La réunion

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La commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Rémy Rioux, dont la nomination à la fonction de directeur général de l'Agence française de développement (AFD) est proposée par le Président de la République.

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.

La séance est ouverte à 9 h 00

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Le vote de notre commission sur la proposition de reconduction de M. Rémy Rioux à la fonction de directeur général de l'Agence française de développement (AFD), envisagée par le Président de la République, aura lieu dans les conditions prévues par l'article 29-1 du règlement.

La désignation du directeur général de l'AFD est la seule qui, en application de l'article 13 de la Constitution, requiert l'avis public des commissions des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat – c'est dire l'importance et la solennité de cette audition !

Monsieur Rioux, je vous souhaite la bienvenue devant notre commission, que vous avez fréquentée avec assiduité sous la précédente législature, dans le cadre des fonctions auxquelles le Président de la République souhaite que vous soyez reconduit.

Votre carrière a été consacrée, très largement, au développement et à l'Afrique. Vous avez été secrétaire général adjoint du ministère des affaires étrangères, et vous avez coordonné l'agenda « finance » de la présidence française de la COP21, jusqu'à la négociation finale de ce qui reste comme une réussite assez prestigieuse de la diplomatie française : l'accord de Paris sur le climat.

Depuis 2016, vous êtes directeur général de l'AFD, bras financier de la coopération de la France, qui gère quelque 12 milliards d'euros de fonds – c'est dire si vous êtes l'objet d'intérêt, de convoitises et de jalousies de beaucoup de gens, qui aimeraient bien disposer de moyens d'action aussi considérables que ceux que vous mettez à la disposition du développement. Votre mandat est venu officiellement à expiration le 2 juin, de sorte que vous avez assuré l'intérim de vos propres fonctions jusqu'à ce que le Président de la République prenne la décision de vous y reconduire.

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Rémy Rioux, vous avez été nommé directeur général de l'AFD en 2016 et reconduit en 2019. Notre commission doit vous entendre sur votre bilan et sur les perspectives que vous envisagez pour l'Agence au cours de votre éventuel nouveau mandat.

Le développement, notamment dans sa dimension économique, constitue indéniablement le fil rouge de votre parcours. Ancien élève de l'École normale supérieure (ENS) et de l'École nationale d'administration (ENA), vous avez rapidement occupé, au Trésor, les fonctions de chef du bureau de la coopération monétaire et du développement avec les pays d'Afrique, des Caraïbes, du Pacifique et de la zone franc. Après avoir été directeur de cabinet de Pierre Moscovici, lorsqu'il était ministre de l'économie et des finances, vous avez été secrétaire général adjoint du ministère des affaires étrangères et du développement international. Après avoir été chargé d'une mission de préfiguration relative au rapprochement de l'AFD et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), vous avez été nommé directeur général de l'AFD et renouvelé à ce poste trois ans plus tard. Depuis 2017, vous présidez l' International Development Finance Club (IDFC), qui est un réseau de vingt-sept banques de développement s'efforçant de coordonner leurs actions, notamment pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les Nations Unies en 2015 et les objectifs de l'accord de Paris sur le climat.

Votre mandat de directeur général de l'AFD est arrivé à expiration en juin dernier. Du point de vue juridique, vous assurez depuis lors l'intérim de cette fonction. Le 29 juillet dernier, le Président de la République a fait part de son intention de vous reconduire dans vos fonctions.

Au cours de vos mandats, l'AFD a profondément changé de visage. Le groupe AFD, en 2021, c'est 12,15 milliards d'euros d'engagements et des projets dans plus de 115 pays. Il s'agit donc d'une institution très puissante, disposant de moyens significatifs. Aux yeux de nombreuses personnes et institutions, ONG et États, l'AFD incarne concrètement la France. Nous avons d'ailleurs adopté, il y a à peine plus d'un an, à l'unanimité en séance publique, une loi renouvelant profondément le cadre de l'aide publique au développement (APD), à la mise en œuvre de laquelle le futur directeur général de l'AFD devra s'attacher prioritairement.

Je vous ai adressé, le 29 juillet dernier, un questionnaire comportant dix-huit questions. Vos réponses ont été transmises à nos collègues et sont consultables sur le site internet de l'Assemblée nationale. Elles portent sur les priorités géographiques et sectorielles de notre APD, notamment la transition écologique, la sécurité alimentaire, la santé, l'égalité entre les hommes et les femmes ainsi que l'éducation. Vous serez aussi attendu sur certaines réticences suscitées par la stratégie de l'AFD, s'agissant par exemple du projet d'aménagement de son siège ou de la réforme du statut du personnel.

Trois points ont spécialement retenu mon attention et celle de nombreux collègues, comme ils avaient également retenu l'attention de celles et ceux qui ont travaillé sur ces questions lors de la précédente législature.

Premièrement, l'importance des dons dans la gamme des outils de notre APD. La loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales promeut une logique de dons plutôt que de prêts, tout en confirmant la priorité géographique, détaillée par le comité interministériel pour la coopération internationale et le développement, accordée aux dix-huit pays les moins avancés (PMA), qui, tous sauf un, Haïti, se situent en Afrique. Je vous cite : « Les dons sont évidemment une composante essentielle dans la palette des instruments de l'AFD. L'Agence en a besoin pour intervenir dans les pays les plus pauvres et en crise et sur les questions les plus difficiles, comme la biodiversité, les secteurs sociaux ou encore l'adaptation au changement climatique ». Vous indiquez que le montant des dons gérés par l'AFD a augmenté de 76 % de décembre 2017 à décembre 2021, pour atteindre 11,2 milliards d'euros en exécution.

Deuxièmement, la priorité fixée pour les trois prochaines années de parachever l'intégration du groupe AFD et de ses deux filiales, Expertise France et PROPARCO, afin de créer une institution complète, parfois dite groupe AFD. Quel est le contenu de ce parachèvement ? Jusqu'où l'intégration doit-elle aller ? Où se situe la ligne de crête entre l'intégration, source de synergies, et le respect des spécificités des métiers exercés par les deux filiales ?

Troisièmement, vous évoquez à plusieurs reprises dans vos réponses l'importance des partenariats, dont vous faites également une priorité pour les années à venir. Vous souhaitez maximiser la capacité de mobilisation de l'AFD pour contribuer à bâtir des partenariats solides et dynamiques, notamment avec la société civile, les collectivités locales, l'entreprenariat et les autres banques publiques de développement. Cette logique partenariale est aussi un axe important de la loi du 4 août 2021. Quels types de partenariats l'AFD a-t-elle d'ores et déjà conclus avec ses homologues dans les principaux pays ainsi qu'avec l'Union européenne ? Dans quelle direction et de quelle façon peut-on encore progresser en matière de coopération entre grands acteurs du développement ?

J'ajoute à ces trois points deux questions qui me tiennent à cœur, et qui figurent dans le questionnaire.

La priorité donnée au continent africain par l'AFD est-elle visible concrètement dans les actions, les chiffres et les bilans de l'AFD ? Quels sont les éventuels freins empêchant bon nombre de pays africains, notamment francophones, de se développer, en dépit des richesses, notamment humaines, dont ils sont dotés ?

Par ailleurs, l'AFD a également un rôle, souvent oublié, d'accompagnateur des outre-mer et d'appui aux collectivités territoriales. Cela représente un tiers de son activité. Pouvez-vous nous éclairer sur ce volet moins connu que les autres de l'action de l'AFD ? Quels sont les types de projets que vous soutenez dans ces territoires ? Avec quels résultats ?

En conclusion, je rappellerai l'importance cruciale de notre APD, confrontée à des défis qui semblent parfois insurmontables. La pandémie de Covid-19 nous a cruellement rappelé que nous devons penser les risques et les menaces à l'échelle globale, sous peine de ne pas être à la hauteur des enjeux. Ce qui vaut pour la santé vaut pour le réchauffement climatique, l'effondrement de la biodiversité et le creusement des inégalités.

Le combat pour une APD toujours plus forte et toujours plus efficace est un combat pour un monde plus vivable pour les générations futures. Nous devons garder ce paradigme à l'esprit. L'APD est l'unique instrument de redistribution. Ses instruments permettent de redistribuer un peu moins de 0,4 % du PIB mondial. L'AFD fait partie des institutions qui mènent quotidiennement ces combats.

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Monsieur Rioux, vous allez à présent vous exprimer dans un délai certes court, mais vous avez répondu de façon précise et détaillée aux questions qui vous ont été posées par le rapporteur. J'invite d'ailleurs chacun de nos collègues à consulter ce document. L'action de l'AFD est la concrétisation de ce qui a été la grande action de cette commission, au cours de la législature précédente : le vote de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales du 4 août 2021. Ce document, riche et précieux, établit le lien entre les objectifs fondamentaux de la loi et la façon dont le candidat Rioux envisage de les mettre en œuvre.

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Rémy Rioux

Je suis très honoré de présenter ma candidature devant vous ce matin. Je demeure, ainsi que l'AFD tout entière, à la disposition des parlementaires. En six ans, j'ai été auditionné plus de cinquante fois par le Parlement.

Je suis accompagné de Mme Marie-Hélène Loison, directrice générale adjointe de l'AFD, chargée des opérations. Avec elle, ce sont tous les salariés de l'AFD qui sont avec nous. Je les salue ; ils méritent votre confiance. Je suis également accompagné de Philippe Baumel, ancien député, qui travaille à mes côtés pour renforcer sans cesse les liens entre l'Agence et le Parlement.

Je dresserai un bilan succinct de mon travail à la tête de l'Agence, avant de présenter les trois engagements que j'aurai à cœur de réaliser au cours des trois prochaines années, si vous me renouvelez votre confiance.

En 2016, je me suis engagé devant votre commission à faire en sorte que l'AFD devienne plus grande. Elle l'est devenue. Elle a été dotée, grâce à vous, de 4 milliards d'euros de fonds propres supplémentaires. Depuis six ans, elle a géré 11 milliards d'euros de crédits budgétaires français, auxquels se sont ajoutés des crédits européens, pour parvenir à un total d'environ 15 milliards. Elle a pu ainsi doubler son activité, passant de 7 à 14 milliards d'euros par an, et s'est stabilisée à 12 milliards d'euros depuis 2020.

Chaque année, nous accompagnons 1 100 projets de développement dans près de 130 pays. Notre portefeuille de dons, qui est essentiel pour travailler sur les secteurs sociaux dans les pays les plus fragiles, a doublé. Nous avons en exécution 12 milliards d'euros de projets en subventions, dont les deux tiers dans les PMA.

La stratégie de l'AFD, qui est celle de la France, a toujours été de concentrer au maximum notre action en Afrique. L'Afrique bénéficie de la moitié des financements de l'AFD, soit environ 6 milliards d'euros par an, dont 60 % en Afrique francophone. L'Afrique bénéficie des trois quarts des subventions que vous votez chaque année en loi de finances initiale.

Cette forte croissance, qu'il a certes fallu gérer, nous permet d'être présents sur les grands sujets énumérés par M. le rapporteur et d'avoir de l'impact. L'AFD a été la première institution à s'aligner sur l'accord de Paris, en 2017. Elle tient les engagements pris par la France lors de la COP21 en matière de finance climat, à hauteur de 6 milliards par an. La France est l'un des sept pays qui tiennent les engagements pris en 2015. Outre le climat, nous avons placé l'Agence à la pointe du débat et de l'action pour la protection de la biodiversité et des océans.

Nous sommes également revenus dans les secteurs sociaux : l'éducation, dans le cadre du partenariat mondial pour l'éducation ; la réponse à la crise du Covid-19 dans le cadre de l'initiative « Covid-19 — santé en commun » ; la sécurité alimentaire, dans le cadre de l'initiative Food & Agriculture Resilience Mission (FARM). Quant à l'égalité entre les femmes et les hommes, elle a été notre grande priorité dans le cadre de la diplomatie féministe de la France. Comme vous l'avez prévu dans la loi, la moitié de nos financements contribue directement à réduire les inégalités de genre.

Nous avons beaucoup progressé en matière de transparence, qui est jugée bonne à l'échelle internationale. Notre politique d'évaluation a été renforcée dans l'attente de la mise en place de la commission indépendante d'évaluation créée par la loi du 4 août 2021. Nous sommes capables de rendre des comptes précis jusqu'à la mesure des impacts pour les populations. Depuis 2016, dans le monde, grâce à la France, 200 millions de personnes ont bénéficié d'un accès aux soins amélioré, 80 millions d'enfants ont été scolarisés, 30 millions de foyers ont accédé à l'électricité, 10 millions à l'eau, 82 millions d'hectares ont été restaurés ou protégés et 6 millions d'exploitations agricoles familiales ont été soutenues.

En 2016, je me suis également engagé à rendre l'AFD plus agile et plus innovante. Des procédures adaptées ont été définies pour les territoires en crise, au premier rang desquels le Sahel. Le fonds d'innovation pour le développement (FID), présidé par Esther Duflo, est opérationnel. Le fonds Metis est à l'étude. Il vise à mobiliser des mécènes pour accroître la proportion de création culturelle dans les actions de développement. Une attention croissante est portée à l'entrepreneuriat et au digital. Nos délais d'instruction et de versements se sont très nettement améliorés, de plus d'un trimestre s'agissant de la signature de nos conventions de financement.

Enfin, l'AFD est devenue bien plus partenariale. En 2017, nous avons été à l'initiative de l'Alliance Sahel, forte à présent de vingt-six membres, dont les États-Unis d'Amérique, qui l'ont rejointe récemment. Nous sommes à l'origine des « Initiatives équipes Europe » de la Commission européenne. Je préside le club IDFC, qui rassemble plusieurs banques publiques de développement, et qui est à l'origine d'un mouvement intitulé « Finance en commun », sorte d'internationale des 550 banques publiques de développement du monde, à l'échelle pour traiter les enjeux globaux.

L'AFD s'est tournée vers tous les acteurs français : la société civile – 300 millions d'euros supplémentaires en six ans –, les collectivités locales – passant de cinq à soixante-quatorze projets accompagnés –, la CDC, les établissements publics de l'État, les entreprises, bientôt les philanthropes, et Paris 2024, dont nous sommes partenaire officiel, pour faire du sport un accélérateur de développement.

J'ai veillé à faire en sorte que cette transformation profonde de l'Agence soit réalisée avec sérieux, en préservant ses équilibres financiers et de gestion. Nos risques sont maîtrisés et nos comptes tenus. Nous avons même dégagé l'an dernier le résultat net le plus élevé de l'histoire de l'AFD, soit 300 millions d'euros, malgré la crise.

Notre cadre social a été renouvelé en profondeur. Des gains d'efficacité ont été obtenus, pour un rapport qualité/prix très nettement favorable par rapport aux canaux multilatéraux. L'AFD réalise scrupuleusement, à plus de 90 %, les objectifs de son contrat d'objectifs et de moyens (COM) avec l'État, sur lequel votre commission est appelée à se prononcer. La parité totale, dans notre gouvernance, a été atteinte en six ans, directions d'agence sur le terrain comprises. Nous accueillons toujours plus de diversité, comme en atteste notre certification AFNOR.

Ce bilan n'est qu'une étape, une base que j'espère solide pour aller plus loin, ce qui m'amène aux perspectives de l'Agence.

Pour les trois prochaines années, la ligne est très claire, vous l'avez fixée dans la loi de programmation du 4 août 2021, adoptée à l'unanimité, et dans son rapport annexé. Il n'est donc nul besoin d'inventer l'esprit et le récit visant à rendre la politique de développement bien plus partenariale.

Par ailleurs, les priorités que vous avez fixées ont induit, en mai dernier, une nouvelle organisation gouvernementale cohérente renforcée, incarnée par une secrétaire d'État spécifiquement chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, Mme Chrysoula Zacharopoulou, et par les trois ministres de tutelle de l'AFD, Mme Catherine Colonna, M. Bruno Le Maire et M. Jean-François Carenco, auprès de M. Gérald Darmanin.

Dans ce cadre politique de l'équipe France, j'indiquerai trois orientations vers lesquelles je souhaite faire évoluer l'Agence.

La première consiste à la rendre plus capable encore de s'adapter aux grandes évolutions géopolitiques en cours, afin de voir en 3D – diplomatie, défense, développement – les situations auxquelles notre pays doit faire face. Nous avons appris à le faire, difficilement, dans le Sahel, où la crise a des racines sociales et économiques profondes, qu'exacerbe encore le changement climatique. Je propose de mobiliser cette capacité unique qu'a l'AFD d'agir du côté des autres pour avoir plus de partenaires, donc plus d'influence, dans l'Indopacifique, en Amérique latine, autour de la Russie et dans les Balkans, peut-être sous la forme d'un mandat de l'AFD pour la communauté politique européenne (CPE), sans oublier la question chinoise, structurante et de plus en plus difficile.

Pour l'Afrique, je souhaite plus que jamais lutter contre la pauvreté, qui augmente dramatiquement avec la crise, en insistant sur l'investissement dans le secteur privé et la création d'emplois. Le défi est gigantesque : en 2050, dans le monde, un jeune de moins de 25 ans sur trois sera africain. Chaque année, 30 millions de jeunes, soit l'équivalent de la population du Cameroun, de la Côte d'Ivoire ou de Madagascar, arrivent sur le marché du travail en Afrique. Seuls 10 % d'entre eux y trouvent un emploi dans l'économie formelle. Il faut donc changer d'échelle dans l'appui à l'entrepreneuriat et le soutien aux nouvelles industries. À défaut, l'instabilité politique se renforcera et les mouvements migratoires s'amplifieront, à l'intérieur de l'Afrique d'abord, puis au-delà.

Je dirai avec joie un mot des outre-mer. Il s'agit d'une mission essentielle de l'AFD. C'est notre lien avec la France. Nous savons ce qu'est un centre hospitalier universitaire (CHU) ou une université, parce que nous les finançons outre-mer. Nous sommes donc capables d'échanger avec nos partenaires sur leur trajectoire et leur modèle de développement.

Au cours des trois prochaines années, je souhaite donner une grande priorité à nos outre-mer, compte tenu des difficultés auxquelles nos territoires font face, ainsi que de leurs richesses et de leur positionnement absolument unique. Nous avons défini, au sein de l'Agence, une stratégie dite des trois océans, rassemblant nos territoires ultramarins et leurs voisins. Elle doit être approfondie. Comme pour les États étrangers, davantage de moyens en subventions pourraient nous être confiés, pour plus de développement durable et de coopération régionale. Le ministère des outre-mer, que je remercie très vivement à ce titre, a commencé à le faire depuis plusieurs années.

Sur ces questions géopolitiques, il faudra sans doute, à l'avenir, mieux comprendre et étudier l'articulation, de plus en plus complexe, entre fractures géopolitiques et questions globales. La situation est très grave. D'après le dernier rapport des Nations Unies sur le développement humain, paru jeudi dernier, l'indice de développement humain (IDH), après trente-deux ans de progrès ininterrompus, a baissé l'an dernier dans neuf pays sur dix, pour revenir à son niveau de 2016. La crise climatique, qui est partout, accroît les vulnérabilités, jusqu'au politique lui-même désormais, je le crains.

La deuxième orientation que j'aimerais donner à l'Agence, c'est d'en faire la première agence 100 % ODD d'ici à 2025. Il n'y a absolument rien de théorique dans cette formulation. Il s'agit toujours de construire des infrastructures, d'apporter de l'eau, de gérer des déchets, de scolariser les jeunes filles, de renforcer les systèmes de santé de base et de promouvoir l'agroécologie, en mobilisant toutes les compétences techniques que vous pouvez observer lors de vos déplacements sur le terrain. Mais il nous est désormais demandé de le faire en veillant à ne jamais nuire, à maximiser la qualité des projets et à contribuer, par le dialogue, à la définition de bonnes politiques publiques, par-delà les seuls projets, fondées sur des trajectoires de long terme ambitieuses, à horizon 2030 ou 2050, pour rapporter en France les innovations que le formidable réseau de l'AFD repère et finance partout dans le monde, et qui peuvent nous aider dans notre propre transformation.

L'AFD veut servir d'aiguillon, de référence, à la pointe du débat international sur le financement du développement durable et sur l'avenir de l'APD. Nous travaillons notamment à faire de l'AFD la première institution à se financer exclusivement par des obligations vertes et durables en 2025. À l'heure actuelle, nous sommes à 48 %.

Pour se rapprocher de l'un des trois objectifs que vous avez fixés à l'article 1er de la loi du 4 août 2021, la promotion des droits humains, je propose de prendre en considération plus systématiquement les institutions, leur gouvernance, leur capacité à agir pour le développement, et de poser la question des droits de manière renouvelée, à partir de projets concrets. Donner une place forte aux femmes permet d'obtenir de meilleurs résultats.

Croyant en la force de la diplomatie parlementaire, je mobiliserai l'AFD pour vous appuyer plus fortement à l'avenir dans votre action internationale, en vous associant plus largement à la définition des stratégies. Le Parlement pourrait ainsi réaliser des évaluations des projets et des programmes de l'AFD. Je pense en particulier à une nouvelle stratégie pour l'Amérique latine ou encore à la conclusion prochaine d'un partenariat avec l'Assemblée parlementaire de la francophonie.

La troisième orientation que j'envisage, c'est de déployer pleinement la force du groupe que forment l'AFD et ses filiales – PROPARCO, chargée du secteur privé, et Expertise France –, forts de 3 500 collaborateurs. Il faut apprécier l'action du groupe en fonction non plus seulement du volume de ses financements mais aussi de la panoplie de ses instruments financiers et non financiers, qui est sans égale dans le monde. Notre campus à Marseille, qui deviendra, en 2023, l'université du groupe AFD, permettra de former salariés, clients, partenaires et fonctionnaires au sein d'une filière des métiers de développement, faisant de l'AFD une plateforme opérationnelle de mobilisation.

Enfin, je souhaite que le groupe communique de façon beaucoup plus active sur les actions de développement de la France, en direction du grand public, dans notre pays comme à l'étranger. La diffusion organisée de messages anti-français et l'inquiétude de nos concitoyens face aux dérèglements internationaux appellent des réponses plus fortes, fondées sur des actions concrètes.

Tels sont les trois axes que je souhaite vous proposer. Je crois avoir l'expérience et les amitiés pour servir utilement la politique de développement et je souhaite achever la transformation de l'AFD pour donner à la France un outil puissant, agile et efficace.

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Membre du conseil d'administration de l'AFD sous la précédente législature et élue d'une circonscription composée en grande partie de pays d'Afrique, j'ai été amenée à collaborer étroitement avec son directeur général. J'ai pu observer les évolutions de fonctionnement de cette agence, de ses priorités et de sa réactivité. Elles sont dues aux impulsions données par le Président de la République dès le début son premier mandat en matière d'aide au développement, concrétisées dans la loi de programmation du 4 août 2021. Mais elles sont aussi le fruit des efforts importants engagés par le directeur général de l'AFD, qui a par ailleurs démontré ses qualités de dialogue avec les États, les instances chargées de l'aide publique française, les parlementaires et la société civile.

Je tiens à saluer les efforts menés par l'AFD depuis quelques années en direction des pays prioritaires et des pays les moins avancés, les montants qui leur sont alloués ayant augmenté respectivement de 78 % et de 61 % depuis 2015. De même, la part des dons gérés par l'AFD et les financements octroyés aux ONG et aux acteurs de terrain ont augmenté.

En outre, l'ambitieuse refonte de notre dispositif opérationnel en matière d'APD, avec l'intégration d'Expertise France au sein du groupe AFD, n'allait pas de soi mais cette réforme a été brillamment menée par la direction de l'Agence.

J'ai également pu constater la grande réactivité du groupe AFD, malgré sa taille et les contraintes diverses dont il doit tenir compte. Je songe ainsi au rôle qu'il a joué dès le début de la pandémie de Covid, apportant son soutien au secteur privé en Afrique et aux entrepreneurs français de ces pays.

Enfin, pour avoir participé à certains d'entre eux, je confirme le rôle désormais majeur des conseils locaux de développement, dont la création était soutenue depuis longtemps par Rémy Rioux.

Pour toutes ces raisons je soutiens, au nom du groupe Renaissance, la nomination de Rémy Rioux au poste de directeur général de l'AFD.

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Ces dernières décennies, le périmètre et le nombre d'interventions de l'Agence française de développement n'ont cessé de croître grâce au modèle économique d'autofinancement de l'AFD mais surtout à une augmentation des crédits alloués par le budget de l'État – 2,3 milliards d'euros dans le budget 2022, en hausse de 16,7 % depuis 2021. C'est à peu près le budget alloué au ministère des outre-mer mais sans la transparence et le contrôle que la gestion de tels actifs nécessite. L'AFD a d'ailleurs fait l'objet d'une alerte de la Cour des comptes dans un rapport de 2019 et était classée à la trentième place sur quarante-sept pour sa transparence parmi les institutions d'aide au développement en 2020.

Même si l'on peut noter une très légère amélioration depuis 2021, avec la création d'une commission d'évaluation, cela reste insuffisant. Du reste, on peut s'interroger sur l'impartialité de cette commission quand plus de la moitié de ses membres sont directement nommés par le Gouvernement. En outre, cette commission intervient a posteriori quand il faudrait renforcer le contrôle a priori sur la sélection des dossiers et des financements. L'AFD a pour mission de favoriser le développement durable dans les pays pauvres et émergents mais elle a pourtant financé une exploitation d'huile de palme au Congo, consacré 1,9 milliard d'euros à l'Inde, alors qu'elle-même considère cette économie comme l'une des plus dynamiques de la planète, et investi 2,1 milliards d'euros en Chine, deuxième puissance économique mondiale. Est-ce à la France de pallier le manque de volonté politique des autorités chinoises, sachant, de plus, que la France investit en Chine pour y développer des infrastructures et l'industrie, alors que c'est pour y acheter les nôtres que la Chine investit en France ?

Par ailleurs, de nombreux pays bénéficiaires de l'AFD, notamment en Afrique et au Maghreb, refusent toujours de reprendre leurs ressortissants en situation irrégulière sur le territoire français. Il n'est pas normal que ces pays fassent moins que le minimum, alors que la France y investit massivement au moyen de prêts ou de dons. Comme souvent, nous avons l'impression que la France est le dindon de la farce.

Pour ces raisons, le groupe Rassemblement national se prononcera négativement sur votre reconduction comme directeur général de l'AFD.

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Vous avez toutes les raisons, monsieur Rioux, d'avoir le sourire aujourd'hui, compte tenu du bilan présenté, avec des indicateurs qui semblent au vert et un budget stabilisé à un niveau élevé. Les clients sont heureux et l'image de marque du groupe AFD est au plus haut. Tout semble aller pour le mieux.

Toutefois, il nous semble que l'AFD n'agit pas au mieux dans l'intérêt d'une aide au développement juste et efficace. Les prêts continuent d'être favorisés par l'Agence pour financer les projets, dans une proportion que l'on ne retrouve pas ailleurs en Europe. Cela traduit une volonté politique de maintenir la dépendance des pays receveurs, en dépit des objectifs ambitieux en matière de dons affirmés par la loi du 4 août 2021. La France peut ainsi se targuer d'être le pays de l'OCDE qui attribue la plus grande part de prêts dans son aide publique au développement, avec le Japon et la Corée du Sud.

Notre groupe conteste le mécanisme pernicieux, largement utilisé par l'AFD, des contrats de désendettement et de développement, dits C2D. La France est un des pays qui utilisent le plus ce dispositif. Cette politique contribue à endetter des États déjà largement en difficulté. Elle agit comme une porte d'entrée pour des entreprises privées, européennes et françaises, qui profitent ainsi de la fragilité des économies nationales pour acquérir des parts de marché, le tout au nom d'investissements solidaires.

Alors que vous aviez affirmé dans L'Express, l'année dernière, que l'AFD n'intervenait pas en Afrique dans une logique d'influence, il y a quinze jours, le Président de la République a assumé vouloir déployer une stratégie d'influence, voire de contre-influence, sur le continent africain, précisant que ce n'était pas de la propagande. Pourriez-vous nous préciser comment vous comptez déployer cette orientation inédite ?

Par ailleurs, la Cour des comptes et certaines ONG jugent largement améliorable votre bilan en matière de transparence dans le résultat des projets financés.

Enfin, des questions se posent concernent votre conception du management. Vous vous êtes félicité de la hausse de productivité : cela ne traduit-il pas une perte de sens ?

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas en faveur du renouvellement de votre mandat.

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Où en est la procédure d'institution de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement ? Les Républicains sont particulièrement attachés à une telle évaluation et au caractère indépendant de cette commission.

L'aide française au développement finance largement des pays peu coopératifs sur le plan migratoire. À l'occasion du rapport sur l'APD, dans le cadre de la loi de finances de 2022, le rapporteur général, M. Laurent Saint-Martin, recommandait d'instituer une conditionnalité de l'APD en fonction de la coopération des pays en matière migratoire. Le groupe Les Républicains a toujours insisté sur cet aspect. Je souhaiterais connaître votre position à ce sujet.

J'aurais également souhaité vous interroger sur la Chine, où l'AFD apporte des financements dont on peut douter du bien-fondé.

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En 2021, la France a consacré 15,4 milliards d'euros à sa politique d'aide publique au développement, c'est-à-dire 0,52 % de son revenu national brut (RNB). Ces efforts sont d'autant plus remarquables qu'ils interviennent dans un contexte global de stagnation des montants alloués par les autres États donateurs, le Royaume-Uni ayant même décidé une baisse importante.

Parallèlement à cette politique ambitieuse de la France, et paradoxalement, le sentiment anti-français chez certains de nos partenaires, notamment en Afrique, ne cesse de progresser. Communiquer sur nos actions contre les inégalités mondiales renforce notre stratégie d'influence et notre rayonnement. Pensez-vous qu'en matière d'aide publique au développement, notre approche est moins performante que celle d'autres acteurs, comme la Chine ou la Russie ? L'action de la France en matière de développement souffre-t-elle d'un manque de valorisation, autrement dit s'agit-il d'un problème de communication ?

Où en êtes-vous du changement de nom annoncé par le Président de la République à Montpellier ?

Enfin, la mise en œuvre des actions de l'AFD pâtit de la lourdeur des procédures, qui sont parfois perçues comme un frein à l'efficacité des aides. Envisagez-vous d'y remédier ?

Pour finir, notre groupe vous renouvellera sans aucun doute sa confiance.

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L'AFD est un outil majeur de notre stratégie d'influence, parfois qualifiée de soft power, contribuant au bon classement international de la France dans ce domaine. Il convient d'en féliciter l'ensemble des collaborateurs de l'AFD, qui font preuve d'un grand professionnalisme et d'un attachement remarquable à leur mission de service public. C'est pourquoi je suis dubitatif lorsque vous évoquez la nécessité d'outils modernes de gestion des ressources humaines, dont on peut se demander s'ils ne sont pas à l'origine du mal-être au travail, de la perte de sens et de la dégradation du climat social ressentis au sein de l'AFD.

Par ailleurs, les financements de projets en Chine posent question, alors que ce pays fait partie des prêteurs de notre dette. Pour ces raisons, le groupe des députés socialistes et apparentés réserve le sens de son vote, dans l'attente des réponses que vous voudrez bien nous apporter.

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Les projections concernant l'évolution démographique de l'Afrique conjuguées aux conséquences environnementales du réchauffement climatique laissent présager d'importants déplacements de populations dans les décennies à venir. Depuis 2017, le continent africain est la grande priorité de l'AFD : elle y a consacré les trois-quarts de son portefeuille de dons, qui a augmenté de 64 %. C'est le constat positif d'une réelle prise de de conscience. Pour cette raison, le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de votre reconduction.

Selon vous, les opérations de l'AFD doivent accompagner la transformation des systèmes alimentaires pour les rendre plus résilients, grâce à la transition agroécologique. Pourriez-vous nous indiquer des exemples d'actions de l'AFD encourageant le développement d'une agriculture répondant davantage aux besoins des populations locales ? Par quel canal l'AFD cible-t-elle son soutien vers des projets d'agroécologie alternative ?

Lors de votre audition par notre commission, en mai 2016, avant votre première nomination, vous souhaitiez que l'aide publique au développement consentie par la France, de l'ordre de 10 milliards, se rapproche des 18 à 19 milliards consacrés de façon équivalente par les Allemands et les Anglais. La réduction de cet écart vous semble-t-elle un objectif atteint ?

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La transparence est un sujet essentiel. Il manquerait plusieurs centaines de millions d'euros dans l'initiative Santé en commun, dont on ne sait pas trop ce qu'ils sont devenus. S'agit-il d'une réserve permettant au Président de la République de disposer d'outils d'intervention immédiate ?

Le malaise des salariés est un énorme problème. La gestion des ressources humaines relève directement du directeur général.

Le criblage des ONG pratiqué par l'AFD transforme celles-ci en opérateurs du ministère de l'intérieur. De nombreux médecins nous expliquent que cela est contraire tant au droit humanitaire qu'au serment d'Hippocrate. L'exigence politique de l'AFD pose donc problème.

À chacune de vos interventions devant nous, vous faites état de la progression des prêts et des dons en pourcentages, alors que c'est la masse financière qui importe, nous semble-t-il.

Êtes-vous prêt à mobiliser des fonds en faveur d'un projet de couverture santé universelle, qui permettrait d'atteindre les objectifs fixés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ?

La carte des axes routiers en Afrique montre que toutes les routes sont dirigées vers les ports, de manière à ce que les productions africaines soient expédiées hors du continent. Aucune route ne permet le commerce entre pays africains, ce qui les empêche de développer l'agroécologie. Puissent ces pays ne pas tomber dans l'erreur des grandes exploitations européennes !

Mon groupe n'envisage pas de voter pour la prolongation de votre mandat.

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Nous avons toujours entretenu des relations cordiales avec l'AFD, laquelle doit toutefois évoluer. Nous souhaitons que la loi de programmation relative au développement solidaire, qui définit divers outils de contrôle, soit appliquée. Alors qu'il n'y a plus de majorité absolue à l'Assemblée nationale, nous devrons trouver des accords pour continuer à voter les moyens nécessaires à la réalisation des objectifs fixés dans la loi. Pour cela, nous avons besoin que vous nous éclairiez en permanence sur ces sujets, en toute transparence.

La proportion des dons par rapport aux prêts devra continuer à augmenter. Si notre politique n'est plus aussi caricaturale que par le passé, il y a encore beaucoup d'efforts à faire dans ce domaine.

Nous devons également renforcer les outils de la coopération décentralisée. De trop nombreux microprojets présentés par les collectivités territoriales sont refusés pour la seule raison que vous n'avez pas la capacité de les instruire, entretenant l'idée qu'il ne sert à rien d'aller voir l'AFD puisque les réponses sont systématiquement négatives.

Notre groupe votera en faveur de votre reconduction mais souhaite toutefois obtenir des garanties sur le fonctionnement de l'AFD.

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Je me réjouis que le budget de l'AFD ait augmenté, car l'aide au développement est fondamentale. Cependant, j'ai entendu tellement d'objectifs dans tous les domaines que j'ai l'impression d'assister à un concours de la pensée unique.

À aucun moment je n'ai entendu parler de l'intérêt de la France, preuve que l'autonomisation de l'AFD par rapport à l'État aboutit à une contradiction majeure. Est-il acceptable que notre pays finance la Chine ? Est-il acceptable que nous donnions des milliards à l'Inde ? En l'absence de réponse, les Français ne comprennent pas ce gaspillage. Comment accepter que l'on finance des pays qui nous claquent la porte au nez en matière migratoire ? C'est bien que l'AFD n'est plus solidaire des intérêts de l'État.

L'absence de volonté politique aboutit à une dispersion des forces. L'AFD finance des projets magnifiques mais on a souvent l'impression que des milliards partent dans la nature sans aucun bénéfice pour la France.

L'un de nos collègues se demandait pourquoi la Russie et la Chine réussissent mieux et se font aimer. C'est sans doute parce que ces pays affichent leur soutien quand il le faut, parce qu'ils conditionnent leur aide à des projets concrets et qu'ils sont plus réactifs que nous. La politique de développement menée par l'AFD ressemble plus à un faire-valoir qu'à une action efficace pour notre pays. Je ne voterai donc pas pour votre reconduction.

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Nous allons à présent entendre les questions individuelles des députés avant de redonner la parole à M. Rioux.

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Votre bilan à la tête de l'Agence française de développement et votre vision stratégique ambitieuse m'inspirent respect et confiance.

Selon vous, comment l'AFD peut-elle articuler son action avec les autres composantes de la diplomatie française – postes diplomatiques, parlementaires, collectivités territoriales – sur des sujets tels que l'égalité entre les femmes et les hommes, les droits humains ou la candidature des pays des Balkans occidentaux à l'entrée dans la communauté politique européenne ? Cela donnerait une plus grande visibilité à votre action.

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Je peine à croire que l'AFD soit un levier d'action collective dans le monde quand je vois la situation au Sahel. Je ne peux que constater l'échec de la stratégie adoptée dans cette région où, malgré des années d'investissement et le dévouement du personnel de l'Agence, le gouvernement français a essuyé un revers diplomatique. Je ne peux que constater l'échec de l'AFD quand j'observe que 96 % des personnes atteintes du sida vivent en Afrique subsaharienne et que la tuberculose et la faim continuent d'y tuer à foison ; quand j'observe que l'Afrique subsaharienne a les taux les plus élevés d'exclusion de l'éducation, dont les filles sont les premières victimes.

Vous avez engagé 5,2 milliards d'euros sur le continent africain, soit près de la moitié des engagements totaux de l'AFD. Pour quels résultats ? Comment l'AFD peut-elle se targuer d'avoir les mains propres et d'agir pour les populations, lorsqu'elle apporte son soutien à des systèmes autocratiques qui répriment leurs opposants et appauvrissent leurs peuples, comme ce fut le cas au Gabon ou au Cameroun ? Pourquoi ne pas conditionner l'accès à l'aide bilatérale à des critères démocratiques ?

L'AFD est l'héritière de la Caisse centrale de coopération économique, qui a été créée par de Gaulle en 1941, dans un contexte colonial. Elle demeure le bras armé, stratégique et financier de cet héritage colonial. Nous ne sommes pas dupes : l'AFD n'a pas tant pour vocation de mener une action humanitaire ou diplomatique que de préserver les intérêts de la France. Force est de constater qu'aucun de ces trois objectifs n'est finalement atteint, tant la place de la France est désormais contestée en Afrique et dans le reste du monde.

Je partage l'objectif affiché par l'AFD de faire advenir un monde plus juste et durable, mais le moment est venu de refonder totalement cet organisme, d'en faire un réel outil d'émancipation des peuples, qui ne suinte pas le paternalisme – ce qu'on appelle communément la Françafrique. C'est une tâche ardue, j'en conviens : à vous de nous dire si vous vous en sentez capable ou s'il vous faut passer la main.

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En 2100, l'Afrique comptera 40 % de la population mondiale, à côté d'une Europe très vieillissante et d'une Asie globalement stabilisée. Le continent africain connaît une baisse de la mortalité, du fait de l'amélioration des conditions de vie mais le taux de fécondité y est toujours très élevé. Si cela ne change pas, notre planète courra un risque majeur, notamment sur le plan alimentaire.

Que propose l'Agence française de développement pour contenir l'explosion démographique africaine ? Que fait-elle en faveur de l'éducation des femmes ? A-t-elle d'autres moyens d'action ?

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Certains collègues ont suggéré de conditionner l'aide au développement à une coopération en matière de laissez-passer consulaires. Pensez-vous qu'il pourrait s'agir d'un levier efficace ? N'est-il pas contradictoire de vouloir maîtriser les courants migratoires sans assurer une coopération décente, qui permette justement de maintenir ces populations dans leur pays d'origine ?

S'agissant du dialogue social au sein de l'AFD, vous aviez pris des engagements en 2016, puis en 2019, mais la refonte des statuts s'est finalement faite sans négociation. L'AFD a connu trois grèves, ce qui n'est pas dans ses habitudes. Quel engagement pouvez-vous prendre pour favoriser la reprise du dialogue social avec les organisations syndicales ? Vous engagez-vous à privilégier la concertation à l'avenir ?

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L'AFD s'est engagée à respecter les dix-sept objectifs de développement durable établis par la communauté internationale. C'est le signe qu'elle a pleinement intégré les contraintes qui pèsent sur notre environnement.

Le domaine de l'eau et de l'assainissement concentre 8 % des engagements du groupe AFD. D'après de nombreuses études scientifiques, notamment le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), les services d'assainissement sont fortement affectés par l'augmentation de la fréquence des catastrophes et aléas climatiques. Un épisode de sécheresse peut provoquer la dégradation des infrastructures ; des pluies intenses ou des inondations peuvent entraîner des pannes par submersion ou le rejet d'eaux usées dans le milieu naturel.

L'eau est une ressource vitale. Il faut la préserver en exploitant mieux les infrastructures existantes et en réduisant les pertes sur les réseaux, ce qui nécessite d'apporter un meilleur accompagnement aux gestionnaires des services. Or, avec un résultat de 74 %, la part des nouveaux projets ne semble pas atteindre la cible stratégique que vous avez-vous-même fixée à 90 % en termes d'appui à la gouvernance et à la gestion des services. Comment comptez-vous y remédier ?

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Depuis quelques années, l'AFD a tendance à favoriser les prêts, à travers des banques de développement, plutôt que les dons. D'après le rapport que le comité d'aide au développement (CAD) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a fait paraître en 2018, les prêts représentaient alors 64 % de son portefeuille ; en 2020, sur les 12 milliards d'euros engagés, 87 % l'ont été sous forme de prêts. Parmi les trente pays donateurs du CAD de l'OCDE, seuls la France, l'Allemagne et le Japon font du prêt le fer de lance de leur aide publique au développement.

Ce recours massif au financement bancaire est problématique à deux égards.

D'abord, ce modèle incite l'AFD à investir dans des pays à revenu intermédiaire et dans des secteurs potentiellement profitables, au détriment des pays dits prioritaires ou moins avancés. Cela éloigne l'AFD de sa mission première, qui est de promouvoir un développement durable dans les pays en développement. On regrette que l'AFD préfère prêter 630 millions d'euros à l'Indonésie, plutôt que de donner 50 millions au Niger pour investir dans la santé.

Ensuite, le recours au financement bancaire est un alibi, qui permet à l'AFD de ne pas faire toute la transparence sur son action. Elle refuse en effet de rendre publiques les informations relatives aux marchés passés avec ses emprunteurs – pays et collectivités locales – en s'abritant derrière le secret bancaire. Depuis 2010, ces financements bancaires ont permis de développer des projets en totale contradiction avec les objectifs de l'AFD : une usine d'engrais azotés au Nigeria, une production intensive de fleurs au Kenya et des exploitations d'huile de palme.

Ce recours massif aux prêts bancaires vous semble-t-il en accord avec la raison d'être de l'AFD ? Comment justifiez-vous l'opacité qui entoure l'utilisation de ses fonds, alors même que la Cour des comptes a émis une alerte à ce sujet en 2020 ?

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Les dérèglements liés au changement climatique se multiplient partout dans le monde, ce qui a des conséquences dramatiques pour des millions de personnes. La sécheresse et les incendies qui ont frappé notre pays cet été l'ont encore montré.

En 2017, l'Agence française de développement s'est engagée à ce que tous ses projets soient, à terme, compatibles à 100 % avec l'accord de Paris. La lutte contre le changement climatique doit être un combat commun, ce qui suppose une coordination entre les différentes instances publiques et économiques et les acteurs engagés pour le climat, par exemple au sein de la COP27, qui doit se tenir en Égypte au mois de novembre.

Comment l'AFD se prépare-t-elle à ce rendez-vous important ? Quelles sont les positions que vous entendez y défendre concernant la politique d'aide au développement et la transition écologique ?

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L'AFD se définit comme une agence féministe et se fixe des objectifs ambitieux, notamment dans le cadre de la stratégie internationale de la France pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Le bilan optimiste que vous dressez à ce sujet contraste toutefois avec les retours des professionnels du développement, qui déplorent l'insuffisance des fonds alloués à la question de l'égalité entre les femmes et les hommes : 1 % seulement de l'aide publique au développement est allouée aux organisations féministes, ce qui est regrettable.

Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes estime qu'il est urgent de pérenniser et d'amplifier le soutien aux acteurs et actrices de la diplomatie féministe, notamment aux associations qui militent pour cette cause. Au sein de l'AFD, de plus en plus de fonds sont alloués aux moyens de communication et aux solutions technocratiques, au détriment d'un travail de fond sur les sujets de genre mais aussi de jeunesse ou d'environnement. Les personnels spécialisés manquent de temps et de ressources pour dialoguer avec leurs partenaires, identifier et suivre les projets. Cette tendance empêche également la création de liens substantiels avec les partenaires actifs dans le domaine des droits des femmes, ce qui réduit, de fait, la portée de l'action de l'AFD en la matière et déconnecte l'agence des réalités opérationnelles.

Comment comptez-vous inscrire l'action en matière de genre dans une orientation stratégique à long terme de l'AFP, développée en association avec les chercheuses, les réseaux et les activistes féministes et les professionnels du développement ? Comment entendez-vous mettre en adéquation vos objectifs ambitieux en matière de genre avec les moyens qui sont alloués à cette question, que ce soit en termes de personnels, de fonds ou de temps ?

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Dans une interview donnée à l'occasion de la parution de votre ouvrage Pour un monde en commun, vous avez dit vouloir renforcer le multilatéralisme, que vous définissez comme notre capacité collective non seulement à rétablir les équilibres perdus entre les puissances mais aussi à faire progresser ensemble toutes les puissances vers les objectifs de développement durable et vers une transition juste. Vous préconisez, pour atteindre cet objectif, le développement d'une « diplomatie du vivant ». Pourriez-vous nous éclairer sur cette ambition et sur les contours de cette nouvelle diplomatie ?

En tant que députée représentant les Français d'Amérique latine, je ne peux que saluer l'engagement de la France sur ce continent, et surtout de vos équipes sur le terrain. Il y a eu des rendez-vous manqués entre la France et le continent latino-américain mais l'AFD, elle, a pleinement joué son rôle en soutenant des initiatives, notamment en matière de développement durable. Vous dites vouloir poursuivre cette action ; pourriez-vous préciser vos ambitions pour ce territoire ?

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Nombre des projets de l'AFD ne sont pas en cohérence avec les objectifs affichés. Les contrats de désendettement et de développement, dont vous faites un usage massif, sont des machines à libéraliser les économies, ce qui va à l'encontre d'un projet de développement économique endogène. Vos options géographiques sont, elles aussi, discutables : la Cour des comptes avait pointé l'absence de politique au Sahel en 2021, alors que, dans le même temps, des projets étaient développés en Chine et en Inde. Une enquête de Mediapart et de Disclose, en 2021, a par ailleurs pointé l'opacité de plusieurs projets et l'utilisation du secret bancaire pour freiner les investigations.

L'AFD fonctionne avant tout comme une banque et, pour nous, c'est un problème en soi. C'est la raison pour laquelle nous proposons depuis longtemps de réintégrer la coopération au sein du ministère des affaires étrangères.

Parallèlement – et cette question a un impact direct sur la conception et la mise en œuvre des projets –, on note une grave dégradation du climat social à l'AFD sous votre direction : l'Agence a connu trois grèves intersyndicales, du jamais vu. Une procédure judiciaire a reconnu la déloyauté de la direction dans le cadre d'un contentieux sur le télétravail et d'autres procédures sont en cours. Ce climat est lié au fait que la refonte des statuts a eu lieu sans concertation. Enfin, on constate même une rupture de confiance entre l'AFD et coordination SUD, la principale plateforme d'ONG en France.

Au regard de ce bilan, il est normal que nous ne votions pas pour votre reconduction.

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Dans la mesure où nous sommes en avance, je donne exceptionnellement à nouveau la parole à M. Herbillon, qui n'avait pas pu achever son propos sur la Chine, tout à l'heure.

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Monsieur Rioux, vous avez dit ce matin que la question chinoise est « de plus en plus difficile » et qu'il convient de poser la question des droits humains « d'une façon renouvelée ». Je veux rendre hommage à votre sens de la litote !

En février, je vous ai rappelé le souhait très majoritairement exprimé lors de la précédente législature par notre commission que l'AFD cesse de subventionner la Chine. Vous m'avez répondu de façon assez laconique que l'AFD limitait son engagement en mobilisant des prêts aux conditions du marché.

Comme nombre de mes collègues, je m'interroge sur la compatibilité entre l'action de l'AFD en Chine et la défense des droits humains. L'article 1er de la loi du 4 août 2021, que nous avons votée à l'unanimité a comme objectif la promotion des droits humains et le renforcement de l'État de droit. N'est-il pas contradictoire, dans ces conditions, d'aider la Chine ? Au cours des dix dernières années, l'AFD a engagé 1,6 milliard d'euros en Chine, dont un prêt de 100 millions pour financer l'amélioration de la prise en charge du vieillissement dans la province du Guizhou !

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La Chine, à mi-chemin entre le sous-développement de naguère et l'hyper-développement de demain, est-elle vraiment éligible à l'action de l'AFD ? C'est une vraie question, que nous n'avons pas cessé de nous poser tout au long de l'examen de la loi du 4 août 2021.

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Rémy Rioux

Lorsque j'ai pris la tête de l'AFD, il y a six ans, son action ne suscitait pas les mêmes discussions. La question du visage de la France à l'international avait disparu du débat, faute de moyens et d'attention. C'est une bonne chose qu'on en débatte à nouveau et il est normal que des désaccords s'expriment.

L'aide publique au développement est une politique publique, dont l'AFD n'est que l'opérateur. Je n'ai aucune difficulté à affirmer que l'AFD est l'instrument du Gouvernement – sous le contrôle du Parlement, évidemment – et qu'elle est un « pilier de la politique étrangère de la France », comme le précise l'article 1er de la loi du 4 août 2021. C'est une façon de répondre, notamment, à M. Dupont-Aignan. J'entends parfois que l'AFD serait autonome : il n'en est rien. L'AFD est un établissement public, qui a certes son mouvement propre et sa vie sociale, mais qui suit les directives fixées par le pouvoir politique. Celles-ci sont répercutées chaque mois au sein de son conseil d'administration. Toutes les administrations de tutelle de l'AFD y sont présentes, ainsi que huit parlementaires – quatre députés et quatre sénateurs – qui participent à la prise de décision. Tous les projets de l'AFD sont approuvés dans ce cadre, où sont également représentés la société civile, le monde de la recherche et les autres parties prenantes de la politique de développement.

J'ai indiqué dans mon propos liminaire la très grande importance que nous accordons à l'outre-mer. Je tiens beaucoup à ce que les collègues de l'AFD, au cours de leur parcours professionnel, apprennent à connaître la France. J'avais même poussé en 2016 à un rapprochement de l'AFD avec la Caisse des dépôts et consignations. Je l'ai fait pour des raisons stratégiques, afin de redonner de la force et de la légitimité à l'Agence, mais aussi parce que de plus en plus de parcours professionnels passent par la CDC, par BPI France ou par d'autres institutions françaises ; c'est une manière d'apporter, au sein de l'Agence, une connaissance des institutions, et donc des attentes et des besoins de nos compatriotes.

La politique publique que l'AFD a pour mission de mettre en œuvre relève de l'influence, du partenariat ou de ce que, pour ma part, j'ai coutume d'appeler l'amitié – même si je ne ferme pas les yeux sur les tensions géopolitiques. Nous sommes le visage de la France, notre mission consiste à nouer des liens avec un très grand nombre d'acteurs désireux de coopérer avec la France – pas seulement les gouvernants mais aussi les entreprises, la société civile, les collectivités locales. Nous prêtons donc une grande attention aux attentes exprimées par tous ces acteurs vis-à-vis de la France. C'est ce que j'ai appelé la « diplomatie du vivant » dans le livre que j'ai écrit avec le philosophe Achille Mbembe, et c'est ce qui guide notre action depuis six ans.

J'en viens à la question de la transparence. Il est évident que les moyens publics que vous votez chaque année nous obligent à être toujours plus transparents et redevables et à nous soumettre à des évaluations beaucoup plus régulières et publiques.

Nous avons fait beaucoup de progrès en la matière. Nous avons gagné des places et sommes passés dans une catégorie supérieure (« good ») dans l' Aid Transparency Index publié cet été par l'ONG Publish What You Fund, qui note toutes les agences de développement dans le monde. Nous sommes parmi les meilleures institutions bilatérales. Le haut du classement est surtout occupé par des institutions multilatérales, qui ne sont pas soumises au même cadre juridique. La Banque mondiale ou la Banque africaine de développement, pour ne citer qu'elles, ne sont pas soumises au secret des affaires, une obligation légale votée par le Parlement qui s'applique aux institutions françaises.

Nous faisons tout pour renforcer cette transparence : plus de 80 % des projets de l'AFD sont connus et nous mettons en ligne toutes les évaluations dont nous faisons l'objet. Nous versons également toutes nos données sur la nouvelle plateforme que le Gouvernement a créée pour garantir la transparence de l'aide publique au développement.

En matière de redevabilité, je m'engage, pour chaque euro alloué à l'AFD, à certifier l'impact et la qualité des financements qu'il a permis. Toute une procédure est prévue à cet effet au sein de l'Agence.

Dernière pièce du dispositif, l'évaluation. Je me réjouis de la création de la commission d'évaluation de la politique de développement en faveur de laquelle je m'étais prononcé, ainsi que de la parution du décret du 6 mai 2022 qui en précise la composition et les compétences. J'attends désormais son installation.

La politique d'évaluation de l'AFD, que nous avons considérablement renforcée, fait actuellement l'objet d'un contrôle de la Cour des comptes. Je peux d'ores et déjà vous assurer que les conclusions de la 4e chambre sont positives, qu'il s'agisse de la qualité ou de la maîtrise des coûts de nos évaluations. Néanmoins, une critique, que je partage, concerne leur faible visibilité. La commission sera utile pour fixer la doctrine, programmer les évaluations, définir des standards de qualité et mettre dans le débat public des informations de manière bien plus importante qu'aujourd'hui. Jusqu'à présent, les données que nous fournissons sont rarement exploitées.

Les travaux de la commission permettront de discuter vraiment des résultats ainsi que de l'impact de la politique de développement et, ainsi, de sortir des débats manichéens, souvent décevants – pour certains, l'aide publique au développement est formidable en toutes circonstances quand d'autres n'y voient que de la corruption et de l'inefficacité. De très nombreuses études scientifiques reconnaissent les effets positifs de l'action en matière de développement. La présence d'Esther Duflo, prix Nobel d'économie, à la présidence du Fonds d'innovation pour le développement qu'accueille l'AFD, aidera aussi à crédibiliser notre politique d'évaluation puisque l'expertise de cette dernière dans ce domaine n'est plus à démontrer.

Nous avons beaucoup progressé en matière de transparence, mais nous pouvons aller encore plus loin, monsieur Herbillon, j'en conviens.

Nombre d'entre vous ont évoqué le dialogue social. L'AFD a vécu une très grande transformation depuis 2016. Ce n'est pas rien pour une entreprise de doubler sa taille. J'ai signé 3 000 contrats de travail depuis cette date. D'institution comptant 1 000 salariés qui se connaissaient tous et y faisaient toute leur carrière – je respecte le travail accompli par les anciens –, l'AFD est devenue une agence considérablement rajeunie, diversifiée et féminisée où les mouvements sont plus fréquents. Elle ne pouvait donc plus être gérée selon les règles qui avaient été fixées plusieurs décennies auparavant.

Dès 2018, j'ai engagé la révision du statut du personnel. Une concertation a été lancée qui a donné lieu à une trentaine de réunions avec les cinq organisations syndicales représentatives de l'AFD. Nous ne sommes pas parvenus à trouver un accord, je ne le conteste pas. Toutefois, nous n'en avions pas l'obligation juridique puisque le statut relève d'un arrêté ministériel et non d'un accord collectif.

L'arrêté permet de soustraire à la compétence du directeur général une série de sujets pour les placer sous la protection de l'État. Je comprends que les salariés de l'AFD y soient très attachés. Il appartient aux autorités politiques de décider des sujets qui continuent à relever de la vie sociale de l'entreprise.

L'arrêté portant approbation du statut du personnel de l'AFD, qui se substitue à celui datant de 1996, a été signé le 30 mai dernier. En 1996, le budget de l'AFD n'atteignait pas 1 milliard d'euros alors qu'il s'élève aujourd'hui à 14 milliards. Expertise France ne faisait alors pas partie de l'Agence, ni les centaines d'agents de droit local dans tous les pays du monde où nous sommes présents.

L'ancien statut comportait plusieurs dispositions illégales et laissait perdurer des inégalités au sein de l'Agence, que la direction des ressources humaines n'avait pas les moyens de corriger : inégalités entre les femmes et les hommes – malgré des progrès en la matière, il reste des écarts à réduire – ; inégalités liées à la charge des postes – aucun outil ne permettait de reconnaître la charge de travail et les responsabilités de certains postes en dehors de l'augmentation annuelle générale des salaires liée à la hausse du point d'indice. Les outils de gestion des ressources humaines étaient plus frustes que ceux dont dispose l'État. La révision a permis de remettre à niveau le statut, elle ne l'a pas supprimé : le droit à la mobilité qui est exorbitant du droit du travail demeure ; il est toujours écrit que les rémunérations doivent être comprises dans un multiple de 1 à 8 – dans les faits, c'est 1 à 4. Cela crée une égalité au sein de l'Agence, à laquelle nous sommes tous attachés.

La réforme du statut a cristallisé des oppositions, je ne le conteste pas. Il ne faut pas pour autant en conclure que le dialogue social à l'AFD est bloqué. Il est, au contraire, très intense : sur les trois dernières années, nous avons tenu 150 instances formelles de dialogue avec les organisations syndicales ; les échanges informels sont permanents ; 81 points ont été examinés par le CSE et 70 d'entre eux ont reçu un vote favorable ; 11 accords collectifs ont été signés sur le télétravail, la qualité de vie au travail, l'égalité entre les femmes et les hommes ou encore sur la reconnaissance de la diversité.

J'ai souhaité créer au sein de l'Agence une structure qui, à ma connaissance, n'existe nulle part ailleurs, le comité des représentants des États étrangers, afin de donner une voix dans le dialogue social aux salariés de droit local, qui sont de plus en plus nombreux dans l'entreprise. Des élections sont organisées dans tous les pays et chaque direction régionale élit un représentant. Le comité se réunit plusieurs fois par an à Paris.

Les mots « colonialisme » et « Françafrique » ont été prononcés. Ne faites pas ce reproche à la maison qu'a fondée André Postel-Vinay, à la Caisse centrale de la France libre, ni à la Caisse centrale de coopération économique. S'il est une institution à l'opposé de la relation que la France a entretenue pendant un temps avec l'Afrique, c'est l'AFD. Je ne crois pas que vous puissiez trouver dans mes propos la moindre trace d'irrespect ou de refus de transformation de la relation. Sans compter la manipulation et la désinformation à laquelle se livrent nombre de puissances étrangères, les évolutions suscitent toujours des débats et font resurgir des choses qui étaient enterrées. Il faut répondre et valoriser ce que la France fait dans les pays d'Afrique. Ne restons pas dans les débats du passé et agissons.

Monsieur Fuchs, s'il y a une chose que la Russie n'a pas et n'aura jamais en Afrique, c'est l'AFD et une politique de développement.

Je suis favorable à ce que nous mettions davantage en avant nos résultats, qui sont bons. Nous n'abandonnons jamais les pays dans lesquels nous intervenons, même lorsque les choses vont mal. On nous donne crédit de notre fidélité et de nos actions concrètes. J'en suis très fier tout en étant de la plus grande modestie possible – 12 milliards d'euros de financement par an, c'est évidemment une somme importante mais aussi dérisoire face aux enjeux du dérèglement climatique et de la démographie africaine. Nous devons donc travailler avec d'autres. Nous devons aussi permettre aux pays concernés de faire eux-mêmes : le financement et le soutien que nous apportons doivent aider à déclencher les bonnes politiques publiques et les bonnes dynamiques locales. Cela peut exiger un dialogue un peu plus ferme. Je n'ai pas de difficulté à dire que l'AFD est un élément de la relation bilatérale entre la France et les pays d'Afrique. Il appartient au Gouvernement de définir cette relation selon les moyens d'action dont il dispose.

Je reviens un instant au personnel : afin de tenir compte de l'inflation, je proposerai au conseil d'administration, jeudi prochain, de suivre la décision prise pour la fonction publique d'augmenter de 3,5 % les rémunérations, sans préjuger des discussions salariales annuelles, liées pour certaines à l'application du nouveau statut, qui prévoit certains compléments de rémunération.

J'espère que ces éléments sont de nature à vous rassurer. Je ne dis pas que la vie de l'Agence est un long fleuve tranquille. Dès lors que le statut a été revu, mon travail pour les trois prochaines années, si vous me faites confiance, consiste à ce que vous n'en entendiez pas parler et que le dialogue social se poursuive sereinement.

S'agissant des sujets géopolitiques, pour moi, la politique de développement a à voir avec la politique migratoire dès lors qu'elle est reconnue comme une politique. Les professionnels de l'aide au développement n'aiment pas entendre qu'ils sont un outil de la politique migratoire. En revanche, ils admettent parfaitement que la politique de développement doit s'articuler avec les décisions gouvernementales en matière de politique migratoire. L'AFD doit aider les pays d'origine et les pays de premier choix – je n'aime pas l'expression de transit –, dont la population ne souhaite souvent pas partir, à offrir un avenir aux migrants et à leur famille. Il existe une stratégie gouvernementale dans ce domaine. Je tiens à votre disposition les programmes et les actions que nous menons en ce sens. Au Nigeria et en Éthiopie, nous finançons le déploiement de l'identité numérique afin d'aider ces pays à connaître leur population et à gérer les importants mouvements, en particulier vers l'Afrique australe, auxquels nous assistons et qui ont vocation à se développer. Vous le savez, les migrations sont très majoritairement africaines. Les grands excédents démographiques se trouvent en Afrique de l'Est – Éthiopie, Kenya, Ouganda – et de l'Ouest. D'autres régions – l'Afrique australe, l'Afrique du Nord et l'Afrique centrale – ont engagé, voire achevé, leur transition démographique. Nous pouvons agir sur les mouvements entre régions d'Afrique – c'est du développement –, et pas seulement dans les domaines habituels qui sont à l'origine des migrations – la santé, l'éducation, la croissance économique –, mais aussi en intervenant à la demande des gouvernements de manière plus précise.

Le sujet n'est pas simple. Je suis à votre disposition pour entrer dans le détail de ce que l'AFD pourrait faire, à charge pour vous ensuite de décider de l'allocation des moyens dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens.

En ce qui concerne la Chine, autre sujet délicat, l'AFD n'y intervient pas de son propre chef. C'est une décision politique qui a été prise en 2004 et qui est rediscutée périodiquement au sein du conseil d'administration – la dernière fois en juin 2020. Pour tous les grands pays émergents, nous devons présenter au conseil une stratégie, qui fait l'objet d'un vote. Je ne cherche pas à me dédouaner en vous précisant que le mandat donne lieu à des discussions et évolue au fur et à mesure que la relation entre la France, l'Europe, le reste du monde et la Chine change. Je ne suis pas naïf et je note, depuis quelques années, que cette relation est beaucoup plus complexe et tendue.

Une fois encore, l'AFD n'est qu'un élément, au demeurant mineur, de la relation bilatérale mais, j'en conviens, son rôle peut poser question. Il appartient aux autorités – le Président de la République a rappelé le cadre lors de la conférence des ambassadrices et ambassadeurs – de choisir le dosage entre rivalité stratégique et coopération.

Je suis gêné d'entendre que nous aidons la Chine. L'aide publique au développement ne suffira pas à lutter contre le changement climatique, les dons non plus. L'action de l'AFD en Chine ne fait appel à aucun argent public. Depuis que nous avons interrompu notre projet sur le vieillissement mené avec des entreprises françaises et cofinancé par la Banque mondiale, il nous reste une seule activité de nature bancaire dans le domaine du climat et de la biodiversité. Une récente évaluation montre que les projets sont bons. Or, en Chine, si votre projet est réussi, le lendemain il est déployé dans toutes les provinces, donc l'impact est fort. Je le répète, ce n'est pas de l'aide, il n'y a pas un euro d'argent public et l'AFD se soumet à la décision politique.

L'AFD a distribué 12 milliards de subventions. C'est bien plus que par le passé et je m'en félicite car nous avons pu revenir au Sahel et dans le secteur social. Sachez que toutes les subventions que vous votez ou que je peux récupérer auprès de Bruxelles, du Fonds vert pour le climat ou du Partenariat mondial pour l'éducation, je les prends et je les utilise. Plus nous avons de dons, plus nous sommes contents car ils nous permettent de financer les projets les plus difficiles et ayant le plus d'impact.

Pour autant, je ne jetterai pas le discrédit sur les prêts. Que je sache, les prêts de BPI France ou de la Caisse des dépôts ne posent pas un problème à la représentation nationale. L'aide que nous avons proposée par le biais de PROPARCO aux entrepreneurs français à l'international, à l'instar du prêt garanti par l'État (PGE) de BPI France, était un prêt et elle a été utile. Il s'agit toujours de prêts concessionnels, qui ne se trouvent pas sur le marché.

Quant aux contrats de désendettement et de développement, on ne parle dans les négociations sur le climat que de mécanismes permettant d'annuler de la dette pour orienter les dépenses vers des investissements en faveur du climat. C'est ce que nous faisons depuis vingt ans avec les C2D. Il s'agit d'un instrument critiquable à certains égards, je l'admets, mais intéressant pour le climat.

L'AFD n'est pas une banque commerciale mais une banque publique de développement. Sans dépendre de la Caisse des dépôts, elle fait partie du grand pôle financier public. Elle dispose de multiples instruments parmi lesquels les dons. Depuis six ans, je réunis les 550 caisses des dépôts qui représentent 15 % de l'investissement mondial. C'est la seule manière que j'ai trouvée pour que vos orientations trouvent une traduction concrète de la part des institutions publiques. Pour faire ce que personne ne veut faire, il faut assurément des dons mais il y a plein d'autres leviers à utiliser.

Je ne peux malheureusement pas répondre plus avant à chacune et chacun d'entre vous. Je conclurai néanmoins en soulignant que le système alimentaire est le grand sujet devant nous. Nous pouvons être très inquiets pour 2023. Au Niger, les personnes vendent leur bétail, donc leurs actifs, pour pouvoir se nourrir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous allons nous intéresser à cette question et mobiliser l'AFD.

Permalien
Rémy Rioux

L'Agence est à votre disposition. C'est une maison d'agronomes. Nous défendons l'agriculture familiale et l'agroécologie. En Angola, nous avons des discussions très compliquées avec les autorités pour les inciter à adopter des pratiques agricoles soutenables : tout pousse dans le pays et la population y est limitée donc la tentation est forte de faire de très grandes exploitations qui causent d'importants dégâts environnementaux.

Vous avez raison, monsieur Lecoq, les infrastructures construites à l'époque coloniale étaient destinées à l'exportation. Cela a été corrigé mais il faut aller plus loin, notamment en créant des ports pour donner des débouchés à l'hinterland. Nous n'oublions pas les infrastructures, dont celles dédiées au sport, à la culture, à la jeunesse.

Je souhaite que vous reteniez de cette audition mon engagement, ma connaissance des dossiers, mon respect pour nos partenaires et nos salariés, ainsi que ma volonté de poursuivre la transformation de l'Agence. De nombreux chantiers restent à mener dans une institution complexe, qui est le reflet de notre politique étrangère et intérieure s'agissant des outre-mer.

Enfin, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour que le contrat d'objectifs et de moyens, sur lequel vous aurez à vous prononcer avant la fin de l'année, soit transmis le plus rapidement possible au Parlement. Il sera l'occasion d'imprimer votre marque en fixant des priorités à l'institution agile, capable de mobiliser un grand nombre de partenaires que j'essaie de développer.

La commission procède ensuite au vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l'article 29-1 du Règlement.

Après le départ de M. Rémy Rioux, il est procédé dans les conditions prévues à l'article 29-1 du Règlement au vote sur la proposition de nomination par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets, les scrutateurs étant Mme Amélia Lakrafi et M. Carlos Martens Bilongo.

Le dépouillement doit être effectué et les résultats du vote doivent être annoncés une semaine plus tard, le 21 septembre, à l'issue de l'audition de l'intéressé par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat et du vote de celle-ci. Dans l'intervalle, l'urne scellée par les scrutateurs est conservée sous clé.

La séance est levée à 11 h 10

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nadège Abomangoli, Mme Clémentine Autain, Mme Fanta Berete, M. Carlos Martens Bilongo, M. Benoît Bordat, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Moetai Brotherson, M. Jérôme Buisson, Mme Eléonore Caroit, Mme Clara Chassaniol, M. Sébastien Chenu, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, Mme Julie Delpech, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Frédéric Falcon, M. Olivier Faure, M. Marc Ferracci, M. Nicolas Forissier, M. Bruno Fuchs, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, Mme Olga Givernet, M. Michel Guiniot, Mme Marine Hamelet, M. Joris Hébrard, M. Michel Herbillon, Mme Laurence Heydel Grillere, M. Alexis Jolly, Mme Brigitte Klinkert, Mme Stéphanie Kochert, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, Mme Élise Leboucher, M. Jean-Paul Lecoq, M. Sylvain Maillard, M. Laurent Marcangeli, Mme Sophie Mette, M. Karl Olive, M. Bertrand Pancher, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Ersilia Soudais, Mme Laurence Vichnievsky, M. Lionel Vuibert, M. Christopher Weissberg, Mme Caroline Yadan, M. Frédéric Zgainski

Excusés. - Mme Véronique Besse, M. Louis Boyard, M. Meyer Habib, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Tematai Le Gayic, Mme Marine Le Pen, Mme Mathilde Panot, M. Patrick Vignal, M. Éric Woerth, Mme Estelle Youssouffa

Assistaient également à la réunion. - M. Karim Ben Cheikh, M. Guillaume Garot, M. Nicolas Metzdorf, Mme Barbara Pompili, Mme Sabine Thillaye