La réunion

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La séance est ouverte à onze heures.

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Le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 est le premier de cette législature. Mais il s'inscrit dans la continuité de la précédente en respectant strictement la trajectoire dessinée par la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, avec une augmentation du budget de la défense de près de 3 milliards d'euros, hors pensions.

Comme les autres armées, la marine bénéficiera donc d'un surcroît de ressources bienvenu en ces temps de guerre et de montée des tensions. Je pense à l'Ukraine, bien sûr, mais également à l'Indo-Pacifique, où la Corée du Nord multiplie les tirs de missiles et la Chine les exercices militaires au large de Taïwan.

Compte tenu de ces menaces, quelle est votre analyse s'agissant du budget de la marine pour 2023 ? Quels sont vos sujets de satisfaction mais également, le cas échéant, vos points de vigilance ?

J'ai évoqué l'Indo-Pacifique, où la marine a été très présente en 2022 – notamment dans l'océan Indien, avec la mission Jeanne d'Arc et avec le déploiement du sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Améthyste. La marine nationale est également présente dans bien d'autres théâtres : la Méditerranée, l'Atlantique ou encore le golfe de Guinée. Face à une telle suractivité – qui ne peut aller qu'en s'accroissant compte tenu des menaces présentes et à venir – et face au risque d'usure des équipages et des équipements, ne faut-il pas privilégier la coopération autant que possible, que ce soit dans le cadre européen, de l'Otan, voire de manière bilatérale ? Quel est le degré d'implication de la marine dans les opérations menées dans ces différents cadres ? Quelles sont les relations avec nos principaux alliés ?

Enfin, quel regard de marin portez-vous sur le conflit ukrainien ? Ce qu'il se passe en mer Noire est loin d'être négligeable. Quelles leçons la marine en tire-t-elle dès à présent ?

Même si le mystère plane encore sur ce qui apparaît comme le sabotage du gazoduc Nord Stream en mer Baltique, vous pourriez nous faire part de votre analyse sur cet événement ainsi que, plus largement, sur les enjeux liés aux fonds marins – en particulier en ce qui concerne la sécurisation des câbles, gazoducs et oléoducs, dont nous sommes plus que jamais dépendants.

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Amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine

Je suis venu devant votre commission en juillet dernier pour une audition à caractère général. Je suis très heureux d'être à nouveau parmi vous aujourd'hui, cette fois dans le cadre de vos travaux sur le PLF en ce qui concerne la Marine nationale.

Avant de répondre à vos questions, je voudrais revenir en quelques mots sur l'actualité de la Marine.

La France dispose d'une Marine d'emploi, ce qui signifie qu'elle est structurée autour de contrats opérationnels déterminés par le chef d'état-major des armées (CEMA). Il y a une adhérence complète entre missions et capacités.

Lors de la conférence aux ambassadeurs en septembre dernier, le Président de la République a rappelé que jamais les problèmes que nous avions à régler n'ont été aussi essentiellement mondiaux. Notre sécurité est mondiale.

Le cœur de la mission de la Marine, c'est la dissuasion nucléaire. Depuis 1972, la Marine assure la permanence à la mer de la composante océanique de la dissuasion. Elle a réalisé plus de 500 patrouilles, depuis que cette posture est tenue. Envoyer un sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) en patrouille suppose un dispositif qui implique toute la Marine. Cette mission impose un degré de technicité extrêmement élevé en matière de lutte anti-sous-marine.

La protection au large des intérêts des citoyens et des territoires français constitue le deuxième grand axe de l'activité permanente de la marine. Ainsi, en septembre dernier, le bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM) Dumont d'Urville a réalisé aux Antilles une mission d'interception d'un voilier qui transportait 1,3 tonne de cocaïne. Le trafic de drogue reste considérable en 2022 après les saisies observées au premier semestre. La Marine est également intervenue à la suite de la tempête qui a frappé la Corse en août dernier, avec le sauvetage de plaisanciers par hélicoptère. Quant à la mission Bougainville, réalisée outre-mer en partenariat avec Sorbonne Université, elle consiste à équiper nos bâtiments de capteurs pour mesurer la biodiversité de manière continue, afin de mieux connaître son évolution dans notre ZEE.

Les missions permanentes de la Marine comprennent également la protection des flux économiques. C'est à ce titre que ses navires se relaient dans le golfe de Guinée pour aider les marines des pays riverains à mieux assurer leur souveraineté sur leur ZEE. Cette année, le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Tonnerre va réaliser une mission de formation pour les officiers des marines des différents pays riverains. Cet effort complète celui mené avec nos partenaires européens. Toujours au titre de la protection des flux économiques et pour répondre à la stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins, la Marine nationale a mené, avec le concours de l'IFREMER, en février dernier, une expérimentation visant à inspecter un câble sous-marin à plus de 2000 mètres de fond.

Enfin, la marine a conduit cette année plusieurs opérations en coalition.

Le groupe aéronaval participait en janvier dernier à l'opération Inherent Resolve, menée par la coalition internationale en Irak et en Syrie. Il est passé en quarante-huit heures à une mission de renforcement du flanc est de l'Otan.

La marine participe aux missions permanentes de l'Otan. Pour cela, nous transférons en tant que de besoin le contrôle opérationnel de nos bâtiments au commandement maritime allié (Marcom), afin de contribuer aux opérations de l'Alliance. Nous continuons de la sorte à développer l'interopérabilité puisque c'est dans ce cadre que sont conçues les tactiques, que sont organisées les procédures et que sont développés certains moyens de communication et de chiffrement.

Pour ce qui concerne l'actualité capacitaire, je voudrais vous présenter quelques exemples parlants.

Le remplacement des patrouilleurs outre-mer est lancé avec la production de six nouveaux patrouilleurs maritimes outre-mer (POM). Le premier d'entre eux, l' Auguste Bénébig, sera déployé en Nouvelle-Calédonie. Le deuxième, qui est encore en construction, le sera en Polynésie française et le troisième à La Réunion. Les trois bâtiments qui suivront reprendront ce schéma de déploiement. En 2025, l'ensemble de la flotte des patrouilleurs destinés à surveiller la ZEE aura été renouvelé.

Deuxième exemple du renouvellement de nos capacités : le premier des quatre bâtiments ravitailleurs de forces (BRF), le Jacques Chevallier, a été mis à l'eau au mois de mars dernier. Ces bateaux sont indispensables pour mener des missions dans la durée. Le Jacques Chevallier a été construit en quelques mois : il a été posé sur cale en octobre 2021 et mis à l'eau en mars 2022. Alors que l'on parle d'industrie de guerre, voilà un bon exemple de la capacité de l'industrie à aller vite.

La première frégate de défense et d'intervention (FDI), l' Amiral Ronarc'h, sera mise à l'eau la semaine prochaine. Le premier des hélicoptères H160 de la flotte intérimaire a effectué un vol d'essai il y a quelques jours. Le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Suffren est en opération dans l'Atlantique. Le réacteur nucléaire du Duguay-Trouin, deuxième de la série, a divergé pour la première fois le 30 septembre

À la demande du CEMA, nous travaillons sur les capacités existantes, en améliorant tout ce qui peut l'être, en maîtrisant les coûts. Nous avons ainsi expérimenté le système de mini-drone de la marine (SMDM) sur un aviso. Cela permet à ce type de navire –qui n'a pas de plateforme pour hélicoptère – de disposer d'une capacité de reconnaissance aérienne. Avec l'arrivée prochaine de la première FDI, nous travaillons sur les systèmes numériques avec le Data Hub embarqué, ce qui permettra de constituer en quelque sorte un jumeau numérique du système actif dans le bateau.

L'effort de renouvellement des matériels va permettre de sortir les plus anciennes de nos capacités de l'ordre de bataille. Après trente-deux ans de bons et loyaux services, la frégate Latouche-Tréville n'est plus en service actif depuis le 1er juillet dernier. À la fin de cette année, l'Alouette III se posera pour la dernière fois, soixante-deux ans après le premier vol d'essai. Le SNA Rubis va quant à lui rejoindre Cherbourg pour être désarmé, après avoir servi pendant trente-neuf ans.

Pour finir, un mot sur la « bataille des talents ». Elle est particulièrement importante, car nous recrutons pour l'essentiel des jeunes peu qualifiés – 30 % d'entre eux n'ont pas le bac. Or la marine est une armée par essence technique. En quelques années, ces jeunes accèdent à des fonctions de technicien supérieur – voire d'ingénieur pour certains. L'enjeu vital pour notre système de formation est de façonner ces jeunes afin d'en faire des professionnels de la mer, aptes à remplir des missions exigeantes.

Pour conclure, vous pouvez être assurés de l'engagement total de la marine pour accélérer sa transformation et faire autrement.

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Vous avez rappelé très justement le fait qu'une marine ne vaut que par les équipages qui la servent.

L'effort budgétaire important mené depuis 2017 portera le budget de la défense à 50 milliards d'euros en 2025. Ce budget augmente de nouveau de 3 milliards d'euros en 2023, passant à 43,9 milliards d'euros. Cela témoigne de l'importance que le Président de la République et le ministre des armées accordent à nos forces et à la base industrielle et technologique de défense (BITD). La démocratie a besoin d'être défendue, au besoin militairement. Cela nécessite un effort budgétaire constant. Nous étions probablement à la limite du déclassement en 2017.

Le Charles de Gaulle rentrera en arrêt technique majeur (ATM) en 2023. Ce chantier sera plus léger que le précédent ATM à mi-vie, mais il est nécessaire pour la chaufferie nucléaire. Pendant ces travaux, la France ne disposera plus d'une plateforme aéronavale, dans une période de vives tensions mondiales et de guerre en Ukraine. Nous payons aujourd'hui les absences de décision d'hier, voire d'avant-hier. Elles nous privent d'un porte-avions disponible en permanence.

Même si elle est complexe à programmer et à financer, la construction d'un deuxième porte-avions de nouvelle génération (PANG) n'est pas hors de portée technique. Compte tenu des délais de construction du premier PANG, nous avons un peu de temps pour prendre une décision – mais seulement un peu.

En 2023, les investissements sont renforcés dans le domaine de l'exploration des fonds marins. Les commandes porteront sur dix-neuf stations de communication satellitaire Syracuse IV, des lots de lutte anti-drones pour la marine et des missiles Aster pour les frégates. Seront livrés un BRF, un SNA, un POM, un lot de missiles mer-mer Exocet, cinq hélicoptères H160, trois avions de patrouille maritime Atlantique 2 rénovés et une frégate de type Lafayette rénovée. Les choix faits par la LPM commencent à porter leurs fruits et les autorisations d'engagement (AE) deviennent désormais des crédits de paiement (CP).

À partir de quel moment pensez-vous que les capacités de la marine vont recommencer à augmenter, après une longue période de diminution ?

Quels sont les premiers retours d'expérience pour le Suffren, qui a été admis au service actif le 1er juin dernier, et pour le premier POM, l' Auguste Bénébig, qui a entamé ses essais à la mer le 26 juillet ?

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J'ai eu l'occasion de suivre il y a quelques années une préparation militaire marine (PMM) à Jean-Bart, à Dunkerque, et j'en ai gardé de très bons souvenirs. Il s'agissait de découvrir les métiers de la marine nationale. J'y ai aussi appris le sens des valeurs, qui font que je suis là aujourd'hui. Merci.

Vous avez pu réaliser les investissements nécessaires grâce aux différents budgets, mais le retard est tel qu'il faudrait doubler, sinon plus, les efforts financiers pour la marine nationale. La France, qui possède le second domaine maritime mondial, a réduit de moitié le format de sa marine nationale depuis la fin de la guerre froide. Sous couvert d'économies budgétaires, cela s'est notamment traduit par une diminution de la commande de frégates multimissions – passée de dix-sept à onze en 2008, puis de onze à huit par la suite –, ainsi que par le report de certains programmes, au risque de créer des ruptures temporaires de capacités susceptibles de devenir définitives.

Les chefs d'état-major qui se sont succédé ont tous dénoncé le format insuffisant de la marine au regard de ses contraintes opérationnelles. Vous avez déclaré devant notre assemblée que le principal frein à l'extension du format de la marine est budgétaire, et non industriel, ajoutant que c'est ce qu'on a en stock au soir de la guerre qui permet de la gagner.

L'urgence est donc au rééquipement.

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Je vous remercie pour votre présentation, toujours aussi stimulante. Je commencerai par vous taquiner : nous ne sommes pas simplement là pour ratifier le projet de budget du Gouvernement ; nous aimerions aussi l'amender. Bien sûr, vous avez une vision réaliste du fonctionnement de nos institutions. Je considère, pour ma part, que nous sommes trop souvent une chambre d'enregistrement.

Je souhaite vous interroger sur la préparation opérationnelle, en particulier sur l'exercice Hemex-Orion 2023. L'animation de l'environnement opérationnel sera externalisée. Dans quelles conditions ? Quel est l'intérêt ? Les moyens de la préparation opérationnelle sont-ils bien garantis par le PLF 2023 ?

Je m'intéresse beaucoup aux fonds marins – c'est une préoccupation partagée par tous les commissaires – et serai co-rapporteur d'une mission flash sur le sujet. Quel est votre avis sur les 3,1 millions d'euros de crédits de paiement prévus dans le PLF 2023 pour les grands fonds marins ? Cela me paraît relativement modeste, d'autant que l'exécutif a annoncé il y a peu l'achat sur étagère de drones sous-marins (AUV, Autonomous Underwater Vehicle) et d'un robot sous-marin téléguidé (ROV, Remotely Operated Underwater Vehicle).

Naval Group a perdu le contrat de maintenance des PHA. Les salariés et les syndicats sont très inquiets. Vous partagez sans doute cette préoccupation et disposez peut-être d'éléments permettant de les rassurer.

Le maintien en condition opérationnelle (MCO) connaît une importante augmentation de ses crédits de paiement en 2023. Est-ce lié à un besoin spécifique ou à l'augmentation exponentielle des coûts du MCO par les industriels ? Est-ce normal ou le renchérissement du coût de l'entretien par les industriels devient-il insupportable ?

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Je vous remercie pour votre présentation et le répète : notre pays sait ce qu'il doit à la Royale dans tous les océans. Transmettez notre gratitude aux hommes et aux femmes de la marine – même si, la dernière fois que je suis monté sur un bateau, il n'y avait que des hommes !

Dans votre propos introductif, vous avez évoqué le rôle de la marine en Afrique de l'Ouest et dans le golfe de Guinée : opération Corymbe de lutte contre la piraterie et partenariat avec les pays africains du golfe de Guinée. C'est une aire géopolitique qu'on oublie alors que, visiblement, votre action donne des résultats. Pourriez-vous la détailler ? Comment les pays africains, dont les moyens sont par définition limités, parviennent malgré tout à développer leur marine ?

Dans votre propos introductif, vous évoquez votre volonté de doper les capacités des moyens réduits dont nous disposons. Pourtant, les nouvelles FDI que nous allons recevoir ne seront dotées que de seize missiles, alors que celles que nous vendons à la Grèce en possèdent trente-deux. Ne faudrait-il pas avant toute chose armer ces bâtiments au maximum de leurs capacités ?

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Je vous adresse le salut respectueux et amical de Fabien Lainé, qui devait vous poser notre question mais se trouve à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) pour suivre une formation sur les enjeux et stratégies maritimes.

Lors de votre dernière audition devant notre commission en juillet, vous avez affirmé que, depuis 1945, la marine n'a jamais été aussi petite. Dans un autre discours, à l'École navale, vous avertissiez les élèves : ils entrent dans une marine qui va probablement connaître le feu à la mer. Ces déclarations sont à prendre avec gravité à l'heure où nous votons le budget 2023, dans un contexte fortement dégradé.

Les océans et les mers sont une source croissante d'insécurité. Le groupe Démocrate s'interroge sur nos moyens pour assurer la sécurité maritime et le bon déroulement des échanges commerciaux. La Méditerranée représente 25 % du commerce maritime mondial, 30 % du transport pétrolier et 65 % des flux énergétiques vers l'Union européenne. Des puissances comme la Russie, la Chine et la Turquie mettent de plus en plus de moyens dans le déploiement de leurs forces navales. Il y a quelques jours, dans le cadre de la surveillance de nos approches maritimes avec les partenaires de l'Otan, des moyens ont été mobilisés pour accompagner un sous-marin et un remorqueur russes dans le Golfe de Gascogne.

En Méditerranée, le dialogue est de plus en plus difficile entre la rive nord et une rive sud qui cherche à s'émanciper, se tournant vers des partenaires comme la Chine et la Russie. Au Moyen-Orient, la montée en puissance de l'Iran a toujours inquiété les acteurs au cœur des flux commerciaux, notamment dans le détroit d'Ormuz. Le détroit de Bab-el-Mandeb pâtit toujours quant à lui de l'enlisement de la guerre au Yémen.

Enfin, nous ne pouvons ignorer les tensions dans le Pacifique, où les armées françaises sont présentes en soutien aux coopérations régionales, par exemple dans le cadre du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité ( Quadrilateral Security Dialogue ) et de l'accord Franz (France, Australie, Nouvelle-Zélande). S'agissant de sécurité maritime et de sécurisation des échanges commerciaux, l'évolution budgétaire engagée pour 2023 vous rend-elle plus optimiste pour les années à venir ?

Dans un contexte international de haute intensité, notre besoin en Rafale Marine est important, mais votre marge de manœuvre faible, pour ne pas dire inexistante, avec trois flottilles taillées au plus juste, et douze avions au lieu de quinze. En cas de perte de personnel ou de matériel, la chasse embarquée serait dans une situation particulièrement difficile. De combien de Rafale avons-nous besoin pour sortir de cette zone de tension et faire face à l'évolution des conflictualités ?

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Amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine

Concernant la remontée capacitaire, les documents budgétaires 2023 sont clairs : ils listent les commandes et livraisons prévues, et s'inscrivent dans le mouvement de renouvellement lancé par la LPM 19-25.

Le reste de l'ambition budgétaire passe par la revue nationale stratégique et la préparation d'une future loi de programmation militaire, sous l'égide du ministre, en lien avec le chef d'état-major des armées. La semaine dernière, lors de son audition devant votre commission, le ministre a été clair sur son ambition. C'est cette ambition qui se traduit en format. Avec une particularité pour toutes les Marines du monde : les choix capacitaires sont des choix du temps long.

Quel est notre retour d'expérience de l'utilisation des nouvelles capacités ? Le Suffren a été admis au service actif par le ministre en juin dernier. Il est désormais dans son cycle opérationnel. Nous l'avons étrenné dans le grand bain, l'Atlantique nord, où le niveau d'exigence en termes de discrétion est maximal. Il a donné d'excellents résultats. Nous avons également fait une escale en Grande-Bretagne, à Faslane, pour ouvrir un nouveau point d'appui. C'était l'occasion de valider le soutien technique et logistique des Britanniques sur ce nouveau type de sous-marins.

L'effort porte désormais sur les essais des capacités des forces spéciales puisque ce sous-marin emporte un hangar de pont – ou Dry Deck Shelter – qui peut embarquer le propulseur sous-marin de troisième génération (PSM 3G). Tout se passe bien et nous pouvons être satisfaits de disposer d'un bâtiment dont le niveau technique et le potentiel d'évolution sont exceptionnels. Je salue toutes les équipes qui ont participé à la conception de cet outil magnifique pour les décennies à venir.

Le POM Auguste Bénébig repart vers Brest après quelques semaines passées au chantier SOCARENAM de Saint-Malo et les essais sont tout à fait satisfaisants. Nous vérifions sa capacité à naviguer, ses capacités manœuvrières, la tenue du mouillage, etc. Nous allons poursuivre par la vérification des capacités militaires. Le bateau doit rallier Nouméa début 2023.

Vous avez évoqué la préparation opérationnelle et Polaris, exercice majeur en novembre 2021, qui constitue l'impulsion donnée à la refondation de la préparation opérationnelle dans la Marine. J'ai souhaité que l'on change complètement de dimension et d'état d'esprit : nous avons passé trente ans à qualifier nos forces avec un programme d'entraînement très précis, en vérifiant que tout le monde coche bien les cases. Nous allons continuer à le faire, évidemment, car il s'agit de sécurité, de capacité à manœuvrer et de savoir-faire de base. Mais c'est aujourd'hui insuffisant.

La réforme de la préparation opérationnelle vise à être en mesure de faire face à l'incertitude du combat. Dans le nouveau format d'entraînement, la seule règle, c'est qu'il n'y a pas de règle. Dans les exercices classiques, le parti ennemi attaque à une heure prévue. Ça n'est plus le cas. Les exercices durent longtemps, les moyens détruits fictivement quittent l'exercice. Cela oblige les commandants à réagir différemment, à prendre des risques autrement, mais aussi les états-majors à penser la guerre de manière différente, dans une logique de maîtrise des moyens – on compte ses missiles, ses bateaux et ses coups, l'objectif étant de produire de l'effet avec un risque maîtrisé.

Nous y consacrons des moyens en plastrons navals et aériens, par le biais de marchés à bons de commande, attribués à AvDef et Secapem, l'externalisation étant engagée depuis plusieurs années afin de maîtriser les coûts. Cela représente environ 5 millions d'euros, pour un peu moins de 700 heures de vol et, pour les plateformes navales, en 2020, 5 millions d'euros pour 400 jours de mer.

Je voudrais maintenant répondre à la question de monsieur Saintoul sur les fonds marins. Nous avons pris conscience de notre retard lors des recherches de la Minerve – sous-marin perdu corps et biens en 1968 et retrouvé en 2019 à l'initiative de mon prédécesseur, l'amiral Prazuck. C'est une entreprise civile mettant en œuvre des drones sous-marins qui a retrouvé la Minerve. Nous avons alors constaté le fossé qui s'était creusé entre les technologies civiles et nos capacités militaires. L'état-major a engagé une réflexion, présentée à la ministre, qui a décidé de la rédaction d'une stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins.

Actuellement, nous évaluons les capacités dont nous devons nous doter pour atteindre les objectifs de la stratégie fonds marins. Mon homologue norvégien m'expliquait récemment que l'industrie norvégienne du pétrole et du gaz disposait de plusieurs centaines de ROV. Il faut chercher la complémentarité avec ces moyens. En revanche, nous militaires avons des éléments de renseignement, une connaissance de nos approches. Il nous faut développer des cas d'usage en expérimentant les différentes solutions pour définir ce dont nous avons besoin. Notre capacité à maîtriser les fonds marins est par ailleurs liée à l'interconnexion entre d'un côté les opérateurs de câbles, les opérateurs pétroliers et gaziers, et d'autre part les armées.

S'agissant du MCO, la Marine a décidé d'ouvrir les marchés à la concurrence. C'est une politique de long terme. Actuellement, 66 % des marchés de MCO naval sont ouverts à la concurrence. Naval Group, qui dispose de spécialités absolument remarquables, continue à gérer de gré à gré son cœur de métier, les MCO du porte-avions et des sous-marins par exemple. Les prochains bateaux mis en service le seront aussi. Nous sommes donc soucieux de la pérennité des savoir-faire et de l'expérience de l'entreprise, mais constatons que la mise en concurrence a un effet de maîtrise des coûts. Il ne s'agit bien évidemment pas de faire disparaître des opérateurs – et certainement pas Naval Group – mais de maîtriser la dépense publique. Actuellement, Naval Group travaille d'arrache-pied pour que la Perle puisse retourner en mer en fin d'année, les essais étant prévus en début d'année prochaine afin qu'elle soit opérationnelle à l'été.

Monsieur Thiériot, vous m'interrogez sur l'Afrique de l'Ouest. La semaine prochaine, j'invite les chefs d'Etat-major de dix-neuf marines des pays riverains du Golfe de Guinée L'an dernier, le symposium a été organisé à Pointe-Noire au Congo. Avec certains pays européens, c'est l'occasion de soutenir la souveraineté des pays riverains sur leurs eaux. Un logiciel a par exemple été mis en place pour diffuser l'information maritime et permettre la coordination de l'action des Etats en mer Nous avons aussi mis en place des formations par le biais d'exercices de lutte contre la piraterie ou de contrôle des pêches, la pêche illicite vidant littéralement le golfe de Guinée de son poisson – on estime que 40 % des prises sont illégales dans cette zone.

Madame Poueyto, le dimensionnement de notre parc de Rafale est intimement lié au calendrier de déploiement du système de combat aérien du futur (Scaf), qui comporte une dimension aéronavale. En fonction du biseau – c'est-à-dire de la date à laquelle les premiers Scaf sont livrés aux forces armées –, la question du vieillissement du parc de Rafale va se poser, avec une particularité pour la marine : elle a été la première à être, rapidement, dotée, et sera donc la première à être « dé-dotée » selon un rythme tout aussi rapide. Ce sujet est instruit à l'état-major des armées (EMA). La verticalisation des contrats de MCO, entreprise par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) sur instruction de la ministre, madame Parly, a porté ses fruits puisque la disponibilité technique du Rafale avoisine les 75 %, et dépasse 97,7 % à bord du porte-avions pour la période de janvier à septembre 2022. C'est un véritable succès.

Enfin, monsieur Berteloot, vous évoquez la PMM. C'est un des principaux axes du renforcement du lien armée-nation. Elles accueillent environ 3 000 jeunes chaque année et montrent leur efficacité pour faire souffler l'air du large dans les territoires.

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Je vous remercie pour ces éclairages très précieux en période budgétaire. La France possède le deuxième domaine maritime mondial, dont 97 % bordent ses outre-mer. Notre rayonnement sur les océans correspond à 90 % du commerce mondial.

En raison de l'instabilité du contexte international et de la rivalité pour les richesses maritimes, la protection du domaine maritime est un objectif stratégique, indispensable pour la défense de la France. Lors des assises de l'économie de la mer en 2019, le Président de la République a affirmé que le vingt et unième siècle sera maritime. Si la France a un intérêt économique, mais également environnemental, à s'affirmer comme puissance maritime et à développer son économie bleue.

La guerre en Ukraine a marqué l'entrée dans un nouveau cycle géopolitique et de guerre de haute intensité. Sur le plan maritime, cette évolution se traduit par un retour de l'outil militaire naval comme levier stratégique, alors que la mer est un domaine croissant de confrontations entre les nations, particulièrement dans certaines zones, dont l'Indo-Pacifique.

La présence de territoires français sur tous les océans donne une responsabilité particulière à la France en cas de tensions et de crises régionales. La défense de ses intérêts et le rôle de la France comme puissance d'équilibre imposent des moyens capacitaires adaptés. La prise en compte des distances qui séparent la métropole des outre-mer nécessite des forces prépositionnées significatives, d'autant que la richesse économique des zones maritimes françaises ne manque pas de susciter la convoitise.

En vue de nos débats budgétaires et des futurs débats sur la LPM, ne pensez-vous pas qu'il faut redimensionner nos besoins et nos bases en Indo-Pacifique, en Polynésie, outre-mer ?

Avec le réchauffement climatique, de nouvelles routes maritimes s'ouvrent, et donc de nouvelles routes commerciales potentiellement plus rapides. Cela ne va-t-il pas créer de nouvelles zones de conflictualité ?

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Être inerte, c'est être battu. Il en va également ainsi dans la guérilla parlementaire : c'est pourquoi je vous prie d'excuser les collègues de mon groupe et, plus largement, de notre commission contraints à des norias entre notre salle et l'hémicycle où, en période budgétaire, les besoins sont immenses. Leur intérêt pour la marine est intact, soyez-en assuré.

Je vous remercie de vos explications sur la dissuasion, la lutte anti-sous-marine et le programme POM. J'ai eu le plaisir d'être accueilli à bord de l' Auguste Bénébig, qui a vocation à être dronisé.

J'aurais voulu évoquer mille sujets avec vous : les infrastructures des bases navales, l'importance du programme de capacité hydro-océanographique future (Chof)… Je limiterai cependant ma question au virage important que constitue la dronisation de la marine nationale dans différents domaines.

Je pense évidemment d'abord aux drones aériens, avec le test du système de drone aérien pour la marine (Sdam) et l'utilisation du Schiebel. Qu'attendez-vous de ces nouvelles compétences ? Comment abordez-vous ce virage, tant en termes capacitaires qu'en matière de ressources humaines et de montée en compétences ? Mais ma question concerne aussi d'autres milieux – je pense à la lutte anti-sous-marine ainsi qu'à la guerre des mines, qui mobilise différents vecteurs tels que des drones de surface et sous-marins.

Je ne reviendrai pas sur la question des grands fonds, que M. Saintoul a déjà abordée, même si l'actualité est brûlante. Vous l'avez dit, le Gouvernement aurait commandé sur étagère un AUV et un ROV pour des besoins opérationnels immédiats, à l'horizon de la fin d'année 2022 ou du début d'année 2023.

La lutte anti-drones est tout aussi fondamentale, et les solutions sont nombreuses. Vous avez évoqué les armes à énergie dirigée de type laser. Où en êtes-vous ? Qu'en attendez-vous précisément ? Quelles sont les dernières innovations en matière d'essaims de drones et de solutions micro-ondes ?

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Je tiens à saluer votre engagement, celui des hommes et des femmes qui servent notre pays et nous défendent. Soyez convaincu de notre soutien.

Je ne vous décrirai pas la situation spatiale et géopolitique de Mayotte, que j'ai déjà évoquée la semaine dernière lors d'une précédente audition. Du fait de son caractère insulaire, Mayotte est évidemment particulièrement sensible à la protection apportée par la marine française. En tant que vice-présidente de la délégation aux outre-mer, je souscris à la remarque de Mme Santiago concernant la protection des territoires ultramarins.

Hier soir, le Président de la République a démontré que la présence française était plus que jamais requise en Afrique de l'Est, et plus précisément dans le canal du Mozambique, non seulement pour lutter contre le terrorisme, mais aussi et surtout pour assurer l'indépendance énergétique de notre pays. Il a expliqué que la sortie du charbon était une priorité, mais je rappelle que le canal du Mozambique contient plus de 500 milliards de mètres cubes de gaz.

Le chef de l'État a également évoqué l'Ukraine et le conflit hybride qui s'y joue, avec l'arme migratoire utilisée par le Bélarus. Ses propos ont un relief particulier pour nous, Mahorais, qui subissons l'arrivée massive de Comoriens alors que Moroni revendique la souveraineté sur notre île.

Je note également le retour, dans presque chaque discours consacré à la défense, de l'Indo-Pacifique. Or la queue de l'Indo-Pacifique, c'est le canal du Mozambique. Si on entend beaucoup parler de nos amis du Pacifique, ce qui est normal, nous n'en sommes donc pas moins concernés. Nous souhaiterions que la protection de notre territoire, à La Réunion et à Mayotte, soit davantage prise en compte.

Compte tenu de la nécessité de renforcer la présence française dans l'océan Indien et le canal du Mozambique, mais aussi de protéger notre département, que diriez-vous d'établir à Mayotte une base agrandie de la Marine nationale afin d'y permettre l'affectation permanente d'un patrouilleur outre-mer ou de bâtiments plus importants ?

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Amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine

Madame Santiago, vous avez cité cette phrase du Président de la République : « Le XXIe siècle sera maritime. » Il a souhaité que se tienne à Brest le One Ocean Summit, qui sera probablement suivi l'année prochaine d'un One Island Summit au cours duquel seront traités de nombreux sujets touchant aux outre-mer.

Je note aussi la fréquence à laquelle est cité l'Indo-Pacifique, dans les interventions du Président de la République et du ministre des Armées, tant pour ses vertus économiques que pour son rôle stratégique. C'est effectivement l'endroit où la France pourra le mieux exprimer le concept de puissance d'équilibre. Les capacités présentes dans l'Indo-Pacifique font évidemment l'objet de toutes les attentions de la Marine. J'ai déjà évoqué le renouvellement des patrouilleurs outre-mer : six nouveaux patrouilleurs – deux à La Réunion, deux à Nouméa et deux en Polynésie française – seront mis en service d'ici à 2025.

Nous avons commencé à étudier, avec nos partenaires européens, le remplacement après 2030 de nos frégates de surveillance par des European Patrol Corvettes (EPC). Je forme l'espoir que les Européens s'accordent sur le même standard de corvettes.

Le changement climatique est un sujet pour la Marine, dans la mesure où il entraîne une augmentation de la fréquence des événements climatiques extrêmes. Nous sommes donc très vigilants quant au maintien de nos capacités de réponse en matière de Humanitarian Assistance and Disaster Relief (HADR). Nous devons pouvoir porter assistance aux populations de territoires potentiellement dévastés par des événements climatiques majeurs tels que des tsunamis ou des ouragans. C'est ce que nous avons fait cette année aux Tonga frappées par un épisode volcanique, comme nous l'avions déjà fait en 2017 aux Antilles après le passage d'un ouragan, grâce à nos PHA et à nos BSAOM.

Le réchauffement climatique provoque également des déplacements de ressources halieutiques. Certains pêcheurs ne bénéficient plus de remontées d'eaux froides, n'attrapent plus rien et sont obligés d'aller chez leurs voisins, ce qui suscite des conflits d'usage et donc une sorte de militarisation du contrôle des pêches, particulièrement en Asie.

Enfin, du fait de la fonte des glaces, la voie nord, qui permet de basculer des forces de l'océan Pacifique à l'océan Atlantique, est susceptible de devenir une voie permanente. On entend souvent dire que la présence de nos armées, en particulier de la marine, dans les outre-mer coûte très cher. Permettez-moi de vous donner un exemple qui vous prouvera le contraire. Durant plusieurs années, la Marine et l'administration des TAAF se sont battues contre la pêche illégale au large de La Réunion ; or, en 2017, le chiffre d'affaires de la légine, qui est devenue la première source de revenus de l'île, devant la canne à sucre, a atteint 129 millions d'euros, quand le coût de fonctionnement annuel d'une frégate de surveillance est de 13 millions d'euros (en 2022). Vous voyez là les effets de levier permis par la présence de la Marine. Dans ces zones très riches en ressources, notre investissement permet à la population d'en prendre le contrôle et de la traiter de manière écoresponsable, ce qui contribue au développement économique des territoires.

Monsieur Larsonneur, j'attends trois choses des drones.

Je veux en premier lieu qu'ils constituent un levier en matière de ressources humaines (RH). À l'horizon de la LPM, nous attendons quelque 1 500 marins supplémentaires, notamment pour constituer le noyau du successeur du Charles de Gaulle et assurer la manœuvre entre retrait du service actif (RSA) et admission en service actif (ASA). À iso-RH, les drones vont nous permettre de faire plus : ce sont des boosters de capacité. Les drones automatiques, notamment les drones de surface et les drones sous-marins, permettent de réaliser des missions sans beaucoup d'interventions humaines. Il y a évidemment un questionnement éthique à traiter. Aussi l'intervention de l'homme dans la boucle restera- pour nous un point très important.

Le deuxième levier apporté par les drones est financier. À service égal, les capacités dronisées doivent coûter moins cher. La boule optronique et la charge utile du drone hélicoptère doivent permettre d'économiser 50 % ou 60 % du coût de l'heure de vol d'un NH90 ou d'un H160.

Le troisième levier concerne le risque. Un drone permet d'opérer dans un environnement contesté, par exemple en zone littorale ou dans une bulle de déni d'accès dite A2/AD. On peut accepter de prendre un coup avec un drone, plus facilement qu'avec un aéronef habité.

Les drones évoluent dans tous les milieux.

Les drones sous-marins sont mobilisés dans le cadre du plan d'action des fonds marins. De même, l'ensemble de la chaîne de la lutte anti-mines du futur sera dronisée, du bateau de surface qui remorque le sonar à l'engin qui navigue sous la surface de l'eau.

S'agissant de l'axe des drones de surface, nous n'en sommes qu'au début. Nous discutons et échangeons sur les retours d'expérience de nos camarades étrangers, notamment américains, dont le programme de dronisation de surface très avancé a été joué pendant l'exercice Rim of the Pacific (Rimpac). Notre objectif actuel est d'affiner ce concept pour déterminer l'investissement nécessaire.

Ce travail, qui rejoint un souhait très important du ministre des armées, a été lancé par la direction générale de l'armement (DGA) dans le cadre de sa démarche « faire autrement ».

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On voit, notamment chez Naval Group, certains développements industriels dans le monde des drones océaniques. Vous semblez privilégier plutôt les essaims de drones ou des plateformes permettant d'envoyer d'autres types de drones – en tout cas, vous ne vous orientez pas forcément vers une dronisation du SNA.

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Amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine

Vous faites référence au drone sous-marin océanique (DSMO) de Naval Group, qui a étudié les perspectives d'utilisation des batteries, ou encore la manière de commander l'engin – les ondes ne passant pas sous l'eau, il faut remonter à la surface. Ce que je souhaite à l'avenir, c'est que la marine et les industriels puissent discuter dès le début de ce genre de choses, de sorte que les industriels soient informés des capacités que nous recherchons et que nous-mêmes soyons au courant des capacités qu'ils développent. Il s'agit en quelque sorte de rassembler deux approches jusqu'ici assez indépendantes.

J'en viens à votre question sur les armes à énergie dirigée. Les armes à énergie dirigée ont une place importante dans notre lutte anti-drones. Il s'agit d'atteindre ce que les Américains appellent le price per shot, c'est-à-dire de faire correspondre à chaque menace une munition d'un rapport de coût à peu près équivalent. Deux axes sont privilégiés : les lasers, sur lesquels nous avançons ; des émetteurs électromagnétiques très puissants, capables de brûler l'électronique et donc de détruire la commande du drone ou du missile à éliminer.

Madame Youssouffa, je ne reviendrai pas sur l'implication de la Marine dans le développement de nos capacités dans l'océan Indien et dans le Pacifique.

Un effort considérable a été fait pour assurer la sécurité des approches de Mayotte et lutter contre le problème très important que constitue l'immigration clandestine. Dans le cadre de cette mission menée avec la police et la gendarmerie, la Marine nationale est titulaire d'un contrat de MCO : c'est elle qui entretient pour le ministère de l'intérieur les huit intercepteurs et qui réalise des jours de mer de moyens hauturiers dans le cadre de « focus ops », des opérations « coup-de-poing ».

Des bateaux font escale dans la base navale de Mayotte mais, pour des raisons tenant à la cohérence du MCO, ils n'y sont pas attachés. Votre demande mérite d'être instruite dans une logique de politique de territoire.

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Permettez-moi d'être le relais de trois de mes collègues actuellement en mission dans l'hémicycle et de vous transmettre in extenso leurs questions.

Je commence par celles de Jean-Michel Jacques. Depuis septembre, trois drones SMDM ont été livrés sur les onze prévus jusqu'en 2023. Ces drones sont très attendus puisqu'ils offrent à la marine une allonge informationnelle et renforcent les capacités aériennes de surveillance, de détection et d'identification. Mon collègue souhaite par ailleurs revenir sur le programme Sdam, dont les premiers essais en mer ont eu lieu en mars dernier, au large de Brest, à bord d'un navire civil affrété pour l'occasion. Des démonstrations de ce système devaient ensuite avoir lieu à bord d'une frégate multi-missions (Fremm). Ont-elles déjà été organisées ? Si oui, quel est votre retour ? Si non, quand sont-elles prévues ? Pouvons-nous espérer que le calendrier sera respecté et que les premiers Sdam seront livrés à partir de 2029 ?

J'en viens à la question de Jean-Marie Fiévet. Le contexte international de ces derniers mois a entraîné un bouleversement de l'ordre mondial, entre l'accroissement des tensions autour du globe et la recrudescence des conflits sur le sol européen. La stabilité internationale est remise en question. Face à ces incertitudes grandissantes et en réponse à la crise ukrainienne, l'Union européenne a su réagir à plusieurs reprises et de manière forte : différents paquets de sanctions ont été mis en œuvre et les réponses aux besoins de souveraineté européenne tendent à se multiplier. Dans cette logique, nous constatons un renforcement de l'autonomie stratégique européenne de défense, encouragée notamment au cours des six mois de la présidence française de l'Union européenne. Toutefois, une autre organisation internationale jouant un rôle central dans la défense européenne a répondu présent pour faire face à cette crise, sortant ainsi de son état de mort cérébrale : je veux parler de l'Otan. En juin dernier, le sommet de Madrid a ainsi réaffirmé le rôle de l'Alliance atlantique dans la défense européenne. En tant que membre de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'Otan, M. Fiévet aimerait que vous dressiez un état des lieux de l'implication de la Marine nationale dans les opérations de l'Alliance.

Je termine par la question de Lysiane Métayer. Conformément à la dernière LPM, le programme des frégates de défense et d'intervention participe au renforcement de notre flotte, dans un contexte de durcissement des conflits en mer. Le site lorientais de Naval Group est chargé de construire les prochaines FDI pour la marine nationale – la première sera mise à flot en novembre prochain – et, parallèlement, pour la Grèce, avec le soutien de la France. Ces FDI seront des frégates de premier rang, fortement armées, qui assureront la supériorité de notre pays dans le domaine naval. Cependant, les besoins capacitaires de la marine en 2023-2024 ne seront pas les mêmes qu'en 2025-2026 ; c'est pourquoi la FDI a été pensée en conception ouverte, ce qui permettra d'y intégrer des incréments capacitaires. Ce sera l'occasion de renforcer le système de combat en prévoyant des missiles supplémentaires ou en luttant contre la menace asymétrique, par exemple. Pour que ces futurs standards soient d'ores et déjà intégrés à la deuxième FDI, il est nécessaire de déployer un programme à effet majeur. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les besoins de la marine dans le cadre du programme Évol'frégates ?

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Amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine

Depuis cet été, le SMDM est opérationnel sur nos patrouilleurs de haute mer (PHM) de la classe A69. Ces bateaux, mis en service il y a près de 40 ans, ont bénéficié de deux améliorations intéressantes : une liaison de données tactiques de nouvelle génération, la liaison 22, et un drone. Cela a beaucoup motivé les équipages, qui ont pu constater qu'ils restaient dans le match et qu'ils recevaient des moyens supplémentaires jusqu'au bout.

Le programme SDAM est suivi par la DGA. Les essais réalisés sur une plateforme ont permis d'en montrer tout l'intérêt mais, au moment de passer sur une frégate, le système a connu des difficultés techniques. Ce programme sera examiné dans le cadre des travaux sur la loi de programmation militaire en vue d'assurer une convergence coût-performance-délai.

Le chef d'état-major des armées nous a demandé de participer à des missions de rassurance et de signalements stratégiques de l'Otan. Pendant les premiers mois du conflit ukrainien, l'armée de l'air a plutôt évolué dans les pays baltes et en Pologne, tandis que la marine agissait depuis la Méditerranée. Ensuite, à la demande du Cema, nous avons porté nos efforts dans le soutien des opérations de l'Otan, tant et si bien que le nombre de jours passés par nos bâtiments sous la bannière de l'Otan a été multiplié par 2,5 par rapport à 2021. Tout cela se fait sans préjudice des missions nationales : lorsque nous avons besoin d'un bateau pour ce type de missions, nous en informons l'Otan et nous récupérons alors le contrôle opérationnel du bâtiment. Le reste du temps, ce dernier est intégré dans la structure de contrôle de mission gérée depuis Northwood, où 40 marins participent à l'état-major de cette composante. Depuis deux ans, MARCOM s'efforce de rendre les forces navales beaucoup plus réactives et de mieux partager le renseignement.

J'en arrive à la dernière question, relative aux FDI. Mon principal combat, depuis deux ans, est de gérer l'évolution de nos bâtiments de surface selon une logique incrémentale.

Le jour de sa mise en service, un bateau est entièrement disponible, avec un excellent niveau opérationnel. Nous savons que ce bateau verra son potentiel technique décroître jusqu'à sa rénovation à mi-vie, au bout de quinze ans : on le remontera alors jusqu'à un certain niveau, en fonction de ses capacités et des crédits disponibles. Après cette rénovation, son potentiel technique diminuera à nouveau jusqu'à sa fin de vie. Avec cette façon de faire, le bateau n'aura pas été au plus haut niveau de performance pendant presque la moitié de sa vie. En passant à une logique incrémentale, nous voulons transposer à la marine la pratique remarquable du secteur aéronautique, où, comme le programme Rafale a su le faire, la plateforme et le système d'armes progressent à raison d'une évolution majeure tous les cinq ans. Stimulés par la technique des jumeaux numériques, nous allons pouvoir, avec le Centre Support de la Donnée Marine et les acteurs industriels, concevoir quasiment en continu des évolutions logicielles pour les bateaux, qui permettront d'améliorer la performance des capteurs, du système d'armes, et d'intégrer les évolutions en matière de combat collaboratif ainsi que des drones… Tout cela améliorera la rentabilité des crédits de défense et rendra moins risqués les développements initiaux des grandes plateformes.

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Amiral, je vous remercie d'avoir répondu à nos questions avec la chaleur, la rigueur et la sincérité qui vous sont habituelles.

Il y a une dizaine de jours, j'ai visité l'arsenal de Rochefort, créé en 1666 par Louis XIV, qui a vu la construction de nombreux bateaux et de nombreuses frégates. Je me suis rendu aux ateliers de L'Hermione, même si le navire se trouve actuellement à Bayonne pour y être réparé – c'est le bateau qui a permis à La Fayette de gagner les États-Unis d'Amérique. C'était ma façon de rendre hommage à la Marine.

La séance est levée à douze heures trente-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Pierrick Berteloot, M. Yannick Chenevard, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Jean-Michel Jacques, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Lysiane Métayer, Mme Josy Poueyto, M. Julien Rancoule, M. Aurélien Saintoul, Mme Isabelle Santiago, M. Jean-Louis Thiériot

Excusés. - M. Julien Bayou, M. Christophe Blanchet, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Olivier Marleix, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Valérie Rabault, M. Fabien Roussel, M. Mikaele Seo, M. Bruno Studer, Mme Mélanie Thomin

Assistait également à la réunion. - Mme Estelle Youssouffa