La réunion

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La commission entend, conjointement avec la commission des affaires économiques, M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique, sur le financement des investissements dans la production d'électricité d'origine nucléaire.

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La commission des affaires économiques et la commission des finances sont réunies conjointement cet après-midi pour auditionner M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, au sujet du financement des nouveaux réacteurs nucléaires.

Cette audition répond à une demande exprimée auprès des deux commissions par des députés appartenant au groupe Écologiste-Nupes. Le bureau de la commission des finances, qui s'est réuni en premier, en a accepté le principe, mais a également suggéré l'organisation d'une audition du président-directeur général d'EDF sur la même thématique. Cette suggestion a semblé pertinente au bureau de la commission des affaires économiques. C'est pourquoi nous devrions nous retrouver mercredi prochain, dans la même configuration, pour entendre M. Luc Rémont, PDG d'EDF.

En adoptant la loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, le Parlement a effectivement soutenu la volonté de l'exécutif de construire six EPR2 et de lancer des études pour la construction de huit EPR2 supplémentaires, ainsi que le développement des petits réacteurs modulaires (SMR). Au total, l'objectif est de mettre en service 25 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires d'ici à 2050.

Le financement de ces nouveaux EPR2, dont le coût est estimé à 52 milliards d'euros pour les six premiers, n'a pas encore été précisé. Les paramètres de ce financement devraient être fixés d'ici à la fin de l'année.

La commission des affaires économiques a effleuré ce sujet, le 17 mai dernier, lors de l'audition de Philippe Darmayan, auteur d'un rapport au Gouvernement relatif aux conditions d'approvisionnement en électricité des industries françaises. En effet, la conclusion de contrats de fourniture d'électricité de long terme entre EDF et ses clients électro-intensifs permettrait de financer en partie les investissements dans de nouveaux moyens de production.

Pour ce qui est du financement public, la ministre de la transition énergétique a écarté la création d'un impôt. Mais elle a évoqué la « possibilité » d'une « participation » de la Caisse des dépôts et consignations pour accompagner en financement ces constructions. Dès lors la piste d'une mobilisation de l'épargne collectée via le Livret A a été entrevue. Elle a déjà donné lieu à de vifs débats et a motivé la demande du groupe Écologiste que je mentionnais précédemment.

L'audition devrait permettre au Gouvernement de préciser le calendrier de ses décisions en ce domaine et de clarifier ses voies de financement.

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Je me réjouis de cette audition conjointe. Nous avons eu cet après-midi notre première rencontre avec le Gouvernement dans le cadre des « dialogues de Bercy » et il sera donc particulièrement intéressant d'en apprendre davantage sur le financement et le coût des nouveaux réacteurs nucléaires.

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Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Je vais essayer, dans le temps qui m'est imparti, de vous délivrer toutes les informations dont vous avez besoin sur le financement des six nouveaux réacteurs nucléaires annoncés par le Président de la République, dans son discours de Belfort.

L'énergie nucléaire revêt un caractère stratégique pour l'économie et la Nation. Elle garantit tout d'abord notre indépendance, au sein d'un continent qui fut trop longtemps dépendant de l'approvisionnement d'énergies fossiles venues notamment de Russie. D'autre part, elle est décarbonée. Enfin, elle assure la fourniture d'un volume suffisant d'électricité dans une Nation qui se réindustrialise et dans laquelle les besoins d'énergie s'élèveront, au minimum, à 750 térawattheures en 2050, contre 450 térawattheures aujourd'hui. C'est le fruit du développement des usages de l'électricité dans notre vie quotidienne, mais aussi de notre détermination à réindustrialiser le pays, à ouvrir des usines, à stocker des données sur notre sol, toutes activités qui consommeront énormément d'énergie électrique. Je pense que la réindustrialisation n'est pas possible sans énergie nucléaire ni accélération du programme de développement de l'énergie nucléaire.

Faire le choix du nucléaire, c'est d'abord faire le choix du climat. Non seulement la France se réindustrialise mais en se réindustrialisant, elle se décarbone, car tous les produits que nous importions, nous pourrons les produire en France, en émettant moins de carbone. Rappelons les chiffres, même s'ils ne font pas toujours plaisir à nos partenaires. La Chine émet 508 tonnes de CO₂ par million de dollars de PIB créé, les États-Unis 229 tonnes, l'Allemagne 149 tonnes et la France 100 tonnes. La désindustrialisation a augmenté les émissions de carbone, la réindustrialisation permettra de les réduire.

Faire le choix du nucléaire, c'est aussi faire le choix de la compétitivité puisque le prix bas de l'énergie nucléaire donne un avantage comparatif à nos industries, notamment les plus consommatrices – batteries, semi-conducteurs, aluminium. Il est clair que des usines comme celles de STMicroelectronics, GlobalFoundries à Crolles ou ACC à Dunkerque, ne se seraient pas installées en France si nous ne disposions pas de cet avantage compétitif.

La France a une excellence, une expérience, une avance historique. Elle doit utiliser la force de l'énergie nucléaire pour prendre toute sa place dans le partage des industries vertes, ce que j'appelle le « Yalta vert », qui rebat les cartes industrielles pour le XXIe siècle.

Dans ce cadre, le Président de la République a pris la décision de lancer le nouveau nucléaire. Il a ainsi dévoilé, lors de son discours à Belfort, les contours du plus grand programme d'augmentation et de modernisation de nos capacités nucléaires depuis des décennies. Ce programme prévoit la création de six nouveaux réacteurs de type EPR2, notamment à Penly, et la mise à l'étude de huit réacteurs supplémentaires. C'est un défi industriel colossal surtout au regard des retards pris pour d'autres constructions d'EPR. Les difficultés opérationnelles et industrielles qu'a connu la filière ont été évaluées et analysées pour en tirer toutes les conséquences dans les prochaines années. La prise de contrôle d'EDF par l'État à 100 % le 8 juin dernier, l'installation d'une délégation interministérielle au nouveau nucléaire, pilotée par Joël Barre, la volonté de s'inspirer des dispositifs utilisés pour les armées en matière de commande publique, nous permettent de définir les orientations technologiques, industrielles et humaines indispensables pour procéder à des investissements d'une ampleur à laquelle la France n'est plus habituée depuis des décennies.

Notre objectif, avec le Président de la République, la Première ministre, la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, le président-directeur général d'EDF, Luc Rémont, est de construire dans les meilleurs délais et au meilleur coût l'avenir du nucléaire français.

Quel est le coût de ce programme qui devrait s'étaler jusqu'en décembre 2042, soit un quart de siècle ? Le coût total de construction, prévu aujourd'hui, pour ces six nouveaux réacteurs nucléaires, s'élève à 51,7 milliards d'euros. La somme peut sembler très élevée mais que tout le monde se rassure, les décaissements seront progressifs, à hauteur de 2,5 milliards par an durant les premières années. Notre pays en a les moyens.

Dans ces 51,7 milliards d'euros, 43,1 milliards correspondent au coût direct et 8,6 milliards aux provisions pour les risques, le démantèlement et les déchets. À titre de comparaison, rappelons qu'entre 2011 et 2019, nous avons engagé 76 milliards d'euros dans les énergies renouvelables, financés sur fonds privés. L'adaptation du réseau de distribution devrait coûter 100 milliards d'euros entre 2024 et 2040 et le prolongement du parc nucléaire existant également 100 milliards d'euros durant cette même période, financés par EDF. Ces chiffres montrent que, quelle que soit la nature de l'énergie produite, l'unité de compte est la dizaine de milliards d'euros. C'est dans l'ordre de grandeur des autres grandes infrastructures énergétiques que nous avons réalisées.

Comment comptons-nous financer le nouveau nucléaire ? Tout d'abord, sachez que rien n'est arrêté. Nous n'en sommes encore qu'au stade des hypothèses et aucune décision ne sera prise sans avoir consulté les parlementaires. Cette audition est une première étape. Les choix que je ferai avec Agnès Pannier-Runacher, sous l'autorité de la Première ministre et du Président de la République, prendront encore plusieurs mois, le temps d'évaluer la situation, de vérifier des hypothèses et de lancer des débats contradictoires, notamment avec le Parlement.

Le parc nucléaire existant a été financé par EDF, grâce à l'emprunt, à une époque où la santé financière d'EDF était excellente et où EDF bénéficiait de la garantie implicite de l'État, du fait de son statut d'Epic (établissement public industriel et commercial). Il n'aura échappé à personne que la capacité d'emprunt d'EDF s'est extrêmement réduite puisque la dette d'EDF, qui a fortement augmenté à la suite de difficultés opérationnelles, atteint 65 milliards d'euros. L'investissement dans le nouveau nucléaire ne pourra pas être porté par EDF seul. Il serait irresponsable, à supposer que cela soit financièrement possible, d'accroître encore davantage sa dette. Nous devons donc, avant de définir des solutions, déterminer des critères. Trois critères sont essentiels, dont l'un a été rappelé par le président de la commission des finances.

Le paramètre le plus important, pour tout projet de cette ampleur, est celui du coût du capital. L'État emprunte à dix ans à un taux de 3 %. Plus vous investissez tôt, moins le coût du capital est élevé. Il y a donc des choix à faire entre le porteur de l'investissement, le porteur de l'emprunt et la durée de l'emprunt selon la date d'entrée que vous retenez. Plus vous démarrez tôt, plus vous pouvez étaler, plus vous démarrez tard, plus vous reportez la charge du coût du capital.

Le deuxième critère, très important lui aussi, est celui du coût acceptable pour la collectivité, qu'il s'agisse du consommateur ou du contribuable. Lorsque l'emprunt est souscrit par l'État, le contribuable est partie à cet emprunt et l'on pourrait envisager que le consommateur supporte dès le début, par la facture d'électricité qu'il devra régler, une partie du coût du financement du nouveau nucléaire. Ce sont des pistes de réflexion.

Enfin, il est possible d'accorder des subventions mais elles devront être conformes au régime des aides d'État, défini par l'Union européenne.

Une fois ces critères établis, on peut envisager de combiner plusieurs sources de financement. Les ressources d'EDF, même si elles sont limitées, en sont une et nous pourrions en employer une partie, fonds propres ou dette. L'État pourrait également apporter des fonds, investissements en capital, dettes garanties, avances remboursables. Enfin, une partie du financement pourrait être supportée par le consommateur d'électricité, par un mécanisme de base d'actifs régulés qui aurait cours tout au long de la construction des centrales. Ce schéma de régulation et de financement devra être précisé d'ici à la fin de l'année 2024 afin qu'EDF prenne formellement sa décision d'investissement. Le Parlement sera impliqué dans le choix du modèle de financement par l'intermédiaire de la loi de finances ou d'un véhicule législatif ad hoc.

Enfin, EDF aura besoin de l'appui de la filière. Celle-ci doit croître, développer ses activités et ses recrutements pour garantir la bonne exécution de ce projet d'envergure nationale.

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Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique

Le développement de nouvelles capacités est un élément important de la relance du nucléaire, portée par le Gouvernement, et un pilier de notre politique énergétique. C'est non seulement un enjeu de compétitivité et de pouvoir d'achat pour les entreprises et les Français mais c'est aussi un enjeu de souveraineté et de réindustrialisation pour notre pays. Plus de 95 % de la valeur ajoutée de ces projets est faite en France, dans des entreprises dont l'excellence industrielle n'est plus à prouver. Soyons-en fiers, nous sommes le seul pays qui maîtrise l'ensemble de la chaîne de valeur nucléaire, de l'amont à l'aval du cycle, de la construction à l'exploitation et au démantèlement des centrales. La France ne dépend pas de la Russie pour faire fonctionner ses centrales nucléaires, contrairement à ce que certains détracteurs de l'énergie nucléaire prétendent et dont je ne suis pas certaine que la lutte contre le changement climatique soit leur priorité. Je préfère le répéter pour lever toute ambiguïté.

Je concentrerai mon propos sur le financement des nouvelles capacités nucléaires de forte puissance, à savoir les programmes EPR2 d'EDF. Je compléterai en vous donnant ultérieurement des informations sur le financement des SMR et des AMR (petits réacteurs nucléaires) mais il me semble que ces projets relèvent davantage du financement de l'innovation, en vue duquel est mobilisé France 2030.

Rappelons quelques ordres de grandeur. Un programme de six nouveaux réacteurs coûterait entre 52 et 57 milliards d'euros. Le paiement s'étalerait sur vingt ans et l'infrastructure devrait fonctionner durant soixante ans. Comparons ce qui peut l'être. Le programme coûterait en moyenne 3 milliards d'euros par an, ce qui représente deux fois moins que les investissements consentis pour les réseaux électriques par RTE (Réseau de transport d'électricité) et Enedis, au cours des dix prochaines années. C'est également 40 % de moins que les investissements dans le parc nucléaire existant à leur niveau de 2022. Le nouveau nucléaire, en montant annuel, coûtera donc moins que les investissements dans le parc nucléaire existant, les réseaux ou les énergies renouvelables. L'enjeu est surtout de délivrer ce projet en coût et en délai au plus haut niveau de performance opérationnelle. C'est tout l'objet de la loi relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes que j'ai soutenue et que la grande majorité d'entre vous a votée : sécuriser et accélérer les procédures administratives, pour ne pas accuser de retard, sans négliger la sécurité. Vous l'aurez compris, chaque mois économisé est un mois qui ne pèse pas sur le coût de la construction, a fortiori lorsque ce coût se double d'un coût du financement indexé sur le temps du projet. Le temps du projet administratif ne doit pas s'additionner au temps du projet industriel. Une revue de programme est en cours, comme le prévoit la loi précitée. Elle fera l'objet d'un rapport au Parlement dans un délai de six mois, soit d'ici à la fin de l'année. Une délégation de programme interministérielle au nouveau nucléaire a été créée pour suivre les grands projets nucléaires dans la durée, de même que le Gouvernement suit les chantiers stratégiques de défense nationale, par exemple. Soyons clairs : ce qui fera le succès ou l'échec de ce programme tient avant tout aux hommes et aux femmes chargés de sa conception et de sa construction, EDF en tête. C'est le plus grand enjeu et il est au cœur du mandat que le Président de la République et la Première ministre ont confié à Luc Rémont. Toute une filière est en train d'être relancée. Je suis à l'initiative d'un véritable plan Marshall des compétences dans la filière. Pas moins de 100 000 nouveaux emplois devront être pourvus dans les dix prochaines années. Nous devrons être à la hauteur de ce colossal défi.

Le défi industriel n'est pas moins essentiel. Notons que, plus l'on construit, plus les risques se réduisent, plus les coûts diminuent. Entre la première tranche de la centrale nucléaire d'Hinkley Point C et la seconde, les gains de performance opérationnelle, et par conséquent les coûts, ont été réduits de 30 %. C'est également la raison pour laquelle le gouvernement britannique mise sur le projet Sizewell C comme une réplique d'Hinkley Point C, ce qui lui permet d'envisager l'apport de fonds privés pour le financer. Ces exemples nous guident et nous conduisent à privilégier une approche de série. Le fait de prévoir la construction de six réacteurs et d'en envisager huit autres supplémentaires est un gage de réussite et de réduction du coût de ce projet. C'est également l'un des enjeux de l'Alliance européenne du nucléaire que j'ai créée en janvier car la relance du nucléaire est européenne. De nombreux États, Pologne, République tchèque, Royaume-Uni, Roumanie, ont l'ambition de construire des réacteurs nucléaires. Or développer une flotte de réacteurs de technologie similaire, c'est augmenter le retour d'expérience, l'industrialisation des procédés et les bonnes pratiques. La relance européenne du nucléaire est une opportunité en termes d'activité pour le tissu économique français et notre propre programme nucléaire, qui en bénéficiera comme il bénéficie aujourd'hui de ce que nous avons appris des projets Taishan, Hincley Point C, Olkiluoto et Flamanville.

Venons-en au financement. Le nucléaire est une énergie particulière qui appelle une régulation particulière, pour trois raisons. Tout d'abord, la durée de construction commerciale étant très longue, le risque est étalé, ce qui contraint à choisir des acteurs suffisamment solides financièrement pour en supporter les charges. D'autre part, les projets sont complexes, quelle que soit la technologie sous-jacente. En particulier, leur cadre de sûreté leur est propre et on ne le retrouve que dans très peu de secteurs. Là encore, cette caractéristique suppose de choisir des acteurs capables de supporter un risque sur le long terme. Enfin, la durée de fonctionnement des réacteurs nucléaires EPR2 est prévue pour soixante ans.

Ces particularités font que le coût de financement représente une part très importante du coût total des projets de nouvelles infrastructures nucléaires, du fait de la prise de risque, de la durée de construction et de la durée d'amortissement. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) considère ainsi que les coûts financiers pourraient représenter plus de 50 % du coût total du projet dans certains cas. C'est pourquoi les États interviennent dans la quasi-totalité des projets de nouveau nucléaire, au travers d'une régulation ou d'un financement public, pour diminuer le coût du financement et alléger la difficulté à trouver des acteurs privés prêts à assumer, sur le long terme, un tel niveau de prise de risque.

Par exemple, le projet Hinckley Point C, au Royaume-Uni, est intégralement financé par EDF et son coactionnaire chinois mais le financement s'appuie sur un contrat de différence dans lequel un prix d'achat de l'électricité au mégawattheure a été garanti – près de 120 euros le mégawattheure. Le projet Sizewell C, également au Royaume-Uni, sera financé sur le modèle dit de base d'actifs régulés en plus d'un investissement public de l'État britannique, en tant que coactionnaire. Le projet Paks II, en Hongrie, a reçu un financement public important. Dans son programme national, la Pologne envisage d'accorder un financement public important, tout comme la République tchèque.

Concernant le nouveau nucléaire français, le premier contributeur est le porteur de projet, mais EDF ne pourra pas financer seul l'ensemble du programme. Plusieurs options sont possibles, comme en témoignent les exemples étrangers. Les solutions devront reposer sur quatre principes : inciter EDF à rechercher la meilleure performance opérationnelle, bénéficier aux consommateurs français pour qu'ils paient un prix prévisible et compétitif, donner la visibilité nécessaire à l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement nucléaire, et respecter le cadre européen.

À ce sujet, vous savez que je mène un combat au niveau européen pour que les politiques publiques européennes prennent davantage en compte la contribution positive de l'énergie nucléaire. Cela deviendra particulièrement important dans un contexte où le développement des énergies renouvelables posera la question de l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité. Nous aurons besoin d'une capacité de production en base importante. Le nucléaire le permet. L'inclusion du nucléaire dans la taxonomie était importante pour les questions liées au financement mais aussi à la réforme du marché de l'électricité, du traitement de l'hydrogène bas carbone et du Net-Zero Industry Act. Ces mesures ont des effets directs et indirects pour le financement de nos projets nucléaires. C'est l'une de mes priorités.

Vous pouvez compter sur ma totale détermination pour que la performance opérationnelle soit au cœur du projet d'EDF, de la filière nucléaire et plus largement pour porter la vision d'un mix électrique décarboné en Europe, nucléaire et renouvelable.

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Si j'ai bien compris, vous avez l'intention de renoncer à l'objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d'électricité d'ici 2035 pour réindustrialiser le pays grâce à l'énergie nucléaire. J'avoue ma perplexité, ne serait-ce que parce que vous auriez pu réindustrialiser par d'autres moyens, qu'il s'agisse des énergies renouvelables ou de l'incitation à la sobriété. L'Allemagne n'est pas moins industrialisée que nous mais elle s'est tout de même fixé comme objectif de couvrir 80 % de sa consommation d'électricité par les énergies renouvelables.

Je n'ai pas le temps de vous expliquer à nouveau les dangers du nucléaire, je préfère aborder l'aspect budgétaire. La construction de l'EPR de Flamanville accuse un retard de douze ans et a fait exploser le budget initialement prévu – 19,1 milliards d'euros, soit six fois plus que prévu. Je m'inquiète pour le projet que vous présentez. Je ne vois pas pourquoi il ne subirait pas le même sort, pour un coût du mégawattheure qui sera sans doute bien supérieur, à terme, à celui des énergies renouvelables. Surtout, vous voulez inscrire ce projet dans un programme de stabilité qui prévoit une baisse historique des dépenses publiques. Je ne comprends pas votre raisonnement d'autant plus que les mesures prévues dans le programme de stabilité pour mener la transition écologique sont très insuffisantes par rapport aux propositions de Jean Pisani-Ferry.

Quels sont les instruments de partage des risques que l'État envisage afin de limiter le coût du capital et donc le coût final de production de l'électricité ? Les projets de construction sont d'une telle complexité qu'il est fort probable que le budget ne sera pas tenu.

D'autre part, vous envisagez de recourir à l'épargne populaire pour financer le projet. Je suis très dubitatif car nous avons besoin de cette épargne pour le logement social qui est, lui aussi, en crise alors que les sommes collectées grâce au Livret A s'élèvent à 375 milliards d'euros. Que proposez-vous pour limiter les risques qui pèseraient sur l'épargne populaire ?

Enfin, les mécanismes mobilisés par l'État devront obtenir l'approbation de la Commission européenne au regard du droit de la concurrence. La Hongrie avait ainsi dû procéder à la scission du parc historique de l'entité gérant la construction des nouveaux réacteurs en contrepartie de l'autorisation d'un financement public. Comment éviter un tel scénario en France ?

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Bruno Le Maire, ministre

Je le répète : nous n'excluons aucune piste pour financer le nouveau nucléaire. Nous devons tirer le bilan coût-avantage de chaque option. S'agissant du recours à l'épargne populaire, rappelons que l'encours des fonds d'épargne s'élève à 540 milliards d'euros, dont 160 milliards sont utilisés pour le logement social. Il reste donc de la marge s'il était décidé d'utiliser une partie des fonds du Livret A pour financer le nouveau nucléaire. Cette solution présente un avantage : le taux est stable, le capital est garanti, et l'investissement pourrait être de très long terme. Bien sûr, la question de savoir si les fonds du Livret A ont vocation à financer la construction d'infrastructures énergétiques est légitime.

Quant au groupe EDF, je le redis une fois pour toutes, le plan Hercule est abandonné et EDF ne sera pas démantelé.

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Je salue le volontarisme du Gouvernement.

Renforcer nos capacités de production prendra du temps. Prévoyez-vous une prolongation de la durée de vie des centrales actuelles, et quel en serait le coût ?

Ces investissements seront-ils pris en compte comme contribuant à la transition écologique ? J'y serais évidemment favorable.

Quel sera l'impact de la réforme du marché européen de l'électricité sur les capacités propres d'EDF à participer à cet investissement ?

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Agnès Pannier-Runacher, ministre

Si nous ne prolongeons pas au maximum la durée de vie de nos réacteurs nucléaires, un effet falaise nous attend après cinquante années d'utilisation. Les travaux du groupe de travail sur le bouclage énergétique qu'anime Antoine Armand le montrent : nous avons besoin d'une puissance de production d'électricité en base pour compléter notre système électrique et nous assurer de sa résilience. Si elle conserve cette capacité de production nucléaire, la France sera probablement l'un des éléments centraux du système électrique européen.

Le coût du grand carénage est estimé à 50 milliards d'euros pendant la période 2014-2025, c'est-à-dire pour arriver à cinquante années d'exploitation. Nous sommes en train de mettre à jour les scénarios de prolongation. Ce sera intégré au rapport que je vous dois en application de la loi relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires.

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Bruno Le Maire, ministre

Je redis que les capacités financières d'EDF sont limitées : il faut donc conjuguer sa rentabilité avec le financement de ce nouveau programme.

Par ordre croissant de coût, voici le coût du capital des différentes options envisagées – chacune ayant des avantages et des inconvénients.

Le moins cher, mais le plus coûteux pour le contribuable, ce sont les subventions : il n'y a pas alors de capital à rémunérer, et pas de remboursement. Mais c'est du déficit, donc de la dette – je le dis notamment à mon voisin Éric Coquerel, à qui il n'a pas échappé que la dépense publique représentait 54 % de notre PIB.

On peut également envisager un prêt à taux zéro, c'est-à-dire une part de financement par l'État.

Nous pourrions utiliser la dette de l'État, avec une donnée déterminante : le moment où l'État contracte l'emprunt. Plus il est contracté tôt, plus le remboursement peut être étalé. Le coût serait de l'ordre de 3 % par an.

Nous pourrions avoir recours à la dette privée, avec un taux de rémunération de l'ordre de 5 % à 7 % par an.

Enfin, en utilisant les fonds propres d'EDF, le coût serait de 7 % à 10 % par an. Ce serait la solution logique, puisque c'est un programme qui permet à EDF d'augmenter son excédent brut d'exploitation, d'améliorer sa rentabilité. En revanche, le coût du capital est plus élevé.

Il faut tenir compte de tous ces paramètres : impact pour le contribuable et pour l'État, impact pour EDF, coût du capital en fonction des dates de souscription des emprunts.

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Vous avez dit poliment que l'organisation actuelle du marché de l'énergie, à l'échelle européenne et à l'échelle nationale, avait considérablement endetté EDF et considérablement enrichi les marchands de savonnettes. C'est l'État tout entier qui s'en est trouvé affaibli. Vous auriez pu le dire moins poliment.

La logique de l'actionnariat est incompatible avec celle de l'État stratège, avec le temps long qui est nécessairement celui du nucléaire. Cela doit orienter les modalités de financement de la relance du nucléaire, que je soutiens.

Vous n'avez pas dit grand-chose sur la consolidation des fonds propres d'EDF, et je m'en inquiète. L'Arenh – accès régulé à l'électricité nucléaire historique – n'a pas permis de retrouver des marges financières, et a surendetté EDF. Quand sortirons-nous de ce dispositif ?

Vous n'avez pas parlé non plus de la possibilité de conclure des contrats de fourniture d'électricité à long terme afin de stabiliser les revenus d'EDF tout en protégeant les consommateurs. Nous sommes favorables au retour des tarifs réglementés de vente (TRV).

Grâce au combat des électriciens et gaziers, le projet Hercule est abandonné. Vous l'avez réaffirmé, je m'en félicite. Mais quelles contreparties à la recapitalisation d'EDF l'Europe exigera-t-elle ?

Enfin, Monsieur le ministre, vous avez dit que 160 seulement des 540 milliards d'euros d'épargne disponibles sont utilisés pour le logement social. Mais nous avons besoin de bien plus pour le logement social ! Le logement sera la bombe sociale à retardement de la rentrée. Je vous invite à exclure cette piste des modalités de financement publiques de la relance du nucléaire.

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Agnès Pannier-Runacher, ministre

Nos voisins européens, notamment allemands, nous envient l'Arenh : c'est ce mécanisme qui nous a permis de maintenir un coût de l'électricité très compétitif, en mettant à disposition une partie de la production d'origine nucléaire auprès du consommateur final. On pourrait discuter de ce prix de 42 euros par mégawattheure qui, n'ayant pas évolué depuis 2012, ne reflète peut-être pas complètement le coût de production d'EDF. Mais nos industriels ont ainsi bénéficié du prix de l'électricité le plus bas d'Europe : lorsque nous négocions la réforme du marché de l'électricité, la grande inquiétude des Européens, c'est que nous donnions, grâce au nucléaire, un avantage compétitif majeur à nos industriels.

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Je salue moi aussi cette relance inédite, massive et globale de notre filière nucléaire, qui comprend non seulement la prolongation du parc existant et son adaptation au changement climatique mais aussi le soutien à la recherche sur les réacteurs innovants de troisième et quatrième générations – l'État investit 1,2 milliard d'euros pour que la France retrouve sa place d'avant-garde en matière de recherche sur le nucléaire – et les six premiers EPR annoncés par le Président de la République qui ont fait l'objet de la loi d'accélération votée ici à une large majorité, ce qui illustre le consensus transpartisan qui soutient cette énergie cruciale pour notre pays.

Je salue également vos propos sur le cadre économique et financier dans lequel s'inscrit cette relance. Cela implique de défendre à Bruxelles l'industrie française, comme vous le faites à chaque occasion, Monsieur le ministre, mais aussi d'assurer une alliance des États membres en faveur du nucléaire et d'obtenir une refonte du marché européen de l'électricité, car celui-ci est à bout de souffle – vous vous y attelez avec courage, Madame la ministre. Nos prix devront refléter nos coûts. Notre énergie doit être le reflet de nos choix industriels souverains – et pas, je le dis sans animosité, de ceux de nos voisins.

Cela impliquera aussi de combiner l'investissement public, direct et indirect, l'épargne populaire – les Français soutiennent massivement la relance du nucléaire – et la mobilisation du groupe EDF, public, intégré, bras armé de notre politique énergétique.

Vous pourrez compter sur le soutien du groupe Renaissance.

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Bruno Le Maire, ministre

Les prix de vente en France doivent en effet refléter nos coûts de production, au lieu d'être indexés sur le coût marginal d'ouverture d'une centrale à gaz.

Nos partenaires sont parfois difficiles, nous le savons mieux que personne. Mais les Allemands ont parfaitement compris que le nucléaire était une ligne rouge du Gouvernement, et qu'aucun État ne pouvait critiquer les choix souverains de chaque Nation membre de l'Union européenne en matière d'énergie.

Quant aux difficultés financières d'EDF, elles sont principalement dues au manque de production au cours des mois passés, lié au phénomène de corrosion sous contrainte, et au retard de Flamanville 3 et de Hinkley Point C. N'allons pas chercher de causes extérieures.

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Avez-vous calculé les externalités positives de ce nouveau parc nucléaire, qui pourrait représenter un avantage compétitif pour la France ? Ce calcul pourrait se fonder sur ce que nous avons connu depuis cinquante ans.

Le rôle du taux d'actualisation est essentiel. La piste du Livret A pourrait être un piège, car certains voudront peut-être effrayer les Français. Pourquoi ne pas proposer un fonds spécifique, rémunéré entre 2 % et 3 % ? Les Français seraient certainement ravis d'avoir un tel taux d'intérêt garanti sur vingt, trente ou quarante ans. M. Pierre Gadonneix avait ainsi émis un emprunt obligataire qui avait rencontré beaucoup de succès.

Il faut penser au niveau européen, car les besoins seront importants ailleurs, en Pologne, en Italie ou en Espagne. La Banque centrale européenne (BCE) ne pourrait-elle pas créer un véhicule monétaire dédié, avec un taux d'intérêt à 2 % par exemple, c'est-à-dire l'objectif d'inflation ? Pour un projet sûr et certain, avec une trajectoire sûre et certaine, les gains sont sûrs et certains.

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Bruno Le Maire, ministre

Toutes les propositions seront étudiées. Mais le taux d'épargne des Français est passé de 15 % à 18 % : l'épargne disponible est très importante. Notre problème, c'est plutôt d'orienter ces fonds vers les investissements, notamment le nucléaire ou la transition écologique.

S'agissant du financement européen, c'est plutôt à la Banque européenne d'investissement (BEI) que nous entendons nous adresser. La direction de cet organisme est en cours de renouvellement, et nous tenons beaucoup à ce que le prochain directeur général, ou la prochaine directrice générale, s'engage sur le soutien au nucléaire.

En ce qui concerne enfin les externalités positives, je vous répondrai de façon pragmatique : toutes les récentes décisions d'investissement industriel massif ont été prises, par ProLogium ou ACC par exemple, en fonction de la disponibilité d'énergie nucléaire à proximité.

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Agnès Pannier-Runacher, ministre

On peut mesurer le coût d'un scénario 100 % renouvelable par rapport à un scénario qui mêle renouvelable et nucléaire : le coût du second est moindre pour le consommateur quand on prend en compte l'ensemble des coûts, y compris les réseaux et la flexibilité.

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Quelqu'un sait-il enfin chiffrer précisément le programme de nouveaux réacteurs et de prolongation des centrales vieillissantes ? Qui va donner tout ce « pognon de dingue » ? Est-ce bien raisonnable d'investir autant dans des prototypes qui ne produiront pas le moindre kilowattheure avant au moins quinze ans ?

De combien de réacteurs parlons-nous : quatorze comme l'envisage la loi adoptée en contradiction avec l'actuelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), davantage encore – ce que même RTE n'a pas osé imaginer –, ou seulement six, le seul chiffre sur lequel est prêt à s'engager le PDG d'EDF ? Six réacteurs coûteraient 51 milliards d'euros ; à quatorze, on dépasserait les 100 milliards. Il faudrait aussi ajouter les 100 milliards – et non les 50 milliards – du grand carénage : c'est l'estimation donnée en 2016 par la Cour des comptes, alors qu'elle n'avait pas vu venir les problèmes de corrosion sous contrainte et autres fissures. Vous avez rappelé les 100 milliards à investir dans le réseau, mais il y a aussi les 25 milliards pour le site de Bure, que ne compte pas votre nouveau programme, et le démantèlement des centrales qui finiront bien par s'arrêter. On parle donc d'une ardoise entre 275 et 350 milliards d'euros – en espérant ne pas reproduire à l'infini le fiasco de Flamanville dont la facture a déjà été multipliée par six. On commencerait alors à tutoyer le budget de l'État, qui vient de racheter 100 % des actions d'EDF, dont la dette brute s'élève déjà à 65 milliards d'euros.

D'où viendra l'argent magique ? Vous nous parlez du Livret A : cela va contraindre le logement social, et c'est une option qui n'est bizarrement jamais envisagée pour les énergies renouvelables. Vous n'avez pas parlé de la main imprévisible du marché. Les Power Purchase Agreement (PPA) sont envisagés pour les énergies renouvelables et les SMR, et je crois même savoir que Luc Rémont les envisage pour les EPR2. Vous avez parlé de la poche du consommateur – chacun appréciera – et de celle du contribuable ; pourtant, les contrats pour différence (CFD) offrent une garantie illimitée de l'État à des acteurs de marché au lieu de renoncer à un marché qui n'apporte rien. Quel service public allez-vous sacrifier sur l'autel de l'atome et du marché ? De quelle rémunération du capital êtes-vous prêts à faire cadeau ? Est-ce bien raisonnable, sachant que le prix au mégawattheure des renouvelables sera bientôt deux fois inférieur à celui de l'atome ?

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Agnès Pannier-Runacher, ministre

Je vous renvoie à nouveau aux travaux de RTE, qui démontrent l'apport du nucléaire en matière de compétitivité sur les coûts par rapport à un mix 100 % renouvelable. Le coût de des énergies renouvelables est une chose, mais il faut aussi prendre en compte le coût du réseau : l'investissement de 100 milliards d'euros dans celui-ci n'est pas fait pour le nucléaire, mais bien pour connecter les dizaines de milliers d'installations d'énergies renouvelables que nous sommes en train de déployer. Vous mettez cette dépense dans la mauvaise colonne.

Nous parlons d'un projet évalué par un audit réalisé par un tiers en 2021 et publié en 2022 à 52 à 57 milliards pour soixante ans d'exploitation. Je ne connais pas beaucoup d'énergies comparables. Si l'on parle d'intensité de production, un gigawatt de nucléaire vaut huit gigawatts de solaire.

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Le groupe Les Républicains est enchanté de l'augmentation de notre capacité nucléaire.

En revanche, nous nous inquiétons de la dette d'EDF. Le projet Hercule est abandonné : tant mieux. Mais le Gouvernement prévoit-il une restructuration ou un apurement de cette dette colossale ?

Je m'interroge aussi sur la faisabilité de votre projet. On connaît les retards de Flamanville et les difficultés que nous venons de rencontrer sur le parc nucléaire existant ; EDF a-t-il les capacités techniques de produire ces six nouveaux réacteurs ?

Vous avez parlé d'un coût acceptable pour le contribuable, mais celui-ci paye déjà la contribution au service public de l'électricité (CSPE), destinée à financer la modernisation du réseau ; peut-on estimer qu'elle rapporte 10 milliards d'euros ?

Quand ces six réacteurs de nouvelle génération seront-ils utilisables ? Leur ouverture sera-t-elle étalée dans le temps ? Quant aux huit supplémentaires, quel est le calendrier envisagé ?

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Agnès Pannier-Runacher, ministre

Oui, EDF a les capacités industrielles nécessaires : le réacteur finlandais vient d'être livré et fonctionne à pleine puissance ; deux réacteurs sont en construction au Royaume-Uni. Mais l'optimisation industrielle n'est pas atteinte : il faut relancer la filière et remplir ses carnets de commandes pour mettre en œuvre ce que l'on appelle la convergence industrielle.

Vous parliez du coût pour le contribuable. Le mix énergétique qui inclut du nucléaire est plus compétitif qu'un mix uniquement fondé sur les énergies renouvelables. Or ce sont les deux seuls scénarios possibles, puisque nous n'avons pas d'autres moyens d'améliorer la capacité de puissance et le pilotage de notre réseau – nous n'allons pas relancer le charbon et le gaz.

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Bruno Le Maire, ministre

Je vous rassure : la dette d'EDF est élevée, mais tout à fait soutenable. Depuis que nous détenons 100 % de l'entreprise, nous veillons à ce qu'elle le reste.

Quant au coût, un bien public, comme tout autre bien, doit être payé. Ni les écoles, ni les universités, ni les hôpitaux ne sont gratuits : il y a toujours quelqu'un qui paye – cela peut être le contribuable, l'État, le consommateur, EDF… Il faut évaluer les avantages et les inconvénients de chacune des solutions.

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La loi relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires est une avancée majeure tant pour notre souveraineté énergétique que pour la décarbonation de notre économie. Se pose toutefois la question du coût du développement de ces nouveaux EPR.

Le plan Messmer a permis, dans les années 1970, la construction de cinquante-cinq réacteurs nucléaires pour un coût de 83 milliards d'euros, selon une estimation de la Cour des comptes en 2010. EDF avait alors lancé sur les marchés internationaux un emprunt garanti par l'État. Mais sa situation est bien différente aujourd'hui : sa dette approche les 65 milliards d'euros, ce qui risque d'entraver ses investissements.

Sommes-nous capables d'élaborer un nouveau plan Messmer, qui pourrait prendre le nom de « plan Pannier-Runacher » ou de « plan Le Maire » ?

Vous avez évoqué différents outils de financement. Auquel va votre préférence ?

La construction d'un réacteur est un processus long. Comment garantir que les coûts n'exploseront pas ? Comment nous prémunir face à d'éventuels dérapages ?

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Bruno Le Maire, ministre

Nous n'avons pas la prétention à donner notre nom à un plan ! La comparaison avec le plan Messmer est pertinente : l'ampleur historique des décisions du Président de la République est tout à fait similaire à celles prises à la suite du premier choc pétrolier – la facture pétrolière avait triplé, et le plan Messmer consistait à lancer, en deux ans, treize tranches de 1 000 mégawatts, en utilisant une technologie à eau pressurisée. Le programme que nous lançons comprend six réacteurs de 1 600 mégawatts chacun, soit 9 600 mégawatts. En revanche, les exigences de sûreté ne sont plus du tout les mêmes depuis les accidents de Tchernobyl et de Fukushima. Les coûts et les délais ont été fortement rehaussés. Les règles de financement sont aussi différentes : il serait impossible de réaliser un emprunt similaire à celui qui a financé le plan Messmer.

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Je m'inquiète du montage financier qui doit permettre la construction des nouveaux réacteurs. La seule chose que nous savons, c'est qu'EDF ne dispose pas des ressources suffisantes pour assumer seul cet investissement considérable. Bruxelles pourrait juger trop importante la participation de l'État et exiger des compensations – un nouvel Arenh, par exemple. Or nous sommes très critiques à l'égard de ce dispositif qui a contribué à fragiliser EDF.

Il est indispensable que les modalités de financement permettent de conserver un EDF intégré. C'est d'ailleurs nécessaire pour optimiser toutes les productions. Vous considérez le projet Hercule comme abandonné définitivement, tant mieux ; mais la Commission européenne ne pourrait-elle pas avoir, elle, des velléités d'y revenir ?

Nicolas de Warren, au nom de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (Uniden), demandait récemment une réforme du marché de l'électricité et une réforme structurelle du mode de formation des prix de gros de l'électricité en Europe. Il ajoutait que les entreprises énergo-intensives étaient prêtes à financer une future tranche nucléaire en échange d'une capacité d'électricité réservée et à des tarifs préférentiels. Êtes-vous favorables à ce partage du risque ?

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Bruno Le Maire, ministre

Personne ne demande à EDF de se démanteler quand elle bénéficie d'aides pour les parcs éoliens en mer ; il en ira de même pour le nucléaire. Le Gouvernement n'a jamais envisagé de démantèlement. Il y a eu des inquiétudes. Je le redis, le projet Hercule est écarté.

Quel est le rôle d'EDF, qu'attendons-nous de sa direction et de ses salariés ? Voulons-nous les meilleurs résultats financiers possibles, avec le niveau de rentabilité le plus élevé possible ? Ou bien voulons-nous une grande entreprise de service public, qui garantisse la compétitivité de l'économie et de l'industrie comme l'accès de tous les Français à une énergie décarbonée au prix le plus accessible possible ? Si nous avons décidé, avec le Président de la République, de nationaliser EDF, c'est bien parce que c'est cette seconde option qui est la bonne.

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Voici quelques années que notre souveraineté énergétique est revenue au cœur des débats. Après des années d'atermoiements des gouvernements successifs au sujet du nucléaire, le cap est maintenant clair : nous soutenons le mix énergétique formé par les énergies renouvelables et le nucléaire. Le nucléaire est un élément incontournable d'une société bas-carbone : il est produit en quantité et de manière compétitive, disponible toute l'année, et il permet de répondre aux fluctuations de la demande d'électricité ; sa capacité à favoriser l'indépendance énergétique est précieuse.

Les nouveaux EPR ne pourront être financés par EDF seul. Comme pour les énergies renouvelables, une partie du financement pourrait venir des consommateurs. Pourriez-vous détailler ce point ? Serait-ce par une nouvelle taxe ?

En ce qui concerne l'Arenh, quelles options le Gouvernement étudie-t-il pour l'avenir ? Quel marché européen imaginez-vous ?

Une question de mon collègue Xavier Albertini : même si comparaison n'est pas raison, comment nos voisins européens se positionnent-ils vis-à-vis du nucléaire ? Le retour d'expérience européen pourrait-il être utile en matière d'optimisation des coûts et, éventuellement, de modalités de financement ?

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Agnès Pannier-Runacher, ministre

En ce qui concerne la réforme du marché européen, l'objectif est de faciliter la conclusion de contrats à long terme étayés sur la réalité des coûts de production et non soumis à la volatilité du marché spot, lui-même lié à l'évolution du coût des énergies fossiles. Cela peut se faire de deux manières. La première, ce sont les fameux contrats de long terme dits PPA ( Power Purchase Agreement ), plutôt destinés à des acteurs sophistiqués capables de négocier et de prendre une part de risque. Le propos de Nicolas de Warren qui a été rapporté par Mme Battistel suggère que c'est une option, puisqu'il s'agit de cofinancer une infrastructure de production d'électricité et d'avoir accès à la production d'électricité correspondante au prix de production. La seconde possibilité est le Contract for Difference (CFD), dit contrat pour différence : ce système régulé permet aux consommateurs d'avoir accès au prix complet ; il peut concerner les énergies renouvelables – il est d'ailleurs assez répandu pour ce type d'installations –, le nucléaire existant, le nucléaire futur. Dans tous les cas, l'idée est de retrouver après l'Arenh les fondamentaux auxquels nous sommes attachés : les Français doivent payer le coût de leur mix électrique.

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La position des écologistes à l'égard du nucléaire est bien connue, et en rupture par rapport à ce qui a été dit jusqu'à présent. Les raisons en sont les « faits marquants » décrits par l'ASN (Autorité de sûreté nucléaire) dans son rapport 2022 : corrosion sous contrainte affectant des réacteurs du parc nucléaire français – à laquelle s'ajoutent désormais la corrosion des gaines à Taishan et son coût pour EDF, qui est associé à hauteur de 30 % dans cette centrale –, impact de la canicule et de la sécheresse sur les centrales nucléaires – le rapport parle de l'été 2022, mais la sécheresse reste d'actualité –, guerre en Ukraine – les enjeux de sécurité et de sûreté quand la guerre est à nos portes nous sont rappelés par ce qui se passe dans la centrale de Zaporijjia. J'y ajouterai le coût du démantèlement, qui n'a pas du tout été abordé aujourd'hui, et celui, financier et environnemental, de la gestion des déchets.

Dans ce dossier, on a l'impression que tout est pris à l'envers : nous avons voté deux lois pour accélérer le déploiement du nucléaire et des énergies renouvelables, mais sans vision globale ni modèle de financement ; celui-ci reste manifestement à construire alors que la facture du chantier de l'EPR de Flamanville, qui dure depuis dix-sept ans, atteint 19,1 milliards d'euros et que celle de l'EPR finlandais, qui accuse un retard de douze ans, s'élève à 11 milliards.

Ma question rejoint celle de la Cour des comptes dans son rapport de juin 2022 : quelle serait la pertinence de l'utilisation de l'épargne réglementée dans un contexte d'élévation des eaux ?

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Agnès Pannier-Runacher, ministre

L'impact de la sécheresse est marginal. Le rapport de RTE sur les scénarios de mix énergétique futur montre que les conséquences du réchauffement climatique sur la production nucléaire se font essentiellement sentir l'été, ce qui tombe bien puisque c'est le moment le plus favorable à l'utilisation du photovoltaïque, et sont mineures – quelques points de pourcentage – s'agissant de la production annualisée. Ce rapport actualisé fait partie des rapports que le Gouvernement doit remettre au Parlement pour la fin de l'année.

Comme nous l'avons indiqué dans notre propos introductif, le coût indiqué est le coût complet, incluant les coûts de démantèlement et ceux de la gestion des déchets, et non le seul coût de construction.

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Je me réjouis que le Président de la République ait renoncé à fermer quatorze réacteurs après la regrettable fermeture des deux réacteurs de Fessenheim et qu'il ait décidé de relancer la filière électronucléaire. Cependant, le choix exclusif des EPR2 pour produire une électricité largement décarbonée est-il le bon ? Le coût en investissement d'un EPR est très élevé ; celui de Flamanville, intérêts de retard compris, avoisine 20 milliards d'euros ; on pourrait le comparer au coût actuellement estimé de l'EPR finlandais et des deux EPR anglais en cours de construction. Le prix de revient du mégawattheure est très élevé, d'au moins 110 à 120 euros, soit le double du prix actuel des éoliennes et du photovoltaïque et le triple de celui de nos vieilles centrales. Vous retenez un coût de 7,2 milliards d'euros par EPR, hors coût de démantèlement, mais n'est-ce pas très imprudent ? Ne vaudrait-il pas mieux recourir à des technologies nucléaires moins coûteuses ou panacher l'EPR avec d'anciennes technologies qui fonctionnent fort bien, et financer tout cela en recréant la Caisse nationale de l'énergie, fondée en 1946, avec une garantie de l'État pour sécuriser le remboursement des emprunts à très long terme, et en portant la facturation sur la facture d'électricité ?

Le coût de la prolongation des réacteurs d'EDF est estimé à 1 milliard d'euros par réacteur, c'est-à-dire une cinquantaine de milliards en tout. Si on y ajoute le coût en investissement de Cigéo, de l'ordre de 25 milliards, et 100 milliards pour le réseau, EDF en a-t-il les moyens ?

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Agnès Pannier-Runacher, ministre

Le financement des trajectoires réseau, de Cigéo et du démantèlement est déjà intégré aux projections d'EDF et a déjà fait, pour partie, l'objet de provisions – c'est le cas pour le démantèlement ; un rapport vous est régulièrement présenté à ce sujet.

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Bruno Le Maire, ministre

Concernant la Caisse nationale de l'énergie, nous avons des moyens plus efficaces aujourd'hui. Une fois encore, le problème n'est pas la disponibilité des moyens financiers – l'épargne française est abondante –, mais leur orientation. Quant au coût, il va entièrement dépendre du coût du capital à la base ; il est donc impossible à évaluer, car il sera corrélé aux choix que nous ferons, avec les avantages et les inconvénients que j'ai indiqués, et aux modalités de financement, le coût du capital pouvant varier de 0 à 12 % suivant que l'on utilise les subventions, la dette publique ou les fonds propres d'EDF.

La question des technologies est vitale. L'objectif est bien de prolonger autant que possible les réacteurs actuels, qui sont amortis. Nous voulons ensuite lancer les EPR2 ; c'est le choix qu'a fait le Président de la République pour mobiliser les filières françaises plutôt qu'étrangères, car il s'agit du seul réacteur de puissance disponible dans le parc français. Cela n'interdit pas de mener des travaux sur les réacteurs plus modulaires, de petite taille ; nous en avons d'ailleurs déjà engagés.

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Le débat sur le financement du nucléaire est au croisement de plusieurs enjeux : le besoin d'un effort national massif, la grande difficulté de recourir à la finance de marché et la situation financière très préoccupante du producteur électrique national. Dans le rapport d'information que nous avons consacré au programme 345, Service public de l'énergie, dans le cadre du « Printemps de l'évaluation », nous indiquons trois sources de financement possibles : l'explosion des prix, qui aurait pour inconvénient d'évincer le secteur au profit d'autres sources d'énergie puisqu'il n'existe pas de voie réglementaire évitant aux clients industriels du principal producteur d'électricité de subir une telle augmentation ; le budget, sachant que le parc nucléaire sera un jour rentable même si l'effort financier initial est considérable, et le marché.

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Les inquiétudes que je veux évoquer sont moins techniques que financières – même si on pourrait mentionner les problèmes récurrents d'usure anormale, les retards ou les surcoûts. Alors que les recettes totales de notre budget cette année s'élèvent à 314 milliards d'euros, on parle ici de dizaines de milliards annuels d'investissement, certes assortis de retours. Des arbitrages seront donc nécessaires avec la santé, le logement, la sécurité et d'autres secteurs, ainsi qu'avec les énergies renouvelables, indispensables elles aussi et qui appellent elles-mêmes des investissements considérables. Je ne vous interrogerai pas sur ces arbitrages, car la question est trop importante ; plus simplement, combien de subventions espérez-vous obtenir de l'Union européenne ? Et comment mobiliser l'épargne domestique dormante ?

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Le Gouvernement a choisi pour les prochaines années deux investissements majeurs au service de notre souveraineté économique : la production d'électricité, notamment grâce au nouveau nucléaire, et l'industrie verte. Il est donc crucial de trouver un équilibre permettant de donner à EDF les moyens et la visibilité nécessaires pour relancer le programme nucléaire tout en maintenant les prix de l'électricité à un niveau qui préserve la compétitivité-coût de nos industriels. Le cadre de marché, la régulation dont nous héritons n'ont permis de faire ni l'un, ni l'autre de manière satisfaisante ; l'année écoulée l'a montré.

Pouvez-vous revenir sur l'articulation entre le financement du nouveau nucléaire et la refonte du marché de l'électricité, pour laquelle la France se bat au niveau européen ? Avez-vous des éléments sur les effets prévisibles des différentes options sur les prix de l'électricité payés par nos industriels ?

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La prolongation des anciennes centrales va créer une rente de dix ou vingt ans ; ne peut-on envisager de réorienter une partie de cette rente vers le financement d'un prêt sur vingt ou trente ans ? La sanctuarisation des barrages hydroélectriques chez EDF, à propos de laquelle un consensus semble se dessiner, va aussi créer une rente fondée sur des actifs très amortis ; ne peut-on en consacrer également une partie au financement de cette dette ?

Je souhaite préciser ma pensée au sujet de la BCE – ce n'est pas du tout une critique. Je voulais dire qu'après la période non conventionnelle qu'a connue la Banque centrale européenne, nous serons amenés à inventer de nouvelles méthodes non conventionnelles de financement de l'économie pour de grandes transitions, à l'horizon de vingt ou cinquante ans, dont le nucléaire pourrait relever. Au lieu de déverser des milliers des milliards d'euros sur les marchés, il s'agirait de flécher la création monétaire.

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Nous prévoyons de construire à l'horizon 2035 six nouveaux réacteurs nucléaires, dont le coût est estimé à plus de 51 milliards d'euros. Pour atteindre l'objectif fixé, il faudra bâtir toute une filière, qui a un besoin significatif de main-d'œuvre qualifiée. Aurons-nous les compétences nécessaires et la capacité de former les futurs ingénieurs, techniciens et opérateurs ?

L'Alliance du nucléaire, qui compte aujourd'hui quatorze États membres de l'Union européenne, a pour vocation de réunir tous les pays d'Europe souhaitant s'appuyer sur l'énergie nucléaire, aux côtés des énergies renouvelables, pour mener à bien leur transition énergétique. Vous étiez en Espagne hier, lorsque l'Alliance a incité la Commission européenne à faire preuve d'impartialité en matière d'énergie. Comptez-vous faire valoir cette position dans les futures négociations ? Quels sont les effets de l'Alliance sur la stratégie nucléaire française et européenne ?

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Ma question porte sur les labels environnementaux, notamment le label gouvernemental Greenfin, créé fin 2015, sous le nom « transition énergétique et écologique pour le climat », pour identifier les produits qui contribuent au financement de la transition énergétique et écologique et pour diriger l'épargne vers ces produits. Les règles d'éligibilité à ce label excluent les fonds qui investissent dans des entreprises opérant dans le secteur nucléaire, ce qui est une aberration écologique, ce secteur produisant une électricité décarbonée. Par ailleurs, cette exclusion est terriblement dangereuse car elle trompe les Français en assimilant le nucléaire aux énergies carbonées. Cette exclusion est en parfaite opposition à la politique menée en parallèle, et que soutient le Président de la République, pour faire reconnaître au niveau européen le rôle indispensable du nucléaire pour atteindre nos objectifs de neutralité écologique. Envisagez-vous de modifier le label Greenfin pour faire cesser cette aberration ?

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Je prolonge une question de Xavier Roseren : face aux nombreux défis qui attendent le groupe EDF, une réorganisation semblait indispensable ; afin de préciser la philosophie des annonces qui ont été faites à la fin du mois de juin par Luc Rémont, pouvez-vous nous en dire plus sur cette réorganisation qui doit permettre de mener à bien les chantiers nucléaires et le développement des énergies renouvelables ? Venant d'un territoire très attaché à l'hydroélectricité, je tiens à vous remercier, Monsieur le ministre, d'avoir tordu définitivement le cou au projet Hercule, ainsi que vous l'avez réaffirmé.

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Je reviens sur un point abordé par Jean-René Cazeneuve : les coûts du nouveau nucléaire et de l'allongement de la durée des réacteurs actuellement en service sont-ils bien pris en compte dans le calcul des investissements nécessaires pour la transition écologique. S'agissant des budgets, existe-t-il une fongibilité entre les fonds dévolus au parc nucléaire et ceux affectés aux énergies renouvelables, notamment l'éolien ?

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Lors de la publication, hier, d'un rapport de l'Opecst – Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques –, un député Renaissance et un sénateur LR ont réussi l'exploit d'aboutir à une conclusion complètement inverse au sens de leur rapport, qui a été établi à la suite d'auditions menées à huis clos, sans que les autres membres de l'Opecst soient invités. Il est dit dans ce rapport que la sûreté nucléaire à la française est reconnue partout dans le monde, qu'il n'existe pas de problème, qu'on devra faire face à des défis colossaux, lesquels ont été rappelés tout à l'heure, qu'une fusion de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) entraînerait inévitablement une déstabilisation de la sûreté nucléaire et qu'on ne sait pas quoi faire des autres missions que l'IRSN exerce au quotidien et qui ne pourront pas être assurées par l'ASN. Vous avez décidé d'atomiser la sûreté nucléaire à la française, mais combien mettrez-vous sur la table ? Le rapport comporte, en effet, des préconisations relatives à une augmentation des moyens, même si je pense que c'est davantage une question d'organisation, laquelle ne devrait pas être déstabilisée.

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Bruno Le Maire, ministre

Monsieur Lacresse, le financement du nucléaire se fait principalement en Capex (dépenses d'investissement), notamment dans le cadre de France 2030, qui consacre 1 milliard d'euros aux réacteurs modulaires Nuward d'EDF et aux autres projets de recherche, notamment par le financement de start-up qui travaillent dans le domaine nucléaire – je pense aux réacteurs à fusion.

Il n'y a pas, Monsieur Castellani, de subvention européenne prévue pour le nouveau nucléaire français.

Monsieur Amiel, Agnès Pannier-Runacher vous répondra au sujet du marché européen de l'électricité. Je peux vous dire, néanmoins, que la clef en la matière est de maintenir un avantage comparatif pour l'industrie et l'économie française.

Monsieur Tanguy, le coût complet du parc existant inclut, en effet, une rémunération du capital investi par EDF et cette rémunération peut servir au nouveau nucléaire. S'agissant de la Banque centrale européenne, j'ai bien peur que la période soit au retour à ce qui est conventionnel, y compris pour les finances publiques et la politique monétaire.

Pour ce qui est de la réorganisation d'EDF, Madame Ferrari, je redis à quel point nous avons tourné la page du projet Hercule. C'est maintenant à Luc Rémont de nous faire des propositions de réorganisation : il y travaille et nous les présentera très prochainement.

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Agnès Pannier-Runacher, ministre

S'agissant de la refonte du marché de l'électricité, Monsieur Amiel, je rappelle que le coût de l'électricité dans le bouclier énergétique est représentatif, grosso modo, de la réalité du coût du mix électrique, même s'il y a aussi des taxes, le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (Turpe), etc. Notre objectif est que la réforme du marché de l'électricité fasse en sorte, lorsqu'elle sera mise en œuvre en 2026, lorsque l'Arenh prendra fin, en principe, au 31 décembre 2025, que ce que paient les Français dans le cadre du tarif réglementé de vente de l'électricité (TRVE) minoré du bouclier tarifaire soit équivalent au dispositif qui suivra, afin que cela représente la réalité du coût de notre mix électrique.

Les industriels, qui peuvent prendre des risques, qui peuvent contribuer à l' « effacement » de la consommation électrique et qui peuvent souscrire des contrats de long terme, sur quinze ans, ce qui donne à EDF une assurance dans la durée, peuvent effectivement prétendre à bénéficier des coûts reposant sur des références plus basses. C'est un des enjeux soit d'une négociation sur la base des CFD, soit d'une conclusion directe de PPA. Comme une PME industrielle n'est pas outillée pour conclure un PPA sophistiqué, il est utile d'avoir d'autres formes de contrats, soit des PPA standards soit des CFD.

Pour ce qui est de la prolongation des centrales et de la sanctuarisation des barrages hydroélectriques , Monsieur Tanguy, je vous alerte simplement sur le fait que cela représente aussi beaucoup d'investissements pour préserver les capacités de production. Dans le compte de résultat d'EDF, les financements et la performance opérationnelle permettront, bien sûr, de dégager des marges de manœuvre pour financer le nouveau nucléaire, mais il faudra également financer un certain nombre d'autres objets. S'agissant des barrages, ce sont des décisions prises sans regrets.

Monsieur Roseren, vous avez eu raison de souligner le défi en matière de compétences. Il est absolument majeur : il faudra réaliser 100 000 recrutements dans les dix prochaines années, dont 60 000 dans le cœur des métiers du nucléaire. L'Université des métiers du nucléaire nous a présenté un plan Marshall pour les compétences, que nous sommes en train de déployer. Nous avons ainsi annoncé 40 millions d'euros d'investissements en Normandie pour développer des formations. C'est un sujet qu'il faudra suivre de très près : il faut attirer les talents et les conserver. On constate, en lien avec les rémunérations et l'intérêt pour les métiers exercés, que les gens qui entrent dans ce secteur le quittent assez rarement, mais il faut déjà le connaître. Je précise également que les recrutements auront lieu dans tout le territoire national.

L'Alliance du nucléaire nous permettra de solidifier la chaîne d'approvisionnement, d'échanger des talents – des gens formés sur un chantier pourront se relayer sur d'autres : des synergies sont à créer en la matière –, et de faire monter en compétence toute la chaîne industrielle européenne. Voilà pour le volet industriel et la capacité à réduire les coûts de chaque projet.

Le deuxième élément, s'agissant de l'Alliance du nucléaire, est la réactivation du traité Euratom, en lui donnant sa pleine dimension, notamment pour le financement des SMR, l'accompagnement en matière de taxonomie et le respect d'une neutralité technologique parfaite dans les textes à venir.

Je n'ai pas répondu à Mme Dalloz sur un point : nous construirons un réacteur tous les dix-huit mois s'agissant des deux premières paires et ensuite un réacteur tous les ans, y compris dans l'hypothèse des huit réacteurs supplémentaires – nous prendrons la décision ensemble.

Madame Louwagie, vous avez fait référence à un label centré sur les énergies renouvelables qui a été créé par un gouvernement précédent. Votre question illustre le fait que le monde a changé en cinq ans et qu'il faut en tirer toutes les conséquences.

En ce qui concerne la réorganisation d'EDF, Madame Ferrari, vous avez pu constater que l'objectif du point de vue opérationnel – je ne parle pas des questions actionnariales – était de faire monter en puissance les compétences industrielles dans le pilotage du projet par la séparation de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'œuvre et une responsabilité de conduite de projet et des achats industriels, grâce à un profil qui a vocation à avoir un parcours industriel très fort. On le voit bien dans la manière dont se met en place cette nouvelle réorganisation, l'enjeu de l'excellence opérationnelle et industrielle que nous attendons d'EDF est traité. Nous sommes maintenant dans une phase de préfiguration, et l'objectif est de mettre les meilleures compétences au meilleur endroit, avec la meilleure conduite du projet et des décisions rapides et fluides qui tirent l'ensemble de la filière.

Monsieur Bouyx, les opérateurs d'énergies renouvelables ne sont pas exactement les mêmes, à l'heure actuelle, que les opérateurs du nucléaire. EDF fait les deux et Engie fait du renouvelable et encore un peu de nucléaire en Belgique, mais Total ne fait que du renouvelable et du pétrolier et d'autres acteurs ne font que du renouvelable. La majorité d'entre eux sont autoportants pour leurs projets d'investissement dans le renouvelable. Ils peuvent ensuite choisir de suivre une logique de régulation en allant chercher dans des appels d'offres un prix moyen pour se couvrir pendant la durée de leur investissement. Nous pouvons y être gagnants, mais nous pouvons aussi, de temps en temps, être sollicités au titre du budget. Je rappelle que les énergies renouvelables représentent 30 milliards d'euros de contribution au budget au cours des deux dernières années, ce qui est considérable. Nous finançons ainsi un bouclier énergétique qui n'a pas d'impact sur notre trajectoire de finances publiques – c'est une réforme du marché de l'électricité avec des moyens un peu frustes mais efficaces. Du côté du nucléaire, un CFD permet de sécuriser les investissements de l'opérateur en lui garantissant un prix sur la durée, quel que soit le prix du marché, sur la base de la réalité des coûts dès lors qu'il assure opérationnellement l'excellence industrielle qu'on attend de lui. C'est la logique et la raison de retours sur investissement très importants.

Monsieur Laisney, il me semble que le rapport sur la sûreté nucléaire que vous avez évoqué a été très largement adopté par les membres de l'Opecst, et je peux vous confirmer que l'État va s'en saisir : il va l'analyser et nous vous ferons savoir très vite les suites que nous comptons lui donner. En tout cas, l'objectif du Gouvernement, comme je l'ai déjà indiqué à plusieurs reprises, est de renforcer la sûreté nucléaire. Je me bats avec Bruno Le Maire pour avoir des moyens supplémentaires en la matière – mais je vous rassure, il ne s'agit pas de bataillons de 500 personnes.

Nous devons renforcer la sûreté nucléaire en créant des équipes consacrées aux AMR et aux SMR ainsi qu'au réchauffement climatique, car il faut traiter tous les dossiers. L'enjeu est de faire travailler ensemble tout le monde – je crois que les rapporteurs ont proposé de retenir un nouveau nom – au service de l'excellence en matière industrielle, opérationnelle et de sûreté, c'est-à-dire au service des Français.

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Madame la ministre, Monsieur le ministre, il me reste à vous remercier.

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Je vous remercie, à mon tour, pour la qualité de vos réponses.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 12 juillet 2023 à 18 heures

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Stella Dupont, Mme Marina Ferrari, Mme Félicie Gérard, M. François Jolivet, M. Emmanuel Lacresse, M. Mohamed Laqhila, M. Pascal Lecamp, Mme Véronique Louwagie, M. Louis Margueritte, Mme Louise Morel, M. Benoit Mournet, M. Christophe Plassard, M. Xavier Roseren, M. Jean-Philippe Tanguy

Excusés. - M. Franck Allisio, M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Manuel Bompard, M. Frédéric Cabrolier, M. Joël Giraud, M. Tematai Le Gayic, Mme Mathilde Paris, Mme Christine Pires Beaune, M. Michel Sala, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl

Assistaient également à la réunion. - M. Xavier Albertini, M. Antoine Armand, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Bertrand Bouyx, Mme Françoise Buffet, M. Pierre Cordier, M. Romain Daubié, Mme Christine Engrand, Mme Florence Goulet, M. Sébastien Jumel, M. Guillaume Kasbarian, M. Maxime Laisney, Mme Nicole Le Peih, M. Hervé de Lépinau, M. Jean-Paul Mattei, M. Patrice Perrot, Mme Anne-Laurence Petel, M. Matthias Tavel