Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du jeudi 14 décembre 2023 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission entend MM. Antoine Deruennes, directeur général de l'Agence France Trésor et Mathieu Marceau, chef de bureau.

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Je souhaite la bienvenue à M. Antoine Deruennes, directeur général de l'Agence France Trésor (AFT), qui est accompagné de M. Mathieu Marceau, chef de bureau.

Monsieur le directeur général, nous avons souhaité faire le point avec vous sur les conditions de financement de la dette publique française. Nos interrogations, nombreuses en cette période où les taux d'intérêt ont subi une forte augmentation, portent sur les conditions de financement de la dette publique depuis la crise économique, sur les effets des émissions indexées sur l'inflation, sur l'évolution de ce coût, et sur les perspectives d'évolution des taux et leurs conséquences. Nos interrogations portent également sur les règles de comptabilité en matière de dette publique, en particulier les décotes et les primes, sur la stratégie de rachats appliquée par l'Agence France Trésor, et sur l'évolution de la maturité moyenne de la dette qui nous préoccupe.

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Antoine Deruennes, directeur général de l'Agence France Trésor

Je vous remercie, monsieur le président, et je précise que mes propos seront accompagnés par un document de présentation, actuellement diffusé sur vos écrans.

Je souhaite tout d'abord évoquer la mise en œuvre du programme de financement 2023, achevé depuis le 7 décembre avec la dernière adjudication d'obligations assimilables du Trésor (OAT) pour l'année 2023.

Le tableau présente, mois par mois, nos émissions et leur maturité. Si l'ensemble des chiffres n'appelle pas de commentaires, quelques-uns sont néanmoins importants, et notamment le total des émissions de l'année 2023 par rapport à celles de 2022. Le total des émissions brutes d'OAT à moyen et long terme s'élève à 303,1 milliards d'euros. L'AFT a procédé à 33,1 milliards d'euros de rachats, pour un total net émis de 270 milliards d'euros, en cohérence avec la loi de finances pour 2023.

Ce tableau montre également sur quelles maturités se sont davantage concentrées les émissions par rapport à l'année précédente. Avec 54 milliards d'euros émis contre 41 milliards en 2022, on constate une forte demande sur la zone trois/quatre ans. Sur la zone dix ans, ce sont 84,4 milliards d'euros qui ont été émis contre 74,4 milliards pour l'année précédente. On constate par ailleurs une forte demande d'obligations ultralongues, qui ont une maturité de trente ans ou plus, avec 33,2 milliards émis contre 26,6 l'année précédente. Enfin, les émissions d'obligations indexées sont restées similaires à celles de 2022, autour de 25 milliards d'euros.

Conformément à l'annonce que nous avions faite il y a un peu plus d'un an, nous avons également émis plusieurs nouvelles obligations. Ce sont ainsi sept nouveaux titres qui ont été créés, cinq nominaux et deux indexés. Les nouvelles clauses d'action collective ne seront en revanche activées qu'après la ratification de la réforme du mécanisme européen de stabilité.

Concernant les conditions de financement, le tableau présente les taux moyens pondérés sur les différentes maturités. Il convient de distinguer le financement de court terme, les bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté (BTF), et le financement à moyen et long terme. Les émissions de court terme ont été effectuées à un taux moyen de 3,32 %, contre 0,19 % en 2022, en correspondance avec l'évolution des taux décidés par la Banque centrale européenne (BCE). Les émissions à moyen et long terme ont été effectuées à un taux moyen de 3,03 %, contre 1,43 % l'année précédente. Cela suit de très près le taux moyen à dix ans. Sur l'ensemble des émissions, le taux moyen a été de 3,15 %.

Vous pouvez également observer que si les évolutions moyennes des taux à trois mois et à dix ans sont en forte hausse par rapport à la période récente, leurs niveaux sont en revanche similaires à ceux que nous connaissions avant 2008, ce qui démontre que nous vivons actuellement une période de normalisation des taux d'intérêt.

La maturité moyenne des émissions à moyen et long terme réalisées en 2023 est de onze ans, ce qui diffère assez peu des années précédentes. Le stock de dette existant continue à vivre, ce qui fait naturellement diminuer sa maturité. La moyenne des deux est ainsi de huit ans et demi en 2023.

Au sujet des obligations vertes, la France, premier émetteur souverain d'obligations vertes de taille benchmark dès 2017, en compte aujourd'hui trois. La première, avec un encours de 33 milliards d'euros, est actuellement le premier titre vert en termes de taille. La seconde a été émise en 2021 et la dernière, indexée sur l'inflation verte, a été émise en 2022 pour 6,7 milliards d'euros. L'exemple de la France a par la suite été suivi par de nombreux autres émetteurs souverains et le marché des obligations vertes est aujourd'hui en forte expansion. Le montant maximum des dépenses vertes éligibles est par ailleurs défini chaque année. En 2023, il s'élevait à 11 milliards d'euros, pour un total d'émissions d'obligations vertes à 10,2 milliards d'euros.

Notre cadre, robuste et exigeant, est bien connu des investisseurs. Cela s'explique d'une part par le grand nombre de secteurs aujourd'hui concernés (la construction, les ressources vivantes, le transport ou encore l'énergie) et d'autre part par les engagements de transparence que nous avons pris envers les investisseurs. Chacune des dépenses vertes est ainsi évaluée, l'allocation réalisée est soumise chaque année à un audit externe et une seconde opinion est sollicitée sur notre performance. De plus, nous avons mis en place un conseil indépendant d'évaluation des OAT vertes qui analyse régulièrement la performance des nouvelles dépenses engagées. Les subventions aux énergies renouvelables et les crédits d'impôt pour la transition énergétique ont par exemple déjà été évalués.

Je vais évoquer les perspectives pour l'année 2024 en vous présentant le tableau de financement de l'État pour 2024, issu de l'article d'équilibre de la loi de finances, pour chaque année depuis 2021. Les années 2021 et 2022 concernent l'exécution, l'année 2023 la loi de fin de gestion, et l'année 2024 le PLF déposé (projet de loi de finances) et sa version à l'issue de la première lecture à l'Assemblée nationale. Il convient de noter que les besoins de financement diminuent entre 2023 et 2024, essentiellement du fait du déficit à financer qui passe de 161 à 144 milliards d'euros. La baisse n'est pas intégrale compte tenu des amortissements de dette passée, en hausse de 144 à 151 milliards d'euros.

Au préalable, il convient de faire un point d'historique pour revenir au moment de la crise du covid, lorsqu'un certain montant de trésorerie avait été accumulé de façon préventive. Ce montant, utilisé en 2022 et 2023, peut être observé aux lignes « variation des disponibilités du trésor » avec 35 milliards d'euros mobilisés en 2022 et 31 milliards d'euros en 2023. Dans la mesure où nous ne prévoyons plus d'utiliser cette réserve en 2024, nous ferons essentiellement appel aux marchés en émettant 285 milliards d'euros de dette à moyen et long terme.

La principale différence entre le PLF déposé et sa version issue de la première lecture se situe dans les rachats d'obligations auxquels a procédé l'Agence France Trésor entre les deux dates. Les titres arrivant à échéance en 2024 ont ainsi permis de réduire les amortissements de dette. Si cela a permis aux émissions à moyen et long terme de rester inchangées, les encours de BTF ont en revanche diminué en fin d'année 2024.

Concernant le programme de financement en point de produit intérieur brut (PIB) rapporté à la richesse produite chaque année en France, nous prévoyons, en 2024, d'émettre 9,7 % du PIB, de façon similaire aux deux années précédentes. En matière de financement de court terme, la part des BTF dans l'encours de dette s'établira en 2024 à 6,8 %. Ce niveau, dans le bas de fourchette historique, nous permet d'avoir des marges de manœuvre en cas de nécessité.

Le programme de financement pour l'année à venir, annoncé hier à la presse et aux investisseurs, présente les nouvelles obligations qui seront créées cette année, à trois, cinq/six et dix ans. Nous avions, l'année dernière, fait le choix de créer deux obligations à dix ans dont l'une en toute fin d'année, qui a donc encore vocation à grandir en début d'année 2024.

Compte tenu de la forte demande observée sur les titres à plus de trente ans, nous pourrons par ailleurs être amenés à émettre une obligation de ce type au cours de l'année si les conditions de marché le permettent.

Concernant les obligations indexées sur l'inflation (OATi et OAT€i), la référence de 10 % est maintenue. Plus qu'une cible que nous tenterions de respecter de façon exacte, elle constitue une indication donnée aux investisseurs sur la taille possible du programme d'émissions à venir.

Compte tenu de la demande sur les obligations indexées de longue maturité, nous avons aujourd'hui deux obligations à long terme, l'une à échéance 2040 et l'autre à échéance 2047. Entre ces deux maturités, nous envisageons de créer une nouvelle obligation si les opportunités de marché le permettent.

Sur le sujet des obligations vertes, il convient tout d'abord de préciser que les dépenses éligibles seront communiquées dès le début du mois de janvier 2024 pour l'ensemble de l'année. Ce montant nous permettra de continuer à abonder les trois OAT existantes. Nous envisageons également la possibilité d'en créer une quatrième, nominale, de maturité longue.

Enfin, le programme indicatif de financement prévoit que notre politique d'émissions s'inscrive dans la continuité des années précédentes. Nous continuerons ainsi à émettre, sur tous les mois de l'année, des obligations à moyen terme, à long terme et indexées ainsi que des BTF toutes les semaines. Seul différera le mois de décembre, au cours duquel il n'y aura qu'une seule adjudication optionnelle. Nous poursuivrons également notre politique d'abondement des titres de référence, pour s'assurer qu'ils atteignent une taille et donc une liquidité suffisante avant que nous ne les remplacions par de nouveaux titres de référence. L'importance de la taille des titres génère en effet un surcroît d'activité autour d'eux, leur permettant d'être liquides et ainsi attractifs pour les investisseurs, entraînant une diminution du coût de financement pour l'État. Pour certains titres anciens en revanche, le réabondement ne sera plus régulier, mais adapté à la demande des investisseurs de façon à maintenir cette liquidité.

Lorsque le traité modifiant le mécanisme européen de stabilité aura été ratifié, les nouvelles obligations émises seront sous l'empire d'une nouvelle clause d'action collective. Les maturités seront alors fixées en mars et en septembre.

Nous continuerons enfin, comme chaque année, notre politique de rachat des maturités courtes. Celle-ci vise tout d'abord à lisser le profil d'amortissement de la dette, mais aussi à assurer la liquidité sur cette partie. La maturité des OAT qui font l'objet de cette politique de rachat est très courte, à l'inverse de nos émissions qui concernent des titres à moyen ou long terme.

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Je vous remercie, monsieur le directeur général. Avant d'en venir aux questions, je souhaite vous livrer une réflexion.

J'observe tout d'abord que le sujet de la dette a été considéré comme moins essentiel au moment de la crise du covid, la priorité ayant été donnée à la mobilisation de fonds visant à préserver notre économie. Si, auparavant, nous considérions la dette comme une problématique essentielle au sein de nos différents budgets, nous avons relativisé son importance avant de la laisser exploser. Cette politique de financement inhabituelle, pleinement assumée du fait de la pandémie, a conduit les banques centrales à racheter la dette qui n'était, dès lors, plus soumise aux règles du marché. Chacune des banques centrales nationales a ainsi pu détenir de la dette à hauteur de 20 % environ, ce qui était théoriquement contraire aux traités européens.

Le premier objectif de la dette est celui de faire appliquer des politiques telles que la réduction des dépenses publiques, ou encore une politique de l'offre. Je considère que le ratio rapportant le coût de la dette au PIB doit être appréhendé en pourcentage plutôt qu'en valeur. Il est aujourd'hui de 2,2 % du PIB et sera de 2,7 % en 2027, des niveaux bien inférieurs à ceux que nous avons connus dans les années 90 en France ou que connaissent actuellement les États-Unis, où il est de 4 % sans que la croissance du pays ne s'en trouve affaiblie pour autant. J'émets donc d'importantes réserves sur les mises en garde répétées qui servent à justifier les politiques de baisse des dépenses publiques. Et j'affirme que la dette, qui ne doit pas être cultivée pour elle-même mais pour son utilisation, est à la fois une nécessité pour la stabilisation macroéconomique et un outil d'investissement aussi puissant qu'indispensable. Il est en effet inenvisageable de financer sur une seule année des investissements qui serviront sur des années voire des décennies. Dans leur rapport, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz préconisent d'ailleurs un endettement de 250 à 300 milliards d'euros en cumulé d'ici à 2030, considérant que la dette écologique est plus importante que la dette financière en ce qu'elle ne peut être ni effacée ni renégociée.

Dans son dernier rapport, l'ADEME évalue par ailleurs le coût de l'inaction écologique à 260 milliards d'euros par an. Rapporté à la charge de la dette, il apparaît comme beaucoup plus lourd pour nos finances publiques et pour notre économie en général au regard du sujet de la bifurcation écologique réaffirmé lors de la COP 28.

Ces constats amènent un ensemble d'interrogations. En premier lieu, ne pensez-vous pas que la volonté de réduire à tout prix le niveau de la dette soit susceptible de réduire la qualité de la signature de la France ? Cela doit nous amener à nous interroger sur les conditions actuelles de financement. De 1948 à 1966, la dette publique française était levée hors-marché, via un circuit du Trésor. La dette liée à la crise du covid a quant à elle conduit les banques centrales à prendre des mesures nouvelles permettant de sortir du marché une partie de cette dette. Ne devrions-nous donc pas tendre vers cette direction, notamment pour faire face à la question de la bifurcation écologique ? Cela permettrait de faire face à la pression des marchés et à la question des taux d'intérêt qui y sont liés. De la même manière, un plancher de détention d'OAT ne serait-il pas nécessaire pour sortir une partie de la dette du marché ?

La France émet depuis 2017 des OAT vertes destinées à financer des dépenses favorables à l'environnement selon une grille d'analyse fondée sur la taxonomie verte européenne. Le montant des émissions de cette catégorie de titre semble aujourd'hui contraint par le champ des dépenses éligibles, inférieures à 10 milliards d'euros par an selon les rapports annuels d'allocation et de performance des OAT vertes, alors même que la demande pour ces titres semble forte. Au regard des besoins évoqués, quel rôle ces titres vous semblent-ils pouvoir jouer à l'avenir ? L'achat d'obligations souveraines vertes par la Banque de France ne serait-il pas un meilleur moyen de répondre aux investissements nécessaires à la bifurcation écologique ?

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Je vous remercie pour votre présentation. Je souhaite tout d'abord saluer le travail de l'AFT, qui a tenu cette année ses engagements dans un environnement extrêmement fluctuant et difficile.

Davantage que le niveau de la dette, le sujet central me semble être celui du poids des intérêts de celle-ci. Chaque milliard économisé en matière de charge de la dette est autant d'argent que nous pouvons investir dans nos politiques publiques. Compte tenu des taux actuels, l'impact réel de la dette sur nos finances publiques est indubitable. Il est donc absolument nécessaire qu'elle soit contrôlée, le PIB étant un indicateur convenable, et que soit engagée une baisse dans les années à venir.

Sur le sujet des OAT vertes, qui me semble particulièrement intéressant, je souligne que la France s'est illustrée comme un modèle. Je salue également le niveau des OAT indexées, faible par rapport à notre stock, et qui fera l'objet de ma première question. Comment se justifie la diminution du niveau des OAT indexées par rapport à la moyenne de notre stock ? S'agit-il d'une proposition du marché ou d'une volonté de votre part ?

Je souhaite en outre disposer d'éléments sur vos taux sur les emprunts au mois de décembre, et sur vos projections pour l'avenir. Des perspectives de baisses de taux et de diminution de l'inflation commencent à se faire jour, et les banques centrales évoquent une stabilité des taux. Ainsi, à partir de quand vos projections peuvent-elles inclure une baisse effective des taux auxquels notre pays pourrait emprunter ?

Enfin, quelle est aujourd'hui votre appréciation de l'image de la France par rapport aux autres pays européens sur le marché des émissions d'OAT ?

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Antoine Deruennes, directeur général de l'Agence France Trésor

Sur le sujet des OAT indexées sur l'inflation, le montant, proche de celui de l'année dernière, est en réalité inférieur aux 10 % affichés. Je précise à nouveau que ce taux n'est pas une cible, et que nous nous adaptons à la demande des investisseurs. Le besoin de protection contre l'inflation étant fort, nous fournissons les titres qui y répondent, dans le cadre d'une épargne domestique majoritairement orientée vers des produits tels que le livret A, le livret de développement durable et solidaire (LDDS) ou le livret d'épargne populaire.

Nos projections pour l'année prochaine seront établies en fonction des observations liées à la demande, mais nous savons qu'il existe en France un besoin structurel de protection contre l'inflation. Il est également probable que certains investisseurs, qui avaient pu négliger la perspective d'un retour de l'inflation, décident de se couvrir davantage à l'avenir.

Concernant les taux à court terme, les hypothèses se basent sur une diminution, avec 3,5 % pour la fin d'année 2024 contre 3,9 % à fin 2023. Les projections liées aux taux à long terme se basent quant à elles sur une stabilisation. Il est important de préciser que l'AFT n'effectue pas de prévisions de taux, mais émet uniquement les hypothèses nécessaires au moment des projets de loi de finance ou des lois de programmation des finances publiques.

Deux éléments peuvent expliquer que les taux aient été plus faibles dans la réalité que dans nos hypothèses passées. La fin d'année tout d'abord, synonyme de marché moins liquide sur lequel les émetteurs ont stoppé leurs émissions et les investisseurs interrompu leurs programmes d'achat. Les anticipations d'inflation, ensuite, qui ont été révisées à la baisse dans la mesure où les points d'inflation publiés ont été plus bas que le consensus. Le marché anticipe donc une baisse de taux plus rapide de la part des banques centrales.

L'image de la France sur les marchés nous semble quant à elle très bonne, et la qualité de la signature élevée. L'obligation de référence en zone euro se situe en Allemagne, à laquelle nous nous comparons donc habituellement. Notre spread a pu être contenu entre 50 et 60 points de base et nous nous finançons dans de meilleures conditions que des pays comme l'Espagne ou l'Italie.

Sur le sujet des OAT vertes, notre rôle est effectivement de financer les dépenses de l'État, ce qui explique que nous soyons contraints par les dépenses vertes éligibles.

Le sujet du financement par la BCE est d'une nature différente, puisque la mission de celle-ci est avant tout le maintien de la stabilité des prix. Les achats de titres dans la période passée étaient donc liés à son souhait de limiter les risques de déflation. Depuis la réapparition de l'inflation, la BCE a réduit puis arrêté ses achats, et commence à stopper les réinvestissements dans sa politique monétaire et de resserrement quantitatif.

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La dette est un sujet tout à la fois politique et technique. Sa dimension politique est relative aux finances publiques, à la politique budgétaire et à la politique économique, et je souhaite ici souligner la pertinence de nos choix, qui donnent à la fois des résultats en termes d'emploi et de croissance, et de la confiance aux investisseurs. L'aspect technique concerne le fonctionnement du marché de la dette, dont l'efficacité repose sur des éléments tels que la prévisibilité, la liquidité, ou encore la transparence. Je souhaite donc également saluer la qualité du travail effectué par l'AFT.

Comment expliquez-vous les très bons taux de couverture (volume demandé sur volume adjugé) des 7 et 11 décembre, des bons du trésor et obligations assimilables du trésor ? Quelle est l'appréciation des investisseurs s'agissant du fonctionnement de la dette française ? Quelles sont la part, l'évolution et la performance des OAT vertes dans les adjudications de l'AFT ? Quels sont les secteurs d'activité qui font l'objet des programmes financés par les OAT vertes ? Et enfin, pouvez-vous rappeler les raisons de l'intérêt des investisseurs en faveur des OAT indexées sur l'inflation ?

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Je souhaite, dans un premier temps, revenir sur les OAT indexées car le sujet nous est cher. La Cour des comptes a rendu dernièrement un avis dans lequel elle souhaite que des travaux soient engagés sur la pertinence des OAT indexées et de leur « cible » de 10 % du stock de dette. Sur le même sujet, je souhaite connaître votre avis sur la position de l'Allemagne qui a annoncé il y a quelques semaines qu'elle arrêtera dès 2024 son programme d'émission de dette indexée sur l'inflation.

Ma deuxième interrogation porte sur le montant des primes et décotes, proche de zéro dans vos anticipations pour 2024. Ce montant vous semble-t-il réellement pertinent au regard de la tendance à la hausse des décotes nettes de prime ?

Ensuite, le taux d'intérêt de la dette française a connu une baisse en novembre, à 2,9 % au lieu des 3,4 % anticipés, notamment sur l'obligation à dix ans. Je souhaiterais connaître votre avis sur la durabilité de cette baisse. La BCE a par ailleurs annoncé qu'elle s'orientait vers un arrêt du roulement des titres covid rachetés, ce qui pourrait mettre la pression sur les marchés. Quel est votre avis sur ce sujet ?

Je souhaiterais enfin connaître la répartition précise de notre dette en termes de territorialité des investisseurs, afin de savoir qui détient la dette française. Si vous n'êtes pas en mesure de nous communiquer ces éléments, j'aimerais solliciter le lancement d'une étude permettant d'avoir des éléments précis sur la question.

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Le taux d'emprunt sur dix ans s'élève aujourd'hui à 3,3 %, au plus haut depuis 2011. Les projections de votre agence envisagent une augmentation modérée oscillant entre 3,4 % et 3,6 % jusqu'en 2026. Cette hausse relative ne justifie pas le discours alarmiste du Gouvernement. La hausse du ratio dette/PIB depuis 1980 ne résulte pas de dépenses irresponsables, mais des taux d'intérêt supérieurs à la croissance entre 1980 et 1990, des cadeaux fiscaux aux ménages aisés et aux grandes entreprises, des coûts directs et indirects de la crise financière de 2007/2008, et des mesures de soutien économiques liées à la pandémie de covid-19. Le discours alarmant sur le ratio dette/PIB se révèle donc infondé. Je renvoie à mon tour à Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz qui estiment que les inquiétudes concernant la remontée des taux sont excessives, et recommandent même un accroissement de l'endettement de 250 à 300 milliards d'euros d'ici 2030 pour financer des investissements en matière environnementale.

Le ratio dette/PIB, qui est contestable en ce qu'il compare un stock et un flux, perd de son impact lorsque l'on considère la durée moyenne des titres de dette. Un meilleur indicateur pourrait être le ratio entre la charge de la dette et le PIB. Selon la programmation des finances publiques, la charge de la dette devrait atteindre 70 milliards d'euros en 2027, soit 2 % du PIB, en hausse par rapport à son niveau de 2022 à 1,8 %. Ces chiffres demeurent cependant inférieurs à ceux de la fin des années 1990, ce qui contredit les assertions alarmistes. L'augmentation du coût de la dette s'explique essentiellement par le choix politique d'indexer les taux des OAT, à défaut des salaires, sur l'inflation.

Aussi, compte tenu des pics inflationnistes des deux dernières années, quels taux d'OAT ou d'OAT indexées prévoyez-vous pour le court, le moyen et le long terme ? Qu'est-ce qui justifie que la part des taux d'intérêt de la dette soit, en France, à ce point indexée sur l'inflation, nourrie par les marges des entreprises que le Gouvernement refuse d'encadrer ?

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En préambule, je souhaite réagir aux propos du président et de notre collègue. Davantage que le poids de la dette, c'est le poids de la charge de la dette qui me semble aujourd'hui poser un problème, en ce qu'il représente un véritable fardeau pour les générations futures. S'il est nécessaire, comme vous l'indiquez, monsieur le président, de recourir à la dette pour financer des investissements, la problématique vient du fait que la France a recours à la dette pour financer ses dépenses ordinaires. Il en va de même pour un ménage, qui a vocation à emprunter pour financer de l'immobilier, ou l'achat d'une voiture, mais pas pour aller au restaurant ou pour la gestion de ses dépenses courantes. Or c'est exactement ce que fait la France.

Je souhaiterais poser quatre questions. La première, monsieur le directeur général, concerne l'estimation du montant de recours à la dette de 185 milliards. L'évaluation de Natixis s'élève aujourd'hui à 310 milliards compte tenu des montants qui devraient être levés pour racheter des titres de dette qui ne sont pas encore arrivés à échéance. Je souhaiterais connaître votre avis sur cette estimation. Ma deuxième question rejoint celle de mon collègue Kevin Mauvieux. La BCE va progressivement mettre fin au programme d'achat urgence pandémie. Cette décision va-t-elle avoir un effet sur la part de la détention de la dette par des investisseurs européens et non européens ? Vous avez d'autre part évoqué des rachats de titres à maturité très courte. Cela va-t-il avoir des impacts sur les primes d'émissions, et, le cas échéant, à hauteur de quel montant ? Et enfin, vous faites régulièrement référence au niveau de 10 % du programme d'émissions via des obligations indexées sur l'inflation. Je souhaiterais donc disposer de précisions sur la nature de cette référence : est-elle interne ? Réglementaire ? Quelle est son origine et de quelle façon sera-t-elle amenée à évoluer ?

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Je vous remercie. Monsieur le directeur général, chers collègues, je ne souhaite pas m'attarder sur le sujet de la dette, la position historique du président François Bayrou étant bien connue. Je veux tout d'abord vous remercier pour cette présentation claire et synthétique.

Il nous paraît essentiel de continuer à faire baisser les besoins de financement de la France, dans ce contexte de taux historiquement élevés que vous avez mentionné.

Je souhaite souligner un élément positif. Les trois principales agences de notation considèrent toujours la France comme crédible dans ses trajectoires, grâce à notre gestion des crises et aux réformes engagées.

L'Europe étant une préoccupation permanente pour le groupe démocrate, je souhaite vous interroger sur trois points. Tout d'abord, pouvez-vous nous apporter des éléments de comparaison avec les pays voisins sur le taux d'intérêt ? Vous avez précédemment évoqué une période de normalisation des taux d'intérêt, le constat est-il le même chez nos partenaires européens ? Quel serait, selon vous, l'impact sur notre capacité de financement d'une réforme des règles budgétaires européennes négociée avec nos partenaires et soucieuse de ne pas freiner les investissements dans les transitions à l'image de nos OAT vertes ?

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Dans son rapport de février 2022, la Cour des comptes vous invitait à renforcer votre analyse stratégique face à l'émergence de nouveaux enjeux, à communiquer davantage sur votre stratégie, et à renforcer la coopération entre émetteurs publics. Que pensez-vous de ces recommandations ? Avez-vous entrepris un travail d'intégration de ces recommandations, et le cas échéant quelles en sont à ce stade les traductions concrètes ?

J'en viens ensuite aux intérêts d'emprunt, qui étaient faibles avant la crise du covid. Les taux bas, voire négatifs, compensaient l'augmentation de l'encours de la dette et permettaient de stabiliser le service de la dette à moins de 36 milliards d'euros contre 46 milliards en 2011. Compte tenu notamment des effets du covid, de la situation en Ukraine, du contexte inflationniste et de la hausse des taux d'intérêt, les titres de la dette publique indexés sur l'inflation font subir à la France un surcoût lié aux intérêts des titres à taux variables. Pouvez-vous nous détailler les raisons qui expliquent le recours à ces titres indexés sur l'inflation, notamment en période inflationniste, plutôt que le recours au système classique qui serait, en cette période, bien moins onéreux pour le contribuable ?

Pour ma troisième question, je souhaite évoquer les obligations assimilables du Trésor vertes. Le rapport d'information du Sénat démontre que, si les collectivités territoriales ne représentent que 3 % du total des émetteurs, elles sont néanmoins, avec leurs homologues suédoises, pionnières dans l'usage de cet instrument de financement de la transition écologique. S'ils sont très attractifs pour les collectivités, ces titres sont aussi très exigeants dans leur gestion, du fait de la structuration du marché. Avant l'apparition du contexte inflationniste, l'une des conditions de recours à cet instrument financier pour les collectivités était le financement de projets au montant significatif, souvent supérieur à 150 millions d'euros, ce qui en exclut de fait nombre d'entre elles. Peut-on envisager une ingénierie qui permettrait un regroupement de collectivités, notamment de petite taille, pour l'accès à l'émission d'obligations vertes autour de projets écologiques communs ?

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Je souhaite tout d'abord rappeler que notre groupe s'est toujours opposé au financement de la dette publique par les marchés financiers. Cette financiarisation de la dette s'est progressivement développée avec la normalisation de l'emprunt pour l'État, l'adjudication des titres de dette, ou la création d'un marché secondaire de revente. De ce fait, nous sommes aujourd'hui dépendants des attentes des créanciers dans le cadre de notre politique d'émissions. Vous avez, monsieur le directeur, évoqué la diversification des instruments afin d'assurer une bonne liquidité des titres, mais également le cadre de nos politiques publiques. Nous souhaitons ainsi rappeler que la réforme des retraites avait en partie pour objectif de satisfaire les agences de notation privées.

Mes interrogations concernent les OAT indexées. Je souhaiterais vous interroger sur la politique qui a conduit à émettre de la dette sur d'anciennes souches lorsque les taux d'intérêt étaient bas, ce qui n'a pas permis de réduire significativement la charge d'intérêt, alors même que nous savions cette période de taux bas temporaire. Pouvez-vous nous donner le montant des primes d'émissions qui ont été collectées au cours des années précédentes, et nous dire si, aujourd'hui, avec des taux plus élevés, vous avez toujours recours à ces procédés, avec des décotes ?

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Je souhaiterais, monsieur le directeur général, vous poser cinq questions. Tout d'abord, le ministre de l'économie vous donne-t-il des orientations quant à la gestion de la dette ? Ne faudrait-il pas, ensuite, stopper les émissions indexées ? Qu'est-ce qui les justifie, et quelle pourrait en être la substitution ? Faut-il, d'autre part, continuer à avoir recours à la technique de l'assimilation ? Car, comme vous l'évoquez dans votre texte, le fait d'émettre des souches à des taux d'intérêt supérieurs et donc avec un capital plus faible, a une incidence au sens de Maastricht. Pourriez-vous donc nous indiquer le montant du stock de primes nettes, et la façon dont il a évolué ? Je souhaite ensuite que vous nous indiquiez qui détient la dette française. De façon plus précise, cette question concerne la part de la BCE et la façon dont cette part sera amenée à évoluer, après que la BCE a annoncé l'arrêt du rachat de la dette des États. Quelle va être l'incidence de cette annonce ? Enfin, je souhaite savoir quelle part de la dette de l'État français a financé des dépenses de fonctionnement. Si l'on se réfère au bilan de l'État français, on peut estimer que ce chiffre est supérieur à 70 %.

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En tant qu'ancien maire, je reste très attaché aux critères d'investissement et de fonctionnement en ce qui concerne la dette. Et même si le périmètre du fonctionnement concernant l'État peut être discuté, cela me semble essentiel pour la stabilité financière de notre pays.

En tant que rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), je souhaiterais disposer d'éléments de précision sur le sujet de la dette sociale, qui est, me semble-t-il, incluse dans votre périmètre. Cette dette a la particularité d'être garantie, l'État devant donner à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) les moyens de la rembourser. Négociez-vous cette dette spécifiquement, ou est-elle englobée dans les dettes de l'État ? Dans la première hypothèse, existe-t-il un taux particulier intéressant, et quelle en est la durée d'amortissement ?

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Si nous partageons les préoccupations face à une charge de la dette susceptible de s'envoler dans les prochaines années, nous sommes en même temps rassurés par la compétence et la bonne gestion de notre Agence France Trésor.

Je souhaiterais tout d'abord savoir jusqu'où il est raisonnablement possible d'aller sans trop dégrader ces ratios et la charge des intérêts. Par ailleurs, et cette question va nous intéresser dans le cadre des élections européennes, à combien estime-t-on la protection de l'Union européenne et de la zone euro par rapport à une situation dans laquelle nous ne serions pas solidaires de nos partenaires ? Il me semble enfin qu'en comparaison avec le Japon ou les États-Unis, la zone euro fait davantage appel à des investisseurs étrangers. Quels seraient ainsi les bénéfices et les coûts d'une émission directe auprès des particuliers, afin que la dette de la France soit détenue par les Français ?

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Antoine Deruennes, directeur général de l'Agence France Trésor

Concernant tout d'abord les excellents taux de couverture observés en fin d'année, il convient de noter un effet de loupe lié à notre toute dernière adjudication de moyen et long terme, plus réduite, et qui entraîne donc une élévation mécanique de ce taux. Nos objectifs sont assignés par le Parlement, à qui nous rendons compte chaque année de nos indicateurs de performance, avec un taux de couverture pour les BTF de 200 % et un taux de couverture pour les OAT indexées de 150 %.

Les rapports de performance que nous présentons sont, par ailleurs, bien perçus par les investisseurs. Nous sommes entièrement transparents sur la nature de nos financements, et présentons systématiquement l'intégralité des dépenses financées dans chacune des émissions.

J'en viens ensuite aux secteurs d'activité financés au travers des OAT vertes. On trouve tout d'abord la rénovation énergétique des bâtiments, auparavant sous la forme de crédit d'impôt et désormais sous la forme de MaPrimeRénov'. D'autres dépenses sont concernées, comme les voies navigables de France ou les observations météorologiques. Ces dépenses, qui typiquement ne peuvent être faites que par des États, diffèrent donc des habitudes du marché et sont intéressantes en termes de diversification et d'impact sur l'environnement.

Sur le sujet des OAT indexées, les recommandations de la Cour des comptes nous invitent à réévaluer les travaux initiaux menés au moment de leur lancement, concernant la part acceptable d'obligations annexées sur l'inflation pour un État comme la France. Je vais donc détailler notre modélisation, relativement simple. Une inflation plus importante est à la fois synonyme de plus d'intérêts indexés sur l'inflation et de recettes plus importantes. Cela signifie donc un effet stabilisateur sur le budget de l'État, que seul lui peut avoir. Les proportions optimales issues de nos simulations se situent ainsi entre 10 et 20 % selon les modèles, avec une moyenne à 17 %. Je vous confirme donc que ces études ont été réalisées, et rendues publiques au sein du rapport sur la dette, publié au moment du PLF. Nous faisons ici le choix de retenir la fourchette basse à 10 %, à la fois en termes de prudence par rapport à nos modélisations mais aussi par réalisme par rapport à la demande du marché.

L'Allemagne a d'autre part effectivement annoncé la fin de l'émission d'obligations annexées sur l'inflation. Si je n'ai pas pour habitude de commenter les décisions des autres émetteurs publics, je note néanmoins que la Finanzagentur était face à un dilemme entre le fait d'augmenter ses obligations indexées pour assurer la liquidité, ou d'arrêter compte tenu de son programme de financement. Le programme de financement de l'Allemagne est en effet orienté à la baisse, ce qui n'est pas notre cas.

J'en viens maintenant aux questions sur les primes et décotes, qui ont été nombreuses. L'idée fondamentale derrière ces émissions, c'est d'avoir des OAT très liquides de façon à faire diminuer le coût pour le contribuable. La solution est ainsi de réémettre régulièrement sur les mêmes souches, afin que leur encours soit suffisant. Je précise en outre que l'on adjuge en prix, et non en taux. Ainsi, une obligation dont le coupon est de 4 % lorsque les taux d'intérêt sont de 4 % est adjugée exactement au pair. Mais dans les faits, nous n'émettons jamais à un taux qui soit exactement celui du coupon. Dans le cas où le taux de marché est plus élevé à ce moment-là, l'OAT sera vendue moins cher que le pair, ce qui engendre une décote. À l'inverse, des taux d'intérêt plus faibles que le taux de coupon incitent les investisseurs à payer plus cher que le pair, ce qui donne lieu à une prime.

De 2016 à 2020, les taux étaient non seulement en baisse, mais parfois même négatifs. Comment des obligations peuvent-elles être émises avec un taux d'intérêt négatif ? Cela signifie alors que le flux s'inverse et que ce sont les investisseurs qui paient. Nous avons résolu ce problème justement grâce aux primes et décotes. Avec une obligation à zéro coupon, on s'engageait uniquement à rembourser 100 au terme de l'obligation. Les investisseurs étaient alors prêts à payer plus cher que 100 aujourd'hui, pour être remboursés à hauteur de 100 dans deux, trois ou dix ans. C'est donc grâce à cette prime que nous avons notamment pu mettre en place les taux négatifs. Et dans la mesure où les taux changent tous les jours, on observe tantôt des primes et tantôt des décotes. L'année dernière, ce sont plutôt des décotes qui ont été observées, du fait des réémissions régulières sur des souches anciennes couplées aux taux qui augmentent.

À la fin du troisième trimestre 2023, le stock de primes nettes de décotes s'élève ainsi à 54 milliards d'euros, en diminution par rapport à 2022, du fait des décotes plus nombreuses qu'au cours des années précédentes.

Nous pensons donc que cette assimilation doit être maintenue, dans la mesure où c'est elle qui nous permet d'avoir un coût de financement moins cher. Imaginez un instant que nous émettions des titres différents à chaque fois. Nous faisons trois adjudications par mois, de moyen terme, de long terme, et indexée. Si chaque adjudication s'accompagne de l'émission de trois titres différents, ce sont tous les mois neuf obligations nouvelles qui sont créées, pour un total de cent à la fin de l'année. Un investisseur qui souhaiterait acheter de la signature française rencontrerait ainsi des difficultés à trouver l'obligation qui conviendrait au milieu de cette multitude de petits montants. Il est donc justement préférable d'avoir un nombre d'obligations limité, la multiplication des titres n'étant pas synonyme de gains. Ainsi un investisseur souhaitant acheter de la dette française sera-t-il en mesure de la trouver, et en mesure de la vendre lorsqu'il souhaitera la céder.

Sur le sujet des charges d'intérêt, il convient tout d'abord de distinguer les charges d'intérêt budgétaires, qui sont les coupons, et les charges d'intérêt maastrichtiennes qui tiennent justement compte de l'étalement des primes et décotes. À titre d'illustration, les charges d'intérêts en termes de coupon ne peuvent être négatives, et seront toujours supérieures à zéro. À l'inverse, les charges d'intérêts négatives en maastrichtien s'expliquent par l'étalement de cette prime sur la durée de vie du titre. Si cela peut entraîner une divergence entre les deux, cela permet également d'émettre au meilleur coût pour le contribuable.

Concernant la répartition des investisseurs aujourd'hui en France, il convient tout d'abord de préciser que la dette change de main tous les jours. Cela étant, nous disposons d'informations, communiquées notamment par la Banque de France et le Fonds monétaire international (FMI). Les titres nominaux sont ainsi détenus à hauteur de 46 % par des investisseurs français, les titres indexés sur l'inflation européenne à hauteur de 61 %, et les obligations indexées sur l'inflation française à hauteur de 78 %. Nous pouvons donc nous réjouir du fait que des investisseurs étrangers achètent des obligations françaises, car cela démontre leur confiance dans la signature de la France. Cette base d'investisseurs diversifiée me permet en outre, en tant qu'émetteur, de remplir les deux objectifs qui m'ont été fixés par le Parlement : émettre la dette au meilleur coût et dans les meilleures conditions de sécurité pour le contribuable. Un nombre d'acheteurs potentiels élevé signifie à la fois un coût moindre pour l'État et une moindre dépendance envers une catégorie spéciale d'investisseurs, qu'il s'agisse d'une zone géographique particulière ou d'une typologie spécifique telle que des banques centrales, des banques ou des assureurs. Une base d'investisseurs diversifiée et donc la meilleure garantie d'avoir des coûts faibles et une dette résiliente.

Nous effectuons par ailleurs, comme je l'indiquais précédemment, des rachats réguliers de maturité courte. Notre cible pour l'année 2024, fixée par le Parlement, est celle des obligations nettes de rachat, c'est-à-dire du montant auquel l'état s'endettera davantage l'année prochaine. Les émissions brutes auxquelles sont soustraits les rachats constituent donc notre cible. La répartition entre les deux peut en revanche évoluer en fonction de la demande, aussi bien du côté de la nouvelle dette émise que du côté des rachats. Nous tenons en outre compte des primes ou décotes qui peuvent être payées au moment des rachats.

J'en viens au sujet du retrait de la Banque centrale européenne, qui a d'ores et déjà débuté. La normalisation monétaire est effectivement un processus à l'œuvre. Cette situation est donc bien prise en compte, aussi bien dans la stratégie d'émissions que par les intervenants de marché, qui prennent en compte, dans la fixation des prix, le fait que la Banque centrale européenne sera moins présente dans les années à venir.

Les trois raisons qui justifient les émissions d'obligations indexées sur l'inflation sont les suivantes.

Tout d'abord, il existe une véritable demande de protection contre l'inflation. En France, la demande domestique est forte, notamment sur le livret A, dont le taux d'intérêt dépend pour partie de l'inflation, le LDDS, et le livret d'épargne populaire. La banque qui commercialise le produit, qui doit donc se couvrir en partie sur l'inflation, va ainsi acheter les produits qui lui permettent de se protéger, typiquement des OATi ou des OAT€i. Il existe ainsi une demande structurelle, à laquelle nous devons répondre.

Il est en outre de mon devoir d'émettre la dette dans des conditions de sécurité optimales, et de disposer pour cela de produits diversifiés permettant d'adapter les émissions en fonction de la demande. Nous sommes ainsi en mesure d'offrir une protection contre l'inflation si c'est le sens de la demande, ou de recourir à d'autres produits dans le cas contraire.

Je souhaite enfin rappeler que, si l'inflation conduit effectivement à une hausse des charges d'intérêt, nous émettons soit des obligations indexées sur l'inflation soit des obligations nominales. Dans le premier cas, l'État s'engage à rembourser à terme un capital plus élevé, et l'argent correspondant à la provision qui est aujourd'hui enregistrée dans les comptes n'est pas immédiatement décaissé. Ce coût existe donc bien, mais il en va de même pour les émissions d'obligations nominales. Les taux nominaux supérieurs à 3 % que nous avons connus l'année dernière s'expliquent par une inflation plus forte, ce qui implique que le taux plus élevé auquel ont été émises les obligations nominales sera payé pendant toute leur durée de vie.

J'ai également été interrogé au sujet de la Cades. Il convient tout d'abord de noter qu'il s'agit d'un établissement public qui a son existence propre, avec un président nommé, M. Jean-Louis Rey. Il existe d'autre part des titres « Cades » qui sont différents des titres de l'État. Afin de créer un pôle d'excellence d'émission de la dette publique, le Gouvernement a fait le choix de gérer cette dette de façon commune au sein de l'Agence France trésor, qui gère ainsi de manière opérationnelle les émissions de dette de la Cades. Mais le titre « Cades » et le titre « État » doivent donc être clairement distingués. Si la gestion est collective, les titres sont bien différents.

L'État est l'acteur français qui bénéficie, à travers les OAT et les BTF, du taux le plus intéressant, dans la mesure où sa signature est à la fois la plus sûre et la plus liquide. Le coût des émissions des autres émetteurs publics est généralement moins intéressant, en ce qu'il tient compte à la fois de la moindre liquidité et d'une moindre qualité de signature. Il existe donc un décalage, pour la Cades comme pour n'importe quel autre émetteur public, en France comme dans les autres pays.

Sur la question de la part des dépenses de fonctionnement financée par dette, je ne suis pas en mesure de m'exprimer sur ce sujet, ne disposant pas aujourd'hui de ce chiffre.

Concernant les émissions à destination des particuliers, nous n'avons pas intégré ce type de produits au programme de financement. Notre situation est différente de celle d'autres pays européens, notamment grâce au livret A et au LDDS, qui offrent des conditions intéressantes. Ce produit très liquide permet ainsi aux ménages d'entrer et sortir rapidement, avec des taux intéressants.

Sur le sujet de la dette des collectivités locales, son émission est du ressort de ces dernières et non du nôtre. Si la taille de l'État lui permet de se financer essentiellement par émissions d'obligations, ce n'est en revanche pas un mode de financement habituel pour des petites collectivités. Une mise en commun de plusieurs collectivités pour l'émission d'obligations peut cependant être envisagée, par exemple via l'Agence France locale, mais cela procède de leur responsabilité.

La question des charges d'intérêt sur les souches anciennes, qui a également été posée, nous ramène au sujet des primes et décotes. Les réémissions sur souches anciennes visent à maintenir la liquidité et nous devons donc être en mesure de répondre à la demande potentielle et de faire face à un besoin important s'il se présente. L'impact sur les taux d'intérêt est quant à lui limité et, en maintenant une forte liquidité, nous permettons à la courbe de rester lisse. Le fait que ces titres anciens aient des taux de coupon différents du marché n'est donc pas à craindre, puisque l'émission avec une prime ou une décote importante permettra d'un point de vue actuariel de payer la même chose que sur les obligations adjacentes. En résumé, il n'y a donc ni coût ni gain particulier à émettre des obligations anciennes, si ce n'est le fait qu'être capable d'offrir de la liquidité sur l'ensemble de la courbe limite le coût pour le contribuable.

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Vous avez évoqué, monsieur le directeur général, le fait de comptabiliser des provisions pour prendre en compte l'éventuelle inflation. Pouvez-vous nous communiquer le montant que cela représente aujourd'hui, et éventuellement la façon dont vous percevez les évolutions ?

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Vous n'avez répondu qu'à deux de mes trois questions. Pouvez-vous donc nous indiquer s'il existe des orientations ou des directives données par le pouvoir politique, c'est-à-dire par votre ministre ? Vous n'avez pas non plus répondu sur la part de la BCE et son évolution dans la détention de la dette. Concernant mon troisième point, vous trouverez dans le budget de l'État le chiffre de 1 500 milliards sur 2 500.

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La dette, étant donné son niveau et compte tenu de l'augmentation des taux d'intérêt, occupe une place significative dans la vie économique et sociale en termes de croissance. Une part majoritaire est détenue par des non-résidents, et le remboursement à la fois du capital et des intérêts finit par représenter une véritable hémorragie. La situation est différente dans des pays tels que l'Italie ou le Japon qui, s'ils sont davantage endettés que la France en termes de ratio dette/PIB, sont moins pénalisés puisqu'une grande partie de leur dette est détenue par des nationaux. Ainsi ma question sera-t-elle très simple : quelle politique est-il possible de mettre en place afin de recentrer cette dette sur le marché domestique, et quelles sont les mesures éventuelles que vous adoptez en ce sens ?

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Je me permets de vous rappeler la première de mes questions concernant le rapport de la Cour des comptes et les éventuelles recommandations que vous entendiez suivre.

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Antoine Deruennes, directeur général de l'Agence France Trésor

J'ai précédemment indiqué que nous suivons en effet les recommandations de la Cour des comptes, à la fois à travers la réestimation de notre modèle et à travers la prise en compte du retrait progressif de la Banque centrale européenne.

Pour répondre aux autres questions, je vais m'appuyer sur le tableau de financement afin de le détailler davantage. Sur la troisième ligne, vous pouvez voir les amortissements de dette à moyen et long terme en nominal et, sur la ligne du dessus, le supplément d'indexation versé à échéance. Cela montre ce que l'on paye et ce que l'on doit financer au moment où l'obligation arrive à échéance. L'intégralité de l'inflation qui a eu lieu depuis la première émission est ainsi prise en compte. À titre d'exemple, vous observez que le coût est de 5,1 milliards d'euros en 2023 et qu'il est estimé à 4,7 milliards pour 2024.

Concernant la provision, je vous invite à observer la ligne « déficit à financer » qui indique les charges d'intérêt indexées sur l'inflation. Il s'agit bien d'une provision, c'est-à-dire que nous n'avons pas à le financer. La ligne située en dessous s'intitule d'ailleurs « autres besoins de trésorerie » et vient en déduction, car cette provision n'est pas dépensée. Vous pouvez également observer le niveau de charge budgétaire, à hauteur de 15,5 milliards d'euros en 2022, 15,8 milliards en 2023 et 8,7 milliards de prévisions pour 2024. Nous financerons ces besoins à terme, lorsque l'échéance sera atteinte.

Afin de vous répondre sur la part de la BCE, il est en revanche nécessaire que je consulte les chiffres dont je ne dispose pas dans l'immédiat. Mais on peut d'ores et déjà affirmer que ce chiffre va baisser, dans la mesure où les achats nets et les réinvestissements ont été stoppés. Lorsque les obligations arrivaient à échéance, la Banque centrale rachetait auparavant le même montant de dette, ce qu'elle ne fait plus désormais que partiellement.

Quant au programme de financement, il s'agit évidemment d'un acte politique, dans la mesure où il est adopté par le Parlement et par le ministre Bruno Le Maire. Si cela procède d'une décision politique, notre gestion quotidienne se base sur le meilleur titre à émettre au jour « J » en fonction de la demande de marché.

Sur la question des non-résidents, j'ai préalablement indiqué l'importance d'avoir une base d'investisseurs la plus diversifiée possible. Plus les acheteurs potentiels sont nombreux, moins les émissions sont coûteuses pour l'État. Faire le choix de se limiter à un certain type d'investisseur impliquerait donc des conditions moins intéressantes et un coût plus élevé.

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Je vous remercie, monsieur le directeur général. Je retiens votre propos, qui pour moi est une évidence, selon lequel la signature française la plus sûre est celle de l'État, ce qui renvoie à la question des épouvantails, faillites et autres.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du jeudi 14 décembre 2023 à 9 heures 30

Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Jocelyn Dessigny, M. Benjamin Dirx, M. Daniel Labaronne, M. Michel Lauzzana, M. Pascal Lecamp, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Kévin Mauvieux, M. Benoit Mournet, M. Xavier Roseren, M. Michel Sala, M. Jean-Marc Tellier

Excusés. - M. Franck Allisio, M. David Amiel, M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Manuel Bompard, Mme Marina Ferrari, M. Joël Giraud, M. Tematai Le Gayic, M. Jean-Paul Mattei, Mme Mathilde Paris, M. Charles Sitzenstuhl