Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Réunion du mercredi 23 novembre 2022 à 13h45

Résumé de la réunion

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La réunion

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commission d'enquête VISANT à éTABLIR LES RAISONS DE LA PERTE DE SOUVERAINETé ET D'INDéPENDANCE ÉNERGÉTIQUE DE LA FRANCE

Mercredi 23 novembre 2022

La séance est ouverte à 13 heures 45.

(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)

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Chers collègues, la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France auditionne cet après-midi M. Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies. Monsieur Pouyanné, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. C'est la deuxième fois en deux semaines que vous vous rendez au sein de notre Assemblée pour répondre aux questions de différentes commissions : c'est dire à quel point l'activité de votre groupe est au cœur des préoccupations des parlementaires.

Nous avons entamé un cycle d'auditions consacré aux enjeux liés aux hydrocarbures. Nous savons néanmoins que le groupe que vous dirigez produit et fournit une multitude d'énergies. Votre rapport intégré de 2021 en témoigne. Les produits pétroliers, le gaz naturel et l'électricité renouvelable composent le mix énergétique de la compagnie, établi selon des principes s'inspirant de ceux adoptés par les États.

L'ambition affichée du groupe d'une neutralité nette carbone d'ici 2050 permet de prendre la mesure des mutations en cours et à venir en son sein de votre groupe. Plusieurs des sujets sur lesquels la commission d'enquête que j'ai l'honneur de présider doit se pencher touchent votre entreprise. Quelle notion de souveraineté peut conduire la réflexion, la stratégie et les travaux d'un groupe aussi international que le vôtre ? Des exemples très récents, comme la ristourne sur les carburants, démontrent que votre entreprise conserve un lien particulier avec l'État français et avec la Nation française.

Après votre propos introductif, nous vous inviterons à échanger avec les députés.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Patrick Pouyanné prête serment.)

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Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies

Lorsque j'ai pris connaissance du thème de votre commission, je me suis interrogé sur le sens que vous donniez aux termes d'indépendance et de souveraineté. La notion d'indépendance, qui a longtemps animé la politique énergétique française, est difficile, voire, impossible à atteindre, étant donné que notre pays ne possède pas sur son territoire toutes les énergies dont il a besoin. Notre mix énergétique est à 63 % fossile. Malgré nos efforts historiques pour nous doter d'une électricité indépendante, grâce au programme nucléaire et aux énergies renouvelables, l'électricité ne représente que 25 % du mix énergétique. Même si la décarbonation nécessitera l'accroissement de la part de l'électricité dans le mix pour atteindre 50 à 55 %, elle restera une forme d'énergie parmi d'autres.

La notion de souveraineté est selon moi plus intéressante, car elle renvoie à la mission d'un État, qui consiste à assurer l'approvisionnement énergétique de ses citoyens. L'actualité — qui a sans doute conduit à la création de votre mission — montre que ce que nous croyions acquis ne l'est pas. En effet, la souveraineté renvoie aussi à notre capacité à faire face à des situations de crise. Avant 2022, l'approvisionnement du pays en énergie ne posait pas de difficultés particulières. La crise sanitaire avait déjà fait peser un premier risque de rupture d'approvisionnement, en raison de la possible mise à l'arrêt du système mondial. Cette dernière, alors évitée à l'époque, est finalement survenue lors de la crise russo-ukrainienne, qui nous interroge sur notre manière d'assurer notre approvisionnement énergétique. Cette crise nous invite à réévaluer notre capacité d'anticipation, qui relève de l'État, et à travailler en nous appuyant sur des scénarios de stress. Lorsque nous avons construit le marché gazier européen unique, nous ne nous sommes pas demandé ce qui arriverait si nous n'avions plus accès au gaz russe. Pour aborder votre mission, la question de la gestion du stress face aux limites me paraît donc intéressante.

L'année 2022 soulève deux types de stress : le stress en volume et le stress en prix. En effet, nous avons finalement trouvé le gaz dont la France et l'Europe avaient besoin pour passer l'hiver 2022, mais son prix dépend de marchés extérieurs. La notion de souveraineté repose donc à la fois sur la fiabilité de l'approvisionnement et sur ses conditions d'accès en matière de prix. Je suis convaincu que notre mission, en tant que groupe industriel, est d'apporter une énergie fiable et durable, mais aussi abordable, car la dimension économique est essentielle. Le prix de l'énergie pèse en effet de manière importante sur le pouvoir d'achat des Français.

TotalEnergies est une société créée il y a près de cent ans, dans le contexte de la Première Guerre mondiale et en raison de l'absence d'hydrocarbures en France. Les parts de la Deutsche Bank dans l'Irak Petroleum Company avaient alors constitué l'une des prises de guerre françaises. La Compagnie française des pétroles avait été créée pour gérer cet approvisionnement. L'entreprise a depuis évolué et est devenue une société privée. Son siège se situe toutefois en France et ses dirigeants sont pour une grande partie français. Le milieu du pétrole et du gaz continue à considérer TotalEnergies comme la major française de ce domaine. Beaucoup de nos partenaires pensent même que l'État français possède toujours des actions de TotalEnergies, bien que ce ne soit plus le cas.

Pour assurer notre mission vis-à-vis de nos clients au niveau mondial, nous cherchons à préserver notre diversification. La souveraineté peut certes passer par la maîtrise d'un certain nombre de productions, mais elle nécessite également la diversification de nos sources. Ainsi, la Russie occupait une place importante parmi nos fournisseurs, mais elle ne représentait finalement que 10 % de notre portefeuille et nous parviendrons à assurer notre mission malgré la fin de ses approvisionnements. À ce titre, TotalEnergies a contribué à la souveraineté de la France en décidant, en mars 2022, d'arrêter d'acheter du pétrole et des produits pétroliers russes d'ici la fin de l'année 2022, tout en garantissant l'approvisionnement des raffineries européennes par du pétrole issu d'autres pays de notre portefeuille. Nous avons également décidé de substituer les importations de diesel russe par le diesel que nous produisons en Arabie saoudite pour assurer l'approvisionnement de la France. Nous avons été en mesure de procéder à ces substitutions en raison du large éventail dont dispose notre groupe mondial : nous produisons du pétrole dans près de trente pays et le raffinons dans une quinzaine de pays.

S'agissant du gaz, TotalEnergies est devenu le troisième acteur du marché mondial du gaz naturel liquéfié (GNL). Nous possédons 10 % du marché mondial, soit 40 millions de tonnes sur un marché de 400 millions de tonnes. Cette année, nous avons importé en France la plus grande quantité de gaz que nous pouvions. Ainsi, nous avons contribué à 50 % de l'approvisionnement en GNL des stocks du pays, puisque nous détenons 50 % des capacités de regazéification. Nous avons alloué au marché européen une part prioritaire du GNL que nous produisons dans onze pays du monde, dont les États-Unis, la Norvège, le Qatar, le Nigéria et l'Angola. Les capacités de regazéification forment un élément clé de la souveraineté. La France en est plutôt bien dotée. Toutefois, l'Europe est en déficit. Or, le marché unique européen du gaz nous impose un mécanisme de solidarité européenne, qui peut affecter la situation dans notre pays.

Outre les capacités dont nous disposons pour importer cette énergie, la possibilité de raffiner les produits pétroliers participe également de la notion de souveraineté. TotalEnergies possède environ 50 % des capacités de raffinage françaises. La demande de produits pétroliers diminue en France depuis plusieurs années, ce qui nous conduit à adapter notre outil de raffinage, notamment pour qu'il puisse répondre aux évolutions de la demande, en fabriquant, par exemple, des carburants aériens durables. Ainsi, l'évolution de l'outil de raffinage pour créer de nouvelles molécules décarbonées conformes aux nouvelles mesures qui l'imposent s'appuie notamment sur la reconversion d'une partie de nos capacités de raffinage pétrolier.

Le passage de Total à TotalEnergies s'est enfin appuyé sur nos investissements dans l'électricité. Nous considérons que la décarbonation nécessite notamment davantage d'électricité. En l'espace de cinq ans, nous avons réussi à disposer d'une capacité de quatre gigawatts sur le territoire français. À l'échelle mondiale, cette capacité s'élève à dix-neuf gigawatts. Sur ces quatre gigawatts, deux et demi sont issus de centrales à gaz. La dernière a été construite à Landivisiau cette année. Nous possédons environ un tiers du parc des centrales à gaz françaises, que nous avons acquises ces dernières années lorsque nos concurrents les vendaient, considérant qu'elles n'avaient plus d'utilité. Cette année, ces centrales se sont révélées très utiles. Si nous avons fait le choix d'acheter ces centrales, c'est parce que nous souhaitons devenir un acteur électricien. Or, les clients souhaitent avant tout disposer d'une électricité fiable et permanente. La capacité de 1,6 gigawatt d'électricité renouvelable que nous possédons sur le territoire français présente un risque d'intermittence, qui nous a poussés à développer des capacités de génération flexible, qui s'appuient sur les centrales à gaz. Nos capacités d'électricité renouvelable se construisent un peu moins rapidement que ce que nous aurions souhaité : le rythme s'établit à 300 à 400 mégawatts par an, alors que nous espérions atteindre 500 à 700 mégawatts. Nous sommes entrés dans ce marché en rachetant le portefeuille de clients de Direct Énergie, mais notre objectif est de contrôler nos moyens de production et non seulement de nous approvisionner sur les marchés, afin que notre activité soit profitable.

Par ailleurs, la question que vous posez s'intègre dans un contexte national, mais nous faisons partie de marchés uniques européens, tant pour le gaz que pour l'électricité. Je suis convaincu qu'en cas de crise, nous pourrions mieux résister en défendant cette notion de souveraineté. Certes, les traités européens prévoient que l'énergie relève de la souveraineté des États. Cependant, il est difficile de chercher à mener des politiques climatiques au niveau européen tout en laissant les États établir leur politique énergétique. Face aux crises que nous traversons et au regard de l'ambition de neutralité carbone que nous défendons collectivement en Europe, l'échelle européenne semble la plus adéquate pour choisir où nous investissons collectivement nos moyens de production. Je pense par exemple aux investissements dans le solaire de certains pays du nord, qui seraient plus efficaces s'ils avaient ciblé des infrastructures dans le sud de l'Europe. Notre propre système d'électricité, qui était exportateur, devient importateur. L'une des conditions de la souveraineté est aussi de se doter de réseaux électriques. Si nous souhaitons gagner en indépendance, nous devons toujours réfléchir aux échanges et à la qualité des réseaux.

Enfin, la question de la souveraineté, que vous liez à celle de la trajectoire climatique, ne peut se penser qu'au regard de la nécessité d'économiser l'énergie. Cette dernière semble évidente en raison de l'augmentation des prix, mais toute trajectoire climatique suppose un effort majeur d'efficacité énergétique. La France gagne environ un point d'efficacité énergétique par point de PIB depuis les trente dernières années : nous consommons, par point de PIB, environ 70 % de ce que nous consommions il y a trente ans. Toutefois, nous devrions atteindre 2 à 3 % de point de PIB pour nous aligner sur la trajectoire zéro émission nette, mais également pour gagner en indépendance énergétique. Tous les efforts que nous fournirons dès à présent nous aideront donc à nous approcher de la souveraineté.

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L'État français ne possède plus d'actions chez TotalEnergies. Pourriez-vous néanmoins détailler l'historique de sa participation ?

Dans quelle mesure une société internationale comme la vôtre est-elle française ? Comment contribue-t-elle à la souveraineté française ? En cas de tension sur les marchés mondiaux, lorsque vous devez procéder à un arbitrage de priorités, comment positionnez-vous la France et pour quelles raisons choisissez-vous de lui accorder une place plus favorable ?

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Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies

L'État français a détenu jusqu'à 35 % de la société dans les années avant la guerre et jusque dans les années 1970. Ses participations ont pris fin lors de la fusion de Total et Elf en 2000. La Commission européenne a émis comme seule condition à cette fusion la fin de la golden share que détenait alors l'État.

La nationalité d'une entreprise s'exprime par l'emplacement de son siège et par sa soumission aux lois françaises. Nous sommes une société européenne de droit français. Notre management est français pour une grande partie. Environ 10 % de nos investissements annuels sont ciblés en France, ce qui représente une partie importante au regard du poids de la France dans le portefeuille énergétique mondial. Ces dernières années, nos investissements en France ont même augmenté, en raison de notre intérêt croissant pour les énergies décarbonées. Lorsque nous avons décidé d'investir dans l'électricité, nous avons d'abord souhaité développer cette activité en France avant de nous tourner vers le marché international. De la même manière, nous avons commencé à investir dans le biométhane en rachetant une société française avant de développer ces compétences à l'extérieur.

S'agissant des arbitrages, si nous produisons des énergies partout dans le monde, notre société a historiquement développé un portefeuille de clients européens. Nos flux de production se dirigent donc vers l'alimentation de nos raffineries, nos terminaux de regazéification et nos clients européens et français. Il est toutefois clair que nos arbitrages peuvent reposer sur des bases économiques. En 2021, nous devancions l'ensemble de nos concurrents sur le GNL, puisque nous en avons exporté 11 millions de tonnes des États-Unis. Le GNL peut être exporté vers l'Asie ou vers l'Europe. L'arbitrage est à la fois économique — il dépend des prix les plus avantageux —, mais il peut aussi reposer sur d'autres dimensions. Ainsi, les terminaux de regazéification européens affichaient un taux de remplissage de 40 à 50 %. Nous avons fait le choix de les remplir à 95 %, en considérant que notre priorité était d'approvisionner l'Europe en GNL. Les contrats que nous avons avec nos clients peuvent donc influencer nos arbitrages.

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Existe-t-il des obligations de raffiner sur le territoire national ? Si ce n'est pas le cas, comment construisez-vous le panier d'importation entre le pétrole brut et raffiné à l'échelle de la France ?

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Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies

Il n'existe pas d'obligation de raffiner. Les obligations concernent sur le stock stratégique. En effet, TotalEnergies possède des 3 400 stations-service, soit près de 25 % du réseau national. En fonction de la mise à disposition des produits, nous sommes soumis à des obligations de stockage qui s'élèvent à quatre-vingt-dix jours. Ces produits peuvent être issus de nos propres stocks ou de la société anonyme de gestion des stocks de sécurité (Sagess). L'obligation de stockage stratégique, qui a été renforcée au fil des années, me paraît bien dimensionnée. L'obligation de stockage de gaz est d'une nature différente. Assez forte en France, elle est relativement faible à l'échelle européenne, puisqu'elle est d'environ deux mois d'hiver. Nous n'avons donc pas d'obligation de raffinage, mais nous cherchons à faire fonctionner nos outils de raffinage en priorité.

Le pétrole brut provient de l'ensemble de nos sites de production dans le monde. Nos propres productions alimentent 25 % de l'outil de raffinage français, mais notre capacité de négoce y participe également. En effet, nous cherchons à aligner la qualité du pétrole sur les caractéristiques des outils de raffinage, car l'ensemble des raffineries ne peut traiter tous les types de pétrole. Nous manipulons environ quatre fois plus de pétrole que ce que nous produisons nous-mêmes. C'est la raison pour laquelle nous avons facilement pu substituer le pétrole russe, dont le principal avantage était son faible coût puisqu'il était très facile de l'acheminer jusqu'en Allemagne. En réalité, très peu de raffineries françaises utilisaient du pétrole russe. Le pétrole que nous raffinons en France est principalement issu du Moyen-Orient, d'Afrique et d'Amérique latine.

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Vous précisiez qu'en entrant sur le marché de l'électricité, il était fondamental pour vous de disposer de vos propres capacités de production. Pourtant, au regard du cadre européen qui a été établi sur les bases notamment de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant organisation du marché de l'électricité (loi Nome) et de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), vous faites figure d'exception en tant que vendeur d'électricité — autre qu'EDF — qui se soit doté de capacités de production propre. Comment expliquez-vous ce caractère atypique ?

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Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies

Nous avons récemment décidé d'entrer dans le marché de l'électricité de la concurrence, après de longs débats internes liés au caractère régulé de celui-ci. Nous constatons effectivement que ce marché est plus régulé. Tous les pays n'ont pas fait leur entrée dans ce marché de la même façon. En raison de sa volonté historique de contrôler une partie du marché, la France a fait le choix de mettre à disposition une partie de la rente nucléaire à des concurrents comme contrepartie, avec un mécanisme qui allait jusqu'à proposer une option gratuite. Je me suis opposé à cette option, qui a donné naissance à un grand nombre de petites entreprises qui récupèrent à un prix fixe maximum un volume et qui développent un portefeuille de clients en pensant faire la différence. Or, il s'agit de matières premières dont les prix peuvent varier ; aussi, lorsque les prix augmentent fortement, comme cette année, ces sociétés commerciales ne peuvent résister. Ce modèle opportuniste ne nous convainquait pas. Nous avons hérité en partie de Direct Énergie, qui avait déjà racheté la société d'énergies renouvelables Quadran et quelques centrales à gaz. Si nous avons racheté Direct Énergie à cette époque, c'est précisément parce que le portefeuille commençait à se construire. J'ai rapidement compris que nous devrions augmenter nos capacités de production. Il me paraissait impératif de contrôler le coût de production des moyens de nos ventes.

Cette crise soulève en réalité une réflexion plus profonde : le partage de la rente nucléaire était selon moi lié à cette volonté d'ouvrir les marchés à la concurrence, et il doit nous interroger sur les contreparties des entreprises qui en bénéficient, en matière d'investissement ou de valeur. J'avais assisté à l'ouverture du marché des télécommunications lorsque j'étais directeur de cabinet du ministre des technologies de l'information et de la poste. Le débat était similaire : quelle obligation d'investissements devions-nous faire porter sur les opérateurs alternatifs ? L'ouverture de ce marché avait donné lieu aux mêmes questionnements lorsqu'une entreprise avait accédé à des volumes d'interconnexions de télécommunications de la part d'Orange sans avoir investi. Le niveau d'investissement requis des nouveaux entrants doit faire l'objet d'une réflexion lors de toute ouverture de marché. Pour résister à cette volatilité, la seule solution est de construire un outil de production à l'échelle française et européenne compte tenu des interconnexions. Nous avons également acheté des centrales à gaz en Espagne et en Belgique, dont certaines, ont alimenté des implantations d'électricité en France.

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Quelles indications sur la sécurité d'approvisionnement en matière de gaz et de pétrole nous apporte la crise actuelle ? Quel regard portez-vous sur notre capacité à anticiper et à réagir à une crise en matière d'approvisionnement ? Au niveau national, la France est dotée d'un plan hydrocarbures et d'un plan gaz, auquel je suppose que vous êtes associé. Au sein de votre entreprise, quelle est votre capacité à gérer la logistique d'approvisionnement en cas de crise géopolitique, d'autant plus lorsque des mouvements sociaux perturbent votre fonctionnement ordinaire ?

Enfin, que pensez des outils à votre disposition ? Quels éléments vous permettent-ils d'estimer que les stocks stratégiques de pétrole et de gaz sont suffisants ? Quelles sont les causes du déficit européen que vous avez mentionné et quels seraient les moyens d'y remédier à court et moyen terme ?

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Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies

Le stock de trois mois nous paraît suffisant, car nous n'avons jamais eu besoin d'une telle quantité de pétrole. Les points d'entrée de logistique pétrolière du pays sont relativement fournis. Il est vrai que les mouvements sociaux peuvent perturber ce fonctionnement. En l'occurrence, la récente grève a duré huit jours. Elle relevait d'un droit constitutionnel auquel nous ne pouvons pas nous opposer. Ces situations restent exceptionnelles. L'approvisionnement des Français a été affecté, notamment parce que deux entreprises ont été touchées en même temps. En outre, cette grève est intervenue peu après le lancement de notre opération de rabais sur l'essence. Les stocks étaient donc très bas, car les Français se sont précipités dans nos stations — et en semblaient très satisfaits.

Il existe par ailleurs des outils en matière de souveraineté. Le débat sur l'opportunité de recourir à la réquisition a trouvé un certain écho lors de cette grève. Il ne relève cependant pas de la responsabilité de l'entreprise privée de l'utiliser. Notre rôle était de trouver une solution en interne, ce que nous avons fait. Les pouvoirs publics, quant à eux, peuvent user d'outils légaux pour débloquer les approvisionnements. Il me paraît toutefois que nous devrions être en mesure de piloter un certain nombre de moyens d'accès en automatisant des vannes essentielles du pays, afin d'améliorer notre propre logistique sans dépendre d'un nombre limité de personnes. Il me semble néanmoins que les moyens d'accès au pays sont largement couverts. La France a en effet la chance de posséder une vaste frontière maritime.

La situation dans le domaine gazier est plus compliquée.

Si la capacité de regazéification en Europe est insuffisante, c'est avant tout parce que nous vous écoutons. Quand l'Europe affiche un objectif de sortie du gaz et des énergies fossiles à court terme, les investissements des industriels dans des terminaux de regazéification — qui nécessitent environ vingt ans pour être amortis — se font plus rares. Les États doivent donc s'interroger sur les infrastructures essentielles à l'approvisionnement. L'Allemagne ne s'est pas suffisamment posé cette question en raison de ses approvisionnements en gaz russe. La décision de l'Allemagne de ne pas construire de terminaux, en outre, est intervenue avant Fukushima et l'annonce de la sortie du nucléaire. L'épisode de Fukushima a fortement affecté les programmes nucléaires de tous les pays, y compris en France. Les Allemands ont décidé de sortir du nucléaire sans en mesurer toutes les conséquences. Malgré les relations géopolitiques complexes que nous entretenions avec la Russie, il a été décidé de recourir au gaz russe. Il revient au Secrétariat général de la Défense nationale (SGDN) et à l'État plus largement de s'assurer, au vu des décisions prises et des évènements, que le système d'approvisionnement est correctement dimensionné. Or, les événements récents ont montré que sans gaz russe, nous n'avions pas assez de terminaux de regazéification en Europe. Les capacités françaises sont d'ailleurs récentes. En 2011, nous avons participé à la construction du terminal de Dunkerque. Il n'y avait autrefois que celui de Montoir, pour le gaz algérien ; nous avons racheté Fos Cavaou puis avons décidé de construire Dunkerque, car nous voulions importer du GNL. Notre capacité est suffisante pour subvenir aux besoins des consommateurs français, mais le système européen pourrait imposer la mise à disposition de nos partenaires d'une partie de cette capacité. À l'échelle européenne, il existe, en outre, un déficit en matière de stockage. Ainsi, la France et l'Italie ont des obligations de stockage de gaz tandis que d'autres pays en sont dépourvus. L'ouverture du marché unique gazier, décidée au début des années 2000, ignorait la perspective de l'arrêt du nucléaire. Cependant, la perspective climatique annonçait d'emblée que ce marché serait déclinant. C'est la raison de ce sous-investissement.

Cette année, TotalEnergies a décidé de ramener des terminaux flottants de regazéification en France et en Allemagne. Il s'agit de terminaux flottants, car il nous semblait difficile d'investir dans des terminaux fixes pour vingt-cinq ans. Les terminaux flottants, une fois la crise achevée, pourront être utilisés ailleurs si les besoins français diminuent.

Le système est actuellement sous tension. Les stocks sont pleins et nous ne devrions pas connaître de difficultés d'approvisionnement en gaz durant l'hiver 2022. L'hiver 2023 sera plus difficile à passer. En effet, durant les six premiers mois de l'année 2022, nous avons rempli nos stocks en partie avec du gaz russe. En février 2023, pour reconstituer nos stocks, nous ne disposerons que de GNL et nous n'aurons pas bâti l'ensemble de nos capacités de regazéification à l'échelle européenne. Toutefois, deux phénomènes permettront d'équilibrer l'offre et la demande. D'une part, la température influence la demande ; d'autre part, les prix élevés poussent les consommateurs à faire des économies et font baisser la demande. Le système gazier devrait donc rester sous tension — en matière de volume — jusqu'à la fin de l'année 2024. À cette date, les terminaux flottants auront été installés et les terminaux à terre auront été construits, notamment en Allemagne.

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Les choix d'investissements stratégiques de votre entreprise comptent 50 % d'investissement dans le maintien d'activités fossiles, tandis que la moitié restante est ventilée entre des investissements pour de nouveaux projets fossiles, à hauteur de 50 %, tandis que le reste concerne l'électricité et le gaz. S'agissant du pétrole et du gaz, vous avez déclaré à l'Assemblée nationale, lors de votre audition du 9 novembre 2022 devant la commission des affaires étrangères, que pour maintenir la production de pétrole, il était nécessaire de poursuivre les investissements. Pour parvenir à l'objectif de zéro émission nette, il suffira, selon vous, de cesser d'investir pour que la production d'énergies fossiles diminue de 4 % par an. Pouvez-vous revenir sur ce phénomène ? Comment vous y préparez-vous, à court et à moyen terme ?

S'agissant du gaz, vous avez employé le terme de transition. Même si la production de GNL entraîne de moindres émissions, cette énergie fossile reste importante. L'investissement dans ce type d'énergies ne représente-t-il pas un choix d'allocation des moyens défavorable au développement des énergies renouvelables, qui seront celles que nous utiliserons dans les décennies à venir ?

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Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies

Au fur et à mesure que l'on construit un puits de pétrole, ce dernier perd en pression et il produit de moins en moins. Les courbes de production des puits de pétrole sont déclinantes. Il ne s'agit pas d'une installation à capacités constantes. Le puits perd en moyenne 4 à 5 % par an à échelle mondiale. Nous luttons donc en permanence contre ce déclin naturel. Il est certes possible de forer de nouveaux puits sur un champ pétrolier pour remplacer ceux qui produisent moins, mais cela ne suffit pas à échelle mondiale. Il est par conséquent nécessaire de mettre en production de nouveaux champs. TotalEnergies est confrontée à cette situation. Dans le scénario dit net zéro de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), il est projeté que 25 millions de barils de pétrole seront produits par jour, contre 100 au niveau mondial. Nous avons cependant déjà commencé à réduire la production, en diminuant quasiment par deux les investissements dans le domaine pétrolier au niveau mondial en l'espace de sept à huit ans. Le renouvellement total de la production à échelle mondiale n'est donc pas assuré, ce qui a conduit à un ajustement des prix, étant donné que les consommateurs continuent à utiliser des véhicules thermiques et que la population mondiale est en croissance. Ce phénomène est donc physique et naturel. TotalEnergies n'a pas d'ambition de croître sur le pétrole, mais simplement de maintenir sa production, ce qui suppose tout de même d'investir chaque année.

Le GNL est une énergie de transition. Il s'agit d'un moyen simple de se substituer au charbon. Une centrale électrique à gaz émet deux fois moins de CO2 que l'équivalent d'une centrale au charbon. Notre marché du GNL n'est pas l'Europe, mais plutôt la Chine, le Vietnam ou encore l'Inde, où TotalEnergies a investi cinq milliards pour construire des terminaux de regazéification et des énergies renouvelables. Ces pays achètent notre gaz pour le substituer au charbon ou pour compenser la demande additionnelle d'électricité — soutenue par la croissance de la population — par du gaz plutôt que du charbon, sachant que ce dernier coûte moins cher, ce qui est à l'origine d'une concurrence économique. Cependant, pour que le GNL soit réellement une énergie de transition, il est nécessaire de maîtriser les émissions de méthane sur toute la chaîne, car son potentiel de réchauffement climatique est supérieur à celui du CO2.

La transition énergétique suppose une électrification croissante des usages. Nous allons introduire de plus en plus d'énergies renouvelables, mais ces dernières fourniront une électricité intermittente. Le nucléaire, en France, est une base d'électricité peu flexible. Il est difficile d'ajuster la production d'une centrale nucléaire, contrairement à celle d'une centrale à gaz. Une première solution consisterait à construire des batteries. Sans cela, il sera nécessaire de s'appuyer sur des centrales à gaz. À ce titre, l'expérience de la Californie est intéressante. Alors qu'il avait été décidé d'éliminer les centrales à gaz du mix énergétique et de s'appuyer sur des énergies renouvelables, la Californie a demandé aux usagers de voitures électriques de laisser leur véhicule chez eux, car le réseau n'était pas capable d'assurer leur recharge. En outre, la Californie a décidé de reconstruire des centrales à gaz pour garantir la flexibilité nécessaire. Ces choix d'investissement ne sont pas évidents, car les centrales à gaz serviront de complément. En période de crise, la centrale de Landivisiau fonctionne ; d'ordinaire, le taux d'utilisation d'une centrale à gaz est plutôt de l'ordre de 30 %. Cependant, plus le système sera intermittent, et plus des moyens de génération flexibles seront utiles.

Pour mieux maîtriser le prix du gaz, une solution consiste à recourir à des contrats à long terme, en contradiction avec la trajectoire climatique européenne. Nous vendons en 2022 sur la base de contrats longs termes, sur quinze à vingt-cinq ans, et sur la base de marchés au comptant. Le prix moyen de vente du GNL au Japon en 2022, qui mêle des contrats long terme et du marché comptant, s'élevait à 60 euros le mégawatt contre 130 en Europe. En effet, les contrats de longue durée permettent des contreparties sur des prix, tandis que les à-coups de l'offre et de la demande affectent immédiatement le marché au comptant.

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Vous avez déclaré que la première difficulté concernant les énergies renouvelables était la capacité à faire émerger des projets. Pouvez-vous revenir sur l'historique des deux dernières décennies ? S'agissant du nucléaire, quelles raisons vous ont incité à investir dans la centrale de Penly ? Quelle place comptez-vous donner à cette énergie, et quel rôle souhaitez-vous lui attribuer dans votre mix énergétique et dans votre portefeuille ?

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Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies

Nous n'investirons pas dans la centrale de Penly. Entre 2007 et 2008, mon prédécesseur s'était interrogé sur l'opportunité d'investir dans les énergies décarbonées, et notamment dans le nucléaire. En effet, l'un des savoir-faire de notre entreprise est de gérer des projets géants, de plusieurs milliards d'euros, de construction de plateformes pétrolières ou d'usines de GNL par exemple. Cette capacité nous a semblé un atout pour une industrie nucléaire qui n'avait pas construit de projets depuis des années. Il nous semblait que nous pouvions donc apporter notre savoir-faire, que nous mettons fréquemment en avant, par exemple au Qatar, où nous avons pris une position majeure dans les projets de GNL. Nous avons avant tout vendu la capacité de nos ingénieurs à piloter le projet, notre capacité d'ensemblier. Par ailleurs, à cette même époque, un certain nombre de pays du Moyen-Orient s'intéressaient au nucléaire. Mon prédécesseur souhaitait donc apporter à ces pays un investissement dans les énergies décarbonées et notamment dans le nucléaire. Finalement, aucune entreprise française n'a obtenu le marché d'Abu Dhabi. En France, nous devions détenir 8,33 % de la société chargée de construire l'EPR de Penly. Cette société a finalement été dissoute à la suite de Fukushima. Pour d'autres raisons, je n'étais pas spécialement partisan de l'investissement dans le nucléaire. Les obligations résiduelles à long terme me paraissaient par exemple complexes à intégrer à notre bilan. Nous avons donc décidé de mettre un terme à cette expérience, qui n'avait de toute façon pas rencontré un franc succès.

Il ne faut pas négliger le poids qu'a eu Fukushima dans les décisions de nombreux pays. Cet événement majeur, en effet, survenait dans un pays occidental. Ce n'était pas le cas de l'accident de Tchernobyl, que nous avions mis le compte d'un moindre contrôle et d'une moindre maîtrise de la sûreté nucléaire. Le Japon, au contraire, est considéré comme un pays à l'avant-garde de la technologie. Nous avons pris conscience que ce risque existait et n'avons pas souhaité poursuivre ces projets, ni inscrire ce risque dans le bilan du groupe. J'estime d'ailleurs que la gestion de ces risques relève largement des États.

Les énergies renouvelables soulèvent la question de l'occupation de l'espace. Or, nos pays européens sont marqués par des conflits d'usage fréquents. Aux États-Unis, l'organisation de l'espace en raison de sa densité, est bien plus propice à l'installation des infrastructures d'énergie renouvelable. Par conséquent, en Europe, les procédures d'autorisation sont souvent très longues. Malgré les simplifications, il faut quatorze autorisations pour implanter une usine solaire en France. Même si j'entends qu'il soit nécessaire de considérer les intérêts de toutes les parties prenantes, ces délais s'opposant à l'urgence de la transition climatique. En France, le ratio du nombre de personnes dans la filiale renouvelable en France et en Europe par rapport aux mégawatts que nous installons est deux fois plus élevé que dans les autres pays.

Le débat en France sur l'éolien est légitime. Il est très difficile pour les acteurs privés de vouloir planifier l'espace. Si l'on souhaite accélérer la construction d'énergies renouvelables, nous devons trouver un moyen d'articuler correctement la planification de l'espace, qui peut relever des collectivités territoriales. Ainsi, en Allemagne, les régions doivent désormais allouer 2 % de leur territoire à la construction de ces infrastructures. Par ailleurs, il serait sans doute pertinent de concentrer les nuisances induites par les éoliennes, de même que nous avons concentré les risques sur quelques sites industriels, plutôt que de tenter de les disperser. Nous devons en effet accélérer le rythme d'installation, qui atteint seulement la moitié chaque année de ce que nous devrions faire pour respecter notre trajectoire. La problématique n'est pas financière. Depuis quatre ans, nous n'avons installé que la moitié des infrastructures que nous avions prévues.

Enfin, le foncier français pour fabriquer des énergies solaires coûte beaucoup plus cher que dans d'autres pays en raison de réglementations interdisant la construction sur certains terrains, ce qui aboutit à une augmentation des prix des terrains adéquats. La résolution de ce problème de nature économique pourrait permettre une accélération du programme d'énergies renouvelables.

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J'invite les représentants de groupes à prendre la parole.

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Vous avez expliqué que la souveraineté énergétique désigne la capacité d'approvisionner le pays, et qu'elle repose essentiellement sur la diversification des sources. Nous sommes loin de l'autosuffisance. Néanmoins, estimez-vous que l'utilisation du biogaz, sous forme de gaz ou de biocarburant, restera marginale, ou pourrait-elle représenter une possibilité de réduire notre dépendance ? Par ailleurs, investissez-vous dans l'hydrogène ? Considérez-vous l'hydrogène comme une possibilité de stockage de l'énergie, sachant que le rendement risque de rendre l'opération coûteuse ? Si nous souhaitons fabriquer de l'hydrogène — y compris avec des énergies renouvelables et du nucléaire — nous aurions besoin de capacités en surplus.

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Pourriez-vous comparer la stratégie mise en œuvre par les États-Unis à partir de 2000 pour rétablir la politique de souveraineté énergétique américaine à celle menée par l'Union européenne ? Je pense notamment au refus de l'Union européenne de développer ses ressources propres. Que pensez-vous de la possibilité pour la France d'utiliser ses ressources en hydrocarbures ?

Quelles sont les convictions de TotalEnergies sur la possibilité de nouvelle génération de biocarburants ? S'agit-il d'une lubie, ou estimez-vous qu'il existe une réelle chance de progresser dans les rendements, notamment dans l'utilisation des déchets ?

Quel est votre avis sur le stockage du CO2 pour la transition énergétique ? Le Rassemblement national estime que cette solution est encore limitée.

Vous êtes spécialiste du transport de l'énergie. Quelles sont les limites technologiques au transport de l'hydrogène ? L'Allemagne a annoncé de grands projets, en lien notamment avec le Canada, de transport d'hydrogène dans le monde, qui me paraissent peu crédibles.

Nous avons auditionné M. Jancovici, qui nous a exposé sa vision de l'évolution de la nature des stocks de pétrole et du lien avec les crises économiques. Lors de notre mission flash sur les entreprises pétrolières et gazières et celles du secteur du transport maritime qui ont dégagé des profits exceptionnels pendant la crise, à laquelle nous avions eu l'honneur de vous recevoir, les experts avaient contredit M. Jancovici. Quelle est votre analyse ? Identifiez-vous un lien entre la quantité d'énergie à disposition des économies occidentales et notre capacité à créer des richesses ? Pensez-vous qu'une croissance verte, ou sobre, soit possible ?

Enfin, quand les pouvoirs publics annoncent l'affaiblissement ou la disparition de certaines technologies, comme le moteur thermique, les grands fournisseurs adaptent leurs investissements en conséquence. Après avoir été démocratisé par les pouvoirs publics, le gazole est désormais la première cible de ces derniers. Les Français sont pourtant très dépendants de leur moteur diesel. Ces annonces ne risquent-elles pas d'entraîner une diminution plus rapide de notre capacité à disposer de diesel que celle du parc thermique, ce qui engendrerait de fortes difficultés pour les Français ? En effet, le diesel est désormais structurellement plus cher que l'essence.

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À vous entendre, il semble que la France soit bien traitée par TotalEnergies parce qu'elle est un bon client. Si cela venait à ne plus être le cas, faut-il s'attendre que la France soit moins bien traitée par votre groupe, du simple fait de ses intérêts d'entreprise privée ? Ne pensez-vous pas qu'en matière d'approvisionnement en hydrocarbures, compte tenu du poids de cette société, davantage de maîtrise publique sur le capital de celle-ci — voire, sa nationalisation — serait souhaitable ?

Votre groupe réalise d'immenses profits, qui s'élèveront sans doute à 20 milliards d'euros cette année. Vous disposez vous-même d'une rémunération très confortable. Ces sommes ne seraient-elles pas mieux utilisées si elles étaient investies dans la transition énergétique plutôt que dans la rémunération de vos actionnaires ? Combien représente la part des investissements dans les énergies renouvelables par rapport à ces profits, en particulier en France ?

Vous avez évoqué l'approvisionnement du gaz du point de vue des quantités. Pensez-vous que le prix du gaz va durablement rester à son niveau actuel, voire, continuer à augmenter ?

Enfin, il existe des stocks stratégiques. Il n'y a pas d'obligation de raffinage en France. TotalEnergies a fermé beaucoup de raffineries en France et importe désormais des produits raffinés d'autres pays. Une obligation de raffinage en France ne serait-elle pas nécessaire, notamment pour les produits autres que l'essence ? Ne devrions-nous pas, enfin, adopter une obligation plus forte en matière de flotte stratégique pour garantir l'approvisionnement qui provient du reste du monde ?

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Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies

Le potentiel de biogaz de la France est important. Il est le deuxième au niveau européen. D'après les rapports, il s'établirait à 130 térawatts-heures. C'est une énergie totalement locale, dont la production coûte cher, mais qui peut également apporter une partie de la réponse aux problèmes des agriculteurs. Nous sommes prêts à investir. Nous avons pour objectif de multiplier par dix notre capacité de production en France dans les dix années à venir pour atteindre 5 térawatts-heures. Je ne peux que vous encourager à développer les moyens de favoriser le développement du biogaz et du biométhane sur notre territoire. La seule limite qui se pose en France au développement du biogaz est la taille des exploitations, ainsi que la question de l'agrégation et des réglementations. Nous considérons qu'il existe une demande réelle de gaz décarboné de la part de clients qui utilisent du gaz et qui cherchent à améliorer leur mix. La France importait environ 70 térawatts-heures de gaz russe, ce qui représentait 17 % de la consommation française de gaz. Nous pourrions par exemple remplacer cette part par du biogaz.

Il est vrai que parler d'hydrogène n'a de sens que si l'on envisage des surplus d'électricité. Nous aurions besoin de quinze ou vingt réacteurs supplémentaires. Notre parc doit être renouvelé pour assurer la disponibilité de l'électricité aux Français, car nos centrales sont anciennes. Si la France ambitionne de devenir exportatrice d'hydrogène, il sera nécessaire de construire beaucoup plus d'électricité que ce que proposent les trajectoires actuelles. C'est la limite de l'hydrogène vert. La part de l'électricité dans le mix énergétique devrait passer de 20 % à 40 % pour assurer sa décarbonation. Pour faire de l'hydrogène vert, nous devrions apporter 50 % de capacités supplémentaires d'après nos calculs à horizon 2050.

Il est difficile de comparer les trajectoires énergétiques de la France et des États-Unis, qui ont d'immenses réserves de charbon, de gaz, de pétrole, dont notre continent est dépourvu. À ce titre, si vous n'avez jamais entendu TotalEnergies s'élever contre les lois qui interdisent les recherches d'hydrocarbures, ce n'est pas tant par refus d'interférer dans le débat politique national que parce que nous pensons que le potentiel résiduel est très faible. À l'échelle européenne, le Danemark a pris une trajectoire intéressante. Puisqu'il ne sera plus possible de produire d'hydrocarbures en 2050, le Danemark produit autant que possible en attendant cette date. TotalEnergies est le principal producteur de gaz au Danemark. Nous nous organisons pour que la trajectoire s'achève en 2050. Les réserves danoises de gaz seront de toute façon quasiment épuisées en 2050. Le seul pays qui dispose de réserves longues sur le continent européen est la Norvège — qui ne fait pas partie de l'Union européenne.

S'agissant des biocarburants de deuxième génération, nous devons essayer d'identifier, à travers les gisements de déchets municipaux, les lipides et les graisses. Il pourrait s'agir d'une source pour fabriquer des carburants aériens durables. Nous signons des accords avec Veolia et Paprec pour avoir accès à ces gisements. La recherche et le développement sont cependant moins avancés sur la deuxième génération de déchets ligneux, tels que le bois ou la paille. Nous n'arrivons pas à trouver d'effets d'échelle importants. Le rendement est extrêmement faible et il faut manipuler d'immenses quantités de déchets ligneux pour fabriquer des biocarburants. L'exploitation maximale de l'économie circulaire des déchets municipaux pour extraire les graisses et alimenter les bioraffineries me paraît donc une piste plus intéressante à explorer.

Pour atteindre l'objectif de zéro émission nette, étant donné que nous produirons encore des hydrocarbures en 2050, il est nécessaire de développer des puits de carbone, c'est-à-dire des forêts ou des stockages industriels de CO2. Ces derniers font partie de la panoplie de solutions dont nous disposons. Il est compliqué de faire accepter l'idée d'un stockage souterrain de CO2 aux citoyens. Le grenier à CO2 devrait être la mer du Nord. Une partie des plateformes offshores pourrait être réemployée à ce titre. Nous réfléchissons à des projets de ce type aux Pays-Bas et au Danemark. Un premier stockage a été construit en Norvège. Le stockage de CO2 sera donc nécessaire, mais il ne fournira pas l'intégralité de la solution au problème climatique. Par ailleurs, il me paraît plus facile de développer cette solution en mer que sur terre.

L'hydrogène se transporte très mal. L'importation ou l'exportation d'hydrogène se ferait plutôt sous forme d'ammoniac ou d'un mélange d'ammoniac et de méthanol, qui se transporte beaucoup plus facilement. Je ne suis pas convaincu par les projets de développement de méthaniers à hydrogène. L'hydrogène est transporté à une température de - 270 degrés — contre - 140 degrés pour le GNL — et des investissements très importants seraient donc nécessaires. L'économie de l'hydrogène en est encore à ses débuts, et il me paraît essentiel que nous commencions par identifier clairement les types de demandes. Le premier est local : nous avons annoncé hier avec Air Liquide d'importants investissements pour décarboner la production de la bioraffinerie de Grandpuits. Nous utilisons des graisses animales pour fabriquer des biocarburants et nous produisons dans la raffinerie un biogaz qui alimentera une machine à hydrogène, réinjecté pour faire d'autres carburants durables. Nous pourrons ainsi augmenter nos volumes de production grâce à une chaîne circulaire. C'est une innovation technologique que nous sommes fiers d'installer. Ce type de solution n'induit pas de transport d'hydrogène. Par ailleurs, l'hydrogène pourrait être utilisé comme carburant pour les poids lourds. Il n'est pas certain que cette solution soit réellement déployée.

M. Jancovici a raison de dire que les ressources dépendent totalement du signal prix. Il existe beaucoup de réserves de lithium, mais tant que le prix du lithium reste faible, sa production n'est pas développée. Les ressources naturelles pétrolières existent en très grande quantité sur la planète, mais nous ne les exploitons pas toutes. Cependant, l'histoire nous rappelle que nous devons rester prudents. Nous avons cherché à développer des hydrocarbures coûteux au Canada à base de sables bitumineux. Or, quand les cycles du pétrole sont peu élevés, nous perdons beaucoup d'argent. Nous n'investissons donc que dans des hydrocarbures que nous pouvons produire à moins de 20 dollars le baril. Ma règle, qui est cohérente avec la politique climatique de mon entreprise, est de ne pas développer de nouveaux gisements si les carburants sont chers. Nous éliminons donc une partie de nos réserves de notre potentiel de développement et de croissance.

La sobriété est la meilleure réponse à la problématique générale. Elle est le facteur commun de toutes les politiques, non seulement en raison du prix élevé de l'énergie, mais également pour réduire nos émissions. La sobriété a été le premier réflexe lors du premier choc pétrolier dans les années 1970. Je ne suis pas convaincu par le taux de 3 % d'efficacité énergétique par point de PIB nécessaires pour nous aligner sur la trajectoire zéro émission nette avancé par l'AIE. Un taux de 1 % à 2 % me paraît plus envisageable. Des efforts exceptionnels pourraient être menés sur quelques années, comme le fait l'État français, mais l'essentiel est de rester sur notre trajectoire. Il existe des technologies qui permettent de réaliser des économies. Elles ont un coût. J'ai récemment décidé d'allouer 1 milliard d'investissements supplémentaires pour les deux prochaines années avec comme critère 100 dollars la tonne de carbone. Nous investissons dans des projets qui nous permettront d'économiser davantage d'énergie à l'avenir.

Vous avez évoqué une nationalisation. L'entreprise vaut 150 milliards. Une telle décision revient à l'État français, et non à TotalEnergies. Par ailleurs, de nombreux acteurs, y compris européens, pensent que l'État français a toujours des participations chez TotalEnergies et nous perçoivent comme une entreprise partiellement publique.

Les capacités de regazéification du système énergétique européen ne seront stabilisées qu'à la fin de l'année 2024. Cinq à six années sont nécessaires pour construire une usine de GNL. La capacité mondiale est de 400 millions de tonnes. En 2026-2027, des usines dont la construction a été lancée aux États-Unis et au Qatar seront opérationnelles. Avant cette date, les capacités augmenteront très peu. L'Europe a représenté un véritable choc sur le marché du GNL, ce qui a expliqué l'envolée des prix. Nous avons dû ramener 40 millions de tonnes de GNL en Europe, soit 10 % du marché mondial supplémentaire. L'Europe en consommait déjà environ 20 %. Si nous devions remplacer tout le gaz russe, nous devrions importer 100 millions de tonnes. Les prix resteront donc probablement élevés dans les années à venir.

Le prix du gaz du marché européen a fortement augmenté pour deux raisons. Il a dépassé le cours mondial du GNL, car à la fin du mois d'août, une peur de manquer de gaz a animé le marché. En a résulté une forme de surenchère des cours du gaz, qui ont dépassé l'espace contrôlé. En outre, le marché manquait de liquidités. L'Europe cherche à définir un plafond, mais ce seuil ne pourrait être inférieur au prix du GNL mondial. Nous devrions fixer un niveau qui permettrait d'éviter les effets d'hystérésis qui aboutissent au rationnement des clients.

Il existe environ 1500 pétroliers au niveau mondial. En France, nous avons une obligation de pavillons marginale. Aux États-Unis, l'obligation de pavillons pour le raffinage a conduit la France à exporter de l'essence vers ce pays, car il est moins coûteux d'exporter du Havre à New York que d'utiliser les pavillons américains pour aller de la Gulf Coast à New York. Cette politique risque de renchérir le coût de l'ensemble des produits pour les consommateurs. La flotte mondiale est très importante, et nous avons une flotte permanente de dizaines de pétroliers sous contrats moyen et long terme pour assurer nos activités de négoce à l'échelle internationale.

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Total est devenu TotalEnergies pour diversifier ses activités et d'entrer sur le marché des énergies renouvelables. Il semblerait que l'hydrogène puisse représenter une solution pour les véhicules terrestres. Comment prévoyez-vous de devenir le premier producteur d'hydrogène, pour occuper une place similaire à celle que vous tenez sur le marché des carburants ?

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Nos objectifs de décarbonation à l'échelle nationale, européenne et internationale doivent être ambitieux. C'est le chemin que nous tentons tous de suivre. Notre mix électrique est déjà très décarboné. Quelle est la part de votre production d'énergies renouvelables sur l'ensemble de votre production ?

Quelle est la part de vos investissements dans les énergies renouvelables sur vos investissements globaux ? Sur quels types d'énergies renouvelables concentrez-vous vos efforts ?

L'évolution de l'Arenh est nécessaire, et son extinction est proche, puisqu'en 2025, son dispositif sera aboli ou réajusté. Quel regard portez-vous sur l'utilité de l'Arenh et sur le fléchage de ses bénéficiaires ?

Avant 2010 et la loi Nome, les particuliers, les entreprises et les collectivités étaient couvertes par les tarifs réglementés de vente d'électricité qui s'avèrent bien plus protecteurs désormais. L'Arenh a-t-elle pu affaiblir EDF, alors que l'Arenh était prévue à environ 25 % de sa production et qu'elle a atteint 30 % cette année en raison de l'arrêt d'un certain nombre de centrales ? Ce mécanisme me semble avoir entravé le développement et les investissements de cette entreprise, et réduit sa capacité à atteindre la souveraineté énergétique que nous recherchons.

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Je trouve frappant qu'en tant que patron d'une très grande multinationale, largement responsable des émissions de gaz à effet de serre, vous reconnaissiez que le profit privé prédomine sur l'intérêt général. Vous affirmez qu'il est préférable pour l'entreprise de s'appuyer sur des sources diversifiées, et que ce n'est pas par philanthropie que vous installez des capacités gazières ou des énergies renouvelables en Inde. Il en va de même pour la question climatique : vous avez indiqué que les réglementations sur la recherche des hydrocarbures ne vous gênaient pas, parce que vous estimiez que ces réserves étaient probablement inexistantes. C'est la raison pour laquelle vous ne les aviez pas contestées.

Matthias Tavel vous a posé une question sur la dépendance aux énergies fossiles. Dans vos prévisions, la France aura-t-elle suffisamment de gaz dans ses stocks à l'hiver prochain et notamment à l'hiver 2023 ? Confirmez-vous que la construction de nouvelles installations, notamment les ports méthaniers flottants, servira à sécuriser l'approvisionnement en gaz en Europe plutôt que l'État français, qui en était déjà suffisamment pourvu ?

Vous avez expliqué que de manière naturelle, la rentabilité des champs pétroliers déclinait de 4 à 5 % par an. Vous avez constaté un déclin de la demande en pétrole dans l'Union européenne en raison de l'interdiction de vente de véhicules à moteur thermique en 2035. La stratégie de Total consistera-t-elle à continuer à vendre des hydrocarbures en vous recentrant sur le marché mondial ?

Le rapport entre la production d'énergies renouvelables et la production d'énergies fossiles de votre entreprise est de un pour 447. Comptez-vous inverser cette tendance ?

L'entreprise Shell a été attaquée par des ONG et des citoyens pour non-respect des obligations en matière de climat. Craignez-vous des procédures similaires ?

Quelle est la stratégie d'investissement de TotalEnergies dans les équipements français ? La centrale de Landivisiau a ouvert cette année. 40 millions d'euros sont versés à la France pour vingt ans. Il semblerait que vous en ayez vendu la moitié à un fonds de pension étranger. Cette décision n'accroît-elle pas notre dépendance énergétique ?

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Alors que votre groupe avait l'image d'une major des énergies fossiles, vous êtes un acteur majeur de la transition énergétique et vous avez pour ambition de devenir l'un des premiers producteurs d'énergies renouvelables en 2030. Vous avez investi 4 milliards d'euros dans le solaire et l'éolien en 2022. Nous examinons le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Les procédures françaises sont souvent lourdes et représentent des freins au développement de ces énergies. Nous tentons de les lever. Vous avez rappelé qu'il est difficile de prendre des décisions sans tenir compte de l'opinion publique. Quel regard portez-vous sur les autres énergies, dont cette loi, selon moi, ne traite pas suffisamment, comme la géothermie, l'hydroélectricité et les combustibles solides de récupération ?

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Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies

TotalEnergies investit 4 milliards d'euros sur un total de 16 milliards dans les énergies renouvelables et l'électricité décarbonée. Nous sommes la cinquième plus grosse entreprise au monde à investir dans ce secteur. Les capacités d'investissement de l'entreprise ne sont pas décidées en fonction des profits réalisés dans l'année. Nous avions annoncé que nous augmenterions nos investissements, qui devraient atteindre plus de 5 milliards l'année prochaine. Le ratio que vous demandez n'a pas réellement de sens, puisque pour produire, il faut d'abord investir. En 2000, nous ambitionnions que 20 % de notre mix 2030 soit constitué d'énergies électriques et renouvelables. Nous avons commencé à investir il y a quelques années. Or, il nous est en même temps demandé de fournir du pétrole et du GNL. Nous devons donc trouver l'équilibre entre l'approvisionnement dans les énergies qui nous font vivre et l'investissement dans les énergies de demain. Nous considérons faire partie des acteurs qui investissent le plus dans ces énergies.

L'Europe, les parlements ont décidé que les véhicules seront électriques. La place des véhicules légers à hydrogène sera par conséquent marginale. La question se pose donc davantage pour les camions. Nous ne ferons pas beaucoup d'effort pour les véhicules à hydrogène. Nous annoncerons prochainement la construction d'un réseau européen d'une centaine de stations à hydrogène pour les camions. Pour des raisons économiques, nous ne pourrons pas construire à la fois une infrastructure à hydrogène pour les véhicules légers et une installation de bornes de charges. Je ne sais pas si le choix qui a été fait est le bon. Pour notre part, nous accompagnons la demande, qui est concentrée sur les bornes de recharge.

Total n'était pas un acteur de l'électricité en 2010 et il m'est difficile de répondre à votre question sur l'Arenh. La France a fait ce choix pour répondre aux exigences de la communauté européenne pour ouvrir à la concurrence en réallouant une partie de la rente nucléaire. L'Arenh n'est pas un gain pour TotalEnergies : nous renvoyons les volumes que nous recevons à nos clients. Nous réallouons l'Arenh dans nos prix. Le défaut du dispositif est que l'Arenh est attribuée à des bénéficiaires qui ne l'utilisent pas.

Madame Laernoes, je n'ai jamais dit que les profits étaient plus importants que les émissions. Il n'y a rien de surprenant dans le fait qu'une entreprise comme la nôtre a vocation à produire de l'énergie en faisant des profits. Nous ne mènerons pas la transition énergétique uniquement grâce à des investissements publics. Les investissements privés seront nécessaires, et ces derniers doivent engendrer des profits. Cela n'est pas contradictoire avec le respect de la politique de baisse des émissions. Nous nous sommes engagés à diminuer nos émissions de scope 1 et 2 de 40 % entre 2015 et 2030. Elles ont déjà baissé de 20 %. Notre mission est de fournir plus d'énergie au monde en engendrant moins d'émissions. Or, pour investir dans les énergies renouvelables, il est nécessaire que nous réalisions des profits sur nos autres activités.

L'ensemble de ce débat n'est pas seulement européen, mais mondial. L'accord de Paris portait le titre d'accord sur le climat et le développement. La question du développement a également été évoquée lors de la COP 27 à Charm el Cheikh. Les pays émergents expriment une demande légitime d'accéder à une énergie croissante. Le principal enjeu est d'éviter de continuer à ouvrir des centrales au charbon. Or, la seule ressource naturelle majeure de ces pays reste le charbon, qui garantit en outre un emploi à un très grand nombre de personnes. Les Européens ne doivent donc pas seulement se préoccuper de leurs émissions, mais également aider les pays émergents à mener la transition. La bonne réponse n'est pas de laisser ces pays dans une situation de dénuement. Par conséquent, l'essentiel de nos productions est destiné à ces économies, d'où provient la croissance de la demande.

S'agissant de Landivisiau, la rentabilité des centrales à gaz étant assez faible, nous cherchons des partenaires à qui les revendre. Nous gardons le contrôle de la centrale. Par ailleurs, quel que soit son propriétaire, l'objectif de la centrale qui existe est de fonctionner. Une fois construite, elle participera à la souveraineté électrique du pays. Nous avons exécuté ce projet, qui ne remplissait pas les critères de rentabilité du groupe TotalEnergies. Beaucoup d'acteurs financiers sont prêts à investir dans ces infrastructures dont les revenus sont plus ou moins garantis.

Je connais mal la question des combustibles solides de récupération. Je sais que ces déchets constituent une source d'énergie pour les cimenteries depuis longtemps. Le projet de loi me paraît couvrir un grand nombre d'énergies. Il pourrait proposer des mesures approfondies sur le stockage de l'électricité. Pour compenser l'intermittence des énergies renouvelables, si nous ne souhaitons pas construire de centrales à gaz, nous devrons développer des batteries. Les États-Unis ne construisent désormais plus de centrales solaires sans batteries.

L'éolien offshore devrait être l'une de nos priorités. En effet, une ferme éolienne offshore peut produire 500 mégawatts ou 1 gigawatt d'électricité. La France accuse un certain retard dans ce domaine, alors que ces technologies se sont fortement améliorées au fil du temps. Ces projets demandent du temps, et nous devrions rapidement les déployer pour atteindre les objectifs annoncés par le président de la République.

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Monsieur Pouyanné, nous vous remercions d'avoir répondu à nos questions. Il nous importait en effet d'entendre la principale entreprise française dans le domaine du pétrole sur ces questions. Encore et toujours, le pétrole reste l'une de nos principales sources d'énergie, et, partant, de dépendance pour l'État français.

La séance s'achève à quinze heures trente.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Danielle Brulebois, M. Francis Dubois, Mme Olga Givernet, Mme Julie Laernoes, M. Alexandre Loubet, M. Stéphane Mazars, M. Bruno Millienne, Mme Natalia Pouzyreff, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Matthias Tavel.

Excusés. – M. Vincent Descoeur, Mme Valérie Rabault.