Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

Source

La séance est ouverte à 9 heures 35.

Présidence de M. Sacha Houlié, président,

La Commission auditionne Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, sur son rapport annuel d'activité.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons le plaisir de recevoir Madame Claire Hédon, défenseure des droits, qui vient nous présenter son troisième rapport annuel d'activité publié le 17 avril dernier.

L'an dernier, nous n'avons pu vous entendre qu'au mois d'octobre, en raison du renouvellement de l'Assemblée et des travaux qui nous avaient occupés au cours de l'été, mais nous renouons avec la tradition de vous auditionner au printemps. Votre autorité a été créée à la suite de la révision constitutionnelle de 2008 et s'est vue attribuer les compétences de plusieurs anciennes autorités administratives indépendantes, avec un champ désormais très large : les relations entre les citoyens et l'administration, la lutte contre les discriminations, la protection des enfants, la déontologie de la sécurité ainsi que la protection et l'accompagnement des lanceurs d'alerte. Ainsi, il est peu surprenant que votre autorité fasse l'objet d'un très grand nombre de saisines, plus de 125 000 en 2022, un chiffre en constance progression.

Aujourd'hui, vous êtes accompagnée de votre secrétaire général, Madame Mireille Le Corre, de deux de vos adjointes, Madame Pauline Caby, chargée de la déontologie de la sécurité, et Madame Cécile Barrois de Sarigny, chargée des lanceurs d'alerte.

La question des lanceurs d'alerte a beaucoup occupé la commission des lois, notamment notre ancien collègue Sylvain Waserman. Les saisies dans ce domaine sont très nombreuses ; quand et dans quel rapport envisagez-vous de présenter la doctrine qui vous incombe en la matière ?

Nous avons aussi observé dans le rapport d'activité que vous m'avez remis la semaine passée en mains propres, que plusieurs saisines ont fortement progressé : les relations avec les services publics, en hausse de 14 %, la défense des droits de l'enfant, en hausse de 20 % et les discriminations, en hausse sensible depuis 2021 et qui se sont stabilisées l'an dernier.

Vos travaux sur la dématérialisation rejoignent les travaux de notre commission sur les limites de l'usage numérique dans l'accès aux administrations. Je renvoie ici à l'avis budgétaire sur la mission « administration générale et territoriale de l'État ». Nous avons échangé sur les failles de MaPrimeRénov', qui appelle une réponse de l'État sur les difficultés rencontrées par nos administrations et les artisans directement concernés. Nous avons également parlé des difficultés concernant les droits des étrangers. Il me semble qu'un projet de loi est en réflexion sur ce sujet ; il devra impérativement répondre à ces difficultés.

Concernant le droit des enfants, nous avons étudié il y a peu une proposition de loi de Bruno Studer sur le droit à l'image des enfants, qui fera l'objet d'une commission mixte paritaire dans les prochaines semaines. J'avais évoqué avec vous les difficultés de coordination entre les services de l'État et les départements, ainsi que la nécessité ou l'opportunité de recentraliser certaines compétences des départements en la matière pour faire face aux iniquités territoriales graves que vous avez recensées.

Plus globalement, comment expliquez-vous la diminution du nombre de décisions rendues de presque un tiers, alors que les saisines n'ont cessé d'augmenter ? Vous avez exercé votre droit de visite dans les Antilles, un exercice nouveau, et je souhaiterais également que vous présentiez le bilan des deux semaines que vous y avez passées. Ce travail vous a-t-il permis de constater une amélioration plus rapide des situations observées ? Souhaitez-vous le renouveler, et dans quels territoires ? Avez-vous des priorités ?

Enfin, vous avez reçu des saisines dans le cadre des différentes manifestations et nous savons que ces manifestations ont donné lieu à des violences graves de la part de certains manifestants, et parfois des forces de l'ordre. Quel est votre bilan ?

Permalien
Claire Hédon, Défenseure des droits

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je tiens d'abord à vous remercier de m'accueillir aujourd'hui. Le partage de ce rapport annuel est un moment important pour moi et cette présentation est inscrite dans la loi, de même qu'au Sénat et au Président de la République, présentations pour lesquelles des rendez-vous seront prévus d'ici l'été. Ce moment me permet de vous présenter l'état des lieux de l'institution ; il s'agit d'un véritable révélateur d'atteinte aux droits d'une partie de la population et des difficultés qui sont vécues par de nombreuses personnes. Ainsi, nous constituons un observatoire intéressant pour les pouvoirs publics, pour le Parlement. Notre institution est une autorité administrative indépendante, inscrite dans la Constitution avec deux missions : d'une part, traiter les réclamations que nous recevons dans les cinq domaines de compétences que vous avez rappelés et rétablir les personnes dans leurs droits à partir de ces réclamations, d'autre part, promouvoir les droits et les libertés. Ainsi, le législateur a bien pensé qu'il ne s'agissait pas simplement de réparer individuellement, mais bien de faire un certain nombre de préconisations, de rendre des avis sur des projets et propositions de loi ainsi que d'établir des rapports d'observation.

Nos missions sont les suivantes : protection des droits des enfants, protection et orientation des lanceurs d'alerte, contrôle externe de la déontologie des forces de sécurité, lutte contre les discriminations et défense des droits des usagers de service public qui constitue 80 % des réclamations. Ces missions peuvent sembler diverses, mais elles se complètent et ont un point commun : la défense des droits et des libertés. Il s'agit du point de départ et de l'aboutissement de chaque mission, la boussole qui nous guide dans notre activité. Dans un contexte où ils sont en danger, leur préservation est notre raison d'être.

Pour mener à bien nos missions, le législateur nous a donné des pouvoirs de médiation, d'enquête et de recommandation. 80 % des réclamations sont d'ailleurs traités en médiation, qui aboutissent dans les trois quarts des cas. Nous nous appuyons sur 250 agents, majoritairement au siège avec quelques chefs de pôles régionaux ainsi que sur des pôles régionaux avec 570 délégués territoriaux, bénévoles indemnisés qui reçoivent les réclamants en présentiel et 120 ambassadeurs et ambassadrices des droits, des jeunes en service civique qui se rendent notamment dans les écoles, les collèges et les lycées pour parler des droits de l'enfant et de la lutte contre les discriminations.

En 2022, nous avons enregistré près de 126 000 réclamations, une augmentation de 10 %. Ce chiffre s'établissait à 100 000 réclamations en 2020 et 115 000 en 2021.

Je reviendrai sur notre rôle concernant le contrôle externe des forces de sécurité, mais je souhaite commencer par les droits d'usagers de service public. Ainsi, j'observe un éloignement des services publics. Ils incarnent l'accès aux droits et doivent être concrets et accessibles, mais nous constatons de manière persistante leur déshumanisation, qui se traduit par une dégradation des relations avec les usagers, le silence, l'absence de réponse des administrations qui entraînent la résignation, le non-recours et la perte de droit pour les usagers. Je ne mets nullement en cause les agents publics, mais bien au contraire le manque d'agents publics et leur effacement du fait d'une dématérialisation excessive.

Les difficultés de relations avec les services publics font partie de notre quotidien à tous, pas simplement ceux qui sont le plus éloignés du droit. Qu'il s'agisse de l'école, de la caisse d'allocations familiales (CAF), des impôts, de l'assurance maladie, de Pôle emploi ou de la commune, nous pouvons nous trouver à différents moments de notre vie dans une situation d'incompréhension avec l'administration. Les conséquences sont redoutables, en particulier pour les personnes les plus vulnérables, lorsqu'elles se traduisent par des ruptures de droits sociaux et elles sont renforcées par la dématérialisation, qui est l'une des expressions du recul des services publics. Les droits ne peuvent être garantis que si des personnes sont en mesure de répondre aux situations particulières.

La dématérialisation est une chance pour de nombreuses personnes et démarches, mais elle ne peut constituer la seule option. Cette politique publique est menée sans avoir été évaluée dans sa globalité et son coût et son efficacité n'ont pas été mesurés. Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet et nous avons précisément décrit les atteintes aux droits qui découlent de cette dématérialisation des services publics. Nous avons rendu deux rapports en 2019 et 2022, car nous réalisons un suivi de nos recommandations et nous avons constaté une aggravation de la situation.

Nos rapports ont sans doute contribué à la prise de conscience des enjeux liés à la transformation de nos services publics : cette dématérialisation se fait au prix de l'exclusion de certaines personnes. Le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc) évoque près de 16 millions de personnes, soit 31,5 % des Français de plus de 18 ans vivant en métropole et un tiers de la population, concernées par ce phénomène d'éloignement des services publics. Par ailleurs, le Credoc évalue à 4 millions le nombre de personnes en difficulté avec le numérique et qui n'ont pas forcément de connexion Internet. La dématérialisation peut simplifier les démarches, mais chacun d'entre nous peut se retrouver confronté à un site internet des services publics qui dysfonctionne.

Il est frappant de constater que cette dématérialisation s'accompagne d'un report sur l'usager de tâches qui incombaient auparavant à l'administration. On demande à l'usager de s'adapter alors que le principe même du service public est son adaptation à l'usager. On demande à l'usager de s'équiper, de se former et d'être capable de formuler des démarches en ligne, tout en comprenant le langage administratif et sans commettre d'erreurs.

Selon moi, nous sommes renvoyés à la question suivante : quel service public voulons-nous ? Le premier défi que doit relever cette transformation numérique des services publics est la garantie d'accessibilité dans le respect des principes qu'ils guident, notamment du principe d'égalité. Or, nous constatons aujourd'hui que les alternatives au numérique sont très insuffisantes. Nous avons mené avec l'Institut national de la consommation (INC) une étude de quatre services publics sur l'évaluation des réponses apportées aux usagers par les plateformes téléphoniques, une alternative au tout numérique, et nous avons appris que sur les 1 500 appels passés, 40 % n'avaient pas abouti.

On dit souvent que les personnes sont éloignées du droit, mais il nous semble surtout que le service public s'est éloigné d'elles, notamment des plus vulnérables et des plus pauvres, en faisant peser sur elles une charge administrative, matérielle et mentale très lourde. La dématérialisation ne peut être considérée comme un progrès si elle exclut et déshumanise le service public.

Quand 28 % de la population éprouve des difficultés face aux démarches administratives, le service public doit s'adapter à l'usager et non l'inverse. Je souhaite vous citer l'exemple d'une femme âgée qui devait changer sa chaudière et qui était éligible à MaPrimeRénov'. Elle a donc créé un compte sur le site de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), mais, malgré plusieurs tentatives, elle n'a pas réussi à compléter le dossier en raison d'un dysfonctionnement du site. Entre-temps, sa chaudière a cessé de fonctionner et cette femme s'est retrouvée en plein hiver sans eau chaude ni chauffage. Elle s'est donc résolue à initier les travaux avant la réponse de l'Anah, ce qui aurait dû avoir pour conséquence de la priver du bénéfice de la MaPrimeRénov'. Nous sommes face à une femme âgée qui se trouve privée d'une aide financière à laquelle elle a droit en raison d'un dysfonctionnement d'un site avec une procédure entièrement dématérialisée et sans alternative.

En l'occurrence, l'intervention de l'institution du Défenseur des droits a permis le versement de l'aide, mais nous ne sommes pas saisis de toutes les difficultés. Nous avons reçu des centaines de réclamations similaires dès 2020. Nous avons constaté des écueils dans le traitement des demandes, des problèmes techniques, des défauts d'information, des délais de traitement et des difficultés liées à la dématérialisation totale. Toutes ces entraves ont des conséquences importantes pour les usagers, dont certains ont passé l'hiver sans chauffage.

Pour respecter les droits, les services publics ne peuvent absolument pas être intégralement dématérialisés. À partir de nos enquêtes, nous avons adressé un certain nombre de recommandations à l'Anah. Au moment où nous avons rendu cette décision, nous avions eu environ 500 saisines et nous en avons reçu 900 supplémentaires depuis le mois d'octobre. Ainsi, le problème n'est pas réglé et nos délégués ne reçoivent pas de réponse quand ils saisissent l'Anah sur certaines difficultés. Je vous rappelle que nos délégués sont des bénévoles qui reçoivent une indemnité. Ils trouvent une satisfaction parce qu'ils arrivent à régler des problèmes, mais si tel n'est pas le cas, leur travail perd tout sens. Ainsi, certains s'en vont, car ils ne reçoivent pas de réponse des administrations. La dématérialisation touche particulièrement des personnes en situation de vulnérabilité et contribue aussi à en créer. Ainsi, les personnes étrangères rencontrent de nombreux obstacles à l'exercice de leurs droits.

Les réclamations relatives aux droits des étrangers sont devenues le premier motif de saisine de l'institution. Elles représentent 24 % des réclamations pour 2022 et 30 % pour les quatre premiers mois de 2023. Ces chiffres me mettent particulièrement en colère, car ce sont majoritairement des réclamations pour des renouvellements de droit au séjour. Ces personnes l'obtiendront de fait, mais se retrouvent en situation irrégulière, ne parviennent pas à prendre de rendez-vous en préfecture, n'ont pas de réponse après le dépôt de dossier et multiplient les récépissés. Certaines perdent leur emploi, leur logement et des aides auxquelles elles ont droit.

Cette situation est inacceptable. Nous constatons une dégradation de l'accueil des étrangers en France, qui est invisibilisée par la dématérialisation puisque les rendez-vous en préfecture sont pris en ligne. Auparavant, les queues devant les préfectures choquaient, mais on ne les voit plus. Elles sont virtuelles, devant les ordinateurs.

Le service public doit conserver son rôle de soutien et de service au public. Il doit veiller à ne pas engendrer la précarité et c'est notre rôle de le rappeler. Les conséquences de la dématérialisation empêchent l'accès de nombreux usagers au service public et donc à leurs droits. Leur gravité est individuelle, mais également collective, avec une population et un principe d'égalité qui ne sont plus incarnés. Nous sommes ici confrontés à un dysfonctionnement structurel auquel mon institution, avec ses moyens, ne peut pallier seule et qui n'en a pas la vocation. Nous ne pouvons ni devons nous substituer aux services publics. Notre rôle est de répondre aux réclamations individuelles, révéler les atteintes aux droits et faire des recommandations pour que les pouvoirs publics s'en saisissent.

Sans réaction, mon institution risque l'embolie. Est-il normal qu'un usager doive saisir le juge des référés du tribunal administratif, ou le Défenseur des droits, seulement pour obtenir un rendez-vous ? Ce système marche sur la tête et je n'ai pas vocation à être le Doctolib des rendez-vous en préfecture – pour reprendre l'expression de la présidente du tribunal administratif de Versailles.

Le problème doit être résolu à la source, au niveau des préfectures. Encore une fois, je ne porte aucune accusation envers les agents dans ces préfectures qui cherchent à faire au mieux. Cependant, la Cour des comptes a indiqué que la réduction des effectifs trop significative les empêchait de traiter tous les dossiers. Ces difficultés d'accès aux services publics minent notre cohésion sociale et portent atteinte à notre démocratie.

Je souhaite que notre institution puisse être un recours pour tous et qu'elle soit facilement accessible. Nous travaillons à réduire la distance avec les personnes qui nous saisissent et qui ne nous connaissent pas toujours. L'expression « aller vers » a tout son sens : nous sommes joignables gratuitement, par mail, par téléphone, partout en France, avec nos 570 délégués qui assurent des permanences et qui reçoivent physiquement les réclamants. Ils sont présents dans 990 points d'accueil et effectuent deux demi-journées de permanence, pas toujours au même endroit. Par ailleurs, nous sommes présents dans des préfectures, des maisons de la justice et du droit et nous créons de nouvelles permanences dans des locaux d'associations et des centres sociaux. Nous sommes présents dans une centaine d'espaces France Services, des tiers lieux et des missions locales, pour essayer d'atteindre les jeunes.

Dans leurs permanences, nos délégués comblent un manque dont souffrent de plus en plus nos services publics : la présence de guichets qui permettent un accueil physique et une écoute. Grâce à leur implication et leur rigueur, l'action de nos délégués et de nos agents est efficace. Ainsi, 75 % de nos médiations ont abouti en 2022. Nous faisons aussi en sorte d'être joignables par téléphone. Nous enregistrons 8 000 appels mensuels sur notre plateforme téléphonique généraliste, avec un taux d'appels décrochés de plus de 90 % pour répondre à des demandes d'informations et d'explications. Nous avons également mis en place un numéro dédié et gratuit pour les détenus, le 3141. Il risque d'ailleurs d'être victime de son succès, car les détenus l'utilisent largement.

Par ailleurs, nous utilisons le site Antidiscriminations.fr et le numéro de téléphone 3928, créés à la demande du Président de la République il y a un peu plus de deux ans. Ce service d'accompagnement gratuit recense un millier d'acteurs engagés localement. La lutte contre les discriminations repose sur une écoute attentive – certains appels peuvent durer plus de quarante-cinq minutes – et nous montrons aux personnes qu'elles peuvent faire valoir et respecter leurs droits. L'institution du Défenseur des droits est un recours pour tous.

Je voudrais en venir maintenant à la nécessaire défense des droits des enfants. Nous constatons que les enfants ne sont pas suffisamment considérés comme sujets de droit. Certains n'ont pas accès au logement, à l'éducation, à la cantine et à la protection à laquelle ils ont droit. Ainsi, la scolarisation des enfants en situation de handicap reste très insuffisante malgré les progrès de ces dernières années. Les réclamations se multiplient dans ce domaine. Non seulement le nombre d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) doit augmenter, mais les pouvoirs publics doivent également rendre possible la formation des enseignants pour mieux garantir l'effectivité des droits de l'enfant.

Au lieu de s'adapter à l'enfant, le système scolaire demande souvent à l'enfant et à sa famille de s'adapter aux contraintes. Nous voyons encore des enfants qui sont privés de liberté en centre de rétention administrative (CRA), parfois rattachés arbitrairement à un tiers pour être retenus. À Mayotte, les atteintes aux droits sont particulièrement fréquentes et graves dans tous les domaines. À cet égard, les actions liées à l'opération « Wuambushu » m'inquiètent particulièrement et nous y attachons la plus grande vigilance. J'ai saisi à ce sujet le ministre de l'intérieur et d'autres ministres concernés par des risques d'atteintes aux droits et j'ai souhaité qu'une délégation de juristes de l'institution se rende sur place.

Notre préoccupation porte sur deux points : les conditions de « décasage », alors même que le nombre de constructions est très insuffisant pour l'accueil des familles, et les conditions d'éloignement des personnes étrangères. Nous sommes inquiets concernant le droit de recours dans le cas d'une rétention en CRA et en local de rétention administrative (LRA). Enfin, à cet égard, je rappelle que la France vient d'être condamnée une nouvelle fois par la Cour européenne des droits de l'homme pour la rétention d'enfants en CRA.

Le projet de loi immigration, dont l'examen devant votre assemblée est reporté, comportait une disposition pour y mettre fin, avec toutefois des insuffisances relevées dans l'avis que j'ai rendu sur ce projet de loi lors de son examen par le Sénat. Les LRA ne sont pas concernés, de même que les enfants de 16 à 18 ans. Le report de la date d'application nous inquiétait également, car en réalité, aucune loi n'est nécessaire pour changer la pratique, bien que cette interdiction textuelle soit utile. Quoi qu'il en soit, la pratique perdure à Mayotte.

Par ailleurs, nous constatons que les enfants qui doivent être protégés ne le sont pas suffisamment. Je pense ainsi à la protection de l'enfance qui ne parvient plus aujourd'hui à jouer son rôle, aux juridictions dont les décisions ne sont pas exécutées, au manque de places en foyers et d'assistants familiaux, aux mesures éducatives en milieu ouvert, aux prises en charge dans des délais pouvant excéder les six mois, aux ruptures dans les parcours des enfants, aux changements de famille d'accueil sans aucune préparation de l'enfant ni de considération pour le lien d'attachement qui s'est construit avec sa famille d'accueil… Nous sommes encore face à des problèmes systémiques. Nous publions des recommandations qui nécessitent des réponses des pouvoirs publics à la hauteur de l'enjeu : la protection des enfants et le respect de leurs droits.

J'en viens à la déontologie des forces de sécurité et au nécessaire respect des droits par les forces de sécurité. Le législateur a fait du Défenseur des droits le contrôleur indépendant des policiers, des gendarmes, des surveillants pénitentiaires et des agents de sécurité privée, soit toute personne qui exerce une activité de sécurité. La situation des derniers mois m'a conduite à réexpliquer cette fonction, absolument essentielle dans une démocratie et dans un État de droit, un État dans lequel les pouvoirs publics sont soumis au droit. La première exigence déontologique est le respect de la loi par les policiers et les gendarmes qui sont au service de la loi, des institutions et de la population.

Or, nous avons notamment rendu en 2022 deux décisions pour des faits qui mettent directement en cause ces principes, dont la destruction par des policiers, en dehors de tout cadre légal, de baraquements par des bulldozers ou même par le feu. Les familles se voient privées de leur logement, de leurs effets personnels et de tous les accompagnements que prévoit la loi en matière de santé ou encore de scolarisation des enfants.

Grâce à la rigueur de nos enquêtes et à notre indépendance, nous pouvons faire la lumière sur les faits et sur les responsabilités qui y sont attachées. Depuis plus de vingt ans, le Défenseur des droits et la commission nationale de déontologie de la sécurité avant lui enquêtent sur le comportement des policiers et des gendarmes. Le législateur a pensé qu'un contrôle indépendant et transparent était nécessaire pour établir la confiance entre les acteurs de la sécurité et les citoyens. Il a considéré que le respect de la déontologie était protecteur pour les policiers et les gendarmes et particulièrement nécessaire au regard de leurs responsabilités et prérogatives.

Ainsi, nous avons publié de nombreuses décisions sur des comportements de policiers et de gendarmes ainsi que sur leur rôle, le rôle de leur hiérarchie et des avis sur le maintien de l'ordre. Nous ne nous intéressons pas simplement aux faits commis par les forces de l'ordre, mais également à leur formation et leur encadrement à ce moment-là. Lors des manifestations des dernières années, nous avons parfois constaté des privations de liberté arbitraire et des dissimulations du visage de policiers qui sont contraires à la loi. Nous avons rendu plusieurs décisions sur l'usage de la force des armes, dites « de force intermédiaire » comme le lanceur de balles de défense (LBD). Nous avons publié un rapport intitulé Le maintien de l'ordre au regard des règles de déontologie qui avait été remis au président de l'Assemblée nationale en 2018.

Depuis, nous avons pris position sur le schéma de maintien de l'ordre et sur plusieurs projets ou propositions de loi, tels que la loi de sécurité globale. Forts de cette expertise et des pouvoirs accordés par la Constitution et la loi organique, nous traitons les réclamations que nous avons reçues. Depuis le mois de janvier, nous avons enregistré 166 réclamations sur le comportement de policiers et de gendarmes lors de manifestations et les témoignages et images qui nous parviennent laissent penser que les droits ont été bafoués.

Ma crainte est que la répétition de tels actes contribue à les rendre habituels et à rendre habituel l'inacceptable. Cette répétition risque d'installer une logique de face à face dans la durée pouvant entraîner des atteintes à la liberté de manifester, à l'intégrité physique, à la vie. Je rappelle que la sécurité des manifestants, des policiers et des gendarmes et la garantie de la liberté de manifester sont de la responsabilité de l'État ; le respect sans faille de la déontologie est la condition dans la durée de la légitimité des interventions des forces de sécurité et nous contribuons à conforter cette légitimité en veillant au respect de la déontologie.

Nous menons des enquêtes impartiales et contradictoires en prenant le temps nécessaire. J'ai bien conscience du décalage entre le temps médiatique et le temps permettant de publier des décisions résultant d'enquêtes abouties et en contradictoire. Ces questions prennent une grande place dans le débat politique et médiatique, car notre société tout entière s'en trouve ébranlée dans ses repères et dans la confiance en ses institutions. Par notre action, je suis convaincue que nous contribuons à préserver les repères indispensables de la loi, des droits et des libertés. À cet égard, je rappelle combien la liberté de manifester et la liberté d'association doivent être préservées. Je m'inquiète d'un climat qui contribue à fragiliser l'édifice démocratique. Le contrôle indépendant est toujours plus nécessaire, même s'il fait l'objet d'attaques et nous participons au débat démocratique en rendant publiques nos décisions.

La défense des droits et des libertés passe également par la lutte contre les discriminations. Le deuxième volet de l'enquête Trajectoires et Origines (TeO), réalisée par l'Institut national d'études démographiques (Ined) et l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) avec le soutien de l'institution du Défenseur des droits, montre l'ampleur des discriminations et leur augmentation. 19 % des personnes de 18 à 49 ans ont déclaré souvent ou parfois des discriminations au cours des cinq dernières années, pour 14 % en 2008.

L'enquête permet d'affirmer que la discrimination est très présente dans notre pays, et qu'elle ne régresse pas. Elle témoigne également d'un manque d'intervention des pouvoirs publics dans la lutte contre les discriminations. Nous réalisons chaque année un baromètre des discriminations avec l'Organisation internationale du travail (OIT). L'édition 2022 révèle les discriminations subies dans le secteur des services à la personne. Sans ce type d'études, une bonne part des discriminations serait invisible, car les recours juridiques sont très rares. Nous avons reçu seulement 6 500 réclamations pour des faits de discrimination et nos saisines ne sont manifestement que la partie émergée de l'iceberg.

L'ampleur des discriminations ne se reflète pas dans les démarches qui sont effectuées devant notre institution et devant la justice. Nous constatons à la fois une forme de fatalisme, mais également une crainte des représailles. Nous agissons par voie d'enquête et de médiation. Ainsi, récemment, nous avons été saisis par un professeur de guitare qu'une commune a refusé d'embaucher, car il allait devenir père et qu'il allait prendre son congé paternité de vingt-huit jours. Nous avons obtenu qu'il soit indemnisé et je rappelle que le Défenseur des droits est un recours en la matière, via le site Antidiscriminations.fr et le 3928. L'égalité est un principe fondamental et les discriminations sont des infractions, des souffrances et des injustices ; les combattre est une priorité publique. Elles entravent les parcours de vie et la possibilité de se réaliser en tant qu'individus. Toutes les études montrent qu'elles ont des impacts sur la santé physique et psychique.

Je vais terminer avec la compétence qui nous a été confiée en 2016 puis renforcée en 2022 sur la protection et l'orientation des lanceurs d'alerte. La loi nous a conféré de nouveaux pouvoirs dont celui de délivrer une certification qui reconnaît la qualité de lanceur d'alerte et nous a accordé une adjointe supplémentaire, Cécile Barrois de Sarigny. Nous recevons actuellement une saisine par jour dans ce domaine. Le nombre de saisines s'établissait à 134 en 2022 et va doubler. Nous sommes préoccupés par notre capacité à traiter l'ensemble de ces réclamations. En effet, nous devons étudier tous les dossiers pour bien vérifier s'ils sont lanceurs d'alerte.

Permettez-moi de terminer par un mot d'alerte sur notre organisation et nos moyens d'action. Depuis plusieurs années, les champs d'action du Défenseur des droits n'ont cessé de s'élargir avec l'adoption de textes législatifs et réglementaires qui lui confient de nouvelles missions : les lanceurs d'alerte, le dispositif anti-discrimination, le suivi de conventions internationales ou encore les expérimentations de médiation préalable obligatoire. Dans ce cadre, l'activité a crû continuellement et se traduit par une hausse des réclamations de plus de 70 % depuis 2014. En 2022, nous avons reçu 126 000 réclamations, soit une augmentation de 29 % par rapport à 2020 et nous enregistrons près de 100 000 appels sur la plateforme.

Dans le même temps, entre 2014 et 2022, le plafond d'emploi de l'institution a augmenté de seulement 13 %, une hausse très insuffisante pour remplir nos missions. Nous faisons face à un risque très prégnant de dégradation de niveau de service rendu au réclamant, de difficultés, voire d'impossibilités à satisfaire et soutenir les personnes les plus éloignées de leurs droits. J'ai alerté la Première ministre et je vous alerte également. J'ai tout à fait conscience du contexte actuel des finances publiques. Nous avons transmis des demandes très réalistes, d'autant plus que nos moyens sont très inférieurs à ceux de nos homologues européens.

Une étude a mis en exergue la corrélation entre l'indépendance, inversement proportionnelle aux effectifs pour les organismes externes de contrôle de la déontologie des services de sécurité. Nous sommes en queue de liste en matière de moyens dans les pays européens et quand nous faisons la comparaison de notre travail de médiateur avec celui des Ombudsmans, nos moyens sont nettement plus faibles. Or, ces moyens sont nécessaires pour que l'institution puisse jouer son rôle et rétablir les personnes dans leurs droits. Nous sommes un élément pacificateur au service de la cohésion sociale dans notre pays. La Constitution nous a chargés de veiller au respect des droits et des libertés, qui sont régulièrement attaqués. Ce rapport annuel d'activité rappelle que les droits et les libertés ne peuvent être remis au second plan. Ils sont le fondement de notre société et de notre organisation sociale. Ils sont placés en préambule de notre Constitution et sont essentiels à la démocratie et à l'État de droit.

À travers les situations individuelles que nous recevons, nous contribuons à rétablir les personnes dans leurs droits, mais aussi à renseigner les pouvoirs publics et l'ensemble des citoyens, sur les réponses plus globales à apporter pour faire progresser le respect des droits. Le rapport montre l'efficacité de notre action, en particulier des médiations, dans de nombreux domaines ainsi que l'implication sans relâche des délégués territoriaux du Défenseur des droits pour obtenir des avancées pour les droits de tous et toutes, pour rappeler sans cesse où se situe l'inacceptable et comment remédier concrètement aux atteintes aux droits. Cependant, nous ne pouvons pas faire face seuls ni nous substituer aux administrations, aux pouvoirs publics.

La révélation d'atteintes structurelles aux droits doit être prise en compte. Le rapport donne à voir la réalité des épreuves que traversent celles et ceux qui ne parviennent pas à faire respecter leurs droits. Prendre en compte cette réalité est non seulement une exigence démocratique, mais aussi la seule voie pour rétablir la confiance dans nos services publics et dans nos institutions.

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Madame la Défenseure des droits, je tiens à vous remercier de prendre le temps de répondre aujourd'hui à notre commission. Je veux aussi saluer le travail que vous accomplissez en faveur de nos concitoyens pour l'accès à leurs droits et j'ai lu avec attention votre rapport annuel dans lequel plusieurs éléments ont attiré mon attention.

Le Défenseur des droits est de plus en plus sollicité sur la protection de l'enfance, qui a été déclarée par le Président de la République un des grands enjeux de ce quinquennat, tout comme il a fait de la lutte contre les violences conjugales la grande cause de deux quinquennats. Ainsi, 21 % des réclamations concernent la protection de l'enfance et des enfants. Le nombre de saisines a progressé de 20 %, entre 2021 et 2022. Au regard de ces éléments, auriez-vous des éléments sur le nombre de saisines dans un cadre de violences intrafamiliales ?

En effet, il semble essentiel de pouvoir objectiver les saisines qui pourraient être utilisées de manière abusive par les agresseurs, un phénomène que nous avons constaté au cours de la mission qui m'a été confiée par la Première ministre et qui appelle une grande vigilance.

Dans un deuxième temps, je m'interroge sur les discriminations à l'égard des femmes. L'emploi privé et la fonction publique ont, selon votre rapport, de grandes réticences liées au sexe, de même que la grossesse, qui représentent des barrières importantes. Ces deux grands ensembles représentent 7 % des saisines que vous avez enregistrées. Depuis plusieurs années, nous avons lancé plusieurs dispositifs, avec notamment la transposition de l'accord du 30 novembre 2018 pour la fonction publique et l'instauration dans la loi Pacte d'un quota de 30 % de femmes cadres dirigeantes, comme l'ont voulu le gouvernement et la majorité présidentielle pour s'assurer de l'égalité en matière d'emploi. En percevez-vous cependant les limites ? Si oui, comment améliorer les choses ? Ces éléments nous seront précieux dans le cadre de l'examen de la proposition de loi sur la féminisation de la fonction publique, que notre commission examinera prochainement.

Enfin, vous indiquez que les médiations menées par votre autorité trouvent une issue positive dans plus de 75 % des cas. Qu'en est-il des 25 % restants ? Comment sont-elles traitées et quelles aides reçoivent les usagers de la part de vos services ? Je vous remercie.

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Madame la Défenseure des droits, dans votre rapport d'activité 2022, vous avez consacré un paragraphe à l'observation du respect des obligations déontologiques par les forces de sécurité, y compris pénitentiaires. Vous y faites un focus sur un signalement émanant de l'Observatoire international des prisons, dont on ne peut nier les tendances anticarcérales, notamment quand il préconise un recours aux alternatives aux peines plutôt qu'à la construction de nouvelles places de prison. Ainsi, il apparaît que vous avez accordé beaucoup d'énergie et de moyens au commentaire d'un tract syndical.

Si l'on ne peut contester le caractère virulent de ce tract, il tentait d'illustrer l'exaspération grandissante des agents pénitentiaires. Ce ras-le-bol est consécutif à la dégradation de leurs conditions de travail qui semblent vous laisser indifférentes. En effet, il vous aura peut-être échappé que, selon la mutuelle des métiers de la justice et de la sécurité (MMJ), huit agents sur dix souffrent d'un état de stress permanent et autant estiment que leur travail a un impact négatif sur leur santé. Lors de mes différentes visites dans des centres pénitentiaires, les agents m'ont exprimé l'usure mentale et physique qui les rongeait.

Ainsi, en ne vous interrogeant pas sur les causes de l'emploi d'un tel langage, vous contribuez à nourrir le terreau d'une haine et d'une stigmatisation à l'encontre de certains agents du service public que sont les forces de l'ordre et les agents pénitentiaires. De plus, nous sommes particulièrement surpris de vous entendre tenir des propos dignes de l'extrême gauche lorsque vous dites que notre population ne retrouvera confiance en sa police que si les dérapages font l'objet de sanctions, comme si les forces de l'ordre étaient par essence violentes. Cela est très déstabilisant de la part d'une autorité administrative présentée comme indépendante. Madame la Défenseure des droits, nous, au Rassemblement national, comme la grande majorité des Français qui se sont exprimés dans un sondage du Centre de recherches politiques de Science Po (Cevipof), nous faisons confiance à notre police et aux forces de l'ordre.

Allez-vous arrêter de donner l'impression que vous instrumentalisez vos fonctions, rémunérées 15 000 euros par mois, à des fins militantes et vous consacrer pleinement aux vrais problèmes rencontrés par de nombreux Français ?

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Madame la Défenseure des droits, merci pour votre rapport qui nous inspirera dans nos batailles en hémicycle.

Devant le constat accablant implacable de votre mission sur le recul et les atteintes aux droits dans notre pays, nous espérons que le ministre de l'intérieur n'aura pas le mauvais goût de vouloir vous dissoudre, comme le souhaite également l'extrême droite. Le 9 mai, la Ligue des droits de l'homme (LDH), le Syndicat des avocats de France (SAF) et l'Association de défense des libertés fondamentales (ADLF) déposaient en référé un recours devant le tribunal administratif de Lille afin de mettre un terme aux fichiers clandestins de certains parquets ayant pour objet de collecter des données sur les manifestants placés en garde à vue, comme l'a révélé Mediapart.

Ces fichiers qui détaillent les noms, prénoms, dates de naissance des personnes placées en garde à vue lors des manifestations, ainsi que les suites pénales à leur infliger, ont été créés dans certains parquets, sans aucune base légale, depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites. C'est dans ce contexte de grandes tensions, méfiances et mises en alerte par de nombreux observateurs sur ces débauches d'arrestations arbitraires que certains parquets ont décidé de créer des fichiers sauvages, malgré la loi du 6 janvier 1978 qui interdit le traitement de données révélant les opinions politiques, les convictions religieuses, philosophiques ou l'appartenance syndicale d'une personne.

Il s'agit ici d'une atteinte très grave et disproportionnée aux libertés fondamentales et notamment au respect de la vie privée, de la liberté d'expression et de manifester. C'est la raison pour laquelle le tribunal administratif de Lille a été saisi d'un référé liberté pour l'arrêt immédiat de l'utilisation de ces fichiers, leur destruction ou placement sous séquestre ainsi que l'envoi d'informations à toutes les personnes fichées, à leur insu, quant à leur situation et au recours dont elles disposent devant cet arbitraire. Il y a deux jours, le tribunal administratif de Lille a donc jugé le caractère effectivement urgent de ces requêtes et nous saurons demain le sort qui sera réservé à ces fichiers clandestins.

Que suggérez-vous, madame la Défenseure des droits, face à ces dérives et comment éviter qu'elles ne continuent de gangrener notre ordre judiciaire et policier ?

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Madame la Défenseure des droits, vous agissez en tant qu'organe de contrôle externe des forces de sécurité, comme indiqué dans le chapitre cinq de votre rapport. Mon intervention concernera le sujet des violences faites aux policiers. Durant les récents mouvements contre la réforme des retraites, nous avons assisté à de véritables scènes de guérilla urbaine et les rapports de gendarmerie sur ces affrontements sont éloquents. Les casseurs et les manifestants les plus radicaux ont fait usage de cocktails Molotov, mortiers d'artifice, mélanges incendiaires, boules de pétanque ou de pavés projetés sur les forces de l'ordre. Des centaines de blessés sont à déplorer dans leurs rangs, dont certains très gravement. Ainsi, le CRS enflammé par un cocktail Molotov a fait la une des médias.

Du côté des forces de l'ordre, certaines violences disproportionnées doivent être clairement et fermement sanctionnées, mais l'expression générique « violences policières » laisse à penser qu'elles sont un phénomène généralisé dans notre pays, ce qui est loin d'être le cas. Vous-même avez déclaré que, sur la centaine de cas de violence des forces de l'ordre dont vous avez été saisis, quatre seulement ont fait l'objet d'une saisine d'office de votre part. De plus, le bilan judiciaire des manifestants interpellés est faible, avec 40 % des gardes à vue seulement suivis de poursuites.

De par votre fonction, il vous incombe de contribuer à protéger les droits fondamentaux des citoyens, y compris ceux des forces de l'ordre. Vous avez dénoncé dernièrement des images inadmissibles et extrêmement choquantes, selon vos propres termes, d'actes de violence commis par les forces de l'ordre ; comment qualifieriez-vous les images de violences subies par les policiers et les gendarmes ?

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Madame la Défenseure des droits, j'ai lu votre rapport avec attention. Il est très utile, car il pointe des dysfonctionnements sur lesquels nous devons travailler, mais je dois avouer que sa lecture me laisse quand même une certaine amertume, car il met peu en balance les avancées conséquentes réalisées pour fluidifier l'exercice de certains droits.

Ainsi, s'il est effectivement parfois difficile de joindre une administration, il me semble aussi intéressant de pointer les avancées des droits générées par la dématérialisation. La pré-plainte en ligne renforce considérablement les droits avec une pratique inversée : on ne fait plus la queue à la gendarmerie, on prépare sa plainte et un gendarme nous rappelle pour prendre un rendez-vous. Certes, une partie du travail autrefois dévolue à l'administration est déportée sur l'usager, mais il en est lui-même le principal bénéficiaire, car il peut engager beaucoup plus facilement une démarche pour faire valoir ses droits sans certains freins (déplacements, heures d'ouverture) qui aboutissaient bien souvent à l'abandon de ladite démarche.

Je tiens à souligner qu'une augmentation du nombre de plaintes et de réclamations ne correspond pas forcément à une hausse du nombre d'atteintes aux droits. Vous reconnaissez d'ailleurs, à la page 45 de votre rapport, le bénéfice apporté par la plateforme Antidiscriminations.fr qui a permis une augmentation des saisines de 26 %. J'aimerais donc vous entendre sur les secteurs sur lesquels les difficultés sont moindres, sur ce qui fonctionne mieux et qui ne fonctionnait pas auparavant. Je vous remercie.

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Madame la Défenseure des droits, j'ai lu votre rapport d'activité et je voudrais revenir sur le focus que vous faites page 66, relatif à l'intelligence artificielle (IA). Vous mettez en évidence les risques présentés par l'IA pour nos droits et le besoin de renforcer notre cadre juridique. L'Union européenne y travaille. Vous avez également réalisé une enquête d'opinion qui montre le déficit d'informations et la prise de conscience insuffisante de la part de nos concitoyens. Vous formulez un certain nombre de recommandations, mais votre travail est très centré sur les questions de biométrie. Or la question de l'intelligence artificielle a déjà un impact majeur sur nos droits et ces usages vont se déployer très vite dans notre vie quotidienne.

Il est utile de réagir à l'existant, mais, comme vous l'avez souligné, votre institution a pour rôle d'alerter, de prévenir et pas toujours de réparer. L'IA va percuter de plein fouet deux droits majeurs, dont le droit au travail, inscrit dans notre Constitution comme dans le droit européen et international. Certains chercheurs américains estiment qu'à moyen terme, 80 % des emplois pourraient disparaître à la suite de l'usage de l'IA. Par ailleurs, elle impacte l'accès aux services publics. Vous avez longuement évoqué la dématérialisation qui a dégradé et déshumanisé notre service public et l'IA peut constituer un accélérateur considérable de ce phénomène de dégradation.

Le Défenseur des droits ne doit-il pas être proactif sur ces questions afin de prévenir le Big Bang de l'intelligence artificielle sur notre vie quotidienne et sur nos services ?

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J'en profite pour préciser qu'un comité de suivi de la Loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) s'est tenu hier. Toutes les innovations technologiques ont été présentées aux parlementaires et je vous invite à suivre ces comités, importants sur les questions de déploiement des outils numériques dans le cadre des services publics. Par ailleurs, une mission d'information a été nommée par notre commission sur l'intelligence artificielle générative, les libertés publiques et la protection des données qui sont acquises, dont les rapporteurs sont Stéphane Rambaud et Philippe Pradal et qui doit rendre ses conclusions d'ici six mois.

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Madame la Défenseure des droits, je voudrais vous interroger sur un autre public vulnérable que l'actualité ne doit pas nous faire oublier : les enfants et particulièrement ceux qui sont atteints de troubles du neurodéveloppement, soit un enfant sur six dans notre pays. La détresse des familles d'enfants porteurs de troubles du spectre de l'autisme est réelle en matière d'accompagnement, de prise en charge et d'inclusion réussie à l'école. Le rapport de 2018 de la Cour des comptes souligne la faiblesse de l'accès au diagnostic de l'autisme en France et d'autres pathologies psychiatriques souvent associées. Les prises en charge sont souvent trop hétérogènes dans les territoires, du fait de l'accès aux soins et aux services de protection maternelle et infantile. Ainsi, les délais d'attente pour obtenir un simple rendez-vous auprès d'un centre de ressources autisme sont beaucoup trop longs : ils vont parfois jusqu'à 18 mois. La Déléguée interministérielle à l'autisme rappelle qu'une absence de prise en charge précoce réduit les chances d'une amélioration du handicap. En effet, une prise en charge avant 3 ou 4 ans permet d'améliorer de manière significative le développement et l'autonomie de l'enfant, avec des répercussions sur l'ensemble de sa vie.

Il convient de saluer l'augmentation du nombre d'AESH, mais la coopération entre le secteur médico-social et les établissements scolaires, point crucial, n'est pas abordée. Ce lien entre les domaines éducatifs et sanitaires est essentiel si nous voulons résoudre à long terme le problème des inégalités territoriales et sociales d'accès à la santé. Des efforts ont été faits et des plans sont mis en œuvre. Madame la Défenseure des droits, quelles sont vos recommandations prioritaires ?

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Je veux d'abord saluer l'action et l'indépendance précieuses du Défenseur des droits, particulièrement dans un moment où l'État de droit et les libertés publiques sont affaiblis par les personnes qui ont mission de les garantir. Nous, parlementaires, devons entendre votre alerte sur l'accès aux services publics, qui corrobore ce que nous vivons chacune et chacun chaque jour, partout dans le pays. Nous devrions, nous, législateurs, trembler de honte à la lecture de votre rapport.

Il n'y a en effet pas de liberté, d'égalité ou de fraternité possible sans traduction concrète de cette promesse républicaine dans l'accès quotidien des citoyens aux démarches les plus essentielles et dans leur accès aux services publics, notamment les plus vulnérables. La dématérialisation et la réduction de la présence humaine des services publics sur tous les territoires constituent une discrimination brutale et insupportable. Non seulement l'État s'accommode du non-recours, mais il l'organise pour faire des économies. C'est un scandale social et démocratique.

Enfin, les propos du Rassemblement national, nous montrent ce que serait une politique d'extrême droite à la tête du pays. Il s'en prend à ceux qui défendent nos droits, nos libertés fondamentales et qui font preuve d'indépendance à l'égard des pouvoirs politiques, quels qu'ils soient. Il n'est pas acceptable, monsieur le président, de laisser au sein de la commission des lois diffamer une institution comme celle-ci et sa représentante. Vous ne pouvez pas rester silencieux devant de telles calomnies et ce n'est pas à la hauteur de l'esprit démocratique et républicain qui devrait prévaloir dans cette enceinte.

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Monsieur Lucas, je préside la séance et je décide des règles de police de la séance, même si cela ne vous plaît pas. Libre à moi de mener la séance comme je le souhaite. Madame la Défenseure des droits répondra et chacun dans cette commission est libre de ses propos et doit les assumer à l'extérieur.

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Madame la Défenseure des droits, ma question portera sur les mineurs non accompagnés (MNA), que vous évoquez à la page 78 de votre rapport et qui sont des clandestins entrés illégalement sur notre territoire se déclarant mineurs et sans parents. Le ministère de la justice nous dit qu'ils sont 19 893 à être pris en charge par les départements et donc par le contribuable, au titre de l'aide sociale à l'enfance. Selon l'assemblée des départements de France, le coût de cette prise en charge s'établit à 50 000 euros par an et par personne.

Cependant, depuis de nombreuses années, les rapports sénatoriaux, les missions d'information et les études se succèdent pour nous dire que 60 à 90 % de ses bénéficiaires sont en réalité des majeurs, c'est-à-dire des fraudeurs au statut de MNA. Selon le chiffre de 60 % validé par le service CheckNews de Libération, la fraude est massive et représente 596 millions d'euros par an. Que pensez-vous de cet abus de droit et de cette fraude de 596 millions d'euros ? Que préconisez-vous comme moyen de contrôle pour éviter cette fraude ? Ne pensez-vous pas que cette gabegie se fait au détriment des vrais mineurs, des foyers de l'enfance, de la prise en charge du handicap, de l'accès aux soins, des services publics de proximité, soit des droits que vous devez défendre, qui doivent constituer des priorités et qui ont besoin de ces 596 millions d'euros gaspillés ?

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Comme mon collègue Benjamin Lucas, je crois que nous devons nous préoccuper en permanence de l'amélioration des droits de nos concitoyens et contrôler la distorsion entre la loi et le fait que nous constatons par notre travail en audition et en circonscription. L'institution du Défenseur des droits est un des outils qui nous permettent de recenser ces distorsions et des dispositions pour améliorer les droits de nos concitoyens.

Il arrive que les personnes qui me contactent dans ma circonscription me disent qu'ils m'apprécient, mais plus généralement, ils me font part de leurs difficultés en matière d'entraves au droit.

Plus de 50 % des appels concernent la dématérialisation et plus particulièrement les droits des étrangers. Leur vulnérabilité devant cette dématérialisation nous alerte pour l'ensemble de la population. Il reste difficile d'améliorer la situation.

Les personnes se retrouvent dans l'irrégularité alors même qu'elles possèdent un titre de séjour et un travail et que leurs enfants sont scolarisés. J'ai été témoin de très nombreuses pertes de droits et d'emploi. J'aimerais que vous nous préconisiez, en tant que législateurs, des dispositions permettant d'améliorer ces droits.

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Claire Hédon, Défenseure des droits

Concernant la protection de l'enfance, nous avons observé une augmentation de nos saisines sur des problèmes liés à l'éducation, à la petite enfance et aux enfants étrangers qui n'ont pas forcément accès à l'éducation.

Une grande partie des réclamations concerne la santé, le handicap et l'accès à la scolarité. Des magistrats nous ont alertés sur la non-exécution de décisions de justice, des ruptures de parcours et des changements de famille d'accueil. Cependant, nous n'extrayons pas les violences intrafamiliales dans le détail de nos décisions.

La discrimination dont sont victimes les femmes et la question de la grossesse faisaient partie de mon rapport d'étonnement à mon arrivée dans cette institution. Nous rendons de nombreuses décisions sur des retours de congé maternité, alors que la loi est assez claire et protectrice. En conséquence, nous avons établi un nouveau rapport pour expliquer les droits à la fois aux femmes et aux employeurs. Nous recevons régulièrement des saisines de femmes, plutôt dans le secteur privé, qui sont licenciées à leur retour de congé maternité ou qui ne retrouvent pas un poste équivalent à salaire équivalent. On retrouve aussi des discriminations sur des non-renouvellements de CDD au moment de l'annonce de la grossesse. Je suis impressionnée que ces pratiques perdurent et il semble important de communiquer sur le sujet. Un certain nombre de personnes n'osent pas apporter de réclamations par peur des représailles.

Par ailleurs, il est vrai que les trois quarts de nos médiations aboutissent. L'organisme mis en cause n'accepte pas toujours de négocier et quand les situations sont particulièrement injustes, la réclamation remonte au siège et est traitée par nos juristes. Nous nous efforçons alors de formuler des recommandations. Elles ne sont pas contraignantes, mais nous avons la possibilité de réaliser un rapport spécial, c'est-à-dire la publication au Journal officiel, en nommant l'organisme mis en cause. Nous pouvons également formuler des observations devant les tribunaux, qui sont suivies dans plus de 80 % des cas.

Concernant les enfants et les troubles de neurodéveloppement, nous avons effectivement constaté des difficultés d'accès à l'école et à la cantine, ce qui place les mères en situation très difficile. Comment travailler dans de bonnes conditions quand il est nécessaire de récupérer son enfant à l'heure du déjeuner ? Par ailleurs, les difficultés d'accès aux soins en pédiatrie et en pédopsychiatrie sont massives et inquiétantes. Il y a deux ans, notre rapport annuel s'était focalisé sur la santé mentale des enfants et nous constatons une aggravation des réclamations. Il y a urgence à agir si l'on veut que la jeunesse aille bien.

Sur les questions de déontologie, je suis impressionnée des attaques contre l'institution et contre ma personne. Cette institution est inscrite dans la Constitution et elle est indépendante. Oui, le mode de nomination et le fait que je sois non révocable et non renouvelable est une force pour l'institution. Oui, je suis parfaitement indépendante.

Tout ne vous plaît pas dans mes propos, mais tout ne plaît pas non plus au gouvernement. Les difficultés d'accès au service public vous intéressent, mais vous n'êtes pas contents quand je parle de déontologie des forces de sécurité. Cependant, c'est absolument indispensable. Toute démocratie a un contrôle externe de la déontologie des forces de sécurité. J'espère, madame, que vous avez lu les tracts auxquels vous faites référence, car ils sont inadmissibles. Je vous rappelle que le racisme est un délit, qu'il est condamné et qu'on ne peut accepter ce genre de propos. Tout cela ne m'empêche pas de considérer que la situation des surveillants pénitentiaires est excessivement difficile, de même que celle des forces de l'ordre. Ils payent le prix de la surpopulation carcérale et pas simplement les détenus.

Lors de mes visites en détention, je suis outrée des conditions dans lesquelles sont maintenus les détenus, qui génèrent de la violence, comme l'indiquent les directeurs des centres pénitentiaires. Il est inadmissible de constater que trois détenus vivent dans une cellule de moins de dix mètres carrés avec des matelas posés au sol. Ces situations génèrent de la violence, mais n'excusent pas des propos diffamatoires, quelles que soient les conditions de travail. Dans ce cas, jusqu'où irions-nous ? Ce type de propos serait-il excusé dans les hôpitaux et dans les protections de l'enfance, car ces établissements sont en difficulté ? Non. Nous continuerons à dire que la maltraitance se joue à tous les niveaux et qu'elle est absolument inadmissible.

Vous êtes allée jusqu'à dire que je contribuais à la haine. Or, nous mentionnons toutes les formes d'excès et jamais nous ne généralisons. J'ai toujours condamné toute forme de violence. Nous contribuons à rétablir la confiance dans nos institutions et dans la police en mettant en lumière les dysfonctionnements. Si l'existence d'un contrôle externe de la déontologie des forces de sécurité dans toute démocratie vous échappe, c'est quelque peu inquiétant.

Par ailleurs, la liberté de manifester est absolument indispensable. Nous avons reçu 165 réclamations et il va nous falloir un certain temps pour mener ces enquêtes. Ainsi, en dehors des faits absolument scandaleux que nous avons observés, je ne me prononcerai pas pour l'instant. Nous attendons de pouvoir mener nos enquêtes contradictoires.

Concernant la déontologie des forces de sécurité, je condamne tout acte de violence et j'ai une pensée pour les blessés. Cependant, la loi nous a chargés de la déontologie des forces de sécurité et non de la question de la violence des manifestants qui est traitée par la justice Nous avons fait quatre saisines d'office et des réclamations nous arrivent.

Dans le cadre de nos enquêtes, nous analysons le respect de la déontologie ainsi que l'usage nécessaire et proportionné de la force. Les réclamations que nous recevons portent sur des personnes qui se plaignent d'avoir été privées de liberté dans des nasses, qui disent avoir été victimes de violence ou d'interpellations suivies de gardes à vue, considérées par les réclamants comme arbitraires. Nous avons également reçu des réclamations de journalistes empêchés dans leur travail, une nouveauté. Je redis que notre institution contribue à la confiance en montrant les difficultés et les atteintes à la déontologie des forces de sécurité.

Vous m'avez, madame Brocard, interpellée sur le fait que l'institution ne souligne pas les progrès. En effet, nous sommes un observatoire de ce qui ne va pas et nous ne sommes pas en capacité d'évaluer les progrès. Par ailleurs, la loi ne nous confie pas ce travail. Ainsi, notre présence dans une centaine de France Services ne nous permet pas d'évaluer l'ensemble des France Services, mais de formuler des observations sur certains endroits.

À chaque fois que j'interviens sur la dématérialisation, je rappelle qu'il s'agit d'une chance. Cependant, j'observe qu'un tiers de la population est éloignée du numérique et que chacun d'entre nous s'est un jour retrouvé en difficulté parce qu'un site dysfonctionnait et qu'il était impossible de joindre quelqu'un. En parallèle de la création du site Antidiscriminations.fr, nous avons mis des gens au bout du fil, des personnes formées juridiquement, qui sont capables de passer trois quarts d'heure avec les réclamants quand c'est nécessaire. Qui plus est, nous disons à nos réclamants qu'ils peuvent rencontrer physiquement nos délégués. Nous avons un site Internet, mais il faut aussi conserver la possibilité d'une rencontre physique.

La décision du Conseil d'État est très intéressante sur les préfectures, puisqu'elle indique qu'en l'état actuel des difficultés, la possibilité de déposer un dossier papier est indispensable. Je suis d'ailleurs quelque peu étonnée que la décision ne soit pas encore appliquée.

Sur la question de l'intelligence artificielle, vous avez tout à fait raison. Nous suivons ce sujet de très près, notamment le règlement européen sur l'intelligence artificielle qui est en cours de négociation. Notre axe est le respect des droits fondamentaux. Nous sommes préoccupés par les discriminations qui pourraient être accentuées non seulement au départ, mais également dans le cadre du fonctionnement de cette intelligence artificielle. Nous sommes proactifs et nous suivons le sujet avec « nos petits moyens ».

Nous avons également des inquiétudes sur les mineurs non accompagnés. Ce sont d'abord des mineurs, qui ont besoin d'être protégés et qui ont droit à la protection. Je tiens à souligner que mettre en opposition des précarités se retourne toujours contre les plus pauvres, quelle que soit leur origine. Ainsi, monter les populations et les enfants qui sont en difficulté les uns contre les autres en faisant une opposition entre des MNA et des mineurs qui sont en protection de l'enfance est délétère.

Nous observons effectivement une distorsion entre la loi et sa réelle application. Vos propos m'intéressent, car je n'ai pas de doute que vous observez les mêmes choses que nous dans vos permanences, qui constituent également de très bons observatoires. La loi est parfois trop complexe et parfois non appliquée et nous devons essayer de comprendre pourquoi puis formuler un certain nombre de recommandations.

Notre rôle est de faire évoluer le droit par nos propositions. Ainsi, nos observations devant les tribunaux sont aussi une façon de faire évoluer la jurisprudence, de même que notre fort pouvoir d'enquête et nos spécialistes. L'institution a vraiment été créée pour cette distorsion entre la réalité de la loi et du droit et la réalité du terrain. Elle est vraiment pour ceux qui sont les plus éloignés du droit et qui ont le plus de mal à faire valoir leurs droits.

Sur la question des lanceurs d'alerte, nous avons sorti un guide tout récemment à destination de ceux qui pourraient se considérer comme lanceurs d'alerte pour qu'ils sachent qui et comment saisir et s'ils entrent dans le cadre requis.

Par ailleurs, notre doctrine se construit au fur et à mesure. Ainsi, il est encore un peu tôt pour s'exprimer sur ce sujet. En revanche, nous rendrons un rapport tous les deux ans, et dès cette année, nous commençons à avoir des rapports des différentes autorités qui sont aussi responsables des lanceurs d'alerte. Nous avons un rôle d'animation des autorités externes et nous organiserons régulièrement des réunions.

Concernant les Antilles, il est vrai qu'une délégation menée par George Pau-Langevin était partie fin novembre pour constater les difficultés d'accès aux services publics, car nous avions été particulièrement alertés sur la situation à la fois en Martinique et en Guadeloupe. Nous avons rendu notre rapport en mars et j'ai voulu d'abord le présenter sur place. Nous avons alors constaté des atteintes aux droits inquiétantes.

Je pense entre autres aux droits à la pension de retraite. Ainsi, des personnes déposent des dossiers, puis attendent dix-huit mois sans aucune pension de retraite, car les agents de service public ont du mal à traiter tous les dossiers. Par ailleurs, nous sommes très inquiets concernant la situation dans les écoles qui enregistrent 20 % de cours en moins par rapport à la métropole, compte tenu de certaines difficultés d'accès (manifestations, sargasses, cyclones). 20 % d'heures représentent une année scolaire en moins dans le secteur, ce qui est considérable et a des impacts.

Il existe également des difficultés dans les transports, des difficultés d'accès à l'eau, particulièrement en Guadeloupe, et des difficultés simplement pour contester une facture. D'ailleurs, George Pau-Langevin est auditionnée cet après-midi par la commission d'enquête sur ces questions.

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Merci, monsieur le président et merci de m'accueillir dans cette commission dont je découvre l'ambiance joviale, légère et détendue avec un certain plaisir. Madame la Défenseure des droits, reconnaissons de manière générale que ce que vous écrivez est désagréable à lire et à entendre et que cela doit être pour nous des éléments d'enseignement et de fixation d'objectifs à partager en vue de l'amélioration. Ainsi, il me semble important de conforter l'institution que vous représentez.

Ma première question porte sur le déploiement et « l'aller vers ». Quel est votre regard ? Vous avez évoqué les maisons France Services et d'autres dispositifs de proximité. Quels sont les éléments qui fonctionnent et ceux qui fonctionnent moins ? Pourquoi êtes-vous implantés dans certains France Services et pas dans d'autres ? Comment travaillez-vous avec l'échelon local, qu'il s'agisse des intercommunalités ou des communes, pour vérifier vos lieux d'implantation et peut-être la connaissance encore plus fine de nos administrés concernant votre institution ?

Par ailleurs, vous avez évoqué la nécessité de renforcer les moyens de votre institution. Si vous deviez prioriser, sur quel pan de l'activité souhaiteriez-vous concentrer vos moyens ? J'ai entendu la question du risque d'embolie sur le droit des étrangers, mais pourriez-vous préciser ? En prolongement, vous avez évoqué à plusieurs reprises le rôle des délégués territoriaux. Comment sont-ils « recrutés », formés et accompagnés dans les missions qui sont les leurs afin que l'action de l'institution soit homogène à l'échelle du territoire national sans différences de traitement d'un territoire à l'autre ? Je vous remercie.

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Merci, madame la Défenseure des droits pour ce rapport réalisé avec l'ensemble de vos équipes, mais aussi pour les réponses très claires qui ont été apportées dans cette première phase. Je voulais revenir sur l'accès à MaPrimeRénov', qui s'est avéré « une galère » pour de nombreux Français. Vous avez formulé des recommandations à l'attention de l'Anah. Comment ont-elles été reçues ? Quelles sont les mesures prises pour les personnes en difficulté de paiement de travaux, faute de prise en compte de leur dossier, ou du fait de remboursements et d'erreurs sur des montants annoncés ? Comme de nombreux collègues ici, je reçois encore des demandes et des plaintes. Comment peut-on les aider ?

Vous avez abordé le maintien de l'ordre et, à l'occasion de l'audition de Monsieur le ministre de l'intérieur, j'avais formulé plusieurs observations. Plusieurs enjeux sont identifiables, puisque la liberté de manifester est un droit fondamental qui doit être concilié avec la nécessaire préservation de l'ordre public. Nous avons abordé la formation, le schéma national du maintien de l'ordre (Snmo) qui doit être actualisé, l'expérimentation, la présence de médiateurs identifiés au sein des cortèges et capables d'informer la police sur l'ambiance de la manifestation et les manifestants, ainsi qu'un retour sur le contrôle opéré au titre de la police administrative en amont des manifestations. Est-il important pour le Parlement d'examiner chaque année les conditions d'exercice de ces faits ? Que pensez-vous de la nécessité d'en faire des points d'appui pour améliorer la situation ?

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Madame la Défenseure, nous sommes ravis de vous accueillir. Quoi qu'en pensent certains, vous êtes une institution constitutionnelle. Je ne partage pas, tant s'en faut, certains de vos propos et certaines de vos approches, mais il est important que la République et la démocratie aient des « poils à gratter ». Ce sont des regards extérieurs importants qui nous obligent à nous secouer. Ainsi, vous nous secouez sur les droits des enfants, sur certains éléments de déontologie et sur la déshumanisation de notre administration au sens très large.

Il y a beaucoup à dire sur le droit des enfants et sur le handicap et je le relie à une condamnation récente de la France, que je trouve assez excessive, car, à entendre certains à l'extérieur, rien n'irait dans ce pays et j'ai envie de leur dire : « Allez voir ailleurs et vous verrez que tout ne va pas si mal que ça. ». Il est vrai qu'un certain nombre de difficultés demeurent. Les enfants victimes d'un handicap ou en difficulté scolaire depuis des années n'ont pas toujours l'accompagnement qui serait nécessaire et je serai heureux d'entendre vos propositions sur ce sujet.

La déshumanisation de nos services publics est une cause préoccupante de réaction de nos concitoyens dans les urnes. Ils ont l'impression que les déserts de services publics sont partout. Quelles sont les mesures pour assurer davantage d'alternatives ? Il convient de saluer l'intérêt de la dématérialisation, mais également de rappeler la nécessité de disposer d'un guichet où l'on peut s'adresser physiquement à quelqu'un. Il faut « aller vers », sans aucun doute, mais il faut aussi être ouvert.

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Madame la Défenseure des droits, ce qui est rare est précieux, et les institutions indépendantes comme la vôtre sont rares. Votre présentation du rapport, dont nous saluons tous la richesse et la rigueur, nous arrive en cette journée symbolique de lutte mondiale contre les violences LGBTphobes. Du front homosexuel d'action révolutionnaire (Fhar) à Act up, en passant par la libération de la parole des victimes, les évolutions du droit ont beau avoir été conquises de haute lutte par les gays, les lesbiennes et les trans, les associations nous donnent un constat unanime : l'horizon d'un pays sans acte LGBTphobe est encore bien loin. Les ressources allouées à la défense de ces droits et aux associations sont encore précaires, malgré leur nécessité face aux carences de l'État. La haine monte.

Le rapport SOS Homophobie d'hier annonce une augmentation des agressions de 27 % sur les personnes LGBT par rapport à l'année dernière. La Fondation Jean Jaurès pointe une hausse de 53 % de signalements depuis 2021 et les témoignages de victimes de transphobie explosent dans la famille, à l'école, dans la rue, en entreprise ou encore dans les services publics. Quand on est victime de LGBTphobie, la haine imprègne tous les aspects de la vie. Elle est une spirale d'isolement, de honte, de douleur et de violence. Je pense à Guillaume, piégé et victime de torture pendant trois jours, à Hakim, adolescent trans qui reçoit les coups et les insultes répétés de son père, à Haran, professeur stigmatisé et mis au ban par ses collègues et sa direction, à Coralie, jeune lesbienne « outée » par la jeune fille dont elle était amoureuse, rouée de coups au collège. Je pense à des milliers d'autres qui, pétrifiés, se taisent.

Dans la fonction et l'administration publiques, tant de chemin reste à faire. Les personnels de l'éducation nationale sont inégalement sensibilisés et formés et ne savent pas toujours prévenir et identifier les actes LGBTphobes. Au sein de la police, malgré les promesses, les pratiques n'évoluent qu'à la marge. La Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) est impuissante et forme trop peu d'agents. Ainsi, la parole des victimes peut se libérer et les recours devant votre institution se multiplier, rien ne changera tant que des agents de police refuseront de prendre les plaintes, relativiseront ou se permettront des remarques et des humiliations LGBTphobes.

Les saisies sur les discriminations sont peu nombreuses dans votre rapport, à l'inverse des associations qui nous amènent beaucoup d'informations. Pourquoi avons-nous si peu de recours à votre institution sur les violences LGBTphobes ?

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Madame la Défenseure des droits, dans votre rapport annuel, vous alertez sur la dégradation des droits des personnes étrangères et vous indiquez à juste titre qu'un nombre croissant de préfectures a fait le choix de dématérialiser certaines démarches, notamment les prises de rendez-vous.

Du fait de ces dysfonctionnements, de nombreux étrangers en situation régulière se retrouvent temporairement en situation irrégulière. En revanche, vous oubliez d'indiquer une autre conséquence de ces dysfonctionnements. De plus en plus d'étrangers qui séjournent irrégulièrement en France en profitent pour rester dans le pays au prétexte que leur dossier n'a pu être instruit. Il est indéniable que le gouvernement est complètement incapable de répondre aux enjeux migratoires et votre rapport d'activité 2022 le confirme. À partir du traitement quotidien des réclamations que vous recevez, êtes-vous en mesure de présenter plus en détail les défaillances qui affectent les services préfectoraux en charge des étrangers ? Vous parliez tout à l'heure des problèmes d'effectifs, et la perpétuelle augmentation des étrangers en France, qu'ils soient en situation régulière ou irrégulière, a aussi un impact. Pouvez-vous l'évaluer ? Avez-vous des éléments sur l'évolution des délais moyens de traitement des dossiers des personnes étrangères ? Enfin, comment, en votre qualité de Défenseure des droits, suivez-vous les actions concrètes du gouvernement en la matière ?

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Madame la Défenseure des droits, je tenais à vous remercier à la fois pour vos réponses, votre travail, celui de vos équipes et pour votre indépendance, n'en déplaise à nos collègues du Rassemblement national. Je vous remercie sincèrement pour vos propos.

En cette journée internationale de lutte contre l'homophobie et la transphobie, je tenais à rappeler que notre mobilisation en faveur des droits des personnes LGBT doit continuer à être une priorité. Dans votre rapport, les réclamations liées à ces discriminations en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre représentent 2 % pour chacun de ces critères, une faible proportion qui justifie probablement que le sujet est peu détaillé.

Malgré notre détermination à lutter contre ces discriminations et les préjugés qui leur sont attachés, les chiffres du ministère de l'intérieur publiés l'an dernier faisaient état d'une augmentation de 28 % par rapport à 2020, et les associations qui accompagnent les personnes victimes d'homophobie ou de transphobie témoignent aussi d'une augmentation des sollicitations et des agressions, sachant que très peu portent plainte ou font valoir leurs droits. Un nouveau plan de lutte contre les LGBTphobies et la transphobie est actuellement en cours d'élaboration avec les associations et le ministère de l'égalité. Quels sont les freins que vous avez pu identifier dans l'accès aux droits de ces personnes ? Quelles sont les personnes qui vous ont sollicitée ? Êtes-vous contactée par des jeunes, voire des mineurs ? On sait que, face à ces discriminations, ils sont les plus vulnérables. Pensez-vous que le faible nombre de saisines que vous recevez soit lié à un manque d'information ? Comment améliorer la protection, l'accompagnement et la défense des victimes de discriminations ?

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Madame la Défenseure des droits, je voudrais moi aussi rendre hommage à vos travaux qui, parfaitement documentés, sont d'autant plus crédibles et renforcent votre rôle dans la République.

Il est fait état d'une augmentation globale de 9 % des réclamations auprès de la Défenseure des droits entre 2021 et 2022. Comment interprétez-vous cette hausse ? Êtes-vous davantage connus que par le passé ? On sait que les statistiques de la police reposent sur ces éléments. Assiste-t-on véritablement à une augmentation objective du nombre d'atteintes aux droits ?

Ma deuxième question a trait à la nature des défaillances des administrations. Entre 2019 et 2022, les réclamations qui portent sur les droits fondamentaux des étrangers ont augmenté de 231 %. Par conséquent, le droit des étrangers représente un quart des réclamations qui sont déposées auprès de vous, ce qui en fait le premier motif de saisine de votre institution. Votre prédécesseur, Monsieur Toubon, avait adressé au ministère de l'intérieur, dans une décision de juillet 2020, un certain nombre de recommandations pour améliorer l'accès aux préfectures pour les étrangers. Pouvez-vous nous éclairer sur les suites données à ces recommandations qui datent de trois ans ?

Enfin, Monsieur le président de la commission évoquait tout à l'heure le comité de suivi de la Lopmi. La Défenseure des droits est-elle associée aux travaux de ce comité d'une manière ou d'une autre ?

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Madame la Défenseure des droits, je vous remercie pour vos prises de position, notamment dans le cadre de la réforme des retraites, du mouvement social, de la répression policière et sur la Ligue des droits de l'homme, suite aux propos de plusieurs membres du gouvernement.

Depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, nous avons dénoncé un usage injustifié et disproportionné de la force, souvent sans possibilité de contrôle des agents concernés, car ils ne portaient pas le référentiel des identités et de l'organisation (RIO). C'est pourquoi ma question va porter sur le respect des règles de déontologie par les policiers, et notamment le port du RIO, qui est le numéro d'identification individuel que doivent porter de manière visible les policiers et les gendarmes.

De nombreuses organisations de défense des droits humains, avocats, magistrats et syndicats ont constaté et dénoncé l'absence récurrente du port de RIO, et cela pour toutes les catégories confondues. Nous l'avons nous-mêmes observé sur le terrain dans le cadre des mobilisations sociales et du maintien de l'ordre. Or nous savons que l'identification de l'agent est indispensable pour le contrôle de son action. Elle permet notamment de lutter contre les contrôles d'identité discriminatoires. Comme le rappelle le Comité contre la torture de l'Organisation des Nations Unies (ONU), les États doivent veiller à ce que tous les membres des forces de l'ordre portent un badge d'identification visible afin d'assurer qu'ils rendent compte de leurs actes.

Lors des mobilisations récentes, on a remarqué, notamment dans la BRAV-M, des agents entièrement cagoulés sans RIO, alors qu'il n'y avait aucun danger imminent, ce qui est contraire au Snmo. Depuis 2014, le port du RIO est obligatoire, mais il n'y a pas de sanction automatique. Dans votre rapport, vous indiquez avoir rencontré une trentaine d'associations, mais aussi les principaux acteurs britanniques en matière de déontologie policière, et vous avez notamment échangé sur la traçabilité des contrôles d'identité et les dimensions discriminatoires de certains contrôles. Qu'en est-il ressorti ? Quelles sont vos recommandations concrètes pour rendre effectives l'obligation du port du RIO et sa visibilité dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre ?

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Madame la Défenseure des droits, merci pour votre présence aujourd'hui à cette audition et pour la qualité de votre rapport. Vous y avez évoqué un certain nombre de problématiques liées à la prise en charge des mineurs dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance, mais également des MNA. Sauf erreur de lecture de ma part, votre rapport ne mentionne aucune problématique en lien avec la délinquance des mineurs. Dans le cadre de notre mission d'information, Cécile Untermaier et moi-même vous avions interrogée sur ce sujet.

En tant que Défenseure des droits, avez-vous été saisie de difficultés dans le cadre de l'application du Code de la justice pénale des mineurs (Cjpm) ? Par ailleurs, dans le cadre de ses fonctions, le Défenseur des droits rend un certain nombre d'avis. Votre prédécesseur l'avait fait en 2019, lors de l'application et du vote du Cjpm, en formulant ses réticences sur certaines problématiques, notamment l'âge de la responsabilité pénale du mineur, le mécanisme de la césure pénale, l'audience unique, la détention provisoire des mineurs et les moyens mis en place dans le cadre de cette réforme. Je pense qu'il serait souhaitable, même si vous êtes un observatoire de ce qui ne va pas, que le Défenseur des droits rende un avis et émette un certain nombre de réticences concernant les mesures votées par les parlementaires. Je pense qu'une telle démarche aidera la représentation nationale et certains de nos collègues à pouvoir se positionner sur la pertinence de la mise en place de telle ou telle mesure.

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Madame la Défenseure des droits, je voudrais vous interroger sur les thématiques 2 et 4 des sept qui font l'objet de votre rapport. Laissez-moi vous dire que j'ai été assez choquée par ce que j'ai pu lire au deuxième paragraphe. Vous constatez que les occupants sans droit ni titre bénéficient du droit au respect de la vie privée, familiale ou à l'inviolabilité de leur domicile et en conséquence, vous condamnez fermement la proposition de loi relative à la lutte contre l'occupation illicite qui, pour vous, entraîne des restrictions inquiétantes des droits fondamentaux des occupants.

Cependant, madame la Défenseure des droits, que faites-vous des droits fondamentaux des propriétaires ? Faut-il renoncer à les protéger et à légiférer pour s'opposer à l'occupation illicite ? Pensez-vous que les droits fondamentaux des propriétaires ne doivent pas eux aussi être protégés ? Il n'y a aucune raison à ce que les propriétaires ne puissent exercer leurs droits fondamentaux comme le respect à leur vie privée, l'inviolabilité de leur domicile et leur droit de propriété. Entre deux titulaires de droits fondamentaux à protéger, ne pensez-vous pas qu'il faille préférer ceux qui sont dans la légalité plutôt que ceux qui sont dans l'illégalité ? C'est en tout cas ce que pense la majorité des Français, et en particulier les propriétaires victimes d'occupation illégale, parfois organisées par des filières, qui se retrouvent contraints de dormir dans la rue ou dans leur voiture. L'État, et non le propriétaire privé, doit prendre en charge le droit au logement opposable.

En revanche, nous vous rejoignons sur l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap. Il manque des AESH, comme en témoigne chaque visite en circonscription. Préconiseriez-vous une augmentation des rémunérations ou une meilleure répartition des horaires ?

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Merci, madame la Défenseure des droits pour votre travail qui est matière première pour notre réflexion parlementaire et nos propositions. C'est d'ailleurs à partir de deux de vos travaux sur la dématérialisation et suite à l'interpellation d'associations que j'ai élaboré une proposition de loi sur le sujet. Il est transversal puisque nous sommes toutes et tous souvent sollicités sur ces questions et j'espère que nous serons en mesure de maintenir des accueils physiques de service public pour les usagers.

Je souhaite plus particulièrement revenir sur le problème de la fermeture des accueils physiques de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav). En effet, j'ai été interpellée par des associations dans ma circonscription, submergées par la venue d'ayants droit qui trouvaient porte close auprès de la Cnav. Les associations sont alors contraintes de gérer les procédures pour ces personnes, sans formation ni moyens.

En Île-de-France, plusieurs de ces associations se sont regroupées au sein du collectif Retraite Île-de-France pour faire entendre leurs revendications : elles rappellent qu'elles ne sont pas les sous-traitants de l'État et que des agences de proximité doivent être ouvertes. Ce collectif a interpellé l'administration de la Cnav avec des tribunes et des demandes de rendez-vous, mais les réponses qu'elles ont reçues sont peu conséquentes. On leur a répondu qu'elles recevraient des mails spécifiques. Votre institution peut-elle assurer une médiation entre des collectifs et les administrations pour permettre une sortie par le haut et des résultats concrets sur de tels sujets ?

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Madame la Défenseure des droits, vous avez la parole.

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Claire Hédon, Défenseure des droits

Je commencerai par nos moyens pour aller vers les populations et le rôle de nos délégués territoriaux. Il existe 2 500 France Services, nous sommes présents dans 100 d'entre eux et nous comptons 570 délégués. Ainsi, il nous est impossible d'être présent dans tous les espaces, sans une forte augmentation de nos moyens. Nous aurions besoin d'au moins 2 500 délégués.

Les espaces France Services parviennent à résoudre un certain nombre de difficultés basiques, mais ils ne sont pas en mesure d'accéder à certains dossiers sans un agent de la Cnav, de la CAF ou de la Caisse primaire d'assurance maladie (Cpam). Depuis le début, nous préconisons une présence d'agents appartenant aux différents services publics dans les espaces France Services pour accéder aux dossiers. Ou alors, il faudrait réfléchir à un accès pour les agents France Services. Ils auraient besoin d'une formation conséquente, car le langage CAF ou Cpam est très compliqué.

La fermeture de l'accueil de certains services publics sous prétexte qu'il y a un espace France Services est absolument délétère, car l'accueil physique est indispensable. Une remontée des observations de nos délégués territoriaux dans les espaces France Services est en cours, je pourrai donc vous en dire plus ultérieurement. Globalement, j'ai constaté que les France Services fonctionnent avec fluidité quand les services publics concernés ne sont pas trop en souffrance et parviennent à traiter l'ensemble des dossiers. Cependant, quand les services sont en difficulté – je pense notamment à la CAF de Marseille, qui ne parvenait pas à traiter tous les dossiers –, leurs problèmes se répercutent sur les France Services qui n'ont pas de réponse quand ils appellent les services.

Je suis impressionnée par la persistance des difficultés sur MaPrimeRénov'. L'Anah nous assure que les réclamations étaient peu nombreuses, mais on peut se demander pourquoi elles ne sont pas réglées et pourquoi nos délégués ne reçoivent aucune réponse. Nous avons constaté qu'un avocat s'était emparé d'un certain nombre de dossiers. Nous sommes préoccupés par la situation des personnes et des mandataires. En effet, certaines entreprises rencontrent des difficultés, car elles ne reçoivent pas les aides demandées. Le problème n'est pas suffisamment réglé et il existe encore de graves difficultés, ainsi que des non-réponses quand on les sollicite.

Le schéma de maintien de l'ordre me permettra d'aborder également le port du RIO. Mon prédécesseur a rendu une première décision en 2018 et j'ai également rendu un avis qui soulignait les avancées : la volonté de mieux communiquer, l'obligation du port du RIO et l'interdiction des cagoules, même si nous regrettions que ne soit pas également mentionnée l'interdiction des LBD et des grenades de désencerclement. En effet, nous avons observé dans de nombreuses manifestations des accidents dus à cet usage et la France est un des seuls pays européens à continuer à les utiliser en manifestations. Nous préconisons leur non-usage dans ce cadre et ces armes ont d'ailleurs été rarement utilisées dans les dernières manifestations. Nous avons vraiment constaté une baisse considérable.

Sur le port du RIO, je tiens à rappeler que nous en sommes au début de nos enquêtes et je ne souhaite pas me prononcer trop sur les réclamations, mais nous avons vu quelques images. Nous regrettons que le schéma de maintien de l'ordre ne soit pas complètement appliqué. On voit encore des forces de l'ordre sans port du RIO, ce qui ne contribue pas à rétablir la confiance. Quand nous sommes saisis de situations où le RIO n'est pas visible, il est difficile de dire de qui il s'agit. Souvent, les forces de sécurité nous assurent qu'ils sont en capacité de déterminer l'identité des personnes. C'est vrai dans certaines occasions, mais pas toujours.

L'une des premières décisions que nous avons rendues au moment des manifestations contre la loi travail concerne un jeune homme au sol, maîtrisé, auquel un policier continue à donner des coups. Les forces de l'ordre ont l'usage de la force nécessaire et proportionnée, ce qui n'était pas le cas dans cette situation. Le policier était cagoulé et ni les forces de l'ordre autour de lui ni l'encadrement n'ont pu l'identifier. Ainsi, nous avons simplement constaté qu'il aurait dû y avoir sanction disciplinaire.

Vous élargissiez votre question au contrôle d'identité. En effet, j'ai rendu visite à nos homologues, notamment l'Independant office for police conduct (Iopc) à Londres. Je tiens à préciser qu'il dispose d'un effectif de mille personnes alors que nous disposons de douze juristes pour assurer le contrôle de la déontologie des forces de sécurité. En Grande-Bretagne, les contrôles d'identité n'existent pas, car les citoyens ne possèdent pas de pièce d'identité. Étant donné que le pays n'est pas une zone de non-droit, il existe des contrôles nommés Stop and Search lors desquels les forces de l'ordre posent des questions et peuvent procéder à une fouille. Alors que nous ignorons si les contrôles d'identité en France s'élèvent à 5, 8 ou 12 millions, le Royaume-Uni fait état de 780 000 Stop and Search pour 2021, un nombre qui s'établit d'ordinaire plutôt autour de 550 000. Ainsi, il existe une traçabilité. Le contrôle de la personne est enregistré sur une tablette et si elle estime qu'elle a été victime de discrimination et si elle souhaite contester le contrôle, elle peut se rendre au commissariat et obtenir un récépissé. En France, j'ai saisi la Cour des comptes pour mener une évaluation de ce nombre de contrôles d'identité, de leurs résultats et de leur impact sur la relation entre la police et la population. La Cour des comptes m'a déjà auditionnée et m'a informée qu'elle ne pourrait répondre à la première question. Cette absence de traçabilité est incroyable à la fois en matière de dépenses publiques et de sens pour les forces de l'ordre, qui en ont assez de mener des contrôles d'identité. Ainsi, je pense qu'il faut mener des expérimentations qui comparent les phénomènes de traçabilité. La Cour des comptes devrait rendre son rapport, d'ici la fin de l'année. Les associations ont saisi le Conseil d'État, qui nous a demandé de formuler des observations. Nous avons également fait des observations devant la Cour européenne des droits de l'Homme et nous vous tiendrons au courant.

Passons aux services publics et aux solutions que nous proposons. Tout d'abord, je vous remercie pour vos propos sur l'institution, qui, je le rappelle, est inscrite dans la Constitution. Je continue à dire que la dématérialisation est une chance pour de nombreuses personnes qui peuvent réaliser leurs démarches administratives à n'importe quel moment du jour et de la nuit. Il s'agit surtout de pouvoir s'entretenir avec quelqu'un en cas de dysfonctionnement, via un guichet ou le téléphone. Toutefois, l'interlocuteur au bout du fil doit avoir accès au dossier et ne pas simplement donner quelques recommandations générales.

Dans le cadre de l'enquête que nous avons menée avec l'Institut national de la consommation (INC), les répondants nous ont indiqué que, quand ils disaient ne pas avoir accès à Internet, le conseil qui leur était donné au téléphone était de se rendre sur le site Internet pour connaître les démarches à faire. Par ailleurs, nous avons observé des erreurs dans les informations transmises.

Vous nous avez aussi posé des questions sur l'homophobie et je tiens à rappeler que nous sommes en charge de la lutte contre les discriminations. Ainsi, les violences homophobes n'entrent pas dans nos compétences. Une discrimination est une différence de traitement dans l'un des domaines prévus par la loi, l'emploi, l'accès aux services. L'un des critères concerne également l'orientation sexuelle. Parmi nos observations récentes figure le harcèlement d'enfants à l'école, liées à l'orientation sexuelle. Les réclamations n'arrivent jusqu'à nous que quand elles n'ont pas été prises en charge par l'école, et dans de nombreux cas, la prise en charge est satisfaisante. Les réclamations ont lieu en cas de retard d'écoute du mineur et de retard de prise en charge.

Par ailleurs, nous avons fait face à des refus d'enregistrer des plaintes. J'ai à l'esprit un couple de femmes lesbiennes victimes de violences, qui a voulu porter plainte au commissariat et s'est heurté à un refus de dépôt de plainte. Nous sommes aussi compétents sur ces questions et, dans ce type de situation, les délégués appellent le commissariat en lui rappelant ses obligations. Ces cas sont réglés rapidement, mais sont tout de même très délétères. Nous avons également rencontré le cas d'un maire qui a refusé de marier un couple homosexuel.

Enfin, et nous rendrons très probablement un rapport spécial, avec une publication au Journal officiel sur cette situation, nous avons été saisis par un couple homosexuel qui travaille dans la grande distribution. Quand l'employeur a découvert que ces deux personnes étaient en couple, il leur a imposé des horaires différents et incompatibles avec la vie privée, sans aucune compensation. La médiation n'a pas fonctionné et nous cherchons d'autres recours.

Nous participons au travail sur le plan d'Isabelle Rome concernant la lutte contre l'homophobie, comme nous l'avions fait concernant la lutte contre la discrimination d'origine, le racisme, l'antisémitisme et les discriminations. Nous formulons des observations et des recommandations et nous dialoguons en toute intelligence sur le plan. Par ailleurs, les annonces concernant le premier plan sont intéressantes et nous assurerons un suivi vigilant sur leur application concrète.

Vous soulignez l'importance de communiquer sur les discriminations et vous avez tout à fait raison, mais nous n'avons jamais récupéré les moyens qu'avait la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) dans ce domaine. Je pense qu'il est indispensable de communiquer sur les discriminations pour lutter efficacement et nous souhaitons que le gouvernement mène de grandes campagnes de communication, car le besoin est réel.

Sur les droits des étrangers, l'immense majorité des réclamations que nous recevons concerne des renouvellements de titre de séjour, de la part de personnes qui les obtiendront quoiqu'il arrive. Ainsi, l'embolisation de l'institution n'est absolument pas due aux personnes en situation irrégulière, quand bien même nous traitons aussi leurs réclamations. Nos préconisations rejoignent celles du Conseil d'État : le dépôt d'un dossier papier et un accueil physique doivent être possibles. Ma deuxième préconisation ne vous plaira sans doute pas, mais je pense que c'est l'un des seuls moyens de désengorger les préfectures. Il est nécessaire d'établir des autorisations de séjour de deux ans, et non d'un an ; il y a urgence à arrêter de créer des situations qui appauvrissent les personnes. Ainsi, certains de nos réclamants perdent leur emploi et sont expulsés de leur logement alors qu'ils obtiendront leur carte de séjour. Une femme de 82 ans, en France depuis cinquante ans, obtiendra le renouvellement de sa carte de séjour, mais se retrouve temporairement en situation irrégulière. Son fils est en fin de vie en Algérie, mais elle ne peut lui rendre visite ni aller à l'enterrement parce qu'elle n'a pas pu déposer sa demande. On crée des situations qui, pour moi, sont absolument inadmissibles.

J'ignore où en est le Parlement sur l'application de la Lopmi. Nous ne sommes pas associés à ce travail de contrôle, mais nous y sommes tout à fait ouverts.

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Les rapporteurs d'application peuvent suivre l'application de la loi et, tous les trois mois, nous sommes reçus au ministère de l'intérieur avec tous les chefs de service pour poser des questions sur l'application des différentes dispositions, avec ensuite des démonstrations et des échanges assez libres pour contrôler la mise en œuvre. Dans ce cadre, vous pourriez interagir avec tous les directeurs d'administration centrale.

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Claire Hédon, Défenseure des droits

Très bien. Vous nous tiendrez au courant.

En général, nous assurons un suivi de nos recommandations, mais il est encore un peu tôt pour mesurer l'application de nos préconisations concernant les droits des enfants. Nous avons rendu 7 avis au Parlement en 2022 et nous continuons sur cette tendance.

Concernant la proposition de loi sur l'occupation illicite, il existe effectivement une confrontation entre deux droits, le droit à la propriété et le droit au maintien de la vie privée. Cette loi nous nous inquiète, car les situations de squat sont exceptionnelles, même si elles existent et qu'il faut les régler. Toutefois, publier une nouvelle loi pour quelques cas ne me paraît pas raisonnable et précarisera un certain nombre de personnes d'ores et déjà en difficulté pour payer leur loyer, surtout compte tenu de l'augmentation des prix de l'alimentaire, et qui n'auront plus accès au juge.

Je continue à penser que l'administration doit être contrôlée par l'autorité judiciaire et actuellement, le juge est éloigné assez régulièrement sous un prétexte d'efficacité, ce qui m'inquiète. La confrontation du droit à la propriété et du droit à la vie privée est réelle et nous avons mis en avant la protection du droit à la vie privée qui nous paraissait importante. Je suis très inquiète des conséquences de cette loi concernant l'expulsion de personnes qui sont en grande difficulté, d'autant plus que les expulsions que nous observons déjà sont préoccupantes.

Concernant le manque d'AESH, je redis ce que nous avons dit sur la question de l'inclusion scolaire des enfants en situation de handicap. Ainsi, l'accompagnement des AESH n'est pas l'alpha et l'oméga. L'inclusion scolaire passe aussi par la question de la formation des enseignants, des classes en plus petit effectif et le programme scolaire. Par ailleurs, il est essentiel de mieux rémunérer les AESH et de les passer à plein temps.

Enfin, nous constatons les mêmes problèmes que vous sur la dématérialisation et la Cnav Île-de-France. Certains réclamants ont fait valoir leurs droits à la retraite et passent jusqu'à deux ans sans pension. J'ai été encore interpellée par nos délégués territoriaux sur des pensions de réversion qui ne sont pas versées ou encore des demandes de pièces supplémentaires alors qu'elles ont déjà été fournies. Je ne formule aucune critique envers les agents de ces services publics qui sont eux-mêmes en difficulté, mais je trouve la situation très inquiétante. Avec la dématérialisation, il devient impossible de connaître l'état d'avancement des dossiers. Nous échangeons avec des collectifs sur ces questions.

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Merci beaucoup pour votre venue, qui nous éclaire objectivement sur la situation dans le pays et l'accès aux droits.

Au mois d'avril 2022, a été examinée et votée à l'Assemblée nationale la loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions. Au sein de celle-ci, une proposition d'expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique a été votée, à des fins de sécurité que nous jugeons tout à fait discutables.

De surcroît, cette expérimentation s'étend au-delà de la durée des Jeux olympiques eux-mêmes : liberté d'aller et venir, droit à la vie privée et expression pacifique d'une opinion, nous paraissent menacés. Ces affaires de vidéosurveillance s'appuyant sur des algorithmes entraînent des biais. J'ai lu que ces affaires permettaient de pratiquer une introspection relative à nos préjugés, ce que j'ai trouvé pertinent.

Au-delà de la multiplication et de l'élargissement massif des usages de l'intelligence artificielle en dehors de tout cadre sérieux de réflexion et de tout cadre éthique, malgré l'énergie que nous avons mise afin de susciter des débats, des arguments et des contre-arguments, lors de l'examen de ce projet de loi, il nous paraît important, dans le cadre de cette commission des lois, dont le respect des libertés fondamentales est une pierre angulaire, que vous puissiez vous réexprimer sur l'intelligence artificielle.

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Madame la Défenseure des droits, vous déplorez dans votre rapport qu'en matière d'accompagnement financier des lanceurs d'alerte, le législateur ait préféré un dispositif de soutien financier et psychologique à la charge des autorités externes plutôt que la création d'un fonds de soutien dédié. Dans votre avis du 29 octobre 2021, vous indiquiez que ce fonds aurait été financé par les amendes prononcées en cas de manquement à l'obligation de mettre en place des procédures de signalement. Outre le fait que cette source de financement semble trop fragile pour financer le dispositif, je m'interroge sur le caractère déontologique d'un tel fonds de soutien. Si le lanceur d'alerte peut bénéficier d'une rétribution, comment prouver son désintéressement dans l'affaire qu'il rapporte ?

Qui plus est, vous avez encouragé la suppression de la condition de désintéressement pour les personnes qui souhaiteraient bénéficier de protection et vous constatez des limites sur les champs d'application des dispositifs de protection des lanceurs d'alerte. Outre la question du signalement pour un cas personnel, quelles sont les limites de la certification, selon vous ?

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Merci, madame la Défenseure des droits, de nous rappeler l'importance de l'appui sur des contre-pouvoirs. Il est précieux d'avoir des personnes en capacité d'apporter une critique et de rappeler les dysfonctionnements pour avancer ensemble. Vous avez pu constater que, dans notre institution, pourtant celle qui représente le peuple, il n'est pas toujours évident de rappeler que la critique est un outil pour travailler, pour s'améliorer et pour éclairer le choix des législateurs.

On vous a beaucoup reproché de formuler uniquement des critiques, mais vous soulignez les avancées concernant les lanceurs d'alerte dans votre rapport. Une lecture plus attentive permet de constater que la critique n'est pas votre seul outil pour faire avancer nos droits collectifs. Nous avons beaucoup parlé de la police et des lanceurs d'alerte et j'aimerais faire un lien entre les deux. Vous recueillez une partie des interrogations qui se posent au sein des forces de l'ordre, qu'il s'agisse de la police ou de la gendarmerie. Le statut de lanceur d'alerte est encore balbutiant et votre rapport rappelle que nous sommes à la croisée des chemins. À l'intérieur d'une institution qui doit appliquer le droit dans son équité, il n'est pas toujours facile de solliciter ce statut. Comment utiliser au mieux ce statut pour aider nos agents à porter le droit en égalité sur le territoire ?

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Je tiens à vous remercier pour avoir cité le rapport que j'ai réalisé sur l'administration générale et territoriale de l'État et l'accès aux services publics.

Madame la Défenseure des droits, je souhaite établir un bilan sur les moyens. J'ai constaté dans le budget 2023 que vous disposiez de deux équivalents temps pleins annuels travaillés (ETPT) supplémentaires. Compte tenu de vos propos concernant la déontologie de la sécurité et les moyens de nos voisins anglais, quels sont vos besoins dans vos différents domaines d'expertise ? Le printemps de l'évaluation est en cours à l'Assemblée nationale et le moment est propice à ces interrogations.

En matière de déontologie de la sécurité, nous sommes préoccupés par certains aspects, à savoir les arrêtés d'interdiction pris par les préfectures dans des délais qui ne permettent pas la contestation devant les tribunaux administratifs dans de bonnes conditions, même si des militants, des professeurs de droit et des avocats ont réussi à déployer des ressources extraordinaires pour déposer parfois des recours en moins d'une heure. Cependant, la démocratie ne peut reposer sur ces militants. Par ailleurs, ces arrêtés pris dans des délais qui empêchent la contestation persistent. Comment faire évoluer la situation ?

Enfin, nous avons appris que vous étiez au centre de commandement à la préfecture de police lors d'une des manifestations contre la réforme des retraites. Qu'en retenez-vous ? Quelles sont vos observations ?

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Madame la Défenseure des droits, je vous remercie de votre présence. L'étude du maintien des droits me semble plus conforme au rôle de notre commission que celle de la présence de drapeaux sur le fronton des mairies ou de portraits de Monsieur Macron à l'intérieur.

Vous nous avez alertés sur les arrestations arbitraires et vous avez également alerté Madame Simonnot. L'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen indique que, « nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites » tandis que l'article 5 nous dit que « l a loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas. » Jusqu'à preuve du contraire, la manifestation n'est pas défendue par la loi et elle est même garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Enfin, l'article 9 nous dit que, « tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, et s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. » Les arrestations arbitraires sont également proscrites par l'article 68 de notre Constitution qui dit que nul ne peut être arbitrairement détenu.

Dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites, mes collègues et moi-même avons fait le tour des commissariats et nous y avons rencontré de nombreux jeunes arrêtés, certains relâchés sans poursuite et certains qui ont été poursuivis, mais relaxés des charges retenues contre eux. Estimez-vous que ces pratiques sont conformes à l'article 12 de la Déclaration du droit de l'homme et du citoyen : « La garantie des droits de l'homme et des citoyens nécessite une force publique. Cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » ?

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Claire Hédon, Défenseure des droits

Tout d'abord, 80 % de nos saisines sont réglées par médiation. Quand la médiation n'est pas possible ou quand la situation est particulièrement grave, nous rendons des décisions, dont les plus importantes passent devant des collèges en droit des enfants, discrimination et déontologie des forces de sécurité dans lesquels sont nommées des personnalités par la présidente de l'Assemblée nationale et les présidents du Sénat, de la Cour de cassation ainsi que du Conseil d'État.

En 2021, nous avons rendu 298 décisions, dont 175 étaient des observations devant les tribunaux. Ces décisions sont menées en enquête en contradictoire et prennent du temps. Ainsi, je ne peux pas répondre à une partie des questions que vous m'avez posées sur les manifestations. Qui plus est, il arrive que la justice soit saisie, car il nous faut l'autorisation du procureur pour pouvoir enquêter. Nous rendrons une décision-cadre et des décisions individuelles sur ces atteintes au droit. Nous avons rendu 221 décisions en 2022, dont 110 observations. Pour 2023, nous avons déjà rendu 56 décisions sur les quatre premiers mois, dont 38 observations devant les tribunaux. Ce pouvoir dont nous disposons est très important.

Nous allons suivre la loi relative aux Jeux olympiques et à l'intelligence artificielle de très près. J'ai échangé en début de semaine avec la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Nous faisons partie du collège de droit de la Cnil devant lequel nous formulons un certain nombre de recommandations et d'observations.

Concernant les lanceurs d'alerte et le fonds de soutien, il ne s'agit absolument pas de rémunérer les lanceurs d'alerte. Nous intervenons une fois que des représailles ont été exercées. Ils sont très souvent licenciés et se retrouvent dans une situation financière difficile. Pour l'instant, nous observons une très grande fragilité des lanceurs d'alerte et un fonds de soutien permettrait de les aider, mais il ne s'agit pas de les rétribuer.

Les certifications ont juste commencé et nous aurons besoin de temps pour formuler des observations. La moitié des réclamations environ concerne des demandes de certification. Je vous confirme qu'il peut exister des lanceurs d'alerte au sein de la police. Nous avons également constaté l'existence de discriminations et nous entretenons des échanges intéressants avec l'association de policiers FLAG ! sur la lutte contre l'homophobie dans la police. Cette association fait partie de nos comités d'entente.

Vous m'avez demandé plus de précisions sur nos moyens. Pour 2023, nous avions demandé cinq ETP supplémentaires, deux au titre des lanceur d'alerte et trois au titre de la densification du réseau, mais seuls deux emplois ont été retenus, ce qui n'est pas raisonnable par rapport à l'augmentation de notre activité. Nous avons réalisé une comparaison avec les Ombudsmans et nous sommes excessivement inquiets. Ainsi, nous avons formulé de nouvelles demandes et j'espère que vous les verrez arriver au Parlement. Nous espérons une augmentation massive de nos moyens, en matière d'emplois, d'agents et de moyens de communication. Nous avions également demandé une augmentation du nombre de nos délégués, d'autant plus que les coûts des déplacements sont en hausse. En revanche, nous n'avons pas obtenu la somme demandée pour une campagne de communication pour le référencement de la plateforme Anti-discriminations.fr. Ce budget est indispensable, car sans financement du référencement de la plateforme, elle n'apparaît pas dans les moteurs de recherche. Je répète que l'institution n'a pas récupéré le budget communication qu'avait la Halde à l'époque.

Concernant le respect du droit de manifester, la justice a joué son rôle et nous la laissons agir. Nous surveillerons le sujet au vu des réclamations reçues. Je tiens à souligner que ma venue dans un centre de commandement n'est pas un événement. Pauline Caby, mon adjointe en charge de la déontologie des forces de sécurité, était présente, de même que Benoît Narbey, chef du pôle déontologie. J'y ai passé trois heures et ils sont restés jusqu'à la fin. Les échanges étaient très intéressants et j'ai pu poser de nombreuses questions. Les échanges avec les forces de l'ordre sont très réguliers ; nous intervenons dans les formations dispensées aux gardiens de la paix. Par ailleurs, j'échange fréquemment avec le préfet de police de Paris, le directeur général de la police nationale (Dgpn), la gendarmerie et les Inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales (Iggn et Igpn). Ces échanges sont très importants pour nous.

Présidence de M. Erwan Balanant, vice-président.

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Claire Hédon, Défenseure des droits

L'institution a un rôle très pacificateur. Ainsi, en rétablissant les personnes dans leurs droits, nous apaisons les tensions. Cependant, l'institution commence à être embolisée et certains de mes délégués sont en souffrance compte tenu du nombre de dossiers à traiter. Ils ne parviennent pas à régler toutes les questions. Nous sommes un élément de démocratie et il ne suffit pas que l'on soit inscrit dans la Constitution : il faut nous donner les moyens.

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Je vous remercie pour votre présentation, utile et nécessaire. Vous êtes un garant de la démocratie. Les démocraties qui fonctionnent ont des contrôles.

La séance est levée à 11 heures 55.

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

- M. Benjamin Saint-Huile, rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à permettre une gestion différenciée de la compétence « Eau » et « Assainissement » (n° 954) ;

- M. Benjamin Saint-Huile, rapporteur sur la proposition de loi visant à renforcer l'engagement et la participation des citoyens à la vie démocratique (n° 1157) ;

- MM. Paul Molac et Erwan Balanant, rapporteurs sur la proposition de loi relative à la consultation des habitants d'un département sur le choix de leur région d'appartenance (n° 1163).

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Sabrina Agresti-Roubache, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Erwan Balanant, M. Romain Baubry, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Éric Ciotti, M. Jean-François Coulomme, Mme Edwige Diaz, Mme Elsa Faucillon, Mme Raquel Garrido, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Jordan Guitton, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, Mme Marietta Karamanli, M. Andy Kerbrat, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, Mme Marie Lebec, Mme Julie Lechanteux, Mme Gisèle Lelouis, Mme Marie-France Lorho, M. Benjamin Lucas, M. Emmanuel Mandon, Mme Élisa Martin, M. Ludovic Mendes, M. Paul Molac, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Thomas Portes, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Stéphane Rambaud, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Thomas Rudigoz, M. Benjamin Saint-Huile, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, Mme Sarah Tanzilli, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Roger Vicot

Excusés. - M. Philippe Dunoyer, Mme Marie Guévenoux, M. Benjamin Haddad, M. Jérémie Iordanoff, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Emeline K/Bidi, M. Didier Lemaire, M. Thomas Ménagé, M. Didier Paris, M. Aurélien Pradié, M. Rémy Rebeyrotte, M. Davy Rimane, Mme Andrée Taurinya