Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 4 octobre 2017 à 16h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission a procédé à l'audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, sur la fusion des activités ferroviaires d'Alstom et Siemens et sur la reprise de STX.

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Monsieur le ministre de l'économie et des finances, c'est un plaisir de vous souhaiter la bienvenue pour cette audition conjointe, qui permettra aux membres de nos deux commissions de discuter, d'évaluer, de poser des questions, de mieux comprendre le dossier de la fusion des activités ferroviaires d'Alstom et Siemens et celui de la reprise de STX. La commission des finances est évidemment particulièrement intéressée par ces sujets, qui touchent au rôle de l'État actionnaire et ainsi, d'une certaine manière, aux finances publiques. Je vous remercie donc d'avoir très rapidement accepté notre invitation.

Avant de céder la parole au président Roland Lescure, je souhaite poser immédiatement une première question. Je ne m'interroge pas sur l'opportunité elle-même du rapprochement entre Siemens et Alstom – vous l'avez encore dit tout à l'heure, lors des questions au Gouvernement, Monsieur le ministre : alors que le paysage concurrentiel change depuis quelques années, notamment avec une concurrence chinoise toujours plus forte, il faut une offre consolidée. Je ne m'interroge donc pas sur le « pourquoi » de l'opération, je m'intéresse plutôt au « comment ». La comparaison entre les deux dossiers à l'ordre du jour, STX et Alstom, est assez troublante. Dans le cas de STX, un accord conclu avec un italien, Fincantieri, est remis en cause au motif d'un déséquilibre entre les différents partenaires. Il donnait la part belle aux Italiens, selon le Gouvernement, qui est allé jusqu'à procéder à une nationalisation pour garantir un accord plus équilibré. Défendre l'idée d'une coopération industrielle européenne équilibrée peut se comprendre : il n'est qu'à voir Airbus. Mais dans le dossier Alstom, le Gouvernement défend une position qui nous semble inverse : un bon accord serait là un accord déséquilibré. Pourquoi ce qui était vrai dans le dossier STX ne le serait-il plus dans le dossier Alstom ? Pourquoi ce qui est vrai dans un domaine aussi important que la construction navale ne serait pas vrai dans le domaine ferroviaire ?

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Monsieur le ministre, je vous souhaite une nouvelle fois la bienvenue, puisque nos deux commissions ont déjà eu, l'une et l'autre, l'occasion de vous entendre – et nous en sommes toujours très heureux.

L'Européen que je suis a passé, la semaine dernière, une bonne semaine. Le Président de la République a prononcé, à la Sorbonne, un discours ambitieux, qui a redonné une perspective européenne, avec des propositions concrètes pour bâtir une souveraineté européenne, efficace, réelle, notamment en construisant une puissance économique et industrielle. Cela tombe bien : dans la foulée, le Gouvernement a choisi de joindre les actes à la parole en soutenant l'émergence de deux champions industriels européens, dans le domaine ferroviaire et dans le domaine maritime. Et comme j'ai été frappé par le nombre de discours défensifs que ces rapprochements ont suscité au cours de ces derniers jours, je veux donner un peu d'espoir à mes collègues, les faire rêver, et pas seulement cauchemarder. Les secteurs ferroviaire et maritime sont des secteurs d'avenir : au cours des prochaines années, 2,5 milliards d'êtres humains rejoindront les zones urbaines, et 2,5 milliards d'urbains rejoindront la classe moyenne, et pour une large part dans les pays émergents. Si nous voulons accompagner cette évolution, que ce soit en matière de transports collectifs urbains, secteur où Alstom est très présent, ou de navires de tourisme, industrie en pleine expansion, nous devons naviguer, si j'ose dire, à l'échelle planétaire. Il nous faut donc construire des champions planétaires.

Or, bien que puissant, Alstom était presque un nain dans un secteur dans lequel le numéro un chinois réalise à lui seul un chiffre d'affaires plus important que les trois champions Alstom, Siemens et Bombardier. La filière européenne était en danger, il était temps de réagir. Quant au marché naval, après quelques années de doute, il est lui aussi en pleine mutation. Les géants de cette industrie sont surtout asiatiques. Alors que la construction navale chinoise est l'affaire du secteur public, avec, depuis 1999, deux conglomérats qui représentent 70 % du secteur, je ne peux que me réjouir que nous construisions l'Europe du train et l'Europe de la construction navale après l'Europe de l'avion. Comme vous l'avez rappelé pendant les questions au Gouvernement, Monsieur le ministre, il s'agit de réunir le meilleur des compétences européennes pour construire les futurs géants.

Cependant, le train qui part ne saurait laisser trop de voyageurs sur le quai. Il est légitime que la Représentation nationale s'interroge sur les termes de ces accords et sur la capacité du Gouvernement à défendre les intérêts de la France, notamment en termes d'emplois, de localisation des sites et de savoir-faire. Je vous laisse donc la parole, Monsieur le ministre, pour présenter les accords et les dispositifs mis en place par le Gouvernement pour préserver les intérêts français, aujourd'hui et au fil du développement des entreprises concernées.

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Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances

Merci, Mesdames et Messieurs les députés, d'être venus si nombreux à cette réunion conjointe de vos deux commissions. Nous allons traiter aujourd'hui de sujets particulièrement sensibles. C'est pourquoi je vous suis très reconnaissant d'avoir organisé cette réunion conjointe, qui permettra d'éclairer la Représentation nationale sur les choix du Gouvernement et, au-delà, d'éclairer tous les Français sur des choix stratégiques pour l'emploi, pour notre souveraineté nationale et pour l'avenir de notre industrie.

Je veux répondre immédiatement à la très légitime question du président Éric Woerth, qui s'interroge sur une différence d'approche entre le rapprochement de STX et Fincantieri, d'une part, et celui entre Alstom et Siemens, d'autre part. Avec le Président de la République, nous avons souhaité remettre en cause, l'été dernier, l'accord préliminaire qui avait été conclu entre STX et Fincantieri pour deux raisons. La première est que cet accord était bancal, puisqu'il accordait 48 % des droits de vote à Fincantieri et 6 % de l'actionnariat à une fondation, la fondation CR Trieste, qui n'était en fait qu'un subterfuge pour dissimuler la prise de participation majoritaire de l'Italie. Pour notre part, nous pensons qu'il vaut mieux avancer à visage découvert vis-à-vis des Français. Soit nous acceptons que l'Italie détienne, via Fincantieri – filiale de l'équivalent italien de la Caisse des dépôts et consignations, autrement dit entité publique italienne –, la majorité du capital, soit nous estimons que ce n'est pas bon et nous construisons un autre accord plus transparent vis-à-vis des Italiens et des Français ; c'est ce que nous avons voulu faire. La deuxième raison est que nous estimions que les garanties n'étaient pas suffisantes – je l'ai moi-même constaté en examinant très attentivement le projet d'accord conclu entre Fincantieri, la fondation CR Trieste et l'État français, notamment à travers Naval Group.

Nous avons ensuite fait une contre-proposition à l'Italie, sous la forme d'un accord à 50-50 que celle-ci a refusé. L'affaire a pris des proportions politiques que j'ai pu mesurer en me rendant à trois reprises à Rome. Au-delà du gouvernement italien, le peuple italien estimait que la France faisait une mauvaise manière à l'Italie en lui refusant un accord aux termes duquel elle aurait été majoritaire : « La France a acheté beaucoup d'industries italiennes, et le jour où l'Italie essaie enfin de prendre une position majoritaire en France, on nous ferme la porte ! Cette coopération franco-italienne ne peut être à sens unique ! » m'expliquait-on.

J'ai toujours estimé qu'un accord entre la France et l'Italie était nécessaire pour que nous ayons une industrie navale solide, capable de résister à la compétition mondiale. Cela a toujours été mon intuition, je n'ai pas varié. J'ai donc cherché un accord avec notre partenaire italien, et nous sommes parvenus à un accord beaucoup plus équilibré et beaucoup plus protecteur des droits français. Il permet effectivement à l'État français, pendant une durée de douze ans renouvelable, de reprendre la majorité du capital de STX – désormais Chantiers de l'Atlantique – si jamais nous estimons que Fincantieri ne respecte pas ses engagements. C'est évidemment une amélioration considérable par rapport à l'accord précédent : les garanties sont plus solides et l'État peut reprendre la main pendant douze ans à intervalles réguliers. Tandis que dans le cas d'Alstom et Siemens, l'accord est clair depuis le début, sans aucune ambiguïté, notamment pour ce qui touche au partage de l'actionnariat.

La deuxième différence est que les chantiers navals présentent un aspect militaire stratégique que l'on ne retrouve pas dans le cas d'Alstom et de Siemens. Les chantiers navals sont la seule structure dont nous disposons pour réaliser une coque de porte-avions. Si demain le Président de la République décide la construction d'un second porte-avions pour garantir la succession du Charles de Gaulle afin que la France et l'armée française gardent un groupe aéronaval, il est indispensable d'avoir des assurances sur les chantiers navals. Dans l'accord précédent, les garanties n'étaient pas suffisantes ; aujourd'hui, elles le sont. Voilà qui explique, à mes yeux, une vraie différence entre les deux accords : les enjeux ne sont pas exactement les mêmes.

Je reviens à la question plus générale qui nous occupe aujourd'hui. Avec le Président de la République et le Premier ministre, nous avons fait un choix stratégique : bâtir des industries et de grands groupes industriels européens. C'est là la vraie ligne de partage. Il y a ceux qui pensent – ils peuvent avoir des raisons – que, dans ces secteurs ferroviaire ou naval, nos groupes industriels peuvent survivre à l'échelle nationale ; et il y a ceux, dont je suis, qui estiment que la concurrence non seulement américaine mais aussi, désormais, chinoise rend absolument indispensable le regroupement des forces européennes. Or, dans cette compétition industrielle, il faut bouger vite parce que nos partenaires ne nous attendent pas ; il faut avancer vite, progresser rapidement, et, désormais, la taille critique est désormais européenne beaucoup plus que nationale. On cite souvent Airbus ; on pourrait citer aussi STMicroelectronics, très bon exemple de coopération franco-italienne dans le domaine des microprocesseurs, où les investissements nécessaires se chiffrent en milliards d'euros, ce qui est à l'échelle non pas d'une nation – tous ceux qui sont dans la région de l'Isère le savent – mais de plusieurs nations européennes. Si nous voulons avoir, demain, des géants du numérique, ils ne seront pas français, allemands, italiens ou espagnols, ils seront européens. Ce choix nous engage tous. J'en entends dire qu'on peut nationaliser, que l'État peut diriger ; c'est absurde. L'État n'a ni les moyens financiers, ni la compétence économique, ni l'expertise technologique pour diriger les grands géants industriels du ferroviaire, du naval, des microprocesseurs ou du numérique. Je n'y crois pas une seconde, et je pense que ce n'est pas le rôle de l'État. Et ce serait envoyer droit dans le mur notre économie, nos salariés, nos ouvriers et nos compétences. Le président Éric Woerth a posé la question des modalités, nous pourrons y revenir, mais je voudrais vraiment placer le débat à ce niveau. Les géants industriels du ferroviaire, du numérique, du digital, de l'aéronautique, de l'espace sont-ils nationaux ou européens ? Ma réponse est claire : à mes yeux, ils ne peuvent être qu'européens. C'est donc le choix que nous avons fait, aussi bien pour STX que pour Alstom ; c'est le choix que nous continuerons à faire, dans les semaines et les mois qui viennent.

Je veux également rappeler que l'industrie française est elle aussi capable, dans d'autres secteurs que l'on ne cite malheureusement pas suffisamment, de prendre le leadership et de s'allier avec d'autres partenaires européens, en position de force et en position majoritaire. Citons l'exemple d'Essilor-Luxottica, premier géant de la lunetterie mondiale, avec des marques comme Ray-Ban, l'une des plus connues au monde – bien plus que la tour Eiffel, pour vous donner un niveau de comparaison ! Citons aussi, dans l'agroalimentaire, Lactalis, qui a racheté Parmalat ; Peugeot, qui rachète Opel ; Seb, qui rachète le principal producteur de machines à café allemand, WMF. Nous avons en France des capacités industrielles suffisamment puissantes pour constituer à nouveau des géants, européens parce que c'est la seule taille critique qui vaille, mais avec une participation française majoritaire. Il me paraît parfaitement équilibré d'avoir des géants industriels européens à majorité française et d'autres à majorité italienne ou allemande ; et je ne pense pas, contrairement à ce qui se dit ici ou là, que cela menace l'emploi ou les sites industriels en France.

J'entre maintenant dans le détail des deux opérations qui nous occupent aujourd'hui.

En ce qui concerne l'alliance d'Alstom et de Siemens, je détaillerai ce que j'ai eu l'occasion d'indiquer tout à l'heure lors des questions au Gouvernement. Nous n'avions, jusqu'en 2005 ou 2006, aucun grand concurrent international dans le secteur ferroviaire En l'espace d'un peu plus de dix ans, la Chine, grâce à des aides d'État massives et avec un regroupement monopolistique de deux grands groupes, a formé un géant mondial, CRRC, dont le chiffre d'affaires est de 30 milliards d'euros, soit quatre fois celui d'Alstom, avec des investissements annuels de l'ordre 7 milliards d'euros sur les marchés extérieurs et 20 milliards d'euros de contrats déjà réalisés en quelques années. Son investissement sur le marché américain en 2016 lui a permis d'emporter tous les appels d'offres aux États-Unis – je dis bien : tous – pour le matériel ferroviaire. Et quand je parle de matériel ferroviaire, entendons-nous bien, il ne s'agit pas que du TGV, mais de ce qui est aujourd'hui l'objet de la très large majorité des appels d'offres : les RER, les tramways et les métros. Car les grands travaux de demain, ce n'est pas uniquement de l'équipement des lignes à grande vitesse, c'est surtout de l'équipement de zones urbaines de plus en plus denses, qui ont besoin de transports publics. C'est là-dessus que les marchés se jouent, et également sur la signalisation, vecteur de création de richesses le plus important de ces grandes entreprises. Rappelons aussi que CRRC a noué contact avec Skoda en République tchèque avec l'intention très claire de conquérir le marché européen, après avoir conquis le marché américain. Voilà exactement où nous en sommes aujourd'hui : un géant chinois, numéro un mondial, qui a émergé en quinze ans, a pris tout le marché nord-américain et qui veut prendre demain tout le marché européen.

Que faisons-nous ? Nous pouvons rester immobiles, à chanter les louanges d'Alstom, à suspendre à nos murs les diplômes du TGV qui a roulé à 400 kilomètres-heure et qui a été il y a vingt-cinq ans le train le plus rapide au monde, nous pouvons vivre dans le passé, dans la nostalgie, et nous reposer sur nos lauriers… ou retrouver un esprit de conquête. Je pense qu'il faut retrouver un esprit de conquête, et que les salariés d'Alstom, avec leurs compétences et leurs technologies, qui sont exceptionnelles, méritent de s'allier avec les meilleurs, c'est-à-dire avec Siemens. Le rapprochement entre Siemens Mobility et Alstom permettra de faire émerger le deuxième leader mondial de la construction ferroviaire et le numéro un mondial de la signalisation. Or, la différence dans les appels d'offres se fera très probablement moins sur le matériel roulant que sur les technologies embarquées, sur la digitalisation des rames et sur la signalisation : c'est cela qui permettra demain à notre industrie ferroviaire de ne pas être « larguée » par l'industrie ferroviaire chinoise. Nous serons meilleurs que les Chinois sur la signalisation, les avancées technologiques, les bogies, les voies, tout ce qui est embarqué à bord des rames ; sur la superstructure en revanche, la carcasse, l'acier, le combat est par définition inégal, parce que la valeur est moindre et que la faiblesse des coûts de production chinois fait la différence.

Autre point sur lequel je veux insister, les dirigeants de Siemens ont pris, par écrit, des engagements importants, qui seront consolidés dans le cadre de la procédure relative aux investissements étrangers en France. Henri Poupart-Lafarge, actuel président d'Alstom, présidera le nouvel ensemble. La composition du conseil d'administration reflétera le caractère franco-allemand de l'entreprise, puisqu'il comprendra quatre administrateurs indépendants de Siemens, dont trois Français, et les trois membres français de ce conseil d'administration auront un droit de veto sur les décisions stratégiques du nouvel ensemble Siemens-Alstom. Le siège de l'entreprise sera maintenu en France, avec une cotation à la Bourse de Paris pour une durée au moins équivalente à dix ans. Siemens transférera l'ensemble de sa division mobilité et matériel roulant à la nouvelle entreprise et s'engage à ne recréer aucune activité concurrente sur le matériel roulant en son sein. Les compétences industrielles en France et en Allemagne seront conservées. L'intégralité des sites seront préservés et le niveau d'emploi global en France et en Allemagne sera maintenu. Aucun départ contraint et aucune fermeture de site ne pourront avoir lieu dans ces deux pays, jusqu'en 2023 au moins. Les investissements et l'emploi dans les départements de recherche et développement resteront au minimum à leur niveau actuel en France et en Allemagne jusqu'en 2023. L'ensemble des engagements pris par l'État en 2016 concernant le site de Belfort seront repris. Enfin, l'entreprise s'engage vis-à-vis des sous-traitants français et allemands à maintenir les commandes nationales à leur niveau actuel et à poursuivre les contrats en cours. Voilà très concrètement l'ensemble des engagements rendus publics au cours de cette audition, pris par Siemens vis-à-vis d'Alstom et des pouvoirs publics. Tous ces engagements que je viens de vous citer, dont seule une partie était publique jusqu'à présent, feront l'objet d'un comité de suivi, qui associera des représentants des salariés, des administrateurs indépendants et des membres des gouvernements français et allemand. J'ai moi-même indiqué aux salariés de Valenciennes il y a deux jours, que je présiderai du côté français ce comité de suivi et que j'attends du gouvernement allemand qu'il propose, dès que mon homologue sera nommé, que celui-ci préside ce comité de suivi pour la partie allemande.

Certains nous reprochent de ne pas avoir exercé les options d'achat que nous avions sur les titres d'Alstom prêtés par Bouygues à l'État ; ce faisant, l'État n'a pas pris de participation dans le nouvel ensemble Siemens-Alstom. Ce reproche n'a pas de sens, car il n'y aurait tout simplement pas eu d'alliance entre Siemens et Alstom si l'État avait fait usage de ses options d'achat… Cette raison devrait être suffisante pour répondre aux interrogations des uns et des autres. L'opération n'était tout simplement pas possible. Dans ce cas, Siemens se serait tourné vers l'autre possibilité qui lui était offerte : le rachat de Bombardier, dont les sites en France représentent environ 2 000 emplois. Gouverner, c'est choisir, et le choix était simple : renoncer à l'opération entre Siemens et Alstom en exigeant la montée de l'État au capital d'Alstom pour acheter un strapontin à prix d'or, ou laisser Siemens s'allier avec Bombardier en laissant Alstom isolé en France et incapable de faire face aux investissements nécessaires pour rester dans le flot de la concurrence ? Nous avons fait le choix d'une alliance entre Siemens et Alstom sans participation de l'État. Je suis convaincu que c'est le bon choix, le choix juste, le choix responsable. Comme le disait très bien Bismarck, dans un jeu de puissances à trois, il vaut mieux être une des deux… Eh bien, aujourd'hui, avec Siemens, nous sommes une de ces deux puissances. Si nous n'avions pas fait ce choix, nous aurions été la troisième puissance, celle qui se fait toujours avoir au bout du compte, celle qui est isolée. Je préfère être dans la position d'Alstom allié avec Siemens plutôt que dans celle de Bombardier aujourd'hui. Et nous verrons, dans cette consolidation industrielle qui se poursuivra nécessairement, ce qu'il adviendra de Bombardier et du constructeur ferroviaire espagnol CAF qui, avec environ 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires, se retrouve lui aussi isolé sur le continent européen. Les affaires industrielles internationales ne laissent malheureusement pas beaucoup de place pour la bénévolence à l'égard des uns ou des autres.

Par ailleurs, le rôle de l'État, à mon sens, n'est pas de spéculer sur des entreprises du secteur concurrentiel. Certains nous reprochent d'être passés à côté d'une plus-value ; mais le rôle de l'État n'est pas de faire des plus-values. Pour commencer, elles sont incertaines : ceux qui me font ce reproche sont ceux qui appelaient à monter au capital de Renault ; et aujourd'hui, nous nous retrouvons « scotchés » avec quelques pourcents du capital de Renault que je n'arrive pas à vendre, parce que le cours de l'action n'est pas suffisamment élevé !

Il y a évidemment un autre choix cohérent, celui de La France insoumise qui soutient que l'État doit rester au capital de Renault et prendre des participations majoritaires dans toutes les entreprises du secteur concurrentiel. C'est la ruine de l'État et l'échec garanti des entreprises ! Renault ne s'est jamais aussi bien porté que depuis qu'un dirigeant a noué des alliances et consolidé sans beaucoup se soucier de ce que pouvaient être les orientations de l'État. Le rôle de l'État n'est pas de diriger les entreprises à la place des entrepreneurs, il n'est pas de faire l'industrie à la place des industriels ; il est de préparer l'avenir, de fixer un cadre, de faciliter l'innovation et l'investissement, de veiller au respect des engagements, certainement pas de prendre des participations majoritaires ! S'il le fait, qui dirige alors ? Avec quelles compétences ? Où est le représentant de l'État, le fonctionnaire qui a les capacités, les qualités, l'expérience, l'expertise pour diriger Renault ou Alstom ? Avez-vous été formés à cela, Mesdames et Messieurs les administrateurs, Mesdames et Messieurs les fonctionnaires ? Ce n'est pas votre job, ce n'est pas votre métier, ce n'est pas votre formation. Le passé nous a montré que s'aventurer dans cette direction mène à la nationalisation de toutes les grandes entreprises, et à leur échec. Qui plus est, je l'ai dit, la plus-value n'est jamais garantie ; ce faisant, on expose l'État à des risques financiers importants, notamment celui de se retrouver avec une participation qu'il ne pourra pas vendre quand il le souhaitera parce que le cours de bourse ne sera pas exactement conforme à son voeu. Enfin, une participation de 15 % nous aurait coûté une somme élevée, qui se chiffre en milliards d'euros, pour ne nous donner au conseil d'administration qu'un siège sans pouvoir de décision.

Quitte à dépenser de l'argent public, ce à quoi je suis prêt quand c'est utile au contribuable et à la souveraineté française, je préfère que l'État passe à Alstom ou au nouvel ensemble des commandes qui garantiront le plan de charge de l'entreprise plutôt que d'acheter à prix d'or un strapontin dans un conseil d'administration où il comptera les balles sans pouvoir prendre les décisions nécessaires. Acheter 15 % du capital d'Alstom à 35 euros par action aurait coûté un peu plus de 1 milliard d'euros à l'État ; en acquérir 20 %, près de 1,5 milliard d'euros. Cela fait cher le strapontin !

Quant à la joint-venture entre Alstom et General Electric, un ancien ministre de l'industrie, dont je ne regrette pas qu'il ne le soit plus, a tenu des propos absolument scandaleux sur le sujet, mélangeant des choses qui n'ont absolument rien à voir – il a sans doute oublié son passage au ministère de l'industrie. General Electric et la joint-venture avec Alstom n'ont absolument rien à voir avec le dossier ferroviaire qui nous occupe. C'est comparer des carottes et des navets, des choux et des fraises, et mélanger des choses qui n'ont absolument rien à voir. En revanche, l'État détiendra toujours une action de préférence au capital de la société en charge des turbines à vapeur du parc nucléaire français – je tiens à rassurer la joint-venture sur cet aspect effectivement déterminant ; il continuera à exercer les droits qu'il détient, en particulier son droit de veto sur les questions stratégiques. J'ai eu l'occasion d'en parler avec Jean-Pierre Chevènement qui, lui, est sérieux et responsable, et que cette question préoccupait. Je tiens à vous rassurer : l'État continuera à exercer ses droits, notamment son droit de veto sur les décisions stratégiques.

Enfin, il n'y a pas plus de lien entre cette opération entre Alstom et Siemens et l'engagement de créer 1 000 emplois en France d'ici à la fin de l'année 2018 pris par General Electric, auquel je veillerai. On ne peut pas lier la question des engagements de General Electric sur l'emploi et la fusion d'Alstom et Siemens ; cela n'a absolument rien à voir, et ce sont deux questions qu'il faut absolument déconnecter.

S'agissant de STX et Fincantieri, je vais rappeler la nature de l'accord qui a été conclu, sans revenir sur les explications qui ont été apportées au président Éric Woerth quant aux choix qui ont été faits. Le capital sera désormais réparti comme suit : 50 % pour Fincantieri ; 34 % pour l'État français ; 10 % pour Naval Group ; 2 % pour les salariés ; 3,66 % pour les acteurs locaux. J'ai obtenu de l'État italien qu'il accepte que les acteurs locaux, c'est-à-dire les petites et moyennes entreprises (PME) locales, participent au capital du nouvel ensemble. Je pense que c'est une bonne chose ; les PME locales ont encore quelques réserves, à elles de me dire quel sera leur choix, je souhaite en tout cas qu'elles puissent participer.

Sur cette base, nous avons introduit un prêt de titres, qui représente 1 % du capital, de l'État français à Fincantieri. Ce prêt pourra être révoqué lors de créneaux de trois mois au deuxième, cinquième, huitième et douzième anniversaire de l'accord. J'entends certains dire que nous n'exercerons jamais ce droit de reprise du 1 % du capital dans Fincantieri car ce serait l'équivalent de l'arme nucléaire, ce n'est absolument pas vrai. Ce sont des rendez-vous à échéance régulière. D'ici deux ans, nous aurons une période de trois mois pour vérifier que les engagements de Fincantieri sont tenus, et si ce n'est pas le cas, nous reprendrons notre prêt. Cette affirmation venant de quelqu'un qui – quelle que soit son histoire personnelle – a signé un décret de nationalisation des Chantiers de l'Atlantique, vous pouvez bien penser que nous n'hésiterons pas à récupérer 1 % du capital si les engagements ne sont pas tenus.

Ces engagements portent notamment sur le respect des règles de gouvernance et la préservation du savoir-faire et de la propriété intellectuelle des chantiers. Nous avions résilié le précédent accord parce que nous nous inquiétions que le savoir-faire soit transféré ailleurs, notamment en Chine. La confiance se construit progressivement, et nous voulons faire très attention à ce qu'il n'y ait aucun transfert de technologie vers la Chine. C'est du reste exactement la même histoire que pour Siemens et Alstom : ne pas s'unir avec l'Italie, c'est courir le risque que la Chine ne s'intéresse aux chantiers italiens et isole les chantiers français. Si nous avons voulu cet accord, c'est pour éviter que l'industrie chinoise, dans le domaine naval comme dans le domaine ferroviaire, ne prenne pied en Europe. Parce c'est là qu'est le risque.

Parmi les engagements figurent également le traitement équitable des chantiers au sein du groupe Fincantieri s'agissant des commandes – lorsqu'une commande tombe, il ne faut pas que les chantiers de Trieste soient systématiquement privilégiés par rapport à ceux de Saint-Nazaire –, la préservation de l'emploi et du tissu de sous-traitance local et le maintien du même niveau d'investissement que ce qui pourrait être requis pour moderniser les chantiers.

Voilà les quelques éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. J'imagine que vous avez beaucoup de questions sur tous ces sujets ; mais je répète que le choix stratégique qui est fait, et que nous assumons, est que face à une concurrence mondiale de plus en plus féroce et de plus en plus rapide, il vaut mieux s'unir entre Européens que se diviser.

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Monsieur le ministre, je tiens tout d'abord à saluer l'importance que vous reconnaissez à l'industrie française. L'industrie est en effet un secteur qui reste porteur, exportateur et créateur d'emplois, puisqu'un emploi dans l'industrie en génère quatre autres dans le reste de l'économie – chaîne de sous-traitance et fonctions support. Vous avez évoqué la gloire du TGV ; je peux parler de celle du métro automatique Val, créé dans le Nord il y a maintenant quarante-cinq ans. Des stratégies, des accords européens industriels, nous donnent la capacité de concevoir les futures innovations et de maintenir et créer des emplois.

Toutefois, Bombardier, concurrent canadien, est implanté en France où il emploie 2 000 salariés. Vous êtes allé récemment à Valenciennes visiter Alstom, à vingt kilomètres d'un site Bombardier. Pour faire face à CRRC, ce géant chinois au chiffre d'affaires de 30 milliards d'euros qui pèse à lui seul plus lourd qu'Alstom, Siemens et Bombardier, ne peut-on envisager une intégration à moyen terme de la société canadienne ? Quelles sont les perspectives données dans les stratégies du groupe Alstom-Siemens ? Plus largement, quelle est la position de l'État quant à l'industrie et aux orientations qui seront prises dans ce sens ?

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Monsieur le ministre, en tant que membre de la commission des finances, je souhaite vous interroger sur la protection des intérêts financiers de l'État, car je sais que cela a toujours été une priorité pour vous. Mon collègue Julien Dive vous questionnera sur les aspects économiques et industriels de la fusion.

En juin 2014, à l'initiative du ministre de l'économie de l'époque, Arnaud Montebourg, l'État a signé un accord avec Bouygues lui offrant deux options d'achat de 20 % des actions détenues par Bouygues dans Alstom depuis 2006, à un prix situé entre 30 et 35 euros l'action, selon les hypothèses. Ces options sont valables pour encore quelques jours. Or vous venez de confirmer que vous aviez décidé de ne pas lever ces options – vous l'avez notifié au conseil d'administration de Bouygues où siègent depuis 2014 deux administrateurs qui ont été désignés par l'État.

Cette non-levée d'option pose la question de la protection des intérêts de l'État actionnaire. Il est en effet possible que l'action Alstom continue de se valoriser dans les prochains mois : outre le dividende exceptionnel et la prime de contrôle, tous les deux de 4 euros par action, on peut espérer que ce regroupement soit source de synergies, et donc de valeur, faute de quoi la fusion n'aurait aucun sens.

Dès lors que, dans un avenir plus ou moins proche, la valeur de l'action Alstom excéderait sensiblement les 35 euros, ne risquez-vous pas, monsieur le ministre, vous voir reprocher de ne pas avoir suffisamment défendu les intérêts de l'État ?

Il se trouve qu'en décembre dernier, j'ai eu à témoigner en défense de Mme Christine Lagarde devant la Cour de justice de la République. La Cour ne m'a pas interrogé sur la procédure d'arbitrage, mais sur le fait que la ministre n'avait pas engagé de recours contre la sentence arbitrale, et qu'elle n'avait donc pas utilisé tous les moyens à sa disposition pour sauvegarder les intérêts de l'État. Et Mme Lagarde a été condamnée pour négligence dans l'utilisation des fonds publics…

Vous venez d'indiquer, comme l'avaient fait vos collaborateurs la semaine dernière, que si l'État levait l'option, l'opération de fusion ne pourrait pas se faire car elle serait refusée par Siemens, et qu'il n'y aurait donc pas, par construction, de plus-value. Mais justement, ne pourrait-on pas vous reprocher le moment venu de n'avoir pas utilisé tous les moyens pour protéger les intérêts de l'État, par exemple par le prêt d'actions à Siemens, comme Bouygues les a prêtées à l'État depuis 2014 ? Ou encore par une clause de partage, le moment venu, de l'éventuelle plus-value avec Bouygues ? Même en citant Bismarck, de triste mémoire pour nous Français, vous n'avez pas totalement répondu à ces interrogations.

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Monsieur le ministre, vous vous êtes engagé à suivre l'évolution de ce nouveau géant du ferroviaire. La pérennité de l'emploi, qui préoccupe nos territoires, sera conditionnée par la réussite de l'opération à l'issue du délai de quatre ans au terme duquel les engagements pris par Siemens à l'égard d'Alstom ne seront plus contraignants. Cet « Airbus du ferroviaire » – enfin pas tout à fait, puisque l'État n'en sera pas actionnaire – était réclamé par le député européen Dominique Riquet depuis des années. Il semble marquer enfin l'avènement d'une véritable stratégie industrielle dans notre pays et en Europe, qui va privilégier le long terme et englober tous les volets : recherche, sous-traitance, concurrence, formation… Cette stratégie pourra-t-elle réussir tant qu'il n'y a pas parallèlement de véritable politique commerciale européenne ?

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J'ai une question sur la médiocrité et la consanguinité des élites économiques françaises. Avec Alstom, on a Patrick Kron, major de Polytechnique, haut fonctionnaire du ministère de l'industrie qui est parti pantoufler dans le privé. Il a été lourdement condamné pour corruption. Cette sanction, en l'absence de stratégie industrielle, a fragilisé l'entreprise, d'où un mariage contraint et forcé avec General Electric.

Son dauphin et directeur financier, Henri Poupart-Lafarge, est lui aussi passé par Polytechnique et le ministère de l'économie, et c'est à lui qu'on confie la direction de Siemens-Alstom, comme un hochet pour rassurer l'orgueil tricolore.

Mais auparavant, avec Péchiney, c'est Jean-Pierre Rodier, Polytechnique toujours, passé par le ministère de l'industrie lui aussi, qui a cédé en 2000 l'entreprise française aux Canadiens d'Alcan. Notre ancien fleuron de l'aluminium est aujourd'hui dépecé.

Pour Alcatel, c'est Serge Tchuruk, Polytechnique à son tour, qui a rêvé d'une entreprise « fables », sans fabrication, sans usines, sans ouvriers, avant d'orchestrer son rachat par l'américain Lucent. « Fabless », Alcatel l'est devenu rapidement tant Serge Tchuruk et sa directrice générale Patricia Russo ont mené le groupe au néant.

On pourrait citer encore Jean-Marie Messier, Polytechnique, ENA, Inspection générale des finances, qui a conduit Vivendi vers le gouffre ; ou encore Michel Bon, Sciences Po, ENA, Inspection générale des finances, qui dirigeait France Télécom et fut atteint de la folie des grandeurs, condamné pour sa gestion opaque, et qui a mené l'opérateur téléphonique à la débâcle financière. Les salariés d'Orange en paient encore le prix.

Constamment, ces naufrages s'accompagnent de licenciements côté salariés, et de parachutes dorés côté patrons. Leur échec est récompensé : 5,7 millions pour Serge Tchuruk, 10,7 millions pour Patrick Kron. Ce sont nos fleurons qui sont ainsi dépecés sous la houlette d'incompétents – l'aveu est d'Arnaud Lagardère, qui a oeuvré au passage d'Airbus sous pavillon allemand et qui en a reçu une plus-value.

Alors, pour rendre sa compétitivité à l'économie française, que comptez-vous faire pour que nous ayons des dirigeants un peu moins nuls ?

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Merci, Monsieur François Ruffin. J'ai une mauvaise nouvelle pour vous : le président de la commission des affaires économiques est également un polytechnicien. Visiblement, ils sont partout autour de vous. Et je ne pense pas que Patrick Kron ait été condamné pour corruption, vous allez un peu loin…

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Peut-être pas lui personnellement, mais son entreprise en tout cas ! Il y a eu un plaider coupable aux États-Unis, avec une condamnation à 772 millions d'euros, me semble-t-il…

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Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances

Concernant l'intégration de Bombardier, j'ai la conviction que nous aurons une recomposition européenne dans tous les secteurs qui sera beaucoup plus rapide que tout ce que nous pensons. Il y a ceux qui seront en tête, et ceux qui seront derrière. Nous préférons être ceux qui seront en tête, et nous préférons prendre l'initiative avec Alstom-Siemens, dans le cadre d'un accord équilibré, plutôt que subir. Je suis convaincu que cette consolidation amènera à intégrer le moment venu et Bombardier et le constructeur espagnol. Cela créera un problème de concurrence, bien entendu, puisque nous risquons de nous retrouver en situation de monopole, mais cela rejoint la question qui m'a été posée sur la nécessité de faire évoluer certains points de la politique européenne.

S'agissant de la suspicion que certains voudraient faire peser sur Siemens, je voudrais rappeler quelques éléments très simples. D'une part, l'accord est équilibré, il offre des garanties, il est bon pour la France, bon pour les sites industriels et les salariés français. Je rappelle que Siemens a pris en 2001 le contrôle de Matra Transport qui fabrique le métro automatique Val, que vous connaissez tous. Non seulement cette société existe toujours en France, mais elle développe ses activités, prend des marchés et s'internationalise. Je rappelle que Siemens a fait le choix de Toulouse pour implanter son siège mondial pour les activités de métro automatique Val.

J'ai un peu de mal à comprendre, sauf cas de xénophobie ou de germanophobie à peine dissimulée, les critiques de certains, de tous bords politiques, vis-à-vis de Siemens et de notre partenaire allemand. Je vois ressurgir à l'occasion de cette alliance des réflexes qui m'inquiètent. On peut en critiquer certains points, bien entendu ; mais jeter la suspicion sur le partenaire allemand, comme certains le font, est d'abord contraire à la réalité de ce que Siemens a fait en France, et ensuite dangereux du point de vue politique.

Pour de qui est des intérêts financiers de l'État, je voudrais rappeler quelques points techniques. Le cours de l'action Alstom aujourd'hui est de 36 euros, mais ce prix tient compte des 8 euros de prime à venir. Du jour où l'État exercerait son droit de reprise sur cette action, ces 8 euros se retrancheraient immédiatement du cours de l'action. Autrement dit, le prix réel de l'action Alstom n'est pas de 36 euros, mais de 36 euros moins 8. Il faut également prendre en compte les frais d'achat et des frais de vente : vous connaissez suffisamment le secteur boursier, Gilles Carrez, pour savoir que lorsque l'on vend un bloc d'actions aussi important, le cours de l'action baisse fortement. Entre la perte de la prime à venir et celle liée à la vente d'un nombre d'actions très significatif, il y a fort à parier que l'État n'y trouverait pas son compte et qu'il n'y aurait pas de plus-value. Je rappelle que Bouygues est scotché avec ses actions Alstom depuis onze ans ; s'il ne les a pas vendues, c'est tout simplement parce qu'il ne pouvait pas faire de plus-value.

Je demande donc à ceux qui m'ont accusé de manière révoltante – mais assez peu surprenante de la part de gens aussi excessifs – de travailler un peu mieux leurs dossiers et de mieux regarder la réalité des choses. J'ajoute que le rôle de l'État n'est pas de spéculer, il est d'investir, de préparer l'avenir, et de favoriser des alliances comme celle que nous avons commencé à encourager.

J'ai entendu dans les propos de certains des références plus ou moins voilées au procès de l'arbitrage Tapie. Je préfère dire à chaque membre de cette commission, pour laquelle j'ai respect et considération, que je leur demande de ne jamais franchir cette ligne rouge. Il n'y a pas d'utilisation frauduleuse de fonds publics, et il n'y a aucune négligence dans l'utilisation des fonds publics, justement parce que je n'utilise pas des fonds publics pour faire de la spéculation sur le dos du contribuable. Que chacun veille bien, cher Gilles Carrez, à ne pas franchir certaines lignes rouges dans le cadre de ces débats.

Sur la politique commerciale européenne, il est en effet nécessaire de la faire évoluer. Nous ne pouvons pas accepter que la Chine puisse vendre des trains à la France ou l'Europe, et que la France ou l'Europe ne puisse pas vendre de trains à la Chine. Le commerce doit être équitable, et fondé sur des règles de réciprocité. Le Président de la République a déjà eu l'occasion d'en faire part à son homologue chinois, je serai moi-même en Chine au début du mois de décembre où j'aurai l'occasion de poser ce débat avec mon homologue chinois. C'est un débat dur, difficile, sur lequel ne cachons pas que nos partenaires européens sont un peu moins courageux et offensifs que nous, mais c'est vital. La question des marchés publics en matière commerciale est vitale pour nos intérêts industriels, et nos intérêts commerciaux de manière générale. Je le répète : je ne peux pas accepter que la Chine puisse vendre des trains en Europe, et que l'Europe, pour des raisons de marchés publics, ne puisse pas vendre de trains en Chine.

En réponse à vos questions, Monsieur François Ruffin, je ne vous souhaite qu'une seule chose, c'est d'être aussi compétent qu'Henri Poupart-Lafarge, qui a augmenté de 40 % le chiffre d'affaires d'Alstom en cinq ans. Et je ne trouve pas très adroit de remettre en cause sa compétence ; j'ai pu juger sur le terrain, à Valenciennes et ailleurs, qu'il était apprécié de ses salariés, de ses ingénieurs et de ses ouvriers, tout simplement parce qu'un chef d'entreprise qui augmente le chiffre d'affaires de sa boîte de 40 %, dans le fond, fait exactement ce qu'on lui demande, et c'est ce qu'il a réussi à faire.

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Merci monsieur le ministre. Je ne pense pas qu'il y ait de sentiment anti-allemand chez aucun d'entre nous, en tout cas surtout pas dans ma question liminaire ! Mais j'ai relevé, comme d'autres, la différence assez stupéfiante d'attitude d'un gouvernement qui ne voulait pas des Italiens cet été, en tout cas pas dans ces conditions. Vous avez apporté des réponses, elles auront convaincu ou pas ; reste que la différence d'approche sur ces deux dossiers, dont l'un concerne un actionnaire italien et l'autre un actionnaire allemand, a de quoi étonner, à deux ou trois mois d'écart.

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Monsieur le ministre, en 2014, l'accord avec General Electric sur la branche énergie d'Alstom a prévu la création de 1 000 emplois, vous l'avez rappelé. Le délai fixé était de trois ans, donc en 2017. Vous avez dit que vous suiviez ce plan de création d'emplois pour fin 2018. J'ai l'impression que le délai de trois ans n'est plus respecté. Mais même si la deadline est en 2018, vous devez quand même avoir quelques éléments sans avoir besoin d'attendre la fin décembre. Pouvez-vous nous donner des informations sur l'avancement de ces créations d'emplois ?

J'en viens à la branche transport d'Alstom. Le Spiegel – je sais que vous lisez la presse allemande – a publié il y a quelques jours un article expliquant que l'on craignait 3 000 suppressions de postes. Cette information n'a pas été reprise en France. Vous dites que l'État ne sera pas actionnaire, mais qu'il veille au grain ; mais vous savez très bien qu'on ne peut pas veiller au grain sans être actionnaire.

Nous faisons partie de ceux qui aiment l'Europe, qui aiment travailler avec les Allemands, mais cela n'empêche pas d'être vigilant. Or une option permet à Siemens de récupérer 52 % d'ici à quatre ans. Pourquoi cet accord est-il déséquilibré, au moins facialement ? L'un a 50 % et peut monter à 52 %, pas les autres. Vous avouerez que même si nous avons envie de créer des géants européens, nous ne voulons pas non plus nous livrer pieds et poings liés à nos partenaires. Ma question est très précise : que signifient ces 2 %, et quelles garanties avons-nous en face ? Ce n'est pas parce que nous nous entendons bien avec les Allemands que tout ira bien dans deux ans ; comme dans un mariage, tout va bien lorsque l'on se marie, mais il faut toujours prévoir la suite parce que l'on ne sait pas ce qui peut se passer.

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Merci, j'en profite pour excuser notre rapporteur général, M. Joël Giraud, qui ne pouvait pas être là et que Madame Valérie Rabault remplace très avantageusement...

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La filière ferroviaire emploie directement plus de 21 000 personnes, auxquelles il faut ajouter plus de 80 000 emplois indirects. Alstom est une fierté et un des piliers d'une filière stratégique de l'État, qui est d'ailleurs inscrite dans la loi du 4 août 2014. C'est pourquoi votre projet sème le doute et soulève la colère, car il accentue le mouvement d'une France qui perd le contrôle de son industrie, à l'image de la vente des Chantiers de l'Atlantique aux Italiens de Fincantieri. La grande majorité des fusions de ces dernières années se sont traduites par des engagements non tenus. Près de 1,4 million d'emplois industriels ont disparu en vingt-cinq ans, la part de l'industrie a été divisée par deux en quarante ans, alors qu'elle progresse en Allemagne. Notre industrie, malgré toutes les garanties apportées à chaque fois, s'affaiblit et bat de plus en plus pavillon étranger.

Sur cette fusion, quelles garanties avons-nous que le futur groupe à majorité de capitaux privés allemands n'ira pas investir dans les cinq ans qui viennent dans les pays à bas coûts pour réduire ses coûts de production face à la concurrence chinoise ? Quelles garanties pour les centaines d'entreprises sous-traitantes et les centaines d'emplois induits qui travaillent pour Alstom et Bombardier ? D'autant que nous sommes encore loin de voir apparaître en Europe des mesures de protection telles qu'un Buy European Act, réclamé notamment par les dirigeants de ces entreprises.

Vous dites que vous allez animer un comité de suivi, mais comment allez-vous vous faire respecter sans participer au capital du futur groupe ? Vous dites qu'avoir 15 % du capital dans Alstom ne sert à rien, que ce n'est qu'un pauvre strapontin, mais si vous avez 0 % demain, comment allez-vous faire ? Si un strapontin ne sert à rien, prenez un plus grand siège, c'est ce que nous vous conseillons. Soyez moins timides dans les conseils d'administration où la France siège. Vous prenez l'automobile en exemple, Renault et Peugeot, mais que font les représentants de la France au sein de ces conseils d'administration pour empêcher Renault d'investir au Maroc et de réduire la production à Douai ? Que font-ils pour empêcher les investissements de Peugeot à Trnava, en Slovaquie, qui menacent nos usines dans le Pas-de-Calais ?

Nous avons une autre conception du rôle de l'État, et les fonctionnaires qui pantouflent dans la finance et travaillent dans les banques seraient peut-être plus compétents dans l'industrie.

Pourquoi avoir écarté la possibilité de bâtir un Airbus du rail, à l'image de celui de l'aéronautique où les États français, allemand et espagnol détiennent une minorité de blocage dans le capital ? Voilà ce qu'une Europe des nations aurait pu faire avec de l'ambition pour un grand projet européen.

Monsieur le ministre, avec la commission d'enquête dont j'ai demandé la création aujourd'hui, nous vous demandons de prendre le temps de la réflexion, d'associer les salariés, les sous-traitants, les parlementaires et les présidents de région aux choix qui seront faits.

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Comme vous l'avez soulevé, Monsieur le président Éric Woerth, il y a un problème d'équilibre, en tout cas certaines inquiétudes.

Monsieur le ministre, vous tentez de valoriser le nouvel ensemble et promettez un « Airbus des transports » pour Alstom, et un « Airbus du naval » pour STX. Vous assurez que le mariage se fera entre partenaires égaux.

Sauf qu'il n'y a pas d'alliance, ni de partenariat. Personne ne peut croire à une quelconque parité dès lors que Siemens détient une majorité du nouvel ensemble. Même constat pour STX, où vous avez accepté de laisser la majorité à l'italien Fincantieri. Toute comparaison avec Airbus, basé sur une vraie parité franco-allemande est hors sujet. Vous le savez bien, dans le cas d'Airbus, chacun contrôle 11 % des actions et nul ne peut monter au-delà de 15 %.

Puisque vous y croyiez, comment dès lors garantir cette parité ?

En réalité, si Alstom et STX peuvent aujourd'hui fusionner avec des grands d'Europe, c'est parce que l'État les a maintenus et renforcés sous le précédent quinquennat. En 2012, STX était au bord de la faillite. L'État a aussi conforté l'ensemble du groupe Alstom via des commandes publiques. Si dans l'industrie, on crée aujourd'hui plus d'usines qu'on en ferme, c'est grâce au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), au crédit d'impôt recherche, aux plans d'investissements d'avenir ou à la nouvelle France industrielle.

Ces dossiers arrivent sur la table aujourd'hui alors qu'en tant que ministre, Emmanuel Macron a été l'artisan de la vente de certains de nos fleurons à l'étranger : la branche « énergie » d'Alstom à l'américain General Electric, avec les doutes qui entourent les créations d'emplois promises ; Alcatel-Lucent au finlandais Nokia. En tant que candidat, il a mis en avant les mariages industriels européens.

Comment s'y retrouver ? Quelles sont les lignes rouges qui ont été fixées par le Gouvernement ? Je pense notamment à la question des brevets, à la protection de l'emploi, à l'activité de la sous-traitance ou l'investissement productif.

Et puisque vous prétendez construire l'Airbus du rail, quels partenariats peut-on envisager avec d'autres, comme Bombardier ? Vous savez que les ouvriers de ces unités de production nourrissent quelques inquiétudes.

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Merci, Monsieur le ministre, des clarifications que vous avez apportées sur les deux projets qui nous occupent cet après-midi.

On entend à gauche comme à droite beaucoup de critiques à l'égard de ces deux opérations.

Ceux qui critiquent le recul de notre industrie aujourd'hui sont ceux qui ne se souciaient pas, hier, de la prise de contrôle par l'industriel italien de notre chantier naval, et signaient un premier accord avec Fincantieri sur STX qui ne protégeait pas les intérêts français. Aujourd'hui, nos intérêts sont garantis.

Ceux qui critiquent un manque d'ambition industrielle aujourd'hui sont les mêmes qui, pendant des décennies, ont laissé la France se désindustrialiser et qui ont vu nos entreprises perdre leur compétitivité, sans rien faire.

Aujourd'hui, le Gouvernement, aidé par sa majorité, défend une ambition industrielle européenne, meilleure défense contre, par exemple, la tentative de prise de contrôle chinoise d'Alstom. Le Président de la République l'a annoncé récemment, nous ferons de la protection de l'industrie européenne un axe majeur de la réinvention de l'Union.

L'État agit, n'en déplaise à ceux qui sont restés immobiles.

L'action du Gouvernement ne s'arrête pas là. La transformation de l'économie française est entamée. Le budget de l'État pour l'année 2018 a été présenté la semaine dernière et prévoit clairement une politique de soutien de notre économie, de nos entreprises, et de notre industrie. Il revient aux députés que nous sommes d'en juger : grand plan d'investissement dans les actions de transformation, doté de 57 milliards d'euros ; création d'un fonds pour l'industrie et l'innovation pour financer l'innovation de rupture ; des baisses de prélèvements qui bénéficieront notamment à notre industrie, comme la transformation du CICE en un allégement de cotisations ou la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés ; un soutien aux entreprises, porté par la mission « Économie », visant notamment à développer la compétitivité des entreprises et les accompagner à l'export, en particulier les PME, les très petites entreprises (TPE) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Elles aussi, elles comptent, il n'y a pas que les grands groupes dans ce pays, 96 % des entreprises sont des PME.

J'aimerais interroger le ministre sur ses ambitions en matière de politique industrielle à plus long terme. L'industrie européenne est fragilisée, comme en témoigne la perte de plusieurs centres de décision d'entreprises stratégiques ces dernières années, en France comme en Europe. Les réponses à ce problème doivent être données à l'échelle européenne. Nous avons déjà un exemple : Airbus et notre succès dans l'industrie aéronautique, avec la mise en commun des héritages, des moyens, des savoirs et des efforts nationaux.

Comment comptez-vous assurer la protection de l'industrie européenne qui sera un axe majeur de la réinvention de l'Union européenne ? Comment défendre ensemble nos entreprises stratégiques ? Enfin, comment poursuivre la création d'un Airbus naval ou d'un Airbus ferroviaire en Europe ?

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Cet échange sur les cas de STX et d'Alstom soulève la question de la politique industrielle française qui repose sur deux piliers : d'une part, une politique de réforme des taxes sur la production ; d'autre part, une politique en faveur de l'usine du futur. Dans ce contexte, il n'y a pas de secteur économique dépassé mais plutôt des modes et des outils de production peut-être devenus obsolètes et dans lesquels il y a matière à investir.

Toutefois, j'aimerais évoquer la question de la signalisation. Pour avoir échangé avec certains acteurs de la filière, je pense qu'on aurait pu envisager un rapprochement entre Alstom et Thales : on aurait eu un groupe superpuissant de la signalisation français – et français, qui plus est. Notre collègue Anne-Laure Cattelot parlait tout à l'heure de Bombardier. On risque effectivement de voir cet acteur économique majeur implanté sur le sol français, qui emploie 2 000 salariés à Crespin, se retrouver esseulé au niveau national. Il n'est certes pas français mais il produit en France, comme d'autres industriels. On pourrait voir poindre sur lui une menace d'offre publique d'achat (OPA) du groupe chinois CRRC. Puisque nous réfléchissons à la création d'un géant européen, pourquoi ne pas anticiper en mettant également autour de la table l'Espagnol CAF, que vous avez cité tout à l'heure ?

Deuxième question sur laquelle j'aimerais me pencher, celle de la recherche-développement. Notre industrie ferroviaire, comme d'autres secteurs industriels, compte des fleurons dans ce domaine à travers plusieurs laboratoires publics et privés. L'État a aussi engagé une politique de recherche-développement en instaurant, il y a plus de dix ans, les pôles de compétitivité. À Valenciennes se trouve le pôle i-Trans qui travaille sur la filière ferroviaire. En 2010, l'État a débloqué 35 milliards d'euros pour lancer les programmes d'investissements d'avenir et, ainsi, financer les instituts de recherche technologique. Je pense notamment à l'institut de recherche technologique (IRT) Railenium qui se consacre entièrement à la filière ferroviaire et auquel Alstom contribue. Ce que je crains, c'est la fuite à moyen et long terme de notre recherche française alors qu'elle représente aujourd'hui la valeur ajoutée de notre industrie.

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Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances

Madame Valérie Rabault, en ce qui concerne General Electric, je rappelle que le délai de trois ans partait de la date du closing, ce qui nous mène donc bien à la fin de l'année 2018 et nous veillerons, comme j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, au respect de l'engagement pris par General Electric quant à la création nette de 1 000 emplois. Il y a une difficulté particulière à Grenoble : j'ai eu l'occasion, lorsque je m'y suis rendu il y a quelques semaines, de mesurer à quel point le sujet était sensible. Je suis prêt à recevoir à Bercy les salariés grenoblois concernés pour examiner avec eux toutes les solutions susceptibles de répondre à leurs inquiétudes.

S'agissant de la manière dont l'État actionnaire peut veiller au grain, il y a ici des députés qui sont directement concernés par Renault, qui ont connu – comme M. Sébastien Jumel – les péripéties de l'usine de Sandouville. J'ai moi aussi vécu cela très directement. Nous savons donc bien que lorsque l'État est minoritaire au capital d'une entreprise, il a le pouvoir d'un actionnaire minoritaire. Je pense très sincèrement que l'État aura sur Siemens-Alstom davantage de pouvoir en gardant la capacité de mobiliser des financements pour passer des commandes publiques de transport ferroviaire qu'en dépensant de l'argent pour être membre du conseil d'administration en situation minoritaire. L'exemple de Sandouville est assez typique : lorsqu'un site n'est plus rentable et que l'actionnaire majoritaire décide d'y réduire le nombre d'emplois, l'État n'a malheureusement pas la capacité de bloquer l'opération, à moins de monter au capital pour devenir majoritaire. Mais s'il procède ainsi dans chaque entreprise industrielle française, il y a fort à parier que le niveau d'endettement français explosera dans des délais très rapprochés. Je rappelle par ailleurs que cela n'a pas empêché Renault de prendre par la suite d'autres décisions favorables à l'emploi en France – je pense en particulier au site de production d'Alpine à Dieppe. Bref, je ne vous dis pas que l'État est impuissant car ce n'est pas du tout ma conception du rôle de l'État en matière économique. Je pense qu'il a un rôle important à jouer. Mais, pour moi, les leviers d'action de l'État sur l'économie ne résident pas dans des participations minoritaires dans des entreprises du secteur concurrentiel. S'il est majoritaire dans La Poste, la SNCF ou EDF, c'est parce qu'il s'agit d'activités de service public, pour certaines stratégiques. Il n'est pas question – car il n'y a pas de raison – que l'État devienne minoritaire dans ces entreprises. En revanche, pour ce qui est des activités du secteur concurrentiel – automobile et ferroviaire –, il me semble que les moyens d'action de l'État – qui sont réels – sont différents. Lorsque GMS est menacé, l'État, bien qu'il ne soit pas au capital de cette entreprise, a les moyens d'obtenir de Peugeot et de Renault qu'ils investissent chacun 5 millions d'euros pour que l'usine redémarre. C'est ma conception d'un État présent dans l'économie, qui garantit l'intérêt général et qui veille à ce que l'argent des Français soit investi dans l'avenir et l'innovation.

Enfin, Siemens a effectivement la possibilité – ce n'est pas la réalité pour l'heure – de monter à 52 % dans le capital mais je rappelle que les trois administrateurs français ont un droit de veto sur les décisions stratégiques prises au sein du conseil d'administration, notamment concernant les fermetures de sites. J'aurai l'occasion de l'expliquer aux salariés de Belfort lorsque je me rendrai sur place d'ici à quelques jours.

Monsieur Fabien Roussel, nous avons eu l'occasion de discuter ensemble à Valenciennes. Si nous avons des points de désaccord, nous avons aussi des points d'accord sur tous ces sujets. Je voudrais simplement revenir sur la désindustrialisation. Si l'on regarde les choses plus finement, on s'aperçoit que la désindustrialisation touche notamment l'industrie à faible valeur ajoutée et l'industrie de moyenne gamme. En revanche, on observe une réindustrialisation dans tous les secteurs industriels de haute technologie. Je vous ferai passer, si vous le souhaitez, un très bon rapport rédigé par mes services sur le sujet qui montre bien que si l'on affine l'analyse de la désindustrialisation en France – dont je ne nie pas l'impact social et politique –, il y a des motifs d'espoir dans les activités à haute valeur ajoutée et de haute technologie. Cela doit nous amener à prendre des décisions, en termes d'investissement et de formation, qui, je crois, correspondent exactement à celles que nous prenons.

Cela rejoint la question que posait M. Damien Adam tout à l'heure sur notre stratégie industrielle : j'ai la conviction profonde que la réindustrialisation de la France passe par un investissement massif dans l'innovation, les technologies de rupture et les nouvelles technologies de communication. La politique fiscale, qui fait aujourd'hui l'objet de tant de débats – parfaitement légitimes –, repose sur le choix d'alléger la fiscalité sur le capital pour financer l'innovation qui fera l'industrie de demain. C'est un choix stratégique : on peut le contester ou en débattre, mais c'est notre choix, avec le Président de la République et le Premier ministre.

J'ai ouvert le débat sur le coût du travail, que personne ne voulait ouvrir. On a allégé les charges sur les salaires au niveau du SMIC pour répondre au défi de l'emploi. Cet allégement de charges est nécessaire, car on sait bien que le niveau de chômage est plus important lorsque les niveaux de formation et de qualification sont plus faibles. Mais cela ne règle pas le problème de compétitivité de notre industrie qui s'explique par un écart de trop important entre l'Allemagne et la France au niveau des salaires plus élevés. Cela vaudrait donc la peine d'ouvrir un débat, auquel je propose d'associer les parlementaires, sur le déplafonnement de l'allégement de charges au-delà de 2,6 SMIC. Ce déplafonnement ne nous permettrait-il pas de participer à la réindustrialisation de la France sur la base d'un niveau d'innovation et de technologie plus élevé ? Compte tenu du coût pour les finances publiques, il faudra s'assurer que l'argent public est bien employé et donc que cet allégement est efficace. Sans doute la mesure a-t-elle des avantages et des inconvénients, mais il serait regrettable de refuser ce débat sur la montée en gamme de l'industrie et la réindustrialisation de la France, et par conséquent, sur l'allégement de charges sur les niveaux de salaire plus élevés.

Le troisième élément de cette stratégie est la logique de filière – dont vous avez tous beaucoup parlé. Oui, la filière est ce qui permet de porter la réindustrialisation du pays. Dans le domaine aéronautique – Normandie AéroEspace en est un bon exemple –, nous voyons à quel point nous pouvons construire toute une filière de production où sous-traitants et donneurs d'ordres travaillent ensemble : telle est la bonne logique pour l'industrie de demain.

Enfin, il y a un enjeu de formation que vous connaissez tous et qui est absolument vital. Il n'est pas normal que, dans la vallée de l'Arve, autant de décolleteurs continuent à chercher des compétences qu'ils n'arrivent pas à trouver parce que notre système de formation ne prépare pas les futurs salariés aux emplois disponibles.

Je suis favorable au Buy European Act. C'est évidemment un combat difficile. Le débat sur la taxation des Google Apple Facebook Amazon (GAFA) a été incroyablement difficile à lancer et le restera. Mais il vaut le coup d'être mené. Celui sur le commerce équitable sera lui aussi très difficile à porter car beaucoup de nos partenaires européens ne veulent pas se confronter à la Chine. Quant au débat sur le Buy European act, il vaut lui aussi le coup d'être mené car il n'est pas illégitime d'opter pour une préférence communautaire concernant certains achats. Sur ce sujet, je pense que nous pourrions nous rejoindre.

Monsieur Jean-Louis Bricout, je rappelle que Bombardier Transport est le deuxième constructeur ferroviaire, avec 70 % de ses effectifs en Europe : ceux-ci sont principalement en Allemagne, mais Bombardier a un site industriel important dans le Nord, qui emploie environ 2 000 personnes près de Valenciennes. Ce site collabore avec celui d'Alstom dans les marchés du RER pour l'Île-de-France. Bombardier a supprimé 7 000 postes à la fin de l'année 2016 en raison d'un manque de commandes. Il a réussi à remplir à nouveau son carnet de commandes grâce à une demande, provenant de la région Île-de-France, de matériel Regio 2N et de RER de nouvelle génération, ce qui lui assure aujourd'hui un plan de charge jusqu'en 2022. Il est intéressant de noter que toutes ces entreprises des secteurs ferroviaire et roulant dépendent totalement de la commande publique : on n'achète pas un train pour aller se promener avec ses enfants le week-end… En règle générale, ce sont de grandes agglomérations ou des États qui achètent du matériel roulant. Mais le jour où ces entreprises ne sont plus compétitives dans l'appel d'offres, elles sont mortes ! Et c'est très brutal car leurs plans de charge s'étalent sur plusieurs années. Si ces entreprises ne sont pas compétitives et ne s'allient pas avec les plus forts comme nous le faisons avec Siemens, le jour où elles n'auront plus de plan de charge, c'en sera fini pour elles. Je rejoins ce qui a été dit concernant la commande publique : je préfère que l'État français garde la capacité de passer de telles commandes. Mais il serait extraordinairement dangereux de faire dépendre l'avenir d'Alstom de la seule commande publique française. Je précise d'ailleurs, à cet égard, qu'Alstom avait un contrat important avec le Venezuela, qu'en raison des difficultés politiques actuelles, la garantie export risquait d'être remise en cause ; que j'ai pris la décision de la prolonger pour garantir la crédibilité de la signature d'Alstom sur les marchés à l'étranger et permettre à Alstom de poursuivre son opération sur le marché public du métro de Caracas.

Monsieur Julien Dive, je partage entièrement ce que vous avez dit concernant l'usine du futur et je reprendrai mot pour mot vos propos : ce ne sont pas des productions qui sont dépassées, mais les modes de production. La production de trains n'est pas dépassée mais si vous en construisez un train sans parvenir à garantir un niveau de sûreté, de connectique et d'autonomie maximum – autrement dit à fabriquer un train sans conducteur –, vous êtes mort. Si, en revanche, votre mode de production intègre un degré élevé de technologie et un savoir-faire – assez fascinant chez Alstom –, si vos rames et vos wagons intègrent des systèmes de freinage électrique, de récupération d'énergie, d'automatisation, de contrôle à distance et de connectique beaucoup plus développés, vous serez bien armé pour affronter les marchés extérieurs et pour réussir dans le futur.

S'agissant de la signalisation, il n'est un mystère pour personne qu'une tentative de rapprochement a été faite il y a quelques années par le précédent Gouvernement, entre Alstom et Thales. Thales n'a pas voulu donner suite à cette offre, estimant qu'un accord de signalisation avec Alstom n'était pas dans son intérêt – pour des raisons d'ailleurs liées aussi à des considérations d'ordre militaire. Dont acte ; nous n'avons pas, avec 20 % de Thales, la capacité de forcer la main de cette entreprise pour qu'elle s'allie avec Alstom si le conseil d'administration de Thales estime que ce n'est pas dans son intérêt stratégique. Une fois que les discussions sont closes, vous êtes dans l'impossibilité de forcer une discussion. Thales avait d'ailleurs de bons arguments pour ne pas aller plus loin dans ce projet de fusion. Quant à la fusion entre Alstom et Siemens, elle fera du nouvel ensemble non seulement le deuxième acteur du matériel ferroviaire roulant au monde mais aussi – et là est notre avantage comparatif – le premier acteur mondial de la signalisation. Je peux vous garantir que c'est un atout absolument majeur pour le nouvel ensemble.

Enfin, je ne chanterai pas ici les louanges des pôles de compétitivité ; je rappelle qu'ils ont été créés il y a plus de dix ans, quand Dominique de Villepin était Premier ministre…

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Monsieur le ministre, lors de la séance de questions au Gouvernement du 2 août dernier, ma collègue Audrey Dufeu-Schubert, ici présente, vous a interrogé sur la nationalisation de STX et sur la possibilité de voir une partie du capital cédé dans le cadre d'un capital salarial et une autre partie, au groupement de sous-traitants des Pays de la Loire, projet mené à l'époque par le Président Bruno Retailleau. Ces deux options avaient pour avantage d'envoyer un message fort aux salariés mais aussi aux sous-traitants en leur reconnaissant un savoir-faire certain et en garantissant également, de façon indirecte, la pérennité de ces emplois sur notre territoire et sur le sol français, plus généralement. Où en est cette réflexion aujourd'hui ?

Vous avez déclaré que l'État devait être un acteur et pas un observateur dans ce dossier Alstom-Siemens ; je partage tout-à-fait votre analyse. Vous avez également ajouté que l'État avait un rôle à jouer dans l'économie mais qu'il ne saurait se limiter à être assis sur un strapontin dans les conseils d'administration ; encore une fois, je vous rejoins. Cependant, j'en conclus donc que l'État se retire complètement du capital de la future entité et qu'il compte peser par la commande publique. De mémoire, la dernière commande était de quinze TGV pour sauver in extremis l'usine de Belfort. Quels sont aujourd'hui les ambitions et les besoins de l'État en matière de commande publique qui pourront servir à peser sur ce nouveau groupe Alstom-Siemens ?

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Nous avons là un ministre qui met beaucoup d'intelligence et de conviction à transformer des mauvaises nouvelles en bonnes nouvelles et des renoncements en expressions de volontarisme politique. Il le fait en assumant une posture très libérale consistant à nous expliquer que moins il y a d'État, mieux il y a d'État : nous n'en sommes pas convaincus. Dans les deux dossiers, la démonstration n'est pas faite qu'en renonçant à la souveraineté nationale et à peser sur les choix stratégiques de ces deux fleurons industriels, on préservera et l'emploi et les sites et la souveraineté de notre pays. Dire que nous sommes attachés à la souveraineté, quand nous sommes ici la Représentation nationale, ce n'est pas tomber dans le piège du populisme anti-européen. Nous sommes ici pour réfléchir à une stratégie industrielle créatrice d'emplois et de richesse pour notre pays.

Fabien Roussel a parlé d'Alstom-Siemens. J'aurais pu développer une argumentation sur l'absence de filière éolienne ; Siemens se préoccupe aussi de ce secteur-là désormais au détriment de la France, mais le temps manque. Je me concentrerai donc sur « l'Airbus naval » : on construit un « Airbus » par semaine mais là, il ne s'agit pas d'une structure similaire. Comment nous faire croire que les territoires de Saint-Nazaire et de Lorient ne seront pas en concurrence l'un avec l'autre ? Comment nous garantir que les pays ne seront pas en concurrence ? L'accord sur la vente partielle du chantier naval a donné lieu à la signature d'un pacte d'actionnaires définissant le rôle et les objectifs de chacun. Pouvons-nous – élus du territoire et syndicats – en avoir connaissance ? Quel engagement prenez-vous concernant STX et l'accord italien ? Quelles garanties sont prévues quant à l'emploi sur nos sites ? Enfin, quelles seront les conséquences de cet accord sur Naval group, ex-DCNS ? Car comme vous le savez, en contrepartie de l'entrée, à hauteur de 50 %, au capital de STX, un accord de principe aurait été pris concernant l'examen, d'ici à juin 2018, de la possibilité d'un rapprochement entre Naval Group et les Italiens. L'objectif, pour les ministres de la défense, serait alors de définir les conditions d'un rapprochement qui, pour le coup, touche à la souveraineté militaire de la France. Dans un secteur où la concurrence reste rude au niveau européen, avec l'Allemand TKMS, le Britannique BAE pour les bâtiments de surface – frégates, corvettes – et avec les Néerlandais ou les Espagnols pour les sous-marins, le risque est grand que ce rapprochement ne donne là aussi l'occasion à l'État français de poursuivre sa politique de renoncement productif. Car si nous avons eu un ministre du redressement productif, certes pas toujours efficace, nous avons aujourd'hui un ministre du renoncement productif, du renoncement industriel et du renoncement à la souveraineté. Cela me préoccupe pour les territoires où nous avons été élus.

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On parle très peu du site d'Alstom de Tarbes qui emploie pourtant 600 salariés et conçoit et fabrique des modules de traction. C'est à ce jour le centre mondial d'excellence d'Alstom Transport pour les systèmes de traction, mais aussi pour les modules de puissance et les appareillages, avec des activités modernes d'innovation, d'ingénierie et de prototypes. D'ailleurs, le PDG d'Alstom, Henri Poupart-Lafarge, auditionné par la commission des affaires économiques l'an passé, avait déclaré : « Tarbes est le centre mondial d'Alstom pour les tractions et restera le centre mondial d'Alstom pour les tractions. Il n'y a pas de danger pour la pérennité du site ». Dans le cadre de cette fusion – ou devrais-je dire, de cette alliance indispensable –, Monsieur le ministre, vous avez assuré avoir obtenu des garanties solides pour le maintien de l'emploi et des sites. Si l'accord de fusion assure en effet le maintien des emplois pendant quatre ans, il est évident qu'à moyen terme, il sera difficile de les garder tous. Cette fusion suscite des réactions et des inquiétudes chez les salariés qu'il faut entendre et prendre en considération. Comment les emplois seront-ils préservés ? Au plan local, comment faire en sorte que le site de Tarbes, reconnu pour son savoir-faire d'excellence, reste le centre d'expertise au sein du nouveau groupe Siemens-Alstom ?

Pour éviter une concurrence difficile et une casse sociale sur nos territoires, pouvons-nous imaginer, dans cette alliance entre Siemens et Alstom, une alliance plus large, ouverte à d'autres ? Je pense à CAF dont mon collègue Julien Dive a déjà parlé, entreprise située de l'autre côté des Pyrénées mais qui a des centres et des usines en France.

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Nous avons au moins un point d'accord : les entreprises dont nous parlons oeuvrent dans des secteurs stratégiques essentiels pour la transition énergétique – le transport, le secteur maritime, le secteur militaire et l'énergie, notamment l'énergie renouvelable. Ma première interrogation est la suivante – et je constate que le groupe de La France insoumise n'est pas le seul à vous l'adresser : on peut défendre, comme le président Roland Lescure, l'idée d'une souveraineté européenne et dès lors, peu importe qui détient la majorité dans telle ou telle entreprise, vous avez parlé, Monsieur le ministre, de souveraineté nationale. Mais entendez qu'il soit difficile, pour beaucoup de députés ici présents, de considérer que la souveraineté nationale sur ces entreprises d'intérêt stratégique est respectée quand, dans les deux cas, la majorité des actions, et donc du pouvoir, est allemande. On pourrait arguer, comme vous le faites, qu'il arrive que des entreprises allemandes soient rachetées par des entreprises françaises, sauf que cela ne se passe jamais à la même échelle : la part de l'industrie dans le PIB dépasse les 30 % en Allemagne alors qu'elle n'est que de 12 % en France, où elle a baissé de 25 % depuis l'an 2000 dans notre pays. On voit bien que le risque de disparition de l'industrie lourde est autrement plus présent en France qu'en Allemagne.

Vous dites qu'il n'y aura pas de nationalisation parce que ce procédé a montré son inefficacité et que vous n'avez personne pour s'en charger. Pour notre part, nous pensons que lorsque des intérêts stratégiques sont en jeu, il est préférable de nationaliser que de se faire avaler par des intérêts allemands. D'ailleurs, je ne fais pas dans la germanophobie : les Allemands, eux, au moins, défendent leurs intérêts économiques. J'observe cependant que depuis 1986, date du début des grandes privatisations, la part de l'industrie dans le PIB a baissé de moitié en France.

Vous nous dites que des précautions ont été prises en matière d'emploi. Mais pourquoi refusez-vous de comparer la situation qui nous occupe avec celle de General Electric ? Dans l'affaire General Electric, en dehors du fait que nous n'avons plus aucun fabricant d'éoliennes marines sous pavillon français, on nous avait promis 1 000 emplois et aujourd'hui, ce sont 1 000 emplois qui disparaissent. Vous avez évoqué Grenoble mais vous savez très bien que 345 emplois risquent d'y être supprimés et que les salariés manifestent devant leur usine aujourd'hui. Je vous ferai grâce de la liste d'entreprises pour lesquelles on nous a annoncé que l'emploi serait préservé – le dernier exemple est celui d'Alcatel Lucent : le 22 septembre 2015, Nokia confirme ses engagements ; le 7 septembre 2017, M. Benjamin Griveaux n'a plus que ses yeux pour pleurer en découvrant les licenciements chez Nokia… C'est une vieille constante : lorsqu'il y a fusion, ou devrais-je dire absorption, les emplois ne sont jamais préservés.

Enfin, je remarque que la Chine a bon dos pour expliquer qu'il faut à tout prix en finir avec l'industrie française. Dans ce cas, que n'instaurons-nous pas un protectionnisme solidaire – de préférence, à l'échelle européenne – plutôt que de nous laisser penser qu'en raison de la concurrence chinoise, on va en finir avec l'industrie en France ?

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Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances

Je me félicite de la qualité de ce débat, qui fait honneur à la Représentation nationale. Il pose bien les enjeux et permet à chacun d'apporter ses réponses. Nous avons des désaccords, c'est le fondement de la démocratie, mais, au moins, les enjeux sont clairement posés pour les Français qui nous écoutent.

Oui, la part de l'industrie en France a baissé, elle a même chuté, pour une raison simple : nous n'avons pas fait les bons choix en matière fiscale, en matière de formation, de droit du travail ou d'organisation du travail, et nous le payons. Nous sommes tous d'accord sur un point : nous croyons à la France comme puissance industrielle. Quelles qu'aient été mes fonctions, j'ai toujours considéré que la France devait être une grande puissance agricole, une grande puissance industrielle et une grande puissance dans le domaine des services, où nous réussissons remarquablement bien. Nous sommes arrivés à un moment de notre histoire où il nous faut débattre des conditions qui nous permettront de rester une grande puissance agricole, alors que nous avons perdu du terrain, et une grande puissance industrielle, alors que nous avons perdu beaucoup de terrain.

La comparaison est souvent faite avec l'Allemagne. C'est parfaitement légitime, puisque c'est notre premier partenaire et notre premier concurrent. Je ne donnerai que deux faits.

Depuis très longtemps, les revenus du capital sont imposés à 27 % en Allemagne, alors qu'en France, depuis trente ans, l'imposition des revenus du capital varie de 30 %, pour les dividendes, à 60 %, pour les plus-values – je ne parle même pas de l'impôt de solidarité sur la fortune, dont l'équivalent allemand a été supprimé en 1997. La France a cru que c'était possible, mais une industrie sans capital cela n'existe pas. Si nous voulons de l'industrie, il faut du capital et, dans une économie de rupture, il faut encore plus de capital. Prenons l'exemple très concret de l'industrie du décolletage dans la vallée de l'Arve, particulièrement illustratif compte tenu de la proximité du concurrent suisse. Pour être au niveau, il faut robotiser, former les techniciens de maintenance, digitaliser ; ce sont là autant d'investissements qui coûtent une fortune. Là où autrefois il fallait un peu de capital pour consolider notre industrie, il en faut aujourd'hui beaucoup si nous voulons reprendre pied en matière industrielle. C'est le choix que nous faisons. Il n'est pas forcément facile à expliquer, mais c'est celui que nous faisons.

Par ailleurs, l'Allemagne a fait preuve d'une modération salariale totale. On peut juger que c'était une modération excessive et qu'il est bon qu'elle évolue, on peut saluer qu'elle ait instauré un salaire minimum, mais la France avait, elle, un dispositif de revalorisation annuelle du SMIC, avec ces fameux « coups de pouce ». Ce que nous avons à dire n'est pas forcément facile à entendre, et je comprends bien toutes les difficultés qu'il peut y avoir ensuite, mais je crois profondément que nos choix économiques, fiscaux, en termes de droit du travail sont de nature à permettre la réindustrialisation du pays. Il s'agit de parler non pas uniquement d'usines, mais aussi du cadre économique et fiscal que nous mettons en place.

Une première question m'a été posée sur STX. Nous avons proposé aux salariés d'entrer dans le capital des Chantiers de l'Atlantique à hauteur de 2 %. Il me paraît très important qu'ils soient le plus possible associés aux décisions – je l'ai dit à leurs représentants. J'ai également proposé que le pacte d'actionnaires soit ouvert aux acteurs locaux à hauteur de 3,66 %. Enfin, parce que je crois aux symboles, j'ai obtenu d'Alstom que l'appellation de Chantiers de l'Atlantique soit rendue à STX, afin que les chantiers de Saint-Nazaire retrouvent ce beau nom.

Monsieur Sébastien Jumel, ma posture n'est pas une libérale. Une posture libérale impliquerait de dénier tout rôle de l'État dans l'économie. Or, vous le savez, ce ne sera jamais ma position. Si je crois au marché, je crois aussi à la nécessité d'en corriger les excès, et à la nécessité d'un État qui régule l'économie et qui y garde un rôle. La preuve en est que l'État investira ailleurs, et que nous allons mettre en place un fonds pour l'innovation de rupture, qui permettra de piloter, à partir de la puissance publique, le financement de l'innovation de rupture. Quant au pacte d'actionnaires, je souhaite que les représentants du comité d'entreprise y aient accès. C'est une garantie pour eux, et c'est un geste de confiance à leur endroit que de leur y donner accès.

Je crois au projet « Magellan » visant à rapprocher Naval group et Fincantieri, mais je considère que c'est un projet de beaucoup plus long terme. Dans la construction de frégates, il y a la partie facile, c'est-à-dire les coques, mais il y a aussi tout ce qui est embarqué, qui est évidemment beaucoup plus sensible. Il faut prendre tout le temps nécessaire avant de parvenir à un accord dans le domaine militaire.

Les engagements de préservation des emplois et des sites valent pour l'ensemble des sites français, donc évidemment pour Tarbes. En ce qui concerne les tractions, Tarbes relève de centres de décision totalement français. L'engagement ayant été pris de donner la préférence à la filière nationale pour les commandes françaises, il n'y aura aucun transfert en Allemagne des activités établies à Tarbes. Par ailleurs, le site de Tarbes travaille pour l'ensemble des sites intégrateurs d'Alstom – Valenciennes, La Rochelle et Reichshoffen – et sur tous les types de matériel roulant : RER, TGV, métros. Il est donc polyvalent, parfaitement apte à résister à la concurrence et, par ailleurs, positionné sur tous les marchés porteurs, notamment celui des chaînes de traction des matériels innovants, comme le nouveau métro de la ligne 14, le TGV 2020 ou le RER de nouvelle génération. Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir pour ce site ; il sera préservé et, je le souhaite, développé.

Pas de défaitisme, Monsieur Éric Coquerel ! Je suis persuadé qu'avec les décisions que nous prenons, la France peut retrouver sa puissance industrielle perdue. Il est cependant vrai que nous faisons un pari différent du vôtre. Plutôt que de faire preuve d'un volontarisme de façade en proclamant la démondialisation, l'investissement de l'État, la participation dans les entreprises, démarche qui a échoué, nous faisons le choix d'une politique qui crée un cadre plus favorable à l'industrie nationale, en réduisant le coût du travail, en ouvrant une réflexion sur le coût du travail qualifié et en prenant des dispositions fiscales plus favorables. Et je ne récuse absolument pas le mot de souveraineté nationale que vous avez employé ; il est effectivement important de la garder dans certains secteurs, mais je rappelle également que la France a racheté 94 entreprises industrielles allemandes l'année dernière, tandis que seules 26 entreprises allemandes rachetaient des entreprises françaises.

Enfin, on claironne très souvent le nom d'Airbus, en parlant d'un « Airbus naval » ou d'un « Airbus ferroviaire ». N'oublions cependant pas, que, même dans le cas d'Airbus, il y eut des difficultés. La répartition des sites de production a donné lieu à des combats homériques ! Souvenez-vous de la question du câblage et de l'usine de Hambourg. Qui récupérerait quoi ? Le partenariat entre grands industriels européens est toujours difficile. Dans le cas d'Airbus, cela a été très difficile. Qui allait fabriquer les nacelles, les moteurs, les cockpits, le système de navigation, le câblage ? Combien d'emplois à Toulouse, en Normandie, à Hambourg, dans le nord de l'Allemagne ? Ce furent des combats difficiles. Une alliance entre Européens, contrairement à ce que l'on croit, cela ne va pas de soi, c'est un travail quotidien, difficile, astreignant. Aujourd'hui, il y a deux constructeurs aéronautiques : Boeing et Airbus. Si nous n'avions pas fait Airbus, il n'y aurait que Boeing, et, demain, c'est inéluctable, un constructeur chinois. Airbus est la preuve qu'il est possible de rassembler les forces européennes, mais n'oublions jamais que ce n'est jamais gagné d'avance et que cela passe par une remise en cause permanente. Cela vaut pour Airbus, cela vaudra pour Fincantieri et les Chantiers de l'Atlantique, cela vaudra aussi pour l'alliance entre Siemens et Alstom. Rien n'est acquis, il faut être vigilant en permanence ; la bataille de l'emploi, de l'innovation, des sites industriels est quotidienne.

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Merci, Monsieur le ministre, pour cette présentation.

La Loire-Atlantique est fière de ses Chantiers de l'Atlantique, qui viennent de retrouver leur nom, fière de ce patrimoine maritime français qui a vu naître à Saint-Nazaire le Normandie, le France, le Queen Mary et bien d'autres paquebots. J'associe d'ailleurs notre députée nazairienne, Audrey Dufeu Schubert, à mon propos.

Depuis les années cinquante, ce champion mondial de la construction navale a su investir, développer des savoir-faire, s'entourer de partenaires locaux, développer l'économie d'un territoire et préserver l'emploi. Par quelle méthode pensez-vous assurer le contrôle de la gouvernance et protéger la propriété industrielle au cours des douze prochaines années ? Et comment pensez-vous limiter le transfert progressif de technologies tout en assurant le développement local des compétences dans le domaine, par exemple, des navires militaires ?

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Après STX, c'est Alstom qui échappe au contrôle français. Vous nous avez rappelés, monsieur le ministre, les raisons pour lesquelles la France perd ses fleurons industriels : à vous entendre, elle n'a pas la capacité d'assumer un tel rôle et n'est pas en situation de développer un champion français et européen dans le secteur des transports.

J'ai sous les yeux un communiqué de presse de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, daté du 5 novembre 2014, sur l'autorisation du rachat par General Electric des activités énergétiques d'Alstom. M. Emmanuel Macron rappelle que l'autorisation donnée était une étape nécessaire et vient clore un processus de six mois de discussions approfondies. Je m'attarderai sur deux paragraphes. Tout d'abord, le communiqué indique que « le nouveau groupe Alstom, par le biais de cette transaction, disposera de tous les moyens pour développer un champion français et européen dans le secteur des transports ». C'était il y a trois ans. Que s'est-il donc passé entre-temps pour que la situation soit aujourd'hui totalement différente ? « Par ailleurs, le ministre rappelle que les dispositifs de l'accord conclu entre l'État et le groupe Bouygues, qui portent notamment sur un prêt de titres et une série de promesses de vente de Bouygues au bénéfice de l'État, portant sur un volume de titres pouvant représenter jusqu'à 20 % du capital d'Alstom, seront activés à compter de la réalisation complète des opérations entre Alstom et General Electric. » Ce dernier paragraphe est très volontariste, mais la réalité est bien différente. Pouvons-nous avoir des explications ?

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Je pose ma question en mon nom propre et au nom de Marie-Noëlle Battistel que la situation de l'ex-Alstom Hydro, à Grenoble, inquiète.

Pour éviter malentendus et caricatures, je veux, monsieur le ministre, vous dire tout de suite que je soutiens la nationalisation temporaire de STX et le rééquilibrage du rapport de forces entre les Italiens et les Français, même si d'autres partenariats industriels étaient peut-être plus indiqués. Je tiens également à dire que je suis favorable à la construction de grands champions européens et que je partage les inquiétudes que vous inspire cette concurrence chinoise qui prospère dans une mondialisation déloyale. Et j'éprouve les mêmes inquiétudes que vous à propos de la filière ferroviaire française. Je pressens que la question de la consolidation se posera à un moment ou à un autre.

Mais si nous pouvons partager avec vous une ambition européenne en matière industrielle, nous ne vous cacherons pas les inquiétudes que nous inspire aussi le projet que vous soutenez aujourd'hui et qui nous paraît risquer de se réaliser au détriment de la base industrielle française. Gardons-nous de convoquer l'histoire ou d'invoquer l'héritage de ceux qui n'auraient rien fait pendant des années – le dernier ministre de l'industrie du précédent quinquennat était d'ailleurs Emmanuel Macron – mais je me souviens de la Compagnie générale d'électricité et notamment des conséquences des privatisations de 1986. Je ne voue donc nul fétichisme à la conduite par le secteur privé des opérations industrielles. Louis Gallois et Louis Schweitzer ont été de grands capitaines d'industrie !

Vous prétendez construire un « Airbus du rail ». Très bien, mais y a-t-il un accord intergouvernemental franco-allemand qui indique la part que prendront nos États respectifs à la réussite de ce projet, notamment en termes de soutien à l'investissement et à l'innovation ? La question n'est pas incongrue car le projet du « TGV du futur » bénéficie d'un soutien dans le cadre des investissements d'avenir.

J'aimerais également des réponses précises sur les synergies attendues de cette fusion, question que vous avez souvent esquivée. On sait que le mot « synergie » cache souvent des suppressions d'emploi. Combien de sites et d'emplois sont en doublon entre la France et l'Allemagne ? Si vous en avez besoin, je peux vous donner les références d'études réalisées par Bercy qui estiment le nombre d'emplois potentiellement menacés.

Et je répète cette question déjà posée : n'y a-t-il pas des partenariats industriels plus pertinents, par exemple avec Bombardier pour le matériel roulant ou Thales pour la signalisation ? Y a-t-il eu des discussions ? Il est vrai que Thales, dont nous sommes actionnaires, ne souhaitait pas, il y a quelques années, un tel partenariat.

Que disent les autorités européennes de la concurrence de cette fusion ? Quels morceaux du futur ensemble seront vendus ?

Quant au « strapontin » auquel nous donnerait droit le rachat des 20 % détenus par Bouygues, je rappelle qu'avec 5 % du capital de Vivendi, M. Vincent Bolloré a su en prendre le contrôle ! La question de ce que nous faisons de nos participations est posée. Nous ne sommes pas contraints à l'impuissance, d'autant qu'une action permet de conclure un pacte d'actionnaires.

Qu'est devenu le produit de la vente de la partie énergie d'Alstom ? A-t-il bénéficié aux sites ferroviaires ?

Par ailleurs, j'imagine que les banquiers d'affaires impliqués dans la conclusion de cette alliance sont nombreux. Ont-ils participé aux opérations précédentes ?

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Nous avons beaucoup parlé d'industrialisation, de fusions, de la volonté de créer des champions européens ou parfois nationaux pour lutter contre cette concurrence internationale et la mondialisation, mais quelle est la stratégie du Gouvernement en matière de détention du capital des sociétés françaises ? Je pense plus particulièrement à la Compagnie des Alpes, qui, certes, n'exerce pas son activité dans le secteur des transports ferroviaires, mais il s'agit quand même de transports. On lit dans la presse économique que son président se félicite d'une future nomination certaine à la tête de la Caisse des dépôts et consignations, qui détient 40 % de la Compagnie des Alpes, dans la perspective de passer des accords avec le fonds d'investissement chinois Fosun. Pourtant, tout à l'heure, Monsieur le ministre, vous avez fait état du risque de transferts de technologies et appelé à s'unir pour lutter contre cette conquête de marchés et ces prises de participation par des firmes chinoises. Qu'en est-il donc en ce qui concerne la Compagnie des Alpes ? Défendrez-vous les intérêts nationaux contre des intérêts étrangers, étant entendu que cette société peut très bien grandir et se développer à l'international avec un actionnariat régional ou de collectivités ?

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Hier, Monsieur le ministre, nous auditionnions Mme Katheline Schubert à propos de l'accord économique et commercial global ou CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), conclu entre le Canada et l'Union européenne. De nombreuses manifestations concrètes de l'ouverture du commerce international suscitent l'inquiétude des Français : des rachats d'entreprises, des prises de participation, des achats importants de biens immobiliers, la signature de traités commerciaux. Ils ont presque l'impression que l'État est quelque peu démuni et que nos intérêts pourraient être bradés, alors même que nous disposons d'outils nous permettant de protéger notre tissu d'entreprises : l'intelligence économique notamment permet de détecter les mouvements hostiles de concurrents sur notre sol ou les opérations de déstabilisation de nos groupes, les attaques pour acquérir nos sociétés, nos savoir-faire ou des informations sensibles. Les moyens dont nous disposons sont-ils à la mesure de ceux de nos concurrents ? Ne devraient-ils pas être renforcés pour nous donner une meilleure vision stratégique et une meilleure position ?

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Merci, Messieurs les présidents, d'accueillir une collègue membre de la commission des affaires sociales très attachée à son territoire nazairien.

Je salue l'accord avec Fincantieri, accord équilibré qui vise uniquement à la préservation et au développement de nos chantiers. Cependant, STX, c'est aussi tout un tissu de sous-traitants, pour ne pas dire de « co-traitants » tant c'est une véritable collaboration qui s'est développée sur notre territoire – il y a deux fois plus de sous-traitants dans le bassin nazairien que de salariés chez STX. Fincantieri s'est engagé à préserver ce tissu régional de sous-traitants, mais, concrètement, quelles garanties avons-nous ? Comme dans tous les mariages, la confiance n'exclut pas le contrôle. Avec quels indicateurs surveillerez-vous la préservation de ces emplois ?

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Monsieur le ministre, vous nous avez dit que l'opération d'investissement de Siemens dans Alstom faisait partie de ces investissements étrangers en France qui relèvent d'une procédure d'autorisation – l'article R. 153-3 du code monétaire et financier vise notamment le fait d'acquérir le contrôle d'une entreprise dont le siège social est établi en France. Cela signifie que votre ministère sera destinataire d'une lettre d'engagements de Siemens, et vous vous prononcerez sur cette base. Êtes-vous prêt à communiquer cette lettre au Parlement afin d'en permettre un contrôle parlementaire ?

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Vous évoquiez tout à l'heure les difficultés de l'industrie. Le plafonnement de la productivité est un vrai sujet, au plan mondial comme un plan européen. Il faut donc créer de la valeur, et la constitution de groupes plus puissants en crée probablement ; en tout cas, tout le monde est favorable à l'idée de créer de champions européens. La véritable question est celle de l'équilibre des relations entre partenaires. Effectivement, on parle tout le temps, à tort et à travers, d'Airbus, mais cela a quand même été la création d'une unité partenariale équilibrée. Cette volonté d'équilibre semble plutôt absente dans ce qui est proposé aujourd'hui.

Par ailleurs, vous avez raison sur l'environnement fiscal et social de l'industrie. L'idée d'un allégement des charges au-delà de 2,5 SMIC est évoquée dans le débat public depuis longtemps. Aujourd'hui, le chômage concerne plutôt les emplois rémunérés en deçà de 2,5 SMIC, mais nous savons bien que la question se posera, compte tenu de la compétition internationale et du fait que nombre d'emplois industriels sont rémunérés au-delà de 2,5 SMIC. C'est un débat ancien qu'il faudra trancher définitivement.

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Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances

Je souscris totalement à vos propos sur le coût du travail, Monsieur le président de la commission des finances. Cependant, l'argent public ne se trouve pas sous le pas d'un cheval. Déplafonner les allégements de charges au-delà de 2,6 SMIC entraînerait au minimum 3 ou 4 milliards d'euros de dépenses publiques supplémentaires. Je préfère donc envisager, le moment venu, si les comptes publics sont rétablis, de consacrer un tel montant à la compétitivité de notre industrie plutôt que de le dépenser dans des participations de l'État ; c'est un choix. Si nous disposions de centaines de milliards d'euros d'argent public, la question se poserait différemment.

Oui, Madame la députée Valérie Oppelt, les accords comportent des garanties en termes de contrôle de la propriété industrielle. Il n'y aura pas de transfert de technologies. Cela vaut aussi bien pour l'accord entre Siemens et Alstom que pour celui entre STX et Fincantieri.

Rien ne nous oblige, Madame la députée Véronique Louwagie, à exercer notre option d'achat des titres. Et, en raison de son coût, du risque de vente massive ou de spéculation, nous avons effectivement choisi de ne pas le faire. Vous évoquez des propos tenus au mois de novembre 2014, mais si nous avons pris la décision que nous avons prise, c'est à cause d'une accélération de la compétition mondiale, dont j'ai parlé précédemment et qui a surpris tout le monde. Mon sentiment est que la construction aéronautique connaîtra la même évolution : un troisième acteur, chinois, ne mettra pas longtemps à émerger, de même que CRRC, que personne n'avait vu venir, s'est créé en l'espace de quelques années, à coup de regroupements et d'aides d'État massives, et a fait irruption sur les marchés étrangers avec une puissance considérable et une capacité spectaculaire à emporter les appels d'offres en raison de coûts bien moindres – lorsque c'est le moins-disant qui emporte l'appel d'offres, la Chine est systématiquement mieux placée.

Merci, Monsieur Boris Vallaud, pour vos propos introductifs sur les grands champions européens et la nécessité de constituer des champions de taille mondiale à partir des compétences européennes. Je vous rappellerai simplement que c'est Christophe Sirugue, non Emmanuel Macron, qui était chargé de l'industrie à la fin du précédent quinquennat ; c'est lui en tout cas qui a négocié l'accord entre STX et Fincantieri…

Vous m'avez interrogé sur l'accord intergouvernemental. Oui, l'investissement de l'État et ses engagements vis-à-vis d'Alstom sont repris dans le cadre de cette fusion, notamment en ce qui concerne les investissements en faveur du TGV du futur, enjeu majeur pour Alstom dans les prochaines années. Quant aux doublons, les vrais doublons sont avec Bombardier plus qu'avec Siemens – et, je vous rassure, j'ai bien lu les analyses produites par Bercy.

Quant aux discussions entre Alstom et Thales, vous êtes bien placé pour savoir que cela n'a pas pu aboutir – vous étiez aux responsabilités. Je ne vous le reproche pas, je constate simplement que nous ne sommes pas parvenus à faire aboutir ce rapprochement pour une raison simple : Thales, dans lequel nous n'avons qu'une participation minoritaire, ne souhaite pas cette coopération sur la signalisation avec Alstom. Dont acte. Vous avez essayé, je l'ai également fait, mais cela n'a pas abouti, tout simplement parce que Thales estime que son intérêt stratégique n'est pas là.

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Reposez-leur la question maintenant que vous vous êtes alliés avec Siemens…

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Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances

Maintenant, les choix sont faits, c'est trop tard. Ce que je constate en tout cas, c'est qu'avec l'accord entre Siemens et Alstom, nous aurons le numéro un mondial de la signalisation !

Quant aux banquiers d'affaires, soyez rassuré : je prends mes décisions en toute indépendance. Je n'ai jamais été banquier d'affaires, et j'essaie de conserver la plus grande indépendance possible en ma qualité de ministre pour servir l'intérêt général.

M. Vincent Rolland a évoqué la Compagnie des Alpes. Une discussion est effectivement engagée, sous la direction de la Caisse des dépôts, avec Fosun, en vue d'un développement dans le domaine des parcs d'attractions et des stations de ski en Chine. Nous serons très vigilants sur la manière dont ces discussions sont conduites et sur les opportunités offertes. Il ne s'agit pas de faciliter une offensive chinoise, mais de permettre à la Compagnie des Alpes de développer ses activités en Chine. Vous avez raison d'appeler mon attention sur la nécessité d'être vigilant.

Je vous confirme, Madame Marie Lebec, que nous sommes avertis des difficultés rencontrées face aux cyberattaques. Tout un plan est en cours de préparation avec le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) pour lutter contre celles-ci et améliorer notre dispositif de protection. En outre, France, Allemagne et Italie ont déposé un projet de règlement européen, qui sera étudié, pour protéger l'économie européenne contre des investissements étrangers hostiles.

Madame Audrey Dufeu Schubert, les engagements sur l'emploi et les sous-traitants pris par Fincantieri dans le cadre de l'entrée au capital de STX portent explicitement sur la préservation du tissu des sous-traitants, auxquels j'ai proposé de participer au capital de STX ; et sur le respect du plan d'embauche triennal. Ces garanties figurent explicitement dans les engagements qui sont soumis à surveillance ; et je rappelle que s'ils ne sont pas respectés, l'État pourra tous les deux ans reprendre la majorité dans le capital de STX.

Monsieur Olivier Marleix, je vous confirme que Siemens adressera sa lettre d'engagements au Gouvernement français. En revanche, nous ne la rendrons pas publique par respect pour le secret des affaires, même si je vous ai développé un certain nombre des engagements pris par Siemens. On ne divulgue pas de lettres d'engagements, et il n'y aura pas d'exception pour Siemens-Alstom.

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Monsieur le ministre, merci pour l'exhaustivité de vos réponses à de nombreuses questions. Elles auront permis à de nombreux députés de nos deux commissions de s'exprimer et d'obtenir les précisions qu'ils attendaient. La commission des affaires économiques recevra Henri Poupart-Lafarge le 11 octobre, et les membres des autres commissions sont les bienvenus.

Je terminerai en partageant avec vous une expérience que j'ai connue dans mes fonctions précédentes. Il y a huit mois, Suez environnement, une très belle entreprise française, a acheté une filiale de General Electric – GE Water – avec l'aide d'un investisseur public canadien, la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui a amené plus de 1 milliard de dollars en capital, pour créer un champion mondial de l'eau. Deux choses me frappent dans cette histoire qui me rappelle quelques bons souvenirs : premièrement, je ne suis pas sûr que l'on en ait parlé autant en France, alors qu'en l'occurrence, la France a créé un champion mondial ; deuxièmement, quand il s'est agi d'aller chercher du capital de long terme, c'est au Québec que nous sommes allés parce que malheureusement, le capital de long terme manque cruellement en France.

Je suis donc content d'entendre un ministre nous dire qu'avec toutes les mesures que nous avons prises, nous allons favoriser l'émergence de capital de long terme en France pour enfin participer à l'émergence de champions mondiaux.

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 4 octobre 2017 à 16 h 15

Présents. - M. Damien Adam, M. Patrice Anato, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Grégory Besson-Moreau, Mme Barbara Bessot Ballot, M. Philippe Bolo, M. Éric Bothorel, M. Alain Bruneel, M. Sébastien Cazenove, M. Anthony Cellier, Mme Michèle Crouzet, M. Yves Daniel, M. Michel Delpon, M. Nicolas Démoulin, Mme Marguerite Deprez-Audebert, M. Fabien Di Filippo, M. Julien Dive, M. José Evrard, M. Daniel Fasquelle, M. Philippe Huppé, M. Sébastien Jumel, Mme Marie Lebec, Mme Annaïg Le Meur, M. Roland Lescure, M. Richard Lioger, Mme Graziella Melchior, Mme Emmanuelle Ménard, M. Mickaël Nogal, Mme Valérie Oppelt, M. Éric Pauget, M. Dominique Potier, M. Benoit Potterie, M. Vincent Rolland, M. François Ruffin, M. Jean-Bernard Sempastous, M. Denis Sommer, M. Nicolas Turquois, M. André Villiers

Excusés. - Mme Laure de La Raudière, M. Didier Martin

Assistait également à la réunion. - Mme Audrey Dufeu Schubert

Pour les membres de la commission des finances, se reporter au compte rendu de ladite commission.