Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 15 novembre 2017 à 16h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mercredi 15 novembre 2017

La séance est ouverte à seize heures quinze.

(Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente)

La commission des affaires sociales procède à l'audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le Défenseur des droits, au nom de cette commission et de la représentation nationale, je vous souhaite la bienvenue.

Votre audition figurait parmi mes priorités depuis le début de la législature, vos multiples travaux trouvant, évidemment, un écho dans les nôtres. Il se trouve, par ailleurs, que vous m'avez très courtoisement fait part de votre souhait d'être entendu par notre commission. Je suis très heureuse que nous puissions profiter du très relatif – et temporaire – allégement de nos travaux cette semaine pour vous entendre enfin.

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Jacques Toubon, Défenseur des droits

Madame la présidente, je vous remercie de m'avoir invité. C'était mon souhait en effet, car un très grand nombre des questions que le Défenseur des droits a l'occasion de traiter entrent dans la compétence de la commission des affaires sociales et font donc l'objet de vos travaux. J'étais aussi demandeur d'une telle rencontre dans la mesure où une nouvelle législature commence, avec un fort renouvellement : il me paraît important que le Défenseur des droits soit bien connu des membres de votre commission. Cette institution de la République, autorité administrative indépendante dont l'existence est inscrite dans la Constitution, est à votre disposition pour vous adresser des documents et contribuer à vos travaux. J'ai commencé à le faire dès le mois de juillet dernier avec certains de vos rapporteurs ou rapporteures, dans le cadre de vos travaux législatifs comme dans celui des missions d'information. Dès ma prise de fonctions, en juillet 2014, j'ai voulu que des relations fortes avec le Parlement soient au coeur de l'action politique et de la « ligne éditoriale » du Défenseur des droits.

Dans la plupart des pays comparables au nôtre, les institutions du même type – ombudsman, médiateur, protecteur des citoyens, avocat du peuple, etc. – sont désignées par le Parlement et dépendent réellement de celui-ci, ce qui, dans un certain nombre de cas, induit un biais partisan, au risque de présenter des difficultés. Le statut du Défenseur des droits, créé en France par l'article 71-1 de la Constitution, est différent : il est nommé par le Président de la République, donc par l'exécutif, mais dans le cadre de la procédure prévue à l'article 13, c'est-à-dire après avis des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Il s'agit d'une institution jeune, qui a commencé ses travaux il y a un peu plus de six ans, sous l'autorité de mon prédécesseur, Dominique Baudis, premier Défenseur des droits de juin 2011 à avril 2014. C'est naturellement peu à l'échelle de notre histoire politique et institutionnelle, mais il faut aussi considérer le fait que le Défenseur est, en réalité, la réunion de quatre institutions préexistantes, conformément à la Constitution et à la loi organique du 29 mars 2011, objet de très longs et très difficiles débats – les plus anciens d'entre vous savent probablement à quoi je fais allusion. Ont ainsi été réunis la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, le Médiateur de la République, très ancienne fonction, créée en 1973 par le président Pompidou et exercée pour la première fois par le président Pinay, et le Défenseur des enfants, de création plus récente car datant de 2000, mais obligatoire en vertu de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989. Comme tous les ans, nous marquerons lundi prochain la journée internationale des droits de l'enfant, à la date anniversaire de la convention, et je présenterai alors notre rapport d'activité sur les droits de l'enfant.

Nous publions chaque année deux grands rapports prévus par la loi, celui-ci et un autre plus général, qui sont remis au Président de la République et aux présidents des assemblées. Cette année, nous avons choisi de faire un rapport un peu composite sur les droits de l'enfant, en trois parties : l'état des réponses de la France aux observations formulées au début de l'année 2015 par le comité des droits de l'enfant de l'ONU, lorsqu'il a examiné la situation de notre pays, ce qui permettra de voir dans quelle mesure nous avons réalisé des progrès ; le droit à la santé et l'accès aux soins ; l'éducation à la sexualité, sujet de plus en plus présent, notamment au niveau européen et au sein du Conseil de l'Europe.

Le Défenseur des droits a une double mission : il répond aux « réclamations » – c'est le terme consacré – dont il est saisi, mais il est aussi un moyen d'accéder à la connaissance des droits et aux outils propres à les faire valoir. Cette mission est d'ailleurs de plus en plus importante à mesure que le labyrinthe des services publics devient de plus en plus impénétrable pour ceux qui n'ont pas le fil d'Ariane. Notre appareil légal, constitutionnel et réglementaire est très conséquent, mais il existe souvent un hiatus assez fort entre les droits proclamés et les droits effectifs. La mission du Défenseur consiste donc à rendre effectifs les droits existants. Mais le droit lui-même est insuffisant. C'est pourquoi nous menons un travail de promotion de l'égalité et de l'accès aux droits, notamment grâce à notre lien avec le Parlement et à notre possibilité de faire des propositions de réformes, notamment sur le plan législatif.

Aux compétences correspondant aux quatre institutions réunies en 2011, s'en est ajoutée une cinquième depuis la loi du 9 décembre 2016, dite « Sapin 2 ». Cette compétence, qui reste un peu indécise et incertaine, consiste à assurer la « protection et l'orientation des lanceurs d'alerte ». La loi « Sapin 2 » a été adoptée dans des conditions un peu acrobatiques, voire chahutées, et le Conseil constitutionnel a censuré une partie du texte, notamment sur la question des missions attribuées au Défenseur des droits. Nous avons reçu environ quatre-vingts demandes. La question est délicate car nous n'avons aucune vocation à définir qui est un lanceur d'alerte. Il existe par ailleurs d'autres procédures, devant la justice, la commission dite « Blandin », pour les questions relatives à la santé et à l'environnement, ou encore d'autres institutions. Nous avons, pour notre part, à orienter des lanceurs d'alerte autoproclamés, si je puis dire, en leur expliquant à qui s'adresser s'ils n'ont pas obtenu satisfaction au sein de leur entreprise ou de leur service public, puis à les protéger en cas de représailles ou de rétorsions, au titre des pouvoirs dont nous disposons en matière de lutte contre les discriminations. Il faudrait peut-être essayer d'améliorer un peu la situation, avec la commission des lois et celle des finances, puisqu'il s'agissait d'un texte présenté par le ministre de l'économie dans le cadre de la lutte contre la corruption ; et je dois dire que les textes réglementaires adoptés en Conseil d'État au mois d'avril dernier ne nous apportent pas beaucoup de réponses.

En 2016, le Défenseur des droits a traité 86 500 réclamations auxquelles il faut ajouter environ 45 000 demandes d'information ou d'orientation ; nous arriverons très vraisemblablement au chiffre de 90 000 cette année. À peu près 80 % de ces réclamations sont reçues et traitées par nos délégués territoriaux – ils sont plus de 480 en métropole et outre-mer. Il s'agit de bénévoles, indemnisés faiblement, le plus souvent – dans 85 % des cas – des retraités de la fonction publique. Le reste des questions est reçu et traité directement par les services centraux du Défenseur.

Un des effets de la création du Défenseur des droits est de permettre le traitement de nombreux sujets de manière « intersectionnelle », comme on dit en termes savants. À titre d'exemple, quand un enfant étranger se voit refuser le droit d'aller à l'école, ce qui est fréquent, ou un autre droit, nous traitons le conflit avec les services publics, notamment municipaux, au titre des droits de l'enfant, mais aussi de la discrimination subie par lui ou sa famille, et nous pouvons aussi être saisis au titre de la déontologie de la sécurité dans le cadre d'une expulsion d'un bidonville, en raison du comportement des policiers ou des gendarmes chargés d'évacuer le campement. Nous pouvons intégrer tous ces aspects pour traiter une situation humaine qui, le plus souvent, n'est pas unique mais se reproduit à l'échelle d'un groupe entier.

Depuis six ans, le Défenseur a plutôt bien réussi dans sa tâche ; nous devons beaucoup à Dominique Baudis, qui a fait en trente-trois mois un travail absolument remarquable pour construire une architecture commune entre les institutions préexistantes. Nous avons pris nos marques à l'égard de l'exécutif – les ministères mais aussi leurs administrations. Nous entretenons ainsi des relations étroites avec la direction de la sécurité sociale, même si cela ne signifie pas qu'elle nous répond toujours ou que la réponse est systématiquement positive. Nous travaillons de même avec les caisses d'assurance maladie, d'allocations familiales ou d'assurance vieillesse, ainsi qu'avec Pôle emploi. Nous avons aussi de bonnes relations avec le Parlement, notamment les deux commissions principalement intéressées, celles des affaires sociales et des lois. J'espère que cela se confirmera sous cette législature. Nous entretenons également des relations tout à fait normales avec la justice.

Sur ce dernier point, il est clairement établi que nous ne disposons pas de l'autorité de la chose jugée et que nous devons « reculer » devant une décision de justice, sitôt qu'elle est prise. Nous travaillons néanmoins en toute confiance. La semaine dernière, nous avons passé un après-midi entier à échanger avec la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, compétente notamment pour la sécurité sociale, sur la manière dont certains sujets sont traités. Nous faisons de même avec la chambre sociale, chargée expressément de la lutte contre les discriminations, et avec la chambre criminelle pour les questions de déontologie de la sécurité, notamment la fameuse question des contrôles d'identité discriminatoires, sur lesquels la Cour de cassation a pris l'année dernière une décision très importante – dans certains cas, elle a reconnu la responsabilité de l'État du fait du caractère discriminatoire de certains contrôles.

Les recommandations constituent le principal moyen d'action du Défenseur. Pour toutes les activités de protection, c'est-à-dire le traitement des réclamations individuelles ou collectives, nous nous efforçons d'aboutir à une résolution amiable. Nos délégués sont devenus très experts sur ce plan : lorsqu'une caisse d'allocations familiales ne verse pas ce qui est dû à une famille, ou seulement de manière partielle, ils réussissent très souvent à obtenir un règlement amiable et à faire rentrer les intéressés dans leurs droits. En ce qui concerne la lutte contre les discriminations, nous adressons souvent des recommandations, à titre individuel ou collectif, à l'issue d'une procédure contradictoire. Après avoir conclu à un comportement discriminatoire, nous recommandons qu'une personne licenciée, par exemple, soit indemnisée et éventuellement réintégrée, ou bien nous nous portons devant le tribunal, lorsqu'il est saisi, notamment le conseil de prud'hommes. De la justice, nous avons donc la balance pour assurer l'égalité des droits, mais pas le glaive pour imposer nos décisions.

Notre force tient au fait que nous nous attachons à traiter les questions d'une manière extrêmement rigoureuse, de sorte que nos conclusions soient irréfutables et que la personne mise en cause soit conduite à reconnaître le caractère discriminatoire de la décision qu'elle a prise, par exemple à l'encontre d'une femme revenue de son congé de maternité, et accepte de suivre la solution que nous préconisons.

Par ailleurs, comme je l'ai évoqué tout à l'heure, nous utilisons beaucoup notre possibilité de présenter des observations devant la justice, comme le permet l'article 33 de la loi organique. Nous pouvons le faire devant toutes les juridictions, sauf la Cour de Justice de l'Union européenne, pour des raisons qui tiennent à ses procédures. Nous présentons ainsi des observations depuis le plus modeste tribunal de sécurité sociale jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme, en passant par nos deux cours suprêmes nationales, le Conseil d'État et la Cour de cassation. Ainsi, lorsqu'une personne conteste un licenciement illégal ou discriminatoire, ou allègue une violation de la loi devant un conseil de prud'hommes, le Défenseur des droits présente des observations expliquant son point de vue, mais il n'est pas une partie dans l'affaire : nos observations sont mises sur la table du tribunal, à la disposition de tous pour traiter la cause – c'est ce que l'on appelle, en langage juridique, agir en amicus curiae. Dans environ 70 % des cas, en moyenne, le tribunal suit le sens de nos observations.

L'an dernier, nous en avons présenté à 119 reprises devant des juridictions judiciaires ou administratives. Un cas a récemment fait l'objet d'un certain traitement médiatique : nous avons obtenu gain de cause – ou plus exactement ce sont les intéressés qui l'ont obtenu – devant le conseil de prud'hommes de Paris pour des personnes traitées de manière discriminatoire dans une entreprise de nettoyage sous-traitante de la SNCF à la gare du Nord. Même si la chambre sociale de la cour d'appel va ensuite être saisie, le conseil de prud'hommes nous a suivis. Autre exemple de ces publics dépourvus de tout et n'ayant que le Défenseur des droits pour s'occuper d'elles, ce groupe de coiffeuses qui travaillaient dans des salons du boulevard de Strasbourg et du quartier de Château-Rouge à Paris, où elles étaient traitées véritablement comme des esclaves : nous avons également obtenu gain de cause pour elles.

Comme je l'indiquais tout à l'heure, ce travail de protection se double d'une autre mission : la promotion de l'égalité et de l'accès aux droits, y compris des propositions de réforme sur lesquelles je ne reviens pas. En 2016, nous avons présenté vingt et un avis au Parlement, sur des textes de toute nature, et douze en 2017, malgré la période d'interruption de vos travaux, dont six depuis le début de la nouvelle législature. Nous avons par ailleurs toute une activité d'études et d'enquêtes. Au printemps 2016, nous avons en particulier réalisé une grande enquête sur l'accès aux droits, en « population générale », qui portait sur 5 300 personnes, c'est-à-dire un échantillon très important. La conclusion principale est, sans surprise, un taux très important de non-recours : les personnes discriminées, n'obtenant pas de réponse satisfaisante de l'administration ou mal traitées, par exemple, ne s'adressent finalement à personne, ni à la justice ni au Défenseur, et connaissent mal leurs droits. Lors de mon audition du 2 juillet 2014 par la commission des lois, je soulignais déjà que nous traitions à l'époque 75 000 réclamations par an, alors que nous devrions plutôt en avoir 500 000. Il en est résulté un certain étonnement… Mais la réalité sociale ne trouve qu'une faible traduction dans les recours devant des institutions, dont la nôtre, à même de redresser les situations et de rendre effectifs les droits. Je crois que c'est une des raisons – permettez-moi cette parenthèse politique – pour lesquelles des millions de gens ne se sentent pas appartenir tout à fait à la communauté nationale, à la République : ils ont l'impression qu'il y a deux poids, deux mesures, que l'inégalité et l'injustice ne sont pas justement réparties et qu'elles tombent toujours sur les mêmes, et ils finissent par se dire que, toute façon, ils n'ont pas de droits.

Ce combat pour l'accès aux services publics et pour l'accès aux droits par le service public, nous devons absolument le mener ensemble car les incidences politiques de ce sentiment de non-appartenance sont extrêmement fortes : c'est ce qui explique une bonne part du taux d'abstention de 57 % constaté au second tour des élections législatives. Une abstention de 30 % peut être considérée comme normale, politique, surtout après un processus électoral long et usant pour les électeurs ; mais il reste probablement 25 % à 30 % de gens qui se sont dit qu'ils n'en avaient rien à faire de ces pouvoirs publics, de ces institutions, de ces administrations, de ces députés dont ils ne tireraient jamais rien. C'est là une réaction que nous ressentons fréquemment dans notre travail quotidien, lorsque nous nous efforçons de promouvoir les droits et l'égalité. Trop de gens ont le sentiment que, contrairement à sa promesse, la République ne les embrasse pas tous de la même façon et que, selon la formule consacrée, certains sont « plus égaux » que d'autres. À cet égard, notre travail nous paraît être une contribution essentielle.

Nous réalisons des études scientifiques, qui peuvent avoir un caractère statistique – comme la grande enquête sur l'accès aux droits – ou sociologique ; nous utilisons d'autres méthodes, un peu moins scientifiques mais très efficaces, comme l'appel à témoignage sur les discriminations à l'embauche selon l'origine, que nous avons lancé l'an dernier. Nous avons reçu 1 500 réponses et nous en avons publié environ 750 sur notre site. Elles étaient toutes très édifiantes : dans notre pays, un très grand nombre de jeunes se ressentent ou sont ressentis comme maghrébins, subsahariens ou musulmans, tout cela étant mélangé, et ils sont incontestablement traités de manière inégale lorsqu'ils postulent à tel ou tel emploi. À la fin de leur témoignage, nombre d'entre eux écrivaient qu'ils avaient l'intention de changer de projet ou de partir à l'étranger pour échapper à ce plafond de verre.

Pourquoi est-il si important pour nous de travailler avec le Parlement ? Parce que nous ne devons pas nous contenter d'appliquer le droit positif aussi exactement que possible, nous devons essayer de le faire avancer pour qu'il réponde aux besoins des habitants de ce pays. Nous publions des guides : Louer sans discriminer, Embaucher sans discriminer, L'Égalité dans le travail. Nous faisons des rapports, dont celui rédigé par les deux personnes assises à ma droite – Christine Jouhannaud, directrice Protection des droits - Affaires publiques, et Vanessa Leconte, chef du pôle de la protection sociale –, qui traite de la lutte contre la fraude aux prestations sociales.

Dans la mesure de nos moyens, nous essayons aussi de participer le plus possible à la formation aux droits, à la lutte contre les discriminations, aux droits des enfants. Nous intervenons à l'École nationale magistrature (ENM), dans les écoles de gardiens de la paix, dans les écoles primaires, les collèges et les lycées. C'est ainsi que, l'an dernier, nous avons parlé de droit et de discrimination à 6 500 élèves gardiens de la paix dans les dix écoles qui existent sur l'ensemble du territoire. Nous venons de lancer Éducadroit, un programme de sensibilisation au droit, destiné aux enfants des écoles élémentaires, des collèges et des lycées. Nous essayons de leur faire comprendre comment travaille le Parlement et comment le droit structure la vie en société. Si vous allez sur notre site, vous trouverez Éducadroit et notre manuel pédagogique ; même vous, députés, vous y apprendrez beaucoup de choses sur les fondements et l'utilisation du droit…

Voilà ce qu'est le Défenseur des droits qui est, j'y insiste, à la disposition de la représentation nationale.

Je vais maintenant passer en revue quelques-uns des thèmes que nous avons traités et qui recoupent les compétences de votre commission. Nombre d'entre vous y reconnaîtront des sujets familiers. Chaque année, l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) nous donne l'occasion de faire des propositions. Soyons clairs : dans neuf cas sur dix, on nous oppose l'article 40 de la Constitution. Mais nous croyons en la vertu pédagogique de la répétition et de l'explication des situations… Nos propositions ne sont pas le fruit de notre imagination ou de nos convictions ; elles nous sont inspirées par des situations réelles que nous avons parfois rencontrées à des milliers d'exemplaires.

En essayant de travailler avec votre rapporteur, Olivier Véran, nous avons fait dix-neuf propositions qui recoupent certains chantiers du Gouvernement. Elles portaient, par exemple, sur l'harmonisation des règles relatives aux prestations de maternité, et sur les modalités d'attribution des prestations familiales en cas de résidence alternée – pourquoi ne pas donner les allocations aux deux parents ? Nous avons aussi fait des propositions sur la modification des dispositions relatives à la retraite progressive, afin d'ouvrir le droit aux salariés dont le temps de travail est décompté en jours, sur la retraite anticipée pour les personnes handicapées. Comme nous, vous aurez d'ailleurs à vous pencher prochainement sur la situation de ces personnes dont on ne sait pas si elles âgées ou handicapées, et qui changent en permanence de régime… La perte d'autonomie, elle aussi facteur de discrimination, représente aussi un chantier immense. Nous voyons remonter des cas de détresse considérable concernant des personnes handicapées âgées.

Nous avons produit beaucoup de rapports sur les droits des enfants mais un sujet revient en force : la situation des mineurs non accompagnés. Dans le cadre de la loi de finances, votre collègue Delphine Bagarry a rédigé un rapport que je trouve, sans vaine flatterie, vraiment très instructif. À cette occasion, elle a d'ailleurs entendu notre défenseure des enfants. Nous aurons l'occasion d'y revenir puisque le Gouvernement a décidé de présenter un nouveau plan de prise en charge des mineurs non accompagnés.

S'il est un sujet sur lequel le Défenseur des droits et votre commission doivent faire preuve d'ambition, c'est celui de la scolarisation des mineurs non accompagnés âgés de plus de seize ans, c'est-à-dire ceux qui ne sont plus soumis à l'obligation scolaire. Or chacun sait que l'intégration repose sur l'éducation et sur la possibilité de poursuivre sans rupture une scolarité et une formation professionnelle ; nous devons mettre au point de nouvelles règles qui nous permettent d'instaurer ce droit.

Christiane Taubira avait diffusé une circulaire, en date du 25 janvier 2016, sur la mobilisation des services de l'État et les départements en faveur des mineurs non accompagnés. Il y était écrit que l'on devait porter une attention particulière au droit à la scolarité des mineurs isolés, y compris quand ceux-ci étaient âgés de plus de seize ans. L'annexe VI de cette circulaire rappelle l'article L. 122-2 du code de l'éducation : « Tout élève qui, à l'issue de la scolarité obligatoire, n'a pas atteint un niveau de formation reconnue, doit pouvoir poursuite des études afin d'atteindre un de tel niveau. L'État prévoit les moyens nécessaires, dans l'exercice de ses compétences, à la prolongation de scolarité qui en découle. Tout mineur non émancipé dispose du droit de poursuivre sa scolarité au-delà de l'âge de seize ans. » C'est la loi, pas une invention, et cela ne date pas d'avant-hier. Je me permets de vous suggérer, madame la présidente, d'engager une démarche sur ce sujet que nous avons étudié et que nous sommes désireux d'approfondir avec vous.

Autre situation dont vous vous êtes préoccupés : celle des enfants handicapés, notamment des enfants autistes. En 2015, nous avons publié un rapport intitulé Handicap et protection de l'enfance : des droits pour des enfants invisibles. Sur les quelque 300 000 enfants actuellement pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE), 70 000 appartiennent aux deux catégories : reconnus handicapés et pris en charge par l'ASE. Le rapport de 2015 était formel : ces enfants sont mal pris en charge d'un côté comme de l'autre, et surtout ils sont très largement invisibles. Il s'agit là d'un constat, pas d'une pétition de principe.

Nous avons fait des propositions dont les ministères concernés ont en partie tenu compte. La situation la plus difficile est celle des enfants et des adolescents autistes. La semaine dernière, je suis allé à la Cour des comptes où j'ai présenté des remarques sur les observations que cette dernière vient d'établir, à la demande de la commission des finances, au titre de l'évaluation des politiques publiques. Dans quelques semaines, elle va évaluer la politique menée à l'égard des enfants ou adultes autistes, dans le cadre des deuxième et troisième plans qui avaient été établis – le quatrième plan est en cours de lancement.

Nous avons participé à ce travail et donné notre point de vue. Votre commission peut avoir une grande influence sur l'un des points que nous considérons essentiel : il faut absolument sensibiliser tous les travailleurs sociaux aux troubles du spectre de l'autisme (TSA). La méconnaissance générale – et en particulier chez les professionnels – de cette situation est sûrement à l'origine de beaucoup de difficultés. Il faut former les magistrats administratifs et judiciaires pour qu'ils aient conscience de la spécificité de ces troubles. Il faut réactualiser les grilles d'évaluation en fonction des recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) et de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Nous devons faire en sorte que les experts, qui interviennent auprès des tribunaux, répondent aux conditions fixées par ces recommandations. Il faut aussi mettre en place des réseaux d'experts sensibilisés aux TSA. Les contentieux se multiplient, notamment devant les tribunaux administratifs : des parents réclament le placement de leur enfant ou de leur adolescent en s'appuyant notamment sur une jurisprudence de 2011. Dans son arrêt, le Conseil d'État avait considéré que l'État avait une obligation de résultat quand il s'agissait d'attribuer une place en établissement médico-social à un enfant autiste. Nous avons d'ailleurs reçu, de la part de certains tribunaux administratifs, l'injonction de trouver une place en établissement à tel ou tel enfant ou adolescent, dans un délai de huit ou quinze jours.

Le quatrième plan contiendra, je l'espère, beaucoup d'idées et surtout de moyens. Le précédent avait établi une fiche d'actions additionnelles – la fiche 38 – pour prendre en compte le cas de ces enfants à la fois handicapés et relevant de l'ASE.

De manière générale, nous sommes compétents, au titre de la lutte contre les discriminations, pour nous occuper des personnes en situation de handicap. Nous sommes également chargés du suivi de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, adoptée le 13 décembre 2006 par les Nations unies et ratifiée en 2010 par la France. Quand le Défenseur des droits a été créé, en 2011, le Gouvernement lui a confié cette mission. En 2019, nous présenterons un rapport sur la mise en oeuvre de cette convention dont certains principes diffèrent sensiblement des pratiques françaises, notamment pour ce qui concerne les personnes placées sous régime de protection.

La suppression de la capacité juridique des personnes placées sous régime de protection se traduit par la privation de certains droits fondamentaux : de voter, de se marier, de se pacser, de divorcer, de choisir son lieu de vie, à l'autonomie, au respect de sa dignité. Enlever la capacité juridique à certaines personnes, comme on le fait en France, ce n'est pas une pratique conforme à la Convention, laquelle dispose qu'il ne faut pas se substituer aux personnes déclarées incapables, mais les accompagner dans la réalisation d'une certaine capacité que l'on doit leur reconnaître.

L'an passé, nous avons rédigé un rapport sur cette question, autrement dit sur l'application de la loi du 5 mars 2007 relative aux majeurs incapables. Cette importante et bonne réforme est insuffisamment appliquée, en particulier sur un point : la prise en charge des majeurs incapables devait passer par des mesures alternatives ; or, dix ans plus tard, elle reste largement aux mains des juges des tutelles. C'est dans la plupart des cas la justice – qui n'en peut mais et dont les moyens sont trop faibles – qui contrôle la situation des majeurs incapables.

S'agissant des handicapés, nous avons récemment émis une recommandation sur l'insuffisance criante de statistiques. Si je puis me permettre, madame la présidente, la commission des affaires sociales devrait sonner les cloches des uns et des autres… Il est quand même lamentable qu'un pays comme le nôtre ait si peu de statistiques sur la situation générale des personnes en situation de handicap. Si l'on veut mener une stratégie nationale, une politique du type de celle qui a été lancée récemment par Sophie Cluzel et le Premier ministre, il faut avoir des connaissances. La dernière étude « Handicap et santé » de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) date de 2009 ; autrement dit, elle s'appuie sur des éléments recueillis en 2007 ou 2008. L'État est à l'évidence défaillant.

Notre recommandation, qui remonte à un mois, détaille ce déficit d'informations. Madame la présidente, je crois que votre commission devrait ouvrir un chantier et essayer de tordre le bras, si je puis me permettre cette expression, des administrations compétentes pour que quelques centaines de milliers d'euros soient consacrées à ce genre d'études indispensables. L'entrée en vigueur de la loi du 11 février 2005 sur les droits fondamentaux des personnes handicapées, et la décentralisation de certaines compétences n'empêchent pas l'État d'être le responsable de la politique nationale, ne serait-ce que parce c'est lui qui définit et verse l'allocation adulte handicapé (AAH).

S'agissant des prestations sociales, j'ai déjà fait référence au rapport sur les fraudes, publié il y a deux mois. Avec ce rapport, nous sommes tout à fait en phase avec les réflexions menées dans cette maison et au Gouvernement sur le droit à l'erreur. La fraude aux prestations sociales souffre d'un grand défaut de principe : elle ne comporte pas d'élément intentionnel. Telle ou telle caisse d'allocations familiales ou d'assurance maladie peut suspendre le versement des prestations, supprimer les droits, infliger des pénalités pour une simple erreur de bonne foi. Rappelons que le montant des fraudes est estimé à 650 millions d'euros, à comparer aux quelque 4,5 milliards de prestations qui ne sont pas versées à des gens éligibles… Le compte n'y est pas tout à fait !

Dans cette affaire, nous devons essayer d'introduire un élément intentionnel mais aussi une notion essentielle : la dignité des personnes. Il existe un texte qui dispose que l'on ne peut supprimer 100 % des prestations versées à un allocataire : on est tenu de lui laisser au moins 10 % ; mais certaines caisses l'ignorent. En fait, il faut aller bien au-delà. Les textes devraient prévoir un minimum de dignité de vie pour tout le monde. Nous sommes confrontés à des cas dramatiques : ainsi cette femme qui vit avec ses enfants dans sa voiture parce qu'elle n'a plus du tout de prestations et donc plus les moyens de payer son loyer… Ce ne sont pas des choses que nous avons inventées.

Nous avons naturellement beaucoup de questions concernant les étrangers. Le 9 mai 2016, nous avons publié un gros rapport sur les droits fondamentaux des étrangers. Dans le pays de la Déclaration des droits de l'homme, nous avons proclamé beaucoup de droits ; mais quand il s'agit des étrangers – ceux qui vivent dans notre pays ou qui viennent d'y arriver –, nous sommes pourtant loin du compte. Des droits fondamentaux – à la santé, au logement, au respect de la vie privée, à l'éducation – sont reconnus à tous. Or dès qu'une personne étrangère vient demander l'accès à ce droit, son statut d'étranger est mis avant sa condition de malade, de demandeur d'école ou de logement : c'est ainsi que des maires refusent d'inscrire à l'école des enfants étrangers qui vivent dans leur commune. On renverse complètement le caractère essentiel des droits fondamentaux qui sont fondés sur l'égale dignité et à l'égalité en droits des 7 milliards de personnes qui vivent à la surface de cette terre.

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Jacques Toubon, Défenseur des droits

Certaines dispositions sont particulièrement restrictives, notamment celles qui s'appliquent aux parents d'enfants malades étrangers. La loi du 7 mars 2016, relative au droit des étrangers en France, prévoit qu'une autorisation provisoire de séjour (APS) peut être délivrée à l'un des parents étrangers d'un enfant dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si aucun traitement approprié n'est possible dans le pays d'origine. Mais en fait, une disposition plus favorable est prévue dans ce texte : les deux parents étrangers d'un enfant malade pourront se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour – qui autorise, en principe, son titulaire à travailler. Pourtant, ce n'est pas du tout ce qui se passe dans la réalité : l'APS, en ne conférant qu'un droit de séjour de six mois maximum, peut entraver l'accès du titulaire à un emploi, à un logement, ou à des prestations sociales. Nous avons donc estimé que la loi devait être modifiée pour prévoir la délivrance aux parents étrangers d'un enfant malade, non d'une APS, mais d'une carte « vie privée et familiale », lorsqu'il s'avère, après le premier renouvellement de l'APS, que l'état de santé de l'enfant impose des soins de longue durée en France.

De la même façon, nous pensons qu'il faut renforcer le droit au travail des demandeurs d'asile. Vous aurez l'occasion d'en discuter en débattant les textes que le ministre de l'intérieur vous présentera dans les semaines qui viennent. Parmi les points les plus négatifs de la situation des migrants, on trouve les délais passés non pas à traiter les demandes d'asile comme on le dit trop souvent, mais pour simplement entrer dans la procédure : il faut d'abord obtenir le récépissé à la préfecture, puis obtenir un rendez-vous, ensuite commencer à remplir son dossier. Pendant tout ce temps, le demandeur n'a aucun droit, en particulier pas celui de travailler. Or chacun sait très bien que le travail est le meilleur moyen de leur permettre de s'installer dignement dans notre pays sans y causer aucun problème. Je pense en particulier qu'il faudrait ouvrir le bénéfice des formations professionnelles prévues par le code du travail aux demandeurs d'asile dès le début de la procédure.

Madame la présidente, nous assistions récemment ensemble à la présentation d'un plan contre la pauvreté ; la précarité est une préoccupation que nous partageons. Notre principale interrogation porte sur les modalités d'application du nouveau critère de discrimination : « la particulière vulnérabilité tenant à la situation économique », prévu par la loi Vaugrenard du 24 juin 2016. La grande pauvreté, et la précarité qui s'y attache, compromettent l'exercice des droits économiques et sociaux essentiels, entravent la jouissance des droits fondamentaux et sont sources d'une inégalité dans l'accès aux services publics et donc dans l'accès au droit – je vous renvoie au rapport publié par le Secours catholique la semaine dernière. C'est sur ces derniers points que nous travaillons particulièrement. Il faudra combiner ce nouveau critère avec la loi de 1998 sur les droits fondamentaux et les biens essentiels, qui proclame les droits fondamentaux à l'eau, à l'énergie, à un compte bancaire, et voir ainsi comment créer plus d'égalité à partir de ce nouveau critère de discrimination à raison de la précarité sociale.

Nous sommes aussi préoccupés de la situation que l'on peut qualifier, peut-être abusivement, d'« illettrisme électronique », qui concerne les 18 à 22 % de personnes qui, dans notre pays, ont des difficultés, parfois des impossibilités, pour faire des démarches en ligne et utiliser internet. Depuis le 1er novembre, on ne peut plus demander un permis de conduire ou une carte grise autrement qu'en ligne, par l'intermédiaire d'un ordinateur ou d'un smartphone. Nous nous préoccupons de ne pas oublier de laissés-pour-compte de la dématérialisation. J'appelle aussi votre attention sur les conséquences de la dématérialisation de la justice que prépare Nicole Belloubet. L'accès à la justice est un des droits les plus essentiels : si cela représente un obstacle pour certains publics, nous serons loin du compte.

Nous avions vainement proposé dans la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 qu'une partie des économies réalisées par la dématérialisation soient toujours consacrées à des formules ou des instances d'accompagnement. C'est tout à fait possible : le ministère des finances l'a fait lors de la mise en place des déclarations de revenus par internet, tant et si bien que des gens pourtant très éloignés de ce monde déclarent désormais leurs par internet sans aucune difficulté, parce que le ministère des finances a prévu l'assistance et l'accompagnement nécessaires. C'était évidemment son intérêt, mais nous devrions, dans beaucoup de cas, agir de la même manière. C'est pourquoi je soulignais que le ministère de l'intérieur avait établi des points numériques depuis le 1er novembre.

Je terminerai en évoquant les discriminations dans l'accès à la santé. Nous avions remis un rapport sur les refus de soins à la demande du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, en avril 2014, au moment où il était remplacé par Manuel Valls, pour lequel nous avions eu recours à la technique du test de situation au téléphone. Nous avons récemment réalisé de la même manière une étude sur les professionnels de santé et les patients en situation de précarité : il en ressort une situation de discrimination avérée à l'égard des titulaires de la CMU.

Une disposition de la loi Touraine s'attaque à cette situation, mais le système de commissions départementales qu'elle a mis en place n'est pas efficace ; il faudrait que nous allions plus loin sur les refus de soins. Nous avons notamment recommandé que l'assurance-maladie lance une enquête sur les médecins qui facturent des dépassements d'honoraires aux bénéficiaires de la CMU-C et plus particulièrement de l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS). Car c'est ainsi que les choses se passent en France aujourd'hui : nous vivons une époque formidable, c'est bien connu !

Dans ce domaine, nous sommes très favorables à une idée discutée actuellement au Parlement : l'intégration de l'aide médicale d'État dans l'assurance-maladie. Nous y voyons beaucoup d'avantages. Nous comprenons très bien pourquoi l'assurance-maladie et la ministre de la santé n'y sont pas favorables, mais nous maintenons qu'il y va de l'intérêt de tous, y compris des praticiens, et que c'est une source d'économies. Je crois savoir que des amendements ont été déposés à ce sujet.

En 2018, nous pourrons, si vous le souhaitez, être amenés à travailler ensemble sur plusieurs sujets : la réforme du RSI, sur laquelle nous avons essayé de donner quelques conseils de prudence ; la réforme du régime des majeurs protégés, si elle vient – c'était une promesse de campagne du Président de la République ; la réforme des mutuelles étudiantes ; le harcèlement et les infractions sexuelles sur les mineurs, ainsi que les textes de Nicole Belloubet et Marlène Schiappa sur les violences sexuelles ; les mineurs non accompagnés et le plan que le Gouvernement va présenter dans les semaines qui viennent. Nous serons consultés par les inspections qui ont été saisies pour mettre en place une forme de substitution de l'État aux départements sur cette question. La défenseure des enfants, Mme Avenard, lorsqu'elle a été entendue par Mme Bagarry, a clairement posé le principe selon lequel ces jeunes doivent être considérés comme des mineurs avant d'être considérés comme des étrangers, et donc pris en charge par la protection sociale de l'enfance avant d'être mis dans la filière étrangers et migrants.

Pardonnez-moi si j'ai été long : c'était une façon de vous dire que sur beaucoup de sujets qui peuvent vous préoccuper, sur lesquels vous voulez proposer de nouvelles avancées en ce début de législature, nous sommes sur la même ligne, et prêts à collaborer avec vous.

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Je vous remercie pour cette présentation, qui nous montre combien votre mission est essentielle pour la garantie des droits de chacun, mais aussi dans une finalité d'apaisement social, d'écoute, d'orientation pour nos concitoyens les plus vulnérables et parfois un peu perdus dans la complexité juridique.

Je vous rassure : l'article 40 est également pour nous, parlementaires, vécu comme une frustration… C'est souvent la limite à notre exercice.

Les sujets que vous avez évoqués font parfois écho aux travaux que nous mettons en chantier sur les EHPAD, le vieillissement et le statut des aidants familiaux. Nous aurons aussi à connaître d'autres sujets sur la politique familiale et les prestations.

Beaucoup de vos préoccupations rejoignent les nôtres, même si elles relèvent parfois de la commission des lois. La protection de l'enfance nous est très chère, et nous aurons l'occasion d'évoquer d'autres sujets dans les semaines à venir, car nous devons trouver des protections et des droits nouveaux, notamment pour les majeurs en situation particulière. Je pense aussi aux enfants majeurs qui ont été placés pendant très longtemps, et pour qui l'âge de la majorité ne signifie pas la même chose. Après un parcours aussi fracturé, leurs dix-huit ans ne sont pas les dix-huit ans d'un autre… D'ailleurs, nous n'exigeons pas une telle maturité de nos enfants à dix-huit ans.

J'ai beaucoup travaillé sur la formation des travailleurs sociaux et j'ai commis un rapport sur le sujet. Pensez-vous avoir les moyens de faire passer quelques messages dans le socle de ces formations ? Nous pensions notamment à un socle commun de connaissances, car il me semble impératif que, quelle que soit la finalité de leurs formations – il y en a beaucoup, très différentes –, il y ait une culture commune à tous les travailleurs sociaux.

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Jacques Toubon, Défenseur des droits

Pour vous répondre très précisément, je suis convaincu que tous les professionnels médicaux, paramédicaux et sociaux, doivent être formés au handicap, et notamment aux handicaps les plus difficiles. Jusqu'à la loi de 2005 et la politique d'inclusion scolaire, qui commence incontestablement à porter ses fruits, on avait toujours considéré que les personnes en situation de handicap, notamment les enfants, devaient être prises en charge de manière séparée, et non pas intégrée. Depuis la loi de 2005, les choses ont indiscutablement changé, mais nous avons un gros défaut à l'heure actuelle : il y a énormément de gens qui ont de l'empathie et la volonté de bien faire à l'égard des personnes en situation de handicap, mais aucune compétence réelle en la matière. Or nous ne ferons pas progresser les droits fondamentaux des personnes en situation de handicap sans une vraie connaissance de ces sujets de la part de tous les professionnels.

Il y a bien d'autres domaines dans lesquelles la formation doit progresser, comme les discriminations. Aujourd'hui, il existe une idée d'état de nature qui fait que les petits garçons et les petites filles se considèrent comme différents, et en tirent un certain nombre de conséquences. Les filles ne jouent pas au football…

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Jacques Toubon, Défenseur des droits

Heureusement, cela change un peu ; mais dans les cas de méconnaissance des droits des enfants notamment, on touche souvent à des préjugés et stéréotypes particulièrement difficiles à détruire. L'éducation nationale, au sens large, a un rôle très important à jouer en la matière.

Pour ces actions de formation et de sensibilisation, nous nous appuyons sur de grandes associations, de grandes fédérations, comme la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). Nous réunissons aussi régulièrement des comités d'entente avec des représentants de la société civile, et nous pouvons faire passer des messages par ce canal. Je vous ferai passer une décision que j'ai soumise ce matin au collège consultatif « Droits des enfants » : les participants l'ont considérée comme un cas d'école ; elle peut donc servir d'élément de formation. Elle renvoie à une affaire détectée dans un hôpital de Seine-Saint-Denis : tous les enfants d'une famille étaient maltraités, mais on ne s'en est rendu compte qu'au quatrième… Nous avons listé dans cette décision la totalité des acteurs en cause, et l'on voit très bien ce qui a manqué. Si on l'avait su, le système aurait marché… La connaissance est indispensable pour réussir dans ce domaine.

Pour vous répondre, madame la présidente, il faut une formation de tous pour aider les personnes en situation de handicap.

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Monsieur le Défenseur des droits, je voudrais d'abord vous remercier pour votre effort pédagogique dans la présentation de vos différentes missions.

Votre rapport d'activité 2016 mentionne la faiblesse des politiques publiques de lutte contre la discrimination, qui entraînerait une méconnaissance des réalités et l'ignorance des procédures. Vous mentionnez un retard sur ces questions, non compensé par la loi « égalité-citoyenneté », ni celle de modernisation de la justice. Il est vrai que la disparition du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et de lutte contre les discriminations au profit d'un recentrage sur la politique de la ville et l'égalité des chances semble avoir entraîné une confusion entre l'accompagnement des personnes et le plein exercice des droits.

Au regard des politiques publiques menées dans d'autres pays de l'Union européenne et des complémentarités dont aurait besoin l'autorité constitutionnelle indépendante que vous représentez, quelles seraient vos recommandations en matière de politiques publiques ?

Y a-t-il des programmes préexistants qu'il serait nécessaire de réactiver ?

La réalité des discriminations, et les risques auxquels les personnes sont confrontées, imposent-ils la définition de nouveaux programmes, ciblés autrement ?

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Monsieur le Défenseur des droits, je voudrais appeler votre attention sur une situation dont j'ai eu à connaître, à trop nombreuses reprises, dans mon exercice professionnel : il s'agit des couples non mariés qui ont un enfant et décident de se séparer. Ils saisissent le juge aux affaires familiales, mais il s'écoule très souvent de nombreux mois entre le moment de la saisine et celui où le juge va fixer les droits dans l'intérêt de l'enfant. C'est une période extrêmement difficile pour les enfants, qui me paraît très préjudiciable pour eux.

Pendant cette période, il n'existe pour ainsi dire pas de droit. Les deux parents sont investis de l'autorité parentale, ils peuvent garder l'enfant à leur domicile, ne pas le remettre à l'autre parent, sans commettre de faute au regard de la loi.

Est-ce un sujet dont votre belle institution pourrait se saisir ? Est-ce que des solutions précontentieuses pourraient être imaginées, en attendant que le juge ne tranche dans le cadre de son ministère ? Ou peut-on imaginer que des accords entre les parents, validés a posteriori par le juge aux affaires familiales, seraient de nature à régler ces situations ? L'accord parental n'ayant que la force que les parents voudront bien lui donner, c'est une faiblesse considérable. Ne faudrait-il pas envisager un accord, qui pourrait être enregistré par un officier ministériel ou un professionnel du droit, permettant d'officialiser les choses en l'attente d'une décision de justice ?

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Jacques Toubon, Défenseur des droits

Pourriez-vous me faire un courrier de saisine, pour que je m'appuie sur un des exemples que vous venez de donner ?

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Très volontiers, je vous écrirai en ce sens.

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Monsieur le Défenseur des droits, j'aimerais appeler votre attention sur deux difficultés que rencontrent les travailleurs sociaux dans l'accompagnement des familles et des enfants lorsque ces derniers sont pris en charge dans le cadre d'un placement administratif ou judiciaire.

L'application par les départements du dispositif « Projet pour l'enfant » (PPE), créé par la loi de 2007 et renforcé en 2016, ne permet pas de garantir le « suivi longitudinal » des enfants : du fait de l'instabilité des parcours personnels des enfants, des changements fréquents de familles d'accueil ou d'établissements, du trop faible nombre des professionnels de terrain pas et de la lourdeur de la procédure de validation administrative trop lourde, les PPE restent souvent un outil administratif impossible à utiliser sur le long terme.

Si les services départementaux possèdent les outils appropriés pour accompagner les familles, les enfants et les professionnels lors d'une mesure éducative, ces services sont totalement démunis lorsqu'il s'agit de prendre en charge un enfant en situation de handicap, en situation de violence avérée ou bien souffrant de troubles psychiatriques. Les passerelles n'existent pas, et ce cumul d'identités complexes mène à des situations d'échec hautement probable.

Monsieur le Défenseur des droits, ces deux situations doivent nous amener à réfléchir à l'amélioration nécessaire des démarches d'accompagnement de l'enfant et de ses parents, avec un réel suivi individuel au fil du temps, comme le précise la loi. Êtes-vous favorable à l'allégement des procédures de validation des PPE, notamment l'actualisation des données relatives aux besoins et aux parcours des enfants ? Sous quelle forme ? Comment voyez-vous la coordination entre les différents partenaires impliqués – social, santé et justice – dans les actions visant au bien-être des mineurs et des familles ?

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Monsieur le Défenseur des droits, la commission des affaires sociales va travailler à une grande réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage ; je souhaitais vous interroger sur la mission des délégués du Défenseur des droits dans les prisons. Vos délégués s'attachent à résoudre par la médiation les mille problèmes du quotidien des détenus. Cette mission, souvent mal connue des détenus eux-mêmes, est essentielle, compte tenu de l'état malheureusement trop souvent dramatique de nos prisons.

La formation professionnelle est un sujet particulièrement important. Donner une nouvelle chance à un détenu, y compris par une offre de formation professionnelle, est un enjeu majeur pour assurer la réinsertion et combattre efficacement la récidive.

Les offres de formation dans les prisons sont-elles selon vous suffisantes ? Les détenus, notamment ceux qui effectuent des courtes peines, qui sont les plus éloignés de l'emploi et les plus portés à la récidive, ont-ils selon vous un accès acceptable à la formation professionnelle pour se construire une seconde chance ?

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Nous examinons dans cette commission un grand nombre de textes qui traitent de la vie quotidienne des Françaises et des Français, des textes sur lesquels votre fonction de Défenseur des droits peut nous être d'une grande utilité.

J'en ai fait moi-même l'expérience, avec l'avis rendu par la défenseure des enfants sur une proposition de loi concernant les allocations familiales et l'allocation de rentrée scolaire ; l'audition que j'avais alors organisée m'avait été d'une grande utilité pour faire évoluer ce texte de loi.

Je suis, pour ce qui me concerne, très attaché à l'intégration des personnes en situation de handicap. Je considère que dans toutes les lois que nous travaillons, notamment ici dans cette commission, nous devrions toujours avoir à l'esprit la préoccupation de l'intégration dans la vie scolaire, dans la vie professionnelle, mais également dans la vie de tous les jours.

À ce titre, le 7 juillet dernier, vous avez rendu un avis sur le projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnance des mesures pour le renforcement du dialogue social, premier projet examiné par notre commission au cours de cette législature.

Aujourd'hui, nous examinons le projet de loi de ratification des ordonnances qui ont été rédigées par le Gouvernement. À la veille de sa discussion dans l'hémicycle, estimez-vous que les préoccupations exprimées dans votre avis ont été prises en compte ?

Dans votre avis, vous avez notamment insisté sur le principe général de non-discrimination des personnes handicapées et sur l'indispensable nécessité de respecter l'article 2 de la convention internationale relative au droit des personnes handicapées, tout en rappelant l'obligation de procéder à des aménagements raisonnables permettant aux personnes en situation de handicap d'accéder à leur poste de travail. Vous suggériez qu'une définition conforme à la convention relative au droit des personnes handicapées pourrait être introduite par ordonnance, ce qui aurait permis d'assurer de matière transversale une protection des personnes en situation de handicap. Au moment où nous allons ratifier ces ordonnances, estimez-vous que cette préoccupation a été prise en compte ?

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Jacques Toubon, Défenseur des droits

Non…

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Monsieur le Défenseur des droits, une part significative des requêtes adressées au Défenseur des droits révèle un manque d'information des citoyens sur leurs droits, parce qu'ils ne disposent pas de moyens permettant d'accéder à cette information.

Ces requêtes sont révélatrices d'un pan entier de la population qui ignore ses droits ou n'est pas en capacité de les connaître. À titre d'exemple, le RSA n'est pas demandé par 40 % des personnes qui pourraient en bénéficier.

Internet est érigé en outil universel d'accès à l'information ; l'accès aux services publics et les démarches administratives se font désormais pour l'essentiel en ligne. Demain, ils ne se feront plus que par internet. Dès lors, ceux qui ne peuvent matériellement pas accéder à internet ou qui ne sont pas en capacité de l'utiliser se trouvent gravement pénalisés, et le seront encore davantage demain. Quel regard portez-vous sur cette fracture numérique, et quelles sont vos préconisations pour que chacun puisse, par les moyens qui lui sont accessibles, obtenir les informations qui le concernent ?

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La communauté des gens du voyage compterait dans notre pays entre 250 000 et 450 000 personnes, soit 0,5 % de la population. Ce mode de vie suscite de nombreuses interrogations, tant à propos de leur bonne intégration citoyenne que de leurs bonnes conditions d'accueil sur le territoire. S'ils profitent de la liberté d'aller et venir, les gens du voyage ont pendant très longtemps dû subir un encadrement de leurs déplacements : en 1912, le législateur met ainsi en place un « carnet anthropométrique » où doivent figurer les empreintes digitales et les traits physiques les plus significatifs ; la loi de 1969 les contraint, dès l'âge de seize ans, à se rendre au moins une fois par an, munis d'un livret de circulation, dans un commissariat de police ou une gendarmerie pour obtenir un visa, le non-respect de cette disposition étant passible d'une contravention de cinquième classe, assortie d'une amende pouvant aller jusqu'à 1 500 euros. Dans le même temps, ils étaient arbitrairement rattachés à une commune, pour une durée minimale de deux ans, sous réserve que leur nombre ne dépasse pas 3 % de la population municipale.

Ces dispositions, contraires au principe de libre circulation des biens et des personnes, leur étaient pourtant opposées. L'Assemblée nationale a, le 22 décembre 2016, définitivement adopté la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté, qui supprime livret de circulation et commune de rattachement. D'autres mesures renforcent les droits des gens du voyage, comme le régime des terrains familiaux, destinés aux personnes en voie de sédentarisation. Un droit à la scolarisation des enfants du voyage est instauré.

D'un autre côté, les lois Besson de 1990 et 2000 obligent les villes de plus de 5 000 habitants à prévoir des emplacements de séjour, puis la construction et la mise à disposition d'aires permanentes d'accueil aménagées. Celles-ci doivent comporter des équipements sanitaires individuels, ainsi que des bornes de distribution d'eau et d'électricité. Le coût d'aménagement a été chiffré à 75 000 euros par place, sans compter les coûts d'entretien assumés selon les cas par les conseils départementaux, les intercommunalités, les communes ou l'État. Les collectivités doivent satisfaire aux obligations imposées par les schémas départementaux d'accueil et d'habitat.

Force est de constater que quinze ans après les lois Besson, la moitié à peine des aires prévues ont été construites.

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Certaines communes n'ont pas consenti les efforts nécessaires pour accueillir les gens du voyage dans des conditions satisfaisantes.

Mais la situation sur le terrain est complexe : les gens du voyage s'affranchissent souvent des règles prévues. Il arrive que des caravanes arrivent en masse et s'installent sur une aire aux capacités limitées, parfois même de façon sauvage. Ils n'hésitent parfois pas à dégrader les lieux.

Quelles mesures préconisez-vous pour que les droits des gens du voyage soient respectés, mais aussi pour que la tranquillité publique soit assurée et les dégradations évitées ? Les lois existantes vous paraissent-elles complètes et adéquates ?

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Rapporteure pour avis de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », j'ai notamment consacré mon rapport à la question des mineurs étrangers non accompagnés. À cette occasion, j'ai rencontré Mme Geneviève Avenard, défenseure des enfants. Vous avez également émis un avis, dont j'approuve les préconisations. Vous recommandez notamment une moindre utilisation des tests médicaux en matière de minorité. Pour ma part, j'estime qu'il faut simplement cesser de les utiliser dans ce but.

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Jacques Toubon, Défenseur des droits

Moi aussi, je le pense ! Zéro test !

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Vous recommandez également la délivrance systématique d'un titre de séjour, l'harmonisation des prises en charge, l'évaluation consciencieuse de l'état de santé physique et psychique, un suivi éducatif de qualité – qui ne peut pas se faire à bas coût – et l'instauration d'une présomption de minorité.

J'ai également noté que vous n'êtes pas opposé à la possibilité d'hébergement bénévole par un tiers, pourtant décriée par l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS). Pouvez-vous revenir sur ce point ?

Vous déconseillez en revanche de confier la mise à l'abri et l'évaluation à un même opérateur. Pourquoi ? Dans le Pas-de-Calais, ces deux actions sont effectuées par France Terre d'Asile et cela se passe très bien.

Vous êtes attaché au rôle que jouent les départements dans la protection de l'enfance. Or, s'ils sont légitimes pour l'évaluation sociale, ils sont totalement désemparés lorsqu'il s'agit d'évaluer la minorité.

Vous préconisez enfin la nomination d'un administrateur ad hoc pour l'accompagnement global de ces jeunes, sans préciser toutefois si cette nomination doit être faite en amont de l'évaluation initiale ou seulement pour assurer un suivi. Cette mesure paraît pertinente, mais son coût serait élevé. Je ne crois pas qu'elle ait jamais été budgétée…

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Monsieur le Défenseur des droits, vous avez formulé des observations sur la réforme du droit du travail, et je me félicite que certaines d'entre elles aient été retenues – je pense à l'amendement du rapporteur excluant du plafonnement des indemnités prud'homales les cas de licenciements discriminatoires.

Les discriminations syndicales constituent le sixième motif de saisie de votre institution. Vous vous prononcez pour une harmonisation des sanctions, les peines prévues par le code pénal étant plus lourdes et donc plus dissuasives. Pouvez-vous revenir sur les cas que vous avez rencontrés ? Quelles autres mesures pourraient permettre de mieux lutter contre la discrimination syndicale ?

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Le système « Admission post-bac » a suscité de nombreuses controverses, dont certaines sont certainement arrivées jusqu'à vous. Il imposait en effet une sélection des étudiants sur une base parfois hasardeuse ; ce fonctionnement est bien éloigné des principes républicains et du droit de toutes et tous à accéder à un enseignement et une formation adaptés.

Le Gouvernement a annoncé une réforme d'ampleur dès 2018. Cette dernière permettra une meilleure répartition des étudiants, en fonction de leurs souhaits et leurs projets professionnels, de leurs compétences et de leur cursus, mais aussi des débouchés des différentes filières.

Avez-vous prévu d'accompagner cette réforme qui permettra un meilleur respect des droits d'accès à la formation et à l'éducation pour tous, dans une volonté d'efficience de notre insertion professionnelle ?

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Monsieur le Défenseur des droits, je voudrais vous interpeller sur le travail des détenus, dont les études montrent qu'il est mal encadré juridiquement. Le contrat conclu par le détenu n'est pas un contrat de travail ; les activités exercées en prison doivent simplement faire l'objet d'un « acte d'engagement ». Seules les règles relatives à l'hygiène et la sécurité sont prises en compte.

Une grande réflexion nationale est en cours sur les conditions de détention. Il est peut-être temps de repenser complètement le statut du détenu, sujet de droit. Sans nier que la prison n'est pas un lieu de vie, de travail ou de consommation comme les autres, peut-être faudrait-il, comme l'a suggéré le contrôleur général des lieux de privation de liberté, adopter une logique inverse de celle qui prévaut aujourd'hui, autrement dit partir du code du travail et définir les dispositions qui peuvent s'appliquer aux détenus.

Faut-il à votre sens recourir, comme en Italie, aux formes contractuelles à disposition à l'extérieur ? Ou bien faut-il reconnaître comme en Espagne, une relation spéciale du travail fondé sur un contrat sui generis, ou sur des contrats spécifiques de droit public ou privé ?

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Monsieur le Défenseur des droits, le 31 décembre 2009, la France, à l'unanimité des deux chambres, a voté la loi autorisant la ratification de la Convention des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées. Cette convention et son protocole facultatif sont entrés en vigueur dans notre pays le 20 mars 2010. Les articles 12 et 13 obligent les États parties à prendre des mesures visant à garantir aux personnes handicapées l'exercice de leur capacité juridique et l'accès à la justice.

En France, 750 000 personnes âgées handicapées font l'objet d'une mesure de protection juridique, confiée soit à la famille soit à des associations professionnelles. Cette mesure a des conséquences directes sur les composantes de la citoyenneté et donc sur l'inclusion de ces personnes dans la société. Comment s'assurer que les majeurs protégés exercent effectivement leurs droits et participent à la vie politique et publique de notre société ?

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Monsieur le Défenseur des droits, vous avez précisé que la moitié des demandes qui vous sont adressées étaient des demandes d'orientation. À part celles-ci quelles sont les réclamations les plus fréquentes ? La France ressemble-t-elle en ce domaine aux pays comparables ?

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Jacques Toubon, Défenseur des droits

Je vous réponds tout de suite : 40 % des demandes concernent la protection sociale, au sens large – assurance maladie, protection familiale, Pôle Emploi… Cette prévalence très forte s'explique par la difficulté d'accès aux services sociaux. C'est un labyrinthe !

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Dans le prolongement de la question de ma collègue, quelles sont les perspectives européennes de votre action ? Vous travaillez notamment en lien étroit avec le Conseil de l'Europe. Autour de quels thèmes une coopération accrue pourrait-elle être envisagée ?

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Monsieur le Défenseur des droits, à la fin du mois d'octobre, vous avez passé deux jours à Toulouse, à l'occasion de l'opération « Place aux droits ». Dans les guichets urbains du Défenseur des droits, des juristes ont accueilli gratuitement les Toulousains et répondu à leurs questions. Cette opération a permis au public de mieux connaître l'institution que vous dirigez. Cette démarche innovante est essentielle ; nous savons tous à quel point il est souvent nécessaire de rappeler les droits dont disposent les Français.

Quel bilan dressez-vous de ces deux journées ? Entendez-vous renouveler cette expérience dans d'autres villes de France ?

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Monsieur le Défenseur des droits, je vous remercie de cet exposé qui a permis de présenter l'ensemble de vos missions.

J'aimerais vous interroger sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur. En 2016, selon le ministère de l'intérieur, vingt-cinq enfants sont morts dans le cadre de violences conjugales – soit un enfant tué tous les quinze jours. Si les violences conjugales peuvent mener à la mort, elles se manifestent dans la majorité des cas par des signes plus difficiles à détecter, mais dont les conséquences pour l'enfant sont très graves. Celui-ci peut en effet être le témoin visuel de violence entre ses parents ; il peut être affecté par des bruits et des cris proférés hors de sa vue, ou encore subir la violence psychologique exercée au sein du couple. Les conjoints violents ont par ailleurs une plus grande propension à se comporter en parents violents. Être témoin de violences peut entraîner des perturbations cognitives et émotionnelles, l'isolement, l'échec scolaire, mais aussi des troubles du comportement caractérisés par une reproduction de cette violence. L'exposition aux violences conjugales est contraire au droit de l'enfant à la vie en famille, au droit d'être protégé de la violence et au droit à la santé. Le Défenseur des droits a pour mission de veiller au respect de ces droits consacrés par la Convention internationale relative aux droits de l'enfant. De quelle manière pouvez-vous agir lorsque vous êtes saisi de situations d'exposition aux violences conjugales ?

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À la suite d'un récent fait divers, le débat sur l'absence du consentement d'une victime d'agression sexuelle a été rouvert. Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes a préconisé en octobre 2016 de définir un âge en dessous duquel l'absence de consentement était présumée. En effet, les enfants placés dans une situation aussi traumatisante que celle d'une agression sexuelle peuvent se trouver tétanisés, sidérés ; ils peuvent ne pas parvenir à exprimer leur opposition, voire à réaliser aussitôt la gravité de la situation.

La jurisprudence a intégré cette particularité de très jeunes victimes ; la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 décembre 2005, a considéré que l'état de contrainte ou de surprise résultait du très jeune âge des victimes. Le projet de loi que préparent Marlène Schiappa et Nicole Belloubet devrait fixer à treize ou quinze ans la limite en dessous de laquelle l'absence de consentement est présumée – la majorité sexuelle étant fixée à quinze ans. Quel est votre sentiment sur cette question ?

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Merci de cet exposé très riche.

Vous notiez que 22 % de nos concitoyens n'ont pas la possibilité de faire des demandes en ligne, soit en raison d'une couverture insatisfaisante, notamment en milieu rural – ce qui constitue une première discrimination –, soit parce qu'ils ne savent pas utiliser cet outil. Certains de nos concitoyens ne sont pas accompagnés. Qui plus est, une erreur commise dans une déclaration en ligne peut avoir des conséquences graves. Qu'en est-il du droit à l'erreur ? Avez-vous été saisi de ces questions ?

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Votre rapport d'activité pour 2016 montre que plus de deux tiers des quelque 85 000 dossiers traités par le Défenseur des droits portent sur des conflits avec les services publics ; la protection sociale et les services d'accès à l'emploi sont, vous l'avez dit, particulièrement présents.

Le numérique et la dématérialisation sont de plus en plus utilisés par les services publics. Les plateformes internet ou téléphonique auraient dû faciliter l'accès au droit ; mais la complexité des règles juridiques et administratives est telle que les usagers sont plongés dans une opacité qui ne favorise pas la confiance entre les administrés et leurs administrations. De plus, les règles sont souvent interprétées avec rigueur, sans prise en considération des aléas ou des problèmes sociaux.

Votre rapport souligne la méconnaissance de leurs droits par certains administrés, ainsi que les freins rencontrés pour déposer des recours. Comment améliorer l'accès à l'information ? Comment améliorer les relations entre l'administration et les administrés afin que chacun se sente libre d'accéder à ses droits et de déposer des recours, s'il y a lieu de le faire ?

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Monsieur le Défenseur des droits, je tenais à vous remercier de votre contribution écrite relative aux ordonnances, qui a déjà été citée à deux reprises.

Je souhaite vous interroger sur la discrimination à l'embauche. Le Président de la République a très récemment souligné la nécessité de lutter contre ces discriminations ; il a chargé l'inspection du travail d'une mission sur ce sujet.

Quelle est votre position sur le testing, cette opération qui consiste à soumettre des entreprises des curriculum vitæ quasi identiques, et à publier les résultats obtenus ? Une étude du cabinet ISM Corum diffusée en 2016 montrait que 30 % des candidats d'origine maghrébine avaient été discriminés dans les grandes entreprises testées.

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Monsieur le Défenseur des droits, ce lieu n'est pas propice à l'évocation de cas individuels – ce que je vais pourtant faire, en revenant sur deux cas qui me paraissent symptomatiques de ceux traités par l'institution que vous représentez.

Mme Nadia Medjahed, employée malvoyante au centre communal d'action sociale (CCAS) d'Asnières, a été harcelée en raison de son handicap par l'adjointe déléguée au handicap. Vous avez rendu, le 6 avril dernier, une décision en sa faveur. De quels moyens disposez-vous pour contrôler la bonne application de ces décisions ?

Le second cas, plus grave encore, est bien connu de vos services qui en ont été saisis. Rachel, qui habite en Isère, est une jeune mère autiste Asperger. Depuis plus de deux ans, ses trois enfants lui ont été retirés, parce qu'elle a eu le malheur de penser qu'ils étaient eux aussi atteints d'autisme. Des experts – appelons-les comme cela – ont jugé qu'elle projetait son propre trouble et qu'elle représentait dès lors un danger pour eux. Depuis, ses enfants ont bien été diagnostiqués autistes. Mais ils ne lui ont toujours pas été rendus.

Une audience en appel devait, la semaine dernière, mettre un terme à cet enfer, mais elle a été renvoyée au mois de juin prochain faute de nouvelles pièces au dossier : huit mois pendant lesquelles cette mère sera encore privée de ses enfants !

Cette situation relève à l'évidence de la discrimination ; on pourrait également parler d'une erreur d'appréciation de l'autorité judiciaire. Elle est indigne d'une démocratie comme la nôtre. Votre rôle est ici crucial, et je sais que vous en avez conscience. Il est temps d'agir.

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Monsieur le Défenseur des droits, vous avez interpellé, avant l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le rapporteur général que je suis. Vous avez fait au moins douze propositions d'ordre législatif ; en particulier, vous avez souligné l'importance d'établir une distinction claire entre l'erreur et la fraude intentionnelle, point que nous avons essayé de modifier dans le cadre du PLFSS – vous souhaitez que nous allions plus loin. Je ne reviens pas sur tous les « trous dans la raquette », les failles de notre législation que vous avez identifiées.

Si nous n'avons pas pu retenir toutes vos suggestions dans le PLFSS pour 2018, ce n'est pas par manque d'intérêt, bien au contraire – mais l'article 40 de la Constitution en particulier encadre fortement notre action. Je me réjouis de travailler avec vous au cours des mois à venir afin que nous défendions ensemble des propositions concrètes pour améliorer la protection sociale de nos concitoyens.

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Mes chers collègues, je vous indique que, dans le cadre de la réflexion en cours sur la procédure législative, j'ai soulevé auprès du groupe de travail compétent la question de l'article 40 qui me paraît obsolète.

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Jacques Toubon, Défenseur des droits

Merci de toutes ces questions. La rigueur et exactitude sont nos seules armes ; vos interrogations montrent que ce sont aussi les vôtres. C'est un gage de travail commun de qualité.

Je commencerai par deux remarques générales.

Monsieur Véran, le PLFSS n'a pas été inventé pour créer de nouvelles dépenses, mais pour réduire le déficit des régimes de sécurité sociale : il remplit son office ! Il faut, vous avez raison, remettre l'ouvrage sur le métier et le cas échéant utiliser d'autres véhicules législatifs. Ainsi, nos propositions relatives à la lutte contre la fraude pourraient prendre place dans le texte sur le droit à l'erreur. J'ai notamment rencontré récemment Mme Carole Grandjean et M. Stanislas Guerini.

Par ailleurs, nous allons entamer en 2018 une réflexion sur la protection sociale de l'enfance. Il est clair que notre système atteint ses limites. La protection sociale de l'enfance est un sujet politique – c'est notamment un élément essentiel de la décentralisation – mais aussi social tout à fait considérable.

Monsieur Belhaddad, en matière de lutte contre les discriminations, nous avons collectivement failli. Depuis quinze ou vingt ans, nous n'avons plus de discours ni de politique globale en la matière. On a même vu, avec la loi du 21 février 2014, la lutte contre les discriminations prendre place dans une loi de politique de la ville ! Est-ce à dire qu'elle ne vaut que dans les quartiers prioritaires ? Non. Il ne faut nulle part s'accommoder des discriminations.

Nous sommes, je l'ai dit à plusieurs reprises au cours des dernières années, encore loin du compte. Il existe un grand nombre de discriminations réelles ; une petite partie seulement sont exprimées, dénoncées ; d'autres, moins nombreuses encore, font l'objet d'un recours. Ainsi, en matière de harcèlement sexuel, sur cent situations, on dénombre moins de dix recours, et à peine cinq plaintes au parquet !

Ces chiffres sont la conséquence du fait que nos politiques publiques ne sont pas perçues comme fortes. Le discours de l'identité a remplacé – à droite comme à gauche – le discours de l'égalité. La lutte contre les discriminations doit au contraire devenir une priorité, dans l'esprit des dirigeants publics mais plus largement dans toute la société.

J'espère des changements. J'observe ce que dit et fait le Président de la République depuis deux jours, et vous-même avez participé à ce mouvement en préservant la lutte contre les discriminations dans les ordonnances réformant le droit du travail.

Mme Fontaine-Domeizel m'a interrogé sur les travailleurs sociaux, en évoquant notamment la protection de l'enfance. Nous sommes très loin du compte par rapport à la loi : seule une faible proportion de départements élabore des projets pour l'enfant et une proportion encore plus faible, quand des projets existent, les met en oeuvre. Dans notre rapport d'activité « Enfants » de 2015, nous avons mis en lumière la situation des enfants pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) et en même temps handicapés. Je suis entièrement d'accord avec ce que vous avez dit et suis prêt à travailler avec vous. Le chantier est énorme. Je ne sais pas, en revanche, s'il faut alléger les procédures pour la validation des PPE.

M. Maillard a évoqué le travail des détenus, ainsi que Mme Valentin. Notre position est celle d'Adeline Hazan, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Rappelons que deux institutions s'occupent des détenus : nous, qui avons à connaître des droits individuels des détenus – et nous traitons quelque 4 000 dossiers par an – et la contrôleure générale, qui s'occupe des règles et de la situation générales, notamment de la situation matérielle. Nous pensons qu'il serait bien mieux de placer les détenus qui peuvent travailler dans le droit commun, quitte à l'aménager. En tout état de cause, et c'est l'ancien Garde des sceaux qui vous parle, la situation est assez inextricable, dans la mesure où les statuts, entre prévenus et condamnés, sont très variables, ce qui rend difficile la mise en oeuvre du travail pénal. Celui-ci est en crise. Si vous vous intéressez à cette question, vous devriez vous rapprocher d'Adeline Hazan. Nicole Belloubet a mis ces sujets à l'ordre du jour. Il faut avancer. Je ne crois pas du tout que ce soit hors de portée, en termes financiers, mais cela appelle une forme de révolution culturelle.

M. Lurton et M. Hammouche ont parlé de la loi « Travail » et des ordonnances du mois de juillet. Nous avons essayé de préserver l'essentiel, à savoir que les décisions prises, soit par action soit par omission, ne créent pas de failles dans la lutte contre les discriminations, notamment dans l'égalité entre hommes et femmes. Nous avons fait des propositions, elles ont été retenues et il paraît clair aujourd'hui que les mesures prises, par exemple le plafonnement des indemnités, ne s'appliquent dans le cadre de discriminations. Je crois donc que nous avons sauvé l'essentiel. En revanche, ni dans la loi ni dans les ordonnances nous n'avons réussi à faire inscrire les dispositions européennes sur l'aménagement raisonnable. Une telle inscription entraînerait des conséquences qu'un grand nombre d'entreprises, pour dire les choses comme elles sont, ne souhaitent pas assumer. La France n'est pas bien notée à cet égard. Il faut poursuivre le combat sur l'aménagement raisonnable.

Mme Pitollat comme Mme Corneloup ont parlé du numérique. J'ai évoqué l'illettrisme électronique. Des mesures sont prises pour mettre en oeuvre les conventions d'objectifs et de gestion (COG) avec les caisses de régimes sociaux, des conventions qui, depuis plusieurs années, visent chaque année à réduire les effectifs d'un certain pourcentage, en tapant d'abord dans les effectifs consacrés à l'accueil, à l'information, au renseignement, activités jugées moins prioritaires que le traitement des dossiers. Nous avons conduit l'an dernier à un appel à témoignages à Pôle emploi, à la caisse d'assurance vieillesse ainsi qu'à la caisse d'allocations familiales, et nous avons constaté que, dans 40 % des cas, après un très bref accueil téléphonique la personne est renvoyée vers le site internet… alors que c'est précisément parce qu'elle n'a pas accès à l'information qu'elle a utilisé le téléphone ! Il faut donc – et je m'adresse aussi à Mme Grandjean – que vous disiez aux grands organismes qu'il n'est pas possible de continuer à réduire les interfaces, les services d'accueil et d'information. Cette réduction se conjugue d'ailleurs avec la suppression des guichets : au lieu de dix centres sociaux dans le Val-de-Marne ou ailleurs, il n'y en aura plus que cinq…

Ces réductions créent de très grandes difficultés pour informer et faire connaître leurs droits aux citoyens, et c'est pourquoi je me bats avec M. Mézard notamment pour que soient mises en place les maisons de services au public et conduites des politiques de maillage du territoire. J'ai trouvé les propos tenus hier par le Président de la République très intéressants ; encore faut-il qu'ils se concrétisent. Nos rapports de 2016 ont dénoncé le recul des services publics. En France, c'est le service public qui reste la voie par excellence pour l'accès aux droits, et non des mécanismes privés comme aux États-Unis. Si le service public se rétracte, c'est à l'évidence un obstacle de plus dans l'accès aux droits.

Madame Romeiro Dias, vous avez évoqué la situation des gens du voyage. L'un de mes adjoints, Patrick Gohet, est membre de la commission nationale et connaît parfaitement ces sujets ; j'aimerais que vous preniez contact avec lui. J'évoquais tout à l'heure du non-respect de l'obligation scolaire, notamment pour les enfants roms dans la région Île-de-France et les autres grandes agglomérations. Je travaille également pour que s'applique la circulaire de M. Valls d'août 2012 sur les évacuations de bidonvilles et de camps illégaux. Ce matin a été réalisée l'évacuation d'un très important bidonville en Moselle. Nous avons travaillé en amont avec la préfecture ; d'après les informations que j'ai reçues avant de me rendre ici, il semble que cette évacuation ait été réalisée de manière assez correcte : diagnostic social, organisation de l'hébergement d'urgence et du logement, organisation de la prise en charge scolaire des enfants, etc. Une des conséquences les plus dramatiques de l'évacuation des camps, c'est que les gosses se dispersent comme les étourneaux : alors qu'ils étaient scolarisés, cela prend des mois pour les retrouver et les scolariser de nouveau. Nous nous battons sur ces questions ; nous avons beaucoup oeuvré, vous le savez, pour l'abrogation du statut de 1969.

Sur les questions relatives aux mineurs non accompagnés, madame Bagarry, nous aurons sûrement l'occasion d'en reparler à propos de la mise en oeuvre du plan qu'Édouard Philippe a annoncé devant les présidents de départements à Marseille le 20 octobre. Vous avez soulevé un certain nombre de points que vous considérez problématiques dans ma position. Cette position est fondée sur l'idée suivante : si nous mettons le doigt dans les accommodements déraisonnables en matière de mineurs, étrangers ou non, nous y passerons le bras. En particulier, si nous commençons à penser que le mineur peut être à la fois un mineur et un étranger et si nous le plaçons à ce titre dans la filière « étrangers », il est clair qu'il aura au bout du compte le sort que la politique migratoire réserve aux étrangers adultes. Dès lors que l'on cherche à faire progressivement basculer la prise en charge du MNA de la protection sociale de l'enfance au traitement des migrants, tout porte à craindre que, dans les prochains textes sur l'immigration, la plupart de ces gosses soient traités comme des migrants irréguliers et donc expulsés. Or nous sommes là au coeur des obligations conventionnelles de l'État : qu'on le veuille ou non, un petit qui a les pieds sur notre territoire jouit, en vertu de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), d'une protection irréfragable et inconditionnelle. On ne peut lui appliquer un statut d'étranger mineur plutôt que de mineur étranger. Nous aurons l'occasion d'en reparler, madame Bagarry ; sans flatterie, j'ai lu les trente pages de votre rapport avec un très grand intérêt – et Dieu sait que, depuis trois ans et trois mois que j'occupe ces fonctions, je suis devenu un spécialiste « nobélisable » de la situation des mineurs isolés étrangers… Vous avez fait un très bon travail. Je pense que l'on retrouvera dans le plan gouvernemental une petite partie législative ; viendra ensuite la loi Collomb, qui traitera de certains aspects du sujet.

M. Hammouche a parlé des discriminations syndicales. Nous sommes assez bons là-dessus : à chaque fois que nous sommes saisis, nous obtenons pas mal de choses devant les prud'hommes et les chambres sociales. Je le renvoie au récent rapport du CESE, auquel nous avons contribué.

Nous avons, monsieur Borowczyk, été saisis de la question de l'admission post-bac dans le sens où il s'agit du rapport entre les usagers, en l'occurrence des étudiants et des familles, et le service public de l'enseignement supérieur. Nous avons été conduits à traiter un certain nombre de cas et à dénoncer les situations où les gosses n'ont pas eu de place. Nous nous réjouissons de ce que Mme Vidal a annoncé ; nous verrons ce que cela va donner. Nous resterons en tout cas très attentifs ; j'espère notamment que la réforme de l'APB sera accompagnée de moyens, en particulier en personnel, car beaucoup dépend du fait que quelqu'un est là, au bon moment, pour prendre en compte la situation du garçon ou de la fille. Si ce quelqu'un n'existe pas, le système échouera car il sera redevenu automatique.

Au moment où la Cour des comptes rendait son rapport l'an dernier, nous avons nous-mêmes, madame Robert, rendu, à la demande de la commission des finances, un rapport sur les droits que doivent pouvoir continuer d'exercer les personnes déclarées incapables juridiquement, conformément à l'article 12 de la Convention. Nous y avons pris position, comme la CNCDH, en faveur du droit de vote de ces personnes. Je vous y renvoie. Le sujet des majeurs incapables sera probablement un des chantiers de l'année prochaine. Vous avez évoqué 750 000 personnes : c'est naturellement le bas de la fourchette. On pense qu'il y a 800 000 sous la main des juges mais qu'un nombre au moins équivalent fait l'objet de mesures non officielles, dans le cadre de leurs familles ; on approche en fait, à mon avis, les deux millions de personnes relevant de cette question de l'incapacité des majeurs. C'est un sujet de société majeur. Et comme je l'ai souligné, il est clair que la justice ne sera jamais capable d'assumer une telle charge, d'autant que l'on va supprimer les tribunaux d'instance.

Les discriminations et les droits des enfants, monsieur Michels, sont les deux sujets sur lesquels nous pourrions à mon avis progresser ensemble au plan européen, à la fois à Bruxelles et à Strasbourg. Les Anglais, les Allemands, les Belges sont assez avancés. Je pense que nous pouvons faire des choses en commun et mettre en place une norme européenne a minima dans ces deux domaines. La Cour de Justice de l'Union européenne nous dit d'ailleurs beaucoup le droit ; et dans quelques jours, la Cour de cassation va rendre un arrêt sur le licenciement par une société de services informatiques d'une personne portant un foulard. La CJUE a donné un avis au mois d'avril et c'est en fonction de cet avis que la Cour de cassation décidera si la décision prise par l'entreprise était légale ou non, discriminatoire ou non.

Je vous remercie, madame Vignon, d'avoir raconté notre opération toulousaine. Je suis venu entouré de quarante et une personnes, si bien que, sur trois demi-journées jeudi et vendredi, vingt-deux ou vingt-trois personnes de nos services, juristes et experts, étaient présentes dans les guichets sur la rue d'Alsace-Lorraine, derrière le Capitole, à la disposition des gens. Nous avons accueilli 1 100 ou 1 200 personnes. Nous avons également tenu des conférences sur nos différents sujets, discriminations, droits des enfants, etc., avec des enfants de collège et de lycée. La première chose que j'ai dite, après avoir félicité les équipes pour ce travail formidable et remercié la mairie de Toulouse, c'est : « On recommence. » Et nous recommencerons, probablement au mois de juin prochain, dans une autre grande métropole. C'était une bonne idée et elle a été bien réalisée.

Sur la maltraitance, monsieur Mesnier, je me permets de vous renvoyer à un travail souvent souligné comme exemplaire – je le dis d'autant plus que je n'étais pas en fonction alors –, à savoir ce que l'on appelle le « rapport Marina », de juin 2014, à propos d'une petite fille qui s'appelait Marina Sabatier, tuée par ses parents à l'âge de neuf ans. Ce rapport est la chronique de tous les manquements, de toutes les défaillances, de tout ce qui aurait pu sauver cette enfant. Je vous renvoie aussi à la décision que j'ai évoquée tout à l'heure : celle que nous avons prise ce matin à propos de cette affaire en Seine-Saint-Denis.

J'aurais donc tendance à vous répondre de manière très pratique et non pas théorique. Lorsque je dis qu'il faut s'atteler à une réforme de la protection de l'enfance, c'est que l'application de la loi de 2007 modifiée par la loi de 2016 laisse encore trop de « trous dans la raquette », pour reprendre l'expression très juste que l'un de vous a employée.

Madame Lecocq, pour prendre la mesure pleine et entière des difficultés et humaines et juridiques que soulève la question du consentement sexuel, nous aimerions mesurer exactement l'impact des dispositions que nous pourrions être amenés à soumettre au législateur. Cela nécessite, j'y insiste, de prendre son temps. Quelque révoltantes que soient les décisions prises récemment par certains tribunaux, ce n'est pas d'une loi de circonstance dont nous avons besoin.

Je ne pourrai mieux vous répondre qu'en lisant ce que j'écris dans le rapport d'activité que je rendrai public lundi prochain : « La ministre de la justice et la secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes ont annoncé qu'elles présenteront en 2018 un projet de texte contre les violences sexistes et sexuelles, notamment contre les violences à l'égard des mineurs, qui devrait inscrire dans la loi qu'en deçà d'un certain âge, restant à définir, il n'y a pas de débat sur le fait de savoir si l'enfant est ou non consentant. La fixation d'un tel seuil d'âge peut susciter a priori l'adhésion comme permettant de simplifier l'appréhension des situations et d'améliorer la protection des mineurs victimes. Il convient en réalité de souligner la complexité de cette question et la nécessité de la considérer dans toutes ses dimensions. Il convient d'en mesurer les impacts sur l'ensemble des droits des enfants, y compris au regard des conséquences, pour le mineur victime, de l'ouverture d'une procédure criminelle. Le Défenseur des droits appelle le Gouvernement à réaliser une véritable étude d'impact afin d'éclairer les débats parlementaires pour que soit retenue la législation la plus respectueuse de l'ensemble des droits des enfants. ».

Votre commission, qui sera saisie pour avis de ce projet de loi, sera amenée à évaluer les conséquences de la sanction automatique qu'impliquerait la fameuse présomption de non-consentement. C'est une question extrêmement délicate.

Madame Corneloup, ce dont vous avez parlé relève du droit à l'erreur. Je reviens toujours sur la même chose : les personnes qui s'adressent à nous sont très souvent vulnérables, démunies, désemparées et l'application de sanctions automatiques se fait à leur détriment. Il faut éviter ce genre de procédures à des gens qui sont de toute bonne foi et dont la situation est très souvent parfaitement digne d'intérêt.

J'ai déjà répondu, madame Grandjean, sur le fait qu'il fallait arrêter de « sabrer » les crédits consacrés à l'accueil et à l'information.

Monsieur Pietraszewski, la ratification des ordonnances confirmera, je l'espère, ce qui a été décidé. En matière de discriminations à l'embauche, vous savez à quels constats édifiants a donné lieu l'appel à témoignages que nous avons lancé l'an passé. Les discriminations dans l'emploi, qu'il s'agisse du secteur privé ou de la fonction publique, représentent la moitié des cas de discrimination que nous traitons. Parmi les causes principales de la discrimination à l'embauche, il y a l'âge, le handicap, l'état de santé mais aussi l'origine, que ce soit le caractère ethno-racial, réel ou supposé, la religion, réelle ou supposée, ou bien encore la résidence – critère ajouté en 2014 dans la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. Cela explique que certaines personnes, particulièrement des jeunes et des femmes, se retrouvent dans une situation inégale dans l'embauche.

Depuis la loi « Égalité et citoyenneté », le test de situation ou testing peut être employé, à titre individuel ou collectif, comme mode de preuve dans les procédures civiles et non plus seulement dans les procédures pénales. Nous y avons recours dans certains dossiers : des agents assermentés vérifient si la discrimination dont se plaint une personne est réelle. Nous sommes, par exemple, arrivés à la conclusion que tel loueur de salle de mariage excluait une certaine catégorie de clientèle ou que tel dentiste repoussait systématiquement les rendez-vous pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire. Le procédé est très efficace : il suffit de téléphoner en déguisant son identité. Maintenant, faut-il dénoncer ces personnes nommément ? Pour moi, il y a un grand point d'interrogation. Je ne suis pas sûr que la mise au pilori soit la meilleure façon de procéder. Il est indispensable de faire oeuvre de pédagogie pour que la lutte contre les discriminations devienne une priorité à l'intérieur des entreprises ou des administrations et non se limiter à une simple politique de diversité. Chaque responsable doit s'astreindre régulièrement à se regarder devant la glace : « Qu'ai-je fait cette année en matière de promotion pour les postes n-2 ou n-3 ? » « Combien de femmes cadres ai-je promues ? » « Ai-je mis en pratique les beaux principes que j'ai exposés dans mes discours devant les comités d'entreprise » ? Examiner avec lucidité la situation est la meilleure des pédagogies. J'accorde aussi une grande importance à la formation obligatoire des personnes chargées du recrutement. C'est une excellente disposition de la loi « Égalité et citoyenneté » qu'il va falloir mettre en oeuvre.

Pour toutes ces raisons, j'ai été un peu dubitatif lorsque Myriam El Khomri l'année dernière et Marlène Schiappa cette année ont eu recours à la pratique du « name and shame ».

Monsieur Taquet, j'ai bien en tête l'affaire que vous évoquez à Asnières. L'adjointe a été remplacée ; nous avons dit ce que nous avions à dire. D'autres situations de ce type existent et elles sont extrêmement préoccupantes. Souvent la discrimination est la conséquence d'un abus de pouvoir – et c'est bien de cela qu'il s'agissait en l'occurrence.

Depuis trois ans, nous suivons très attentivement « l'affaire Rachel » comme vous l'appelez, qui se passe en Isère. Nous attendons la nouvelle décision de la cour d'appel et je suis très prudent dans mon expression. Si je peux me permettre, j'aimerais beaucoup que vous puissiez vous entretenir de ce cas avec Geneviève Avenard, notre défenseure des enfants, ou avec Marie Lieberherr, cheffe du pôle « défense des droits des enfants ». Elles pourront vous en expliquer, dans le silence du cabinet, tous les tenants et les aboutissants.

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Nous allons nous voir la semaine prochaine.

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Jacques Toubon, Défenseur des droits

C'est parfait !

Madame la présidente, il me reste à vous remercier de m'avoir donné l'occasion de vous fournir toutes ces précisions.

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Monsieur le Défenseur des droits, je vous remercie infiniment pour l'intérêt que vous avez porté à nos questions et pour vos réponses si complètes. (Applaudissements.)

La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 15 novembre 2017 à 16 heures 15

Présents. – Mme Delphine Bagarry, M. Belkhir Belhaddad, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Blandine Brocard, M. Sébastien Chenu, M. Gérard Cherpion, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec, Mme Josiane Corneloup, M. Dominique Da Silva, M. Pierre Dharréville, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Catherine Fabre, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Patricia Gallerneau, Mme Carole Grandjean, Mme Florence Granjus, M. Jean-Carles Grelier, Mme Claire Guion-Firmin, M. Brahim Hammouche, Mme Monique Iborra, Mme Fiona Lazaar, Mme Charlotte Lecocq, Mme Geneviève Levy, M. Gilles Lurton, M. Sylvain Maillard, M. Thomas Mesnier, M. Thierry Michels, Mme Michèle Peyron, M. Laurent Pietraszewski, Mme Claire Pitollat, M. Alain Ramadier, Mme Mireille Robert, Mme Laëtitia Romeiro Dias

Excusés. - M. Joël Aviragnet, Mme Ericka Bareigts, Mme Justine Benin, Mme Jeanine Dubié, Mme Nathalie Elimas, M. Mustapha Laabid, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, Mme Hélène Vainqueur-Christophe

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Cordier, M. Pierre Morel-À-L'Huissier