Séance en hémicycle du lundi 9 janvier 2023 à 16h00

La séance

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La séance est ouverte à seize heures.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'ordre du jour appelle les questions sur le thème : « Comment massifier la rénovation thermique ? » La conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse.

La parole est à Mme Eva Sas pour deux questions.

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Ces derniers jours, de jeunes militants du mouvement Dernière rénovation ont multiplié les actions pour vous demander d'engager dès maintenant un grand plan de rénovation thermique.

Leur geste, désespéré, n'a qu'un seul but : sauver l'humanité de l'effondrement vers lequel elle s'avance aveuglément. Ils vous interpellent, monsieur le ministre délégué chargé de la ville et du logement, car vous n'avez visiblement pas pris la mesure de l'enjeu. La question du Président de la République lors de ses vœux – « Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » – démontre sa déconnexion totale des enjeux environnementaux. Faut-il rappeler que les écologistes, depuis René Dumont en 1974, et les scientifiques depuis le premier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) en 1990, ne cessent d'alerter sur le dérèglement climatique ? Vous devez réagir maintenant et prendre le virage écologique. La mère des batailles, c'est la rénovation thermique. Disons-le clairement : il serait illusoire de croire que le défi de la rénovation thermique puisse être relevé sans moyens financiers significatifs ; c'est l'objet de ma première question.

Le rapport Sichel indique que 9,3 milliards d'euros sur dix ans seraient nécessaires pour traiter la seule question des passoires thermiques. L'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) estime quant à lui qu'il faudrait 8,8 milliards d'euros par an pour la rénovation thermique des seuls logements privés et 10 milliards si l'on englobe les logements sociaux et les bâtiments tertiaires. Tous les rapports convergent pour estimer le besoin de financement à 9 ou 10 milliards d'euros par an. Pourquoi dès lors avez-vous fixé le budget de MaPrimeRénov' pour 2023 à 2,5 milliards seulement ? Pourquoi ne pas l'avoir augmenté, même un peu, alors que la majorité des députés avaient adopté un amendement le portant à 9 milliards ? Pourquoi ne pas mobiliser la moitié de la baisse des impôts de production des entreprises, qui s'élève à 14 milliards, pour la rénovation thermique ? Il s'agit en effet d'un enjeu écologique majeur : protéger les Français contre le dérèglement climatique et la flambée des prix de l'énergie.

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La parole est à M. le ministre délégué chargé de la ville et du logement.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi de commencer en vous souhaitant à tous une très belle année 2023, pleine de réussite et riche de travaux. Je vous remercie de consacrer cette séance de rentrée au sujet si important de la massification de la rénovation thermique.

Vous avez raison, rénover les bâtiments est également une priorité du Gouvernement. Il est bien sûr possible de critiquer MaPrimeRénov' et d'estimer que son budget est insuffisant, mais la situation de la filière est telle que dépenser plus de 2 milliards d'euros en 2023 est déjà considérable. Précédemment, 1,5 million de chantiers ont été menés à bien ; ils représentent, en gros, les économies d'énergie d'une ville équivalente à Lyon. Néanmoins, il s'agit souvent de monogestes ; or nous devrons à l'avenir favoriser une rénovation plus performante et plus globale.

Ces premiers chantiers sont importants : grâce à eux, nos concitoyens ont cet écogeste à l'esprit ; de plus, la massification de la rénovation thermique a permis d'éliminer plusieurs freins. Nous allons poursuivre la rénovation de l'habitat individuel, mais puisque s'en contenter n'aurait pas de sens, nous entendons aller plus loin dans la massification et dans l'accompagnement, notamment pour l'habitat collectif. Il s'agit bien évidemment d'être attentifs et de se donner les moyens nécessaires ; aussi les présents échanges nous permettront-ils de compléter ces actions.

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Elle concerne la structuration de la filière de la rénovation thermique. Vous avez fixé l'objectif suivant : porter l'ensemble du parc de logements au niveau BBC – bâtiment basse consommation – en 2050. Pour cela, il faudrait atteindre dès à présent le rythme de 370 000 rénovations globales par an, puis celui de 700 000 à partir de 2030. Or la France est en train de complètement manquer ces objectifs : le rythme n'est que de 32 000 rénovations globales par an, soit à peine 5 % des dossiers MaPrimeRénov'.

Pourquoi ? Parce que les ménages ne sont pas assez soutenus dans ces projets complexes et coûteux. Il faut les accompagner, les aider à les financer, mais aussi leur permettre de trouver des artisans. Vous nous opposez parfois – vous l'avez fait à l'instant – que la filière n'est pas prête à absorber le rythme des travaux nécessaires ; nous partageons en partie ce constat. Le rapport Meynier-Millefert évoque des besoins en main-d'œuvre qui pourraient être multipliés par deux. Le scénario Rénovons ! estime qu'il faudrait créer 93 000 emplois dans cette filière, qui n'en compte aujourd'hui que 192 000. Or le nombre d'élèves et d'apprentis dans ces métiers a diminué de 25 % en dix ans.

Ma question est donc la suivante : qu'attendez-vous pour élaborer, avec les professionnels du secteur, une feuille de route visant à renforcer la rémunération et l'attractivité de ces métiers, à accélérer la formation aux métiers du bâtiment – notamment grâce au programme FEEBAT (formation des professionnels aux économies d'énergie dans le bâtiment) – et à développer la labellisation des entreprises, très insuffisante puisque seules quatre-vingt d'entre elles sont qualifiées pour leur offre globale de rénovation ?

La rénovation énergétique est un grand et beau projet pour la France. C'est le défi de notre génération, un défi enthousiasmant, créateur d'emplois et de pouvoir de vivre. C'est aussi une responsabilité historique car c'est aujourd'hui que la France doit prendre le virage écologique. Demain, il sera trop tard.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Votre question appelle plusieurs réponses. Oui, pour engager un plan de rénovation de l'habitat, nous avons besoin d'augmenter le nombre d'accompagnateurs France Rénov'. Cette stratégie est en œuvre avec le développement du service public France Rénov', afin que chacun puisse être accompagné dans son projet, à la fois dans le choix de la nature des travaux – pour aller plus loin qu'un monogeste – et dans celui des artisans.

Pour répondre aux obligations et percevoir les aides MaPrimeRénov', les entreprises doivent être labellisées RGE – reconnues garantes de l'environnement. Cet aspect a été examiné lors des assises du bâtiment lancées par Bruno Le Maire et auxquelles le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires a participé. Plusieurs sujets y ont été évoqués, à la fois avec la Fédération française du bâtiment (FFB) et la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), pour contribuer à la formation des entreprises et réfléchir à l'accession au label RGE. Il est désormais possible de l'obtenir après avoir mené deux chantiers consécutifs et représentatifs de ses exigences ; dans le cadre des assises, cette expérimentation a été prolongée afin que davantage d'artisans soient capables de mener des chantiers de rénovation thermique.

Il nous faudra être attentifs à l'habitat collectif et aux copropriétés – nous en parlions tout à l'heure : ce sont des chantiers plus compliqués que ceux menés jusqu'à présent, qui nécessiteront des assistances à maîtrise d'ouvrage. Quoi qu'il en soit, nous travaillons d'arrache-pied à la qualification de la filière de la rénovation thermique. Il y a quelques semaines, au salon Batimat, j'ai rencontré différentes écoles et entreprises qui préprofessionnalisent des jeunes aux métiers du bâtiment, en particulier à ceux de la rénovation thermique.

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Monsieur le ministre délégué, plus le temps passe, plus l'espoir d'un sursaut du marché pour rénover le parc de logements s'amenuise. Pourtant, nous savons que le premier levier de la transition énergétique est la baisse des consommations, en particulier dans le secteur du bâtiment. Les dernières mesures, que vous venez d'évoquer, compenseront l'inflation – au mieux – et limiteront une baisse des chiffres. Mais rien ne répond à nos objectifs : nous attendons toujours l'annonce de mesures de massification de rénovations performantes, nécessaires pour enfin agir dans les temps qu'impose l'urgence sociale et climatique.

Il s'agit d'un des échecs les plus criants de votre politique. En 2021, faute d'incitations financières suffisantes, 70 % des aides ont été affectées au seul changement du système de chauffage. En plus d'un rythme de rénovation bien trop faible, les travaux réalisés ne présentent pas assez de bénéfices par rapport à l'effort d'investissement des ménages, en particulier les plus modestes. Pire, ils ont un fort impact sur leur budget et bloquent tout nouvel investissement qui améliorerait pour de bon leur quotidien, tout en nous permettant d'atteindre la neutralité carbone.

Depuis le début de la législature, le groupe Écologiste – NUPES a formulé de nombreuses propositions : 6,8 milliards d'euros supplémentaires pour la rénovation, un reste à charge zéro pour les ménages les plus modestes et minime pour ceux aux revenus intermédiaires. Certains de nos amendements, démocratiquement adoptés dans cet hémicycle, ont été aussitôt balayés par le Gouvernement. Avez-vous prévu de changer de braquet dans l'application de votre stratégie et d'inciter davantage, financièrement, à la réalisation de rénovations performantes plutôt que de monogestes, en particulier pour les personnes aux revenus les plus modestes ?

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Vous avez raison, le reste à charge ne doit pas être un frein – sinon un frein aussi anodin que possible – au lancement des travaux. C'est pourquoi nous avons créé un éco-prêt à taux zéro pour le reste à charge, avec une méthodologie simplifiée puisque les documents fournis dans le cadre de la demande MaPrimeRénov' pourront être immédiatement transmis aux banques partenaires.

Il est très important pour nous que ce partenariat entre France Rénov' et l'Agence nationale de l'habitat (Anah) accompagne les copropriétés, qu'elles aillent bien ou non, qu'elles s'inscrivent ou non dans des dispositifs de suivi tels que les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah) ou les plans de sauvegarde, afin que le niveau d'aide soit le plus important possible.

Il y a quelques semaines, j'ai annoncé que Bruno Le Maire et moi-même rencontrerions les banquiers afin qu'ils continuent d'accompagner les copropriétaires ou les syndics de copropriété dans le cadre des projets de chantier des copropriétés. Le but est d'éviter que ces projets soient rejetés lors de l'assemblée générale, en raison de l'incapacité de les mener à bien.

Ensuite, le niveau d'aide a été relevé de 15 000 à 25 000 euros afin de soutenir le plus efficacement possible les copropriétés à réaliser leurs projets.

Enfin, 80 % des aides existantes ont été versées à des ménages modestes et très modestes. MaPrimeRénov' est une aide versée aux ménages modestes ; c'est heureux. Du reste, 90 % d'entre elles ont notamment été utilisées pour rénover les systèmes de chauffage et ainsi diminuer les émissions de gaz à effet de serre – vous l'avez dit. Nous poursuivons cette démarche qui fonctionne, mais nous partageons avec vous la conviction qu'il est nécessaire d'aller plus loin.

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Monsieur le ministre délégué, « gouverner, c'est d'abord loger son peuple ». Ces mots de l'abbé Pierre, souvent répétés, sont plus que jamais d'actualité.

Le mal logement est souvent dû à un logement mal isolé. Parmi nos concitoyens, les locataires de HLM sont une population particulièrement exposée à ce problème, même s'il faut reconnaître que la qualité thermique du parc HLM est légèrement supérieure à celle du reste du parc immobilier. Il est néanmoins urgent de se concentrer sur la rénovation de nos logements sociaux. Rien que dans ma circonscription, à Cergy-Pontoise, 8 100 logements sont des passoires énergétiques.

Une urgence, d'abord, car les prix de l'énergie flambent. Si les bailleurs sociaux bénéficient du bouclier tarifaire pour le chauffage collectif au gaz, celui-ci ne s'applique pas aux parties communes ni aux immeubles chauffés à l'électricité. Ces charges sont ensuite répercutées sur les locataires dans des immeubles qui sont souvent de véritables passoires.

Une urgence aussi car, depuis le 1er janvier, les bailleurs ne peuvent plus louer les logements classés G qui consomment plus de 450 kilowattheures d'énergie finale, ce qui est évidemment très bien. Toutefois, cette disposition implique que de 51 000 logements sociaux risquent d'être exclus du parc si des rénovations ne sont pas effectuées. Ainsi, d'ici à 2034, les bailleurs sociaux devront rénover près de 1,2 million de logements pour un coût qui dépassera 40 milliards d'euros. Je rappelle que, dans le projet de loi de finances pour 2023, le Gouvernement n'a pas retenu un amendement que nous avions fait adopter grâce à ma collègue Eva Sas, qui visait à allouer 6,8 milliards d'euros de plus pour la rénovation thermique. Si rien n'est fait, nous courrons à la catastrophe. Pouvons-nous pousser des personnes à la rue alors que plus de 300 000 personnes – ainsi que vous le savez – n'ont toujours pas de toit ?

Une urgence, enfin, car la production annuelle de logements sociaux s'est effondrée. Alors qu'en 2016, 123 000 logements ont été construits, autour de 95 000 logements l'ont été chaque année depuis l'instauration de la réduction de loyer de solidarité – RLS. La production s'effondre et le nombre insuffisant de rénovations pourrait conduire à réduire le nombre de logements disponibles. Ma question est très simple : quand le Gouvernement investira-t-il de manière massive dans le logement social et la rénovation afin d'éviter la catastrophe à laquelle nous courrons ?

Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Je tiens d'abord à vous faire part d'une information qui vous a malheureusement échappé : aujourd'hui, des boucliers tarifaires s'appliquent pour l'ensemble des cas – chauffage individuel au gaz et électrique ; chauffage collectif au gaz ou électrique ; parties communes. Un décret du 31 décembre 2022 a en effet complété le dispositif en instaurant un bouclier tarifaire pour le chauffage collectif électrique et pour les parties communes – je m'en réjouis. Le bouclier tarifaire est étendu afin que les bailleurs sociaux qui auraient souscrit des abonnements trop chers n'en répercutent pas le montant sur les loyers.

Ensuite, bien entendu, nous partageons la conviction qu'il est nécessaire que la qualité de la rénovation thermique de l'habitat social soit égale à celle de l'habitat privé. J'ai confiance dans les bailleurs sociaux et dans leur volonté d'agir. Ils l'ont déjà fait, mais pas suffisamment, vous l'avez dit : alors qu'environ 400 000 logements sociaux sont classés G, leur rénovation, ces dernières années, n'a pas été assez rapide. Il convient de distinguer selon les bailleurs sociaux ; ainsi, certains groupes plus puissants ont réalisé certains projets.

Cet élément est au cœur de la réflexion que nous menons avec l'ensemble des bailleurs sociaux, dans le cadre du pacte de confiance que nous sommes en train de rédiger avec eux. En 2023, en plus des 300 millions d'euros qui ont fait l'objet de discussions avec Action Logement, nous allouerons 200 millions d'euros du Fonds national des aides à la pierre – Fnap – à la seule rénovation thermique, afin de compléter les efforts entrepris dans le cadre du plan de relance. Nous avons donc bien la volonté de rénover le parc. Vous le savez, j'ai été président de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) : la question de la rénovation thermique du parc est au cœur des programmes de rénovation urbaine.

Enfin, nous travaillons sur un dispositif qu'on appelle, à ce stade, « seconde vie », visant à rénover massivement le parc social qui pourrait connaître une nouvelle vie, financé par les aides en vigueur destinées à la création de logements sociaux.

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La rénovation du parc immobilier, notamment pour les logements les plus énergivores, est évidemment une priorité. La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, loi « climat et résilience », conduira en quelque sorte à faire sortir du marché locatif privé les logements les plus mal classés. Dès ce début d'année, selon les estimations, la mise en location de quelque 400 000 logements sera interdite ; à terme, 1 600 000 logements ne pourront plus être loués. C'est un premier pas pour bannir les passoires thermiques et pour s'attaquer à la location de logements indécents.

La démarche ne saurait cependant être suffisante si elle se solde par un retrait à court et à moyen terme d'un patrimoine locatif, dans une période où l'accès au logement pour nos concitoyens est de plus en plus problématique. Ainsi, le coût de la rénovation de ces logements – de l'isolation et des travaux induits – est un indicateur clé. Pour un logement passoire thermique, il est estimé entre 600 et 800 euros par mètre carré. En moyenne, le coût de la rénovation d'une unité d'habitat s'élève à 38 000 euros.

Monsieur le ministre délégué, estimez-vous, contrairement à beaucoup d'observateurs, que le coût global de la remise sur le marché de ces logements mis aux normes, évalué à 16 milliards d'euros, est réaliste ? À défaut, quelles dispositions de soutien supplémentaires le Gouvernement prendra-t-il pour éviter la contraction de l'offre locative et pour épauler notamment les petits propriétaires bailleurs ?

Nous considérons que l'Anah doit accroître son rôle de soutien et de pilote de cette politique, en favorisant parallèlement plus fortement le conventionnement des logements privés rénovés, afin de prévenir toute inflation du coût des logements.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Nous partageons l'idée qu'il est absolument nécessaire d'exclure les passoires thermiques, les taudis thermiques de l'offre de location. Les personnes qui les habitent – nous en connaissons, vous et moi, dans nos villes – ne sont pas toujours les victimes de marchands de sommeil, mais, à tout le moins, sont victimes de propriétaires indélicats qui encaissent des loyers et qui, à ce titre, ont des obligations.

Vous le savez, les propriétaires bailleurs sont éligibles à toutes les aides, y compris au déficit foncier qui leur permet de déduire de leurs impôts les travaux qu'ils ont réalisés ; c'est une évolution.

Il existe évidemment un risque, vous le connaissez également. La reprise de bail est interdite, personne ne peut se retrouver dehors ; cela n'aurait aucun sens. Les propriétaires, qui encaissent les loyers, ont des obligations ; je ne souhaite pas qu'ils en soient libérés. Nous veillerons à ce que certains logements, qui s'apparentent à des taudis thermiques et qui sont frappés d'une interdiction d'être remis en location, ne se retrouvent pas sur un site internet, avec de jolis nœuds aux fenêtres, afin d'être loués comme meublés touristiques. Nous serons très attentifs afin d'éviter une fuite des logements ; nous sommes tous d'accord pour dire que nous avons besoin de plus de logements pour loger nos concitoyens. Nous devons continuer à mettre la pression sur les propriétaires : ils encaissent des loyers depuis de nombreuses années et, je le répète, ils ont des obligations.

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Depuis le 1er janvier 2023 et jusqu'en 2028, la location des passoires énergétiques classées F et G sera progressivement interdite. Nous n'avons que trop tardé à agir sur la rénovation du parc de logement et je salue l'ambition du Gouvernement sur cette question essentielle, le secteur résidentiel représentant la deuxième source de pollution de l'air.

À Paris, compte tenu de la spécificité et de l'ancienneté du bâti, les logements F et G représentent 31 % des résidences principales et même les deux tiers du parc locatif privé. Ces chiffres sont bien supérieurs à ceux relevés dans le reste de la France, ce qui rend d'autant plus urgente l'action en faveur de la rénovation thermique.

Toutefois, certains bailleurs envisagent de proposer leur bien en tant que location saisonnière, les dispositions de la loi « climat et résilience » ne s'appliquant pas, à ce stade, aux meublés. D'où le risque d'une baisse du nombre de biens disponibles à la location, alors même que 1,3 million de personnes sont mal logées en Île-de-France, et la crainte d'amoindrir l'effet de ladite loi sur la qualité thermique du bâti et donc sur le niveau d'émission de gaz à effet de serre.

Monsieur le ministre délégué, au mois d'octobre dernier, vous avez fait part de votre détermination à agir, indiquant que les mêmes règles devaient s'appliquer aux meublés et aux non-meublés – vous venez de le rappeler. Quel dispositif comptez-vous instaurer pour que les investisseurs locatifs ne contournent pas la loi en louant leurs biens comme meublés touristiques et pour prévenir ainsi le risque de sortie du parc locatif privé d'un certain nombre de passoires énergétiques ?

Par ailleurs, MaPrimeRénov' est dotée d'un budget très important de 2,5 milliards d'euros. Néanmoins, des freins subsistent au lancement de travaux de rénovation, notamment en lien avec le droit des copropriétés. Quels assouplissements à la réglementation envisagez-vous pour accompagner les copropriétés soucieuses de se lancer dans la rénovation thermique ?

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Je vais tâcher de ne pas être redondant. Vous avez évoqué plusieurs sujets. L'exigence d'un niveau de performance énergétique minimal ne s'applique pour l'instant qu'au logement principal. Il existe un risque de détournement de la loi par les propriétaires qui souhaiteraient éviter de réaliser des travaux, en mettant en location des passoires thermiques en tant que meublés ou meublés touristiques, ce qui n'aurait aucun sens.

À ce stade, il est difficile d'évaluer le nombre de logements concernés et de propriétaires qui souhaiteraient détourner la loi. Néanmoins, nous devons trouver une disposition législative nous permettant d'empêcher ce phénomène. Ce n'est pas simple car la propriété privée fait l'objet d'un encadrement strict. Vous avez également évoqué l'évolution des règles de la copropriété, notamment des règles de vote d'une décision en assemblée générale, qui peut être adoptée à la majorité simple ou à la majorité qualifiée.

Je n'apporterai pas de réponse précise sur ces sujets qui relèvent non pas du seul champ de compétence de mon ministère, mais plutôt de celui du garde des sceaux. Ce sont des chantiers que nous avons déjà lancés et sur lesquels nous travaillons. Si nous voulons réussir la rénovation thermique de l'habitat collectif, en particulier des copropriétés, nous devons nous doter de tous les outils – vous avez eu connaissance du drame survenu, il y a quelques semaines, à Vaulx-en-Velin. Or certains outils nécessaires pour rénover plus rapidement une copropriété, notamment du point de vue énergétique, font toujours défaut.

Enfin, je ne doute pas que nous pourrons compter sur l'ensemble ou tout au moins sur une grande partie des députés des différents bancs pour nous aider dans notre recherche d'une disposition législative à même de prévenir le détournement de la loi en vigueur en ce qui concerne les passoires thermiques.

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Le secteur du bâtiment représente 20 % des émissions de gaz à effet de serre françaises, l'essentiel étant lié au chauffage. Depuis cinq ans, le développement d'une véritable politique publique de rénovation énergétique des logements tient compte de multiples enjeux : lutte contre le changement climatique, soutien au pouvoir d'achat, amélioration de la qualité de vie des Français, diminution de notre dépendance énergétique liée à nos approvisionnements, notamment en cas de hausse des prix de l'énergie.

Il faut souligner que de nombreux dispositifs de soutien aux ménages ont été mis en place par le Gouvernement et la majorité, tels que MaPrimeRénov', l'éco-prêt à taux zéro, la prime coup de pouce économie d'énergie.

Toutefois, je suis régulièrement interpellée par des habitants de demeures traditionnelles alsaciennes qui, si elles sont anciennes et magnifiques, et abritant quelques nids de cigogne, sont également connues pour être de véritables passoires thermiques.

Les habitants qui souhaitent réaliser des travaux d'isolation sont confrontés à deux problèmes majeurs. Premièrement, l'accès aux aides allouées par le biais de MaPrimeRénov' peut être un véritable casse-tête administratif. Deuxièmement, les projets de transition énergétique, notamment ceux de rénovation thermique, sont soumis, lorsqu'ils concernent des bâtiments situés en zone classée, à des formalités et à des avis préalables obligatoires, notamment celui de l'architecte des bâtiments de France, l'ABF, qui émet presque systématiquement un avis de principe défavorable.

Quelles solutions le Gouvernement peut-il apporter à ces problèmes qui, à l'évidence, freinent la massification de la rénovation thermique des bâtiments en empêchant les particuliers de bonne volonté d'effectuer les travaux nécessaires ?

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Nous ne nions pas les difficultés administratives que rencontrent les particuliers pour bénéficier des aides MaPrimeRénov'. Nous avons pour objectif, avec l'Anah, d'y remédier – et nous y travaillons d'arrache-pied – en fluidifiant davantage le processus. C'est le rôle des conseillers et des accompagnateurs France Rénov'. Ainsi, le guichet unique France Rénov' est une première amélioration. Quant au dispositif Mon accompagnateur Rénov', lancé il y a quelques jours, il permettra de simplifier les démarches des ménages, qui trouveront plus facilement conseils et aides.

Par ailleurs, le Gouvernement étudie, par exemple, la manière dont on peut rapprocher les critères d'éligibilité entre les différentes aides à la rénovation énergétique : MaPrimeRénov', certificats d'économie d'énergie (C2E)… L'accompagnateur France Rénov' a également pour rôle d'informer efficacement les bénéficiaires en faisant en sorte que l'ensemble des aides soient mobilisées le plus rapidement possible, qu'elles soient versées soit directement à l'entreprise, soit aux particuliers.

Pour ce qui est de la qualité patrimoniale des bâtiments, en France, environ 30 % des logements sont soumis à des mesures patrimoniales relevant des ABF – et je sais, pour avoir été maire de Clichy-sous-Bois, dont une partie du territoire est concernée, les problèmes que cela peut poser.

Le Gouvernement a soutenu la proposition du député Bastien Marchive, qui suggère que les ABF prennent en compte les objectifs de transition énergétique. En 2022, un groupe de travail a été créé pour réfléchir à cette question en lien avec le ministère de la culture et des représentants des ABF. Ce groupe de travail a pour objet de recenser les difficultés que peuvent rencontrer les propriétaires de logements, qu'il s'agisse d'habitat individuel ou collectif. Il est vrai qu'une isolation par l'extérieur peut être considérée avec étonnement par les ABF. Et je ne suis pas certain que cette solution soit appropriée pour ce qui est de l'habitat alsacien. Nous devons réfléchir à toutes ces questions ensemble.

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Lancé le 1er janvier 2020, le dispositif MaPrimeRénov' rencontre un succès incontestable : près de 800 000 demandes ont été enregistrées l'année dernière. C'est un outil essentiel pour atteindre nos objectifs en matière de rénovation énergétique des logements et de lutte contre les passoires thermiques. Toutefois, comme, je l'imagine, nombre de parlementaires et comme vous-même, monsieur le ministre délégué, je suis régulièrement interpellé à propos de la nécessaire amélioration du dispositif. En effet, force est de constater que le nombre des rénovations globales est en deçà des attentes et des besoins.

C'est pourquoi il me paraît nécessaire de faire évoluer ce dispositif autour de quatre axes.

Premièrement, les aides pour la rénovation énergétique des logements sont encore trop complexes entre, d'un côté, MaPrimeRénov' et, de l'autre, les C2E, auxquels peuvent s'ajouter des aides locales. Je propose donc que, pour une rénovation globale, le montant des C2E soit intégré directement dans celui de MaPrimeRénov' et que l'Anah gère la relation avec les émetteurs de C2E.

Deuxième axe d'amélioration du dispositif : il est urgent d'améliorer la fiabilité du diagnostic de performance énergétique, le DPE, s'agissant du montant estimé des travaux. Il arrive en effet que celui-ci soit de 30 000 euros alors qu'il faudra, en définitive, plus du double, voire du triple, pour réaliser la rénovation souhaitée. Cette situation peut mettre en difficulté les particuliers qui fondent leur décision d'acheter un bien sur le DPE.

Troisième axe : le montant des aides allouées pour une rénovation globale n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Après déduction de MaPrimeRénov', des C2E et des aides de l'Anah, le reste à charge pour une rénovation globale demeure prohibitif. C'est encore plus vrai pour les ménages les plus modestes qui, bien souvent, ne peuvent pas se lancer dans une rénovation globale alors que ce public doit être prioritaire. Je salue la décision prise par le Gouvernement fin décembre d'augmenter le montant de la prime pour 2023. Mais nous devons aller encore plus loin. Il faut suivre les préconisations du rapport Sichel, à savoir : un reste à charge limité à 5 % du montant des travaux pour les ménages modestes et n'excédant pas 40 % du montant des travaux pour les plus aisés.

Enfin, quatrième axe : l'État doit verser beaucoup plus rapidement les aides aux ménages. Il faut construire une logique d'avance pour que ces derniers n'aient à payer que le reste à charge sans devoir avancer le montant des aides de l'État.

Quelles solutions envisagez-vous pour améliorer le dispositif MaPrimeRénov' afin que la France accélère encore la rénovation de son parc de logements ?

Applaudissements sur les bancs du groupe RE.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Je partage votre constat : les aides à la rénovation présentent une certaine complexité, en particulier lorsqu'il s'agit de les cumuler. Les efforts de simplification consentis ces dernières années doivent être approfondis ; nous y travaillons activement, notamment avec l'Anah.

Toutefois, à ce stade, il n'est pas possible de fusionner les aides MaPrimeRénov', qui sont des aides publiques, et celles liées aux C2E, issues de contributions obligatoires des fournisseurs d'énergie. En revanche, nous avons des marges de progrès importantes pour améliorer leur articulation, rapprocher les critères d'éligibilité, faciliter leur compréhension et leur mobilisation par les ménages. Comme vous, je crois important que l'accompagnement soit généralisé : c'est l'objectif de l'extension de l'action du service public France Rénov' dès le 1er janvier grâce aux accompagnateurs.

S'agissant du versement des aides, les demandeurs peuvent et doivent connaître, avant la réalisation des travaux, le montant de la prime qui leur sera versée – ils ont besoin d'être éclairés. En outre, les aides doivent être versées – c'est en tout cas notre objectif – en quelques semaines. Même si quelques difficultés peuvent persister, le délai est actuellement de quinze à vingt jours, contre quelques mois, voire des dizaines de mois, encore récemment, pour le crédit d'impôt pour la transition énergétique.

Enfin, l'Anah accorde, sur demande, à des ménages très modestes bénéficiaires de MaPrimeRénov' des avances de trésorerie pouvant atteindre 70 % du montant des travaux. En outre, comme je l'ai indiqué, nous proposons des produits bancaires ciblés sur le reste à charge. Je pense à l'éco-prêt à taux zéro, l'éco-PTZ, dont nous avons simplifié l'instruction : une demande unique sera adressée à l'agence France Rénov', qui pourra la transmettre ensuite à l'agence bancaire. Nous encourageons les différentes banques à accepter ce dispositif de transmission des documents.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si MaPrimeRénov' est un grand succès de ces dernières années, ce dispositif n'épuise pas la question du soutien à la demande, particulièrement en matière de rénovation globale. Certes, l'État ne peut pas tout subventionner, mais les ménages ne pourront pas tout avancer. Il nous faut donc des solutions innovantes.

Deux enjeux me paraissent cruciaux.

Premièrement, il faudrait rendre plus transparent le coût des travaux au moment de l'acquisition d'un logement pour qu'il puisse être pris en compte dans la négociation entre l'acheteur et le vendeur, ainsi que dans le modèle de financement. Faudrait-il, le cas échéant, dans les copropriétés, bloquer une certaine somme au moment de l'achat pour permettre le financement ultérieur des travaux dans l'immeuble ?

Le second enjeu central, c'est l'avance des frais. Les difficultés de trésorerie des ménages sont en effet un frein important. Alors que, pour la réalisation des travaux, les sommes doivent être déboursées immédiatement, les gains liés à l'efficacité énergétique sont très étalés dans le temps. Sur quelles pistes travaillez-vous pour généraliser les avances de fonds, remboursables uniquement quand les économies d'énergie se matérialisent ?

Les opérateurs ensembliers proposés par France Stratégie pourraient être maîtres d'œuvre et financeurs des travaux et se rémunérer directement sur les factures d'énergie. On peut imaginer également des prêts accordés aux propriétaires et remboursables uniquement, principal et intérêts, lors de la vente ou de la succession du bien. C'est une très bonne idée, dont s'inspire le prêt avance rénovation ; celui-ci commence à se déployer cette année. Reste que les plafonds de ressources retenus sont très bas. Ne pourrait-on pas les relever pour rendre ce dispositif accessible au plus grand nombre ?

Applaudissements sur les bancs du groupe RE.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Comme vous, je crois important d'informer de façon précise l'acquéreur d'un logement des coûts associés à la rénovation thermique de celui-ci. Grâce à la loi « climat et résilience », la réalisation d'un audit énergétique sera obligatoire à compter du 1er avril 2023 pour la vente de logements en monopropriété classés F et G. Cet audit devra être remis à l'acquéreur dès la première visite du logement.

Pour les copropriétés, la loi « climat et résilience » a rendu obligatoire dans toutes les copropriétés l'élaboration d'un plan pluriannuel des travaux (PPT) d'ici à 2025. Après l'adoption de ce plan par l'assemblée générale de la copropriété, le syndicat des copropriétaires devra provisionner les sommes nécessaires au financement des actions de ce PPT dans le cadre d'un fonds travaux spécifique alimenté par chaque copropriétaire.

Pour ce qui concerne le second point, l'Anah accorde, sur demande, à des ménages très modestes bénéficiaires de MaPrimeRénov' une avance pouvant atteindre jusqu'à 70 % du montant des travaux. Par ailleurs, des produits bancaires sont proposés pour financer le reste à charge des ménages les plus modestes, tels que l'éco-PTZ, dont une partie a été couplée à MaPrimeRénov'. Enfin, vous avez évoqué le prêt avance rénovation, le PAR, dont le remboursement n'est exigible que lors de la mutation du bien et qui mérite d'être davantage connu de tous, en particulier des ménages âgés et modestes, qui ont des difficultés d'accès aux prêts classiques.

La question du financement du reste à charge et du préfinancement des aides est une de nos priorités ; nous continuons à y travailler avec l'ensemble des acteurs, en particulier l'Anah.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans le contexte actuel, face à l'urgence de la transition énergétique et écologique, la rénovation énergétique est à la fois une nécessité et une priorité.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, j'ai rendu un avis sur le programme comprenant les crédits consacrés à la rénovation énergétique des logements. L'audition de dizaines d'acteurs et d'experts du secteur mène à un constat clair : si, au cours des dernières années, nous avons fait des progrès inédits, nous sommes encore loin du compte.

MaPrimeRénov', qui est l'aide la plus sollicitée et la plus connue de nos compatriotes, présente un bilan incontestablement positif : près de 1,5 million de ménages en ont bénéficié depuis sa création et, en 2022, 83 % du montant des primes engagées sont revenus aux ménages modestes et très modestes. En 2023, nous pouvons nous en féliciter, le Gouvernement accentue son effort en allouant 500 millions d'euros supplémentaires à l'enveloppe consacrée à MaPrimeRénov' et en mettant en œuvre, à partir du 1er janvier, un accompagnement renforcé et individualisé dès 5 000 euros de travaux.

L'accompagnement est indispensable car la rénovation geste par geste demeure la norme : selon la Cour des comptes, elle représente 86 % des chantiers financés par MaPrimeRénov' en 2021. Il est donc primordial que ces rénovations soient effectuées selon une approche globale, avec des travaux pensés par étapes et réalisés de manière cohérente.

À cette fin, nous devons mieux articuler l'ensemble des mesures et des aides existantes pour les rénovations globales : elles doivent apparaître nettement plus incitatives que la rénovation geste par geste. Par exemple, le cumul de MaPrimeRénov' et des primes C2E pour des travaux effectués séparément est actuellement plus avantageux que les aides délivrées pour un projet global et performant. On connaît aussi le coût et le temps nécessaire pour effectuer une rénovation globale de son logement.

Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour aller plus loin encore dans ses programmes d'incitation et pour aider les particuliers mais aussi les entreprises et les collectivités à baisser leur reste à charge afin de procéder à des rénovations globales, bien plus efficaces sur le plan économique et énergétique ?

Applaudissements sur les bancs du groupe RE.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Je ne reviens pas sur le constat, que nous partageons : des progrès importants ont été permis par la politique publique de rénovation thermique des bâtiments sous le précédent quinquennat, mais nous avons encore du chemin à parcourir pour augmenter le nombre des rénovations performantes, voire globales.

Une rénovation performante restera toujours une entreprise complexe. Pour massifier ces rénovations profondes, je suis convaincu qu'il nous faut proposer aux usagers un parcours aussi clair et lisible que possible, ce qui implique d'en améliorer et d'en simplifier encore chacune des étapes.

Il faut réussir l'entrée dans le parcours ; c'est le rôle du service public France Rénov', dont la montée en charge se poursuit. Compte tenu de la complexité des travaux, les ménages doivent pouvoir s'appuyer sur un tiers tout au long de leur projet ; c'est la raison d'être des accompagnateurs Rénov'. Il est essentiel que les aides accessibles soient lisibles et plus incitatives que pour des rénovations partielles – mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain : ces dernières ont tout de même produit des effets très importants.

C'est le cap que nous nous fixons pour 2023 en relevant les plafonds de MaPrimeRénov' Sérénité, de MaPrimeRénov' Copropriété et du forfait rénovation globale. En plus des aides incitatives, les solutions de financement du reste à charge doivent être facilement accessibles pour que celui-ci ne constitue pas un frein à l'engagement. Enfin, il est important que les ménages aient accès à des entreprises compétentes en matière de rénovation performante, en lesquelles ils ont toute confiance.

La question du parcours est au moins aussi centrale dans l'habitat collectif que dans l'habitat individuel et constitue l'une de mes priorités.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Permettez-moi, pour commencer, madame la présidente, de vous souhaiter une très bonne année 2023 ainsi qu'à l'ensemble de nos collègues ici réunis, et à vous également, monsieur le ministre délégué.

Ce que je trouve remarquable dans le présent débat, c'est qu'il est relativement consensuel pour un débat portant sur une politique publique. En effet, la politique de rénovation thermique s'impose avec évidence dès lors qu'il s'agit du changement climatique, de notre souveraineté énergétique mais aussi de la création d'emplois.

Si beaucoup a déjà été fait, il faut accélérer encore pour nous montrer à la hauteur de nos ambitions climatiques. Il y a d'abord eu la loi « climat et résilience », puis le grand succès de MaPrimeRénov' ; il y a ensuite eu l'augmentation des moyens de l'Anah et les efforts faits pour structurer la filière dans le cadre de France relance.

Autant de progrès, certes, mais je vais vous faire une confidence, monsieur le ministre délégué : il y a plus de quinze ans, dans une autre vie, j'ai eu l'occasion de m'intéresser à la première directive européenne sur l'efficacité énergétique. Or, à l'époque, la question était déjà de savoir comment parvenir à enclencher un mouvement de rénovation massif des bâtiments, si bien que, si j'avais encore des cheveux, je me les arracherais !

Sourires sur quelques bancs du groupe RE.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai donc deux questions.

La France a cette particularité qu'il n'y existe pas de filière de la rénovation thermique parfaitement structurée, comme en Allemagne, où, sur tout le territoire, on trouve des entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui assurent l'ensemble des travaux de rénovation, de façon très efficace. Comment le Gouvernement compte-t-il dès lors faire pour aider la filière à se structurer et véritablement industrialiser la rénovation thermique des bâtiments ?

Ma seconde question, sans doute un peu simpliste, se pose du point de vue des ménages : comment faire en sorte que chaque propriétaire se voie proposer une offre de rénovation thermique ? Qui les démarche ? Selon quel montage financier ? Comment s'assurer, en d'autres termes, que chaque propriétaire ait accès à une offre concrète, financièrement définie et immédiatement réalisable.

Applaudissements sur les bancs du groupe RE.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Le logement, c'est 30 % de notre consommation d'énergie, mais je suis convaincu que le secteur peut aussi incarner l'avant-garde éclairée de la transition écologique, dans notre lutte contre le réchauffement climatique, pour la préservation de notre indépendance énergétique et contre la précarité énergétique des plus modestes.

Depuis 2017, grâce à l'engagement des députés, notamment de la majorité, nous avons augmenté le rythme des rénovations thermiques, avec 700 000 rénovations de logement par an, voire un peu plus puisque nous avons atteint le chiffre inédit de 1,5 million de rénovations.

Le bilan est bon mais il faut désormais aller plus vite, plus loin, plus fort, et c'est ce que nous faisons avec la montée en puissance de France Rénov', avec le déploiement progressif des accompagnateurs, la mobilisation des financeurs privés et la simplification des dispositifs de financement du reste à charge.

S'agissant de la structuration de la filière industrielle, elle fait partie des objectifs de la planification écologique, grâce notamment à un plan d'actions relatif à la formation et à l'attractivité des métiers, mais qui portera également sur la qualité et la dynamique de l'offre. Des appels à projets spécifiques sont déjà prévus dans le cadre de France 2030. Permettez-moi de dire aussi un mot de la rénovation des bâtiments publics, qui est un enjeu en matière d'exemplarité. Le Président de la République a fixé des ambitions très claires concernant notamment la rénovation des écoles et des gymnases – et l'ancien président de l'Anru que je suis est très attaché à la question du bâti scolaire.

Je connais votre mobilisation, monsieur Holroyd, ainsi que l'engagement de la Caisse des dépôts et consignations, dont vous présidez la commission de surveillance, en faveur de la rénovation des équipements publics, si importante pour la limitation des gaz à effet de serre.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'année 2022 est désormais derrière nous et elle nous a durement rappelé l'impératif de rénovation énergétique. Impératif environnemental d'abord, puisque le logement représente 20 % de nos émissions de gaz à effet de serre, mais aussi impératif économique puisque le prix de l'électricité a énormément pesé sur le budget des Français.

MaPrimeRénov', longuement évoquée au cours du présent débat, est un des piliers de notre action en la matière. Elle a permis de multiplier par dix le nombre d'actes de rénovation, à défaut de rénovation globale, puisque c'est bien là l'objectif que nous devons nous fixer, le potentiel d'économies d'énergie étant assez important.

Si la rénovation globale doit devenir la norme, cela inclut les centres-villes et les centres-bourgs, et c'est là où des difficultés perdurent, en particulier dans les périmètres protégés.

Vous l'avez évoqué, monsieur le ministre délégué, nous avons adopté, il y a un mois et par un large consensus que je salue, un amendement qui obligeait les ABF à prendre en compte ces objectifs de rénovation énergétique et de développement des énergies renouvelables. C'est une réelle avancée puisque cela permet, grâce à l'expertise de deux ABF, de concilier la transition environnementale et le développement des énergies renouvelables avec le maintien d'un haut niveau de protection du patrimoine.

Les attentes sont nombreuses en la matière, qu'il s'agisse de particuliers, d'entreprises ou de collectivités. Si 2022 a été l'année de l'adoption de cette mesure, 2023 doit être l'année de son application. Dans cette perspective, certaines questions demeurent, comme celle de la formation des ABF ou encore celle de l'élaboration d'une nomenclature d'aide à la décision, sans laquelle les décisions des ABF resteront discrétionnaires.

Je me permets donc, monsieur le ministre délégué, de vous demander comment le Gouvernement compte décliner ces différents problèmes, selon quelles orientations et quel calendrier.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

La conciliation entre protection du patrimoine bâti et transition environnementale est un sujet important, sachant que 30 % environ des logements des Français sont concernés, directement ou indirectement, par des mesures de protection patrimoniale. C'est donc un enjeu clé pour qui veut massifier les rénovations énergétiques performantes, à la fois dans l'habitat collectif et dans l'habitat individuel.

Dans le cadre des débats sur les énergies renouvelables, le Gouvernement a soutenu votre proposition que soient prises en compte par les ABF des objectifs de transition énergétique ; notre soutien est le même dès lors qu'il s'agit d'accélérer la rénovation énergétique, tout en préservant ou en améliorant la qualité de nos bâtiments. En 2022, nous avons donc mis en place, en lien avec le ministère de la culture, un groupe de travail ad hoc, impliquant des représentants des ABF. L'objectif est de recenser les points de friction entre protection patrimoniale et rénovations performantes, de proposer des pistes d'amélioration à travers la mise en place d'outils pertinents, de renforcer enfin la sensibilisation et l'information des acteurs.

Soyez assuré de la volonté du Gouvernement de faciliter l'accès des ABF aux connaissances techniques nécessaires en matière de rénovation performante, grâce à une banque de ressources documentaires plus riche et plus facile d'accès et grâce à la mise en place de formations adaptées. Ces actions sont en cours de développement et je continuerai, monsieur le député, de vous tenir informé de leur déploiement.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La rénovation énergétique des logements relève d'un triple enjeu : lutter contre le changement climatique, soutenir le pouvoir d'achat et améliorer la qualité de vie des Français.

Cela étant, les résultats de MaPrimeRénov' sont édifiants : 2,8 milliards d'euros par an ont servi à la rénovation de 700 000 logements et, sur ces 700 000 logements 60 000 seulement ont fait l'objet d'une rénovation globale, ce qui signifie que pour les 640 000 autres, il ne s'agit que de saupoudrage, et donc d'une très mauvaise utilisation de l'argent public.

Les rénovations aidées ont donc consisté, dans la plupart des cas, en des gestes techniques isolés et non en une rénovation globale, pourtant plus efficace pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et faire baisser la facture d'électricité et de gaz des Français.

Qu'en est-il, par ailleurs, du contrôle des entreprises qui seront rémunérées grâce à ces subventions ? Aujourd'hui, les entreprises fleurissent dans le secteur de la rénovation et, si certaines ont démontré leur sérieux, d'autres captent les aides de l'État, pour délivrer des prestations au mieux partielles, au pire inexistantes.

Votre objectif est de massifier la rénovation d'ici à 2050. Avec quelle main-d'œuvre ? Qu'avez-vous prévu en matière d'apprentissage pour pallier le manque de compétences et de main-d'œuvre ?

Vous parliez d'un éco-prêt à 0 % pour les ménages aux revenus les plus faibles. Actuellement, les petits propriétaires ont déjà des difficultés pour se nourrir ; or, d'ici à 2025, les logements de classe G seront interdits à la location, tout comme les logements de classe F à compter de 2028. Ne pensez-vous pas que l'emprunt que devront contracter ces ménages pour financer la rénovation que vous leur imposez sera le coût supplémentaire qui les achèvera ?

Applaudissements sur les bancs du groupe RN.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Je tiens à le redire, MaPrimeRénov', telle qu'elle existe, est un succès. En effet, 1,5 million de chantiers – plus de 750 000 par an – ont été financés pour des économies d'énergie équivalant à la consommation de la ville de Lyon.

Certes, il ne s'agissait, dans un certain nombre de cas, que de monogestes mais de monogestes qui ont produit leurs effets. D'abord, parce que 80 % de ces aides ont été attribuées à des ménages modestes et que, pour 90 %, elles ont servi à remplacer des chauffages au fioul ou au gaz – elles ont donc largement contribué à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Mais oui, vous avez raison, il faut aller plus loin dans la rénovation performante, puis dans la rénovation globale. C'est l'objet des améliorations qui sont proposées, notamment l'institution des accompagnateurs Renov' chargés d'éclairer les projets et de permettre que l'on connaisse, le plus en amont possible, les aides éligibles mais aussi les artisans labellisés RGE pouvant intervenir sur ces chantiers.

MaPrimeRénov' va ainsi nous permettre d'accompagner dans les années qui viennent l'effort de rénovation, en particulier dans l'habitat collectif et les copropriétés, quel que soit leur état, qu'elles soient en bonne santé financière, fragiles ou très fragiles. C'est le sens des chantiers que nous menons actuellement avec l'Anah.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mettons-nous d'accord : massifier, c'est rationaliser. Autrement dit, pour massifier la rénovation thermique, il ne suffit pas simplement de financer un grand nombre de dossiers, mais il faut financer un grand nombre de dossiers de qualité. Et, sur ce point, MaPrimeRénov' rate, selon nous, complètement l'objectif. D'après l'Agence nationale de l'habitat, au premier trimestre 2022, sur plus de 300 000 dossiers MaPrimeRénov', seuls 19 % étaient multigestes, pour une moyenne d'1,2 geste seulement. En d'autres termes, on finance de nombreux dossiers pour in fine ne pas rénover grand-chose. Par ailleurs, la nature des gestes réalisés laisse à désirer puisqu'en réalité 86 % des dossiers financés en 2021 concernent le remplacement du système de chauffage, alors qu'il existe en France 2,8 millions de passoires thermiques.

L'enjeu est réel. L'Agence de la transition écologique (Ademe) relève notamment que rénover un logement en une seule fois permet d'éviter la création de ponts thermiques. La probabilité d'améliorer la performance énergétique se réduit d'autant plus que les étapes de rénovation s'échelonnent dans le temps. Plus préoccupant encore, rénover son système de chauffage avant son isolation peut conduire à un surdimensionnement du système occasionnant, paradoxalement, une surconsommation et une usure précoce du matériel. À l'inverse, faire primer les travaux d'isolation favorise les économies d'énergie et le confort thermique du logement. Si la priorité n'est pas donnée à l'isolation, le seul atout de MaPrimeRénov' sera de permettre à nos concitoyens de chauffer les rues aux pellets plutôt qu'au fioul, au lieu de chauffer leur logement.

Une solution crédible serait d'imposer, comme pour MaPrimeRénov' Sérénité, un gain énergétique minimum, voire d'exiger la réalisation de certains gestes pour bénéficier de la prime, comme l'impose déjà la réduction d'impôt Denormandie dans son domaine.

Ma question est donc simple : comment entendez-vous rééquilibrer MaPrimeRénov' afin d'encourager les travaux d'isolation, ainsi que la multiplication des gestes pour chaque dossier ?

Applaudissements sur les bancs du groupe RN.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Je tiens à le répéter, MaPrimeRénov' permet de réduire efficacement les émissions de gaz à effet de serre des logements individuels. Ce dispositif contribue à une économie d'énergie annuelle de 5,5 mégawattheures par logement aidé.

Dans un contexte de hausse des prix de l'énergie, MaPrimeRénov' contribue activement à sortir des énergies fossiles en logement individuel.

Cela étant, vous avez raison, il faut aller plus loin et accompagner l'habitat collectif grâce à de nouveaux dispositifs : c'est l'enjeu des années qui viennent. En effet, s'il convient d'aider la rénovation des logements individuels, car les monogestes ne sont pas suffisants – il faut favoriser les rénovations performantes, puis globales –, il convient aussi de faire évoluer les règles relatives aux copropriétés, afin de faciliter le lancement de chantiers et de limiter, comme cela a été évoqué à plusieurs reprises, le reste à charge. Ainsi, les copropriétaires pourront décider des travaux à mener en toute connaissance de cause.

Je le répète, l'enjeu des années à venir est à la fois de poursuivre la massification, en favorisant les rénovations performantes, puis globales, et de donner tous les outils utiles aux copropriétés et à l'habitat collectif – nous avons parlé du logement social tout à l'heure, mais il existe une diversité de situations. Je l'ai également dit, c'est de cette manière que les copropriétaires pourront lancer des chantiers en toute connaissance de cause.

Précisons enfin que, bien souvent, l'amélioration du diagnostic d'appartements classés F ou G sera impossible si les rénovations ne concernent que l'intérieur des logements : elle dépendra de travaux votés à l'échelle de la copropriété, qui se sera mise en ordre de marche, et relatifs aux parties communes.

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J'appelle l'attention de M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

M. le ministre délégué sourit

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

sur les conséquences financières et sociales de la loi « climat et résilience » pour les petits propriétaires bailleurs.

Depuis le 1er janvier 2023, les propriétaires dont le bien est classé G et dont la consommation énergétique dépasse 450 kilowattheures par an ne peuvent plus le louer. De plus, depuis l'été dernier, les loyers des logements classés F ou G ne peuvent plus être augmentés, mesure qui concerne 6,9 millions d'habitations. Aurions-nous près de 7 millions de logements indécents en France ?

Les propriétaires, parfois âgés, dont les bâtiments doivent être mis en conformité avec la loi du 22 août 2021 devront assumer le coût des travaux avec des fonds propres, qui ne seront pas toujours issus de leurs revenus fonciers. Ils devront, le plus souvent, emprunter sur de longues années pour réaliser ces travaux. Ils laisseront donc en héritage des mensualités de remboursement à leurs enfants, au lieu d'un petit patrimoine immobilier.

En effet, vous avez cédé aux exigences délirantes des Verts ,

Mmes Eva Sas et Marie Pochon sourient

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

en instaurant un système qui empêche les petits propriétaires de bénéficier de revenus souvent complémentaires à leur faible retraite. Ne pouvant plus être loués, les biens des petits propriétaires seront mis en vente à des prix dérisoires et récupérés par des marchands de sommeil. En effet, notamment en milieu rural, les loyers sont plus faibles qu'en ville, alors que les coûts de rénovation sont identiques. Voilà donc une partie des conséquences de votre soumission au dogme des écologistes extrémistes.

En refusant de quitter le carcan énergétique européen, vous êtes devenus les affameurs du peuple ! Pire encore, demain, avec les Verts, vous serez ceux qui spolieront l'héritage de nos enfants.

Sourires sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Que comptez-vous faire pour supprimer les effets pervers et injustes de cette loi qui, au prétexte de la rénovation énergétique, réduira les revenus et dépossédera des milliers de Français ? N'ajoutez pas de la colère à la colère !

Applaudissements sur les bancs du groupe RN.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Quand on est propriétaire et qu'on encaisse des loyers, on a des obligations, la première d'entre elles étant de loger dignement ses locataires. Or loger des personnes dans une passoire, voire dans un taudis thermique, c'est contrevenir à ses obligations.

J'étais maire de Clichy-sous-Bois il y a encore quelques semaines et je puis vous assurer qu'un certain nombre de propriétaires, que vous ne qualifiez pas de marchands de sommeil, et que l'on se contente parfois de décrire comme « indélicats », en sont bel et bien

Mme Marie Pochon approuve

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

– mais peut-être ne le savent-ils pas. Lorsque des enfants sont soumis à l'humidité ou à la moisissure dans un appartement, il est de la responsabilité du propriétaire de faire des travaux pour que ses locataires soient logés décemment.

Les propriétaires bailleurs ont accès aux aides : la loi a été améliorée en ce sens. Ces personnes ont encaissé des loyers pendant un certain temps et, je le répète, il est normal qu'elles répondent à leurs obligations de propriétaires et ne laissent pas leurs locataires souffrir de l'humidité, du froid en hiver et de la grande chaleur en été.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Bien avant la crise énergétique que nous traversons, les collectivités, tenues de montrer l'exemple en matière de rénovation thermique des bâtiments, avaient lancé de grands travaux dans ce domaine. Cependant, compte tenu de leurs capacités à agir, mener à bien les chantiers est loin d'être simple, les collectivités souffrant de l'instabilité des dotations, d'un manque d'autonomie budgétaire et de la complexité du montage des dossiers.

Aujourd'hui, en raison de la crise énergétique, la situation est très préoccupante et bon nombre de projets de rénovation thermique des bâtiments sont au point mort. Les conséquences de la crise sur le fonctionnement des collectivités entravent leur capacité à investir. Que comptez-vous donc faire pour leur permettre de financer la rénovation énergétique de leur patrimoine ? Quels leviers prévoyez-vous d'actionner pour les accompagner dans leur soutien aux bailleurs, afin d'accélérer la rénovation thermique des logements ?

Applaudissements sur les bancs du groupe RN.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Les bâtiments de l'État et des collectivités locales sont responsables des trois quarts de la consommation énergétique des communes. Le traitement des bâtiments scolaires, qui représentent 50 % de leur parc, constitue un enjeu important et le Président de la République en a fait une priorité claire.

Comme pour le secteur tertiaire, la rénovation des bâtiments publics est, de manière générale, orientée par le dispositif réglementaire « Éco énergie tertiaire », lequel fixe des obligations de réduction de la consommation énergétique pour les horizons 2030, 2040 et 2050, prévoyant jusqu'à 60 % de diminution.

Les programmes C2E visent également à massifier la rénovation et à renforcer l'ingénierie des collectivités territoriales : 100 millions d'euros sont notamment consacrés à ce dernier élément dans le cadre du programme « Action des collectivités territoriales pour l'efficacité énergétique » (Actee).

La rénovation énergétique des bâtiments publics était une priorité du plan de relance, l'État et les collectivités ayant bénéficié d'une enveloppe de 4 milliards d'euros. Le fonds vert, doté de 2 milliards d'euros pour 2023 et consacré aux collectivités, doit permettre de prolonger cette dynamique.

D'autres sources de financement, notamment privées, devront aussi être mobilisées plus facilement afin d'atteindre nos objectifs : c'est l'enjeu de la proposition de loi – que vous examinerez dans quelques jours – de Thomas Cazenave, visant à ouvrir le tiers financement à l'État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique.

Enfin, nous avons évoqué le logement en début de séance, mais peut-être n'étiez-vous pas présente :…

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

…dans le cadre du pacte de confiance que nous établissons avec elle, l'Union sociale pour l'habitat (USH) doit financer la rénovation thermique des bâtiments des organismes qui en sont membres. Nous avons inscrit 200 millions d'euros dans le cadre du programme d'aide à la pierre dans la loi de finances pour 2023 afin d'accompagner le logement social et, vous le savez, grâce aux programmes de renouvellement urbain, l'Anru est très présente aux côtés des bailleurs sociaux pour la rénovation de leur parc.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout le monde le sait, il y a 7 millions de passoires thermiques dans notre pays. Il s'agit d'un fléau social et écologique. Très fiers, vous affirmez avoir la solution avec, notamment, MaPrimeRénov', et avoir versé 700 000 primes l'année dernière.

Or ces 700 000 primes ne sont ni efficaces ni rentables. Elles financent ce qu'on appelle des monogestes, comme des changements de porte ou de chaudière, mais elles ne résolvent absolument pas le problème des passoires thermiques, pas plus qu'elles ne permettent la rénovation globale des logements.

Pour preuve, sur les 7 millions de passoires thermiques, seules 2 500 sont sorties de ce statut en 2022 grâce à MaPrimeRénov'. Si nous devions compter sur ce seul dispositif, il faudrait donc 2 000 ans pour rénover toutes les passoires thermiques.

Quel est le problème ? Le reste à charge, entre autres, demeure trop important, celui-ci s'élevant la plupart du temps à des dizaines de milliers d'euros pour une rénovation globale – c'est ce qui nous a été dit lors des auditions conduites dans le cadre de notre proposition de loi visant à accélérer la rénovation thermique des logements en garantissant un reste à charge zéro pour les ménages les plus modestes réalisant des travaux et en interdisant réellement les logements les plus énergivores. Dans ces conditions, les ménages modestes ne se lancent pas dans de tels chantiers.

Si nous voulons multiplier les rénovations globales, il faut réduire le reste à charge pour les propriétaires modestes, et même le réduire à zéro. C'est ce que notre groupe et la NUPES ont proposé en commission, en novembre, lors de l'examen de notre proposition de loi, mais vous avez repoussé cette mesure.

Contrairement à ce que vous dites souvent, les acteurs du bâtiment affirment être prêts à assumer une telle demande supplémentaire. Ils créeront d'ailleurs un grand nombre d'emplois, mais cela nécessitera un soutien public bien plus important et programmé sur plusieurs années.

C'est d'ailleurs pour cette raison qu'une majorité de députés avaient voté l'allocation de 12 milliards d'euros en 2023 pour la rénovation énergétique des logements, somme que vous avez retoquée grâce à un 49.3 sur le projet de loi de finances. Résultat : seuls 2,5 milliards d'euros seront affectés à MaPrimeRénov' cette année, soit à peine plus qu'en 2022. C'est une misère au regard des objectifs que vous avez vous-mêmes fixés. Comment comptez-vous donc les atteindre ? Par quel miracle ?

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Comme vous le savez, le Gouvernement s'inscrit dans une démarche de planification énergétique, inspirée par la Première ministre, que nous appelons « France nation verte » – démarche qui guidera notre action.

Pour en revenir aux passoires énergétiques, vous avez raison, elles sont un fléau et le Gouvernement est mobilisé pour les éradiquer. Je viens de le dire, il n'est pas acceptable que nos concitoyens vivent dans ce qui s'apparente parfois à des taudis énergétiques.

Au 1er janvier 2022, sur les 30 millions de résidences principales, environ 5,2 millions, soit 17 % d'entre elles, pouvaient être considérées comme des passoires énergétiques, avec un DPE de classe F ou G. Le dispositif MaPrimeRénov' vise à éradiquer les passoires énergétiques et alloue un bonus financier lorsque les travaux permettent de sortir de ces classes F et G.

À cet égard, permettez-moi de rappeler que le chiffre de 2 500 logements que vous avez évoqué est erroné : il correspond au nombre de logements ayant bénéficié du bonus. Il est évident qu'un nombre bien plus important de logements sont sortis du statut de passoire thermique l'an dernier, mais seules 2 500 demandes de bonus ont été déposées.

En effet, en 2022, le dispositif MaPrimeRénov' Sérénité a permis la rénovation globale de plus de 19 000 logements classés F ou G sur les 35 000 dossiers financés, soit plus de 50 %. Rappelons aussi que MaPrimeRénov' a été étendu à l'ensemble des propriétaires de logements en 2021, ce qui inclut, nous en parlions il y a quelques instants, les propriétaires bailleurs.

J'ajoute que le montant de l'aide allouée par MaPrimeRénov' a été accru de 1 000 euros dans le cadre du plan de résilience si les travaux visent à installer un système de chauffage fonctionnant à l'énergie renouvelable, dispositif qui a été prolongé jusqu'au 31 mars 2023.

D'autres dispositifs complètent les subventions de travaux, tels que les C2E et les éco-prêts à taux zéro, destinés à l'ensemble des ménages – éco-prêts à taux zéro qui, je le rappelle, sont désormais couplés aux demandes de subvention MaPrimeRénov' afin de simplifier les démarches.

Les premières estimations des services indiquent que MaPrimeRénov' aurait bénéficié à environ 25 % des passoires thermiques en 2022, soit plus de 150 000 logements.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La consommation d'énergie du secteur résidentiel représente 20 % des émissions de CO2 et 31 % de la consommation nationale d'énergie. Après avoir augmenté très fortement jusqu'au début des années 2000, la consommation d'énergie des logements tend à se stabiliser, affichant même une légère baisse de 5 % entre 2012 et 2019. Cette diminution est néanmoins insuffisante eu égard aux enjeux climatiques et géostratégiques de souveraineté énergétique. Il faut donc changer de braquet et de méthode, le dispositif MaPrimeRénov' étant à ce stade incapable de permettre les nécessaires 700 000 rénovations énergétiques par an.

Procédons étape par étape et commençons par les diagnostics énergétiques. Que propose le Gouvernement pour qu'ils soient plus fiables et systématiques ? Compte tenu du nombre de problèmes, voire de fiascos que les associations de consommateurs ont pointés, n'est-il pas temps de relancer un véritable service public du bâtiment qui les prendrait en charge ?

Ensuite, les rénovations ciblées sont insuffisantes, voire contre-productives. Que propose le Gouvernement pour faciliter non plus des rénovations qui ne concernent par exemple que les fenêtres ou un autre élément couvert par MaPrimeRénov', mais des rénovations globales qui intègrent la rénovation thermique dans des politiques plus globales, tels que la lutte contre l'insalubrité – à Marseille, d'où je suis élu, c'est fondamental –, le confort ou la modification de l'habitat ?

Troisièmement, le reste à charge est trop important pour de nombreux petits propriétaires. Le Gouvernement prévoit-il d'augmenter la part prise en charge par l'État ? Dans la mesure où vous n'avez pas retenu notre proposition d'allouer 12 milliards d'euros en la matière, comment allez-vous faire pour réduire réellement le reste à charge ? De plus, il convient de faciliter l'accès au crédit. Il est actuellement plus facile de bénéficier d'un crédit pour acheter un logement que pour en rénover un : trouvez-vous cela normal, monsieur le ministre ?

Enfin, la loi prévoit uniquement de qualifier les habitations classées G, F ou E de logements indécents, avec le risque que les propriétaires se tournent vers la location saisonnière, exclue de son champ d'application. À cet égard, les sanctions contre les 3,5 % de multipropriétaires possédant à eux seuls 50 % des logements loués sont insuffisantes. Que comptez-vous faire pour que les multipropriétaires louant des passoires thermiques rénovent leurs biens ?

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

La rénovation de l'habitat collectif est une priorité. Il faut améliorer les dispositifs en vigueur afin de faire baisser le reste à charge et de le financer par des prêts et des éco-prêts. Cet accompagnement des copropriétaires doit leur permettre d'obtenir un vote positif de la copropriété et de réaliser les travaux. Nous avons prévu des rencontres avec les banquiers afin de les inciter à s'intéresser à nouveau aux copropriétés, notamment en offrant des dispositifs d'avance, que certaines banques ont abandonnés. Je souhaite qu'elles reviennent sur cette décision. La Caisse d'épargne d'Île-de-France en offre mais pas encore suffisamment. Il faut que d'autres banques accompagnent les copropriétés et les copropriétaires pour réaliser les travaux de rénovation. Nous avons décidé d'augmenter de 15 000 à 25 000 euros le montant des aides pour les copropriétés afin qu'elles aillent plus loin dans la rénovation thermique.

Vous avez raison, nous devons continuer à travailler sur le DPE car il est un outil essentiel de compréhension de la qualité du logement et de son évolution. Dans le contexte actuel de crise, il est le meilleur thermomètre dont nous disposons pour connaître la situation d'un logement. Ce dispositif a fait l'objet d'une refonte en 2021 à l'occasion de laquelle il a été entièrement repensé. Aujourd'hui, le DPE est un outil robuste, fiable et performant que nous pourrons utiliser dans le cadre de toutes nos politiques de rénovation du parc.

Les entreprises, dont nous avons parlé tout au long de l'après-midi, sont un autre outil. Il faut continuer à développer la filière en qualifiant les entreprises afin qu'elles soient plus nombreuses à accéder au label RGE et à pouvoir ainsi réaliser des travaux de rénovation.

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La présente discussion conduit à poser une question incontournable : « Combien ça coûte ? » On se demande combien ça coûte de changer des fenêtres, de modifier un équipement de chauffage ou de refaire une toiture ou un plancher. Toutefois, cette question prend le sujet par le petit bout de la lorgnette puisque la vraie question consiste à s'interroger sur le coût de ne pas faire ces travaux. C'est cette question que je souhaite vous poser, monsieur le ministre délégué.

Combien ça coûte à notre pays d'avoir des millions de personnes qui vivent dans le froid ? Combien coûtent les maladies liées à cette situation – asthme, bronchite, pneumonie – qui atteignent les enfants ? Combien ça coûte d'avoir des personnes qui n'arrivent pas à fermer l'œil de la nuit alors qu'elles doivent aller travailler ou étudier le lendemain ? Combien ça coûte d'avoir des enfants qui révisent le soir leurs cours dans une quasi-obscurité, dans une chambre qui parfois sent le moisi ou qui ne peuvent pas ouvrir la fenêtre car les particules fines ou les produits polluants en concentration excessive dans leur logement les empoisonnent ? La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) appelle régulièrement notre attention sur cette question : combien ça coûte de laisser des escrocs mener des chantiers de rénovation à la va-vite car les particuliers n'ont pas l'argent pour réaliser la rénovation en une seule fois, de bout en bout ? Combien coûte une situation qui provoque chaque année la mort de plus de 2 000 personnes vivant dans ce que nous appelons ici des passoires thermiques ?

Combien coûtent l'inaction gouvernementale et le retard dans la réalisation de l'ensemble des engagements pris vis-à-vis de la population ? Cette question est d'autant plus urgente que la majorité relative a adopté un texte de loi antilocataire. Par ailleurs, je rappelle que seuls 7 % des logements sont des passoires thermiques dans le parc social alors que cette proportion est de près d'un quart dans le parc privé. Encore une fois, le public fait mieux pour moins cher.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Je suis d'accord avec vous : la rénovation thermique des bâtiments n'est pas qu'une question d'argent. Elle est, bien évidemment, d'abord une question sociale : dans quelles conditions laissons-nous vivre nos concitoyens ? L'objectif du Gouvernement de rénover plus de 700 000 logements par an est atteignable. S'il est possible, dans les années qui viennent, de rénover davantage de logements, nous nous en donnerons les moyens. Ce n'est pas votre propos, mais les incantations ne suffisent pas pour rénover un ou deux millions de logements par an.

Je le rappelle souvent, je suis d'abord un petit maire. Lors de mes mandats de maire de Clichy-sous-Bois, j'ai pu connaître de près la situation de l'habitat collectif, celle de l'habitat social et des copropriétés dégradées. La réalisation de l'Orcod-in – opération de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national – à Clichy-sous-Bois ne se heurte pas à des problèmes financiers. Nous disposons de l'argent nécessaire. Reste que la rénovation globale d'un immeuble est une opération des plus complexes posant des questions d'ingénierie et de préparation de chantier, notamment celles des conditions de sa réalisation en site occupé.

Nous partageons votre volonté d'aller plus vite et plus loin dans la rénovation thermique des bâtiments. Donnons-nous les moyens de qualifier la filière et les niveaux de travaux nécessaires afin de mener des rénovations plus performantes puis plus globales et régler ainsi la question la plus urgente, celle des taudis énergétiques, tout en poursuivant la lutte contre l'habitat insalubre et les marchands de sommeil. Nous aurons ainsi partiellement avancé. En tout cas, je le répète : pour aller plus vite dans la rénovation thermique des bâtiments, l'argent n'est pas la seule question qui se pose.

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La rénovation énergétique – ou, plus précisément, thermique – de nos bâtiments est un des enjeux les plus importants de notre époque. Elle se heurte, malheureusement, à plusieurs limites.

Premièrement, le pilotage des politiques publiques en matière de rénovation thermique ne conduit pas à des résultats pertinents et montre des limites criantes. La plupart du temps, c'est le nombre de logements rénovés et les dépenses publiques qui sont pris en considération plutôt que la baisse de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre. Il n'existe en France aucune statistique fondée sur les consommations réelles après rénovation thermique. Ce système est non seulement préjudiciable à la performance énergétique mais également au suivi des politiques. Certes, l'État a proposé un éventail d'aides aux Français, une quinzaine environ, mais combien d'entre eux les ont perçues ? On me signale souvent des procédures administratives compliquées et interminables qui dissuadent de nombreux ménages de se lancer dans des travaux de rénovation énergétique.

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Il semble aujourd'hui indispensable de clarifier et de simplifier les différents dispositifs d'aides et les démarches à suivre.

Deuxièmement, dans le cadre de la rénovation énergétique des bâtiments d'habitation, ne serait-il pas pertinent d'inciter les propriétaires d'un même immeuble à rénover l'entièreté du bâtiment – voire de le leur imposer –, pour obtenir de vrais résultats énergétiques et éviter les gestes isolés à moindre effet ?

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Enfin, le marché de l'immobilier va être chamboulé par l'interdiction à la location des logements mal classés énergétiquement, interdiction qui va se durcir dans les années à venir. Compréhensible, cette mesure n'en alerte pas moins depuis des mois la filière du bâtiment et travaux publics (BTP). Par la quantité massive de logements à rénover, l'offre devient considérablement faible face à la demande croissante. Les artisans l'annoncent : les travaux de rénovation thermique s'enchaînent et ils ne peuvent malheureusement pas suivre, du fait du manque de main d'œuvre et de matériaux. Dans le contexte d'explosion des prix de l'électricité pour les professionnels, comment le Gouvernement entend-il pallier le manque d'artisans et de matériaux qui va fortement freiner les travaux de rénovation énergétique des particuliers ? Depuis des années, la puissance publique multiplie les chèques pour des dispositifs qui ne donnent pas vraiment satisfaction, ni aux bénéficiaires, ni à l'ambition du législateur de massifier la rénovation thermique. Entre incitation et obligation, il est grand temps de trouver un fonctionnement équilibré et véritablement efficace.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Vous avez raison, et je l'ai répété tout au long de la discussion : la rénovation de l'habitat collectif ne peut pas passer uniquement par la rénovation d'un logement à l'intérieur d'un habitat collectif. Avec l'Anah, nous cherchons à qualifier les chantiers de façon à ce qu'une copropriété puisse élaborer un plan prévisionnel de travaux et que l'ensemble des copropriétaires soient éclairés sur les travaux nécessaires à l'obtention d'un gain énergétique fiable. Avec MaPrimeRénov' Copropriété, nous disposons de plusieurs outils. Ils doivent être améliorés afin de faciliter le vote de travaux par la copropriété, en simplifiant la gouvernance de cette dernière et en se donnant les moyens de faire baisser le reste à charge.

Nous travaillons avec l'Anah à l'évolution des dispositifs d'aides destinés aux copropriétés. Certaines vont bien mais doivent tout de même être aidées car certains copropriétaires disposent de revenus modestes. Les aides doivent donc être différenciées en fonction des revenus. Elles peuvent alors être versées soit à la copropriété, qui procède ensuite à la différenciation, soit directement aux copropriétaires. Des copropriétés plus fragiles peuvent être aidées par des dispositifs tels que les Opah et certaines, encore plus fragiles, peuvent faire l'objet de plans de sauvegarde. Dans chacun de ces cas, il faut veiller à ce que le niveau d'aides soit suffisant pour que les travaux puissent être réalisés dans l'intérêt des habitants et de leur pouvoir d'achat, mais également dans l'intérêt de la planète puisque chacun de ces gestes de rénovation permet de diminuer les émissions de gaz à effet de serre.

C'est le défi qui se trouve devant nous : inciter à des écogestes plus massifs, sortir du geste unique et aller vers des rénovations à la fois globales et performantes, en particulier dans l'habitat collectif.

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La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 fixait l'objectif d'une disparition totale en 2025 des 12 millions de passoires thermiques. Cette échéance a été reportée à 2028 par la loi « climat et résilience » de 2021. Elle ne sera pourtant probablement pas tenue. La Cour des comptes constatait en effet en mars dernier que, depuis le lancement de MaPrimeRénov' le 1er janvier 2020, seules 2 500 passoires thermiques avaient été rénovées chaque année. On est donc très loin du compte.

En octobre dernier, la Défenseure des droits annonçait publiquement avoir été saisie de près de 500 réclamations en deux ans à la suite de difficultés rencontrées par des ménages ayant sollicité une aide au titre de ce programme. Outre des bugs récurrents sur la plateforme en ligne, les propriétaires dénoncent l'absence d'interlocuteur ou d'information pour le suivi de leurs dossiers, des retards compromettant le versement des aides, qui peuvent les conduire à de graves difficultés financières, et des délais anormaux de traitement qui ont laissé de nombreux ménages sans chauffage lors des derniers hivers.

Combien sommes-nous dans cet hémicycle à avoir reçu des témoignages de nos concitoyens victimes d'un dialogue de sourds avec l'administration de l'État, incapable de leur dire où en était leur dossier et quand il pourrait aboutir ? La gestion de l'instruction des dossiers, normalement dévolue à l'Anah, a été sous-traitée à un prestataire privé avec qui le dialogue semble inexistant.

Le choix d'une plateforme entièrement dématérialisée, sans interlocuteur pour pouvoir se renseigner ou corriger des erreurs, laisse bon nombre de nos concitoyens à l'écart du dispositif et oblige les rares candidats qui osent se lancer à aller taper à la porte de leur député pour espérer débloquer la situation.

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Enfin, la complexité du dispositif, le caractère illisible des aides proposées aboutit fréquemment à de mauvaises surprises, avec, à la fin, des primes inférieures aux estimations réalisées avant travaux et pourtant promises par l'État.

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Vous avez déjà dépassé votre temps de parole. La règle est la même pour tous.

La parole est à M. le ministre délégué.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Le chiffre de 2 500 rénovations globales que vous citez ne concerne que les rénovations ayant bénéficié d'un bonus. Plus de 160 000 logements ont fait l'objet d'une rénovation globale pouvant bénéficier du bonus mais leurs propriétaires n'en ont pas fait la demande. Ne restons donc pas sur ce chiffre, qui ne reflète pas du tout la réalité.

Le volume des dossiers MaPrimeRénov' et leur processus de traitement induisent nécessairement des difficultés pour une part d'entre eux. Chaque dossier est instruit de façon rigoureuse, détaillée et individualisée afin de s'assurer que la demande d'aide est conforme et que l'argent public est dépensé à bon escient. Je pense que nous y sommes tous favorables.

Je rappelle que, avec jusqu'à 25 000 décisions prises par semaine, le traitement des dossiers est massif. J'en profite pour saluer les équipes de l'Anah et l'ensemble de ses agents pour le travail important et de qualité qu'ils mènent. Depuis 2021, l'Anah a mis en œuvre un ensemble de parcours et de processus spécifiques pour traiter les dossiers en difficulté. Les agents suivent une démarche très active afin d'anticiper les problèmes, avec une sécurisation de la plateforme et un accompagnement systématique et renforcé des usagers en difficulté. Nous avons par ailleurs renforcé la lutte contre la fraude afin de diminuer les délais de traitement des dossiers.

Ne soyons donc pas pessimistes : MaPrimeRénov', ça marche ! Je ne nie pas qu'il existe des difficultés, mais elles représentent à peine 2 % des 150 000 dossiers déposés chaque année.

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Les ménages prennent des risques importants quand ils financent des travaux. Nous avons été nombreux à le souligner : l'existence d'un reste à charge, même après l'attribution d'aides publiques, constitue un frein qui décourage certains d'engager une rénovation.

La création, en 2009, d'un éco-prêt à taux zéro était une initiative prometteuse pour faciliter le financement de ces opérations par les Français. Pourtant, seuls 61 000 de ces prêts ont été accordés en 2021, principalement, d'ailleurs à des ménages aisés ; 70 000 avaient été accordés l'année de leur création.

Qu'a fait le Gouvernement pour favoriser l'attribution de ces prêts ? Les banques ont parfois du mal à jouer le jeu et tendent à appliquer les mêmes conditions aux emprunteurs que pour un prêt ordinaire, notamment en survérifiant leur solvabilité. Elles dénoncent aussi fréquemment la complexité du dispositif – problème qui relève, lui, de la responsabilité directe du Gouvernement.

Où en est le PAR qui permet aux ménages de ne rembourser l'emprunt qu'au moment de la vente du bien – mais n'est distribué que par un nombre trop peu élevé de banques ? Sera-t-il enfin tenu compte des économies d'énergie, qui sont le principal avantage d'une rénovation thermique, dans le financement de ces opérations ? Ces travaux sont effet supposés permettre de réduire la facture. Pourquoi ce pouvoir d'achat supplémentaire n'est-il jamais pris en compte dans le calcul de la capacité des ménages à rembourser leur prêt ?

N'est-il pas temps d'étudier enfin la possibilité de faire appel à d'autres financeurs éventuels ? On parle souvent de créer des opérateurs ensembliers, qui financeraient et réaliseraient les travaux en avançant la totalité des frais. Seuls à supporter la dette, ils rembourseraient celle-ci grâce à la baisse de la facture des ménages. Un fonds public de garantie prendrait éventuellement à sa charge les surcoûts en cas d'échec. Ce serait bien plus économique que toutes les aides distribuées par l'État depuis des années, avec un succès relatif, et bien plus incitatif pour les ménages, qui n'auraient plus besoin de s'endetter pour engager des travaux.

Monsieur le ministre délégué, vous prétendez vouloir massifier la rénovation thermique. Qu'avez-vous fait pour étudier sérieusement cette solution nouvelle de financement ?

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Monsieur Minot, vous avez raison, la rénovation thermique des bâtiments est une responsabilité collective, qui doit donc être partagée. Le service public France Rénov' montre que la situation sur le territoire national est assez diverse, selon que les collectivités locales ont pris en compte ou non la réhabilitation thermique des bâtiments. Certains départements, certaines métropoles, certains établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ont déployé des outils d'aide importants et ont parfois créé leurs propres agences locales de l'énergie et du climat (Alec), alors que d'autres sont en retard. Le niveau des aides diffère ainsi d'un endroit à l'autre selon que les aides de l'État sont complétées ou non par celles des collectivités locales. Il faut selon moi mieux marquer la responsabilité de ces dernières et signifier le problème clairement quand des collectivités locales ne s'engagent pas, voire se désengagent en matière d'aide à la rénovation thermique des bâtiments. Nous en tiendrons compte lorsque nous travaillerons sur la décentralisation des politiques du logement.

Vous avez raison, les banques doivent également se montrer responsables, en accompagnant davantage les copropriétés et les copropriétaires. C'est un enjeu majeur, puisque, quand ceux-ci votent sur le plan pluriannuel de travaux, ils doivent disposer d'une bonne visibilité sur leur solvabilité. C'est l'objet d'un travail que nous menons avec plusieurs banques ; certaines s'engagent à nos côtés sur l'éco-PTZ. D'autres les suivront.

Je l'ai annoncé il y a quelques semaines, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et moi-même réunirons l'ensemble des banquiers pour échanger sur leur capacité à intervenir avec nous dans les copropriétés et à accompagner davantage ces dernières lors des travaux de rénovation, notamment des parties communes.

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Nous débattons d'un sujet essentiel pour les Français, pour la France et pour la planète. Ses enjeux sont sociaux – pensons aux 12 millions de nos concitoyens qui ne peuvent se calfeutrer dans leur logement ; écologiques – le logement représente 25 % des émissions de gaz à effet de serre et 45 % de la consommation d'énergie – et économiques – la rénovation nourrit l'activité du secteur du bâtiment et de l'économie de proximité. C'est également un enjeu de souveraineté énergétique puisque consommer moins, c'est produire moins et faciliter notre autonomie. Parce que l'urgence climatique rejoint l'urgence sociale, la rénovation des logements est la priorité des priorités. Et c'est avant tout une question de volonté politique.

Le Gouvernement exprime sa volonté avec MaPrimeRénov' et obtient un certain succès malgré une efficacité partielle. Oui, le recours à ce dispositif n'est pas équivalent à une rénovation. Au rythme actuel, la politique fondée sur les gestes ne nous permettra pas de parvenir à la neutralité carbone pour 2050.

En 2019, déjà, notre collègue Boris Vallaud et moi-même vous proposions un dispositif suffisamment puissant pour permettre le lancement massif de travaux, en favorisant la rénovation globale et performante des logements. Nous préconisions un accompagnement renforcé tout au long des travaux, du diagnostic jusqu'à la réception du bâtiment, mais aussi et surtout un financement innovant de l'assiette globale impliquant une part de subvention forfaitaire de 30 à 50 %, suivant la situation sociale de l'occupant, et le financement du reste à charge par une avance remboursée au moment de la mutation du bien – c'est-à-dire sa vente ou sa transmission lors d'une succession. Cette méthode de financement était alors encensée par M. Sichel, à l'époque chargé d'une mission sur le sujet et directeur général adjoint de la Caisse des dépôts et consignations.

Trois ans après notre initiative, vous commencez à convenir de la justesse de nos propositions, tant sur la rénovation globale que sur le prêt avance. Tant mieux ! Si nous avons le sentiment d'être copiés, c'est aussi un honneur et un réconfort pour ceux qui attendent dans le froid.

Monsieur le ministre délégué, ma question est simple : entendez-vous remettre sur le métier cette proposition pour l'améliorer encore, selon une approche globale et massive, et l'adapter aux copropriétés ? Je reste à votre disposition.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

La loi « climat et résilience » a créé un dispositif complémentaire pour financer le reste à charge de travaux de rénovation énergétique réalisés par des professionnels RGE. Ce prêt, distribué sous le nom de prêt avance rénovation, permet de différer le remboursement du capital emprunté jusqu'au moment de la mutation. Il est destiné prioritairement aux publics qui ne pourraient pas emprunter dans des conditions classiques, notamment les ménages aux revenus modestes.

La loi « climat et résilience » permet également au fonds de garantie pour la rénovation énergétique de couvrir, sous conditions de ressources, jusqu'à 75 % du risque lié au crédit accordé à un ménage. Le prêt avance rénovation est parfaitement opérationnel depuis février 2022, trois banques ont déjà commencé à le proposer ; d'autres travaillent à la distribution de ce produit pour les prochains mois.

En 2022, les premiers chiffres indiquent que trente-six PAR ont été émis, pour un montant moyen de 20 860 euros par ménage – c'est encore trop faible. Nous n'en sommes qu'au démarrage de ce dispositif qui doit être mieux présenté et mieux connu. Les retours d'expérience nous permettront d'identifier les moyens de le développer. Je continuerai à mobiliser les banques pour faciliter sa distribution et le faire mieux connaître.

Je souligne par ailleurs de nouveau que nous facilitons l'accès à l'éco-PTZ, qui constitue une solution de financement gratuite pour les ménages capables de rembourser le capital au fil de l'eau. Les démarches administratives seront simplifiées puisque les documents fournis dans le cadre de la demande MaPrimeRénov' seront directement transmis à la banque distribuant le prêt.

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Comment massifier la rénovation thermique ? Au-delà des mots, c'est une question de déploiement des politiques publiques. Il faut sans doute davantage de souplesse, de pragmatisme et de cohérence en la matière.

Le 6 octobre 2022, le Gouvernement a présenté le plan de sobriété énergétique pour les ménages qui s'articule autour de quinze mesures phare destinées à mieux gérer la consommation ; elles peuvent s'accompagner d'un soutien financier.

Cependant, l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, du fait de sa spécificité statutaire, ne pourra bénéficier de telles mesures. Afin d'inclure cette collectivité d'outre-mer dans cette démarche ô combien importante et d'y impulser la massification de la rénovation thermique, j'avais déposé un amendement lors de l'examen des crédits du projet de loi de finances pour 2023 consacrés à la mission "Outre-mer" .

La situation était déjà urgente, avec l'explosion des prix des énergies fossiles et alors que le chauffage occupe une part particulièrement lourde – entre 30 % et 40 % – du budget des ménages à Saint-Pierre-et-Miquelon.

En outre, la collectivité a fait un effort de diagnostic de l'ensemble du bâti et a doté le territoire d'un point info énergie. Elle dispose des outils de diagnostic et d'évaluation, a entamé des formations dans les différentes entreprises du bâtiment et ses dispositifs d'aide sont prêts. Il était donc logique que les aides de l'État accompagnent cette volonté territoriale. L'amendement a été voté, mais n'a pas été intégré dans le texte finalement adopté après le recours au 49.3.

Ce matin, hasard du calendrier, j'ai reçu une réponse du ministre délégué chargé des outre-mer sur le prix des énergies – il faudrait du reste plutôt parler d'une non-réponse – m'incitant à favoriser la rénovation thermique. Vous comprendrez que les bras m'en soient tombés. J'invite à la cohérence, alors qu'à ma connaissance, vous faites partie du même gouvernement, monsieur le ministre délégué chargé de la ville et du logement. Comment faire, à quel saint me vouer pour que de telles aides soient versées à cette collectivité, pour lui permettre d'atteindre l'objectif commun dont nous débattons ?

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

L'instauration de MaPrimeRénov' et des primes « coup de pouce » accordées dans le cadre du dispositif des certificats d'économie d'énergie en métropole et dans les territoires d'outre-mer a permis d'atteindre de très bons résultats en matière de gestes de rénovation, comme cela a été indiqué depuis le début de l'après-midi, avec près de 700 000 gestes de rénovation énergétique financés en 2021 ; des résultats semblables sont attendus pour 2022.

Je comprends que ce succès incite à solliciter l'extension du dispositif à d'autres territoires. Toutefois, vous le savez, la situation législative et réglementaire de Saint-Pierre-et-Miquelon est particulière, car c'est une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution.

Dans ce contexte, en application de l'article L.O. 6414-1 du code général des collectivités territoriales, en vigueur depuis 2008, cette collectivité est compétente pour définir elle-même les dispositions applicables sur son territoire en matière d'impôt, de droit et de taxe ainsi que les politiques publiques applicables en matière de construction, d'habitation et de logement. L'instauration d'une prime de transition énergétique sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon relève par conséquent de la compétence de cette collectivité.

Le programme Sare – service d'accompagnement pour la rénovation énergétique – qui finance les espaces conseil France Rénov', à travers les C2E et une contribution équivalente des collectivités territoriales, est déployé depuis le 1er janvier 2022 à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette collectivité est donc pleinement investie, avec l'État, dans le déploiement de l'offre de services France Rénov'.

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Dans une décision du 14 octobre 2022, la Défenseure des droits pointe plusieurs dysfonctionnements du dispositif MaPrimeRénov', au détriment des potentiels bénéficiaires. J'ai eu l'occasion de rencontrer dans ma circonscription des personnes prises au piège de la plateforme informatique d'aide. Des usagers, ne parvenant pas, malgré leurs multiples démarches, à enregistrer leurs demandes ou à obtenir une réponse définitive, ont réalisé les travaux avant d'avoir pu faire aboutir leurs démarches. Dans certains cas, les aides leur ont finalement été refusées. Ces problèmes techniques et les délais de traitement qui s'appliquent à certains dossiers portent directement préjudice aux ménages. Certains demandeurs choisissent même de repousser les travaux au détriment de leur qualité de vie.

Cela a été indiqué tout à l'heure, la procédure dématérialisée n'est pas toujours efficace. La Défenseure des droits indique clairement que le passage progressif au tout numérique se traduit, pour beaucoup, par un recul de l'accès aux droits. Alors que les ménages devraient être encouragés, rassurés et accompagnés, quelles mesures prendrez-vous pour résoudre ces dysfonctionnements ?

Vous le savez, à cause des difficultés de déploiement de MaPrimeRénov', les ménages qui décident de lancer une rénovation thermique choisissent souvent des petits gestes. Or, pour massifier la rénovation des bâtiments, il conviendrait de mener des rénovations globales : isolation des murs extérieurs et du toit, changement des huisseries et remplacement du dispositif de chauffage. Cela doit passer par un réel accompagnement des ménages et des bailleurs, par la réduction des délais de traitement, par la suppression du tout numérique, et le renforcement de l'accompagnement social, technique et économique.

Pourquoi ne pas avoir conservé les moyens supplémentaires de 12 milliards d'euros prévus par les amendements des groupes de gauche, que nous avions adoptés en séance avant votre application du 49.3 ? Que faites-vous pour développer les possibilités d'avances financières que le groupe Socialistes et apparentés avait proposé, et que le Gouvernement a repris tardivement et partiellement, comme l'a rappelé notre collègue Jean-Louis Bricout ? Quels sont les chiffres actuels de distribution du prêt avance rénovation ? Êtes-vous prêt à promouvoir le développement du PAR qui n'est actuellement proposé que par deux établissements bancaires coopératifs ?

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Oui, il y a eu des dysfonctionnements. J'ai rencontré la Défenseure des droits mais son rapport ne fait état que de 400 dossiers sur les 750 000 traités chaque année. Ce sont 400 dossiers de trop, j'en conviens. Nous y travaillons et veillons à ce que France services – le réseau des services publics de proximité – puisse recevoir les réclamations et faire le lien entre l'Anah et nos concitoyens en difficulté. En outre, vous avez raison, la dématérialisation ne doit pas introduire de nouvelles fractures – notamment numérique – et les citoyens doivent disposer de tous les outils de France Rénov'.

Pour ce faire, ils peuvent bien évidemment contacter l'espace France Rénov' de leur territoire. Il est simple de trouver son numéro sur internet, ou auprès de sa mairie en cas de fracture numérique, et de demander un accompagnement téléphonique ou physique.

Enfin, c'est vrai, l'implication des banques est très importante pour le développement de la rénovation thermique et, après le déblocage de MaPrimeRénov', pour le financement du reste à charge. Je le répète, une réunion aura lieu dans les prochaines semaines entre les services du ministère chargés de la ville et du logement et le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, pour faire un point avec les banquiers sur leur capacité à s'impliquer davantage dans les dispositifs – prêt à taux zéro, éco-prêt à taux zéro ou PAR. Leur niveau d'intervention dans le PAR est insuffisant au regard de la qualité de ce dispositif, qui permet à des ménages modestes et très modestes, en particulier à des personnes âgées, d'accéder à un prêt.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Même si certains en doutent, en mesurant les consommations réelles deux ans après travaux, les évaluations des résultats des politiques engagées par plusieurs pays européens, dont l'Allemagne, montrent que les économies d'énergie prévues avant travaux ont effectivement pu être atteintes.

Interrogés, 47 % de nos concitoyens considèrent que les dispositifs d'incitation et les aides permettant de s'équiper sont complexes. Pourtant, une massification rapide, couplée à une rénovation énergétique très performante, est possible, en s'appuyant sur différents leviers complémentaires.

On pourrait ainsi mettre en place un dispositif d'aide unique, combinant prêts et subventions, indexé sur la performance énergétique et associé à un suivi après travaux – cela existe déjà dans d'autres pays européens.

Il conviendrait également de prévoir des aides importantes pour les ménages modestes, dans une logique de transition juste, d'autant que la crise ampute le pouvoir d'achat. Il faudrait instaurer une obligation de rénovation élargie, telle que l'a proposé la Convention citoyenne pour le climat, couplée aux dispositifs d'accompagnement de type guichet unique, et prévoir des financements adaptés.

Enfin, il faudrait réussir à structurer l'offre afin qu'à l'échelle des territoires, des professionnels qualifiés soient capables de répondre à la massification, mais surtout regagnent la confiance des ménages en réalisant des travaux de qualité, avec un suivi de la performance.

Nos concitoyens n'entendent pas opposer maîtrise de la demande énergétique et recours à des énergies renouvelables et décarbonées, mais ils souhaitent des résultats concrets.

Monsieur le ministre délégué, pouvez-vous exposer la trajectoire de cette massification ? Quels en sont les objectifs chiffrés – type de bâtiment, famille, montant de travaux et diminution de consommation – ainsi que le calendrier ? Pouvez-vous vous engager à revenir devant notre assemblée afin de dresser un bilan exhaustif de cette trajectoire chaque année et à adresser tous les semestres un rapport chiffré à l'ensemble des députés ?

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Afin de franchir un nouveau cap dans notre politique de rénovation énergétique des bâtiments, il faut l'inscrire résolument dans l'exercice de planification énergétique France Nation verte. La massification des rénovations performantes suppose d'agir sur différents plans : l'accompagnement, la stimulation de la demande, la fluidité des parcours, la structuration de l'offre, de manière coordonnée et sur la durée.

Avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et celui de la transition énergétique, sous l'égide de Mme la Première ministre, nous avons identifié plusieurs chantiers qui relèvent spécifiquement de la planification. Ils alimenteront dans les prochains mois le projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) et la stratégie française.

Nous travaillons notamment à la définition d'une trajectoire concertée de rénovation du parc de logements, cohérente avec nos objectifs à moyen et long termes, et qui puisse servir de référence pendant tout le quinquennat afin d'assurer des rénovations performantes, le traitement des passoires et la sortie des énergies fossiles.

En outre, il s'agit de disposer d'une offre à la hauteur de cette trajectoire ambitieuse, en lien avec la filière et les collectivités, dans la continuité des assises du bâtiment et des travaux publics. Il faut renforcer la formation et l'attractivité des métiers de l'animation de la filière – nous comptons notamment sur les régions –, les structurer afin de mieux répondre aux besoins de rénovations performantes, mais aussi innover en matière de modèles économiques et de techniques constructives.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La rénovation énergétique des bâtiments est un enjeu essentiel pour lutter contre le dérèglement climatique, mais aussi pour faire face à la crise énergétique. En outre, elle permet aux Français de disposer de logements plus confortables, tout en réduisant leur facture énergétique. Beaucoup a déjà été réalisé au cours du précédent quinquennat, comme l'illustrent les C2E, outils essentiels à la rénovation, ou le succès de MaPrimeRénov', même si le dispositif mérite peut-être encore d'être recadré afin d'aller au-delà des rénovations monogestes.

Mais comment rénover les 5,2 millions de logements qui le nécessitent ? Si nous nous réjouissons des 2,5 milliards d'euros adoptés en faveur de la rénovation dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, l'enjeu de la massification reste entier et, malgré les efforts réalisés, certains restent à faire en matière de visibilité, et de lisibilité, des dispositifs.

Le groupe Horizons et apparentés estime qu'il faut associer au plus près les élus locaux et les collectivités, ainsi que tous les acteurs du territoire, tant en matière de moyens que de ressources, de compétences, mais surtout de communication, en élaborant des outils territoriaux, sur le modèle des dispositions que nous avons adoptées pour la planification dans le cadre du projet de loi, qui sera voté demain, relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.

Certains dispositifs, comme Action cœur de ville ou la revitalisation des centres-bourgs, sont couplés à des dispositifs fiscaux, notamment la réduction d'impôt relative à la rénovation d'un logement ancien, dite Denormandie. Action cœur de ville va entrer dans sa deuxième phase. Est-il prévu d'améliorer la massification de la rénovation thermique des bâtiments par ce biais ?

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

MaPrimeRénov' est un dispositif d'aide national et l'instruction unifiée a permis la massification. Vous avez raison, il fonctionnera encore mieux si nous sommes capables d'associer toutes les collectivités, certaines ayant déjà pris les devants et étant à la pointe de la rénovation thermique des bâtiments individuels ou collectifs, par le biais d'exonérations d'impôts, d'aides, la création d'agences locales de l'énergie et du climat

et de dispositifs d'accueil des particuliers.

La situation actuelle est un peu baroque puisque perdurent les aides de ces collectivités – quand d'autres n'en avaient pas mis en place – et alors que le dispositif national s'applique sur l'ensemble du territoire. Certains Français peuvent donc être mieux aidés que d'autres. Il faut mobiliser l'ensemble des collectivités pour que chacun apporte sa pierre à l'édifice et contribue à cet effort urgent de rénovation thermique des bâtiments publics et des logements.

Vous avez raison de prendre l'exemple de dispositifs tels qu'Action cœur de ville, qui mobilisent l'ensemble des acteurs – État, Banque des territoires, Anah, Anru –, entraînant des effets démultiplicateurs très importants. Nous allons nous appuyer sur ces outils pour demander aux collectivités territoriales qui ne le sont pas encore d'être plus présentes. À l'inverse, il ne faut surtout pas que l'action de France Rénov' et de l'État démotive les plus engagées. Si l'on veut aller plus vite et plus loin dans la rénovation thermique des bâtiments, nous avons besoin de tous.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Depuis le 1er janvier, dans le prolongement de la loi « climat et résilience », pour leurs travaux énergétiques, les ménages sont progressivement obligés de faire appel à un professionnel de la rénovation, dit accompagnateur France Rénov'. Je me félicite que l'État suive la voie des collectivités locales puisque nombre d'entre elles le proposent déjà.

Toutefois, une telle disposition pourrait avoir l'effet inverse de celui recherché. En premier lieu, le coût de l'accompagnateur sera à la charge des ménages. En tant que présidente de la communauté de communes des Herbiers, j'avais mis en place un tel accompagnement, mais il était gratuit pour les bénéficiaires. Or, contrairement aux collectivités, l'État ne prévoit pas la gratuité, mais seulement une éventuelle, et faible, aide forfaitaire de l'Anah. Alors que les Français subissent de plein fouet la crise énergétique, l'accompagnateur France Rénov' constituera un coût supplémentaire pour ces derniers.

En second lieu, il sera obligatoire d'y recourir pour les ménages : cet intermédiaire supplémentaire va complexifier le processus et décourager ceux qui voudraient faire des travaux. Et pour ceux qui persisteront à vouloir les engager, leur délai de réalisation sera fortement rallongé.

Encore une fois, les Français se voient imposer une obligation qu'ils n'ont pas demandée et je crains que, sans gratuité, de nombreux citoyens ne perçoivent ce nouveau dispositif que comme une nouvelle contrainte administrative et financière. Comme souvent, le Gouvernement affiche une belle posture de principe, mais il n'atteindra pas l'objectif escompté – les Français n'engageront que peu, ou pas, ces travaux. Ce sera donc pire qu'avant.

Debut de section - Permalien
Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Je ne partage pas votre analyse : on ne peut à la fois s'interroger sur la complexité et la difficulté pour nos concitoyens de se lancer dans un projet de rénovation et les laisser aussi seuls qu'auparavant. L'accompagnateur France Rénov' sera le tiers de confiance chargé d'accompagner les Français dans leur projet.

Que se passe-t-il actuellement ? Quand nos concitoyens se lancent dans un projet de rénovation, ils vérifient sur internet les aides auxquelles ils ont droit et cherchent seuls les artisans. L'accompagnateur France Rénov' va les soutenir dans leur recherche d'aides, les informer en amont de celles auxquelles ils ont droit et les aider dans leur recherche d'entreprise pour faire les travaux. Ils pourront donc se lancer dans leur chantier en étant parfaitement éclairés.

Les conseillers France Rénov' sont les premiers interlocuteurs lorsqu'on appelle France Rénov'. Ils doivent être capables de mobiliser un accompagnateur France Rénov'. Il faut encore simplifier, vous avez raison, car il existe différents types d'accompagnateurs. Le dispositif doit être unique et le moins coûteux possible afin qu'il ne constitue pas un frein financier et que chacun, quel que soit son statut – propriétaire d'un bien individuel, copropriétaire d'un appartement ou copropriété – puisse se lancer en disposant de toutes les informations nécessaires.

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La séance de questions est terminée.

Le débat sur la réforme de la voie professionnelle se tiendra salle Lamartine. Je vais donc suspendre la séance, qui reprendra dans ladite salle dans une dizaine de minutes.

Suspension et reprise de la séance

La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures dix.

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L'ordre du jour appelle le débat sur la réforme de la voie professionnelle.

Ce débat a été demandé par le groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine, afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées. La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, d'une durée d'environ une heure, puis nous procéderons, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, à une nouvelle séquence de questions-réponses, d'environ une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à Mme Sigrid Gérardin, cosecrétaire générale du SNUEP-FSU – Syndicat national unitaire de l'enseignement professionnel-Fédération syndicale unitaire –, à Mme Prisca Kergoat, professeure des universités, et à M. Christophe Doré, président de la chambre de métiers et de l'artisanat (CMA) de Normandie.

Je vais maintenant donner la parole à chacun de nos invités, pour une intervention d'environ cinq minutes.

La parole est à Mme Sigrid Gérardin, cosecrétaire générale du SNUEP-FSU.

Debut de section - Permalien
Sigrid Gérardin, cosecrétaire générale du SNUEP-FSU

Je prends la parole au nom de la FSU, première organisation syndicale de l'éducation nationale ; avec l'accord des intéressés, je représenterai toute l'intersyndicale de la voie professionnelle, qui réunit également la CGT, l'Unsa – Union nationale des syndicats autonomes –, SUD – Solidaires, unitaires et démocratiques –, le Snalc – Syndicat national des lycées et collèges – et la CNT – Confédération nationale du travail.

Je vous remercie d'avoir inscrit le débat sur la réforme des lycées professionnels à votre ordre du jour, car l'enjeu dépasse largement le cadre scolaire : cette réforme relève d'un projet de société, qui n'a donné lieu à aucun débat parlementaire ni dialogue social digne de ce nom.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels, a eu recours à une méthode dépourvue de toute rigueur et très brutale : elle a d'emblée refusé tout échange avec les organisations syndicales sur les besoins des lycées professionnels, en amont de l'application de la réforme. En septembre, elle les a convoquées pour leur présenter les quatre éléments socles du projet, en précisant qu'ils étaient non négociables. Elle nous a ensuite avertis que des concertations seraient organisées. Nous avons refusé d'y participer, puisque l'objectif était déjà défini : elles étaient uniquement destinées à concevoir la manière dont la réforme serait appliquée. Ainsi, la méthode ne nous convient pas : elle consiste à contourner le dialogue social, révélant un grand mépris à son encontre.

L'un des éléments socles a contribué à élargir la mobilisation contre la réforme à tout le second degré, notamment à de nombreux professeurs de collège. Il s'agit du dispositif Découverte des métiers, que la ministre déléguée veut imposer en classe de cinquième, à raison d'une demi-journée par semaine. Je reviens à l'instant du ministère, où on nous a annoncé que ce dispositif entrerait en vigueur dans tous les collèges à la rentrée.

Le personnel et les parents attendent des réponses, notamment aux questions de savoir comment ce dispositif sera intégré à l'emploi du temps d'élèves de cinquième, et s'il n'existe pas d'autres mesures plus urgentes à même d'améliorer la scolarité au collège : à 12 ans, puisque c'est leur âge, les jeunes n'ont-ils pas d'autres aspects à découvrir ou à approfondir, en particulier dans le contexte que nous connaissons, de résultats nationaux en deçà des attentes ?

L'élément socle qui a le plus suscité la contestation des personnels et des familles est l'augmentation des semaines de stage, qui se traduira mathématiquement par une diminution du temps scolaire. Nous attendons toujours une réponse aux questions des enseignants et des élèves : quelles disciplines seront affectées par ces réductions ? Certaines vont-elles disparaître ? Qu'en sera-t-il en particulier pour l'éducation physique et sportive (EPS), l'économie-droit, les langues vivantes ou la prévention santé-environnement (PSE) ? Les inquiétudes sont vives dans la profession car des enseignements généraux ont subi de drastiques réductions de leur volume horaire après la dernière réforme de la voie professionnelle, lancée par Jean-Michel Blanquer.

Diminuer le nombre d'heures d'enseignement aggraverait les difficultés de nos lycéens lors des épreuves, alors qu'ils sont déjà les plus fragiles sur le plan scolaire. Ce serait aussi prendre le risque de réduire, à terme, le nombre de jeunes qualifiés dans notre pays. Si le choix est fait de maintenir tous les enseignements généraux – nous entendons beaucoup de choses dans les médias à ce sujet, mais il n'y a toujours pas d'annonces officielles –, l'enseignement professionnel serait fortement percuté, ce qui induirait un risque majeur de perte des compétences métier et amplifierait les problèmes existants liés aux stages, qu'il s'agisse des lieux où ils se déroulent, de leur qualité ou de la sécurité des élèves qui les effectuent.

J'illustrerai mon propos par quelques exemples pour mieux me faire comprendre. Il n'est pas rare que nos élèves soient accueillis dans des entreprises qui leur proposent des stages éloignés du métier qu'ils apprennent. Dans la filière hygiène-propreté-stérilisation (HPS), faute de places dans les laboratoires ou les hôpitaux, certains jeunes sont affectés dans la grande distribution, où leurs tâches sont limitées au nettoyage, voire à la mise en rayon. Même lorsque le lieu du stage est adapté à la filière, ils n'effectuent jamais la totalité des tâches professionnelles liées au métier auquel ils se destinent. En carrosserie, chez Carglass, ils ne font que du montage de pare-brise ; en mécanique automobile, chez Feu Vert, ils ne font que du montage de pneus. Je pourrai vous donner des exemples analogues pour chacune des filières.

C'est dans les lycées professionnels, dotés de plateaux techniques adaptés comme les ateliers de mécanique, de carrosserie ou les salles blanches, avec des enseignants le plus souvent issus du monde professionnel, que les élèves peuvent acquérir la globalité des compétences métier nécessaires à l'obtention d'un diplôme comme à leur insertion professionnelle.

Les lycées professionnels accueillent par ailleurs beaucoup d'élèves en situation de handicap ou à besoins particuliers. Nous n'avons toujours pas de réponses de la ministre sur le traitement particulier qu'il faudra leur appliquer en cas d'augmentation du volume des stages, car vous vous doutez bien qu'il est plus difficile de leur trouver une place.

Augmenter le nombre d'heures de stage, c'est aussi laisser nos élèves plus longtemps dans un environnement moins protecteur que le lycée – des études récentes ont révélé que les tâches subalternes qu'on leur confie le plus souvent les exposent davantage aux accidents du travail et aux produits toxiques. En outre, et ceci nous inquiète beaucoup, une telle augmentation tendra à accroître les risques pour les filles, de surcroît mineures, d'être confrontées aux discriminations et surtout aux violences sexistes et sexuelles inhérentes au monde du travail. Cela nous conduit à poser une autre question : qu'a prévu la ministre déléguée pour sécuriser les lieux de stage ?

Quant à l'élément socle de la réforme consistant à définir les horaires de chaque discipline non plus selon une grille nationale mais établissement par établissement, il impliquerait des droits différents, notamment en matière de nombre d'heures d'enseignement, pour accéder à un même diplôme. Pour nos organisations syndicales, c'est une remise en cause frontale de l'un de piliers de l'école républicaine : l'égalité entre les élèves.

Cette réforme est profondément dangereuse pour l'avenir des jeunes comme pour celui de nos métiers. Notons que la possibilité de supprimer des heures de cours conduirait inéluctablement à supprimer des postes d'enseignants. Selon nos évaluations, 5 000 postes, soit 10 % du corps professoral des lycées d'enseignement professionnel, seraient menacés.

Le lycée professionnel joue un rôle social majeur dans notre pays. Il permet à 650 000 jeunes cumulant difficultés économiques et scolaires d'apprendre un métier tout en bénéficiant d'une formation générale indispensable à leur citoyenneté et à leur émancipation. Cette réforme, si elle était mise en œuvre, reviendrait à réduire la formation professionnelle à la simple reproduction de gestes techniques, choix, selon nous, profondément réactionnaire qui signerait un abandon sans précédent de l'ambition scolaire de notre pays pour tous ses jeunes. Elle organiserait un séparatisme entre les jeunesses lycéennes alors que notre pays a besoin d'une cohésion sociale renforcée.

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La parole est à Mme Prisca Kergoat, professeure des universités et directrice du centre d'étude et de recherche travail, organisation, pouvoir (Certop).

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Je vous remercie pour votre invitation. Chercheuse et professeure des universités à l'université Toulouse Jean-Jaurès, je dirige en effet également le centre d'étude et de recherche travail, organisation, pouvoir. Je viens de publier un ouvrage consacré aux élèves de lycées professionnels et aux apprentis.

Mon intervention sera structurée autour de trois dimensions : le public, la recherche d'une place et les conditions de formation. Les élèves des lycées professionnels et les apprentis partagent une caractéristique : l'indissociabilité de leur origine populaire et de leurs difficultés scolaires. À niveau scolaire strictement comparable, la probabilité pour que les élèves d'origine populaire soient orientés vers un bac professionnel est 93 fois plus élevée et vers un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) 166 fois plus élevée. Ces similitudes s'arrêtent toutefois là. À la suite des réformes menées à partir des années quatre-vingt, orientées vers la valorisation de l'entreprise formatrice et le rapprochement entre l'école et l'entreprise, l'apprentissage est devenu très sélectif.

L'enquête que nous avons menée pour l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep) et le ministère de la jeunesse a établi que, chaque année, la proportion d'élèves de lycées professionnels souhaitant entrer en apprentissage mais ne trouvant pas de place était de 30 %. L'analyse des sas de sélection met au jour l'importance du capital d'autochtonie, autrement dit les réseaux permettant d'accéder rapidement à une bonne place en apprentissage. Elle souligne également la sursélection dont font l'objet les filles, l'éviction des jeunesses les plus paupérisées et des jeunes marqués par une histoire migratoire, ainsi que l'élimination des plus jeunes. Rappelons qu'avec l'arrêt des politiques de redoublement, près de sept jeunes sur dix entrent en lycée professionnel à l'âge de 14 ou 15 ans. Phénomène relativement nouveau, le lycée professionnel doit désormais accueillir les élèves dont l'apprentissage ne veut pas, des adolescents parmi les plus fragilisés sur le plan tant social qu'économique ou scolaire, confrontés à des choix professionnels précoces, à une recherche de stage souvent très longue et difficile et à des conditions de travail dégradées. Dans ce contexte, il est urgent de mettre en œuvre des concertations entre les établissements scolaires et les entreprises, un accompagnement des jeunes lors des périodes de stage et un contrôle des conditions de formation.

Le travail éprouve le corps, il impose de tenir les postures, de supporter les charges et le rythme de la production, sans compter le poids des trajets, souvent très longs, auquel s'ajoute parfois celui du travail domestique. Ce sont donc les plus jeunes et les moins qualifiés qui ont à subir les conditions de travail les plus dégradées : taux très préoccupant d'accidents du travail, horaires excessifs, exposition aux produits toxiques – un quart des jeunes alternants sont exposés à au moins un agent cancérigène. À côté des travaux encadrés par la loi, il existe des tâches confiées aux filles qui ne font pas ou peu l'objet d'une législation. Citons le cas des jeunes filles travaillant dans l'esthétique, qui sont conduites à faire des massages de fesses à des hommes, ou encore de celles du secteur de l'aide à la personne, qui doivent effectuer les toilettes des personnes âgées, parfois même des toilettes mortuaires.

Alors que la France a su développer dans les décennies d'après-guerre des écoles professionnelles capables de former des travailleurs compétents et des citoyens éclairés, cinquante ans plus tard, le projet de réforme voulu par le Gouvernement réduit les élèves, des adolescents, à leur statut de travailleur.

Mesdames et messieurs les députés, il est impensable qu'une réforme éducative se réduise à la prolongation des périodes en entreprise avec pour seule ambition de faciliter l'accès à l'emploi. Outre le fait qu'il n'y aura pas de places pour toutes et tous, le risque est que le lycée professionnel ne soit plus qu'une ressource pour assurer la scolarité obligatoire et que les stages ne se limitent, ce qui est déjà bien souvent le cas, à une socialisation à l'esprit d'entreprise. Le lycée professionnel doit avoir les moyens de délivrer un enseignement complet, une culture technique et une culture générale permettant aux élèves non seulement d'acquérir un métier mais aussi de s'approprier les débats de leur temps.

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La parole est à M. Christophe Doré, président de la CMA de Normandie.

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CMA France attend des éléments supplémentaires pour se prononcer sur cette réforme de l'enseignement professionnel qui n'est pas aboutie. C'est donc à titre personnel que j'interviendrai. Je précise que je préside, outre la CMA de Normandie, l'Union nationale des entreprises de coiffure (Unec) et que je gère un centre de formation d'apprentis (CFA) et un lycée professionnel privé sous contrat d'association avec l'éducation nationale. J'ai donc une certaine expertise s'agissant de l'apprentissage comme des lycées professionnels.

Nous sommes très attentifs à la réforme des lycées professionnels. Il existe en effet deux voies d'accès à la filière professionnelle : or, que ce soit à travers l'apprentissage ou à travers le lycée professionnel, chaque jeune a des choix à faire, avec sa maturité propre et son envie d'apprendre. L'orientation est au centre de nos débats car, comme vous le savez, l'emploi est au cœur de nos préoccupations. Le recrutement est devenu difficile pour toutes les entreprises, quelle que soit leur nature, y compris pour les entreprises artisanales et les très petites entreprises.

L'une des grandes pistes de réflexion porte sur l'immersion dans les entreprises. Il est question d'augmenter le volume des stages, pourquoi pas ? Cela pose néanmoins la question du financement. Le Gouvernement a mis l'apprentissage en lumière et lui a consacré de fortes sommes : nous en sommes les premiers ravis car celui-ci fait partie de notre ADN. Toutefois, nous ne voulons pas que les lycées professionnels entrent en concurrence avec les CFA. Ces établissements reposent sur deux modèles différents qui supposent des accès différents. L'apprentissage implique un rapport fort à l'entreprise puisque le jeune signe un contrat par lequel il devient salarié. Du côté des lycées professionnels, les périodes de stages renvoient à un accompagnement d'une autre nature. Lorsque le responsable d'une entreprise décide de prendre un jeune en formation, même pour la période limitée du stage, c'est qu'il a parfaitement conscience qu'il doit accompagner le jeune, avec toute la bienveillance possible, vers son métier de demain.

Ces métiers de la voie professionnelle, dits manuels, requièrent une technicité particulière et réclament un temps d'adaptation, ce qui manque parfois dans le cadre du lycée professionnel par rapport à l'apprentissage.

Toutefois, le lycée professionnel est une filière importante qui doit mener les jeunes vers un niveau scolaire supérieur, ce qui est moins le cas de l'apprentissage, la montée en compétences et les attentes étant différentes dans les deux cas. C'est pourquoi il faut accompagner la réforme de cette voie scolaire qui permet d'accéder au brevet de technicien supérieur (BTS) par exemple, voire au-delà.

Mme Gérardin a ainsi évoqué l'accès aux langues : la filière apprentissage est davantage consacrée à l'acquisition d'un métier, tandis que le lycée professionnel offre une plus grande ouverture au monde. N'oublions pas que ces jeunes seront ensuite de futurs chefs d'entreprise, managers ou salariés qui bénéficieront ainsi d'une approche de l'entreprise différente de celle d'un jeune de 15 ou 16 ans.

En ce qui concerne la réforme de la voie professionnelle, notre préoccupation est la suivante : il ne faudrait pas opposer deux voies distinctes et annihiler ce qui a déjà été réalisé de fort belle manière par le Gouvernement en matière d'apprentissage, qui rayonne désormais comme il se doit dans notre pays. C'est pourquoi, s'agissant de la réforme du lycée professionnel, nous attendons, je le répète, de connaître l'aboutissement de la réflexion.

Enfin, l'orientation est pour nous le sujet crucial : comment, en tant que professionnels, pouvons-nous intégrer les lycées professionnels, notamment dès la classe de seconde qui correspond à une période de détermination, afin d'accompagner, notamment en discutant avec eux, et d'orienter ces jeunes qui choisissent une dimension professionnelle ?

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Nous en venons aux questions. J'invite tous ceux qui le souhaitent à s'inscrire auprès de la direction de la séance. Chaque question sera immédiatement suivie d'une réponse afin que le débat soit le plus fluide possible. Je vous rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes sans droit de réplique.

La parole est à M. Pierre Dharréville pour la première question, le groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES étant à l'initiative de ce débat.

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Je remercie les trois intervenants d'avoir répondu à notre invitation et accepté de participer à cet échange : il est important pour notre groupe de tenir compte de leur parole dans nos débats et de prendre appui sur leurs avis afin d'interroger ensuite le Gouvernement – nous mettons souvent cette pratique en application dans le cadre des semaines de contrôle.

Nous sommes inquiets quant à la réforme qui se profile, réforme qui risque de ne pas être débattue dans cet hémicycle alors que nous souhaitons bien sûr qu'elle puisse l'être : c'est le sens de cette séance. Nous croyons au lycée professionnel, qui se trouve au carrefour d'enjeux sociaux et éducatifs, ainsi que des grands défis auxquels notre société est confrontée et face auxquels nous aurons besoin de femmes et d'hommes formés. Il est donc important que ces jeunes non seulement apprennent un métier, mais bénéficient également d'une formation générale : tels doivent être l'objectif et l'ambition du lycée professionnel. Or, avec la réforme qui nous est proposée, nous craignons un renoncement éducatif.

J'aimerais que vous présentiez en quelques mots les atouts du lycée professionnel – vous avez évoqué, monsieur Doré, la poursuite des études –, les difficultés qu'il rencontre actuellement et le moyen d'y faire face. La question de la concurrence avec l'apprentissage a également été soulignée : ne faudrait-il pas, de ce fait, donner également un nouveau souffle au lycée professionnel, sans éluder le sujet de la rémunération qui interfère parfois dans le choix d'orientation fait par les familles ? En définitive, compte tenu des critiques formulées aussi bien par Mme Sigrid Gérardin que par Mme Prisca Kergoat, critiques que nous partageons, quelle réforme du lycée professionnel devons-nous envisager afin qu'il joue tout son rôle au sein du système éducatif ?

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L'atout du lycée professionnel réside dans la capacité des enseignants à produire des parcours de réussite : il faut être conscient que celui-ci récupère en seconde des élèves qui sont, pardonnez-moi l'expression, cabossés par la vie. Mme Kergoat l'a très bien souligné : il s'agit de jeunes issus de milieux populaires, cumulant des difficultés économiques, sociales et scolaires et qui sont assez éloignés des attendus de l'éducation nationale. L'engagement sans faille des enseignants de lycées professionnels permet de les remobiliser, à travers les matières professionnelles, sur des savoirs plus académiques et d'aboutir à des parcours de réussite : pratiquement la totalité des jeunes concernés atteint ainsi un premier niveau de certification, sanctionné par un diplôme.

Je rappelle par ailleurs qu'il n'y a pas en lycée professionnel de « gâchis collectif » comme a pu le déclarer le Président de la République : 13 % des jeunes décrochent, ce qui est certes encore trop, mais nous formulons des propositions afin de réduire cette proportion, tandis que dans la filière de l'apprentissage – que je ne voudrais pas mettre en opposition –, plus de 40 % des jeunes subissent des ruptures de contrats qui les conduisent souvent à abandonner complètement leur scolarité et à grossir les rangs des Neet – ni en emploi, ni en études, ni en formation –, c'est-à-dire sans solution de formation.

Le problème crucial du lycée professionnel est le manque de temps pour offrir de solides formations générales et professionnelles : la preuve en est que le ministère de l'éducation nationale s'efforce d'instaurer des parcours étalés sur quatre années – par exemple, dans le secteur de la carrosserie, un bac professionnel de trois ans, suivi d'un CAP d'un an en peinture. Nous devons réfléchir en ce sens. D'ailleurs, les entreprises accueillent rarement des jeunes mineurs. Or les élèves sortent du lycée professionnel à 18 ans.

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Je vous remercie. Je rappelle que, pour la fluidité des débats, la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes.

La parole est à M. Christophe Doré.

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Vous avez raison, monsieur le député, le danger serait de mettre en concurrence le lycée professionnel et l'apprentissage. Même si l'État a instauré des aides à la formation, celles-ci ne compensent que le temps que l'entreprise consacre à la formation. Au lycée professionnel, la question se pose de la rémunération du jeune, celle-ci pouvant être assurée par l'État. Je crains néanmoins que le lycée professionnel ne vienne concurrencer l'apprentissage, ce qui risquerait de bloquer le développement de ce dernier. Il s'agit d'un vrai sujet de préoccupation.

Ce qui est intéressant dans la voie du lycée professionnel, c'est que la classe de seconde reste une période de détermination et d'orientation, qui structurera l'avenir du jeune : elle doit donc permettre de l'accompagner et de l'orienter, puisqu'il est difficile à 16 ans de se déterminer, afin d'aller au-delà et de poursuivre ses études. Tel est l'enjeu du lycée professionnel. Un jeune en apprentissage intègre une filière métier, si je puis dire : il obtient un CAP, un brevet professionnel (BP) ou encore un brevet technique des métiers (BTM). Au lycée professionnel, il faut promouvoir l'augmentation du niveau d'études et lutter contre le décrochage, qui est encore beaucoup trop important.

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En ce qui concerne le lycée professionnel, je soulignerai non seulement le manque de temps mais aussi le manque de places qui, dans le cadre des stages notamment, rendra, de manière tout à fait pragmatique, la réforme difficile à appliquer.

Ensuite, afin de prolonger la discussion relative à la poursuite des études, se pose également la question de la concentration des filles sur quelques métiers spécifiques : trois ou quatre spécialités – la coiffure, l'esthétique ou l'aide à la personne – accueillent à elles seules plus de 50 % de la population des filles de lycées professionnels. Il s'agirait par conséquent d'élargir l'éventail des métiers attractifs pour les filles, sachant qu'elles ont beaucoup de difficultés à accéder à des métiers fortement masculinisés, tels que la carrosserie ou ceux du bâtiment, comme le démontrent toutes les études. Enfin, ces métiers doivent permettent d'accéder à l'enseignement supérieur, au BTS par exemple, ce qui n'est pas le cas du très petit nombre de métiers dans lesquels les filles sont concentrées.

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Je remercie le groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES de nous permettre de débattre ensemble non seulement sur un enjeu scolaire mais également, cela a été rappelé, sur un enjeu de société. Des travaux ont été lancés fin octobre afin de réfléchir à une nouvelle réforme du lycée professionnel : pour alimenter ces travaux, une évaluation de la transformation de la voie professionnelle engagée en 2019 a été présentée, transformation fondée sur les préconisations que j'avais formulées, avec Régis Marcon, dans le cadre de la mission qui nous avait été confiée à l'époque par le ministre Jean-Michel Blanquer.

Parmi les mesures phares de la transformation de la voie professionnelle, je citerai les innovations pédagogiques telles que la co-intervention entre enseignants de matières générales et ceux des enseignements professionnels – j'aimerais savoir ce que nos invités en retiennent –, ou encore celle du chef-d'œuvre, démarche collective de projet qui s'inscrit tout au long de l'année.

Pour aller plus loin dans cette transformation de la voie professionnelle, Emmanuel Macron, alors candidat, a formulé des propositions, comme celle d'augmenter la durée des stages et de rémunérer ces temps de formation. Je suis persuadée que les deux sont souhaitables : nous avons trop souvent entendu des chefs d'entreprise ou de service déplorer qu'à peine accueillis, les stagiaires devaient déjà partir, et qu'ils ne pouvaient, par conséquent, leur confier que des tâches subalternes. La confiance entre accueillants et élèves doit se construire, non seulement grâce à une palette de découverte des métiers permettant à l'élève de choisir dans quel secteur il prolongera sa formation, mais aussi en s'inscrivant dans le temps long. C'est à cet objectif que doit répondre la volonté d'augmenter la durée des stages : favoriser ce temps de confiance.

Je terminerai en vous interrogeant sur deux points : ne devrions-nous pas promouvoir davantage la démarche de projets, afin de pallier l'opposition encore trop nette entre matières générales et matières professionnelles ? Ensuite, nous constatons que la filière gestion administration (GA) accueille beaucoup de filles issues des classes populaires, alors que les secteurs du numérique en manquent cruellement. Ne pourrions-nous pas lancer une initiative forte auprès des filières gestion administration pour les transformer en vrai tremplin pour le numérique ?

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Merci, madame la députée. Je vous rappelle que nous avons beaucoup de questions : je vous remercie tous d'être concis pour ne pas trop dépasser le temps imparti à notre débat.

La parole est à Mme Sigrid Gérardin.

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La transformation de la voie professionnelle que vous avez en effet engagée a permis de supprimer 1 500 postes en lycées professionnels et a réduit de manière radicale les enseignements généraux : pour citer quelques exemples, en CAP, nous sommes passés de trois heures de français par semaine à une heure, alors même que les élèves concernés sont les plus fragiles ; en bac professionnel, le nombre d'heures consacrées aux matières lettres-histoire est passé de cinq à trois. La transformation de la voie professionnelle introduite par Jean-Michel Blanquer a donc largement contribué à ce cruel manque de temps que nous dénonçons.

Quant au dispositif du chef-d'œuvre, qui occupe trois heures par semaine, il est fortement contesté par la profession et par les élèves. Nous ne percevons pas sa valeur ajoutée. Au reste, que pourrait être un chef-d'œuvre dans les filières tertiaires, notamment pour les élèves qui préparent le baccalauréat professionnel ASSP – accompagnement, soins et services à la personne : une toilette mortuaire, par exemple ? La profession conteste le chef-d'œuvre et demande son abrogation, d'autant qu'il n'a pas été ajouté aux programmes existants, mais qu'il est financé sur les horaires d'enseignement.

Enfin, la démarche de projet est constitutive du lycée professionnel – les professeurs de cette filière qui sont présents dans la salle ne me démentiront pas. Nous avons toujours adopté une démarche de projet dans notre pédagogie. Malheureusement, les réformes successives – notamment celle que vous avez soutenue – nous empêchent de mettre en œuvre des projets. Si le temps d'école se réduit encore à l'avenir, nous ne pourrons plus mener aucun projet artistique, culturel et sportif, alors même que nos élèves sont les plus éloignés de ces pratiques en dehors de l'école.

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L'une des difficultés du lycée professionnel est qu'il manque de temps. Au fil des ans, la formation est passée de quatre à trois ans. Comme la première année est consacrée à la découverte des métiers, et la dernière à se préparer à l'enseignement supérieur ou à l'insertion professionnelle, il reste très peu de temps pour former les élèves à ce qui me semble constituer le socle du lycée professionnel : le métier. Historiquement, le métier a toujours été l'outil d'émancipation des classes populaires. Ces jeunes ont besoin d'un métier, et pas seulement d'un emploi – c'est très important.

Le numérique peut constituer une piste intéressante pour les filles, mais je trouve dommageable que celles qui s'engagent dans les filières de la carrosserie, de l'automobile et du bâtiment soient encore considérées comme des pionnières, soixante-dix ans après l'arrivée des premières apprenties ou élèves féminines en lycée professionnel dans ces secteurs. Parmi les quelque 3 000 élèves que nous avons suivis, une unique jeune fille a obtenu un contrat dans la carrosserie, après avoir contacté plus de cinquante entreprises. Elle a tenu trois semaines avant de rompre son contrat. La plupart des employeurs qu'elle a sollicités lui ont répondu qu'ils l'auraient volontiers embauchée si la loi ne les obligeait pas à aménager un vestiaire spécifique pour les femmes : ces petites entreprises ne pouvaient pas se le permettre. Nous en sommes encore là. Si le numérique peut offrir des voies aux filles, il faut aussi renforcer leur insertion dans les secteurs existants.

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Le principe du chef-d'œuvre semblait intéressant en théorie – j'y voyais l'occasion de s'ouvrir à la culture –, mais il est très difficile à faire vivre. Je discutais ce matin même avec mes professeures de lycée ; elles m'ont confié que, si le chef-d'œuvre disparaissait, elles ne le pleureraient pas. Nous peinons à nous approprier ce projet comme il se doit et les jeunes n'y adhèrent pas, ou peu.

Vous avez par ailleurs évoqué l'immersion : étant moi-même un artisan, j'y suis pleinement favorable – il n'y a rien de tel. Néanmoins, le temps d'immersion n'est pas comparable à un stage. Quand une entreprise accueille un jeune pendant une période très circonscrite, son temps d'immersion constitue davantage une phase d'observation qu'un enseignement opérationnel – c'est ainsi, et il faut l'accepter. On retrouve une distinction similaire dans l'apprentissage : les compétences techniques s'acquièrent en entreprise, tandis que les savoirs sont dispensés par le CFA. Au lycée professionnel en revanche, la culture générale et la culture technique sont toutes deux dispensées par l'établissement scolaire. Les CFA peuvent prévoir des temps plus différenciés, parce que les apprentis consacrent davantage d'heures aux aspects techniques que les lycéens professionnels. Ma recommandation est donc de ne pas pousser trop loin les temps d'immersion.

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En préambule, je précise que j'ai effectué toute ma carrière dans la formation professionnelle et en lycée professionnel. Ma question porte sur les élèves les plus fragiles, notamment ceux qui bénéficient de dispositifs d'enseignement adapté comme les Segpa – sections d'enseignement général et professionnel adapté –, les Erea – établissements régionaux d'enseignement adapté – et les LEA – lycées d'enseignement adapté : la réforme affectera-t-elle ces publics dont les particularités sont encore plus fortes que celles des lycéens professionnels, ou feront-ils l'objet d'une approche différenciée ?

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Nous sommes satisfaits que le ministère n'ait pas touché aux dispositifs destinés aux publics très en difficulté que vous évoquez. En revanche, rien n'est prévu pour améliorer l'accompagnement des élèves qui, à la sortie des Segpa, se retrouvent souvent en CAP.

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Je souhaite revenir sur la difficulté à allonger les périodes de stage durant la période scolaire, et plus particulièrement sur les dates des vacances dans l'enseignement professionnel. Serait-il envisageable que certains stages s'effectuent, au moins en partie, pendant les vacances, quitte à prévoir d'autres périodes de congés pour les élèves concernés ? Je pense à un lycée professionnel qui prépare à un baccalauréat professionnel d'animateur en milieu périscolaire et extrascolaire : ses élèves ont les plus grandes difficultés à trouver des stages pour encadrer des enfants durant les périodes scolaires. Ne pourraient-ils pas, par exemple, être en stage tous les mercredis de l'année ou deux semaines pendant les vacances d'avril, pour être en contact avec les enfants qu'ils sont destinés à encadrer ?

Par ailleurs, je suis frappée que M. Doré oppose si fortement l'apprentissage et le lycée professionnel, et qu'il insiste autant sur la possibilité de poursuivre des études supérieures après le lycée professionnel. J'estime au contraire que ces deux voies de formation sont équivalentes – il est d'ailleurs parfaitement possible de faire un BTS après une formation en alternance, et d'aller jusqu'à une école d'ingénieur en ayant commencé par un CAP en apprentissage. Il n'y a pas lieu d'opposer une voie royale – la voie professionnelle – à une voie qui déboucherait uniquement sur l'emploi – l'apprentissage. À ma connaissance, les élèves ne sont pas systématiquement dirigés vers l'université ou vers un BTS après le lycée professionnel. Certains ont intérêt à s'insérer dans le monde du travail après un baccalauréat professionnel : les inciter à poursuivre des études supérieures les conduirait à l'échec.

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Comme vous le savez, le calendrier scolaire est régi par des textes officiels, qui sont votés. En tant que syndicalistes, respectueux des textes de loi, nous ne sommes absolument pas favorables à des exceptions en la matière – en particulier pour les lycéens professionnels qui éprouvent déjà un sentiment d'injustice, manquent de confiance en eux et se sentent délaissés par les mesures de l'éducation nationale. Ce serait une très mauvaise idée que de les faire déroger aux règles communes : concrètement, par exemple, ils ne bénéficieraient pas des mêmes congés que leur fratrie ou leurs amis. Je pourrais vous fournir d'autres arguments, mais en l'état, je ne pense pas que nous y soyons favorables.

Debut de section - Permalien
Christophe Doré, président de la CMA de Normandie

J'ai dû mal me faire comprendre : je n'oppose aucunement l'apprentissage et la voie professionnelle. Ces deux voies doivent subsister et exister en parallèle. Tout dépend de la maturité des jeunes : certains sont moins faits pour étudier au lycée que pour suivre un apprentissage, et inversement. Je le répète, les deux systèmes doivent vivre et travailler ensemble. Il importe même d'envisager des passerelles de l'un à l'autre : après une seconde et une première en lycée professionnel, pourquoi ne pas faire une terminale en apprentissage ? À l'inverse, pourquoi ne pas commencer par de l'apprentissage, continuer avec un CAP, puis intégrer une classe de première pour préparer un baccalauréat professionnel ? Il faut apporter de la flexibilité au système sans opposer les deux filières, mais en les faisant vivre ensemble. Comme vous le soulignez, madame Piron, certains jeunes deviennent ingénieurs après un CAP, et d'autres entrent dans l'emploi après un baccalauréat professionnel.

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Nous considérons que la voie professionnelle fait partie du patrimoine national et qu'elle est un conservatoire du savoir-faire et des métiers : ce bien commun doit être regardé avec la plus grande précaution. Aussi sommes-nous dubitatifs à l'égard du projet de réforme que le Gouvernement a engagé avec une certaine forme de rudesse, voire de brutalité. La réforme de M. Blanquer a abîmé l'enseignement professionnel : le chef-d'œuvre est un gadget, à l'instar du grand oral en terminale classique, et la co-intervention réduit le temps que les élèves consacrent aux humanités. Il ne faut pas poursuivre dans cette voie.

Pour nous, le problème tient au fait que les lycées professionnels reçoivent des élèves cabossés – cabossés non seulement par la vie et par la société, mais aussi, parfois, par l'école. La vraie question est donc celle de l'orientation. Or celle-ci s'effectue par défaut en classe de troisième – cela de façon systémique. Tel est l'enjeu dont le Gouvernement ou les réformateurs doivent s'emparer. Plutôt que le lycée professionnel, n'est-ce pas le collège qu'il faut réformer, afin de résorber les difficultés des élèves et de les orienter non plus par défaut, mais par choix ?

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L'orientation professionnelle mérite indéniablement une réforme. Notre étude révèle que six lycéens professionnels sur dix éprouvent un sentiment d'injustice, au premier chef parce qu'ils vivent leur orientation comme une humiliation. Ils se sentent stigmatisés comme des élèves non intelligents.

Il importe très certainement de réformer le collège, bien qu'il l'ait déjà été à de nombreuses reprises. Outre l'orientation, il se pose la question des métiers : si nous voulons que l'orientation professionnelle ne s'effectue plus par défaut, nous devons proposer des conditions de travail plus favorables dans les métiers concernés.

Depuis quelques années, je vois défiler se multiplier de nouveaux CAP formant au métier d'éboueur, de femme de ménage, de repasseuse ou encore de trieuse de déchets : cela ne me semble pas être la bonne voie pour revaloriser les métiers.

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J'ai visité vendredi dernier en Mayenne, mon département, une entreprise qui emploie soixante-cinq personnes. Leader dans le domaine de l'équipement routier, elle fabrique des gravillonneurs et des épandeuses de liant. Le chef de cette entreprise a insisté sur le fait que les jeunes qu'il recrute doivent être les meilleurs et qu'il leur faut développer des compétences diverses et pointues – la visite de l'usine confirme d'ailleurs ce point. Comment faire évoluer l'idée encore bien trop ancrée dans les esprits que l'artisanat et l'industrie sont destinés aux élèves les plus fragiles ?

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Vous avez tout dit. Les métiers dits manuels, les métiers de l'artisanat et les très petites entreprises où ils sont exercés sont encore trop stigmatisés, alors qu'ils ont beaucoup évolué et que les conditions de travail continuent de s'améliorer constamment. Sur ce point, nous, employeurs, travaillons avec l'ensemble de nos collaborateurs pour traiter le mieux possible les problèmes qu'ils rencontrent. En effet, les salariés sont la plus grande richesse des petites entreprises : il suffit parfois qu'un employé souffre de troubles musculo-squelettiques (TMS) pour qu'une entreprise disparaisse.

Depuis de nombreuses années, nous avons conscience que les choses doivent changer, tout comme nous en avions conscience pour l'apprentissage. Vous avez d'ailleurs raison de citer l'exemple de cette entreprise mayennaise, qui montre bien que la réalité de ces métiers est généralement méconnue.

Je crois que la réforme du lycée professionnel mentionne la formation à partir de la classe de cinquième. Pour notre part, nous intervenons au collège à partir de la quatrième, pour faire auprès des élèves la promotion de 250 métiers de l'artisanat. La question est la suivante : dans quelles conditions l'éducation nationale nous accueille-t-elle ? Veut-elle seulement nous ouvrir ses portes ? Nous intervenons dans une centaine de collèges, toujours les mêmes, car nous y sommes invités par des chefs d'établissement ou des professeurs principaux motivés, désireux de faire découvrir à leurs élèves la voie de l'artisanat. D'autres collèges, en revanche, ne nous accueillent jamais, car ils ne veulent pas entendre parler de l'apprentissage ni des TPE.

En somme, nos métiers sont méconnus. Tant que nous n'ouvrirons pas davantage l'orientation, nos efforts seront voués à l'échec.

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Je tiens d'abord à remercier vivement mes collègues du groupe GDR – NUPES, qui ont eu l'initiative de ce débat. À en juger par les trois questions posées en séance au Gouvernement le 18 octobre, les initiatives de tous bords au sein de l'Assemblée nationale et la mobilisation sans précédent de l'ensemble des acteurs du lycée professionnel, la voie professionnelle occupe dans le débat public la place qui lui est due. J'ose espérer qu'elle a encore un avenir. Mesdames Gérardin et Kergoat, monsieur Doré, je vous remercie pour votre expertise et pour vos exposés qui reflètent une réalité parfois glaçante.

Madame Kergoat, l'une des pistes évoquées pour mener cette réforme est d'accorder davantage d'autonomie aux régions et aux établissements afin de développer une offre de formation adaptée à chaque territoire, dans une logique adéquationniste.

Il convient de prendre en considération les inégalités de formation selon les territoires, notamment en ce qui concerne la ruralité. On constate en effet des différences marquées d'orientation à la fin du collège entre les espaces ruraux et les espaces urbains. Un élève de troisième issu d'un milieu rural a environ douze fois moins de chances de poursuivre sa scolarité en filière générale qu'un élève issu d'un milieu urbain. Les élèves de milieu rural appartenant à des catégories socioprofessionnelles défavorisées sont surreprésentés en voie professionnelle. Le choix de cette orientation peut s'expliquer de plusieurs manières : non seulement le poids de l'institution et de la famille, l'autocensure, mais aussi des conditions pratiques défavorables, au premier rang desquelles l'absence de mobilité.

Pensez-vous que territorialiser toujours plus l'offre de formation pourrait conduire à une aggravation des déterminismes sociaux, tout en continuant à dévaloriser l'image du lycée professionnel qui a pourtant longtemps été perçu comme une opportunité ?

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Le principe d'adéquation entre formation et emploi a été déconstruit depuis trente ans, en tout cas en sociologie. On sait désormais qu'il ne fonctionne pas : pour le meilleur ou pour le pire, la majorité des élèves finissent par exercer un métier auquel leur formation initiale ne les avait pas préparés.

Comme vous le dites, les territoires ruraux connaissent bien sûr des problématiques spécifiques que nous n'avons pas le temps de développer ici. Proposer des formations conçues pour être en adéquation avec le territoire présente également un autre risque. Par exemple, les territoires ruraux souhaiteront certainement développer les formations relatives à l'agriculture ou à l'aide à la personne, espérant ainsi retenir les jeunes. Ne risque-t-on pas alors de les enfermer dans un bassin d'emploi donné ? Ne devrait-on pas leur donner la possibilité, la chance, de se déplacer ? J'ai enseigné quelques années à l'université d'Albi ; je me suis alors rendu compte que deux tiers de mes étudiants, pourtant élèves dans l'enseignement supérieur, n'étaient jamais allés à Toulouse, une ville distante de 70 kilomètres seulement. Il me paraît donc important de décloisonner, d'enrichir l'expérience des jeunes en leur permettant de circuler entre différents territoires.

Enfin, la recherche démontre que l'école a pour rôle de transmettre aux élèves des compétences suffisamment variées pour s'adapter à différents métiers, à différents milieux professionnels. En rester au principe d'adéquation entre la formation et l'emploi ne permet donc pas d'élargir l'éventail de compétences des élèves, ni de favoriser leur réussite professionnelle.

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Le pays fait face à une pénurie de main-d'œuvre sans précédent, dans des secteurs bien identifiés comme le bâtiment, le nettoyage ou le soin à domicile. Par sa réforme, Carole Grandjean voudrait en réalité revisiter l'offre de formation des lycées professionnels en fonction des secteurs d'activité en tension, désertés par les actifs en raison de conditions de travail et de rémunérations souvent déplorables. Que pensez-vous de cette instrumentalisation des jeunes sortant de troisième, dictée uniquement par les besoins de certains secteurs d'activité ? Voudrions-nous cela pour nos propres enfants ? Pensons-nous que nous devrions les orienter vers les filières du bâtiment, au motif que ce secteur manque d'attractivité ? Non ! Puisque nous rejetons cette idée pour nos propres enfants, pourquoi agirions-nous ainsi envers les enfants des autres ?

Ayons de l'ambition pour les jeunes les plus défavorisés ! Nous pourrions, par exemple, les intégrer à une planification des filières professionnelles correspondant aux grands défis de demain : les enjeux environnementaux, la prise en charge du grand âge ou encore la nécessaire réindustrialisation du pays. Il s'agit de repenser la voie professionnelle de manière à offrir aux élèves des qualifications solides et équilibrées, permettant au pays de faire face à ces défis d'avenir, et non selon la vision étriquée défendue par Carole Grandjean, qui voudrait décider de l'avenir des jeunes en fonction des métiers désertés par les actifs – ce qui est grave, à notre avis !

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Je remercie à mon tour le groupe GDR – NUPES d'avoir proposé à l'Assemblée nationale ce débat si important.

Monsieur Doré, vous avez souligné dans votre propos liminaire – je vous en remercie – la réussite de la réforme de l'apprentissage : le précédent gouvernement a mis le paquet pour atteindre l'objectif de 700 000 apprentis en France. Il s'agit à nouveau de mettre le paquet, cette fois pour réformer les lycées professionnels.

L'idée n'est pas de faire cette réforme à la hussarde, elle est bien de mener une concertation au plus près du terrain, de tenir compte de l'avis de l'ensemble des partenaires de terrain que vous êtes et de prendre le temps de l'expérimentation. Ayant moi-même mené en tant que député une concertation dans ma circonscription du Tarn, je vous prie de croire que nous entendons les inquiétudes dont vous faites part, et vous assure que nous partageons tous l'objectif commun d'améliorer la voie professionnelle et de lutter contre le décrochage.

Un aspect important de la réforme, qu'avait d'ailleurs évoqué le Président de la République, consiste à augmenter la durée des stages et à les rémunérer. Vous avez indiqué qu'il vous est difficile de vous prononcer, car vous ne disposez pas de l'ensemble des éléments. Toutefois, comme l'a rappelé Céline Calvez, tous les employeurs que nous recevons dans nos circonscriptions avouent confier aux stagiaires des tâches subalternes en raison de la durée trop courte de la période de stage. Pensez-vous que l'augmentation de la durée de stage et la rémunération des stagiaires permettront de réaliser notre objectif commun : faire du lycée professionnel une voie d'excellence ?

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La question est là : ces modifications de la période d'immersion détermineront le regard que nous porterons sur cette réforme.

Nous sommes ouverts à l'augmentation de la durée d'immersion : nous l'étudierons, mais elle ne pose a priori pas de problème. En revanche, le financement des stages suscite de réels questionnements. En effet, il existe un risque que le stage en entreprise, financé par l'État, n'entre en concurrence avec l'apprentissage, financé par l'entreprise – je suis chef d'entreprise, j'assume de raisonner ainsi. Je trouverais dommage qu'on ait recours à un stagiaire pour cette raison.

Augmenter la durée d'immersion, je le répète, pourquoi pas : il y a un réel besoin en la matière. La question de la rémunération nous pose en revanche, bien plus de questions, et nous serons attentifs à l'organisation de cette mesure. Comment sera-t-elle déployée ? À quel niveau ? Quel en sera le coût ? Les jeunes discutent entre eux, et je ne voudrais surtout pas qu'un tel changement perturbe la réussite du nouveau système d'apprentissage.

Par ailleurs, puisque j'ai entendu certains intervenants parler d'élèves défavorisés, je souhaite rappeler que nous accueillons aussi des personnes au niveau d'études élevé, détentrices d'un master, d'une licence, d'un baccalauréat général, qui, à 25 ou 30 ans, décident de se prendre en main et désirent changer d'orientation et vivre de leur métier. Les entreprises artisanales connaissent bel et bien cet afflux de jeunes d'un autre niveau scolaire, souvent appelés à devenir plus tard chefs d'entreprise, porteurs d'un projet professionnel artisanal, d'une maturité très intéressante. En somme, s'il est vrai que nous accueillons des enfants en difficulté, ce ne sont pas les seules recrues.

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Nous en avons terminé avec la première partie du débat. Je remercie nos invités d'avoir participé à nos travaux.

Suspension et reprise de la séance

La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à dix-neuf heures vingt.

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La séance est reprise.

La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels.

Debut de section - Permalien
Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Je remercie le groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES d'avoir proposé ce débat consacré à la prochaine réforme de la voie professionnelle. Nos échanges s'inscriront – je n'en doute pas – dans la même démarche de concertation, de dialogue et d'écoute que celle dans laquelle j'ai souhaité mener cette réforme. En effet, la consultation de l'ensemble des parties prenantes est pour moi essentielle. Ce débat parlementaire est ainsi le second après celui qui s'est tenu au Sénat sur le même sujet le 14 novembre 2022.

Ce temps de débat me donne donc l'occasion de faire un nouveau point d'étape sur l'avancée des travaux de préparation de cette réforme, notamment des quatre groupes de travail que j'ai installés le 21 octobre 2022 et qui me rendront leurs rapports de synthèse et leurs propositions à la fin du mois.

Mesdames et messieurs les députés, nous pensons tous qu'il est nécessaire de faire reconnaître l'enseignement scolaire professionnel comme une véritable voie de réussite pour les jeunes, leurs familles et les employeurs. La réforme introduite par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018 a permis de lever des contraintes administratives qui freinaient le développement de l'apprentissage. Elle en a transformé l'image et elle a permis la mobilisation par tous de cette voie pour les jeunes et leurs familles, pour les entreprises de tous les secteurs et de toutes les tailles, pour tous les types de diplômes.

En 2023, le Président de la République a décidé de pérenniser les aides à l'embauche d'apprentis instaurées pendant la crise et ce jusqu'à la fin du quinquennat, pour faire de notre pays une vraie nation de l'apprentissage. Il a également la volonté de faire du lycée professionnel une voie de réussite pour notre jeunesse.

Avec Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, nous défendons une ambition identique : faire de la voie professionnelle une voie de choix et d'excellence. Le changement d'image est possible : nous l'avons observé concernant l'apprentissage. Il est donc également possible, et il est nécessaire, pour le lycée professionnel : nous nous en donnerons les moyens.

Nous devons reconnaître que le lycée professionnel ne joue pas suffisamment son rôle d'insertion professionnelle des élèves. La situation actuelle est source de frustrations aussi bien pour les jeunes et leurs familles que pour les enseignants. Le sentiment de déclassement nourrit le ressentiment et l'échec non seulement pour les élèves, pour leurs familles mais aussi pour les équipes pédagogiques.

La transformation de la voie professionnelle a commencé lors du précédent quinquennat – vous en avez discuté précédemment – dans le contexte difficile de la crise sanitaire. Ces premiers changements fournissent un socle sur lequel nous continuerons de bâtir grâce à un investissement structurel et résolument tourné vers la réussite des élèves. C'est notre responsabilité à tous : rétablir l'ascenseur social pour ces jeunes et rendre tangible l'égalité des chances pour les publics les plus fragiles et les plus en difficulté. L'enjeu est aussi de préparer mieux aux métiers de demain.

Les lycées professionnels, on le sait trop peu, accueillent un tiers des lycéens en France. Ils représentent donc un enjeu sociétal majeur : on parle ici d'un tiers de la jeunesse de France. Ces 627 000 lycéens professionnels, majoritairement issus de milieux défavorisés, se trouvent souvent en situation d'échec pendant leur scolarité ou à l'issue de celle-ci.

Voici quelques chiffres pour vous en convaincre : 33 % d'entre eux sont issus d'une famille ouvrière et 3 % d'une famille de cadres. Une forte proportion est issue de l'immigration ou est allophone. Dans les lycées professionnels, 5 % des élèves sont en situation de handicap, contre 1 % dans les lycées généraux. Les difficultés de lecture concernent 28 % des élèves en CAP et 16 % en bac pro, contre 3,5 % en bac général. Deux tiers des décrocheurs sont issus de la voie professionnelle. Après deux ans, en dehors de ceux qui poursuivent leurs études, seule la moitié des élèves sont en emploi. Les élèves sortant de bac pro sont de plus en plus jeunes et, souvent, ne sont pas majeurs.

En outre, l'organisation pédagogique et structurelle ainsi que la carte des formations actuelles ne prennent pas suffisamment en compte les mutations économiques ni les défis des territoires : ils ne s'adaptent pas assez aux profils des élèves et à leurs trajectoires. Avec de très grandes disparités selon les établissements, les formations dans les lycées professionnels peuvent être souvent insuffisamment tournées vers les deux voies de la réussite des élèves, à savoir l'insertion ou la poursuite d'étude. Je tiens à souligner l'existence de grandes disparités, car nous connaissons tous des lycées qui ont, d'ores et déjà, ouvert nombre des chantiers que nous mènerons avec cette réforme.

Il est donc nécessaire d'interroger la cohérence des diplômes avec les métiers de demain et donc de repenser la carte des formations. Il est également indispensable de mieux rapprocher l'école de l'entreprise dans la voie professionnelle et de faciliter la poursuite d'études quand cela est nécessaire.

Nous nous sommes assigné trois objectifs clairs pour réussir cette réforme, que j'ai déjà eu l'occasion de présenter devant le Parlement, et que nous préparons avec l'ensemble des acteurs concernés.

Le premier est de réduire le nombre de décrocheurs. Nous souhaitons prévenir et éviter cette fuite des élèves qui ne trouvent pas leur place en lycée professionnel et qui ne parviennent pas à percevoir toutes les possibilités qui s'offrent à eux. Entendons-nous bien : personne n'accuse les lycées professionnels d'être la cause unique du décrochage de ces élèves. Ils en sont souvent le réceptacle, héritant de difficultés liées aux fragilités personnelles des élèves, au manque de souplesse des parcours de formation et aux orientations trop souvent subies. Il nous appartient dès lors de trouver des réponses et de bâtir ensemble une organisation nouvelle, plus souple, qui permette d'assurer collectivement plus de prévention et d'accompagnement, plus de motivation, plus de sens et d'engagement des jeunes dans leurs parcours.

Le deuxième objectif est de faire progresser significativement le taux d'insertion dans l'emploi. Le bac professionnel et a fortiori le CAP doivent tenir leur promesse républicaine d'insertion dans l'emploi, qui est la raison d'être de ces diplômes. Cette insertion inscrite dans l'ADN de ces diplômes de la voie professionnelle est le gage de leur légitimité que je souhaite renforcer.

Le troisième objectif est de sécuriser la poursuite d'études. Lorsqu'ils ont ce projet et que le métier le requiert, nos jeunes doivent être mieux préparés aux méthodes et aux attendus des études supérieures, notamment ceux des BTS. C'est par ces trois leviers que nous transformerons l'image que tous se forment du lycée professionnel. Surtout, nous en ferons des chemins de développement personnel et professionnel.

Je veux à présent esquisser les premières pistes pour atteindre ces trois objectifs et réformer le lycée professionnel afin d'en faire une voie de réussite. Nous investirons dans les lycées professionnels comme jamais cela n'a été fait auparavant, en travaillant sur de nombreux leviers.

Nous renforcerons les enseignements généraux, car les entreprises ont besoin non seulement de compétences techniques mais aussi de citoyens éclairés. Nous construirons des formations d'avenir à destination des élèves, qui soient davantage en phase avec la préparation des grands défis collectifs de demain : les transitions écologiques et numériques, la révolution de la longévité, c'est-à-dire les enjeux du vieillissement de la population, la transition vers une société plus inclusive et plus solidaire qui passe par un meilleur accompagnement du handicap dans tous les secteurs et, enfin, notre politique de souveraineté économique et de réindustrialisation du pays.

La gratification des élèves pour les périodes de formations en milieu professionnel que nous mettrons en place et accompagnerons dès la rentrée 2023 doit conforter la motivation des élèves et leur engagement à réussir. Comme ces périodes contribuent à donner du sens et de l'expérience aux élèves tout en leur assurant des contacts, elles doivent être valorisées.

Vous avez déjà débattu du suivi renforcé des élèves pendant ces périodes pour que celles-ci soient à la hauteur de l'expression qui les désigne, de véritables « périodes de formation » qui aient bien lieu dans un environnement « professionnel ». Nous devons aussi être les garants de la qualité de ces périodes qui pourront, quand cela se révèle nécessaire, être prolongées. Enfin, nous voulons améliorer la formation initiale et continue des professeurs eux-mêmes.

Pour ce faire, je vous annonce très clairement que les moyens dédiés aux lycées de la voie professionnelle seront maintenus à la rentrée 2023. Notre logique est donc bien celle du développement du lycée professionnel et de l'intensification de l'accompagnement des jeunes. Nous croyons en une voie éducative pour la jeunesse dont notre pays a besoin ; une jeunesse qu'il reconnaît, qu'il valorise, et donc dans laquelle il investit.

Pour toutes ces raisons, j'ai lancé, le 21 octobre dernier, quatre groupes de travail qui ont pour mission de formuler des propositions sur les évolutions à appliquer progressivement dans le cadre de la réforme. Ces groupes portent respectivement sur la réduction du nombre de décrocheurs, la préparation à la poursuite d'études supérieures requise par certains métiers, l'amélioration significative du taux d'accès à l'emploi après l'obtention du diplôme et les capacités d'initiative qui peuvent être données aux établissements sans compromettre le caractère national des diplômes.

Pilotés par quatre recteurs, ces groupes de travail, qui auditionnent en particulier des experts, sont constitués de trente à quarante personnes, notamment de représentants des organisations syndicales, éducatives et interprofessionnelles – certains ont effectivement siégé au sein des groupes de travail –, de représentants des régions et des fédérations d'élèves, ainsi que de chefs d'établissements, de professeurs de lycées professionnels et d'élèves eux-mêmes. Nous sommes prêts à mobiliser tous les leviers qui permettront d'augmenter la réussite de nos élèves et d'assurer de meilleures conditions d'exercice aux professeurs : nous attendons que les groupes de travail formulent leurs propositions.

Vous l'aurez compris, l'objectif de la réforme est de faire de la voie professionnelle une voie choisie, une voie de réussite et un véritable lieu de formation aux compétences clés qui permettront à la nation de relever les défis de demain. Les lycées professionnels seront alors reconnus comme des voies d'excellence, choisies par les élèves et leurs familles autant que par les entreprises : c'est ainsi que nous assurerons à un tiers de la jeunesse de France que nous comptons sur elle et qu'elle a sa place dans notre société – sur le marché du travail comme dans les études supérieures.

Nous écrirons cette réforme ensemble, progressivement et après concertation avec toutes les parties prenantes.

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Nous en venons aux questions, qui sont nombreuses. Je rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

La parole est à Mme Soumya Bourouaha.

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La réforme annoncée du lycée professionnel nous inquiète. À nos yeux, elle ne répond pas aux difficultés rencontrées par les élèves et les enseignants de la voie professionnelle ; pire, elle risque de les aggraver.

Plusieurs réformes menées par le passé ont déjà abouti à la réduction de quatre à trois années la formation au bac professionnel, conduisant à une réduction du nombre d'heures de cours pour les élèves et à la suppression de nombreux postes d'enseignants. En proposant de réduire le nombre d'heures de cours au profit d'heures de stages en entreprise, vous allez fragiliser un peu plus encore le socle de connaissances générales et professionnelles délivré aux élèves par les professeurs, et réduire – voire supprimer – les projets culturels et artistiques.

La réforme nous inquiète particulièrement car elle va toucher des élèves issus de milieux populaires, qui ont pourtant besoin d'une formation générale autant que qualifiante, une formation qui participe à leur émancipation et leur permette de devenir non seulement des travailleurs, mais aussi des travailleurs citoyens. Voilà ce qui différencie nos deux projets : nous voulons non pas d'un lycée qui forme à des tâches précises, à un poste de travail précis dans une entreprise précise, mais d'un lycée qui donne accès à une formation complète et permette aux élèves d'intégrer n'importe quelle entreprise et, surtout, de s'y épanouir.

Votre proposition d'augmenter le nombre d'heures de stage en entreprise est symptomatique du niveau de déconnexion de votre ministère avec la réalité. Tous les enseignants font le même constat : il est de plus en plus difficile de trouver un stage qualifiant pour chaque élève. Toutes les entreprises ne jouent pas le jeu, et certaines utilisent les stagiaires pour effectuer les basses besognes, ce qui conduit souvent à une démotivation des élèves, parfois même à leur décrochage. Le monde de l'entreprise ne présente pas le même niveau d'exigence que l'école en matière d'encadrement, de formation et de bienveillance face à de jeunes élèves – souvent mineurs – en apprentissage. C'est pourquoi la réforme, qui ne fera que renforcer la mainmise du monde entrepreneurial sur les formations, m'inquiète.

J'en viens à mes questions :…

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Je vous remercie de conclure : les deux minutes de temps de parole sont écoulées.

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Je n'ai pas eu le temps de poser mes questions !

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Je comprends, mais nous avons quinze inscrits. Je vous propose de poser rapidement vos questions.

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Madame la ministre déléguée, confirmez-vous vouloir diminuer les heures d'enseignement en lycée professionnel ? Par ailleurs, quel processus démocratique allez-vous instaurer pour discuter de la réforme ? Vous avez déjà abordé le sujet, mais je souhaiterais davantage de précisions, s'agissant notamment du calendrier.

Debut de section - Permalien
Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Je vous remercie pour votre question, qui me permet de préciser des éléments déjà présentés. Dans mon propos liminaire, j'ai insisté sur l'attachement du Président de la République aux savoirs fondamentaux, attachement que j'ai rappelé lors de nombreuses interventions. En effet, les savoirs fondamentaux font partie non seulement de l'éducation du futur citoyen, mais aussi des attendus des entreprises. J'ai pris le temps de discuter avec les chefs d'entreprise, les enseignants et les familles : tous s'accordent à reconnaître qu'il est essentiel de renforcer les enseignements fondamentaux, mais qu'aujourd'hui, tel qu'il est organisé, le lycée professionnel ne pallie pas certaines des difficultés rencontrées. C'est là tout l'enjeu : mieux accompagner les élèves qui rencontrent des difficultés et prendre en considération la réalité de parcours scolaires parfois difficiles. Nous allons donc renforcer l'enseignement des matières fondamentales pour les élèves qui en ont besoin.

Contrairement à une précédente réforme, qui avait abouti à la diminution du nombre d'années de formation, nous souhaitons renforcer certains enseignements, pour donner plus de temps à certains élèves tout en maintenant le caractère national des diplômes – je l'ai rappelé dans mon intervention.

Nous continuerons donc d'avancer sur ces deux plans : renforcer les enseignements généraux tout en améliorant les enseignements métiers. Cet objectif doit s'inscrire dans le nécessaire rapprochement de l'école et de l'entreprise, qui donne du sens à la formation de l'élève en lui offrant des perspectives d'insertion professionnelle : il s'agit bien là de l'ADN de la voie professionnelle. Le constat actuel est inquiétant : parmi les élèves qui ne souhaitent pas poursuivre leurs études, un diplômé sur deux ne trouve pas d'emploi. Il est donc de notre responsabilité d'agir.

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Comme vous l'avez souligné, madame la ministre déléguée, la réforme de la voie professionnelle a notamment pour objectif de faire progresser le taux d'insertion dans l'emploi et de faciliter la poursuite d'études. En préparant mieux les élèves au monde professionnel, je pense que l'augmentation de la durée des stages aura un impact direct sur la progression du taux d'insertion. À cet égard, on peut d'ailleurs souligner le succès que connaît actuellement l'apprentissage, voie plébiscitée par les familles notamment en raison du taux d'insertion à la sortie.

Si je suis convaincue que les entreprises contribueront à la formation professionnelle des jeunes, vous connaissez mon intérêt pour la maîtrise des savoirs fondamentaux et l'importance que j'accorde à l'enseignement général : il faut que son volume d'heures annuel soit garanti, voire augmenté, car il est actuellement très faible. Ainsi, parallèlement à l'augmentation du nombre de semaines de stage, il me semble important d'augmenter également le nombre d'heures d'enseignement général lors des semaines passées au lycée, afin de ne pas obérer la possibilité pour les élèves de poursuivre leurs études ou d'évoluer tout au long de leur vie professionnelle.

Si nous souhaitons que les jeunes de la voie professionnelle puissent un jour devenir des artisans autonomes, des encadrants ou des chefs d'entreprise, ils doivent avoir un bagage solide. Or tous les professeurs de français que j'ai rencontrés se plaignent du faible nombre d'heures d'enseignement dont ils disposent actuellement. Lors de la rencontre-débat transpartisane organisée le 15 décembre par un collègue et le collectif Une voie pour tous, des élèves de lycée professionnel ont également évoqué leur souhait de s'initier à la philosophie, afin de devenir des citoyens à part entière, disposant de toutes leurs capacités d'analyse et de discernement.

Que pouvez-vous nous dire au sujet de l'augmentation du nombre d'heures d'enseignement en français, mathématiques, langues étrangères, voire philosophie, pour les élèves de la voie professionnelle, qui rêvent d'y avoir accès ?

Par ailleurs, ma collègue Céline Calvez, qui nous a quittés, souhaitait vous interroger sur certaines filières qui connaissent une forte dégradation de leurs débouchés, comme la filière gestion et administration. Celle-ci forme majoritairement des filles, qui manquent par ailleurs cruellement dans d'autres secteurs, comme le numérique et la tech. Pourquoi ne pas créer de nouveaux métiers dans ces filières, comme celui de conseiller numérique ?

Debut de section - Permalien
Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Je voudrais réaffirmer l'importance des savoirs généraux, que vous avez également soulignée : l'augmentation de la durée des périodes de formation en milieu professionnel ne se fera pas au détriment des enseignements au lycée, et la réforme ne signe pas le renoncement aux enseignements fondamentaux. Le diagnostic est clair : les élèves de la voie professionnelle maîtrisent nettement moins bien les savoirs fondamentaux que les élèves de la voie générale ou technologique. Consolider les savoirs en français et en mathématiques dès la classe de seconde professionnelle est donc l'une des priorités de la réforme que je souhaite mener, en y investissant davantage de moyens organisationnels et humains.

Eu égard aux fragilités des élèves, la question n'est pas d'enseigner plus, mais d'enseigner mieux, et peut-être différemment, les matières générales. Comme je l'ai souligné dans mon intervention, une forte proportion d'élèves de la voie professionnelle est issue de l'immigration ou allophone : l'accompagnement doit être adapté à cette réalité. En outre, 5 % des élèves sont en situation de handicap : là encore, il faut apporter des réponses adaptées. Je rappelle que les difficultés en lecture touchent 28 % des élèves en CAP, contre 16 % des élèves en bac professionnel et seulement 3,5 % des élèves en filière générale.

Par ailleurs, si les jeunes filles représentent 40 % des élèves de la voie professionnelle, elles ne sont en effet que 13 % à être inscrites dans des filières dites de production, qui se trouvent être celles offrant le meilleur taux d'insertion, en particulier dans des secteurs comme l'industrie, le numérique ou la transition énergétique : relever ce taux est un défi, et nous allons y travailler, notamment en faisant évoluer l'offre de formation.

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Voici donc venir une énième réforme de l'enseignement professionnel ! Aucun ministre, aucun gouvernement n'aura manqué d'afficher sa volonté de revaloriser l'enseignement professionnel pour en faire une voie d'excellence. Pourtant, ces déclarations lénifiantes ont toujours eu un effet inversement proportionnel au volontarisme affiché.

Pour notre part, nous considérons que les maux et difficultés de l'enseignement professionnel ne sont pas à rechercher dans son organisation ou son fonctionnement – sauf, évidemment, dans la réforme du baccalauréat général et technologique et du lycée défendue par Jean-Michel Blanquer, qui a sensiblement diminué le temps d'enseignement consacré aux humanités, temps qu'il faudrait d'ailleurs rétablir.

Les sources des problèmes rencontrés par l'enseignement professionnel sont bien plutôt à rechercher en amont : en effet, c'est au collège que se construit la maîtrise des fondamentaux et que se décide l'orientation. Or nous savons que celle-ci s'effectue toujours par défaut – et ce, de façon systémique. J'en profite pour saluer le dévouement et l'engagement professionnel des personnels du lycée professionnel qui accueillent, comme le disait une syndicaliste dans la première partie du débat, des enfants cabossés par l'institution.

Il faut donc s'attaquer à la racine du problème. Madame la ministre déléguée, pourquoi y a-t-il des décrocheurs ? Parce qu'une proportion non négligeable d'élèves ne maîtrise ni la lecture, ni le calcul élémentaire. Par conséquent, ces élèves ne peuvent évidemment pas suivre les enseignements en lycée professionnel. Or pourquoi beaucoup d'élèves de lycée professionnel ne maîtrisent-ils pas les fondamentaux ? Parce que rien n'est aujourd'hui prévu au collège pour les remettre à niveau – ni structure ad hoc, ni temps, ni programme.

Pourquoi l'insertion professionnelle est-elle parfois difficile pour des élèves pourtant titulaires d'un CAP ou d'un bac professionnel ? Parce que des formations « parking » existent encore, qui ne répondent plus à aucun besoin économique mais dans lesquelles on envoie les laissés pour compte de l'orientation. La coordination des politiques de formation professionnelle est d'ailleurs une compétence régionale, et ne dépend donc pas de l'État.

Le Gouvernement serait donc bien inspiré de réformer rapidement et profondément le collège – ses cursus, ses programmes et sa caricature d'examen terminal qu'est le diplôme national du brevet (DNB). Ne croyez-vous pas, madame la ministre déléguée, qu'il faut revoir d'urgence votre copie ?

Debut de section - Permalien
Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Voilà qui est peut-être quelque peu manichéen, d'autant que le contenu de la réforme n'est pas encore arrêté !

S'agissant de la question de l'orientation, un grand chantier doit effectivement être ouvert : nous y travaillons déjà ardemment, et Régions de France participe à la réflexion. À la rentrée 2022, nous avons lancé une expérimentation portant sur la découverte des métiers, déjà plébiscitée par 10 % des 6 000 collèges concernés. Il existe donc une réelle volonté des collèges de s'inscrire dans cette démarche, que nous élargirons à l'ensemble des collèges de France à la rentrée 2023.

C'est là une vraie nécessité en vue de lutter contre le phénomène que vous mentionnez – l'orientation subie, liée au décrochage, et dont la réalité est indéniable. Du reste, en France, le décrochage lui-même est très important : il touche encore 10 % des jeunes. Sur les 80 000 élèves sans diplôme qui abandonnent chaque année leurs études, 13 % le font à la sortie du collège, comme vous l'avez évoqué clairement, 20 % à la sortie du lycée général et technologique, et 67 % au lycée professionnel. Par conséquent, plus tôt nous agirons, meilleures seront nos chances de relancer leur parcours d'insertion : là réside tout l'enjeu de la réforme des collèges engagée par M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Il s'agit d'œuvrer à la découverte des métiers, pour agir sur les leviers du décrochage que sont l'orientation subie et la difficulté qu'ont les jeunes à trouver du sens à la formation qu'ils suivent, même lorsqu'ils sont déjà au lycée professionnel. Notre volonté de rapprocher l'école de l'entreprise, de faire passer aux élèves plus de temps au sein de cette dernière, de permettre qu'ils soient mieux accompagnés, au cours de leur formation en milieu professionnel, à la fois par l'entreprise et par le professeur, en bref d'améliorer la qualité du stage, vise à agir sur les causes du décrochage et constitue l'un des axes majeurs de la réforme du lycée professionnel que nous souhaitons engager.

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Madame la ministre déléguée, la fin de l'année 2022 a été marquée par des mobilisations et des grèves massives, au sein des lycées professionnels, contre votre projet de réforme, lequel prévoit notamment de favoriser toujours plus l'apprentissage. Nous connaissons par cœur l'argument ressassé : celui-ci permettrait de lutter contre le chômage des jeunes. Il n'est donc pas inutile de rétablir quelques faits.

Depuis le début du siècle, les lycées professionnels ont perdu 100 000 élèves, tandis que l'apprentissage patronal gagnait 500 000 jeunes. Or, au début des années 2000, on recensait 400 000 chômeurs de moins de 25 ans ; en 2022, ils étaient encore 380 000 : donc 20 000 de moins. Où est donc le bilan tant vanté de l'apprentissage ? Peut-être, tout simplement, votre objectif se situe-t-il ailleurs. À Nîmes, il y a quelques mois, les salariés de Carrefour étaient en grève. Voici ce que déclarait l'une d'entre eux : « Ils emploient des jeunes en apprentissage, formés à la va-vite. C'est très rare qu'ils les gardent. » De fait, le taux de rupture des contrats d'apprentissage est en moyenne de 25 % ; il atteint 30 % dans la restauration. Le taux de précarité des 15-24 ans est quant à lui passé de 17 % à 53 % en quarante ans ! Enfin, les jeunes qui choisissent l'apprentissage ont beaucoup moins de chances d'obtenir un diplôme que ceux qui optent pour la voie scolaire : il y a 26 points d'écart entre les deux chiffres.

Madame la ministre déléguée, l'enseignement professionnel a été institué, après la seconde guerre mondiale, dans le but de soustraire la jeunesse à la tutelle des patrons. Pourtant, au moment où je vous parle, six lycées professionnels sont menacés de fermeture en région parisienne, dix dans le Grand Est. Quand renoncerez-vous à votre projet destructeur, qui n'a en réalité d'autres objectifs, au prix de 35 milliards – une paille ! – d'aides publiques en trois ans, que de fournir aux entreprises une main-d'œuvre gratuite et de faire artificiellement baisser les chiffres du chômage ?

Debut de section - Permalien
Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Monsieur le député, l'apprentissage constitue l'une des vraies réussites du précédent quinquennat, réussite d'ailleurs saluée par l'ensemble des acteurs et dont les effets sur l'insertion des jeunes – ainsi que sur leur taux de chômage, qui n'avait jamais été aussi bas depuis plus de trente ans – sont très nets. Nous pourrions tous ici, unanimement, au-delà des considérations politiques voire politiciennes, en tirer satisfaction.

Je tiens en outre à souligner que notre objectif n'est pas de susciter une concurrence entre la voie scolaire, c'est-à-dire le lycée professionnel, et l'apprentissage. Leur complémentarité peut au contraire fournir aux jeunes un maximum de leviers de réussite en leur donnant la possibilité de choisir : il conviendrait même d'apporter plus de souplesse dans le parcours, afin que les jeunes qui s'engagent dans tel chemin à un certain degré de maturité puissent reconsidérer ce choix avec l'âge. Du point de vue de l'entreprise, l'apprentissage ne souffrira non plus d'aucune concurrence avec le lycée professionnel, la durée de stage n'étant pas comparable. Nous devons toutefois appliquer au second la même ambition qu'au premier : donner, je le répète, des leviers de réussite aux jeunes.

Enfin, si nous améliorons l'insertion des élèves dans l'emploi, ce sera par de multiples vecteurs, notamment les diplômes professionnels. Il existe aujourd'hui non seulement de nombreux métiers en tension, mais également des métiers en devenir, sur lesquels nous devons travailler davantage, ce qui implique d'agir de manière bien plus volontariste sur la carte des formations. Une autre question est celle de l'orientation : trop de choix sont subis, ou seulement mal éclairés, par exemple en raison de biais de genre. Trop de perspectives de poursuite d'études font également défaut. Là encore, nous souhaitons substituer le levier à l'obstacle.

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Ma suppléante, Mme Sylvie Bonnet, et moi-même avons été récemment alertés par les professeurs du lycée Adrien-Testud du Chambon-Feugerolles, dans le département de la Loire, au sujet de la réforme des lycées professionnels annoncée par le Président de la République. Les enseignants s'inquiètent des objectifs de cette réforme, en particulier de l'augmentation de 50 % de la durée des stages dans le cadre du volume global d'enseignement, c'est-à-dire au détriment des matières générales et technologiques, pourtant indispensables à la culture générale et à l'avenir professionnel des élèves. L'importante diminution des heures d'enseignement classique priverait en effet ces derniers du socle de connaissances nécessaire à leur réussite dans l'enseignement supérieur, notamment à l'obtention d'un BTS.

Par ailleurs, ces mêmes enseignants doutent de la capacité des entreprises à assurer cette formation alors qu'en l'état actuel des choses, 90 % des élèves ligériens ne parviennent déjà pas à effectuer toutes leurs périodes de stage. Ce qu'ils demandent, madame la ministre déléguée, c'est surtout la possibilité de former de futurs citoyens en faisant bénéficier leurs élèves d'une ouverture culturelle et intellectuelle, et de faire d'eux de bons professionnels, formés à un métier, non à un poste spécifique au sein d'une seule entreprise. De plus, avec votre réforme, qu'en serait-il de la mobilité des travailleurs ? Tout comme notre collègue Chudeau, madame la ministre déléguée, je vous invite à revoir votre copie !

Debut de section - Permalien
Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Pour commencer, monsieur Cinieri, je voudrais répondre aux inquiétudes exprimées par ces professeurs, qui devraient déjà trouver dans mes précédents propos de quoi être rassurés : notre méthode a consisté à recourir à des groupes de travail où sont représentés les organisations syndicales et patronales, les enseignants et personnels éducatifs, les parents d'élèves, les élèves eux-mêmes. Cette pluralité était essentielle en vue de recueillir le point de vue de chacun concernant l'approche à adopter. En outre, la réforme sera instaurée progressivement, afin que les établissements puissent concevoir pour leurs élèves des leviers de réussite adaptés à leur implantation rurale ou urbaine, aux secteurs d'activité qui font l'objet d'une formation, aux élèves eux-mêmes. Il importe, je le répète, de rassurer les enseignants : ils auront à élaborer un projet et à travailler à l'organisation de l'établissement en vue de mieux accompagner la réussite des jeunes grâce aux instruments que nous proposerons.

Quant à l'augmentation de la durée des stages, sur laquelle vous mettez une nouvelle fois l'accent, je répondrai une nouvelle fois qu'il n'est pas question de réduire le temps consacré à l'enseignement général – essentiel non seulement à l'insertion professionnelle de ces jeunes, mais aussi à leur éducation en tant que futurs citoyens. J'insiste également sur le caractère national des diplômes. Enfin, nous travaillerons à renforcer l'enseignement en vue de remédier aux difficultés de ces élèves, qui en rencontrent effectivement davantage que d'autres – c'est là un diagnostic que nous pouvons partager.

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Madame la ministre déléguée, je souhaiterais davantage d'informations au sujet de la future mesure concernant la gratification des stages. Alors que le débat se concentre souvent sur l'accroissement de la durée des périodes passées en entreprise, durée qu'il conviendrait de rendre progressive au cours de la scolarité, la volonté du Gouvernement de mieux rémunérer les stagiaires va dans le bon sens. Pourriez-vous donc, s'il vous plaît, nous exposer en détail ce point de la réforme ?

Debut de section - Permalien
Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

La gratification des stages en entreprise, qui sera appliquée dès la rentrée 2023, répond à plusieurs objectifs : motiver davantage les élèves, les valoriser, renforcer l'attractivité de la voie professionnelle, autant de moyens d'accroître l'investissement de ces stagiaires. Il s'agit aussi d'accentuer le rapprochement de l'école et de l'entreprise, de manière à multiplier les possibilités de stage offertes à tous les élèves, notamment aux plus fragiles, comme vous l'aviez évoqué lors de la table ronde qui a précédé. Nous en attendons également que les entreprises, dont on sait les besoins en matière de recrutement, s'engagent davantage envers les stagiaires : là encore, il s'agit de renforcer l'attractivité de certaines filières.

Enfin, nous comptons faire porter nos efforts sur la recherche de stage, parfois difficile, en particulier pour les jeunes dont la famille ne dispose d'aucun réseau : la réforme doit permettre à tous les élèves de la voie professionnelle de bénéficier des mêmes chances de réussite, quel que soit le milieu social dont chacun est issu. Nous travaillerons à leur accompagnement dans la recherche d'un stage de qualité, ainsi qu'au rapprochement entre professeurs des lycées professionnels et tuteurs en entreprise : ces deux sujets majeurs ont été abordés au sein des groupes de travail créés le 21 octobre dernier. Cela leur a d'ailleurs donné l'occasion de discuter des expérimentations d'ores et déjà engagées dans certains lycées professionnels et portant entre autres sur le mentorat – on conçoit l'intérêt pour les élèves d'être mieux accompagnés grâce au dispositif « 1 jeune, 1 mentor » ou au dispositif expérimental de Pôle emploi, qui concerne la recherche d'un stage ou d'un emploi après obtention d'un diplôme. Des travaux consacrés à l'image de soi et à la manière de se présenter ont également été engagés sous forme d'expérimentation.

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Merci, tout d'abord, aux collègues du groupe GDR – NUPES, auxquels nous devons, dans le cadre de cette semaine de contrôle, l'inscription à l'ordre du jour de ce débat consacré à la réforme de la voie professionnelle. En effet, alors même que les annonces faites en novembre dernier par le Gouvernement sont passées quasiment inaperçues, sa volonté d'accroître le temps que les élèves de la voie professionnelle passent dans les entreprises, réduisant une nouvelle fois leurs heures de cours, mérite discussion.

Il ne s'agit pas seulement là du débat habituel entre ceux qui souhaitent que le travailleur-citoyen bénéficie d'un enseignement complet et ceux qui souhaitent cantonner les moins qualifiés au seul apprentissage des techniques de production. Mes collègues du groupe Socialistes et apparentés et moi-même déplorons dans cette réforme un nouveau moyen déguisé de limiter le nombre d'heures passées en classe, donc le nombre d'enseignants, plutôt que d'avoir l'ambition d'innover, d'offrir à ces élèves, certes parfois mal à l'aise vis-à-vis de l'école, de l'écoute, de l'imagination, de l'adaptabilité, de la créativité – et surtout du temps, le temps de classe, le temps avec les élèves que réclament les équipes éducatives, à entendre les intervenants, afin de mener à bien leur mission d'accompagnement des enfants qui leur sont confiés. Les lycéens professionnels, pour leur part, souhaitent être considérés comme les égaux en dignité de leurs pairs de la voie générale. Enfin, les maîtres de stage ne demandent pas forcément à encadrer plus longuement des stagiaires encore trop jeunes et inexpérimentés.

Je m'interroge donc sur cette façon qu'a le Gouvernement – la voie professionnelle n'étant d'ailleurs pas le seul sujet en cause – de déguiser en innovations des reculs, en l'occurrence la réduction du temps scolaire. Est-ce une réelle avancée pédagogique que de placer plus longtemps des élèves en entreprise, au risque que leurs acquis soient ceux que requiert un seul poste de travail, alors qu'il faudrait les aider…

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…à valider des compétences plus étendues, ainsi qu'à acquérir les savoirs fondamentaux indispensables à leur vie d'adulte et à leur insertion dans le marché du travail ? Le 49.3,…

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Il faudrait à présent poser votre question, monsieur David.

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…en interrompant la discussion budgétaire, nous avait dans un premier temps privés d'un débat sur ce point. Aujourd'hui, madame la ministre déléguée, je n'ai pas de question à vous adresser : je souhaiterais plutôt que vous répondiez à celles des syndicats d'enseignants, qui s'interrogent, et qui indiquaient tout à l'heure n'avoir pas été consultés.

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Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

À ce stade, c'est plutôt une méthode que j'ai annoncée le 21 octobre dernier, lorsque j'ai lancé les groupes de travail ; j'ai aussi partagé des constats et donné des objectifs. Nous sommes encore en train de construire la réforme du lycée professionnel, notamment au travers du dialogue que j'ai évoqué. J'ai reçu moi-même les partenaires sociaux dès le mois de juillet 2022 et nous avons eu des échanges réguliers tout au long de l'année. Nous avons invité l'ensemble des syndicats de l'éducation et interprofessionnels à participer aux groupes de travail. Certains sont venus et y ont participé activement, ce dont je les remercie ; d'autres ont préféré ne pas y participer, je respecte leur choix.

Je me permets néanmoins de répéter qu'à côté de l'accroissement du temps de formation en milieu professionnel, une attention particulière sera portée aux heures d'enseignement général, que nous souhaitons maintenir. La réforme ne doit pas se faire au détriment de ces heures qui répondent à une vraie nécessité. Comme je l'indiquais à l'instant, le pourcentage d'élèves en difficulté en lecture, en écriture et en calcul nous oblige à mieux faire encore ces enseignements et probablement à accompagner davantage ceux qui rencontrent des difficultés particulières dans la voie professionnelle.

Nous travaillerons bien sûr avec les enseignants pour appréhender la forte hétérogénéité des élèves accueillis dans la voie professionnelle, laquelle nécessite un accompagnement et une formation des professeurs au plus près des jeunes. L'expertise pédagogique des professeurs de l'enseignement professionnel, d'ores et déjà extraordinaire, restera centrale dans la construction du portefeuille de compétences des jeunes. Nous devons tirer les conséquences du passé et trouver les leviers pour une formation continue de qualité qui pourra être proposée aux enseignants, afin d'ajuster les enseignements et de mieux accompagner les élèves en difficulté.

Pour répondre, enfin, à l'interpellation de M. le député sur les questions budgétaires, j'ajoute que des moyens très importants seront alloués à l'enseignement professionnel. Aujourd'hui, près de 5 milliards d'euros sont ainsi consacrés aux dépenses liées à cet enseignement, notamment à la rémunération des enseignants.

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J'aimerais vous interroger sur deux sujets, madame la ministre déléguée, en commençant par celui des stages. « Mon premier stage en comptabilité, je n'ai pas fait de compta : j'ai nettoyé les toilettes. Ma fille c'est pareil, elle a passé le balai. » Voilà ce que dit Jimmy. « Je me suis retrouvé à faire les tâches les plus pénibles dans l'entreprise où j'ai fait un stage, comme ramasser les détritus », dit Almamy. « Les stages sont subis. Mon premier stage relevait clairement de l'exploitation. Les salariés renvoyaient leurs erreurs sur les stagiaires », dit Andy. Tout cela sans compter les autres témoignages que nous avons tous entendus dans nos circonscriptions.

Les enseignantes de la filière médico-sociale expliquent, par exemple, que le problème n'est pas que les stagiaires ne soient pas bien traités, mais qu'ils ne trouvent pas de stage. La situation dans laquelle se trouvent les filières médico-sociale et médicale ne permet pas en effet aux agents d'accueillir et d'encadrer des stagiaires – d'autant plus qu'ils disent ne pas pouvoir être tuteurs de stagiaires mineurs. Il n'y a donc pas de stages. Vous dites par ailleurs vouloir mieux encadrer les stages, madame la ministre déléguée : encore faudrait-il en trouver, d'abord ; et avec quels moyens, ensuite ? Peut-être serait-il intéressant que les élèves en lycée professionnel suivent quelques cours consacrés au droit du travail, ce qui leur permettrait certainement de mieux faire valoir leurs droits.

J'en viens à ma seconde question. Mes collègues et moi devons être stupides, car nous ne comprenons pas la signification de l'expression « mieux d'enseignement général » que vous avez utilisée il y a quelques instants. Vous avez également souligné au cours de votre propos liminaire que – ô, miracle ! – les moyens alloués aux lycées professionnels seraient maintenus. Dans le cadre d'une réforme dite ambitieuse, nous aimerions plutôt que des engagements soient pris quant à leur augmentation. Qu'est-ce que « mieux d'enseignement général », sinon une forme de novlangue incompréhensible ?

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Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Vous avez posé de nombreuses questions, madame la députée. Je crains que votre groupe politique et vous-même n'attendiez le statu quo pour les élèves de l'enseignement général. Nous constatons pourtant de façon objective, et vous aussi, qu'ils se trouvent davantage en difficulté que les autres élèves de notre pays et qu'ils rencontrent des obstacles pour s'insérer dans l'emploi ou poursuivre des études ; nous observons ensemble qu'ils représentent deux tiers des décrocheurs. Pourtant, vous attendez que nous n'agissions pas.

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Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Je le regrette évidemment mais nous prendrons de toute façon une autre voie, celle de l'action : nous souhaitons améliorer les enseignements généraux en permettant, par exemple, aux élèves de travailler en petits groupes ou en donnant plus de temps à certains d'entre eux pour acquérir certaines compétences. Nous travaillerons également au rapprochement avec les entreprises et, en collaboration avec ces dernières et avec les établissements, à la qualité des stages. Nous voulons faire en sorte que les jeunes trouvent du sens dans l'enseignement qu'ils reçoivent et qu'ils disposent de perspectives d'insertion professionnelle : cela me semble absolument nécessaire.

Nous travaillerons également à mieux organiser la carte des formations, ce qui aidera les jeunes à trouver des possibilités de stage : le milieu professionnel les attendra à bras ouverts s'ils sont formés à des métiers qui répondent aux enjeux économiques d'aujourd'hui et de demain. Dans le cadre des consultations menées avec les organisations syndicales et l'ensemble des partenaires, au sein des groupes de travail, nous chercherons également à améliorer la qualité des stages. Il est essentiel pour nous de répondre à la question de la minorité que vous évoquez, madame la députée. Ces élèves sont jeunes, souvent mineurs. Ils doivent donc pouvoir bénéficier d'accompagnements adaptés et, parfois, selon leurs difficultés, de plus de temps. C'est ce que nous souhaitons leur offrir.

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Je souhaite associer à ma question le lycée d'enseignement professionnel Paul-Belmondo d'Arpajon, dans ma circonscription – vous avez eu l'occasion de le visiter, madame la ministre déléguée – ainsi que ma stagiaire Sajda, qui y étudie. Le Gouvernement et notre majorité souhaitent entamer une réforme inédite et profonde de l'enseignement professionnel. À titre personnel, je me félicite de cette ambition, qui montre à nouveau la volonté du Gouvernement d'accompagner les jeunes vers la réussite tout en les formant aux métiers de demain. Souhaitons que cette réforme rencontre le même succès que celle de l'apprentissage qui a permis, je le rappelle, la signature de 800 000 contrats au cours de l'année 2022.

Je voudrais vous interroger en particulier, madame la ministre déléguée, sur la question des stages. Vous avez indiqué à plusieurs reprises que vous souhaitiez accroître leur nombre durant le cursus afin que les jeunes soient formés de manière continue et efficace. Si je reconnais le besoin des étudiants de découvrir un nombre varié de secteurs d'activité, je voudrais aussi souligner que plusieurs entreprises de ma circonscription m'ont fait part de leur préférence pour les stages longs, de huit semaines ou plus, par rapport aux stages de courte durée. Les stages plus longs leur permettent en effet de mieux former les jeunes et de les faire monter plus efficacement en compétences. Il est également plus aisé pour les étudiants de trouver des entreprises pour des stages de cette durée. Bien qu'elle constitue une part essentielle de leur apprentissage, la recherche de stage n'est pas aisée pour les jeunes et peut être une source de grande préoccupation. Afin de rassurer les entreprises et l'ensemble des acteurs du secteur, pourriez-vous détailler, madame la ministre déléguée, vos projets concernant les stages en entreprise ?

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Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

J'ai eu l'occasion de me rendre effectivement au lycée Paul-Belmondo d'Arpajon en novembre dernier, dans le cadre de mes déplacements réguliers. J'ai pris en compte les remontées des représentants de l'établissement et leur ai expliqué, comme je le répète aujourd'hui, que le renforcement des interactions entre le monde économique professionnel, d'un côté, et les élèves et professeurs, de l'autre, est indispensable pour accroître le taux d'insertion des élèves. Pour la préparation du baccalauréat professionnel, vingt-deux semaines de stage sont aujourd'hui prévues sur les cent huit semaines de scolarité. Nous souhaitons consacrer nos réflexions non seulement à la durée des stages mais aussi à leur qualité. Les professeurs et les entreprises doivent mieux travailler ensemble afin de donner aux jeunes leur place et de leur faire découvrir l'environnement professionnel ainsi que les codes qui favoriseront leur insertion.

Pour y parvenir, les entreprises doivent prendre une plus grande place dans les établissements professionnels. Il faut aussi que les jeunes aient la possibilité de trouver des offres de stages plus nombreuses, notamment grâce au plan « 1 jeune, 1 solution » instauré durant le quinquennat précédent et grâce au développement d'outils qui les aideront à trouver des stages et contribueront à leur réussite. Le mentorat doit être l'un de ces points d'appui.

Je voudrais souligner que la gratification participe de la valorisation des stages : elle sera mise en place dès la rentrée 2023. Nous souhaitons faire des stages de véritables leviers de réussite et d'insertion professionnelle et nous travaillerons évidemment avec les professeurs afin qu'ils soient réellement accompagnés.

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La transformation de l'appareil de formation initiale et continue pour former aux métiers de demain, en passant par une meilleure adaptabilité du bac professionnel aux besoins des entreprises, me paraît nécessaire au vu de la pénurie de main-d'œuvre que connaissent certains secteurs. J'y vois l'occasion d'ouvrir de nouveaux horizons pour nos jeunes et de rendre leur attractivité à certains métiers dont nous avons cruellement besoin en France. Soyons bien clairs cependant : cette « révolution complète – j'insiste sur le mot – des lycées professionnels », pour reprendre les mots de notre président, ne doit pas aboutir à faire faire à nos enfants le sale boulot dont personne ne veut – qui plus est lors de stages où, contrairement aux contrats d'alternance, l'élève est souvent payé une misère.

Emmanuel Macron pense que « l'école, ce n'est pas non plus simplement former des citoyens qui apprendraient des savoirs et des valeurs qui n'ont rien à voir avec la vie professionnelle » : cependant, cette « révolution complète » désirée ne saurait se faire sans d'autres travaux prioritaires. Préparer le terrain, c'est déjà s'atteler aux problèmes d'illettrisme et d'acquis des fondamentaux. Les récentes évaluations au collège le prouvent : il est plus que temps d'accompagner les élèves confrontés à des difficultés en français et en mathématiques. Les élèves de baccalauréat professionnel ne doivent pas être laissés de côté : ils ont aussi besoin de cet accompagnement. Préparer le terrain, c'est aussi et avant tout revaloriser les métiers de secteurs en mal d'attractivité et de main-d'œuvre.

Je rejoins l'inquiétude de la FSU : nous nous dirigeons vers un système dans lequel il y aura moins d'école et plus d'entreprise. Or ce système ne rendra pas service aux entreprises, car celles-ci ont besoin de jeunes ayant déjà reçu une formation complète et possédant une bonne connaissance des bases. À la lumière de ces considérations, considérez-vous, madame la ministre déléguée, que l'augmentation du temps de stage au détriment de la formation est vraiment une idée judicieuse ?

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Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Notre ambition, avec la réforme du lycée professionnel, est de faire de ce dernier une voie de réussite, une voie qui soit choisie par les élèves et leurs familles et valorisée par l'ensemble de la société comme un levier d'insertion professionnelle et de développement personnel des jeunes. Je l'ai déjà dit, et votre question m'amène à le rappeler : il s'agit pour nous de tenir compte de la disparité des niveaux scolaires des jeunes et de les accompagner en insistant sur les enseignements fondamentaux, afin d'apporter une réponse plus efficace à leurs difficultés et à leurs fragilités.

La réforme s'appuiera sur de nombreux leviers : une meilleure information des collégiens sur les métiers et les parcours de formation qui permettent d'y accéder ; un renforcement des savoirs fondamentaux, sur lequel j'insiste à nouveau ; des parcours de formation plus agiles, permettant aux jeunes de réussir à leur rythme, d'atteindre le niveau de qualification qu'ils souhaitent et de poursuivre leurs études s'ils en ont l'envie ; enfin la création de nouvelles filières contribuant à l'insertion des jeunes. J'ai sollicité dans ce but le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), qui nous accompagnera dans la transformation de l'offre de formation et dans son adaptation aux enjeux de France 2030.

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Les constats que vous posez comme base de réflexion pour votre prochaine réforme sont les mêmes que ceux posés par Jean-Michel Blanquer en 2018 : le taux d'élèves décrocheurs dans les voies professionnelles est trop bien trop important, le taux d'insertion dans l'emploi après ces formations n'est pas satisfaisant et la poursuite d'études n'est pas facilitée pour les élèves diplômés des filières professionnelles. Le groupe Socialistes et apparentés partage vos constats, tant sur l'inefficacité de votre dernière réforme – puisque vous en préparez déjà une autre – que sur les faiblesses de la voie professionnelle. Néanmoins, l'accumulation de réformes tous les quatre matins ne palliera pas les insuffisances de la voie professionnelle. Prenons le temps d'une réflexion globale. Écoutons les professionnels et les premiers concernés par les réalités de terrain : les enseignants, les élèves, les anciens élèves, les structures accueillant les stagiaires et les régions chargées de cette compétence.

Il y a, pour le moment, consensus contre votre projet de réforme. Combien de suppressions de postes d'enseignant en lycée professionnel prévoyez-vous ? L'emploi du temps des élèves n'étant pas extensible, comment entendez-vous sanctuariser les heures de classe tout en augmentant de 50 % le temps passé en entreprise ?

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Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Un bilan de la réforme pédagogique de 2018 a pu être établi et les résultats sont tout à fait encourageants. Depuis septembre 2019, un comité national suit la transformation qui a été engagée. De nombreuses innovations pédagogiques ont déjà été mises en place. Ainsi, la co-intervention, en associant plus étroitement enseignements généraux et enseignements professionnels de spécialité dans des classes à effectifs réduits, permet aux élèves de trouver du sens aux enseignements généraux et de les intégrer plus facilement. Quant à la pédagogie du chef-d'œuvre, elle donne des signaux encourageants. La réforme de 2018 a aussi permis aux élèves de mieux construire leur propre parcours et de faire, s'ils le souhaitent, le choix de l'apprentissage.

Des axes d'amélioration existent cependant et un groupe de suivi, dirigé par Marc Foucault, sera mis en place dès le mois de février. Notre ambition, je veux le souligner, est de placer l'élève en situation de réussite et de faire de la voie professionnelle une voie choisie. Pour cela, il faut renforcer encore l'accompagnement des élèves et l'investissement dans les lycées professionnels, en jouant sur de nombreux leviers : formation des professeurs, formations d'avenir en phase avec les besoins de la nation, gratification des élèves lors des périodes de formation en milieu professionnel, maintien des effectifs de professeurs pour la rentrée de 2023.

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J'ai dirigé durant dix ans une école universitaire de management – un institut d'administration des entreprises (IAE). La moitié des étudiants se trouvaient en formation continue et une proportion significative d'entre eux avaient été, dix ou vingt ans auparavant, des lycéens de la voie professionnelle. Ils réussissaient plutôt bien : certains se sont même engagés dans un cursus doctoral.

Il me semble essentiel d'expliquer aux lycéens professionnels, qui n'en ont pas toujours conscience, que jamais les passerelles n'ont été aussi nombreuses dans notre pays et qu'en validant ses acquis par l'expérience, on peut, à tout âge, valoriser son parcours et obtenir les plus hauts diplômes universitaires – qu'on croit trop souvent réservés aux cursus académiques solides et aux parcours linéaires.

C'est une façon, aussi, de leur dire que les enseignements fondamentaux ont toute leur place dans leur formation, qu'ils seront un levier dans leur vie. Je me réjouis, à cet égard, de vous entendre indiquer avec la plus grande clarté que la réforme maintiendra les enseignements fondamentaux à leur niveau actuel, voire les renforcera. On peut être allergique aux savoirs académiques à 17 ans et, à 35 ans, en comprendre toute la richesse. Ce n'est pas un problème, dès lors qu'on a su les côtoyer, à bonne hauteur, au lycée.

Il est également important de mieux insérer ceux qui ne poursuivent pas leurs études immédiatement. Vous avez raison de dire que les contenus doivent être adaptés ou repensés. J'ai vu des maquettes de formation en commerce qui n'abordaient que succinctement le commerce électronique ou des formations à la plasturgie qui faisaient pratiquement l'impasse sur la question du recyclage.

Enfin, l'allongement éventuel des stages devrait concerner plutôt les élèves de deuxième et de troisième année, la première année étant plutôt consacrée à l'acquisition du savoir technique dans les ateliers du lycée.

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Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Je partage pleinement votre conviction : il faut valoriser ces jeunes, en qui la nation place beaucoup d'attentes. Ils ont des perspectives immenses d'insertion professionnelle. Nous souhaitons investir encore davantage dans le lycée professionnel pour offrir à un plus grand nombre d'entre eux, et dans des domaines plus variés, des parcours professionnels qui soient gages de réussite. Il faut, à cette fin, travailler à élargir la carte des formations.

Je vous rejoins aussi sur un autre point : la formation ne se limite pas à la formation initiale. Dans la mesure où on est appelé à changer de métier entre cinq et treize fois, la formation tout au long de la vie est d'une importance majeure. Cependant, nous pouvons rassurer les élèves et leur montrer que nous voulons faire en sorte qu'ils puissent poursuivre, dans la foulée, leurs études, en s'insérant dans des parcours de formation de type BTS ou BUT – bachelor universitaire de technologie.

Nous travaillerons aussi sur les stages, conscients qu'ils pourraient certes profiter davantage à des étudiants plus âgés et plus mûrs. Ces périodes de formation en milieu professionnel pourraient être effectuées à d'autres moments, afin de donner aux jeunes le temps de se préparer à la poursuite d'études ou à l'insertion professionnelle, notamment par le retour d'expérience. Il ne faut pas toujours penser à système constant : les modalités sont diverses.

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Je vous remercie d'avoir rappelé les objectifs de cette réforme en coconstruction. Il s'agit de réduire le nombre de décrocheurs, d'améliorer le taux d'insertion et de sécuriser la poursuite des études. Dans nos circonscriptions, les professeurs et les proviseurs ont manifesté leur inquiétude : il était important de préciser que la réforme ne se ferait pas au détriment des savoirs fondamentaux.

Pourriez-vous nous en dire plus sur la méthodologie et le calendrier des groupes de travail ? Après la remise des rapports, il serait judicieux d'organiser une consultation des acteurs de terrain – ils en sont demandeurs. Les territoires présentent en effet des spécificités qui doivent être prises en compte. Ainsi, dans le Tarn, département rural, les lycées professionnels sont très enclavés et il est difficile, quand on est loin de tout, de trouver un stage. Après la concertation, cette réforme comprendra-t-elle une phase d'expérimentation ?

Debut de section - Permalien
Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels

Notre souhait est d'aider ces lycéens qui passent par la voie professionnelle – un tiers d'entre eux – à réussir et de répondre aux besoins de la nation en matière de compétences. Convaincus de l'engagement des professeurs, nous souhaitons leur donner plus de moyens pour combattre le décrochage des élèves lié à l'orientation subie et à leurs fragilités spécifiques. Les parcours pédagogiques doivent être ajustés pour que les jeunes retrouvent, dans ces parcours, le sens qui leur fait défaut, grâce à un resserrement des liens entre les enseignements et le monde de l'entreprise auquel ils préparent.

Il est terrible de constater que tant d'élèves ne souhaitent pas poursuivre leurs études et nous vivons le décrochage comme un échec. Nous savons pouvoir compter sur les équipes pédagogiques et sur leur connaissance des élèves et des enjeux économiques du territoire. Nous souhaitons donc donner aux établissements des marges de manœuvre et, tout en conservant le caractère national des diplômes, permettre à leur conseil d'administration de prendre des initiatives pour résoudre les difficultés spécifiques rencontrées localement.

Nous avons mis en place une nouvelle méthode : les conclusions de ces groupes de travail feront l'objet de concertations avec les partenaires sociaux et, sur le plan local, de concertations au sein des CNR – conseils nationaux de la refondation – territoriaux.

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Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq :

Questions sur la vie chère dans les outre-mer.

La séance est levée.

La séance est levée à vingt heures vingt-cinq.

Le directeur des comptes rendus

Serge Ezdra