. Vous avez les moyens d'investiguer, de rédiger un rapport et de soumettre des propositions. Ensuite, il faudra vraisemblablement discuter pour voir comment prendre vos propositions pour les faire entrer dans un plan ou non, en tout ou en partie, ce qui sera suivi d'arbitrage.

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Monsieur le ministre, vous venez de faire une déclaration très importante en tant que ministre de l'Agriculture, car cette affaire ne concerne pas seulement le ministère de l'Agriculture, mais principalement. Vous venez d'indiquer que ce rapport, qui sera rendu, qui essaie de faire les choses de la manière la plus ouverte et transparente possible, vous n'allez pas le mettre dans un tiroir et ne plus en parler, vous allez en tenir compte. Bien sûr, il ne s'agit pas de donner un blanc-seing mais de dire clairement que vous allez en tenir compte pour décliner les propositions futures concernant la chlordécone, c'est bien cela ?

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

J'ai été parlementaire avant d'être membre du Gouvernement. J'ai beaucoup de respect pour le Parlement et pour le travail parlementaire. Comme je l'évoquais à l'instant, dans la séparation stricte des pouvoirs, il faut que le Gouvernement s'appuie sur les rapports qui sont faits au Parlement, à l'Assemblée et au Sénat, qui sont des mines de réflexion, de recherche et de travail. Si les gouvernements s'appuyaient plus sur les rapports parlementaires, les commissions d'enquête, les missions d'information, etc., on arriverait à avancer. Cela pourra aussi contribuer à éviter quelque peu la méconnaissance des uns et des autres. Au ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, l'administration est très compétente, les directions font très bien leur travail et vont sur le terrain. Je n'attaque jamais l'administration française car on a trop tendance à la montrer du doigt mais quand il y a un problème dans ce pays, ce sont les fonctionnaires, c'est l'administration française qui est au charbon, personne d'autre. En même temps, il faut tenir compte de l'expérience de terrain. Je dis souvent à mes collaborateurs au cabinet ou aux directeurs d'administration centrale de sortir, d'aller sur le terrain, d'aller dans les départements. C'est plus facile d'aller en Lozère en Aveyron et au Pays basque qu'en Guadeloupe et en Martinique, encore que cela se fait très bien. Vous-même le faites lorsque vous venez ici au Parlement. Mais il faut aller sur le terrain pour se rendre compte de ce qui se passe. On ne s'appuie bien que sur ce qui résiste, on ne s'appuie bien que sur ce qui se passe sur le terrain. C'est en fonction du terrain qu'on peut tirer des enseignements généraux. Pardonnez-moi d'être long mais notre rencontre est passionnante.

Le Gouvernement ne va pas prendre votre rapport et en faire un texte de loi, cela n'aurait aucun sens. Comme vous le dites, cela n'aurait aucun sens non plus de le prendre, de le mettre dans un tiroir et de se dire qu'on a passé cette étape et qu'on va passer à une autre étape. Le futur plan chlordécone ne pourra pas faire fi de ce que vous publierez, du rapport que rédigera Mme Justine Benin et la commission sous votre autorité. Je m'engage pour mon ministère. Je pense que mes trois autres collègues en feront de même. C'est la raison pour laquelle l'interministérialité et le choix d'arbitrage que fera le Premier Ministre seront absolument essentiels.

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Très bien. Nous prenons déjà rendez-vous pour la déclinaison par acte, par cadre, par moyens financiers, par moyens législatifs pour nous accompagner. Je parle de nous, pas de moi, je parle du peuple martiniquais et du peuple guadeloupéen pour la sortie par le haut, au sein de la République, de ce drame du chlordécone.

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Monsieur le ministre, vous le savez, nous sommes allés dans les territoires pour auditionner les professionnels aussi bien de l'agriculture que de la pêche. À ce sujet, beaucoup de difficultés nous ont été remontées. Il semblerait notamment que les éleveurs dont les bêtes sont saisies à l'abattoir en raison de leur non-conformité ne soient pas indemnisés. Qu'en est-il ?

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Comme je l'indiquais tout à l'heure, il faut tenir compte des spécificités mais certaines règles s'appliquent. Le principe de précaution doit être mis en oeuvre partout, quelle que soit la situation. Je viens de connaître cela avec Lubrizol ; je ne veux pas qu'on me dise parfois qu'il faut mettre en place le principe de précaution le plus fort possible et parfois le contraire car cela pose un problème avec les éleveurs. J'ai conscience de cela mais je suis obligé de faire en sorte que des règles existent. Une soixantaine d'éleveurs environ a déjà été accompagnée cette année mais nous ne souhaitons pas indemniser les carcasses saisies à l'abattoir, pas uniquement pour des raisons financières mais car cela peut être contraire à l'objectif recherché. Si on considère qu'il y a des problèmes, il y a des problèmes. En revanche, j'entends mener avec les territoires ultramarins un travail avec les Chambres d'agriculture, dont je souhaite qu'elles redeviennent un interlocuteur prioritaire et qu'elles organisent, avec les élus, les parlementaires et les collectivités territoriales, sous la tutelle de l'État, la politique agricole de ces territoires. La réorganisation des filières agricoles consiste à faire en sorte que les territoires ultramarins ne continuent pas à être aussi dépendants de leurs voisins, ce qui n'a aucun sens. Aujourd'hui, ces territoires ont tout pour réussir, pour réorganiser des filières d'élevage alors que ces filières sont faibles, pour réunir de nouvelles filières pour l'alimentation, notamment sur la volaille et d'autres, non pas pour parvenir à l'autonomie alimentaire, objectif que nous n'atteindrons pas demain, mais pour tendre vers celle-ci. C'est la raison pour laquelle le ministère met en place un conseil adapté à tous les éleveurs via nos structures ; c'est absolument indispensable. Mais nous ne pouvons pas, me semble-t-il, Madame la rapporteure, aller dans votre dans votre sens. Accompagner, oui ; faire de la prévention, oui ; aider, oui ; mais le financement des carcasses n'est pas possible.

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Monsieur le ministre, je pense que nous touchons à un enjeu fondamental, et de mon point de vue, Justine Benin pose sur la table un enjeu extrêmement important et juste : la question de la réparation.

Lorsque le Président de la République – je le répète devant l'opinion publique, c'est le premier et seul Président de la République qui a eu le courage de parler de responsabilité et de réparation – a employé le terme « responsabilité collective », je ne suis pas totalement d'accord car je considère que les victimes ne peuvent pas être responsables d'une chose avec laquelle elles n'ont rien à voir. Ce ne sont pas les petits éleveurs qui ont mis le chlordécone. Ils le reçoivent dans la vache qu'ils élèvent. Sa carcasse qui est transportée dans l'abattoir est une carcasse victime du chlordécone. Qui indemnise-t-on ? Celui qui vient découper sa vache pour la vendre n'a plus de vache parce qu'elle est chlordéconée, tandis que celui qui a introduit le chlordécone est au contraire parfaitement accompagné pour ce qu'on souhaite tous, la banane durable, dans le cadre du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI). Le petit agriculteur qui a une vache qu'il a élevée avec des petits moyens n'a absolument rien. Par conséquent, la question de la réparation ne se conçoit-elle pas aussi dans le cadre d'un processus d'indemnisation ?

Je le dis publiquement : je ne suis pas du tout favorable à une indemnisation individuelle. Décider de donner à chaque Martiniquais et Guadeloupéen 1 000, 2 000 ou 3 000 euros et s'arrêter là serait à mon avis grave et aurait même des conséquences irréparables. Je pense plutôt à un processus d'indemnisation. Mme Benin prend un excellent exemple en demandant ce que l'on fait pour celui qui amène sa vache sans savoir qu'elle est chlordéconée et qui est victime de cela.

Deuxièmement, il faut l'accompagner, vous avez raison, pour que sa vache ou ses boeufs soient transportés sur des terres non chlordéconées ou que les herbes données à la vache ne soient pas chlordéconées, ce qui signifie qu'il faut les mettre en hauteur. C'est un accompagnement, mais la question de l'indemnisation se pose. De la même manière, on demande au petit pêcheur qui pêche le long de la côte d'acheter un bateau dix fois plus grand pour faire de la pêche pélagique. Avec quels moyens ? Quels matelots ? Quelle assurance ? Quel accompagnement ? Il y a à la fois l'accompagnement financier à faire pour changer la flotte, mais aussi des processus d'indemnisation. Je pourrais prendre plusieurs exemples.

On peut trouver un accord en matière de santé publique sur des personnes fragilisées et qui peuvent être atteintes par les conséquences du chlordécone, comme celles qui ont un certain âge et qui peuvent avoir un cancer de la prostate devraient être sous surveillance sanitaire. Le test devrait logiquement être gratuit pour ceux qui souhaitent en faire un. On a de très fortes suspicions sur les accouchements prématurés : là aussi, cette surveillance sanitaire doit être gratuite. Voilà le genre de chose qu'on pourrait imaginer comme processus d'indemnisation lié à la réparation mais qui soit extrêmement actif. Les personnes dont les terres sont polluées ne peuvent pas du tout les cultiver car le ruissellement part d'une terre vers une autre. C'est la plus grande injustice que j'ai constatée dans ce dossier : les victimes paient deux fois ; nous sommes victimes du chlordécone et victimes d'une absence totale de réparation. Je suis d'accord et très content que le Président Macron ait employé ce terme. Cependant, en l'absence d'action derrière un terme, celui-ci a peu de sens.

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Cette discussion est passionnante et nous partageons les mêmes objectifs. Ce ne sont pas les victimes du chlordécone qui doivent être aujourd'hui montrées du doigt, ce serait le monde à l'envers, c'est absurde et ce n'est pas du tout la volonté du Gouvernement. En même temps, quand on parle de réparation – le Président de la République en a parlé –, on ne va pas régler le problème de la réparation aujourd'hui, vous le savez très bien. Nous attendons votre rapport. Il sera étudié par les quatre ministères, par le Président de la République, n'en doutons pas, et par le Premier Ministre. Des arbitrages auront lieu. En l'état actuel des choses, je ne peux pas répondre positivement à la question que vous posez mais je travaille sur la durée : la question de la réparation, des conclusions du bilan du plan chlordécone III et de ce que pourra évoquer le Président de la République lors d'un prochain déplacement du Premier Ministre chez vous.

Nous voulons changer totalement le système. M. le Président le disait : en Guadeloupe, des idées et des expérimentations sont déjà en place pour déplacer les troupeaux dans des lieux où les terres ne sont pas chlordéconées. C'est très bien, mais nous ne voulons pas aller dans un système qui pourrait apparaître pervers (pardonnez-moi l'expression), dans lequel on dirait : « On amène la carcasse, on vous paie et on n'en parle plus ». Ce n'est pas ce que vous souhaitez ni ce que souhaite le ministère. Ainsi, la position du ministère aujourd'hui est claire : nous ne participerons pas au financement des carcasses qui partent à l'abattoir mais nous voulons changer totalement les pratiques en partant de l'amont et en faisant en sorte que l'éleveur arrive à avoir un élevage le plus sain possible et totalement déchlordéconé. C'est dans cette direction que nous pourrons avancer. Aujourd'hui, nous apportons un accompagnement aux agriculteurs et pêcheurs de l'ordre de 630 000 euros par an, et en 2019, nous avons mis 590 000 euros en plus. Ce n'est pas la réparation que vous appelez de vos voeux mais c'est de l'argent investi par le ministère pour aider aux changements de pratiques, pour aider aux changements de nos éleveurs. Lorsque le plan complet et les suites de votre mission seront publiés, nous verrons ce qu'il en sera et nous nous rencontrerons peut-être dans d'autres circonstances, mais à l'heure qu'il est, je ne peux pas vous répondre autre chose que ce que je vous réponds ici.

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Nous venons d'inventer le verbe « déchlordéconer ». L'affaire est tellement grave que la sémantique a complètement évolué et changé et que nous allons faire rentrer dans le dictionnaire les termes « déchlordéconer » et « chlordéconer ». D'ailleurs, sociologiquement, nous sommes nous-mêmes en train de muter sémantiquement et intellectuellement en intégrant cela comme une réalité morbide, certes, mais une réalité. C'est très important.

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Je voulais aller dans le même sens que M. le Président. Nous avons entendu des ministres et le Président de la République parler de la responsabilité de l'État en disant que nous devons nous engager dans le chemin de la réparation. Nous vous avons entendu dire tout à l'heure qu'il était hors de question d'indemniser les carcasses et je peux vous suivre dans ce sens. Or ce n'est pas seulement dans la prévention qu'il faudrait nous accompagner.

Lors de la discussion sur la proposition de loi que j'ai portée pour la création d'un fonds d'indemnisation en janvier dernier, la ministre de la Santé s'était engagée à créer un fonds d'indemnisation des victimes de produits phytosanitaires. C'est fait : un article 46 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2020 est discuté. Avez-vous été associé à l'élaboration de ce dispositif ? J'ai beau le relire dans tous les sens et regarder son application, pour moi il ne s'appliquera pas aux victimes du chlordécone car cela fait près de trente ans que le chlordécone n'est plus utilisé et les ouvriers qui l'ont utilisé ne sont plus en activité, beaucoup sont décédés et très peu de personnes pourraient être indemnisées dans le cadre de cet article 46 et de la création de ce fonds, dans la mesure où pour l'instant, il n'y a pas d'ouverture du tableau des maladies professionnelles pour le cancer de la prostate. D'après ce que j'ai pu comprendre, le rapport que nous avons eu sur la création du fonds d'indemnisation laisse penser qu'il serait très difficile d'ouvrir ce tableau. Pensez-vous qu'en l'absence de preuve du lien de causalité entre pathologie et exposition, la création d'un fonds d'indemnisation des victimes économiques et environnementales pourrait, en attente des expertises de santé, être une étape concernant l'indemnisation ?

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

J'ai en effet été associé au fonds d'indemnisation, d'autant plus que c'est mon ministère et moi-même qui l'avons fortement porté concernant les produits phytopharmaceutiques et les maladies professionnelles liées à ces produits. Le Gouvernement s'est engagé à l'inscrire dans la loi, il est inscrit cette année dans le PLFSS à l'article 46. Pour vous parler franchement, je ne suis pas sûr qu'il va s'appliquer au chlordécone, en tout cas aujourd'hui. Il n'a pas été créé par rapport à la réflexion spécifique au chlordécone. Nous sommes en commission d'enquête donc je dis la vérité, toute la vérité. Il a été créé pour les maladies professionnelles pour les agriculteurs liées notamment au fameux processus de M. Paul François, qui a gagné son procès contre Monsanto.

Évidemment, on ne pourra pas faire fi, dans ce fonds d'indemnisation, de ce qui se passe pour le chlordécone mais je pense qu'il faudra changer quelque chose dans la loi ou dans le PLFSS pour que le chlordécone puisse y être associé. En ce qui nous concerne, nous attendons par rapport à ce fonds un avis commun entre l'ANSES et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) pour la fin de l'année. Si nous n'avions été que tous les quatre, il aurait été plus facile de répondre car votre question dépend spécifiquement du ministère de la Santé et de la Solidarité et je ne veux pas marcher sur les plates-bandes de ma collègue, même si nous sommes très en phase et qu'il n'y a pas de problème.

Oui, le fonds phytosanitaire est créé. Je ne suis pas sûr que le chlordécone soit concerné étant donné que ce fonds n'a pas été créé globalement pour cela, mais en fonction de votre rapport, nous verrons comment les choses se passeront. Outre votre rapport, Madame la garde des Sceaux avait envoyé un courrier au Président. Compte tenu qu'une enquête judiciaire est ouverte, nous ne pouvons pas intervenir et employer des termes liés à ce qui est en cours dans l'enquête.

Cependant, la volonté est là. Ce ne sont pas des paroles en l'air que le Président de la République a prononcées. Comme M. le Président l'indiquait, c'est la première fois qu'un Président de la République dit cela, c'est la première fois qu'un Gouvernement met le paquet pour avancer dans cette direction. Quelle déception si cela n'allait pas jusqu'au bout ! Jamais vous ne le supporteriez. Le Président de la République a utilisé dans sa phrase le terme de « scandale environnemental » et a dit que l'État avait une part de responsabilité. Vous dites que l'État a toute la responsabilité. Nous allons voir comment les choses avanceront.

Il parle aussi de réparation. Nous verrons comment cela se passera au niveau de la réparation mais je ne peux malheureusement pas, Mesdames et Messieurs les députés, vous répondre ce matin sur ce que sera la réparation. C'est comme la question que posait Mme la rapporteure sur l'élevage. Mais une chose est sûre : dans le cadre du fonds d'indemnisation voté au sein du PLFSS, il n'y a aucune raison que les maladies avérées qui dépendraient du chlordécone n'en fassent pas partie.

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Si je comprends bien, cela va être très bientôt discuté lors du PLFSS 2020. Nous pouvons compter sur l'appui du ministère conformément à ce qu'a dit notre collègue Mme Hélène Vainqueur-Christophe, pour améliorer ou faire apparaître très clairement la question du chlordécone, qui est un sujet central dès lors qu'il est question de pesticides, mais il faut cibler le chlordécone par rapport à la durabilité qu'elle a évoquée. Ce sera une proposition mais comme notre rapport doit sortir d'ici le 4 décembre, nous risquons d'être en décalage. Il serait donc intéressant d'avoir une réunion technique avec vous pour s'assurer que cela s'appliquera, étant donné que c'était aussi un engagement du Président de la République. Il ne faudrait pas être en décalage vis-à-vis de lui.

Deuxièmement, comme l'a dit Mme Hélène Vainqueur-Christophe, techniquement, la problématique des maladies professionnelles et des accidents de travail se pose. Nous savons que pourcentage des personnes indemnisées est assez faible compte tenu que cette affaire est déjà ancienne et qu'aujourd'hui, à peine 10 % des dossiers déposés (5 % d'après les dernières informations) reçoivent une indemnisation reconnue, car le lien entre la maladie et le chlordécone doit être prouvé, ce qui est assez compliqué.

Je me permets de vous dire, Monsieur le ministre, que nous sommes d'accord : la question de l'indemnisation, de la réparation telle que je la constate dépasse les 13 000 personnes potentiellement touchées dans les milieux agricoles (environ 750 000 personnes sont imprégnées de chlordécone en Guadeloupe et en Martinique). À partir du moment où on reconnaît la nécessité d'une réparation, il faut nous laisser la possibilité, à travers cette commission d'enquête sur le chlordécone, de vous faire des propositions très concrètes dans ce domaine.

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Si je peux me permettre, pour être très précis, le fonds phytosanitaire de l'article 46 du PLFSS concerne tout le monde, y compris les maladies reconnues professionnelles ou issues du chlordécone. C'est ce à quoi il est fait référence. Pour le reste, la réparation globale est autre. La réparation pour les 700 000 personnes évoquée par le Président n'est pas comprise dans ce fonds. En revanche, les maladies professionnelles reconnues par rapport au chlordécone le seront. Je préfère le préciser.

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Pour l'instant, la seule maladie pour laquelle un lien de causalité pourrait être établi est le cancer de la prostate. Les deux autres maladies 58 et 59 du tableau ne s'appliqueront pas ou pourraient ne pas s'appliquer au chlordécone.

Pour l'instant, dans le rapport sur la création du fonds, il est indiqué très clairement qu'il sera compliqué d'ouvrir le cancer de la prostate au niveau du tableau des maladies professionnelles. Par conséquent, il me semble très compliqué de faire officiellement reconnaître une pathologie liée au chlordécone dans le cadre des maladies professionnelles. Tant que ce tableau ne sera pas ouvert, ce sera compliqué.

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

C'est à Agnès Buzyn de répondre et non à moi mais je veux bien repréciser les choses. Vous avez raison, Madame la députée, mais le fonds phytosanitaire sur lequel le Gouvernement a travaillé et qu'il propose de voter en relation avec le Parlement consiste bien à reconnaître les maladies liées aux produits phytosanitaires ayant entraîné une maladie professionnelle. Voilà le texte de loi, net et précis. La suite ne se passe pas au détour d'un article d'un PLFSS. Je parle sous l'autorité de M. le Président et de Mme la rapporteure dans le rapport que vous allez produire ; ce n'est pas au détour d'un article ou d'un amendement du PLFSS 2020 que la question de la réparation liée au chlordécone va être réglée.

Les victimes du chlordécone ne sont pas concernées par le fonds phytosanitaire, sauf celles qui sont reconnues comme victimes professionnelles.

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Hélène insiste pour que le tableau soit modifié afin d'y intégrer le chlordécone.

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Cette discussion est importante car le ministère de la Santé doit effectivement établir les taux de prévalence du cancer de la prostate dans la population et s'intéresser aux travailleurs qui ont été exposés (les exploitants, leurs salariés…) dans leur activité professionnelle. À partir de là, même si ma collègue en doute, on peut absolument concevoir que le fonds d'indemnisation des victimes permette aussi d'indemniser les travailleurs qui ont été exposés et qui ont une prévalence et une survenue excessive de cancer de la prostate. C'est ma vision des choses et je pense que ce serait justice de reconnaître que cette population a été frappée par un cancer de façon excessive par rapport au reste de la population.

Après avoir parlé de santé, je voudrais vous parler, Monsieur le ministre, du financement de ce fonds puisqu'il est aujourd'hui prévu dans le PLFSS qu'à la fois une cotisation des employeurs et une taxation des produits phytosanitaires alimentent ce fonds. Là encore, les utilisateurs, les exploitants qui ne peuvent pas se passer des produits phytosanitaires vont être mis à contribution, ce qui sera assez lourd pour eux. Nous savons que cette taxe sur les produits phytosanitaires alimente l'ANSES mais elle doit également alimenter dans son augmentation (elle va passer de 0,3 à 0,9 %) le fonds phytosanitaire.

Ne trouvez-vous pas quelque peu injuste de taxer uniquement les utilisateurs et non les industries qui produisent ces produits phytosanitaires ? Par analogie avec ce qui était prévu pour le programme Jardins familiaux (JAFA), pourquoi ne pas prévoir un calcul portant sur l'ensemble du chiffre d'affaires des industries, avec un ratio sur la quantité de produits phytosanitaires produits, ce qui éviterait d'alourdir la contribution financière des exploitants et des consommateurs de produits phytosanitaires ?

Nous sommes en commission d'enquête sur le chlordécone mais je vais quand même vous répondre, sauf sur la première question, qui n'est pas de mon ressort mais de celui de Mme Agnès Buzyn, que vous avez auditionnée. Je n'ai pas à faire de commentaire ni à répondre à la première partie de la question.

Sur la deuxième, dire que seuls les agriculteurs sont taxés n'est pas totalement exact, si je peux me permettre. Les entreprises sont taxées cette année à 0,9 % et l'objectif est qu'elles le soient à 3 % en 2022 (50 millions d'euros pour alimenter le fonds), ce qui n'est pas rien. Les entreprises sont également taxées dans ce que nous voulons faire. Il s'agit de taxes sur les autorisations de mise sur le marché (AMM).

Une autre taxe a fait du bruit lors de la préparation du budget : la redevance pour pollutions diffuses (RPD), qui a elle aussi légèrement augmenté dans le précédent budget et qui rapporte un peu plus que ce qui était prévu. Cette redevance va servir à travailler sur la transition agroécologique et sur les bonnes pratiques. Ce Gouvernement ne reste pas inactif : la transition agroécologique est l'alpha et l'oméga de la politique de ce ministère dans l'Hexagone comme dans les Outre-mer. Oui, la taxation des AMM s'applique, mais elle ne concerne pas que les agriculteurs mais aussi les entreprises.

Parallèlement, dans le cadre de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire (EGalim), vous avez séparé vente et conseil. On constate la volonté d'utiliser de moins en moins de produits phytopharmaceutiques, et c'est là où nous pouvons peut-être avoir une légère divergence ou pas : si on veut utiliser un peu moins de produits phytopharmaceutiques pour donner les moyens aux paysans de moins en utiliser, il faut peut-être aussi les taxer pour les y inciter.

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Je voudrais revenir sur un point. J'ai énormément apprécié le fait que vous distinguiez les besoins de prise en charge dans le cadre de la réparation. Vous avez parlé des prises en charge ponctuelles (carcasses, etc.) mais vous avez également clairement indiqué que la question de la réparation doit aussi être à l'ordre du jour comme le Président de la République l'a annoncé, et qu'il fallait désormais décliner les modalités de réparation. Est-ce bien cela ?

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

C'est bien cela, Monsieur le Président, même s'il ne m'appartient pas de donner le début d'une piste. Il faut faire la différence entre le ponctuel, le conjoncturel, le fonds phytosanitaire qui est mis en place et les déclinaisons pour la réparation, qui ne manqueront pas, je pense, d'être présentes dans votre rapport, et que le Président de la République devra arbitrer avec le Premier Ministre.

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Et en tant que ministre, entendez-vous cette revendication, ce souhait, ce besoin de réparation comme une vérité, comme une reconnaissance ? Pensez-vous que cette demande est légitime ?

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

J'entends ce besoin de réparation, je le pense légitime mais je ne peux pas en dire plus car il ne m'appartient pas d'en dire plus. Sans encore parler de montant, le contour de cette réparation devra être fixé dans des allers-retours entre vous-même et l'exécutif.

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En ce qui me concerne, ceci est une déclaration très importante. Merci beaucoup.

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Si nous sommes aujourd'hui dans le cadre de cette commission d'enquête parlementaire, c'est parce que nous connaissons la rémanence et la persistance de cette molécule et le taux d'imprégnation du chlordécone au niveau des populations de Guadeloupe et de Martinique.

Pensez-vous réellement à l'objectif zéro chlordécone ? Vous avez dit en introduction que c'est un enjeu de votre ministère, mais j'aurais souhaité que vous puissiez nous en dire davantage.

Deuxièmement, que pensez-vous réellement de la mise en place déjà faite de l'accompagnement de vos services au niveau du territoire ?

Troisième point : vous avez parlé de l'évaluation des différents plans chlordécone, en tout cas de l'avenant au plan chlordécone III et de la préparation au plan chlordécone IV. Dans ce cadre, comment voyez-vous le financement de la dépollution ?

Dernière question : pouvez-vous nous détailler le financement complémentaire destiné à la pêche et à la diversification de l'agriculture ?

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Zéro chlordécone est l'objectif, la volonté du Gouvernement, de mon ministère et de vous toutes et tous. Va-t-on atteindre le zéro chlordécone demain ? Non. Je ne vais pas vous raconter d'histoires, je ne vais pas enjoliver la situation, mais nous devons tout faire pour aller dans cette direction.

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Nous parlons du zéro chlordécone dans l'alimentation.

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Oui, dans l'alimentation.

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Je préfère que vous le précisiez car je ne voulais pas que votre déclaration soit mal interprétée. Le zéro chlordécone dans le sol, c'est pour dans 700 ans, pas pour demain.

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Je ne parle pas de zéro chlordécone dans les sols mais dans l'alimentation. C'est un objectif clair. C'est le même que lorsque nous parlons de l'objectif de sortie du glyphosate en 2021 ou de 50 % de moins de produits phytopharmaceutiques en 2025. Ce sont des objectifs qu'il faut fixer. Il ne s'agit pas uniquement d'un objectif pour faire joli mais sur lequel nous mettons tous les moyens pour l'atteindre, faute de quoi cela ne sert à rien et s'appelle de la communication. Or je ne suis pas là pour faire de la communication mais pour avoir des résultats. Je ne suis pas un commentateur de la vie, je suis un acteur de la vie politique. Un acteur ne fait pas de commentaire, un acteur acte, prend des décisions.

Notre volonté est de parvenir au zéro chlordécone. Ce sera difficile et prendra du temps dans l'alimentation mais nous devons tous nous y mettre. Si nous avons la volonté, nous trouverons le chemin pour y arriver.

Concernant l'extension du programme JAFA aux produits de la mer, je suis au regret de vous dire que je ne vais pas répondre à cette question, dont la responsabilité revient au ministère de la Santé. Avec le ministère de l'Économie, nous sommes en charge des contrôles des produits commercialisés.

Sur l'évaluation, il m'est très compliqué de répondre car je ne suis pas technicien et je ne vais pas demander aux techniciens de répondre. La volonté du ministère que je dirige est d'être en évaluation permanente. Ce n'est pas parce que nous avons pris une décision, parce qu'une loi est votée, parce qu'un décret a été pris que nous considérons que c'est pour solde de tout compte, bien au contraire. Dans la politique moderne, dans la relation que nous devons avoir avec la population et la société civile, nous devons sans cesse nous rendre compte de ce que cela donne. D'ailleurs, constitutionnellement, les pouvoirs des députés et des sénateurs comprennent le contrôle du Gouvernement, et donc des lois, et c'est un peu ce que nous faisons ici. Il ne faut jamais arrêter d'évaluer et de voir comment les choses peuvent évoluer. C'est pourquoi j'ai regardé les plans chlordécone mis en place jusqu'à maintenant. Ils ont été ce qu'ils ont été. Les prochains plans chlordécone devront être encore plus forts, encore plus précis et dans la direction d'arriver au zéro chlordécone avec les moyens afférents.

Concernant les pêcheurs, j'ai bien entendu ce que disait tout à l'heure M. le Président sur le pêcheur obligé d'aller pêcher plus loin avec un plus grand navire, plus de matelots… c'est très compliqué et nous avons besoin d'évaluer cela.

La prise en compte du premier plan chlordécone a amené des choses. Je comprends votre réflexion selon laquelle cela ne va pas assez loin. Vous avez raison de dire cela mais, là encore, je ne peux pas répondre plus précisément à cette question. Sachez cependant que j'ai beaucoup essayé de travailler et de faire travailler notre direction de la pêche et mon collaborateur en charge du sujet ; nous avons vraiment la volonté d'avancer dans cette direction.

Sur la période 2014 à 2019, le ministère a mis en place une aide d'urgence de l'ordre de 4 millions. Je suis conscient qu'il se peut que ce que je vous dise ne vous satisfasse pas, mais c'est ma réponse ; nous avons la volonté de maintenir en activité, de mettre un peu d'argent dans le cadre de ce que nous faisons, mais la reconversion des pêcheurs liée à la problématique du chlordécone m'importe beaucoup.

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Ce qui est important pour nous, en commission d'enquête, est d'établir la vérité et la transparence. Nous sommes en train d'aboutir. Il nous manque quelques documents, quelques pièces que nous continuerons à chercher. Je vous donne un exemple de pièces qui nous manquent dans le puzzle de la vérité : une société commercialisait le chlordécone pendant longtemps, entre 1972 et 1980, l'important depuis la Virginie, aux États-Unis. Après l'accident d'Hopewell en Virginie en 1975, les Américains ont immédiatement arrêté la production. Cette société est passée du stade de société qui commercialise à société qui produit, à Béziers en France en collaboration avec les Brésiliens. C'est très simple. Un élément très important, dont vous avez parlé tout à l'heure, est que le contexte réglementaire et scientifique était très différent à l'époque. Mais au-delà même de cette appréciation, qui ne peut pas disculper qui que ce soit par rapport aux autorisations accordées, à quel moment bascule-t-on ? À quel moment le drame devient-il vraiment un grand drame ? Il nous est indiqué que c'est parce qu'on a laissé racheter la licence de production par une entreprise martiniquaise. En revanche, nous n'avons jusqu'à présent pas retrouvé les documents de rachat de la licence d'Allied Chemical par Lagarrigue. Ma requête très précise serait de demander au ministère de l'Agriculture s'il est possible de retrouver ces documents afin de savoir exactement ce qui a été acheté comme licence : est-ce directement Lagarrigue, est-ce Calliope, est-ce Béziers, est-ce que sont les Brésiliens ? Cela va nous permettre d'asseoir véritablement les choses, étant donné que l'homologation qui a été accordée l'a été en 1986, alors que les APV pleuvaient depuis 1972 (on peut compter 4 ou 5 APV). D'après nous, on a volontairement choisi des procédures APV dérogatoires pour ne pas tomber sous le coup de l'homologation préalable, et l'homologation est arrivée en 1986. C'est parce que la Commission européenne, les règlementations européennes s'appliquaient dès 1991, qu'on a fini par avoir cette fameuse réunion de la Commission des toxiques en 1989 interdisant le produit.

Je ne demande pas de réponse immédiate, mais si vous pouvez, en tant que ministre, nous retrouver ce document, ce serait un élément extrêmement précieux.

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Par rapport à cela, je pense que nous vous avons donné cet été tout ce que nous avons pu retrouver sur les archives. Je ne crois pas qu'il reste le moindre document. Peut-être qu'il n'est pas chez nous mais dans d'autres secteurs. Il m'est soufflé à l'instant qu'il est également possible qu'il s'agisse d'archives privées, auquel cas nous n'avons pas la possibilité, l'autorisation juridique de mettre la main sur ces archives.

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Nous allons le demander au privé mais il fallait absolument vous le demander, ainsi qu'aux autres ministres que nous avons rencontrés.

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Monsieur le ministre, vous parliez du zéro chlordécone dans l'alimentation. Savez-vous que sur le contrôle des produits de la pêche dans le cadre des prélèvements effectués par les DAAF, le délai entre le prélèvement et le retour d'analyse est pratiquement de deux mois ? En effet, les laboratoires sur place ne sont pas en mesure de doser le chlordécone. Par conséquent, Le zéro chlordécone dans l'alimentation dans le cadre de la consommation des produits de la pêche, notamment de la pêche traditionnelle, est pratiquement impossible à mettre en place.

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

C'est votre affirmation, Madame la députée. Il faut du temps pour les analyses. Je pense que lorsque les analyses sont enclenchées, lorsqu'on est dans le flux, il n'y a pas de raison qu'il y ait un décalage, on peut y arriver. N'étant pas technicien, j'ignore s'il est impossible d'arriver au zéro chlordécone mais l'engagement politique que je prends et les orientations politiques que je donne visent au zéro chlordécone, ce qui est absolument indispensable.

En outre, nous travaillons sur la possibilité que les études puissent être faites sur place. Envoyer des études et attendre qu'elles reviennent prend du temps. Si nous voulons accélérer le processus, il faudrait pouvoir mettre un système en place afin que les analyses puissent être réalisées sur place. Vous avez toutes les qualités, toutes les possibilités de le faire.

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La commission avait demandé à la DGAL le compte rendu du colloque scientifique d'octobre 2018 à la Martinique. Pouvez-vous, s'il est en votre possession, nous le transmettre ?

M. Didier Guillaume remet le compte rendu à Mme la rapporteure.

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Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation

Ce n'est pas le rapport.

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Je voudrais vraiment remercier M. le ministre pour sa franchise, sa clarté et surtout son accompagnement futur. Nous avons pratiquement établi une grande part, à mon avis la plus grande part de vérité et des déclarations. Mme Annick Girardin a annoncé que la responsabilité de l'État était engagée, une expression très importante pour moi. Vous avez, Monsieur le ministre, employé un terme qui va résonner en Martinique et en Guadeloupe et qui suit la pensée du Président de la République, le « besoin de réparation », un besoin qui s'exprime sous la forme du respect des deux peuples martiniquais et guadeloupéen. Dans le détail opérationnel, nous verrons ce qui sera retenu (car vous êtes au Gouvernement), par le Président de la République, le Premier ministre et vous-même. Nous avons fait notre travail, nous allons continuer et bien sûr la balle sera dans le camp de notre chère rapporteure, qui va devoir assumer la lourde responsabilité de rapporter au plus haut niveau, et je lui fais confiance. Merci beaucoup.

L'audition s'achève à onze heures cinq.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 17 octobre 2019 à 9 h 30

Présents. – Mme Justine Benin, Mme Annie Chapelier, M. Serge Letchimy, M. Didier Martin, M. François Pupponi, Mme Hélène Vainqueur-Christophe

Excusé. - Mme Véronique Louwagie

Assistait également à la réunion. - Mme George Pau-Langevin