La réunion

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La séance est ouverte à 9 heures 35.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La Commission auditionne Mme Diane Roman, dont la nomination est proposée par la Présidente de l'Assemblée nationale en qualité de membre du Conseil supérieur de la magistrature (Mme Pascale Bordes, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/86YBBu

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Nous examinons ce matin la proposition de nomination par la présidente de l'Assemblée nationale de Mme Diane Roman au Conseil supérieur de la magistrature, en remplacement de Mme Hélène Pauliat. En application de l'article 65, alinéa 2 de la Constitution, cette nomination suit la procédure prévue en son article 13. La nomination ne peut pas avoir lieu si l'addition des votes négatifs dépasse les trois cinquièmes des suffrages exprimés, et cela au sein de notre seule commission, puisqu'il n'y a pas lieu d'organiser un vote au Sénat.

En application de l'article 29-1 du règlement de l'Assemblée nationale, la commission a désigné un rapporteur appartenant à un groupe minoritaire ou d'opposition, en l'espèce Mme Pascale Bordes, du groupe Rassemblement national. La rapporteure a adressé un questionnaire à Mme Roman, qui y a apporté des réponses écrites. Celles-ci ont été adressées aux commissaires et mises en ligne sur le site internet de l'Assemblée nationale.

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Madame Roman, la présidente de l'Assemblée nationale propose votre nom pour siéger, en tant que personnalité qualifiée, au Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Cet organe fondamental de nos institutions joue un rôle pluriel. Ses membres participent pleinement au processus de nomination des magistrats, et ont compétence en matière disciplinaire. Le CSM peut également répondre au Président de la République s'il sollicite son avis au titre de l'article 64 de la Constitution. La Constitution du 27 octobre 1946 avait fait du CSM un organe autonome, avec la volonté de fonder une justice indépendante.

Indépendance ne signifie pas irresponsabilité, comme vous le rappelez dans les réponses écrites adressées à la commission. De même que l'indépendance des magistrats du siège implique dignité, loyauté, impartialité, réserve, prudence et délicatesse, l'indépendance des magistrats du CSM, appelés à nommer les magistrats de l'ordre judiciaire, voire à les juger, implique des obligations de comportement, visées par les dispositions de l'article 10-1 de la loi organique du 5 février 1994, modifiée par la loi du 8 août 2016 : « Les membres du Conseil supérieur exercent leur mission dans le respect des exigences d'indépendance, d'impartialité, d'intégrité et de dignité et veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflit d'intérêts ».

Notre commission vous reçoit aujourd'hui afin d'apprécier en conscience l'opportunité de votre nomination au CSM.

Je vais donc revenir sur votre parcours professionnel. Vous avez obtenu un DEA de droit public interne en 1996, avec un mémoire sur l'opposabilité des circulaires administratives. Vous êtes devenue docteure en droit en 2000, après avoir soutenu une thèse intitulée Le droit public face à la pauvreté. Vous êtes également agrégée de droit public. Vous avez exercé en tant que maître de conférences en droit public à l'université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne à partir de 2001. Vous avez été mise à disposition de l'École des hautes études en santé publique, à Rennes, en 2010.

Vous êtes aujourd'hui professeure à l'École de droit de la Sorbonne (EDS) de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où vous dispensez des cours dans plusieurs matières, notamment le droit administratif, les droits fondamentaux et le droit de la société, les questions contemporaines de droit public, les droits sociaux et environnementaux ou le droit de la responsabilité médicale. Parmi vos axes de recherche, vous mettez en avant les droits de l'homme et les libertés fondamentales, l'égalité et la non-discrimination, le droit social et le droit de la santé.

Votre dernier ouvrage publié date de 2022. Il s'intitule La cause des droits : écologie, progrès social et droits humains. Cet essai analyse l'émergence de nouveaux droits humains, parmi lesquels le droit à un environnement sain. L'un de vos articles, publié en juillet 2022, adopte un parti pris sur un sujet abordé par notre commission il y a peu ; il s'intitule « Pourquoi et comment constitutionnaliser le droit à l'avortement ». Par ailleurs, vous avez codirigé l'un des plus importants projets de recherche sur le droit et le genre en France, le projet REGINE, qui se propose d'ancrer la théorie féministe du droit dans le paysage de la recherche juridique française.

Sur un plan plus politique, vous avez signé, avec dix autres universitaires, une tribune en faveur de l'accueil des réfugiés dans les universités, publiée en septembre 2015 par Libération. Vous avez signé, dans le cadre d'un collectif d'associations et d'universitaires, une tribune contre la loi « séparatisme » invoquant une grave atteinte aux libertés associatives, publiée en janvier 2021 par Libération. Vous avez signé, avec 800 autres universitaires, une tribune appelant à voter pour le candidat Mélenchon à l'élection présidentielle de 2022, publiée par L'Obs.

Je vous remercie des réponses écrites que vous nous avez fait parvenir et de celles que vous formulerez dans le cadre de cette audition.

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Diane Roman

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les membres de la commission des lois, c'est pour moi un très grand honneur de me présenter devant votre commission, après avoir été pressentie par Mme la présidente de l'Assemblée nationale pour siéger au sein du CSM.

Je présenterai mon parcours en gardant à l'esprit le mot du conseiller d'État Eugène Marbeau : « Dire du mal de soi est le seul moyen de parler de soi sans ennuyer les autres ». J'essaierai de compenser par la brièveté de mon propos l'ennui éventuel qu'il serait susceptible de vous causer.

J'ai suivi un parcours académique classique : docteure en droit, agrégée de droit public et professeure de droit, à l'université de Tours puis à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où j'ai le bonheur de transmettre à mes étudiants, année après année, mon goût du droit. J'ai complété ce cursus par plusieurs expériences administratives. J'ai été élue par mes pairs au Conseil national des universités, qui est chargé du recrutement et de la gestion de la carrière des enseignants-chercheurs, lesquels présentent, avec les magistrats, la particularité de jouir d'une indépendance garantie par la Constitution. J'ai participé, au sein de l'Agence nationale de la recherche, à plusieurs programmes, ce qui m'a permis d'acquérir l'expérience de l'évaluation des dossiers et de la gestion administrative.

Enfin et surtout, j'ai été nommée par le Premier ministre, en 2015, à la Commission nationale consultative des droits de l'homme, en qualité de personnalité qualifiée. J'y ai présidé la sous-commission Société, éthique et éducation aux droits humains. Je retire de cette très belle expérience l'importance de la délibération collégiale pour parvenir à une confrontation de points de vue qui peuvent être parfois fort divers et aboutir néanmoins une décision collégiale, acceptable et acceptée.

C'est à ce stade de mon parcours universitaire que Mme la présidente de l'Assemblée nationale propose ma nomination au CSM, ce dont je la remercie vivement. Cette proposition m'honore et m'oblige. Je me suis demandé quel apport pouvait être le mien à cette institution républicaine si précieuse qu'est le Conseil supérieur de la magistrature. À la réflexion, avec l'humilité qui s'impose, il me semble qu'il pourrait être double, grâce au regard à la fois expert et extérieur que je pose sur l'institution judiciaire.

Mon regard expert se nourrit de mon domaine de compétence scientifique, qui est la protection des droits fondamentaux. Dans mes travaux universitaires, j'ai abordé cette question sous trois angles complémentaires.

Le premier angle est le droit du justiciable à un juge, et plus encore à un bon juge. Un bon juge est un juge qui présente des qualités d'indépendance et d'impartialité, et statue dans un délai raisonnable ainsi que dans le respect du contradictoire. Par ailleurs, j'ai réfléchi – c'est le fil rouge de mes travaux universitaires depuis ma thèse de doctorat sur la pauvreté – aux inégalités sociales, notamment entre les femmes et les hommes, et aux réponses juridiques apportées aux questions sociales. J'ai également travaillé, notamment pour la rédaction de l'ouvrage que vous avez cité, madame la rapporteure, sur la place de la justice dans un État de droit où les pouvoirs sont séparés, lorsqu'elle est saisie de demandes de droit de plus en plus nombreuses, notamment en matière sociale et environnementale.

À ce titre, mon parcours universitaire me semble caractériser une expertise juridique susceptible de comprendre et de participer aux missions du CSM, qui sont de trois ordres : assister le Président de la République dans son rôle de garant de l'indépendance de la magistrature et de la justice ; édicter un recueil de déontologie visant à garantir le droit du justiciable à un bon juge ; assurer, en tant que juge de la discipline des magistrats du siège en qualité de juridiction administrative spécialisée, et, pour le parquet, d'autorité administrative consultative, le respect des règles disciplinaires.

Ce regard expert est aussi un regard extérieur. Je ne suis pas magistrate et n'ai jamais été avocate. On pourrait même dire que je ne suis pas du sérail judiciaire, dans la mesure où mon champ de compétences couvre davantage le droit du service public que le droit judiciaire privé et les règles de procédure civile ou pénale.

Ne pas être directement spécialiste de ces questions entre, me semble-t-il, dans le cadre de la définition des membres extérieurs du CSM. Tout l'intérêt de la présence de personnalités qualifiées est d'apporter un point de vue différent et renouvelé sur l'institution. J'y vois un gage d'ouverture, d'indépendance et de transparence d'autant plus précieux qu'il s'agit de l'institution chargée de veiller au bon fonctionnement d'une justice rendue au nom du peuple français.

Tel est le double regard, à la fois expert et extérieur, que je propose d'apporter au CSM si vous confirmez ma nomination. Je verrais dans l'honneur qui me serait ainsi fait la possibilité de prolonger, sous une forme différente mais avec un engagement identique, ce qui a formé le cœur de mon activité d'universitaire au cours des vingt-cinq dernières années : œuvrer à l'intérêt général ainsi qu'au respect des droits fondamentaux et des valeurs qui fondent le pacte républicain et l'État de droit.

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Madame Roman, j'aimerais vous poser deux questions.

La lecture de votre impressionnant CV démontre amplement que vous êtes pour le moins très investie dans vos fonctions d'universitaire, dans leur double dimension d'enseignement et de recherche. Vous vous dites tout à fait consciente de l'ampleur de la tâche dévolue aux personnalités qualifiées membres du CSM et entendez, pour la durée du mandat qui pourrait vous être confié, y consacrer l'essentiel de votre activité professionnelle.

Vous indiquez précisément dans le questionnaire que vous solliciterez de votre université une décharge de service pour réduire fortement votre activité académique, ce qui vous permettrait de participer aux différentes missions dévolues aux membres du CSM, qu'il s'agisse des trois jours hebdomadaires de session, de la préparation des réunions ou des déplacements en juridiction. Vous affirmez, s'agissant de la charge d'enseignement que vous seriez amenée à conserver au sein de l'EDS, que vous concentreriez vos cours sur les jours où aucune séance du CSM ne sera prévue.

Ces déclarations m'amènent à m'interroger sur votre réelle capacité à vous rendre disponible pour vous consacrer totalement à la mission qui pourrait vous être dévolue par le CSM, laquelle ne saurait, nous en sommes tous d'accord, être exercée à temps partiel, sous peine de pénaliser l'institution. Vous reconnaissez que votre activité professionnelle actuelle vous accapare et que les missions du CSM devraient vous occuper au moins trois ou quatre jours par semaine, ce qui ne laisse, dans une semaine de cinq jours ouvrables, qu'une journée pour l'enseignement et pour vos recherches. Une telle organisation me semble difficile, voire impossible à mettre en œuvre.

Par ailleurs, en agissant ainsi, vous feriez peser la charge de votre nouvelle organisation professionnelle sur vos étudiants, en raison des changements d'emploi du temps qui en résulteraient – ceux qui travaillent devraient modifier leur emploi du temps non seulement universitaire, mais aussi professionnel, auprès de leur employeur – et sur vos collègues de travail. J'aimerais que vous nous expliquiez comment vous entendez réellement mener à bien ces deux missions.

Par ailleurs, le CSM, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, a prononcé le 16 janvier dernier un déplacement d'office à l'encontre d'un magistrat du siège, au motif qu'il aurait évoqué, sur son compte Twitter, des opinions personnelles, des positions syndicales et un engagement politique, ce qui aurait pu faire naître un doute sur sa neutralité. Tels sont du moins les attendus du jugement.

Ce qui est vrai des magistrats du siège l'est à plus forte raison, me semble-t-il, pour les membres du CSM qui sont appelés à les juger. Vous n'en disconvenez pas : à la question « Pensez-vous que l'exercice de vos fonctions au CSM implique de votre part une réserve sur les sujets politiques », vous avez répondu en citant les exigences d'indépendance, d'impartialité, d'intégrité et de dignité de l'article 10-1 précité.

Or vos multiples prises de position publiques sur des faits sociétaux et sur des événements politiques, telles que votre appel à signer des tribunes en faveur de l'accueil des réfugiés ou contre la loi « séparatisme », ou la signature, avec 800 autres universitaires, d'une tribune appelant à voter pour le candidat Mélenchon, laissent à penser, à tout le moins, que vous pourriez ne pas faire preuve, à l'aune de la récente décision précitée du CSM, de la neutralité et de l'impartialité nécessaires pour mener à bien votre mission. Quel est votre positionnement à ce sujet ?

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Madame Roman, j'ai deux questions.

Nous avons une controverse sur la création de la source de droit et sur l'appréciation réciproque des pouvoirs sur leurs travaux respectifs, notamment sur le fait que le juge porte une appréciation sur les lois votées ou sur leur qualité, et le fait que le législateur en porte une sur la nature des jugements rendus. Chacun tient sur l'autre un discours très critique.

Si le magistrat peut légitimement s'émouvoir que le législateur critique les arrêts ou les jugements qu'il rend, le législateur, en retour, peut tout à fait s'interroger sur le fait que les magistrats critiquent la qualité des textes, surtout s'il s'agit d'une procédure législative inaboutie. Dans ces circonstances, j'aimerais connaître votre position et celle que vous adopteriez si vous deviez vous pencher sur cette question en qualité de membre du CSM.

Par ailleurs, la juriste de droit public que vous êtes a certainement pris connaissance de l'appréciation portée par le vice-président du Conseil d'État sur la nature des obligations internationales qui incombent à la France, s'agissant non seulement de leurs dispositions contraignantes mais aussi des objectifs qu'elles visent, et sur la transformation des juridictions administratives, qui imposent au législateur et qui transposent dans leurs décisions des objectifs qui, à ce stade, ne sont pas normatifs.

Comment appréciez-vous, en tant que juriste et certainement que futur membre du CSM, le fait que le juge soit créateur de normes ? S'il l'est par essence dans son interprétation de la loi et, s'agissant de la relation aux traités, dans son contrôle de conventionnalité, j'aimerais que vous indiquiez comment il peut, en appréciant ou en transposant, voire en surtransposant des objectifs issus des traités internationaux, être créateur de droit et, à ce titre, contraindre les pouvoirs exécutif et législatif.

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Madame Roman, merci de vos réponses écrites. Ce sont dix-huit pages assez denses, que je me suis astreint à lire du début à la fin, non sans intérêt. J'aimerais vous poser deux questions techniques.

Vous faites clairement référence à l'avis du CSM rendu en 2021 sur le parcours disciplinaire du CSM à l'égard des magistrats. Avez-vous une vision plus large de la responsabilité des magistrats, qui me semble être le pendant indispensable de leur indépendance ? Quelle est votre vision de l'évolution possible de la responsabilité des magistrats dans la société contemporaine ?

Vous préconisez, à l'unisson du rapport de la commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire, remis par Ugo Bernalicis et moi-même, de doter le CSM d'un pouvoir plus large en matière de contrôle budgétaire et d'avis sur les projets de loi. Quel serait le champ de ce pouvoir propre du CSM, dont il ne dispose pas à l'heure actuelle et qui serait sans doute une évolution intéressante ? Êtes-vous favorable à l'attribution au CSM de pouvoirs complémentaires, notamment celui de missionner l'inspection générale de la justice ? Le CSM est un organe essentiel, mais auquel les moyens concrets de déployer ses activités font parfois défaut.

Je vous remercie de vos réponses et vous félicite pour votre parcours professionnel.

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Madame Roman, j'aimerais vous interroger sur les éléments d'appréciation que vous avez fournis concernant la faculté, pour le justiciable, de saisir le CSM, ouverte depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Vous indiquez que, chaque année, le CSM est saisi de nombreuses plaintes de justiciables – 377 en 2021. Toutefois, en dix ans, seuls sept dossiers ont donné lieu à une décision de renvoi devant la formation disciplinaire compétente et aucune sanction disciplinaire n'a été prononcée. Vous rappelez que les justiciables à l'origine de ces saisines comprennent mal la procédure, qu'ils envisagent à tort comme une voie de recours supplémentaire contre une décision juridictionnelle, sans mettre en cause un manquement déontologique du juge. Pour rendre cette procédure plus efficace, vous proposez que le CSM communique mieux auprès des justiciables sur les conditions de recevabilité des saisines et que des modifications réglementaires soient introduites pour faciliter leur recours à un avocat.

Ne vous semble-t-il pas nécessaire de poser la question de l'opportunité du maintien de ce mode de saisine du CSM, dès lors qu'aucune procédure introduite par un justiciable n'a prospéré en dix ans, et d'autant qu'il résulte inévitablement de ce type de procédure, pour le magistrat mis en cause, des désagréments et des inquiétudes qui ne peuvent que nuire à son équilibre personnel ?

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Ma première observation porte sur l'interrogation forte de Mme la rapporteure sur l'organisation de votre emploi du temps et l'éventuel cumul de vos tâches académiques, même restreintes, et de vos tâches au CSM. Je rappelle à Mme la rapporteure qu'il y a dans cette pièce des députés qui cumulent leur mandat de député et un mandat de conseiller départemental ou régional. C'est notamment le cas dans le groupe politique où siège Mme la rapporteure. Dès lors, je considère que l'humilité s'impose sur la question d'un éventuel cumul d'activités. Quand on a des rigueurs, il faut se les appliquer à soi-même avant de les imposer aux autres.

Ma seconde observation porte sur l'évolution du CSM en tant qu'élément des pouvoirs constitués et sur la garantie de la séparation des pouvoirs. La France est aujourd'hui dans une situation institutionnelle un peu déséquilibrée, avec de l'instabilité dans les rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif et l'autorité judiciaire. Pour la première fois dans la Ve République, hors périodes de cohabitation consécutives à des élections législatives telles que nous en avons connu avec l'ancien mode de scrutin, le Président de la République n'a plus la majorité à l'Assemblée nationale. Il en résulte de vifs conflits de pouvoirs, au sujet par exemple de l'utilisation du 49.3, et peut-être du 47-1 pour l'adoption de la réforme des retraites en cours de discussion. Compte tenu de ce contexte, avez-vous réfléchi, de façon théorique, à l'évolution des pouvoirs du CSM ?

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Madame la professeure, je tiens à vous remercier de la qualité de vos réponses écrites, qui satisfont totalement notre groupe, d'autant qu'elles mêlent une liberté de ton dont toutes les candidatures ne font pas preuve et l'expression d'une réserve déontologique tout à fait essentielle. Nous n'avons aucun doute sur la qualité de votre candidature et nous félicitons de cette proposition de nomination.

Par ailleurs, il nous semble utile et essentiel d'inclure davantage les universitaires dans la vie publique. L'indépendance attachée au statut d'enseignant-chercheur me semble constituer un atout supplémentaire de votre candidature, qui constitue de surcroît un effort de parité au sein du CSM tout à fait bienvenu.

Vous écrivez dans votre longue réponse que l'indépendance de la justice n'est pas l'indifférence. Ce positionnement est très important pour nous. Les orientations attendues par la société et les professionnels de la justice, auxquelles vous n'opposez aucune réserve, bien au contraire, vont tout à fait dans notre sens.

Ma question prend la forme d'un regret. Vos travaux universitaires nous sont fort utiles. Votre nomination au CSM nous en privera-t-elle pour la durée de votre mandat, ou considérez-vous que vous pourrez continuer à partager votre réflexion ? J'observe que le CSM est très absent des débats de la commission des lois, et je le regrette.

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Madame la professeure, je partage l'analyse de notre collègue Untermaier et vous félicite de votre parcours. Vous avez successivement siégé dans des instances qui forment à bien des égards, nous semble-t-il, l'antichambre d'une nomination au CSM.

Je m'interroge sur la place des femmes dans cette institution, qui n'est absolument pas représentative de la place des femmes dans la magistrature. Quel est votre avis sur ce point, et comment pensez-vous éventuellement faire évoluer les choses ?

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Madame Roman, dans vos réponses écrites aux questions sur la défiance des Français à l'égard de l'institution judiciaire, vous évitez de prendre clairement position. Après avoir écrit que la défiance des Français à l'égard de cette institution n'est qu'affaire de justiciables, donc parfaitement subjective, vous revenez sur ces mots en affirmant que, objectivement, nous traversons une crise de l'autorité judiciaire et qu'il convient de rétablir la confiance dans le système de justice. Cette contradiction étonnante rend votre positionnement pour le moins équivoque. Je ne peux m'empêcher de constater que vous n'êtes pas lucide sur la situation déplorable du système judiciaire français.

Admettez-vous que notre institution judiciaire souffre d'un mal tel qu'il justifie une attitude de défiance de nos compatriotes à son égard ? S'agissant du fond du problème, à quelles causes attribuez-vous une telle déroute ? Sont-elles inhérentes à l'institution ou relèvent-elles de la complexité de notre droit et de sa mise en application ?

Vous n'êtes pas sans savoir que le rôle pour lequel la présidente de l'Assemblée nationale a proposé votre candidature exige une clairvoyance sans faille, tant sur le fonctionnement des juridictions, qui relève du ministère de la justice, que sur la formation des magistrats qui en seront les garants. Nous avons toujours eu à cœur de défendre une justice ferme, à laquelle les Français peuvent faire confiance. Nous en auditionnons un acteur potentiel. Je vous remercie de bien vouloir clarifier votre position sur les questions que j'ai évoquées.

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Madame la professeure, les réponses aux questions qui vous ont été posées nous semblent pertinentes et justifiées. En ce qui me concerne, un point mérite des éclaircissements. J'étais rapporteur général du projet de loi dit de lutte contre le séparatisme. Je me souviens de vos prises de position dans plusieurs textes que vous avez cosignés, dont l'un qui affirmait qu'il s'agit d'une « loi anti-associations ». Un an et demi après l'adoption du texte, pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

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Diane Roman

Il est particulièrement difficile de répondre à toutes ces questions, fort diverses, dans un délai raisonnable. À ce propos, une des explications à la longueur de mes réponses écrites est que le questionnaire lui-même était fort long, avec dix-huit questions.

J'essaierai d'être brève et de répondre de façon synthétique aux questions qui viennent de m'être posées, en distinguant celles qui me concernent personnellement et celles qui portent sur l'institution. Pour les premières, notamment celles qui portent sur ma capacité à m'investir de façon impartiale au sein du CSM, j'appelle l'attention de votre commission sur deux points qui me semblent importants.

Tout d'abord, s'agissant de ma disponibilité matérielle, je demanderai une décharge de service pour mes activités d'enseignement. Elle me conduira à exercer un demi-service, c'est-à-dire soixante-quatre heures de cours magistraux par an. L'université ne s'adaptera pas à mes besoins : je choisirai des cours à des moments correspondant à ma disponibilité. En revanche, je crains d'être conduite à restreindre fortement mon activité scientifique, non pas parce qu'elle poserait un problème de conflit, d'indépendance ou d'impartialité avec mes obligations éventuelles au sein du CSM, mais parce que, même si j'ai l'habitude de travailler les week-ends et les nuits, je ne saurais mener plusieurs carrières de front.

Ensuite, s'agissant de la compatibilité de mes engagements intellectuels avec l'exigence d'impartialité, nous avons toutes et tous des convictions. Elles sont le fruit de nos parcours personnels, de nos expériences de vie, de nos valeurs, de nos représentations du monde. Mais, pour reprendre un mot d'Hubert Beuve-Méry, si la neutralité n'existe pas, l'honnêteté, si. Il est très important de prendre régulièrement du recul par rapport à ses convictions, de douter, de discuter, d'être à l'écoute de points de vue différents. C'est dans ce mouvement de prise de distance à l'égard de nos convictions, qui empêche que celles-ci deviennent des certitudes, que se trouve l'impartialité. Il est donc tout à fait possible d'avoir des convictions et de réfléchir de façon impartiale.

Madame la rapporteure, vous avez effectué un travail attentif d'évaluation de mon dossier. Les éléments que vous avez relevés ne se trouvaient pas tous dans mon CV universitaire. Je n'y mentionne pas les pétitions que je suis amenée à signer – je ne le fais d'ailleurs que de façon exceptionnelle, sur des sujets que j'estime importants, comme l'accueil de réfugiés syriens dans les universités, dans lequel je me suis beaucoup engagée. J'ajoute qu'on peut signer une pétition pour manifester un accord global tout en étant en désaccord sur certains termes particuliers.

Je vais cesser de parler de moi pour en venir au Conseil supérieur de la magistrature. La question du rôle de cette institution est débattue depuis fort longtemps, presque depuis sa création, en 1883. La France s'est toujours efforcée de trouver un équilibre entre deux conceptions extrêmes : d'un côté, l'idée que le CSM serait un organe corporatiste plus ou moins rattaché au ministère de la justice et s'occupant de la gestion administrative des carrières et, de l'autre, la vision maximaliste qui en ferait un organe doté de l'ensemble des attributions de la justice, chargé du recrutement des magistrats, de leur nomination, voire de leur rémunération. L'équilibre auquel nous sommes parvenus me semble tout à fait satisfaisant.

Le Conseil supérieur de la magistrature est une institution dont l'indépendance est reconnue. Ses attributions ont été progressivement élargies, ce qui peut provoquer des insatisfactions. Vous m'interrogiez tout à l'heure sur la procédure de saisine directe par les justiciables, qui peine à produire ses fruits. Les quelque 400 plaintes enregistrées chaque année sont en effet déclarées soit irrecevables, soit manifestement infondées. La raison d'être de cette procédure n'est pas comprise : elle est utilisée par les justiciables davantage comme une nouvelle voie de réformation des décisions de justice que comme une procédure disciplinaire, ce qu'elle est à l'évidence.

Comment améliorer cette situation, et faut-il augmenter les pouvoirs du CSM ? Je sais que les membres de cette commission y ont déjà longuement réfléchi. La piste du pouvoir de consultation – non de décision – sur les questions budgétaires ou sur les projets de loi qui concernent l'indépendance de la justice me semble pertinente. Je pense également, même si c'est un terrain sensible, que la définition de la faute disciplinaire du magistrat devrait gagner en lisibilité pour être mieux comprise par les justiciables, qui pourraient ainsi l'invoquer de manière plus pertinente, ou du moins avec plus de succès.

Vous m'interrogiez également sur la place des femmes au sein du Conseil supérieur de la magistrature. Dans le mandat qui s'achève, elles étaient huit sur vingt-deux membres, trois d'entre elles ayant été nommées au titre de personnalité qualifiée. C'est donc parce qu'il y a eu des efforts de la part des autorités de nomination que l'on rencontre des femmes au sein du CSM. La loi Sauvadet, qui vise notamment à lutter contre les discriminations au sein de la fonction publique, ne s'applique ni au Conseil supérieur de la magistrature ni aux magistrats. Elle s'applique en revanche au ministère de la justice, lequel a été l'un des seuls ministères condamnés pour non-respect de cette loi, alors même que les effectifs dans la magistrature sont majoritairement féminins. Il existe un plafond de verre qui fait que les femmes n'accèdent pas aux fonctions de chef de juridiction. Le CSM déclare être vigilant sur ce sujet mais il reste des progrès à accomplir en la matière.

J'en viens aux questions de M. le président concernant les sources du droit et la place respective du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire dans l'élaboration du droit. La crainte d'un « gouvernement des juges » est souvent évoquée, cette expression prenant même valeur d'anathème. Il me semble pour ma part qu'elle n'est pas justifiée.

Tout d'abord, le juge ne gouverne pas, il a pour mission de dire le droit. Le code civil dispose qu'il ne peut pas refuser de juger en cas d'obscurité de la loi, sous peine d'engager sa responsabilité pénale : le magistrat qui refuserait de statuer pour ce motif se rendrait coupable d'un déni de justice. Il exerce donc sa mission en disant le droit, dans le cadre des attributions que la loi lui confère.

Ensuite, l'analyse de la jurisprudence conduit aussi à prendre beaucoup de distance avec l'expression de « gouvernement des juges ». S'il arrive au juge de condamner un État pour non-respect de ses engagements internationaux en matière de réduction des gaz à effet de serre, ou encore une entreprise pour manquement à son devoir de vigilance en matière de protection des droits des salariés, il le fait en soulignant la marge d'appréciation du législateur. Il en va de même quand la Cour européenne des droits de l'homme condamne un État pour avoir porté atteinte au droit au respect de la vie privée ou au droit à la vie. C'est également une antienne très commune dans les décisions du Conseil constitutionnel, qui ne cesse de rappeler qu'il n'a pas un pouvoir d'appréciation semblable à celui du Parlement. Si l'on dépasse les premières impressions et que l'on étudie en détail le dispositif des décisions, on constate que le juge est d'une grande prudence, et très respectueux des attributions du législateur. Pour dépayser le débat, on peut constater ce phénomène par exemple dans l'arrêt du juge constitutionnel allemand par lequel il annule une partie de la loi fédérale pour le climat.

Parallèlement, le législateur – ou le constituant – peut modifier une décision de justice qui lui semblerait contraire à l'intérêt général. Ainsi, après le débat qu'avait suscité l'arrêt Perruche de la Cour de cassation sur l'existence d'un « préjudice de vie » indemnisable, le législateur avait modifié le code de la santé publique pour interdire de tels fondements d'indemnisation.

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Je suspends la réunion, le temps de vous raccompagner. Nous entendrons ensuite Mme la rapporteure, avant de procéder au vote.

La réunion, suspendue à dix heures trente, reprend à dix heures cinquante.

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Les réponses apportées par Mme Roman ne m'ont pas fait changer d'avis. Tout d'abord, elle a indiqué qu'elle choisirait ses cours en fonction de ses créneaux disponibles : cela me paraît irréaliste, et je maintiens qu'elle ferait ainsi supporter à d'autres la charge de son organisation. Pour répondre à Mme Garrido, j'ai, à titre personnel, fait le choix inverse : étant tout à la fois députée et avocate, j'ai considérablement diminué mon activité professionnelle depuis que je suis élue afin de ne pas imposer cette charge à d'autres. En outre, Mme Roman n'a donné aucune indication concernant son activité de recherche, qui occupe pourtant une place importante dans son travail.

Par ailleurs, les devoirs de neutralité et d'impartialité auxquels sont soumis les magistrats s'imposent d'autant plus aux personnalités qualifiées qui siègent au CSM, qui ont vocation à les juger. Ce n'est pas une critique contre Mme Roman, dont je salue le parcours. Je partage d'ailleurs beaucoup de ses points de vue, mais mes opinions et mon militantisme ne regardent que moi. Pour sa part, son activité militante en faveur de certaines causes est parfaitement publique et je ne vois pas comment Mme Roman pourrait avoir la neutralité et l'impartialité nécessaires.

Au regard de ces éléments, je donne un avis défavorable à cette nomination.

Délibérant à huis clos, la commission se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l'article 29-1 du règlement, sur cette proposition de nomination.

Les résultats du scrutin ont été annoncés, à la fin de la réunion, à 12 heures 50 :

Nombre de votants : 46

Blancs, nuls, abstentions : 13

Suffrages exprimés : 33

Avis favorables : 15

Avis défavorables : 18

En conséquence, la Commission n'a pas émis un avis défavorable à la nomination de Mme Diane Roman.

Puis, la Commission auditionne M. Loïc Cadiet, dont la nomination est proposée par la Présidente de l'Assemblée nationale en qualité de membre du Conseil supérieur de la magistrature (Mme Pascale Bordes, rapporteure).

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Nous en venons à l'audition de M. Loïc Cadiet, dont la nomination en tant que membre du Conseil supérieur de la magistrature a été proposée par la présidente de l'Assemblée nationale.

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Monsieur Cadiet, la présidente de l'Assemblée nationale a proposé votre nom pour siéger en tant que personnalité qualifiée au sein du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Je ne reviens pas sur le rôle de cette institution, que vous connaissez parfaitement. L'indépendance des membres du CSM, appelés à nommer les magistrats de l'ordre judiciaire, voire à les juger, implique un certain nombre d'obligations de comportement visées par la loi organique du 5 février 1994 : « Les membres du Conseil supérieur exercent leur mission dans le respect des exigences d'indépendance, d'impartialité, d'intégrité et de dignité et veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflit d'intérêts ».

Notre commission vous reçoit aujourd'hui afin d'apprécier en conscience l'opportunité de votre nomination au CSM.

Je souhaite en préambule revenir sur votre parcours professionnel. Vous êtes détenteur d'un certificat d'aptitude à la profession d'avocat, obtenu à Angers en 1978, d'un doctorat d'État en droit, ainsi que de l'agrégation de droit privé et sciences criminelles. Vous avez commencé votre carrière à la faculté de droit d'Angers et, après être passé par Rennes puis par Nantes, vous êtes aujourd'hui professeur à l'École de droit de la Sorbonne de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre honoraire de l'Institut universitaire de France et président honoraire de l'Association internationale de droit processuel.

Parmi les nombreuses commissions auxquelles vous avez participé, vous avez, en 2021, coprésidé une mission sur la diffusion des données décisionnelles et la jurisprudence, confiée par la première présidente de la Cour de cassation. Dans votre rapport, remis en 2022, vous préconisez de favoriser la hiérarchisation des décisions des juridictions mises à disposition du public, afin de valoriser les décisions rendues par la Cour de cassation.

Vous êtes coauteur de divers ouvrages relatifs au procès, à la justice, à la médiation, à l'arbitrage, au droit des contrats et à la responsabilité civile. Vous avez, par ailleurs, conçu et dirigé la rédaction d'un dictionnaire de la justice.

Vous avez également assumé un certain nombre de missions institutionnelles et avez présidé le conseil scientifique de la mission de recherche Droit et Justice entre 2015 et 2019. Vous êtes également membre du conseil scientifique de l'École nationale de la magistrature. Vous avez été missionné par Jean-Jacques Urvoas, alors Garde des sceaux, pour présider une mission d'étude et de préfiguration sur l'ouverture au public des décisions de justice. Vous avez été secrétaire général exécutif de l'Association internationale de droit processuel. C'est dire si la matière judiciaire vous intéresse.

Avant de vous laisser la parole, je souhaite vous remercier pour les réponses écrites que vous nous avez fait parvenir lundi, ainsi que pour celles que vous nous apporterez dans le cadre de votre audition.

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Loïc Cadiet

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, c'est un honneur pour moi de me présenter devant vous afin que vous puissiez vous prononcer sur la proposition faite par Mme la présidente de l'Assemblée nationale de me nommer au Conseil supérieur de la magistrature en qualité de personnalité qualifiée.

Je ne vous cacherai pas le sentiment d'humilité et de gravité que j'en éprouve, car j'ai bien conscience qu'il s'agit de veiller à ce que soient réunies les conditions permettant à l'autorité judiciaire d'assurer sa mission de rendre exemplairement la justice au nom du peuple français, dont vous êtes les représentants naturels. J'ajouterai que les auditoires universitaires ou professionnels me sont plus familiers que les assemblées parlementaires comme celle-ci, qui est assez intimidante.

Cette proposition de me désigner n'allait pas de soi. Bien que juriste, je n'appartiens pas au monde judiciaire. J'en ai été le premier surpris – et ce n'est pas rhétorique. Je conçois donc que vous puissiez vous interroger sur la qualification particulière qui justifierait ma désignation comme membre du Conseil supérieur de la magistrature. Celle-ci est sans doute à chercher du côté du rapport que j'entretiens, depuis un certain temps déjà, avec notre système de justice. Si je suis en effet extérieur à ce système, celui-ci ne m'est pas complètement étranger.

Ce rapport tient surtout à mon cursus académique et à mon parcours professionnel, que vous avez rappelés, madame la rapporteure. Je ne reviendrai donc pas sur ces éléments, sauf pour indiquer que mes enseignements ont précisément porté sur le droit judiciaire privé, les modes alternatifs de règlement des conflits, la théorie générale du procès, les systèmes judiciaires et ce que j'appelle le droit institutionnel de la justice. Cette expression peut vous sembler un peu curieuse, car cette matière n'est pas connue des programmes ordinaires d'enseignement des facultés de droit. Je la définis comme l'ensemble des règles et des pratiques juridiques relatives à la justice en tant qu'institution, ce qui va bien au-delà, dans mon esprit, de l'enseignement traditionnel des institutions judiciaires ou juridictionnelles.

Cet enseignement traditionnel se limite en effet à la manière dont les juridictions sont respectivement instituées, implantées, composées, et à l'exposé de leurs compétences spécifiques, c'est-à-dire de leur objet propre. En revanche, absolument rien n'est dit sur la façon dont ces juridictions sont administrées. L'administration de la justice est la grande absente de l'enseignement des facultés de droit, négligée à la fois par l'enseignement des institutions judiciaires, parce qu'il s'agit d'administration, mais aussi par l'enseignement du droit administratif, parce qu'il s'agit de la justice. C'est une sorte de boîte noire, de face cachée.

Or, la justice est aussi une administration : une administration à part entière, que son objet particulier conduit seulement à traiter à part. En effet, le service public de la justice est une administration au soutien de l'activité juridictionnelle, qui est une fonction étatique, constitutionnellement réglée, au titre de l'autorité judiciaire.

En quoi mon parcours me sera-t-il utile pour l'accomplissement des missions dévolues aux personnalités qualifiées membres du CSM ?

D'un point de vue administratif, d'abord, si je n'ai jamais été président d'université, ni même doyen de faculté, par choix personnel, j'ai toutefois exercé quelques fonctions administratives en lien direct avec les questions de recrutement, d'évaluation des compétences, de gestion des carrières et de déontologie.

Ce fut le cas en tant que directeur d'équipes de recherche, associées ou non au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), mais surtout comme président de la section de droit privé de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, puis comme membre du Conseil national des universités et du comité national du CNRS. J'ai également présidé le conseil scientifique de la mission de recherche Droit et justice, qui est récemment devenue l'Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice. Enfin, j'ai participé à des jurys du concours d'agrégation des facultés de droit, deux fois comme membre, en 1990-1991 et 2004-2005 et, plus récemment, en 2020-2021, en qualité de président. Dans ces différentes fonctions, j'ai accompli, toutes proportions gardées bien sûr, des missions comparables à celles qui sont dévolues aux membres du Conseil supérieur de la magistrature.

Deux principes ont toujours guidé mon action : d'une part, le choix de la bonne personne en considération de ses seuls mérites, compétences, capacités et dévouement au service de l'intérêt général ; d'autre part, le respect strict des règles déontologiques dans l'exercice des missions d'enseignement et de recherche universitaire, ce qui m'a par exemple conduit, comme président du conseil scientifique de la mission de recherche Droit et justice, à œuvrer immédiatement à l'élaboration d'une charte de déontologie destinée aux membres du conseil scientifique comme aux chercheurs qui soumettaient des projets, ou encore, comme président du jury de l'agrégation de droit privé, à définir pour les membres du jury des règles de déport et d'abstention allant au-delà de ce qu'imposent les textes applicables.

Mais il me semble que c'est surtout sur le terrain académique que mon parcours est susceptible de présenter quelque intérêt. J'ai consacré mon activité d'enseignement, de recherche, de publication et d'expertise à l'étude des questions de justice, dans l'ordre interne aussi bien que dans une perspective internationale. Mes travaux, depuis plus de trente ans, m'ont permis d'observer les mutations à l'œuvre dans les systèmes de justice, singulièrement en France. Trois phénomènes, qui impactent directement l'activité des magistrats, me semblent particulièrement notables : la montée en puissance des questions d'administration de la justice, longtemps restées « sous les radars » de la doctrine universitaire ; le développement des techniques contractuelles, pas seulement dans la solution des litiges, mais aussi dans la gestion des procédures ; l'émergence, enfin, des nouvelles technologies numériques, depuis la simple communication par voie électronique jusqu'à l'open data des décisions de justice et aux différents systèmes algorithmiques d'aide ou de substitut à la décision qui peuvent en résulter.

Au-delà du travail universitaire classique sur les dispositifs normatifs, leur application jurisprudentielle et leur interprétation doctrinale, ma participation à différentes missions d'expertise publique, voire de préfiguration législative ou réglementaire, m'a donné l'occasion plus pratique d'entrer dans le cœur de la machine judiciaire, en relation avec ses acteurs.

Je ne sais si cela suffit à faire de moi une personnalité qualifiée : il vous appartient d'en décider. Soyez en tout cas assurés, si vous m'accordez votre confiance, que j'aurai à cœur de m'en montrer digne en m'investissant entièrement dans cette mission, au service de l'intérêt général. Je suis à une étape de ma vie où, d'une certaine manière, l'horizon se dégage. Après quarante-huit ans de service public, dont quarante-trois dans l'enseignement supérieur, je parviens au terme de mon parcours universitaire. Je serai professeur émérite à partir du 1er mars prochain et n'aurai donc plus de service d'enseignement à assurer. Quant à mon activité de recherche et de publication, elle pourra facilement s'ajuster aux exigences prioritaires d'une participation au Conseil supérieur de la magistrature.

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Vous indiquez dans le questionnaire, certes sous forme de boutade, qu'il faudrait que le ministère de la justice soit davantage celui des moyens et moins celui des réformes. Vous écrivez un peu plus loin : « je crois que les professionnels de la justice sont gavés de réformes ». Je vous suis totalement sur ce point, mais je ne suis pas certaine de comprendre la suite : « Il serait bon de refermer la longue séquence réformatrice ouverte il a huit ans, à l'exception, cependant, de la procédure d'appel en matière civile qui, treize ans après sa réforme, suscite encore un contentieux beaucoup trop important. »

En tant que praticienne du droit civil, je peux témoigner du fait que les réformes qui se sont succédé ces dernières années nous ont tous conduits au bord du suicide. Pouvez-vous préciser ce que vous avez voulu dire au sujet de la procédure d'appel ? Souhaitez-vous qu'elle fasse l'objet d'une nouvelle révision ou, au contraire, que l'on mette un coup d'arrêt aux multiples réformes dévastatrices qui ont touché la procédure civile ?

Deuxième question : vous êtes favorable à ce que le CSM se prononce sur tout projet ou proposition de loi susceptible d'avoir un impact sur le fonctionnement des juridictions ou l'indépendance de l'autorité judiciaire. Comment cet avis du CSM pourrait-il s'articuler avec l'examen des textes au Parlement ? Quand interviendrait-il ?

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Je vous poserai les mêmes questions qu'à Mme Diane Roman, que nous avons auditionnée avant vous.

Que pensez de la manière dont s'applique la séparation des pouvoirs ? Vous semble-t-il normal que le législateur s'exprime régulièrement sur la qualité des jugements rendus par les magistrats ou sur l'autorité qui leur est conférée et la manière dont ils l'exercent, ou, à l'inverse, que les magistrats donnent leur appréciation sur le travail parlementaire, y compris en cours d'élaboration ?

Par ailleurs, que pensez-vous du fait que le magistrat soit une source créatrice de droit ? Chargé de contrôler la conventionalité des traités, il peut lui arriver de transposer certaines de leurs dispositions, y compris non contraignantes, en droit interne. Que pensez-vous de cet office du juge ?

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Il y a quelques jours, le CSM a sanctionné un magistrat dont les expressions publiques sur les réseaux sociaux avaient pu faire naître un doute quant à sa neutralité. Selon vous, un magistrat peut-il s'exprimer sur les réseaux sociaux ?

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Nous sommes tous soucieux de ne pas alourdir la charge de travail des magistrats, mais je ne peux pas laisser dire qu'on ne peut plus envisager aucune réforme : certaines réformes sont nécessaires pour adapter notre justice à la société.

À ce propos, vous avez réalisé, avec Jean-Jacques Urvoas, une mission sur la question essentielle de l'ouverture au public des décisions de justice. Quelles suites y ont-elles été données ?

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Je me suis intéressé à l'administration de la justice sous la précédente législature, en tant que président de la commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire. Selon vous, quel impact l'organisation de la justice a-t-elle sur les décisions juridictionnelles ? Avez-vous réfléchi à la manière de faire évoluer l'administration du Conseil supérieur de la magistrature lui-même ?

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Loïc Cadiet

Madame la rapporteure, je pense qu'il faut revoir le parcours entre la première instance et la Cour de cassation. Pour cela, il faut d'abord tout mettre à plat et prendre le temps de chercher la bonne solution. Mais il faut sortir de cet enfer que constitue la procédure d'appel, avec ses délais couperets dont souffrent terriblement, depuis plus de dix ans, les avocats comme les magistrats.

N'étant pas un expert de la procédure parlementaire, je n'ai pas réfléchi précisément à la manière dont l'avis du CSM pourrait s'articuler avec l'examen des textes. Il faut trouver le moment où il pourra le plus enrichir la réflexion parlementaire.

Monsieur le président, la séparation des pouvoirs est une question terrible. Elle est au cœur de notre pacte national, et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen le rappelle : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ».

On ne conçoit pas la séparation des pouvoirs de la même manière en France, où elle a d'ailleurs évolué depuis la Révolution française, qu'aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Pour ma part – et je m'exprime davantage comme citoyen que comme professeur de droit – j'ai le souci d'une séparation équilibrée des pouvoirs. Je crois que dans une démocratie adulte, apaisée, débarrassée des séquelles monarchiques, il faut que les trois entités – qu'on les appelle « pouvoirs » ou non – que sont l'exécutif, le législatif et le judiciaire, œuvrent ensemble au bien commun. Cela suppose que chacune de ces entités exerce pleinement la totalité de ses missions et qu'il règne entre elles un respect mutuel. Je ne vois donc pas d'un bon œil les commentaires intempestifs que les uns peuvent faire sur les autres.

L'article 55 de la Constitution est ce qu'il est. Les traités internationaux ont une force supérieure aux lois internes, et le juge est tenu d'appliquer les normes dans le respect de leur hiérarchie. Mais je ne pense pas que le pouvoir créateur du juge soit né de cet article : il remonte bien plus loin. Il est vrai que Napoléon a voulu enfermer le droit dans la loi et la loi dans les codes ; le Tribunal de cassation a été érigé en cerbère pour éviter que ne se développe une jurisprudence dont Robespierre ne voulait plus entendre parler. Cela étant, l'histoire du droit montre que, depuis le début du XIXe siècle, la jurisprudence a toujours existé et fait œuvre créatrice, tout simplement parce qu'il est fait obligation au juge, par l'article 5 du code civil, de statuer, y compris dans le silence, l'insuffisance ou l'obscurité de la loi. De grandes théories jurisprudentielles ont pu, de cette manière, être élaborées depuis le XIXe siècle. Le pouvoir créateur du juge existe donc, mais c'est un pouvoir second, car le législateur a toujours la possibilité de revenir sur une jurisprudence qu'il estimerait injustifiée.

Madame Lelouis, je crois qu'en toutes circonstances le magistrat doit faire preuve de prudence, de discernement et de réserve. La plupart des juridictions supérieures et internationales ont des comptes sur les réseaux sociaux et cela peut être utile pour faire passer une communication de type institutionnel. J'estime en revanche que les réseaux sociaux ne doivent en aucun cas être utilisés par un magistrat pour exprimer une opinion qui serait susceptible de jeter un doute sur les qualités que l'on attend de lui, dont l'indépendance, l'impartialité et la neutralité. Vous aurez compris que je ne suis pas les réseaux sociaux et que je ne les aime pas beaucoup.

Madame Untermaier, la publication du décret a pris deux ans, mais il y a désormais, dans le code de l'organisation judiciaire comme dans le code de justice administrative, des dispositions qui assurent l'ouverture des données relatives aux décisions de justice. Le processus d'ouverture de l'accès aux données (open data) est entré dans sa phase active, aussi bien pour la juridiction administrative que pour la juridiction judiciaire. Les arrêts de la Cour de cassation, qui étaient déjà largement accessibles, sont désormais en libre accès; depuis le mois d'avril dernier, les arrêts des cours d'appel le sont également ; et, d'ici 2025, les jugements des juridictions de première instance vont progressivement alimenter le fonds de données ouvertes. C'est un défi considérable. Un effort de classification sera nécessaire pour extraire du magma informe que constituent ces 2 millions de décisions celles, vraiment importantes, qui pourront servir de modèle – bref, pour séparer la jurisprudence de l'ensemble du contentieux.

Monsieur Bernalicis, je n'ai pas réfléchi spécifiquement à l'administration du Conseil supérieur de la magistrature. Il y a trois ans, lorsqu'il s'est agi de faire entrer l'épithète « public » dans le code de l'organisation judiciaire, un grand débat a eu lieu : fallait-il parler de « service public de la justice » ou de « service de la justice » ? Ce débat en dit long sur l'inquiétude qui se manifeste quand on essaie de dire que la justice ne se réduit pas aux procédures juridictionnelles et aux décisions de justice. C'est pourtant une réalité : ces procédures et ces décisions n'existeraient pas sans les processus administratifs qui en permettent la réalisation. Immobilier, équipement, ressources humaines, gestion des fluides : la justice a tout ce qui fait une administration.

Les questions qu'il faut se poser sont les suivantes : qui doit administrer, et comment ? L'objectif, c'est que l'administration de la justice soutienne l'autorité judiciaire et qu'elle permette aux magistrats d'exercer leur mission dans l'intérêt général. Cette mission, c'est d'assurer le respect des lois et surtout d'œuvrer à la paix sociale et civique – à ce que Paul Ricœur appelait la « finalité longue » du jugement, à savoir la prise de conscience, par chacun des protagonistes, que l'autre appartient à la même société que lui.

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J'aimerais vous entendre sur deux spécificités du monde judiciaire français : le parquet, et la Cour de justice de la République. Sur ces deux sujets, notamment sur l'indépendance du parquet, dont il a peu été question au cours des États généraux de la justice, avez-vous des idées pour faire avancer les choses, à droit constitutionnel constant ?

S'agissant du parquet, on sait très bien comment fonctionne la vision hiérarchique descendante, mais on voit un peu moins bien comment fonctionne la vision hiérarchique ascendante, notamment les signalements. Avec Ugo Bernalicis, nous nous sommes beaucoup intéressés à cette question dans le cadre de la commission d'enquête sur l'indépendance de la justice. Voyez-vous un moyen de rendre le dispositif plus efficace, en termes d'indépendance et de transparence ?

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Loïc Cadiet

Sur la Cour de justice de la République, je n'ai pas d'opinion particulière. Je constate que la suppression en est demandée depuis longtemps et qu'elle avait été envisagée par un certain nombre de projets de révision constitutionnelle. Mais, si on la supprime, par quoi la remplacer ? J'avoue ne pas avoir de réponse. Il y a, malgré tout, une spécificité qui s'attache à la prise de décision publique. Il faut sans doute prendre des précautions particulières, pas forcément en termes de juridiction compétente, mais au moins de procédure applicable.

Sur le parquet non plus, je crains de ne pas avoir d'idée très originale à vous soumettre. Tant de choses ont déjà été dites sur le sujet ! Il est vrai que le rapport issu des États généraux de la justice est assez pauvre sur ce point. Mais il me semble que, dès lors que l'on adopte, pour le ministère public, le modèle du magistrat – plutôt que celui du fonctionnaire par exemple, ou de la partie privée poursuivante – il faut bien que le ministère public bénéficie des garanties dont bénéficie tout magistrat.

Cela étant, les magistrats du parquet ne sont pas dans la même position que les magistrats du siège, dans la mesure où ils appliquent une politique pénale, définie et conduite par le Gouvernement. Chaque année, en vertu de l'article 30 du code de procédure pénale, le ministre de la justice fait un rapport sur l'application de la politique pénale, qui est transmis au Parlement. Compte tenu de ces spécificités, le statut des magistrats du parquet ne peut pas être purement et simplement aligné sur celui des magistrats du siège.

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Monsieur Cadiet, je vous remercie. Je vais vous raccompagner avant que Mme la rapporteure nous donne son avis sur votre nomination.

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Les qualités universitaires et professionnelles de M. Cadiet sont identiques à celles de la candidate précédente. Je donnerai un avis favorable à sa nomination, d'abord parce que, à la différence de Mme Roman, il est entièrement disponible et pourra consacrer tout son temps à sa mission au sein du CSM, ce qui n'est pas rien, et ensuite parce qu'il affiche une grande neutralité, ce qui me semble être un préalable indispensable pour exercer ce type de fonction.

Délibérant à huis clos, la commission se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l'article 29-1 du règlement, sur cette proposition de nomination.

Les résultats du scrutin ont été annoncés, à la fin de la réunion, à 12 heures 50 :

Nombre de votants : 40

Blancs, nuls, abstentions : 5

Suffrages exprimés : 35

Avis favorables : 34

Avis défavorables : 1

En conséquence, la Commission a émis un avis favorable à la nomination de M. Loïc Cadiet.

Puis, la Commission auditionne M. Christophe Pallez, dont la nomination est proposée par la Présidente de l'Assemblée nationale en qualité de membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (M. Ian Boucard, rapporteur).

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Nous procédons maintenant à l'audition de M. Christophe Pallez, dont la nomination est proposée en tant que membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique par la présidente de l'Assemblée nationale, en remplacement de M. Daniel Hochedez.

Vous n'êtes pas dépaysé, monsieur Pallez, puisque vous avez exercé à l'Assemblée nationale pendant plus de quarante ans, dernièrement en qualité de secrétaire général de la Questure puis, jusqu'au mois de décembre dernier, de déontologue.

C'est M. Ian Boucard, du groupe Les Républicains, qui sera le rapporteur pour cette nomination. Il vous a adressé un questionnaire, dont les réponses ont été envoyées aux membres de la commission et mises en ligne sur le site de l'Assemblée nationale.

L'article 19 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique prévoit que le candidat doit réunir une majorité positive des trois cinquièmes des suffrages – une procédure qui se distingue des deux précédentes.

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Nous sommes donc réunis ce matin pour donner notre avis, en application de l'article 29-1 de notre règlement, sur la proposition de nomination de M. Christophe Pallez en tant que membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), faite par la présidente de l'Assemblée nationale.

Notre Assemblée est désormais familière de cette institution créée par la loi du 11 octobre 2013, familiarité d'ailleurs réciproque, puisque la Haute Autorité connaît presque tout de nous : nos intérêts, notre patrimoine ou les actions de lobbying dont nous faisons l'objet. Je dis cela avec bienveillance car, après bientôt dix années d'existence, la HATVP a grandement contribué à l'amélioration de la transparence que les élus de la nation doivent aux citoyens. Nous oublions parfois ce qu'il en était auparavant et il importe de rappeler à nos concitoyens les efforts immenses qui sont menés pour lutter contre la corruption et les conflits d'intérêts dans notre pays.

Preuve de la confiance qu'il accorde à la HATVP et de l'importance qu'il donne aux questions de déontologie, le législateur a élargi les compétences de cette institution. D'abord, à l'occasion de la loi du 9 décembre 2016, dite loi Sapin 2, il a confié à la HATVP la mission de contrôler les représentants d'intérêts. Puis, la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 a dissous, au sein de la Haute Autorité, la commission de déontologie de la fonction publique. La HATVP assure donc désormais le contrôle des mobilités entrantes et sortantes des hauts fonctionnaires, ce qui est essentiel pour éviter les conflits d'intérêt ou délits d'initiés. Dans la foulée, le collège de la HATVP est passé de neuf à treize membres, ce qui reste finalement assez peu compte tenu du nombre de cas à traiter. Enfin, depuis le 1er juillet 2022, la Haute Autorité contrôle également les représentants d'intérêts qui exercent leur activité auprès des collectivités de plus de 100 000 habitants. La HATVP est donc au cœur du débat public, notamment lorsqu'elle signale des situations de conflits d'intérêts ou qu'elle s'oppose à la reconversion de tel ou tel ministre.

Il est régulièrement question d'étendre ses missions, et nos collègues sénateurs ont d'ailleurs récemment adopté une proposition de loi pour que la Haute Autorité puisse contrôler le recours aux cabinets de conseil. Le groupe majoritaire pourra d'ailleurs peut-être nous éclairer sur les suites qui seront données à cette initiative, qu'à titre personnel je juge excellente. En un mot, la responsabilité de cette autorité est immense et il est de notre devoir de nous assurer que les membres de son collège sont à la hauteur.

Monsieur Pallez, votre parcours semble vous destiner à la fonction que la présidente de l'Assemblée nationale souhaite vous confier.

D'abord, vous êtes un fin juriste. Diplômé de Sciences Po Paris et titulaire d'un master en droit public, vous avez longtemps été administrateur à la commission des lois de l'Assemblée nationale et vous êtes devenu plus tard directeur général de ses services législatifs.

Ensuite, vous êtes un très bon connaisseur de nos institutions. Votre carrière à l'Assemblée vous a mené à la fonction de secrétaire général de la Questure de 2014 à 2020. Le rôle et les nombreuses contraintes du métier d'élu vous sont familiers, ce qui est essentiel pour le poste envisagé. Vous connaissez également l'organisation des autorités administratives indépendantes, puisque vous avez été secrétaire général de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) de 2002 à 2006.

Enfin, vous avez une grande expérience des questions de déontologie. Depuis le 1er janvier 2021, vous avez en effet exercé les fonctions de déontologue de l'Assemblée nationale. Cette mission vous a amené à connaître de nombreuses situations, à conseiller les élus que nous sommes – car les règles applicables ne sont pas toujours évidentes à appréhender – et à vous intéresser à des enjeux que vous retrouverez au sein de la HATVP, comme la question de plus en plus prégnante des représentants d'intérêts. Vos rapports annuels, d'une grande précision, montrent que vous avez réfléchi à la place de la déontologie dans nos institutions, ce qui sera précieux pour la HATVP.

Je conclus ce portrait en rappelant que vous serez amené à remplacer l'un de vos anciens collègues, M. Daniel Hochedez, que je remercie au nom de notre commission pour son investissement auprès de la Haute Autorité. Il me paraît heureux que les fonctionnaires de notre institution, dont les missions appellent une grande neutralité et une bonne connaissance du travail des élus, soient présents au sein de la Haute Autorité.

En tant que rapporteur, je vous ai adressé un certain nombre de questions portant sur votre personnalité et sur votre vision du rôle de la HATVP dans notre organisation institutionnelle. Je vous remercie d'y avoir répondu de manière détaillée, dans des délais très brefs.

La Haute Autorité réalise finalement assez peu de signalements compte tenu du nombre de dossiers traités. Selon vous, est-ce la preuve de son efficacité et du caractère préventif de son travail, ou cela s'explique-t-il par un manque de moyens pour contrôler les élus, les fonctionnaires ou les représentants d'intérêts ?

Au terme de votre longue expérience au sein du Parlement, avez-vous le sentiment que le rapport des élus avec la déontologie a changé ? Quels progrès reste-t-il à réaliser pour améliorer la transparence ?

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Christophe Pallez

Je vous remercie pour les appréciations que vous avez portées sur mon parcours. Je remercie également les commissaires pour leur présence et Mme la présidente de l'Assemblée nationale pour sa proposition de nomination.

Cette audition, en effet, a pour moi une saveur toute particulière, puisqu'il y a plus de trente ans, j'ai été affecté à la commission des lois en tant qu'administrateur. J'y ai passé de très belles années, en travaillant notamment sur les questions de sécurité et le droit de l'informatique. Mais je n'aurais pas imaginé y être entendu un jour !

Pendant de nombreuses années, j'ai en effet travaillé aux côtés des députés, à la commission des lois, mais aussi en tant que chef de secrétariat de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. J'ai ensuite été mis à la disposition de la Cnil pour y assurer la fonction de secrétaire général. Cette mobilité s'est révélée très fructueuse, car elle m'a permis de découvrir le fonctionnement d'une autorité administrative indépendante, dont le collège a une composition semblable à celui de la HATVP, à l'exception notable de l'absence de parlementaires. J'ai été particulièrement sensibilisé à la question des sanctions qu'une autorité indépendante peut prendre – ce n'est certes pas l'alpha et l'oméga de son travail, mais c'est un attribut important – car j'ai été appelé à appliquer administrativement la loi de 2004 modifiant la loi informatique et libertés et dotant la Cnil d'un pouvoir de sanction.

Lorsque je suis revenu à l'Assemblée nationale, j'ai repris ma carrière « législative » comme chef du secrétariat de la tentaculaire commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'époque, puis j'ai été directeur de la bibliothèque et, ensuite, du service de la séance. À partir de 2013, ma carrière a pris un tour un peu différent, puisque j'ai quitté le versant législatif de l'administration parlementaire pour rejoindre celui de l'« intendance », au sens gaullien du terme, celui des services dits administratifs, dont j'ai d'abord été directeur général avant d'être, pendant six ans, secrétaire général de la Questure. Je salue à ce propos le questeur Éric Ciotti, avec qui j'ai travaillé étroitement.

Chaque semaine, j'ai présenté aux questeurs les dossiers soumis à leurs décisions, qui sont d'une grande variété puisqu'ils vont de l'attribution d'un marché de plusieurs millions d'euros à la fixation des horaires de la buvette parlementaire. Cette fonction, passionnante, embrasse tous les domaines de la gestion de ce que j'ose appeler « notre belle maison » : budgets, bâtiments, régime social, informatique, ressources humaines, logistique… La mission fondamentale des questeurs et des services qui les assistent consiste à mettre à la disposition des députés les moyens matériels leur permettant d'exercer leur mandat dans de bonnes conditions. Comment, dans quelles limites et pour quels usages ? Ces questions relèvent certes de la gestion financière et de l'organisation administrative, mais aussi de la déontologie, car il importe de s'assurer que ces moyens servent exclusivement le mandat parlementaire.

La création, en 2017, de l'avance de frais de mandat (AFM), en remplacement de l'indemnité représentative de frais de mandat, a été un changement considérable, puisque les règles de son utilisation ont été précisément définies et que les dépenses ont été soumises au contrôle indépendant du déontologue. J'ai été étroitement associé à l'organisation de cet encadrement, opéré par les questeurs et le bureau de l'Assemblée nationale, de même qu'à l'installation du déontologue, qui est doté de pouvoirs de contrôle et assisté par une équipe de contrôleurs. C'est pourquoi, alors que je devais prendre ma retraite, j'ai accepté avec enthousiasme la proposition du président Richard Ferrand de devenir déontologue de l'Assemblée nationale pour achever le mandat de cinq ans que ma prédécesseure avait choisi d'interrompre pour des raisons personnelles.

Ce mandat est donc arrivé à expiration le 31 décembre dernier, en application de deux règles très sages du règlement de l'Assemblée nationale : le mandat n'est pas reconductible, et arrive à son terme six mois après le début d'une législature. J'ai pu ainsi participer à l'accueil et à l'information des nouveaux députés sur les questions déontologiques ainsi qu'à l'opération, à mes yeux très importante, de restitution du solde non utilisé de l'AFM en fin de mandat pour les députés de la XVe législature.

À la question écrite sur les enseignements que j'ai tirés de mes fonctions de déontologue, j'ai d'abord répondu avec un diagnostic général : à mon sens, les élus se sont très bien approprié les règles déontologiques ; le « réflexe déontologique », qui consiste à s'interroger avant de prendre certaines décisions, est bien ancré. Mon expérience de déontologue m'a apporté des éléments d'appréciation subjectifs et objectifs pour étayer ce constat. J'ai aussi acquis la certitude de la nécessité du contrôle, à côté du conseil et de la pédagogie.

Même si le contrôle des frais de mandat mobilise 80 % de l'équipe de fonctionnaires qui travaille aux côtés du déontologue, la part relevant du conseil n'en demeure pas moins très importante, particulièrement en ce début de législature puisqu'en six mois, j'ai répondu par courrier à 850 interrogations et eu 143 entretiens avec des députés.

Les missions du déontologue portent également sur la prévention des conflits d'intérêts, leur traitement, la surveillance des représentants d'intérêts à l'Assemblée nationale, la déclaration des emplois familiaux, la transmission des attestations fiscales en début de mandat, les imputations de harcèlement moral et sexuel concernant les députés et leurs collaborateurs, et enfin sur la déontologie des fonctionnaires et contractuels de l'Assemblée.

Comme je l'ai déjà écrit, ces dernières missions ne recouvrent pas de très nombreuses situations. Je suis intervenu rarement, mais dans des cas souvent très délicats.

Si votre commission y consent, je vois ma nomination à la Haute Autorité comme un prolongement de mes fonctions de déontologue et une manière de poursuivre une activité qui s'est révélée encore plus passionnante que je ne l'avais imaginée, même si je suis conscient des différences, sensibles, entre les deux activités, en particulier s'agissant du périmètre des compétences et du caractère collégial du fonctionnement de la Haute Autorité.

J'ajoute que ma fonction de déontologue m'a permis de connaître le travail de la Haute Autorité, puisqu'il y a une forme d'articulation entre les deux organismes.

À la demande du rapporteur, je me suis permis de porter des appréciations sur certains éléments du fonctionnement de la Haute Autorité dans les grands domaines qui sont les siens : la prévention des conflits d'intérêts, la mobilité privé-public et la régulation des représentants d'intérêts. Elles reposent sur les constats que j'ai pu faire et sur ceux que la Haute Autorité, dans ses rapports, et son président Didier Migaud, dans ses interventions publiques, ont établis. J'en retiens la forte légitimité acquise par la Haute Autorité sur la question de la confiance ou plutôt, malheureusement, de la défiance que nos concitoyens éprouvent à l'endroit des responsables publics.

Pour assurer la transparence de la décision publique et garantir la probité des acteurs publics, la Haute Autorité est incontournable, même s'il reste beaucoup à faire, en particulier lorsque j'observe les ratios entre le nombre de personnes assujetties à un contrôle et le nombre ou la profondeur des contrôles. Quelques insuffisances sont notables, en raison notamment des moyens dont elle dispose.

La perspective de rejoindre une institution qui, après dix ans de fonctionnement et de transformations, a acquis une incontestable crédibilité, mais qui a encore du chemin à faire, me paraît donc exaltante.

Le signalement n'est pas le mode opératoire principal de la Haute Autorité, me semble-t-il. Des signalements sont réalisés, notamment sur des infractions formelles, mais ils sont assez inefficaces, comme la Haute Autorité le constate elle-même. Ceux qui concernent des affaires plus graves sont heureusement plus rares et constituent une « arme suprême ». Ils montrent à la fois que les infractions caractérisées sont peu nombreuses et que l'étendue des contrôles doit être encore élargie.

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Je me félicite des règles communes que nous avons adoptées en 2017 à travers les décisions prises par notre bureau et la loi pour la confiance dans la vie politique. Lorsque l'on compare la situation avec d'autres parlements, y compris le parlement européen, la France n'a pas à rougir de la manière dont elle traite les questions déontologiques, d'intérêts ou de patrimoine. Certes, nous avons réagi suite à certains scandales nationaux, mais le travail accompli est bien réel.

L'édifice que nous avons construit en la matière témoigne d'une certaine robustesse. Avez-vous le sentiment que nous soyons parvenus à un équilibre normatif ? Estimez-vous que certaines dispositions doivent être renforcées ? Que pensez-vous de la « fuite en avant » qui s'observe en matière de transparence ? Par exemple, les députés ont mis un terme à leur système de retraite depuis novembre 2017, mais qui le sait ? Il ne leur en a guère été donné crédit. Qui sait que nos dépenses d'AFM sont aussi étroitement contrôlées ? Qui connaît nos obligations sur la question des intérêts ou en matière de déport, notamment eu égard à nos fonctions précédentes ? Plus directement, est-on à la limite législative et réglementaire en termes de transparence et, si tel n'est pas le cas, quelles pourraient être les évolutions ?

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Nous avons été très attentifs aux documents qui nous ont été transmis à l'occasion de votre audition. Votre parcours témoigne de votre engagement au service de cette belle maison qu'est l'Assemblée nationale. Lorsque vous étiez déontologue, vous avez eu connaissance de nombreux dossiers. En 2021, la Haute Autorité a, quant à elle, traité 642 sollicitations de parlementaires et de membres du personnel de l'Assemblée nationale ; elle a procédé à 114 entretiens individuels et contrôlé 218 députés.

Si, comme vous le précisez, l'expérience de déontologue serait utile à votre nouvelle mission, elle soulèverait néanmoins aussi un problème. En effet, dans vos précédentes fonctions, vous avez eu nécessairement connaissance d'éléments confidentiels concernant certains députés. Pour nous rassurer sur l'exigence d'impartialité, vous indiquez que vous vous déporteriez de tout dossier impliquant un député en exercice pendant les trois dernières années. Quelles garanties les députés auraient-ils sur un tel déport et sur votre impartialité ? Cette nomination ne serait-elle pas de nature à faire peser un doute sur cette impartialité et sur votre indépendance au sein de l'institution ?

Parmi les points dont vous souhaitez le renforcement, vous ciblez précisément la probité, jusqu'à vouloir renommer l'institution en « Haute Autorité pour la probité ». Votre nomination est-elle conforme à votre vision d'une haute exigence en matière d'impartialité ?

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La HATPV, monsieur le rapporteur, ne connaît pas « presque tout » de la vie publique et de la vie privée des hommes politiques, mais absolument tout ! Le nombre de contentieux est relativement faible, mais cela ne suffit pas à effacer la défiance que la population nourrit envers eux. Comment et pourquoi faire plus ?

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Je me réjouis de la proposition de Mme la présidente Braun-Pivet. En tant que Questeur et pour avoir travaillé avec M. Pallez lorsqu'il était secrétaire général de la Questure, je peux témoigner de sa parfaite et « bienveillante » connaissance de l'institution parlementaire, ce qui me paraît important pour les fonctions qu'il sera peut-être amené à occuper. Il a servi notre institution avec rigueur, intégrité, compétence et au plus haut niveau, y compris en tant que déontologue. Sa présence au sein de la HATVP serait donc un atout.

Contrairement à ce qui vient d'être dit, je considère que les parlementaires n'auraient qu'à se réjouir de cette nomination, qui n'est pas porteuse de menaces, mais qui a le mérite de nous éloigner des caricatures dont le travail parlementaire fait trop souvent l'objet, à quoi s'ajoutent une défiance et un antiparlementarisme populistes dont les outrances polluent la vie médiatique. Cette nomination me paraît donc très opportune.

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Je m'associe aux propos qui ont été tenus, s'agissant notamment des contrôles et de la mission importante de la HATVP.

Nos concitoyens, en effet, font preuve de défiance, voire parfois d'hostilité envers les élus, en particulier les parlementaires. Ce travers de l'opinion et des médias est assez endémique et il est hélas peu probable que la seule communication de la Haute Autorité suffise à le faire disparaître. Ses travaux, néanmoins, devraient contribuer à une appréhension plus exacte de la façon dont les élus accomplissent leur mandat.

Ne serait-il pas nécessaire de doter cette institution de moyens supplémentaires, tout en sachant que les contraintes budgétaires rendent difficiles une telle augmentation ? Est-il possible de mieux assurer la convergence entre le champ de compétences actuel ou futur de la Haute Autorité et les moyens financiers qui doivent lui être alloués ?

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L'influence des cabinets privés sur les politiques publiques est régulièrement dénoncée et l'argent public engagé atteint des montants exorbitants. Ne serait-ce pas un nouveau champ d'investigation pour la HATVP ?

La probité des élus est aujourd'hui bien meilleure que ce qu'elle fut. La culture de l'intégrité progresse, mais je ne suis pas sûr que nos concitoyens le perçoivent, tant s'en faut – leur mémoire est parfois curieusement défaillante. Ainsi, nous avons beau le dire et le répéter, ils ignorent que notre régime spécial de retraite a été supprimé. La HATVP ne pourrait-elle évaluer sur le long terme les progrès réalisés en la matière, éditer une sorte de baromètre, au-delà d'un simple rapport annuel un peu confidentiel, qui mériterait d'ailleurs une communication plus offensive ?

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Inquiète de ne pas commettre d'erreur en tant que nouvelle députée, j'ai pu mesurer votre bienveillance, monsieur Pallez, lors d'un rendez-vous que j'avais sollicité.

Mais justement, si les parlementaires sont bien accompagnés, notamment par leur groupe politique, les élus locaux ne connaissent pas toujours leurs obligations en matière de transparence et craignent de commettre des erreurs. Des oublis, des ignorances peuvent contribuer à nourrir des défiances. Selon son contrat de mariage, on ne déclare pas les mêmes choses… Un accompagnement est-il envisageable ?

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Christophe Pallez

J'en conviens, monsieur le président, la fuite en avant en matière de transparence est préoccupante. Je garde de mon passage à la Cnil un attachement au droit à une certaine opacité. La transparence a des limites. L'équilibre actuel me semble satisfaisant. Il faut assurer l'effectivité de ce qui est prévu avant de vouloir imposer de nouvelles normes en matière de transparence.

Je ne pense pas nécessaire de doter la HATVP d'attributions supplémentaires. Il existe des points à corriger dans la législation, la Haute Autorité les souligne dans ses rapports : ainsi certaines catégories d'élus, telles que les maires d'arrondissement, devraient-elles être soumises au régime de la déclaration. Une grande réforme ne me semble néanmoins pas s'imposer. Il faut certes améliorer l'effectivité de la loi, mais aussi convaincre que le système fonctionne, que les élus font l'objet d'un contrôle étroit et sont assez exemplaires en comparaison d'autres pays.

En ce qui concerne le conflit d'intérêts dont je pourrais être l'objet, les choses sont très claires : le déport serait obligatoire sur les dossiers des députés en exercice ou qui l'étaient dans les trois années précédant mon éventuelle désignation. Cela relève de l'initiative du membre du collège concerné, mais d'après les informations dont je dispose, la Haute Autorité est très attentive à être exemplaire dans ce domaine.

Mais si je dois éviter les dossiers des parlementaires, peut-être peut-on s'interroger sur l'utilité de mes connaissances pour la Haute Autorité ? Celle-ci a toutefois à connaître non seulement des dossiers individuels des parlementaires, mais aussi des relations avec le Parlement et les élus, domaine dans lequel j'espère pouvoir faire valoir mon expérience.

Monsieur Pont, il est vrai que la Haute Autorité dispose de très nombreuses informations sur les députés. Toutefois, je l'ai dit, la transparence a ses limites. J'ai eu à réfléchir sur la publication des frais de mandat que certains réclament : je n'en vois pas la nécessité. Le contrôle institué au sein de l'Assemblée nationale constitue, à mes yeux, une garantie suffisante.

Je partage le constat de la méfiance à l'égard des élus. Les efforts de communication de la HATVP, pourtant importants, ne suffiront jamais à la dissiper. J'ai été frappé par la déclaration récente de la présidente du Parlement européen, selon laquelle en une journée avaient été ruinés dix ans de travail pour asseoir la légitimité de l'institution. C'est vrai, je l'ai observé au cours de ma carrière, il peut suffire d'un cas pour que tous les efforts soient réduits à néant. Cependant, je ne suis pas pessimiste : je pense que le travail mené en matière de déontologie et de transparence de la vie publique non seulement est indispensable – en cas de crise, il faut pouvoir prouver la réalité des contrôles – mais finit par porter ses fruits. Les causes de la défiance sont multiples, et la déontologie n'est qu'une réponse parmi d'autres.

Je n'ai pas suggéré de transformer la HATVP en autorité de la probité. La proposition émane d'un rapport d'information de MM. Raphaël Gauvain et Olivier Marleix. Elle demande réflexion. La Haute Autorité n'a pas vocation à traiter toutes les questions de corruption, qui relèvent avant tout de l'autorité judiciaire. En revanche, il faut sans doute améliorer l'articulation avec l'Agence française anticorruption.

La question des cabinets privés m'embarrasse, je ne le cache pas. Le débat est en cours : le Sénat a adopté une proposition de loi sur laquelle vous serez peut-être appelés à vous prononcer prochainement. Le Gouvernement défend une position différente. J'arguerai de mon devoir de réserve pour ne pas prendre parti dans un débat parlementaire. Il me semble que le travail de la Haute Autorité doit rester centré sur les responsables publics, en particulier en matière de déclaration. Les cabinets de conseil sont déjà dans la juridiction de la HATVP au titre des actions des représentants d'intérêt, mais de manière pas toujours satisfaisante. Il convient d'être prudent en la matière.

Les élus locaux sont l'un des points faibles du dispositif. C'est pour eux que l'information est la plus difficile à recevoir et à assimiler, car les règles sont complexes dans tous les domaines, y compris celui qui a récemment émergé de l'action des représentants d'intérêts auprès des collectivités. S'agissant des déclarations, la Haute Autorité est très accessible et disponible pour conseiller les élus – pourtant, cela ne suffit pas. Et les mobilités sont une autre source d'incertitudes et de difficultés pour les collectivités.

Je crois beaucoup au maillage qui est en train de se créer avec des référents déontologues qui jouent un rôle de plus en plus important au sein des administrations et des centres de gestion. Ils sont appelés à devenir le pivot de la déontologie au niveau local, à condition qu'ils soient eux-mêmes bien formés. La Haute Autorité a une responsabilité en la matière. Elle doit jouer un rôle de tête de réseau et d'appui des référents, rôle qui demande toutefois à être précisé.

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Je vous remercie pour vos réponses. Je vais vous raccompagner avant que nous procédions au scrutin.

Délibérant à huis clos, la commission se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l'article 29-1 du règlement, sur cette proposition de nomination.

Les résultats du scrutin ont été annoncés, à la fin de la réunion, à 12 heures 50 :

Nombre de votants : 24

Blancs, nuls, abstentions : 0

Suffrages exprimés : 24

Avis favorables : 24

Avis défavorables : 0

En conséquence, la Commission a émis un avis favorable à la nomination de M. Christophe Pallez.

La séance est levée à 12 heures 55.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Sabrina Agresti-Roubache, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Erwan Balanant, M. Romain Baubry, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Clara Chassaniol, M. Éric Ciotti, M. Jean-François Coulomme, Mme Mathilde Desjonquères, M. Philippe Dunoyer, Mme Raquel Garrido, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Marie Guévenoux, M. Jordan Guitton, M. Benjamin Haddad, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, M. Jérémie Iordanoff, M. Andy Kerbrat, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, Mme Julie Lechanteux, Mme Gisèle Lelouis, Mme Marie-France Lorho, M. Benjamin Lucas, M. Emmanuel Mandon, M. Thomas Ménagé, M. Ludovic Mendes, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Thomas Portes, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Stéphane Rambaud, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Roger Vicot, M. Guillaume Vuilletet

Excusés. - Mme Edwige Diaz, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, Mme Emeline K/Bidi, M. Didier Lemaire, Mme Naïma Moutchou, M. Rémy Rebeyrotte, M. Davy Rimane

Assistait également à la réunion. - M. Paul Molac