Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 12 décembre 2018 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • bitcoin
  • blockchain
  • technologie
  • échange

La réunion

Source

Co-Présidence

La commission examine, conjointement avec les commissions des affaires économiques et des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, le rapport de la mission d'information commune sur les usages des bloc-chaînes (blockchains) et autres technologies de certification de registres (Mme Laure de La Raudière et M. Jean-Michel Mis, rapporteurs).

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En janvier dernier, la commission des affaires économiques, la commission des finances et la commission des lois ont décidé de la création d'une mission d'information commune sur les usages des chaînes de bloc ou blockchains et autres technologies de certification des registres et c'est son rapport, que ses membres ont adopté hier, que nous examinons aujourd'hui.

La commission des finances suit ces questions avec une attention toute particulière. Le 18 avril dernier, le président de cette mission, M. Julien Aubert, et les rapporteurs, Mme Laure de La Raudière et M. Jean-Michel Mis, sont venus nous présenter leurs objectifs et leur programme de travail.

Notre commission s'est saisie de l'une des applications déjà bien concrètes des blockchains que sont les crypto-actifs, désignés sous le terme de monnaies virtuelles et souvent réduits aux bitcoins. Compte tenu des nombreux enjeux entourant cette question, la commission a décidé de créer une mission d'information dont M. Pierre Person est le rapporteur et que je préside. Ses travaux ont été interrompus par l'activité de la période budgétaire, mais elle devrait pouvoir présenter prochainement ses conclusions.

À l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, nous nous sommes penchés sur un aspect particulier des crypto-actifs : leur fiscalisation. Le dispositif retenu est celui d'une imposition des gains réalisés à titre occasionnel par les particuliers lors de la cession de crypto-actifs selon un régime sui generis consistant en un taux global d'imposition de 30 %, correspondant au prélèvement forfaitaire unique, après application d'un abattement et d'une franchise de 305 euros.

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La commission des affaires économiques se saisit régulièrement de questions ayant trait au numérique. Elle s'est ainsi penchée sur la neutralité d'internet, l'écosystème numérique français, les objets connectés et la couverture numérique du territoire. Ces missions et rapports ont deux points communs : ils font oeuvre de pédagogie sur des sujets méconnus du Parlement, qui renvoient à des mécanismes très complexes de régulation ; ils mobilisent toujours notre collègue Laure de La Raudière que je remercie pour ses contributions et interventions au même titre que d'autres membres de notre commission spécialistes du numérique.

Le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, dit « PACTE », a permis des avancées en matière de régulation des blockchains et plus particulièrement des crypto-actifs, grâce notamment à un groupe de députés, des « crypto-députés » pourrait-on dire, ayant travaillé de manière transversale et transpartisane, notamment pour convaincre le Gouvernement. Je me félicite que, dans le cadre de ce projet de loi, nous ayons réussi à trouver un équilibre, toujours délicat à établir, entre régulation et liberté, porteuse d'innovation.

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Je suis toujours ravie lorsque nos commissions oeuvrent ensemble. Il est intéressant de pouvoir partager nos différentes expertises sur des sujets transversaux comme les blockchains. Le droit est quelque chose de souple qui doit s'adapter et accompagner les évolutions technologiques et non pas les freiner. À cet égard, il était important que la commission des lois soit associée à ce type de mission. Je remercie M. Jean-Michel Mis, membre de notre commission, ainsi que Mme Laure de La Raudière et M. Julien Aubert, pour l'excellent travail qu'ils ont effectué dans le cadre de cette mission.

L'usage des blockchains pourrait affecter les conditions d'exercice de certaines professions juridiques réglementées comme les notaires et les avocats. Il a en effet un impact sur la certification ou la transmission de certains actes juridiques. Notre commission a toujours à coeur d'accompagner l'élaboration d'un cadre juridique adapté au développement des nouvelles technologies et de permettre à l'État de se doter d'une stratégie adéquate. Le Parlement a toute sa place dans cette réflexion.

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Je préciserai simplement l'organisation de la réunion : le président et les rapporteurs de la mission d'information disposent chacun de dix minutes de temps de parole, les orateurs des groupes de trois minutes et chaque orateur d'une minute.

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Je vous remercie, chers collègues, d'être venus à cette triple réunion pour vous pencher sur le sujet des blockchains qui peut apparaître opaque. Vous avez feuilleté le rapport et découvert qu'il existait des hard forks et des soft forks, et vous vous êtes sans doute demandé ce qu'étaient ces fourchettes dures et ces fourchettes molles. Vous avez aussi lu le mot « contrats intelligents » et vous vous êtes rendu compte qu'il ne s'agissait pas de contrats et qu'ils n'avaient rien d'intelligent. Lorsque le Parlement s'intéresse à un sujet éminemment technologique, nous courons toujours le risque de nous sentir perdus et d'oublier les raisons pour lesquelles nous pouvons légitimement de nous saisir de ce genre de questions.

Cette mission s'est heurtée à un premier écueil : présenter cette technologie en termes simples, permettant à nos concitoyens d'en comprendre les enjeux, notamment politiques, et d'en tirer quelques conclusions.

Face à cette technologie annoncée comme une révolution de la même ampleur que celle d'Internet, le parlementaire ne peut que se demander si elle ne représente pas une menace susceptible d'accroître le fossé numérique qui sépare la France qui bénéficie des avantages de la mondialisation et de la French Tech de celle qui se plaint de ne même pas avoir de téléphone fixe – je ne caricature pas –, ou au contraire si elle constitue une occasion de rattraper le retard de certains territoires.

J'ai présidé cette mission en me servant de trois fils rouges.

Le premier consiste à évaluer l'impact de cette technologie : comment y voir clair ? Qui croire entre ceux qui vous disent que c'est une révolution technologique et ceux qui affirment que cela ne va pas bouleverser le monde ? Mes collègues rapporteurs vous expliqueront plus en détail en quoi consistent les chaînes de blocs mais, globalement, il s'agit d'un système qui permet d'enregistrer des données et de faire valider des informations ou des transactions par l'ensemble des partenaires de la chaîne qui contribuent à créer des blocs d'informations. Cela garantit transparence et fiabilité grâce à une forte traçabilité. Certains estiment que cette technologie va se substituer à toute une série d'acteurs, notamment des acteurs de plateforme, puisque les tiers de confiance ne seront plus nécessaires ; d'autres affirment qu'il est possible de la digérer en modernisant les processus actuels.

Le deuxième fil rouge concerne les attentes sociales. Qu'est-ce que cela implique pour nos concitoyens qui ne connaissent généralement cette technologie que par son utilisation pour les monnaies virtuelles ? Peut-elle répondre à la demande d'une plus grande traçabilité ? Les chaînes de blocs seraient-elles une plus-value pour les Français qui veulent savoir ce qu'ils mangent et être certains qu'à aucun moment le circuit de l'approvisionnement n'a été interrompu ? Quel est son apport pour la sécurisation des transactions économiques ? Nous devons aussi nous demander si ces solutions technologiquement prometteuses ne sont pas réservées à quelques-uns et si elles se diffuseront dans les mêmes proportions qu'Internet.

Le troisième fil rouge renvoie aux conséquences sociales et politiques, et c'est là que le Parlement a le plus à débattre. Certains intermédiaires pourraient disparaître, et cette fois-ci ce ne sont pas des emplois peu qualifiés qui seraient touchés, comme on le croyait avec la robotisation, mais des emplois hautement qualifiés. J'ai été en partie rassuré par les acteurs eux-mêmes, notamment les représentants des notaires. Ils ne donnaient pas l'impression de se considérer comme des dinosaures juste avant l'ère glaciaire. Cette technologie n'en est qu'à ses premiers balbutiements. Ceux qui l'utilisent font preuve de détermination, mais ils versent aussi dans la divination en s'affirmant certains que le monde sera dominé par les chaînes de blocs dans vingt ou trente ans. Nous ne sommes pas à l'abri d'erreurs d'appréciation. Il faut donc faire preuve d'humilité et de prudence.

Derrière les artifices techniques, sur lesquels il ne convient pas de s'appesantir, il faut se demander quelle société vont dessiner les chaînes de blocs. Rappelons que ceux qui les ont utilisées pour créer des monnaies virtuelles sont animés de convictions idéologiques fortes : s'affranchir des États et des banques centrales pour laisser libre cours à l'offre et à la demande, c'est sous-entendre que l'État n'a plus sa place dans les processus économiques. Cet outil peut-il être détaché de l'idéologie qui l'a généré pour être mis au service de l'intérêt général et d'une politique régalienne ? Le sous-titre du rapport le dit bien, il s'agit d'un enjeu de souveraineté. Le Parlement doit se poser ces questions, sachant qu'il pourrait lui-même un jour être remplacé par ces technologies, qui sait ?

Nous sommes toutefois confrontés à un inconvénient de taille pour l'organisation d'un débat citoyen. Les termes ont été pensés en anglais par des spécialistes et ils sont difficilement traduisibles. Ainsi smart contract est un faux ami : il ne peut avoir pour équivalent « contrat intelligent » puisqu'il s'agit d'un algorithme. La seule critique que je ferai à ce rapport, c'est ce recours aux termes anglais. Je considère que le Parlement doit écrire en français. Nous devrons faire un travail de vulgarisation pour que les Français puissent comprendre tous les enjeux de cette technologie.

Il me reste à remercier les rapporteurs de cette mission d'information, Laure de La Raudière et Jean-Michel Mis, avec lesquels j'ai eu beaucoup de plaisir à travailler. Les trois questions les plus intéressantes de leur rapport sont les suivantes, selon moi : faut-il battre monnaie virtuelle ? L'État peut-il expérimenter une technologie de chaîne de blocs ? Si oui, dans quels domaines : l'état civil, la sécurité alimentaire ? Enfin quelle stratégie doit suivre l'État en matière fiscale ?

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Pour notre rapport, nous nous sommes fixé trois objectifs. Il s'agissait d'abord de comprendre la technologie des blockchains, si ardue soit-elle. Cela nous semblait un préalable indispensable pour éviter de prendre des décisions qui se révéleraient être des erreurs à terme. Il s'agissait ensuite de comprendre les impacts que les blockchains ont en matière sociale, économique et politique. Il s'agissait enfin de se demander quelles actions peut mener la France en ce domaine. Pour avoir des réponses, nous avons travaillé pendant onze mois, avons effectué une quarantaine d'auditions et nous sommes déplacés en Suisse.

J'aimerais préciser ici que si nous utilisons des termes anglais, ce n'est pas par souci de faire moderne. La plupart n'ont pas encore trouvé d'équivalents en français, et si nous les traduisions littéralement, cela exposerait à des problèmes de compréhension. Le président Julien Aubert a déjà cité la notion de « contrat intelligent » pour smart contract, qui ne correspond pas à une notion juridique claire.

Je m'attacherai ici à vous présenter la technologie sur laquelle reposent les blockchains en essayant d'allier concision et simplicité.

Une blockchain est un registre, une grande base de données qui a la particularité d'être partagée simultanément avec tous ses utilisateurs, tous également détenteurs de ce registre, et qui ont également tous la capacité d'y inscrire des données selon des règles spécifiques fixées par un protocole informatique très bien sécurisé grâce à la cryptographie. On dit parfois que c'est comme un grand livre de comptes mis à jour en temps réel, détenu et consulté par un grand nombre de personnes, et non plus par un seul tiers de confiance. Il n'y a pas d'autorité de contrôle centralisée, ce qui est une caractéristique très importante.

Les transactions ou les informations échangées entre les utilisateurs du réseau sont regroupées sur des blocs horodatés. Irréversiblement liés les uns aux autres, ils forment une chaîne : la blockchain. Les écritures enregistrées sur ce bloc et sur tous ceux qui le précèdent sont inaltérables et infalsifiables. Elles sont garanties non par un tiers de confiance, qui peut tenir un registre ou la base de données centralisée pour contrôler les fraudes, mais par le fonctionnement même du réseau informatique et des règles cryptographiques qui y sont attachées.

Nous voyons à quel point cette innovation technologique peut constituer une rupture dans les échanges certifiés entre les entreprises.

Les blockchains se sont historiquement développées pour soutenir des transactions réalisées sous une nouvelle forme de moyens de paiement, appelée cryptomonnaie. Lorsqu'un utilisateur X inscrit sur la blockchain une transaction en bitcoins vers l'utilisateur Y, celle-ci est réalisée avec rapidité et sécurité et sans possibilité de fraude. Cela permet de transférer la propriété de l'argent sans passer par l'intermédiaire d'une banque. C'est la communauté des utilisateurs et le fonctionnement cryptographique du réseau qui garantissent l'efficacité du système.

Autre exemple d'application : une université peut recourir à la blockchain pour enregistrer les diplômes d'un étudiant. Cette technologie permet en effet de certifier très précisément quand un diplôme a été délivré, à qui et à quel titre, sans possibilité de falsification et de façon beaucoup plus efficace que les méthodes actuelles. C'est la fin des copies conformes des documents administratifs, avec les longues démarches qu'elles impliquent. Le document de base, authentifié par un tiers de confiance – qui continuerait à jouer un rôle – serait mis dans la blockchain et tout le monde pourrait y accéder selon les besoins.

Nous sommes bien conscients toutefois que cette technologie n'en est qu'à ses débuts et qu'elle pose plusieurs problèmes, dont celui de la consommation d'énergie – M. Jean-Michel Mis y reviendra.

Pour finir, j'évoquerai très rapidement les deux principaux types de blockchains : les blockchains ouvertes auxquelles tout le monde peut avoir accès et les blockchains privatives fermées, qui regroupent un petit nombre d'acteurs qui se mettent d'accord pour instaurer une gouvernance partagée. Elles présentent toutes les deux des avantages mais il est certain que la blockchain ouverte a un potentiel plus important, à l'instar d'internet par rapport à un réseau privatif.

La blockchain est en quelque sorte un réseau de valeurs – on transfère des propriétés, des documents certifiés – alors qu'internet est le réseau des échanges.

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La mission a travaillé dans une forme de neutralité intellectuelle vis-à-vis de la technologie – ni idolâtre, ni moqueuse. Je vais évoquer ses aléas et perspectives de perfectionnement. Nous n'entendons éluder aucun questionnement autour d'un procédé engendrant des usages inédits. De fait, suivant le type de protocoles, le rapport souligne que les blockchains présentent encore les signes d'une relative immaturité. Bien des projets peinent à franchir le stade du concept expérimental.

L'état de la technique invite à s'interroger, en premier lieu, sur les capacités techniques et la sécurité des protocoles. S'agissant des capacités techniques, la question posée est d'abord celle du stockage et du traitement des transactions inscrites sur une blockchain. Prenons l'exemple du bitcoin : les transactions enregistrées représentent aujourd'hui plus de 200 gigaoctets, soit l'équivalent d'une soixantaine de longs-métrages en haute définition. Or, chacun comprend qu'une éventuelle démultiplication des transactions réalisées avec ce crypto-actif appelle nécessairement une extension des données traitées et conservées dans le réseau. Cette évolution ne peut rester sans conséquence sur la gestion d'une telle blockchain.

En l'état de la technique, il pourrait être difficile à certains acteurs d'être un noeud de réseau du fait de la puissance de calcul nécessaire à la validation de milliers de transactions et de la mémoire requise pour stocker plusieurs téraoctets de données. Cette incertitude conduit d'ailleurs certains observateurs à se demander si un réel modèle distribué et décentralisé de gouvernement demeure viable à mesure que le réseau s'accroît. Certains n'écartent pas la possibilité que quelques acteurs puissent acquérir, dans certaines circonstances, un pouvoir de décision sans le consentement de l'ensemble des acteurs le contrôle d'une blockchain.

S'agissant de la sécurité, je salue le travail réalisé par l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST), ici représenté par son premier vice-président, M. Cédric Villani, et par sa rapporteure, Mme Valéria Faure-Muntian. Ce rapport souligne que, suivant les spécifications des protocoles, des attaques informatiques peuvent remettre en cause l'immutabilité des données et la protection contre les « doubles dépenses ». On citera l'exemple de l'attaque des 51 % : un acteur peut, au moins temporairement, valider des blocs non conformes – voire réécrire des transactions, dès lors qu'il possède une puissance de calcul suffisante.

Ce cas de figure n'est pas théorique puisque le bitcoin gold a été victime d'une attaque. Toutefois, il ressort de l'expérience de ces derniers mois que la vulnérabilité des blockchains réside souvent moins dans les protocoles eux-mêmes que dans les outils et les procédures qui en permettent l'exploitation. Je pense ici aux plateformes d'échanges de crypto-actifs, aux clés privées dont le stockage est mal sécurisé, aux contrats intelligents mal codés.

En second lieu, il convient d'évoquer les enjeux qui s'attachent à la consommation d'énergie de certaines blockchains. D'après les estimations le plus souvent reprises, l'énergie électrique nécessaire au fonctionnement du bitcoin serait comprise entre 25 et 40 térawattheures (TWh) par an, ce qui équivaut à la consommation du Danemark en 2017.

En l'état, la technologie présente donc potentiellement un caractère énergétivore. Cela étant, la consommation d'énergie tient d'abord aux modalités de validation des transactions propres à chaque type de blockchain. La question se pose en particulier pour les protocoles dont le consensus fait appel à la « preuve de travail ». Mais d'autres projets ouvrent la perspective du développement d'autres modes de consensus – telle la « preuve d'enjeu » – moins consommateurs d'énergie.

C'est dire que la technologie des blockchains évolue sans cesse. Au-delà d'un perfectionnement des protocoles, il ne paraît pas déraisonnable d'estimer que demain, les recherches en cours permettront de résoudre des problèmes qui en limitent actuellement l'exploitation.

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Le recours aux blockchains ouvre la perspective d'un possible renouvellement des organisations, des relations économiques et de travail, ainsi que des habitudes de consommation. Cet effet disruptif va bien au-delà de l'usage des crypto-actifs ou des cryptomonnaies.

Nous croyons en effet que l'usage des jetons, ou tokens, peut contribuer à offrir de nouvelles modalités de financement de l'innovation, dans le cadre des Initial Coin Offerings (ICO) qui ont fait l'objet de débats lors de l'examen du projet de loi « PACTE ». En outre, il ne parait pas non plus hors de propos d'imaginer par ce biais de nouveaux modes d'échanges de biens et de services, ainsi qu'une nouvelle distribution de la chaîne de valeurs. Sans aller jusqu'à envisager à court ou moyen terme une « tokenisation » de l'économie, quelques exemples soulignent qu'il se passe sans doute quelque chose avec la blockchain – qui ne saurait être réduite aux aléas des cours du bitcoin.

Dans le secteur de la banque, la technologie ouvre, par la désintermédiation qui la caractérise, la possibilité de valider des transactions sans l'intermédiaire d'une chambre de compensation. Dès lors, les blockchains devraient permettre de certifier des opérations dans des délais beaucoup plus courts. Les protocoles peuvent aussi favoriser le partage d'informations entre acteurs concurrents d'une place financière dans le respect du secret de leurs données commerciales. Ce faisant, la technologie facilite la gestion de structures ou d'instruments communs en réduisant les coûts de contact et les frais d'administration. Ainsi, la blockchain MADRE, protocole expérimental développé à l'initiative de la Banque de France, est destinée à faciliter la gestion des identifiants créanciers de l'espace unique de paiement en euros – Single Euro Payments Area (SEPA) – entre les banques commerciales. Cela permettrait de gagner deux jours sur la validation des identifiants SEPA dans une nouvelle banque.

Dans le secteur de l'assurance, l'apport de la blockchain tient à l'automatisation des procédures d'indemnisation et à l'allégement de certaines formalités à la charge des sociétés comme de leurs clients, du fait de l'utilisation de smart contracts. Ces programmes informatiques permettent d'appliquer des clauses convenues sans intervention humaine, sous réserve que les hypothèses et les conditions d'indemnisation et de préjudice soient clairement établies. Ainsi, l'offre Fizzy, commercialisée par Axa, propose à ses assurés un remboursement en cas de retard d'avion. Un tiers de confiance – les aéroports en l'occurrence – certifie le retard de l'avion, et le client est automatiquement indemnisé du préjudice subi. L'intérêt est commercial, mais l'entreprise gagne aussi en efficacité et le client n'a plus de démarches à effectuer. Ce processus est généralisable dès que l'on peut automatiser la transmission de l'élément déclencheur du contrat.

Dans le secteur de la logistique, la blockchain présente deux intérêts : d'une part, assurer une traçabilité des produits, ainsi que la mémoire des interventions des différents intervenants d'une chaîne de production et de distribution ; d'autre part, alléger des formalités et créer les conditions d'une coopération entre les acteurs d'une filière, notamment en matière d'échange d'informations. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la société Komgo SA a été créée en Suisse en août 2018. Dans le secteur du négoce des matières premières, Komgo SA propose une plateforme digitalisée de négoce à une quinzaine d'entreprises essentielles de ce secteur, permettant la vérification de l'identité des clients, un échange crypté de documents sans base de données centrale, ce que permet la technologie de la blockchain – les acteurs, concurrents, ne souhaitant pas partager leurs données –, ainsi qu'une lettre de crédit digitale, en remplacement des lettres de crédits documentaires.

Dans le secteur énergétique, vous aurez sans doute entendu parler de l'expérimentation menée à New York depuis avril 2016, à l'initiative de Transactive Grid. Un micro-réseau de production et de distribution d'électricité a été mis en place à l'échelle de quelques rues, grâce aux énergies renouvelables et à l'usage d'un protocole Ethereum. En autorisant l'échange de services et de valeurs en dehors d'une instance de gestion centrale, la blockchain crée potentiellement les conditions de la mise en place – à une plus ou moins grande échelle suivant les capacités techniques – de réseaux locaux de production, d'échange et de revente d'énergie.

Cet inventaire ne prétend pas à l'exhaustivité. Je me contenterai pour finir d'évoquer la sphère des services publics, car la blockchain est un possible levier de rationalisation des organisations et de modernisation des conditions d'exercice de leurs compétences. Actuellement, le Honduras réfléchit à la bascule de la tenue de son cadastre sous blockchain, afin de faciliter la transmission de propriété.

Dans le même ordre d'idées, l'identité numérique permettrait aux citoyens de certifier et d'authentifier directement leurs échanges, d'échanger des documents rendus infalsifiables – diplômes, comptes d'une entreprise, etc. Dans le domaine administratif, le potentiel est immense… En conséquence, même si la technologie n'est pas encore « mûre », même si les cas d'usage sont encore au stade de concepts, il faut que la France prenne de l'avance sur cette technologie. Il s'agit de mettre en place une infrastructure de base, essentielle pour les développements économiques et administratifs de demain. Il serait dommage qu'elle soit maîtrisée par d'autres que la France ou les Européens, comme c'est malheureusement le cas pour internet.

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Pour terminer, nous souhaitons présenter le cadre réglementaire, financier et fiscal qui permettrait aux entreprises innovantes et recourant aux blockchains se développant en France d'être compétitives et de prendre des parts de marché à l'international. Je ferai l'impasse sur le projet de loi « PACTE » et les ICO. Vous pourrez vous référer au rapport sur ces deux sujets. Il faut aussi que ce cadre permette à la France d'être attractive pour que des activités économiques liées aux blockchains choisissent de s'y installer.

La régulation d'un secteur, d'une technologie ou d'un écosystème est d'autant plus délicate que l'innovation autour des blockchains est fortement évolutive et peu maîtrisable.

En tant que députés, comment devons-nous réagir et intervenir ? Une régulation trop forte tuerait l'innovation en France, qui se réfugierait dans des pays limitrophes comme la Suisse. Une régulation trop faible serait inutile : dans le cas des crypto-actifs, il y va pourtant de la protection des investisseurs et de la lutte contre les activités criminelles, car les bitcoins, par exemple, ne sont pas exempts de risques financiers importants. En outre, et c'est un dilemme bien connu dans le milieu numérique, la régulation est souvent rapidement dépassée, alors même qu'elle est fréquemment réclamée par les acteurs économiques concernés qui sont à la recherche de sécurité juridique pour développer leurs activités.

Une façon de sortir de ces dilemmes de l'intervention publique est de produire une régulation d'avance de phase : construire un cadre réglementaire expérimental, au périmètre borné, mais permettant de créer librement pour accélérer le développement de l'écosystème. Cette logique de bac à sable doit cependant être complétée par un cadre stable et sécurisant. Elle se couple, en France, au recours de plus en plus systématique à des consultations auprès de l'ensemble des acteurs concernés, par l'État ou les autorités régulatrices. C'est ainsi qu'ont été rédigées les ordonnances relatives aux minibons, ou le projet de loi « PACTE » s'agissant de la régulation des émissions de jetons. Cette démarche est essentielle à la bonne compréhension par l'ensemble des parties prenantes des enjeux et des solutions.

Le cadre que nous proposons repose sur trois piliers : la sécurisation des émissions de jetons grâce au projet de loi « PACTE » ; l'adaptation de la réglementation bancaire et fiscale grâce au projet de loi de finances ; la mise à disposition de moyens financiers et techniques publics suffisants et durables pour soutenir l'émergence et le renforcement de l'écosystème français des blockchains, notamment grâce au troisième programme des investissements d'avenir (PIA 3).

Pour que l'écosystème des blockchains puisse se développer en France, les pouvoirs publics ont une responsabilité : pas uniquement proposer un cadre juridique, bancaire et fiscal attractif, mais également des soutiens budgétaires publics ciblés sur cet écosystème. Des outils particulièrement efficaces, comme les programmes des investissements d'avenir (PIA) ou le Grand Plan d'investissement (GPI), permettent aux opérateurs que sont Bpifrance ou la Caisse des dépôts et consignations (CDC) d'investir durablement dans les entreprises des blockchains.

Le Fonds pour l'innovation dans l'industrie (F2I), ex-Fonds pour l'innovation de rupture, pourrait aussi être utilement mis à contribution pour prendre des participations dans des start-ups prometteuses des blockchains. Cela serait d'ailleurs compatible avec la politique d'investissement de l'État dans les principaux secteurs d'innovation stratégique : les solutions liées aux blockchains convergent avec l'économie de la donnée – notamment le big data –, l'internet des objets ou l'intelligence artificielle. Nous appelons de nos voeux une reconnaissance rapide de la blockchain comme secteur stratégique pour la France, afin qu'elle devienne réellement – et non seulement formellement – une blockchain nation.

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Avant de donner la parole aux représentants des groupes, j'ai une question. Le besoin de régulation est évident. Il est question de « chaîne de distribution » – on distribue l'enregistrement d'un certain nombre de données – afin d'éviter une forme de centralisation. Mais cela n'empêche pas la concentration, comme celle des fermes de minage en Chine par exemple, qui peut poser des risques de manipulation du système. Cela relève-t-il du mythe, ou est-ce bien réel ?

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Je tiens à remercier M. Julien Aubert, Mme Laure de La Raudière et M. Jean-Michel Mis pour leur travail collaboratif sur un sujet à la fois prometteur et complexe, dont les enjeux sont considérables.

Ce sujet doit nous rassembler autour d'une même volonté : faire de la France un territoire propice à l'innovation et transformer l'action de l'État pour des services publics plus transparents, plus simples, plus efficaces et plus proches des besoins, sans oublier le citoyen.

Favoriser l'innovation, c'est être en mesure d'apporter, par la sécurité juridique, de la confiance aux investisseurs, aux développeurs et aux utilisateurs. Nous avons récemment initié ce chantier par l'adoption du cadre juridique de la levée de fonds par jetons dans le projet de loi « PACTE ».

Mais il faudra aller plus loin. Comme le préconisent les rapporteurs, il est indispensable de mener une revue des normes pouvant aider ou freiner le recours à la technologie blockchain. Ainsi, en droit des obligations, notre logique contractuelle est-elle applicable à l'exécution automatisée et déterministe d'un contrat intelligent ? Et qu'en est-il du règlement des différends, dès lors que rien ne garantit qu'une information inscrite sur la blockchain soit vraie ? S'agissant du cadre harmonisé de la protection des données personnelles, le droit à l'oubli – qu'il consacre – n'est-il pas contraire au caractère immuable des informations contenues dans la blockchain ?

Ces réflexions doivent nous faire prendre la mesure des révolutions sociétales que pourraient induire les technologies de chaînes de blocs à terme et nous inciter à accélérer la dématérialisation, afin d'améliorer l'action publique au service des citoyens. C'est le choix opéré par l'Estonie : dès 2009, elle a développé une infrastructure cryptographique de type blockchain, appelée KSI – pour Keyless Signature Infrastructure – sur laquelle reposent les échanges de données entre ses administrations. Dans quels cas d'usage le recours à la blockchain serait-il pertinent pour la digitalisation de nos services publics ? J'aimerais connaître l'avis des rapporteurs sur ce point, en particulier au regard des enjeux soulevés par nos collègues de l'OPECST – consommation énergétique, montée en charge et cyberattaques.

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Je remercie le président et les rapporteurs de la mission d'avoir travaillé sur ce sujet, qui est une véritable curiosité – c'est le mot que vous employez. Cette technologie n'est pas simple à appréhender et connaît un niveau de maturité très variable, voire une forme d'immaturité. Notre responsabilité est donc importante : il s'agit de faire connaître cette technologie, de la rendre accessible et de faciliter sa compréhension par les uns et les autres.

Notre responsabilité est d'abord de ne pas créer de fracture trop importante vis-à-vis de nos concitoyens : ce sujet est difficile à appréhender et l'utilisation de mots anglais ne simplifie pas les choses. Madame la rapporteure, j'ai entendu vos explications. Mais il serait important de réfléchir à une traduction qui ait du sens.

Vous faites vingt propositions, c'est très ambitieux ! Ma première question concerne l'impact de cette nouvelle technologie sur la protection des données personnelles : j'ai entendu la nécessité de rapidité et le fait qu'il s'agissait de processus non centralisés – c'est l'objectif. Dans ce cadre, comment organiser la protection des données personnelles ?

Des dispositifs de cette nature peuvent-ils diminuer les risques de fraude – vous avez parlé d'activités criminelles, monsieur le rapporteur – ou sont-ils au contraire de nature à favoriser les fraudes ? Nous devons nous poser la question car, au stade des expérimentations, nous n'avons pas encore une connaissance précise des usages.

Le président de la commission des finances vous a par ailleurs interrogés sur les risques de concentration : comment ces nouveaux dispositifs s'articulent-ils avec notre droit de la concurrence ? N'existe-t-il aucun risque d'entente ?

Enfin, comment l'Union européenne s'est-elle saisie de ces questions ? Existe-t-il déjà une politique ou des normes européennes ? Un partenariat européen est-il envisageable sur une telle thématique ?

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Le sujet est passionnant et je remercie le président et les rapporteurs pour la qualité de leur travail. Toutefois, on s'intéresse ici beaucoup au contenant, mais le passage du contenant aux contenus et les risques potentiels que cela peut générer m'inquiètent plus : la confidentialité et la moralité seront-elles garanties ? Comment gérer ce passage ?

En outre, la commission des finances s'intéresse beaucoup au consentement à l'impôt. Comment intégrer ces nouvelles techniques ? Dans le cadre du projet de loi de finances, le président Woerth a proposé un amendement permettant d'appliquer le prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % à certaines de ces transactions. Êtes-vous favorables à cette évolution fiscale ?

Le projet de loi « PACTE » prévoit quant à lui la création d'un agrément volontaire pour les plateformes d'échanges de crypto-actifs et les autres prestataires de services d'actifs numériques. Cette régulation vous semble-t-elle suffisante ? Quel mode de déclaration s'applique et de quels outils de contrôle dispose l'État ? Comment la cybersécurité peut-elle s'appliquer aux blockchains ? Le ministère de la défense suit-il ce dossier dans le cadre de la cyberdéfense ? La présence du tiers de confiance est essentielle pour effectuer les contrôles entre contenant et contenu. Mais la technique ne va-t-elle pas s'emballer et créer un problème de fond concernant la nature des échanges ?

Les législateurs que nous sommes doivent prévenir les dérapages ou les dérives que pourrait entraîner une technologie qu'on ne maîtrise plus.

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Je tiens à remercier à mon tour le président et les rapporteurs de la mission pour avoir travaillé sur un sujet que peu de personnes s'approprient actuellement. La blockchain est une technologie curieuse mais révolutionnaire, qui bouleverse le domaine de la cryptographie et de la sécurisation des transactions et des données. Par sa nature à la fois informatique, transnationale et décentralisée, la blockchain va susciter des problématiques évidentes de gouvernance et de contrôle. L'absence de tiers de confiance ou d'autorité régulatrice pose la question de la responsabilité des acteurs en cas d'incident, de bug informatique ou de piratage, et du préjudice éventuel en résultant pour une banque, un assureur ou une entreprise. Quel devra être le rôle des États en matière de contrôle et de protection de ces données ?

La blockchain présente également des enjeux en ce qui concerne les monnaies virtuelles, telles que le bitcoin. Ces monnaies connaissent un certain essor mais qui demeure finalement limité en raison de la forte volatilité de leurs cours. Quelles sont les évolutions attendues dans le domaine des monnaies virtuelles afin qu'elles acquièrent un caractère fiduciaire ?

Enfin, la blockchain requiert la mobilisation de puissances de calcul considérables et donc de matériel informatique et de serveurs en très grand nombre. Internet représente déjà autant de consommation d'énergie que le transport aérien à l'horizon 2025, autant que le transport routier. Quelle peut être la viabilité énergétique d'un monde régi par la blockchain au regard de cette contrainte structurelle ?

Je souhaite également vous interroger sur le programme-cadre de recherche et développement technologique (PCRDT) européen Horizon 2020, visant à développer un pôle d'innovation numérique en Europe, et qui pose la question de la part de la blockchain dans l'agenda européen. A-t-on intégré à ce stade des innovations blockchain à ce projet ?

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Je m'associe aux remerciements adressés au président et aux rapporteurs.

Vous touchez un sujet passionnant, celui de l'évolution du fonctionnement de notre société et de la révolution des échanges. Cela me fait penser à la théorie actuellement défendue par certains économistes selon lesquels nous sommes en train de vivre une nouvelle révolution technologique et industrielle, la révolution de l'algorithmie, qui va bouleverser l'ensemble de nos usages. Je dialoguais il y a peu avec un économiste qui me disait que nous nous posions aujourd'hui des questions de mobilité avec vingt ans de retard car, dans vingt ans, la question ne se posera plus : l'algorithmie aura tellement révolutionné l'ensemble des usages que les trajets entre domicile et lieu de travail n'existeront plus.

Ces évolutions technologiques vont très vite, souvent trop vite pour la sphère publique. Je rejoins votre proposition selon laquelle l'État doit se saisir de ces évolutions, en être le pilote, le porteur, et les faciliter, notamment pour révolutionner nos administrations publiques. J'ai à l'esprit le fameux « coffre-fort numérique » dont pourrait être doté chaque citoyen et qui faciliterait à la fois les relations entre citoyens et administrations et celles entre les différentes administrations.

J'ai entendu les interrogations du rapporteur sur les investissements nécessaires en termes de serveurs et de supercalculateurs, et l'ensemble des consommations énergétiques que cela représenterait, mais je suis convaincue qu'il faut savoir investir pour réaliser des économies de dépenses publiques. Nous tenons là une piste majeure d'économies dans l'organisation de nos administrations. Quel est votre avis sur ce point ?

Mme Louwagie a posé une question sur la protection des données personnelles. La propriété de la donnée numérique est un véritable sujet, eu égard aux développements du big data. Le fait que cette question ne soit pas encore complètement réglée empêche certaines évolutions, car elle freine le partage de données. Quel régime de la donnée prévoit-on pour la blockchain ? Quelles sont vos propositions pour des évolutions en la matière ?

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J'aimerais connaître votre avis sur le souhait obsessionnel de s'affranchir de tiers de confiance que sous-entend l'usage de la blockchain, et qui pose la question politique de la confiance au sein de la société et de la confiance en la société et ses institutions, depuis l'entreprise jusqu'à l'État. Il y a derrière cette conception de la blockchain une vision du monde où le collectif et la gouvernance démocratique sont regardés comme dangereux et nuisibles, où l'on considère qu'une société parfaite est une société d'individus passant des contrats automatisés par un code informatique. L'utopie d'un marché universel sans intermédiaire, libre et non faussé, est au centre de cette vision. C'est une idéologie où l'on préfère la confiance dans les algorithmes aux relations humaines et à leurs aléas. Je voulais simplement toucher du doigt cette dimension, sans pour autant repousser le progrès que peuvent apporter ces technologies.

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Je remercie à mon tour le président Julien Aubert et les rapporteurs pour ce rapport d'information.

Vous l'avez souligné, les acteurs économiques se penchent de plus en plus sur la blockchain, pour différentes raisons. Elle permet dans un premier temps d'augmenter la sécurité et dans un second temps de fiabiliser l'authenticité des transferts de données. C'est un système décentralisé de chaînes de blocs qui permet d'écarter les tiers de confiance devenus inutiles et d'automatiser des relations qui jusqu'alors avaient besoin d'un interprète. Toutefois, autour de ce miracle blockchain, appelons-le comme ça, tout un cortège de questions se posent sur la possibilité de corréler l'accroissement de sécurité technique avec autant de sécurité juridique.

Je souhaite poser des questions simples, peut-être simplistes, face à une technologie nouvelle. Dans l'état actuel, la blockchain est-elle adaptée aux besoins des entreprises ? Quels seraient les critères identifiés mettant en évidence l'intérêt de recourir à la blockchain ? Par ailleurs, comment connecter cette technologie nouvelle avec les grands organismes qui régulent l'économie internationale ? Je pense bien sûr au contrôle que pourrait exercer l'Union européenne. Enfin, je me pose la question de la régulation du commerce international. Quelle serait l'organisation qui aurait à intervenir dans ce domaine en cas de recours juridique ?

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J'ai fait partie de la mission et assisté à des auditions très intéressantes. Avec la fin des copies certifiées conformes, pour prendre un exemple très concret, la blockchain peut être une réponse majeure aux lourdeurs administratives. Si tel est bien le cas, c'est aussi un instrument pour réduire la dépense publique. Je crains donc que nous soyons trop frileux par rapport à l'enthousiasme qui s'est exprimé dans la mission sur cet aspect-là. Quelle est votre conviction sur l'avenir de cette technologie, même si la blockchain est certes très énergivore.

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Selon l'indice de consommation d'énergie bitcoin (BECI) de la plateforme Digiconomist, chaque transaction bitcoin individuelle consomme jusqu'à 275 kilowattheures d'électricité. La dernière estimation de la consommation annuelle totale d'énergie est de l'ordre de 29,05 milliards de kilowattheures par an, soit l'équivalent de 0,13 % de la consommation annuelle totale d'énergie dans le monde. Si la blockchain du bitcoin était un pays, il se classerait soixante et unième en termes de consommation d'électricité à l'échelle mondiale et dépasserait, par exemple, la consommation annuelle électrique d'un pays comme l'Irlande. Pour autant, de nombreux spécialistes de crypto-économie démontrent que la blockchain pourrait nous aider à établir un monde durable. En effet, elle pourrait mettre fin aux informations en silos en rendant toutes les données transparentes et accessibles. Nous pourrions agir beaucoup plus facilement sur notre empreinte carbone si nous en connaissions les détails, parce qu'aujourd'hui nous souffrons d'un manque d'informations sur nos propres émissions. Des solutions existent déjà pour concevoir une cryptomonnaie verte basée sur une sécurité proof-of-space (preuve de stockage) proof-of-time (preuve de temps). Il serait donc pertinent de s'interroger sur l'implication des pouvoirs publics dans le développement de ces technologies vertes. J'aimerais donc connaître les solutions proposées en ce qui concerne la contribution à l'émergence de technologies numériques responsables au plan environnemental.

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Comme cela a été rappelé par le président Julien Aubert, une question essentielle est de savoir où en est la France en termes d'expérimentation et d'utilisation de cette nouvelle technologie et de ses différentes applications, s'agissant notamment des diplômes universitaires.

Lorsqu'on parle de blockchain, on évoque souvent le bitcoin. C'est une communauté qui existe depuis une dizaine d'années et compte plus de 20 millions d'utilisateurs. Peut-on dissocier la blockchain du bitcoin pour créer de nouveaux outils protocolaires ?

Pouvez-vous, par ailleurs, nous en dire un peu plus sur le programme européen ? Il faut que la France soit en phase avec l'Europe en matière de choix technologiques. Comment peut-on jauger l'importance du vivier d'entreprises et de l'état de la recherche technique en France dans le domaine de la blockchain ? La France a-t-elle les moyens de devenir un pôle d'innovation de rang mondial dans ce domaine particulièrement innovant ?

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En 2016, la Colombie a organisé un référendum auquel il était possible de participer de façon électronique via la blockchain du bitcoin. Nous avons dans notre pays très peu développé le vote électronique et encore moins le vote par correspondance via internet. La blockchain fournit-elle des pistes pour la mise en place d'un vote par internet dont le secret serait bien garanti tout en permettant une vérification de l'identité de l'électeur ?

Par ailleurs, alors que l'Union européenne devrait être à la pointe de ces questions, la Commission européenne a choisi une entreprise américaine pour animer l'observatoire européen de la blockchain. N'est-ce pas un mauvais signe en matière de déploiement européen de cette technologie ?

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Je félicite à mon tour le président et les rapporteurs de cette mission. Ce sujet complexe a été abordé très en amont par la représentation nationale.

On voit dans le rapport l'équilibre recherché entre, d'une part, le fait de favoriser l'écosystème et, d'autre part, la régulation pour éviter les risques juridiques. Sans vouloir refaire l'histoire des technologies en France, nous avons raté bien des révolutions pour avoir voulu très tôt réguler, cadrer, prendre des précautions. Je ne dis pas qu'il ne faut rien faire mais nous avons aujourd'hui la possibilité de favoriser l'écosystème et cela me semble fondamental pour l'indépendance de l'Europe. Les propositions du rapport en ce sens me paraissent très bonnes. Attention à ne pas nous mettre des bâtons dans les roues !

Les économies potentielles en termes de dépenses publiques ont également été évoquées. Il est sans doute trop tôt pour une évaluation précise mais avez-vous un ordre d'idées ? Les retombées en termes d'économies ne peuvent que favoriser les investissements que vous préconisez.

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Cette matière n'est pas encore stabilisée, et nous ne pourrons sans doute pas répondre dans le détail à l'ensemble de vos questions. Je répondrai par grands chapitres.

S'agissant du droit des obligations, la blockchain peut certes avoir une incidence sur les modes de règlement des différends : le principe d'automaticité et de conditionnalité des traitements informatiques qui pourraient s'appliquer aux contrats, par exemple les contrats d'assurance, peut poser question. Ce n'est cependant pas, selon moi, de nature à bouleverser complètement les règles actuelles du droit civil. Que l'on utilise un langage écrit ou un langage codé, il existe toujours un lien synallagmatique entre deux parties qui échangent des données, des biens ou des services. De ce point de vue, la blockchain ne me semble pas entraîner de changement substantiel dans les obligations créées par les contrats.

Nous aurons sans doute, cependant, à faire évoluer nos dispositifs en matière de droit de la preuve. C'est le sens d'un amendement que j'ai porté en première lecture du projet de loi de programmation et de réforme de la justice.

Au-delà des questions techniques, se pose une question d'acculturation et de formation, car le sujet peut nous éloigner de ce que nos concitoyens sont en droit d'attendre d'une règle de droit, à savoir qu'elle soit simple et facilement compréhensible. Il y a un travail pédagogique à conduire, en même temps qu'un travail à destination du milieu judiciaire qui doit appréhender ces nouvelles technologies, notamment celle de la blockchain, particulièrement complexe du fait de son caractère cryptographique. Je pense toutefois que cette dernière ne remet pas totalement en cause l'équilibre juridique.

S'agissant du Règlement général de protection des données (RGPD) et du caractère immuable des données fixées sur la blockchain, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a rendu il y a quelques semaines un avis sur le sujet, dont la conclusion est que, sous certaines conditions, la blockchain pourrait être compatible avec le RGPD. La blockchain n'a pas vocation à stocker l'ensemble des données personnelles ; ce que l'on appelle le hash pourrait suffire comme preuve. Il faut s'assurer que les éléments figurant dans cette preuve soient compatibles avec le RGPD.

Les notions de droit à l'oubli ou à l'effacement pose question. On peut considérer que le recryptage des données personnelles en vue de les masquer complètement pourrait être de nature à respecter ce droit à l'effacement.

S'agissant de la cybersécurité, au niveau du ministère de l'intérieur le travail sur la cybercriminalité est plus ou moins rassurant, selon la nature des blockchains. Dans la blockchain du bitcoin, ouverte et où chaque transaction conserve une trace, les spécialistes pensent que, dans la mesure où tout est traçable, cela renforce d'une certaine manière la capacité à retrouver des cybercriminels. Tout n'est pas encore éclairé à ce stade, et ces sujets mériteront évidemment d'être approfondis.

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Jean-Michel Mis et moi-même sommes rapporteurs de cette mission d'information, et nous vous présentons aujourd'hui des propositions communes sur un sujet transpartisan qu'il convient d'aborder en dehors des clivages politiques.

Avant de répondre aux questions, je voudrais insister sur le fait que la technologie blockchain est une infrastructure de base permettant de réaliser des échanges certifiés ou de valeurs. Demain, lorsque cette technologie se sera imposée, on ne parlera plus d'elle, mais seulement des usages qu'on en fait. Il est donc essentiel de comprendre que les pays qui en maîtriseront l'infrastructure seront également en avance sur le développement des usages qui en seront faits – exactement comme cela a été le cas avec internet.

Plusieurs questions, posées notamment par le président Éric Woerth et par Mme Véronique Louwagie, ont exprimé une certaine défiance à l'égard de la technologie, notamment pour ce qui est des enjeux de souveraineté soulevés par les interventions des mineurs. Cet aspect est encore débattu, mais les processus algorithmiques ne semblent pas inspirer d'inquiétude aux chercheurs. La plupart d'entre eux nous ont dit qu'il existait différents types de protocoles visant à assurer la certification des échanges et à établir la confiance. Celle utilisée dans la blockchain bitcoin est très fortement consommatrice d'énergie, celle d'Ethereum en consomme moins, et on peut imaginer qu'il existera demain une technologie particulièrement innovante pour certifier les échanges tout en étant exempte de ce défaut.

La consommation d'énergie des technologies actuellement mises en oeuvre ne tient peut-être qu'au fait que celles-ci, très récentes, présentent un degré de maturité encore insuffisant. Au demeurant, si la consommation d'énergie est souvent perçue comme un frein, on peut également la considérer comme faisant partie du coût d'une nouvelle façon de rendre un service. En d'autres termes, le progrès consomme toujours plus d'énergie que ce qui se faisait par le passé, mais il rend également de nouveaux services et permet de créer de la richesse. De ce point de vue, le reproche qui est fait au bitcoin de consommer beaucoup d'énergie me paraît assez réducteur – en tout cas très partiel – et ne tient pas compte, d'un point de vue économique, de tous les champs du développement d'une nouvelle technologie. Si internet consomme énormément d'énergie, il a procuré du développement économique et de la richesse aux pays qui ont su s'emparer de cette technologie – sans parler des services qui font désormais partie de notre quotidien. Je ne dispose pas de données économiques sur ce point, mais j'estime que les interrogations qu'il suscite ne doivent pas se limiter à évoquer la quantité brute d'énergie consommée par la blockchain : ils doivent également tenir compte du potentiel économique qui peut en résulter.

Pour ce qui est de la sécurité, il nous a été demandé si la blockchain permettait de lutter mieux ou moins bien contre la fraude. Il existe en fait deux types de fraudes : d'une part, celles liées aux plateformes d'accès aux bitcoins, pratiquées en exploitant des failles présentes non pas sur la blockchain elle-même, mais sur ses points d'entrée insuffisamment sécurisés ; d'autre part, le blanchiment d'argent, favorisé par le fait qu'on n'a pas, lorsqu'on veut faire l'acquisition de cryptomonnaie, le même KYC que celui attaché à une monnaie-fiat classique achetée auprès d'une banque ayant l'obligation de disposer d'un minimum de renseignements sur ses clients. Pour y remédier, nous avons inscrit dans le projet de loi dit « PACTE » que les start-ups de la blockchain procédant à des ICO, c'est-à-dire des levées de fonds en crypto-actifs, ou échangeant des monnaies, auront la possibilité de se procurer un certificat d'honorabilité auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) – ce qui, dans certains cas, nécessitera l'aval de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

En tout état de cause, cet environnement réglementaire est perçu de manière extrêmement positive par les acteurs étrangers, qui apprécient que notre pays soit le premier en Europe à mettre en place un cadre de régulation qui, tout en étant souple, donne une bonne compréhension des enjeux de la blockchain, ce qui contribue à ce qu'ils prennent la décision d'installer leur siège européen en France. D'autres raisons les y incitent par ailleurs, notamment la présence dans notre pays de nombreux talents, d'un écosystème de start-ups extrêmement dynamique, de formations en matière d'ingénierie informatique et mathématique de très haut niveau, réputées au niveau mondial, et enfin d'un niveau de recherche très élevé, grâce aux moyens que le pays y consacre. Nous ne sommes pas à la traîne en ce domaine, bien au contraire, comme en témoigne le nombre de publications scientifiques relatives à la blockchain.

La blockchain peut aussi constituer un moyen de lutter contre la fraude, dans la mesure où elle repose sur des données certifiées. Par exemple, s'il est facile, à l'heure actuelle, de contrefaire un diplôme à l'aide d'une simple photocopieuse, les diplômes – et, au-delà, tous les documents administratifs devant être certifiés – pourraient se trouver parfaitement sécurisés s'ils étaient établis en recourant à la blockchain. En fait, comme toutes les technologies, la blockchain en elle-même est neutre et seuls ses usages peuvent se révéler bons ou mauvais.

Dans le domaine de l'administration, la blockchain a ce que j'appellerai un « effet Kiss Cool » – autrement dit, un double effet. D'une part, elle permet des gains de productivité. D'autre part, si l'administration s'empare de ce sujet et décide d'investir dans la blockchain afin de dématérialiser les échanges de façon certifiée – nous proposons qu'une réflexion approfondie soit menée transversalement afin d'identifier tous les domaines où c'est envisageable –, le recours à cette technologie permettra à ses acteurs français de monter en compétence et favorisera le développement d'activités et de start-ups, ainsi que l'augmentation du nombre de personnes formées à cette technologie.

De ce point de vue, l'activité administrative peut être vue comme un immense terrain de jeu pour la blockchain, où toutes ses applications ont vocation à être testées. Sans doute existe-il des freins législatifs à cette évolution, que nous ne pourrons identifier qu'en procédant à une revue des normes administratives. Nous devrons, en tout état de cause, être attentifs à toutes les idées que pourront avoir les start-ups, et faire preuve de réactivité en nous demandant à chaque fois quelles sont les lois susceptibles de freiner le déploiement de la blockchain pour tel ou tel usage. C'est ce que nous avons fait lors de l'examen de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 » – qui a été pour moi l'occasion de m'intéresser à la blockchain –, quand nous nous sommes penchés sur les échanges de titres de sociétés non cotées : en la matière, la blockchain va considérablement modifier l'accès au financement pour les petites et moyennes entreprises (PME), car nous allons pouvoir simplifier grandement et rendre beaucoup plus visibles les échanges de titres de sociétés non cotées.

Pour ce qui est de la régulation, je suis convaincue que le projet de loi PACTE est un très bon cadre, et qu'il faut maintenir le droit d'accès au compte bancaire. Mme Sophie Errante, présidente de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), pourrait vous dire que la CDC, qui s'est vu attribuer la responsabilité d'ouvrir un compte bancaire aux start-ups qui ne parviennent pas à le faire auprès des banques, n'est pas franchement désireuse d'assumer cette mission. Celle-ci pourrait être confiée à la Banque de France ou à la Banque postale – cela nous est égal –, mais tous les acteurs concernés nous ont bien dit que le principal frein au développement de l'écosystème blockchain en France, c'est l'impossibilité pour les start-ups dont l'activité repose sur cette technologie d'ouvrir un compte bancaire : or, il est évident qu'il est impossible de développer une entreprise en France quand on n'a pas accès à un compte bancaire. Le problème trouve sa source dans la crainte qu'ont les banques françaises de se voir appliquer des sanctions en vertu du principe d'extraterritorialité de la loi américaine. Nous proposons donc que les entreprises labellisées par le biais de la future loi PACTE disposent d'un droit d'accès au compte bancaire, dont la mise en oeuvre serait confiée à une banque française non exposée à l'international – soit la Banque postale, soit la Banque de France.

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Plusieurs questions ont évoqué, directement ou non, le lien entre le blockchain et le monde réel.

Pour ce qui est de l'environnement fiscal et réglementaire, je suis convaincu que cette technologie étant balbutiante et n'ayant, dès lors, qu'un impact budgétaire encore très limité, nous serions bien avisés de faire l'inverse de ce que nous avons toujours fait, c'est-à-dire de mettre le moins de freins possible au développement du système, de manière à créer un écosystème national. Ainsi, nous nous donnons une chance d'être un jour dotés du « Facebook de la blockchain », ce qui permettrait à nos normes de s'imposer au reste du monde.

Quelqu'un a évoqué les économies que pourrait permettre le recours à la blockchain. Moi qui viens du monde de la haute fonction publique, j'ai eu affaire dans les années 1990 aux vendeurs de rêve qui nous expliquaient que la mise au point et l'utilisation de super-logiciels allaient nous permettre d'économiser beaucoup d'argent. Or, nous avons fini par nous retrouver avec des systèmes numériques d'un côté et du papier de l'autre et, s'il y avait bien des gains de productivité, ils n'étaient pas aussi importants que nous l'avions espéré, à cause de ces doublons. Pour que l'État et la sphère publique en général s'approprient la blockchain, nous devrions choisir un sujet d'expérimentation, ce qui pourrait se faire au sein même du Parlement. Si l'Assemblée nationale appliquait cette technologie sur un pan de l'activité des députés, nous serions directement confrontés aux changements qu'elle induit, ce qui nous permettrait de faire le bilan des avantages qui en découlent, mais aussi d'éventuels inconvénients – je pense notamment aux coûts cachés inhérents à toute transformation technologique.

Je crois qu'il faut distinguer ces deux sujets bien distincts que sont, d'un côté la blockchain, de l'autre le bitcoin. Le bitcoin pose la question de la consommation énergétique, ce qui présente au moins l'avantage de faire apparaître son impact dans le monde réel. Aujourd'hui, on essaie de s'affranchir de cet effet par une forme de virtualisation de la création de valeur, avec le risque de parvenir au stade d'une émancipation totale – à l'image de ce qui se passe dans le monde de la finance, où la valeur ajoutée se crée indépendamment de l'économie réelle. Sans doute conviendrait-il de mener une réflexion sur la façon dont les modèles économiques peuvent se bâtir.

Enfin, je veux souligner que la traçabilité et la fiabilisation que permet la blockchain ont exactement les mêmes limites que dans le monde réel. Toutes les opérations figurant dans un livre de comptes ont beau être rigoureusement exactes, si les chiffres de départ sont faux, vous n'aurez qu'une comptabilité magnifiquement exacte de chiffres faux ! C'est la même chose avec la blockchain qui, si elle offre des garanties inégalées en termes de traçabilité, dépend toujours de la fiabilité des données introduites dans le système à l'origine. Comme vous le voyez, l'articulation entre une technologie très prometteuse et un monde réel comportant inévitablement des risques de fraude est une question essentielle, ce qui explique qu'elle se trouve au coeur du rapport de notre mission.

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Ma question porte sur l'observatoire mis en place par la Commission européenne et sur le choix d'en confier la responsabilité à la société ConsenSys, l'un des plus importants groupes de développement d'Ethereum. Le choix de ConsenSys n'est pas sans poser quelques problèmes à mes yeux. En effet, la technologie n'en étant qu'à ses débuts et ne devant parvenir à maturité que dans dix ou vingt ans, nous ne savons pas lequel des nombreux protocoles actuels finira par s'imposer. L'Ethereum n'existera peut-être plus demain, et je rappelle d'ailleurs les difficultés que rencontrent ses développeurs pour résoudre et garantir sa scalabilité ou, autrement dit, sa montée en charge – à cet égard, le récent report de douze mois du projet Casper me semble très significatif.

ConsenSys a un objectif et un intérêt, consistant à soutenir la diffusion et l'adoption de protocoles Ethereum à travers le monde. Il ne faudrait pas que l'imposition d'un standard technologique sur ce champ – comme sur d'autres, d'ailleurs – dans un contexte aussi prématuré nous fasse passer à côté de la révolution blockchain. J'aimerais connaître votre sentiment sur ce sujet : avez-vous pu l'évoquer avec vos interlocuteurs, notamment européens, au cours de la la mission ? Le risque que j'évoque est-il réel, et ne faudrait-il pas garantir un certain pluralisme au sein de l'observatoire ?

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La blockchain est souvent présentée comme un remède miracle à tous les maux de la planète, comme s'il suffisait d'inventer une application à chaque fois que se pose un nouveau problème… Cela doit nous conduire à nous demander où est la place de l'intelligence humaine dans un tel système.

Comme l'a dit M. Aubert, si la blockchain peut être sécurisée, encore faut-il être en mesure de certifier l'information entrante, éventuellement au moyen d'un tiers de confiance – par exemple un notaire.

Nous devons également nous demander comment identifier, agréer et certifier les plateformes utilisatrices de la blockchain.

Enfin, il est permis de se demander si le fait de réglementer ou réguler cette nouvelle technologie mondiale n'est pas de nature à freiner son développement.

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J'ai eu l'occasion de rencontrer un certain nombre de chefs d'entreprise travaillant dans le secteur de la blockchain, de la cryptomonnaie en particulier, qui m'ont fait part de leur difficulté à recruter des gens formés dans ce domaine où la formation ne se fait que sur le tas : il n'y aurait pas de filières de formation à la blockchain dans nos écoles d'ingénieurs. Pouvez-vous nous confirmer que la création d'un écosystème, proposée par le rapport, implique bien la mise en place des formations correspondantes, ce qui me paraît nécessaire si nous voulons que notre pays puisse devenir un fer de lance en matière de blockchain ?

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La Commission européenne a créé en février 2018 un observatoire destiné à favoriser la rencontre entre les acteurs institutionnels et les acteurs de l'écosystème, ainsi que les coopérations et projets transformateurs. En avril 2018, les États membres ont signé une déclaration pour l'établissement d'un partenariat européen pour les blockchains. Comme vous le voyez, le processus en est à ses débuts. La consultation de ConsenSys ne résulte pas d'un choix de la Commission européenne, et l'expertise à laquelle il doit être procédé porte sur la blockchain Ethereum. Or, on ne sait pas si c'est cette technologie qui sera utilisée demain, et c'est bien là le problème : nous devons nous emparer du sujet suffisamment tôt pour ne pas nous faire distancer, mais cela implique de le faire sans savoir si nos choix sont pertinents. Cela dit, ConsenSys est désormais en mesure d'observer plusieurs cas concrets de mise en oeuvre de la blockchain à la bonne échelle – des cas qui restent encore relativement rares, il faut le reconnaître.

On nous a interrogés sur le gain que peut procurer l'usage de la blockchain en termes d'efficacité administrative. En Suisse, où nous nous sommes rendus, le canton de Genève a mis en place l'échange des comptes certifiés des entreprises par ce moyen. J'insiste sur le fait qu'au départ il y a toujours un tiers de confiance qui authentifie les comptes, avant qu'ils ne soient introduits sur la blockchain – car, comme cela a été dit il y a quelques instants, la blockchain n'assure pas la véracité des informations, mais seulement celle de leurs échanges. Le fait de ne plus avoir besoin de passer par de multiples guichets, nécessitant l'intervention d'autant de personnels, permet de réaliser de susbtantielles économies. Ainsi, délivrer l'ensemble des demandes de comptes certifiés de toutes les entreprises du canton de Genève durant une année n'a coûté que 17 euros !

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Julien Aubert a insisté sur le fait que la blockchain ne contient jamais que ce qu'on y fait entrer. Sur ce point, la proposition n° 14 de notre rapport a pour objet de permettre une visibilité sur l'ensemble de la chaîne de preuve, incluant des preuves électroniques et des signatures numériques. Pour cela, nous préconisons une révision du règlement européen n° 9102014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l'identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur, dit « règlement eIDAS ». D'autres textes européens sont pendants devant la Commission européenne, notamment le règlement portant sur l'identité numérique.

Comme nous le disons dans notre rapport, il existe de multiples sujets sur lesquels nous devons évoluer, et qui nécessitent d'être abordés au niveau européen. Cela pose des questions de souveraineté nationale et de gouvernance des institutions européennes, ce qui montre bien que le dossier de la blockchain n'est pas uniquement technique, mais également politique, et que nous devons savoir nous en saisir sous cet angle-là également, notamment dans le cadre de la campagne des prochaines élections européennes, car il y va de la manière dont l'Europe souhaite se positionner à ce sujet dans les années à venir.

Enfin, il nous a été demandé comment la blockchain pouvait contribuer à irriguer le débat démocratique, grâce à sa capacité à attester de résultats – en l'occurrence, de votes électroniques – et à les rendre infalsifiables. Là encore, la question n'est pas uniquement d'ordre technologique, mais porte également sur la manière dont les citoyens consentent à délivrer leur vote, et sous quelle forme. À l'heure actuelle, une dizaine de pays, notamment les États-Unis et le Honduras, ont expérimenté le vote électronique. Pour la France, le principal obstacle à la mise en oeuvre de ce procédé est que les listes électorales permettent de savoir qui vote, mais pas de connaître l'orientation politique des votants – contrairement aux États-Unis, par exemple, où chaque électeur fait part de son attachement à tel ou tel parti. De ce point de vue, il ne faudrait pas que la blockchain soit perçue comme une technologie susceptible de remettre en cause notre culture du secret du vote, car cela pourrait porter atteinte au consentement démocratique et à la participation citoyenne.

En application de l'article 145 du Règlement, les commissions autorisent la publication du rapport de la mission d'information commune sur les usages des chaînes de bloc ou blockchains et autres technologies de certification de registres

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 12 décembre 2018 à 9 heures 30

Présents. - M. Saïd Ahamada, M. Éric Alauzet, M. Julien Aubert, M. Jean-Noël Barrot, Mme Émilie Bonnivard, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jean-Louis Bricout, Mme Émilie Cariou, M. Gilles Carrez, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. François Cornut-Gentille, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, Mme Dominique David, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, M. M'jid El Guerrab, Mme Sarah El Haïry, Mme Sophie Errante, M. Nicolas Forissier, M. Olivier Gaillard, M. Romain Grau, M. Christophe Jerretie, M. Daniel Labaronne, Mme Valérie Lacroute, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Marc Le Fur, Mme Patricia Lemoine, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, Mme Marie-Ange Magne, Mme Lise Magnier, M. Jean-Paul Mattei, Mme Amélie de Montchalin, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-François Parigi, M. Hervé Pellois, M. Pierre Person, Mme Valérie Petit, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Sylvia Pinel, M. François Pupponi, M. Xavier Roseren, M. Jacques Savatier, M. Olivier Serva, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Jean-Pierre Vigier, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Joël Giraud, Mme Perrine Goulet, M. Stanislas Guerini, M. François Jolivet, Mme Valérie Rabault, M. Philippe Vigier

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Ugo Bernalicis, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Vincent Bru, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Christophe Euzet, Mme Élise Fajgeles, Mme Isabelle Florennes, Mme Paula Forteza, M. Philippe Gosselin, Mme Émilie Guerel, Mme Marie Guévenoux, M. Dimitri Houbron, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Guillaume Larrivé, M. Philippe Latombe, Mme Marie-France Lorho, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, M. Didier Paris, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, M. Pacôme Rupin, M. Hervé Saulignac, M. Alain Tourret, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Cédric Villani, Mme Hélène Zannier

Excusés. - Mme Laetitia Avia, Mme Huguette Bello, M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, M. Gilles Le Gendre, M. Serge Letchimy, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, Mme Maina Sage, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann

Commission des affaires économiques

Présents. – M. Damien Adam, M. Patrice Anato, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, Mme Barbara Bessot Ballot, Mme Anne Blanc, M. Yves Blein, M. Philippe Bolo, M. Éric Bothorel, M. Jean-Claude Bouchet, M. Alain Bruneel, M. Sébastien Cazenove, M. Anthony Cellier, M. Dino Cinieri, Mme Michèle Crouzet, M. Yves Daniel, M. Rémi Delatte, M. Michel Delpon, Mme Marguerite Deprez-Audebert, M. Fabien Di Filippo, Mme Stéphanie Do, M. José Evrard, M. Daniel Fasquelle, Mme Valéria Faure-Muntian, M. David Habib, Mme Véronique Hammerer, Mme Christine Hennion, M. Philippe Huppé, M. Guillaume Kasbarian, M. Jean-Luc Lagleize, Mme Laure de La Raudière, Mme Célia de Lavergne, M. Sébastien Leclerc, M. Roland Lescure, Mme Monique Limon, M. Richard Lioger, M. Didier Martin, Mme Graziella Melchior, M. Jean-Baptiste Moreau, M. Mickaël Nogal, M. Jérôme Nury, Mme Valérie Oppelt, M. Ludovic Pajot, M. Éric Pauget, Mme Anne-Laurence Petel, M. Dominique Potier, M. Benoit Potterie, M. Richard Ramos, M. Vincent Rolland, M. Jean-Bernard Sempastous, M. Denis Sommer, M. Éric Straumann, Mme Bénédicte Taurine, Mme Huguette Tiegna, M. Nicolas Turquois, M. André Villiers

Excusés. – M. Jacques Cattin, M. Julien Dive, M. Sébastien Jumel, Mme Annaïg Le Meur, M. Max Mathiasin, Mme Claire O'Petit, M. Jean-Charles Taugourdeau

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