La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quatorze heures.
Dans quelques semaines, nous commémorerons le quatre-vingtième anniversaire du Débarquement et de la Libération. Nous célébrerons ensemble le retour de la liberté et de la démocratie dans notre pays, mais Philippe de Gaulle ne sera plus avec nous.
Acteur et grand témoin de la geste gaullienne, le fils du général fut à la fois un militaire de haut rang, un artiste estimé et un homme politique respecté. Parti de Brest le 18 juin 1940, il s'est battu sur terre et sur mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon à Strasbourg, jusqu'à Berchtesgaden.
Premier compagnon de son père, il défendit ensuite ses idées au Conseil de Paris et au Parlement. S'il siégea au Sénat, son nom est aussi lié à l'histoire de notre assemblée, puisque ce fut lui qui, le 25 août 1944, libéra le Palais-Bourbon.
Les combats faisaient rage dans Paris. Alors simple enseigne de vaisseau, servant au sein de la deuxième division blindée sous l'uniforme bleu du régiment des fusiliers marins, il porta leur ordre de reddition aux 400 soldats allemands retranchés au Palais-Bourbon. Les Allemands ignoraient qui était cet officier des Forces françaises libres. Tandis que son père libérait la France, le fils, bientôt rejoint par d'autres combattants, faisait évacuer le site où allaient bientôt renaître la liberté de parole et la vie parlementaire. À nous de nous en souvenir et de transmettre sa mémoire.
Son seul regret, sans doute, fut que le général de Gaulle, pour ne pas laisser place au moindre soupçon de favoritisme et de népotisme, ne l'admit pas dans le prestigieux Ordre de la Libération. La conduite et les états de service de Philippe de Gaulle auraient, chez tout autre combattant, justifié cette distinction.
En rendant hommage à ce grand soldat, nous, députés français, pouvons témoigner – unanimement, j'en suis sûre – que Philippe de Gaulle a bien mérité de la nation.
À sa famille, à ses amis comme à ses derniers compagnons d'armes et vétérans de la Libération, j'adresse en votre nom les condoléances attristées de la représentation nationale. Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les membres du Gouvernement, mesdames et messieurs les parlementaires, en mémoire de la haute figure de l'amiral de Gaulle, je vous demande de bien vouloir observer une minute de silence.
Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence.
Le 7 février dernier, sous la pression des multinationales semencières, le Parlement européen a adopté un règlement sur les nouvelles techniques génomiques, les NTG. Le but : autoriser, dans nos champs, la culture de ces nouveaux organismes génétiquement modifiés (OGM). Le combat contre les OGM n'est pas terminé : vous continuez de jouer aux apprentis sorciers avec le vivant.
Personne, pourtant, ne veut de ces NTG : ni les agriculteurs, qui préféreraient un revenu digne et des prix planchers ; ni nos concitoyens, qui veulent une alimentation saine et abordable.
Le Gouvernement a saisi l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'Anses, pour qu'elle rende des avis sur ce règlement européen. Dans son premier avis, l'Anses évoque un manque de clarté et une « insuffisance de justifications scientifiques de l'équivalence recherchée entre des plantes NTG et les plantes conventionnelles ». Dans le second, elle recommande une évaluation spécifique des NTG au cas par cas, ainsi qu'un plan de surveillance global, notamment pour assurer la traçabilité des NTG et éviter la mainmise des multinationales étrangères sur les semences.
Quelles conclusions en tirez-vous ? Vous choisissez de vous asseoir sur ces avis. Pire : alors que vous disposiez du second avis le 22 janvier et que le vote au Parlement européen se déroulait le 7 février, vous avez choisi de ne le publier que la semaine dernière, en mars, donc après le débat et après le vote. Après tout, pourquoi s'embarrasser en encombrant le débat démocratique de l'avis des experts que vous aviez vous-mêmes sollicités ?
Monsieur le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, avez-vous, en guise de cadeau à Bayer-Monsanto et Corteva, retardé délibérément la publication de cet avis sur les nouvelles techniques génomiques ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES et sur quelques bancs des groupes LFI – NUPES et GDR – NUPES. – M. Jérôme Guedj applaudit également.
La parole est à Mme la ministre déléguée à l'agriculture et à la souveraineté alimentaire.
Il est de notre responsabilité collective, tout d'abord, d'éviter d'agiter les peurs : ces nouvelles technologies ne sont pas, à proprement parler, des OGM. De quoi parlons-nous exactement ? Scientifiquement, un OGM résulte d'une transgénèse : des gènes étrangers sont incorporés dans un organisme. Dans l'agriculture, en Europe, les OGM sont interdits, vous le savez.
Les nouvelles techniques génomiques permettent quant à elles des mutations ciblées du génome qui utilisent les gènes existants de l'organisme. Vous le savez comme moi : depuis que nous pratiquons l'agriculture, soit des dizaines de milliers d'années, nous utilisons la sélection variétale. Or les NTG n'en sont qu'une version scientifiquement plus avancée. Les mots ont un sens. C'est parce qu'il y a des différences scientifiques qu'il faut une réglementation spécifique et un cadre juridique adapté.
Ces nouvelles technologies représentent cependant une occasion majeure pour les agriculteurs : de lutter contre le dérèglement climatique ; d'utiliser moins de produits phytosanitaires, moins d'eau. Elles pourraient également permettre à leurs cultures de mieux résister face aux ravageurs. Nous pensons qu'elles font partie de la solution.
Il faut donc accélérer et saisir cette chance. Bien sûr, nous le ferons en garantissant un haut niveau de sécurité ,
Rires sur quelques bancs des groupes Écolo – NUPES et LFI – NUPES
au service d'une agriculture plus durable. C'est tout le sens de l'avis de l'Anses, qui a été publié à la convenance de l'organisme au terme de ses travaux,…
…travaux que nous avions sollicités, comme vous avez bien voulu le rappeler. Nous sommes en phase avec l'Anses. Nous resterons particulièrement vigilants mais ne freinerons pas le travail de la science au service de nos agriculteurs et d'une alimentation durable.
Un dernier mot concernant les brevets – un point sur lequel vous avez raison d'appeler notre attention : nous serons très vigilants car il n'est pas question de déséquilibrer les règles du jeu entre petits et gros acteurs.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Trois Français sur quatre rejettent les OGM dans leur ensemble. À tous ceux-là, je dirai que la seule et meilleure occasion de refuser les nouveaux OGM, c'est d'aller voter le 9 juin prochain aux élections européennes pour les candidats qui les rejettent vraiment !
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES. – Sourires sur divers bancs. – M. Laurent Jacobelli s'esclaffe.
Hier, mardi 12 mars, a eu lieu la troisième édition du Quart d'heure de lecture national. À 10 heures le 10 mars, depuis 2018, élèves et personnels des établissements scolaires sont invités à interrompre leur activité durant un quart d'heure pour laisser place à la lecture d'ouvrages librement choisis. Ce moment de silence apprécié par tous produit de réels effets. Il suscite l'enthousiasme et renforce le sentiment d'appartenance au groupe.
Pour rappel, la dernière Pisa, pour enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves, montre une baisse de dix-neuf points de la compréhension de l'écrit par nos élèves. Les institutions, mais aussi l'ensemble des entreprises, sont invitées à se joindre à ce moment partagé de pause collective et silencieuse : il permet de rappeler les vertus – ô combien bénéfiques et nombreuses – de la lecture.
L'exhaustivité est impossible en la matière, mais lire développe l'imagination, multiplie les réseaux neuronaux, facilite la concentration, apaise et accompagne la vie de rencontres aussi surprenantes qu'enrichissantes. Parmi ceux qui se laissent emporter dans l'univers des livres, certains emprunteront le chemin d'une réussite non définie à l'avance, ou seront sauvés du désespoir grâce à leur seule compagnie. Missak Manouchian, récemment honoré au Panthéon, ne parlait-il pas des livres comme de « ses plus grands et plus sincères amis » ?
Cette année, le 10 mars était un dimanche ; le quart d'heure de lecture a eu lieu un mardi ; mais la lecture, ce doit être au quotidien. C'est pourquoi, en tant que présidente du groupe d'étude sur l'économie du livre et du papier, je souhaitais vous interroger, madame la ministre de la culture : comment votre ministère soutient-il cette opération, et quel est son bilan ? Plus globalement, quels sont les dispositifs destinés à ce que, en cette année olympique, la lecture devienne un sport national quotidien ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs des groupes RE, HOR et LR.
Je vous remercie pour cette question. Je connais votre engagement, notamment au service de la promotion de la lecture comme facteur de réduction des inégalités. La lecture-loisir des enfants décline fortement au-delà de 12 ans, après l'entrée au collège, en particulier chez les garçons : chez les 13-15 ans, 68 % des garçons lisent, contre 81 % des filles. C'est un facteur d'inégalités. Les jeunes consacrent moins de temps à la lecture qu'aux écrans, évidemment.
La lecture, c'est un apprentissage. C'est aussi une gymnastique de l'esprit. Il y a, dans ce domaine, une inégalité profonde selon les milieux sociaux, entre les parents qui aiment la lecture ou lisent une histoire à leurs enfants le soir, et ceux des parents qui n'ont pas le temps de lire, ou pas de livres à la maison.
Un quart d'heure, c'est toujours mieux que rien, monsieur le député !
Sourires.
Il est donc important que l'école soit le lieu où l'on valorise la lecture, en particulier les moments de partage qui lui sont associés. Ces temps de lecture partagés fonctionnent très bien. C'est surtout important pour les garçons puisque les filles lisent plus – les statistiques d'achats le montrent. Le Quart d'heure de lecture national favorise tous types de lecture, notamment le livre. Un tel dispositif correspond à l'idée que nous nous faisons, avec ma collègue Nicole Belloubet, de la lecture pour chacun : à chacun son livre. Cela n'est toutefois pas seulement valable pour les jeunes. Les sociétés où l'on ne lit pas sont des sociétés qui n'existent pas.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
J'en profiterai pour rappeler que, comme la littérature, nos écrivains doivent être incessamment mis à l'honneur. Alors que nous constatons une crise sans précédent des vocations de professeurs de lettres dans nos circonscriptions – vingt professeurs de lettres manquent en Pays de la Loire, sept en Mayenne –,…
Madame la ministre déléguée à l'agriculture et à la souveraineté alimentaire, le 14 février, j'ai interrogé M. Marc Fesneau sur la crise agricole. Ma question, je le sais, l'a quelque peu agacé, mais sa réponse n'a pas été satisfaisante.
Je réitère donc ma question, car je suis tenace.
Malgré les diverses annonces faites par le Président de la République et le Premier ministre depuis le mois de janvier, nos agriculteurs attendent toujours des actions concrètes et immédiates. Jour après jour, tous mes interlocuteurs me font part, ainsi qu'à nombre de mes collègues – élus de l'Aveyron, de la Haute-Loire et du Cantal –, de leur exaspération.
M. Bertrand Pancher applaudit.
Quand le Président de la République est obligé de réunir plus de 700 hauts fonctionnaires pour les supplier de proposer des normes simplifiées, c'est bien que la France va mal.
Quand j'apprends que la loi d'orientation agricole reconnaîtra l'agriculture comme un secteur d'intérêt général majeur de la nation française, je me demande s'il faut en arriver là pour sauver notre agriculture.
Quand vous confiez, comme vous l'avez fait récemment, une nouvelle mission temporaire à des députés de la majorité en vue de présenter une énième loi Egalim – pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire –, vous avouez vous-même que les deux précédentes n'ont servi à rien.
Pourtant, les revendications ne datent pas d'aujourd'hui. Nos agriculteurs veulent une véritable rémunération et du respect, moins de charges et de normes, des échanges internationaux justes et la réciprocité des normes, l'exonération de charges sur la main-d'œuvre, un choc de simplification, l'amélioration des retraites agricoles,…
…des mesures de lutte contre la prédation, notamment du loup, l'allégement des contrôles et le désarmement des agents de l'Office français de la biodiversité – dans quel monde vit-on ?
Qu'avez-vous à me répondre, trois semaines après un Salon de l'agriculture au cours duquel le Gouvernement a été grandement bousculé ?
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur plusieurs bancs du groupe LR.
La parole est à Mme la ministre déléguée à l'agriculture et à la souveraineté alimentaire.
Avant toute chose, je vous prie de bien vouloir excuser mon collègue Marc Fesneau, qui est retenu,…
…vous le savez, par un déplacement sur le terrain. Avec le Premier ministre,…
…le Président de la République et moi-même, il est engagé dans la recherche de solutions directes, concrètes, pour les agriculteurs.
Derrière la colère légitime qu'expriment ces derniers, il y a leur inquiétude face au dérèglement climatique, leur passion pour leur métier, leur volonté de garantir un avenir à leur famille et de transmettre leur exploitation dans les meilleures conditions. Cette crise résonne bien au-delà de la France et de l'Europe ; elle est mondiale.
Contrairement à ce que vous affirmez, le Gouvernement a agi fort et vite ; il a apporté des réponses urgentes.
Près de 80 % des 62 engagements pris le Premier ministre ont été tenus ou sont sur le point de l'être. Les décisions sont prises, les textes publiés, les aides versées. Nous avançons vite, car il y a urgence.
Que ce soit au titre de l'aide à la viticulture, de l'indemnisation des éleveurs dont les troupeaux sont touchés par la maladie hémorragique épizootique ou de l'aide apportée aux victimes de la tempête Ciaran, 22 millions d'euros ont été versés à plus de 4 000 exploitations. Un plan de soutien à la trésorerie des petites exploitations est déployé depuis deux semaines. Des permanences physiques sont assurées dans les sous-préfectures avec l'ensemble des services de l'État pour résoudre directement les problèmes des agriculteurs. Plusieurs dizaines de milliers d'exploitations ont d'ores et déjà reçu l'avance de trésorerie liée au gazole non routier.
Pourquoi ne pas faire connaître ces mesures pour qu'un plus grand nombre d'agriculteurs de votre territoire en bénéficient ? Le Gouvernement est au travail pour s'attaquer aux problèmes qui suscitent leur inquiétude.
C'est dommage : il y a deux ministres de l'agriculture, et les mesures prises ne servent à rien !
S'agissant des produits phytosanitaires, pas plus tard qu'hier, une directive a été publiée pour faciliter la prolongation du certificat écophyto. En matière de simplification administrative, on dénombre pas moins de 63 arrêtés préfectoraux,…
…plusieurs décrets et un texte législatif – vous n'auriez pas apprécié que nous fassions le travail à votre place.
Nous agissons, nous prenons des mesures concrètes. Merci de les relayer !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Je suis élu depuis vingt-deux ans. Si je vous dis que ça ne va pas, c'est que ça ne va pas. Il est temps que vous bougiez pour l'agriculture !
Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT, sur plusieurs bancs du groupe LR et quelques bancs du groupe SOC.
Monsieur le Premier ministre, les Français vont mal, et ce n'est pas moi qui le dis : un salarié sur deux se déclare en détresse psychologique et Santé publique France indique que les jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans sont les plus touchés par les idées suicidaires et les tentatives de suicide.
Notre système de santé va mal : 60 000 postes d'infirmiers demeurent vacants.
Notre école va mal : dans certains quartiers, nos professeurs vont enseigner la peur au ventre. Quant à l'orientation de nos jeunes, elle reste encore une cause d'angoisse pour les familles.
Nos agriculteurs sont encore en colère : ils attendent des actes qui tardent à venir.
Les Français ont peur. Peur de la guerre, quand le Président de la République annonce un probable renfort terrestre en Ukraine.
À cela s'ajoute l'angoisse de la fin du mois. Parce que j'ai les pieds sur terre et que je vis dans la vraie vie,…
Nous aussi !
…je peux vous dire que, ce matin encore, le litre d'essence coûtait près de 2 euros.
La France va mal ; elle compte sur nous. Arrêtez donc d'utiliser la politique du sparadrap ! Il faut agir, pour redonner espoir à nos millions de concitoyens qui croient en notre pays et ne peuvent se résoudre à le voir décliner. Quand passerez-vous de la parole aux actes ? Malgré vos engagements, depuis sept ans, aucune réforme d'ampleur n'a été engagée concernant la santé, l'éducation, le travail, le logement, la famille ou les institutions.
Le général de Gaulle disait qu'il n'imaginait pas la France sans la grandeur. Nous non plus !
Ma question est simple. Quand comptez-vous mettre en œuvre les réformes structurelles profondes dont nous avons besoin pour que la France retrouve son rang de première puissance dans le concert des nations et que notre pays redonne à chaque Français sa dignité !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
Vous avez tout à fait raison : nous devons continuer de nous mobiliser pour relever les défis qui nous font face – c'est d'ailleurs pour cela que vous siégez au sein de cette belle institution. Nous devons également rassurer les Françaises et les Français qui nous regardent et nous écoutent quant à notre capacité collective de continuer à agir pour eux, dans le respect des nuances qui nous distinguent, nuances qui doivent nourrir l'action politique et non de vaines polémiques.
Comparons la situation qui prévalait en 2017 et l'état de notre pays aujourd'hui.
Vous avez cité un certain nombre d'enjeux. En matière de sécurité, nous avons investi massivement en recrutant plus de 10 000 personnels des forces de l'ordre.
M. Sébastien Delogu s'exclame.
Nous avons également décidé d'augmenter le budget de la justice de 60 % entre 2017 et 2027. Sur le plan économique, la France est, depuis la quatrième année consécutive, le pays le plus attractif d'Europe.
Deux millions d'emplois ont été créés et 300 entreprises industrielles se sont implantées partout sur le territoire, et certainement près de chez vous.
Par ailleurs, nous avons fait adopter des lois pour défendre les principes et les valeurs de notre République et pour renforcer les moyens du renseignement territorial.
Le Gouvernement agit avec la représentation nationale. En ce qui concerne les familles, que vous avez évoquées, nous avons pu avancer sur le versement des pensions alimentaires – c'était une demande, nous y avons répondu –…
…et sur la question des familles monoparentales. Le Premier ministre lui-même l'a dit récemment,…
…il nous faut encore progresser dans ce domaine, notamment s'agissant de la situation des femmes. Le Gouvernement a donc confié une mission parlementaire sur cette question à votre collègue Fanta Berete et au sénateur Xavier Iacovelli.
Nous devons avancer, et je suis certaine que nous y parviendrons ensemble, loin des polémiques vaines, en faisant de la politique concrète.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.
Monsieur le ministre du logement, les Français ont de plus en plus de mal à se loger. Qu'il s'agisse du marché de l'acquisition ou de celui du locatif, nous connaissons une véritable crise du logement. Dans ma circonscription de la Charente-Maritime, j'ai été alerté par de nombreux professionnels : du maçon au diagnostiqueur, de l'agent immobilier au notaire.
De fait, le marché locatif souffre d'une raréfaction des biens, en raison de la dégradation des diagnostics de performance énergétique, dont la fiabilité des critères de notation peut être améliorée. Quant à l'accession à la propriété, elle n'a jamais été aussi complexe, du fait de prix de l'immobilier qui demeurent élevés et de taux d'intérêt qui ont été multipliés par quatre en quelques mois et qui resteront élevés, selon la BCE, la Banque centrale européenne.
Dans le même temps, le marché de la construction et de la rénovation a, lui aussi, fortement ralenti, en raison notamment de la hausse des prix des matières premières, alors que les marges des grands acteurs de la fourniture de ces matériaux n'ont jamais été aussi élevées. À cela s'ajoute le renchérissement du foncier sous la pression de la demande et sous l'effet de la contraction de l'offre. Enfin, refoulés de l'accession à la propriété, les ex-acheteurs primo-accédants viennent gonfler les rangs des demandeurs de logements sociaux.
Toutes ces difficultés surviennent en même temps que la fin du prêt à taux zéro et du dispositif Pinel. En un an, en Charente-Maritime, les déclarations d'ouverture de chantier ont chuté de près de 20 %.
Le constat est partagé par tous. Mais nous savons aussi qu'en raison de l'inertie du secteur de la construction, la reprise ne sera visible que deux à trois ans après le retournement du marché.
Par ailleurs, je suis engagé, avec Annaïg Le Meur, Julien Bayou, Inaki Echaniz et Max Brisson, dans une démarche transpartisane dont l'objectif est de réguler le logement saisonnier et de traiter une partie de l'éviction de l'offre. En effet, sur l'île d'Oléron, par exemple, on dénombre près de 4 000 locations de courte durée, soit une augmentation de 17 % depuis 2022, dans une île qui compte 22 400 habitants.
Monsieur le ministre, vous avez pris vos fonctions il y a un peu plus d'un mois. Le logement a besoin d'un choc d'offre et de simplification. Ma question est donc simple : quels sont vos priorités et vos axes de travail pour traiter cette crise, de manière que nous puissions de nouveau affirmer : quand le bâtiment va, tout va ?
Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs du groupe RE.
Nous partageons avec le Premier ministre, Gabriel Attal, et le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, l'ambition de provoquer un choc d'offre et de déverrouiller le marché du logement afin d'alléger les contraintes qui pèsent au quotidien sur les projets immobiliers.
Dans ce combat, la simplification sera notre fer de lance. Nous avons commencé à le mener en désignant 22 territoires engagés pour le logement. Concrètement, il s'agit de simplifier les normes…
…afin de faciliter la construction et d'équilibrer des opérations qui, sans notre action, ne seraient jamais sorties de terre. L'objectif est de créer, dans ces 22 territoires, 30 000 logements dans les deux années à venir – nous faisons le maximum pour aller le plus vite possible.
Mais nous allons encore plus loin. Hier, au Marché international des professionnels de l'immobilier (Mipim), j'ai annoncé cinq chantiers prioritaires et dix premières mesures de simplification pour accélérer la construction de logements. Nous allons moderniser les procédures d'aménagement, accélérer la numérisation des autorisations d'urbanisme, sécuriser les porteurs de projet le plus en amont possible, simplifier le traitement des contestations de projet et raccourcir le délai des procédures de recours, afin d'économiser jusqu'à 10 % du coût du portage foncier.
Le Gouvernement sera aux côtés de ceux qui produisent, qui bâtissent et qui contribuent donc au dynamisme du territoire.
S'agissant des meublés de tourisme, je partage bien évidemment votre préoccupation. Que ce soit sur l'île d'Oléron, en Charente-Maritime, ou dans d'autres territoires, de nombreux logements se transforment en meublés de tourisme, accentuant l'attrition de l'offre de logements pour les Français.
Nous devons rééquilibrer les règles en matière de fiscalité et de rénovation et donner des outils de régulation aux communes. C'est l'objet de la proposition de loi transpartisane que vous avez citée et de la mission confiée par Mme Élisabeth Borne lorsqu'elle était Première ministre à Anaïg Le Meur et à Marina Ferrari, chargées de proposer des mesures de nature à inciter à investir dans l'offre locative.
De l'offre, de l'offre et encore de l'offre : telle est la feuille de route…
…que je m'attache à appliquer à vos côtés, mesdames, messieurs les députés !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Monsieur le ministre de l'intérieur, j'ai une pensée pour nos forces de l'ordre et nos militaires mobilisés à la frontière franco-italienne : leur travail a permis d'intercepter 33 000 clandestins durant l'année 2023.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.
Les clandestins passent la frontière par milliers. Or à la suite à une décision du Conseil d'État, il sera désormais impossible de les refouler. Ce verrou juridique supplémentaire complique encore la maîtrise de l'immigration.
Vous le savez, les chiffres de la délinquance ont été dévoilés.
Sans surprise, ils explosent. J'ai donc demandé au préfet des Alpes-Maritimes quelle est la part des étrangers parmi les auteurs de délits. Les chiffres sont sans appel : à Nice, 54 % de la délinquance de voie publique est le fait d'étrangers.
Ceux-ci sont responsables des trois quarts du trafic de drogue dans le seul quartier des Moulins, de 66 % des vols avec violence et de 83 % des vols à la tire. Ces chiffres ahurissants n'étonnent plus personne mais inquiètent grandement les Français.
Pourtant, en novembre 2022, vous déclariez qu'il n'existe aucun lien entre immigration et délinquance. Cette déclaration démontre au mieux votre incompétence,…
…au pire votre aveuglement. Votre semblant de fermeté ne trompera personne. Votre bilan parle de lui-même : il est affligeant !
Les Alpes-Maritimes sont confrontées à un double phénomène qui ne fait que s'accroître : une immigration incontrôlée et une explosion de l'insécurité. Oui, monsieur le ministre, force est de constater qu'immigration et délinquance sont inséparables. Ceux qui viennent dans notre pays enfreindre la loi ne font qu'alourdir les dépenses publiques, remplir les cellules de nos prisons et pourrir le quotidien des Français !
« Eh oui ! » et applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Ma question est simple : quand comptez-vous agir dans l'intérêt des Français ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Voici quelques chiffres, en complément de ceux que vous avez demandés à M. le préfet, afin de préciser la situation dans votre département : en moyenne, 39 % des mis en cause, à l'origine de faits de délinquance sur la voie publique, sont des étrangers.
Nous partageons donc votre constat.
« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe RN et sur quelques bancs du groupe LR. – M. Laurent Jacobelli applaudit.
Pour répondre à cette immigration irrégulière, une « force frontière » a été instaurée, le 1er juin 2023 – vous l'avez saluée, et je la salue à mon tour, au nom du ministre de l'intérieur et du Gouvernement. Elle comprend quatre unités pérennisées de forces mobiles, et jusqu'à 200 effectifs mobilisés par jour, tous services confondus – police nationale, gendarmerie nationale, douane, forces de l'opération Sentinelle, réservistes.
Quels sont les résultats ? Une hausse des interpellations – avec plus de 40 000 interpellations supplémentaires –, un taux de retour à la frontière de plus de 80 %, 475 passeurs interpellés, 16 filières démantelées, et l'éloignement des étrangers délinquants : 215 des 337 éloignements effectués en 2023 concernaient des délinquants, soit 64 %.
Dès lors, monsieur le député, cessez d'alimenter la haine ,
« Ah ! » et vives exclamations sur les bancs du groupe RN
et ouvrez les yeux sur les solutions que le ministre de l'intérieur, sous l'autorité du Premier ministre, met en œuvre, jour après jour.
Ouvrez les yeux sur les résultats que ces actions permettent d'obtenir – elles sont porteuses d'espoir !
Exclamations sur les bancs du groupe RN.
Madame la ministre, chers membres du Gouvernement, je vous savais incompétents, je vous sais désormais incompétents et ringards !
Ringards, parce que vous répétez toujours la même rengaine ! Pendant ce temps, les chiffres explosent, et notre région est particulièrement touchée : 67 % des étrangers y sont responsables de faits de délinquance…
Mme la présidente coupe le micro de l'orateur, dont le temps de parole est écoulé. – Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Je vois que lorsque je vous demande d'ouvrir les yeux…
…et d'observer les résultats, plutôt que de cultiver la haine, vous nous taxez d'incompétents .
« Oui ! » sur quelques bancs du groupe RN
Je vois à quel point vous ne travaillez pas.
Vives exclamations sur les bancs du groupe RN.
Monsieur le garde des sceaux, j'appelle votre attention sur la nécessité de renforcer les enquêtes judiciaires et la législation concernant les prescriptions trentenaires litigieuses. Dans notre quête de justice et d'équité, il est impératif de comprendre que le droit de propriété, soumis à la prescription, peut parfois être à l'origine de drames humains, de spoliations de terres et d'oppressions.
Si la prescription trentenaire permet à des familles de régulariser leur situation, elle est aussi dévoyée par des porteurs de projets peu scrupuleux, en particulier dans les outre-mer. Je comprends la colère de mes compatriotes, mais je les exhorte au calme et au travail collectif.
Il s'agit de montages que l'on peut qualifier de pyramides de Ponzi. La méthode en est simple : un terrain acquis par une prescription litigieuse peut être vendu, puis revendu, et revendu à nouveau, durant le délai de contestation de cette même prescription. Ainsi, le véritable propriétaire et l'acquéreur final se trouvent lésés. Encore aujourd'hui, des héritiers peuvent perdre leur droit de propriété, du fait de négligences ou d'actions frauduleuses, sur fond de décisions de justice favorables mais matériellement inexécutoires.
Alors, que faire ? Certaines propositions sont sur la table, et nous devons avancer. Chaque effort compte, chaque geste permet d'aller vers plus d'équité et de confiance dans notre justice. Cette question est en réalité une interpellation, et une requête visant au rétablissement de la dignité de nos compatriotes et de la justice.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR – NUPES et sur quelques bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Nous avons déjà, à quelques reprises, évoqué cette question difficile, épineuse, et qui crée, en Martinique – mais pas seulement –, de vraies difficultés pour les familles. C'est un sujet technique que la question foncière en Martinique, mais il ne doit pas masquer les réalités humaines et familiales douloureuses qu'ont à connaître certains de nos compatriotes martiniquais. Je suis bien placé pour le savoir : les tribunaux sont saisis de procédures souvent très complexes à dénouer, ce qui allonge encore davantage les délais de résolution.
Cependant, le Gouvernement n'est pas inactif face à cette question. Comme vous le savez, à l'issue du comité interministériel des outre-mer (Ciom) qui s'est tenu en juillet dernier, il a été décidé d'aborder de front le sujet de la facilitation des sorties d'indivision. L'une des questions soulevées est celle de la prescription trentenaire, qui met en jeu le respect de la propriété privée, protégée par la Constitution. Des dispositions, qui permettent de réelles avancées, ont été intégrées au projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, soutenues par le ministre Guillaume Kasbarian, avec l'aide des rapporteurs Lionel Royer-Perreaut et Guillaume Vuilletet, que je veux saluer. Nous aurons certainement à discuter d'autres avancées.
Vous le savez, la porte de mon ministère vous est ouverte. Par ailleurs, la commission mixte paritaire chargée d'examiner le texte relatif à l'habitat dégradé susmentionné se tiendra demain. Il semble important que ses premiers acquis soient consolidés. La vigilance du Gouvernement – je veux vous rassurer pleinement – est forte et nous partageons le souhait de faire aboutir des textes qui changent, dans la durée, la vie des Français, partout sur le territoire national.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Monsieur le Premier ministre, les Français souffrent. Alors que l'inflation explose dans tous les domaines de la vie quotidienne, les Français n'en peuvent plus. Voici ce que j'entends tous les jours : la colère légitime des agriculteurs du Comminges et du Savès, exprimée ces dernières semaines ; la fatigue des soignants, des professeurs, des forces de l'ordre ; la lassitude des salariés du privé, des artisans et des indépendants.
Les députés socialistes…
…ont essayé de leur être utiles, concrètement, en faisant voter en deux semaines sept lois
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC
qui visent à réduire leur facture d'électricité, à diminuer les frais bancaires sur les successions, à combattre les violences intrafamiliales.
Cependant, il revient au Gouvernement de trouver des solutions aux problèmes quotidiens de nos concitoyens, qui se plaignent de vivre de moins en moins bien, et ne s'en sortent plus. Pourtant, alors que nos services publics se dégradent, vous orchestrez 10 milliards d'euros d'économie sur leur dos.
Mais que lit-on dans la presse ? Que les quarante milliardaires Français ont vu leur fortune bondir de 64 % en trois ans ;…
…que, pour la seconde année consécutive, le CAC40 a explosé tous ses records de profits et de dividendes. Et que voit-on dans la rue ? Un nombre croissant de nos concitoyens en détresse : 3 000 enfants dorment dans la rue, et les travailleurs pauvres sont toujours plus nombreux. Cette misère est brutale.
Pourtant, un autre chemin est possible. Pourquoi le Gouvernement s'entête-t-il à refuser que les plus riches paient leur juste part ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Même les États-Unis demandent à leurs citoyens les plus fortunés de contribuer à l'effort collectif. Ayez du courage : taxez les superprofits !
Monsieur le Premier ministre, alors que la vie quotidienne de nos concitoyens devient invivable, entendez-vous revoir votre politique fiscale afin de la rendre plus juste et plus équitable ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe Écolo – NUPES.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation.
Eh non !
Votre question contient beaucoup de choses.
Je vous en laisse juge ! Beaucoup de choses avec lesquelles je ne serai pas d'accord. Néanmoins, nous partageons ce point : il nous reste du chemin à parcourir. Je commencerai par répondre à la fin de votre question, en vous rappelant que nous sommes, incontestablement, les champions du monde de la taxation des revenus, en particulier ceux des plus aisés.
Exclamations sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs du groupe Écolo – NUPES.
Il y a des championnats du monde que l'on aimerait pouvoir poursuivre. Pour notre part, nous avons souhaité, depuis sept ans, à la fois soutenir les revenus des plus fragiles, et faire en sorte que les plus aisés contribuent fortement. Nous demeurons – pour votre plus grand plaisir, je crois – le pays où la taxation est la plus forte.
Il faut prêter attention aux effets délétères que cela a.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – Exclamations sur les bancs du groupe SOC. – M. Joël Aviragnet fait un geste de dénégation.
Vous avez toutefois énoncé des choses justes, et vous avez défendu des textes importants à l'occasion de la niche parlementaire du groupe Socialistes, à laquelle j'ai assisté la semaine dernière.
J'aimerais revenir sur ce que le Gouvernement a fait pour les plus fragiles d'entre nous, et reprendre les mots, prononcés ce matin même, par le gouverneur de la Banque de France – ce ne sont pas les miens, accordez-moi ce crédit : « Nous sommes en train de gagner la bataille contre l'inflation ».
Exclamations sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
La France est un pays où le taux d'inflation est en train de passer sous les 3 %, même pour l'alimentaire.
M. Benjamin Saint-Huile s'exclame.
Rappelez-vous, nous connaissions, il y a précisément un an, un taux d'inflation de 15 % dans l'agroalimentaire ; il est de 3,6 % au moment où je vous parle.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Nous devons continuer à combattre l'inflation, à lutter contre le chômage, à créer des emplois. N'oublions pas – c'est l'avantage d'y travailler depuis sept ans – les 5 milliards d'euros que les entreprises, notamment les plus petites, ont versé à plus de 6 millions de salariés, grâce à la prime Macron, que les parlementaires de la majorité ont renouvelée.
N'oublions pas non plus la revalorisation globale des minimas sociaux, ni les 14 milliards d'euros supplémentaires alloués aux retraités, afin de revaloriser les pensions de 80 euros par mois et de 960 euros par an. Ce chiffre parle de lui-même !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Soutenir les plus fragiles, mettre à bas l'inflation, continuer à mener une politique fiscale équilibrée, voilà un programme qui tient la route !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Vous avez peut-être pris des mesures en faveur du pouvoir d'achat, mais si peu en comparaison de ce que vous avez donné aux plus riches ! Le chômage a peut-être baissé, mais les chômeurs sont devenus des travailleurs pauvres,…
…qui allongent la file des Restos du cœur. Pendant ce temps, les quarante milliardaires gagnent 64 % de plus…
Mme la présidente coupe le micro de l'orateur, dont le temps de parole est écoulé. – Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Ma question s'adresse à monsieur le ministre chargé du logement. MaPrimeRénov', la principale aide à la rénovation énergétique des bâtiments, que nous avons créée en 2020, est un véritable succès, avec 2 millions de logements rénovés. Cependant, à maintes reprises, j'ai alerté le Gouvernement sur les difficultés importantes que rencontrent ceux qui sollicitent cette aide, pour constituer leur dossier et obtenir la prime.
Ce problème s'est amplifié. Depuis janvier, MaPrimeRénov' est réservée aux propriétaires qui procèdent à une rénovation d'ampleur – incluant plusieurs types de travaux –, et elle est conditionnée au changement du mode de chauffage. Conditionner une aide pour l'isolation du logement à l'installation préalable d'un chauffage décarboné – et plus particulièrement d'une pompe à chaleur – pose problème.
En effet, de nombreux logements, en zone rurale, sont dans l'impossibilité d'installer une pompe à chaleur. Par ailleurs, cette mesure obligerait au remplacement de toutes les chaudières, y compris celles installées depuis moins de quinze ans, afin d'obtenir des aides pour isoler la toiture ou les murs. Se pose également le problème du reste à charge beaucoup trop important pour la plupart des ménages.
Ces exigences ont découragé de nombreux candidats à la rénovation, d'autant que les travaux doivent être réalisés par des artisans certifiés RGE – reconnus garants de l'environnement –, et qu'il faut fournir un diagnostic de performance énergétique (DPE), avant la réalisation des travaux monogestes.
M. Sébastien Delogu s'exclame.
Pourtant, mieux vaut un monogeste que pas de rénovation du tout ! Quand on habite une ancienne bâtisse dans le Jura, changer les portes et les fenêtres qui ne sont plus étanches constitue déjà un gain majeur d'énergie et de confort.
Monsieur le ministre, nos artisans et nos PME ont besoin de simplification et de soutien, et nous, nous avons besoin d'eux. Vous avez reçu, la semaine dernière, leurs fédérations et leurs représentants. Pouvez-vous détailler les décrets que vous comptez prendre rapidement pour les satisfaire ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Madame Brulebois, vos alertes ont bien été entendues.
« Ah ! » sur plusieurs bancs des groupes RN, LFI – NUPES et LR.
Depuis le 16 février, aux côtés de Christophe Béchu, nous avons travaillé de concert avec les artisans, la Fédération française du bâtiment (FFB) et la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), pour simplifier le dispositif de MaPrimeRénov'.
Mme Sophia Chikirou s'exclame.
Vendredi dernier, nous avons pris trois décisions…
…qui ont été – vous l'avez vu – saluées par le secteur. Il est parfois compliqué, pour les travaux de rénovation globale, de trouver un accompagnateur France°Rénov' – il n'y en a pas assez sur notre territoire.
Nous avons donc pris la première décision d'homologuer très rapidement, dans les semaines qui viennent, 600 structures d'accompagnateurs supplémentaires .
« Ah ! » sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES
Nous allons vérifier, chaque semaine, qu'ils arrivent bien sur le terrain. Chacune de ces structures dispose, en moyenne, de six à sept accompagnateurs ; ainsi, des milliers d'entre eux seront déployés dans le pays, pour faciliter les travaux de rénovation globale.
Notre deuxième décision porte sur les gestes simples de rénovation. Vous l'avez dit, mieux vaut rénover quelque chose que ne rien rénover du tout. L'idéal demeure une rénovation globale, mais il faut tout de même permettre la réalisation de gestes simples et efficaces de rénovation, raison pour laquelle nous en avons rouvert le financement à titre exceptionnel. Ainsi, même si vous ne disposez pas encore de votre DPE et même si vous résidez dans une maison classée F ou G, vous aurez jusqu'à la fin de l'année pour déposer des devis sur les sites de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et de MaPrimeRénov', afin de bénéficier d'un financement.
M. Sébastien Delogu s'exclame.
Dernier élément, nous allons autoriser l'octroi du label RGE par la validation des acquis de l'expérience, doubler la durée de validité de cette qualification et homogénéiser les contrôles.
De cette manière, nous répondrons aux attentes des artisans qui regrettaient qu'il soit compliqué d'obtenir ce label.
Plus largement, les trois décisions importantes que j'ai énumérées permettront à un maximum de personnes de rénover leur logement grâce au dispositif MaPrimeRénov', comme 2 millions de Français – je le rappelle – l'ont déjà fait. Nous avons le budget pour cela : rénovons et continuons de rénover !
Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs des groupes Dem et HOR.
Sourires.
Cette question s'adresse à M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Alors que le bilan s'alourdit, que sept personnes sont décédées et qu'un jeune garçon de 12 ans est toujours porté disparu, je souhaite m'associer à l'hommage rendu hier par mon collègue Patrick Vignal et exprimer ma profonde tristesse ainsi que ma compassion aux victimes et aux familles des victimes des graves intempéries qui ont touché plusieurs départements, parmi lesquels le Gard, dans la nuit de samedi à dimanche.
Mmes et MM. les députés se lèvent et applaudissent.
Je tiens également à réaffirmer notre gratitude pour le travail des forces de secours, encore mobilisées, et à avoir une pensée pour nos maires, qui sont toujours les premiers sur le front lorsque des événements dramatiques comme ceux de ce week-end se produisent.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Rémy Rebeyrotte applaudit également.
Nous savons que ces catastrophes naturelles vont malheureusement s'accentuer et, très probablement, se multiplier dans les prochaines années en raison du changement climatique. Pour donner un ordre d'idée, dans le Gard, la Cèze est montée à plus de neuf mètres : du jamais-vu depuis 1976 !
En 2020 déjà, un document du Cerema, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, faisait état de la dangerosité des zones concernées par les intempéries de samedi dernier et indiquait les mesures à prendre. Cela pose la question de l'ampleur des moyens alloués à la prévention des phénomènes climatiques, mais aussi, et surtout, de l'intégration d'une culture du risque dans les politiques de sécurité publique, afin que la population soit suffisamment informée sur les gestes qui sauvent. C'est un enjeu national, sachant que, d'après un sondage Ifop d'avril 2023, 42 % des Français vivant en métropole estiment manquer d'informations sur les bons comportements et les consignes à suivre.
L'orientation du Gouvernement me laisse donc perplexe. Hier, M. Béchu – dont je me réjouis du déplacement dans le Gard aujourd'hui – évoquait le nouveau plan d'adaptation national au changement climatique qui doit être présenté cet été. Pourriez-vous donc nous expliquer, ainsi qu'aux 18,5 millions de Français exposés au risque d'inondation, pourquoi vous avez décidé de baisser de 500 millions d'euros les crédits du fonds Vert, justement destiné à financer les projets d'adaptation du territoire au changement climatique ?
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et SOC.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
L'ensemble du Gouvernement et moi-même tenons, à notre tour, à adresser nos pensées les plus chaleureuses aux victimes des inondations, ainsi qu'à leurs familles et à leurs proches. Christophe Béchu a rendu pareil hommage hier : comme vous l'avez indiqué, il se trouve actuellement dans le Gard, à la demande du Premier ministre. Nous sommes tous solidaires.
L'épisode qui, ce week-end, a touché les Cévennes, et particulièrement le département du Gard, a provoqué jusqu'à 250 millimètres de pluie. Ce phénomène, qui survient habituellement à l'automne, illustre pleinement le changement climatique et la nécessité de nous adapter que vous appelez de vos vœux : nous en sommes conscients, nous sommes lucides, nous y travaillons.
Pourquoi avez-vous voté contre la création de la commission d'enquête demandée par Jean-Philippe Nilor ?
Il faut nous adapter à ces phénomènes de plus en plus violents et qui se produisent désormais, nous le savons, à des périodes très différentes que précédemment. À cet égard, je tiens à souligner la qualité des prévisions – vous avez vous-même parlé de l'importance de l'anticipation –, des dispositifs de vigilance de Météo-France et du service Vigicrues. Grâce à eux, les territoires concernés ont été placés en vigilance orange pluie-inondation dès le vendredi 8 mars.
Les décès que nous avons connus sont des drames terribles. Gérald Darmanin et moi-même tenons à remercier les 110 sapeurs-pompiers,…
…les six plongeurs, les quatre équipes cynophiles et l'ensemble des agents qui restent mobilisés, très mobilisés même, pour retrouver l'enfant disparu.
Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Je rappelle également que le Gouvernement a décidé de lancer un projet d'extension à l'ensemble du territoire de la vigilance relative aux crues. Vous avez parlé de culture du risque et de l'ampleur de nos actions de prévention :…
…oui, nous sommes lucides sur l'absolue nécessité de travailler sur ces questions.
La réalisation de ce projet ambitieux nécessitera de redéployer des moyens humains au sein du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Christophe Béchu et son ministère sont déjà au travail : c'est un enjeu majeur pour nous tous, mesdames et messieurs les députés.
Mme la présidente coupe le micro de Mme la ministre déléguée, dont le temps de parole est écoulé. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinq.
En application de l'article 146-1 du règlement, l'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.
Mes chers collègues, je souhaite en votre nom la bienvenue à M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes.
Monsieur le premier président, chaque année la présentation de votre rapport annuel permet à notre assemblée de prendre un recul bienvenu sur la situation d'ensemble des finances publiques de notre pays et de bénéficier de l'expertise de la Cour sur des sujets spécifiques.
Aux enseignements tirés de la crise sanitaire en 2022 a succédé l'analyse de la performance de notre organisation territoriale en 2023.
Si la remise de votre rapport suscite une attente certaine de la part des parlementaires, je tiens plus largement à saluer la qualité des travaux de la Cour des comptes. La rigueur de vos analyses irrigue le contrôle de l'action du Gouvernement que nous effectuons au quotidien. À cette coopération fructueuse s'ajoute votre mission annuelle de certification des comptes de l'Assemblée nationale. Si la Cour certifie systématiquement que nos comptes sont réguliers et sincères, ses recommandations contribuent à améliorer la transparence budgétaire que notre institution doit à nos concitoyens.
La parole est à M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes.
Je vous remercie, madame la présidente, de ces mots de bienvenue et de l'accueil que vous avez réservé à la Cour, et que l'Assemblée lui réserve toujours. Ils traduisent la qualité des liens qui unissent nos deux institutions, et vous savez combien j'y suis attaché. C'est avec grand plaisir que je vous retrouve aujourd'hui, connaissant des parlementaires sur tous vos bancs.
Le rapport public annuel (RAP) 2024, que je m'apprête à vous présenter, est avant tout le fruit d'un travail collectif de toutes les chambres de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC). Chacune des CRTC a participé à au moins un chapitre de ce rapport public annuel, ce qui est une première.
Je tiens à remercier chaleureusement le rapporteur général et ses équipes, les présidentes et présidents de chambre et tous ceux qui ont mené ce travail exigeant. La parution de notre rapport public constitue un rendez-vous annuel historique pour la Cour, qui existe elle-même depuis des siècles. Il s'agit d'un exercice important pour notre institution, auquel je suis très attaché.
Depuis 2022, le rapport prend la forme d'une publication thématique, centrée sur une problématique unique, au cœur de l'actualité. Non seulement cette thématisation confère au rapport une portée accrue, mais il s'agit également d'une contribution plus positive à un thème choisi collégialement. Cette évolution est inscrite depuis mars 2022 dans le code des juridictions financières, et je me réjouis qu'elle soit pérennisée.
L'édition 2024 du rapport annuel est consacrée à l'adaptation au changement climatique, et plus précisément à l'action publique en faveur de l'adaptation au changement climatique. Qu'est-ce que l'adaptation au changement climatique ? Il s'agit de l'ensemble des mesures qu'il faut et faudra prendre, aujourd'hui et dans les décennies à venir, pour continuer à vivre de façon supportable dans un climat qui aura profondément changé. Malgré l'importance des mesures prises pour l'atténuer, le changement climatique est inéluctable, et il risque de s'accélérer fortement sur le sol français. En France métropolitaine, les années 2022 et 2023 ont été les plus chaudes depuis 1850. Non seulement il faut s'adapter dès maintenant à l'évolution des températures, mais il faut aussi se préparer à une hausse plus brutale et plus rapide qu'attendue jusqu'à présent.
Nous avons choisi de nous pencher sur l'adaptation au changement climatique car cette thématique est au cœur des préoccupations de nos concitoyens – elle affecte directement leur quotidien. L'actualité tragique de ces dernières années et de ces derniers mois, des canicules répétées aux épisodes de sécheresse, des feux de forêts aux inondations et tempêtes, a installé la question au cœur de l'action publique et des attentes des citoyens.
En outre, le thème de l'adaptation est profondément d'actualité. La publication du troisième plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc) est annoncée pour l'été 2024. Sa rédaction s'inscrit dans un contexte renouvelé, avec une trajectoire de réchauffement envisagée qui s'élève à 4 degrés Celsius à la fin du siècle. Si, comme nous le croyons, ce scénario était retenu comme sous-jacent du Pnacc – et ce serait prudent car il vaut toujours mieux partir de prévisions pessimistes et découvrir de bonnes surprises, plutôt que l'inverse, en matière de changement climatique comme de finances publiques –, cela voudrait dire que les politiques requises pour nous adapter seraient considérables, à court, moyen et long termes.
L'adaptation pose de nombreux défis à l'action publique, qu'elle concerne au premier chef. Les horizons d'attente et de réalisation des politiques publiques d'adaptation sont divers. Ce n'est pas la même chose de s'adapter à des conséquences du changement climatique déjà matérialisées ou d'augmenter notre résilience à l'égard d'événements qui risquent d'advenir dans le futur. Les politiques d'adaptation sont aussi spécifiques à chaque territoire. Chaque région, chaque commune, jusqu'à la très petite échelle, devra s'adapter à l'évolution de son environnement. Le récent secrétariat général à la planification écologique joue un rôle de coordination au niveau national, mais l'adaptation affecte plus largement tous les acteurs publics et privés.
Le dernier défi, et pas des moindres, c'est l'absence d'un chiffrage exhaustif et cohérent de ce que les politiques d'adaptation pourraient coûter aux acteurs publics. Les quelques évaluations chiffrées qui existent sont partielles. En juin 2022, l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) a évalué le coût de dix-huit mesures d'adaptation prioritaires – non exhaustives – à 2,3 milliards d'euros additionnels par an pour l'État et les collectivités. De même, dans le rapport remis à la Première ministre en mai 2023, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz chiffrent le coût additionnel de l'adaptation à 3 milliards d'euros par an, dont 1 milliard pour les budgets publics en 2030, mais avec beaucoup de prudence méthodologique. Ils soulignent aussi que le coût de l'adaptation devrait augmenter entre 2030 et 2050.
Le chiffrage global de l'adaptation est donc très complexe, voire actuellement impossible. C'est pourquoi nous avons décidé de réfléchir secteur par secteur, les seize chapitres du rapport constituant autant de coups de projecteurs thématiques. Jusqu'à la parution de notre RPA 2024, il n'existait pas de panorama objectif et transversal de l'adaptation au changement climatique en France. En tant que tiers de confiance présent sur tous les territoires, nous avons estimé que la Cour se devait de fournir un tel état des lieux.
Notre rapport public annuel, devenu thématique, comporte toujours un premier chapitre consacré à la situation des finances publiques. Cet exercice a été actualisé afin de couvrir l'année 2023, mais aussi les deux premiers mois de 2024. Si vous le permettez, j'y reviendrai à la fin de mon propos.
Au-delà de ce chapitre budgétaire, le RPA 2024 est donc composé de seize chapitres thématiques, qui abordent chacun l'adaptation à travers un prisme distinct de l'action publique. Je précise d'emblée que nous n'avons pas cherché à couvrir la totalité du très vaste champ de l'adaptation. Nous avons naturellement retenu en priorité les thèmes à forts enjeux financiers pour les acteurs publics. Par leur nombre et la variété des domaines examinés, ces chapitres offrent une image concrète des défis que la France doit et devra relever, mais aussi de la façon dont elle s'y prépare – ou ne s'y prépare pas – jusqu'à présent.
Ces seize chapitres se répartissent en trois catégories. Nous nous sommes d'abord intéressés à l'adaptation des secteurs transversaux, qui irriguent l'ensemble des activités, avec trois chapitres : la recherche publique, les institutions financières et bancaires et l'action de l'Agence française de développement (AFD) dans l'adaptation.
La deuxième partie du rapport porte sur l'adaptation au changement climatique des grandes infrastructures, des équipements, des villes et, plus généralement, de ce qui a été construit par l'homme. Cette catégorie comporte sept chapitres : l'adaptation des logements, celle des villes, celle de la politique immobilière de l'État, celle des centrales nucléaires et des ouvrages hydroélectriques, celle des réseaux de transport et de distribution d'électricité, celle des voies ferrées et, pour finir, le cas spécifique du ministère des armées.
Troisièmement, nous avons mené des enquêtes sur l'adaptation aux effets du changement climatique pour l'environnement naturel dans lequel vivent nos concitoyens, et sur leurs propres personnes. Six enquêtes composent cette troisième partie : l'adaptation de la forêt, la prévention des catastrophes naturelles dans les territoires ultramarins, la gestion du trait de côte, l'adaptation des cultures céréalières, les stations de montagne face au climat – un chapitre que nous avions déjà rendu public – et la protection de la santé des personnes vulnérables face aux vagues de chaleur.
J'aimerais à présent vous livrer les grands enseignements pour les politiques d'adaptation que nous avons dégagés de ce travail, qui fut, disons-le, colossal.
L'ensemble des enquêtes réalisées appréhende les politiques publiques en faveur de l'adaptation à l'aune de trois grandes questions que les Français se posent.
La première question est celle de savoir ce qui les attend concrètement en matière d'adaptation et à quel horizon.
La deuxième question concerne la stratégie à adopter et les acteurs concernés : qui est responsables des décisions sur les efforts à entreprendre pour s'adapter ? Comment les actions d'adaptation sont-elles arbitrées, réparties et coordonnées ?
Enfin, la troisième question porte sur les moyens : comment concevoir et mettre en œuvre des politiques d'adaptation à la fois efficaces et soutenables ? La qualité de la dépense publique est une préoccupation qui irrigue naturellement l'ensemble de nos travaux.
Nous en tirons quatre enseignements – quatre principes d'action pour les politiques d'adaptation.
Il faut d'abord mieux connaître les effets du changement climatique, les risques auxquels nous devons nous adapter et leur ampleur.
Beaucoup ont désormais conscience qu'il y a urgence à s'adapter, mais cette prise de conscience est hétérogène selon les secteurs. Chez certains acteurs, comme les gestionnaires de réseaux, elle remonte aux tempêtes de 1999. Dans d'autres domaines comme le logement, c'est une priorité plus récente, tandis qu'elle n'est pas encore prise en compte dans la gestion de l'immobilier de l'État.
Nous devons aussi améliorer les prévisions et les données dont nous disposons, qui sont souvent lacunaires. Ainsi, seuls deux tiers des 200 000 bâtiments de l'État sont recensés et font l'objet d'un diagnostic. D'importants progrès restent également à faire en matière de projections climatiques, notamment en outre-mer, où elles sont paradoxalement de moindre qualité qu'en métropole, alors que les risques y sont bien plus élevés.
Il faut enfin actualiser les données existantes : cela permettra de mettre à jour les normes internes, par exemple celles de SNCF Réseau. Le changement climatique est en revanche déjà bien intégré dans les référentiels de conception et de sécurité des centrales nucléaires et des ouvrages hydroélectriques.
La nécessité d'informer les citoyens et les décideurs publics sur l'adaptation et ses enjeux constitue un deuxième enseignement.
Il faut d'abord que les citoyens et les décideurs publics soient informés pour éviter de – si j'ose dire – se faire avoir.
Ainsi, dans certains domaines, on continue à confondre atténuation et adaptation ; cette confusion est même parfois volontairement entretenue. Je pense notamment aux sociétés financières et bancaires, publiques comme privées, qui communiquent massivement sur leurs produits financiers verts, sans que l'on puisse mesurer l'impact précis de ces financements, connaître leur destination ou comparer les volumes engagés. Cela peut faire courir un risque d'écoblanchiment – présenter comme verts des produits qui ne sont en réalité pas très écologiques.
Communiquer sur les actions d'adaptation, c'est aussi faire de tous – citoyens et décideurs publics – des acteurs de ces politiques publiques. Le chapitre consacré à l'adaptation des soins aux personnes vulnérables montre l'importance de la communication pour prévenir les conséquences des fortes chaleurs, responsables l'année dernière encore de 5 000 décès. Elle doit passer par la diffusion de messages adaptés sur l'ensemble des supports disponibles – télévision, radio, téléphones portables, réseaux sociaux – avant et pendant les épisodes de vigilance.
Informer les citoyens permet aussi de s'assurer qu'ils adhèrent à ces politiques et de les faire participer aux efforts d'adaptation. Pour ce faire, la communication doit souligner les bénéfices individuels et collectifs de l'adaptation. Ainsi, le dispositif MaPrimeRénov', souvent évoqué, permet de financer l'amélioration du confort des résidents tout en créant de l'emploi.
En somme, le déploiement efficace de mesures d'adaptation au changement climatique doit être précédé d'efforts visant à convaincre de sa nécessité et de ses bienfaits. La part d'incertitude subsistante ne doit pas être paralysante : compte tenu de l'urgence qu'il y a à nous adapter, la puissance publique doit accepter l'imprévu et agir malgré tout.
Le troisième enseignement général de nos travaux, c'est la nécessité de développer une stratégie d'adaptation cohérente et articulée – en un mot, les acteurs publics doivent planifier.
La Cour relève d'abord que les objectifs de l'adaptation doivent être conciliés avec ceux d'autres politiques publiques, qui sont nombreuses ; cette articulation est souvent difficile. C'est le cas dans les territoires touristiques comme les zones de montagne ou les littoraux, où l'on doit concilier les politiques d'adaptation et le souhait des élus et des populations – que l'on peut comprendre – de préserver la pérennité de leur modèle économique.
J'ai entendu les réactions qu'a suscitées notre rapport sur l'avenir des stations de ski et je les comprends tout à fait. Pourtant, il s'agit d'un débat utile : nous n'inventons pas le phénomène que nous décrivons – ce n'est pas un rapport à charge –, c'est au contraire une réalité que personne ne peut ignorer.
Tarder à la prendre en considération, c'est risquer de se trouver plus tard confronté à des choix très douloureux.
Les objectifs de l'adaptation doivent aussi parfois être conciliés avec ceux de l'urbanisme.
Il est également nécessaire d'instaurer une véritable culture de la planification et de la gestion du risque : les enquêtes que nous avons menées montrent que la planification, quand elle existe, est défaillante et dispersée.
On planifie parfois au niveau local, mais ces planifications sont incomplètes ou appliquées de manière très inégale – c'est le cas de la stratégie nationale de gestion du trait de côte. Elles sont parfois aussi peu coordonnées et mal réparties entre les différents échelons de collectivité, comme en témoigne la situation de certaines stations de montagne qui cherchent à diversifier leurs activités en s'appuyant sur l'échelle trop étroite de la commune.
Une planification rigoureuse et adaptée est une condition nécessaire mais non suffisante ; il faut aussi un pilote qui arbitre et coordonne les nombreux acteurs concernés. Or le rapport dessine une situation contrastée en matière de pilotage des stratégies d'adaptation. S'agissant des gestionnaires de grands réseaux par exemple, ce pilotage est plus abouti au sein d'EDF que de la SNCF.
Au-delà du pilotage, les politiques d'adaptation doivent faire l'objet d'une meilleure coordination entre les acteurs et être menées à l'échelle appropriée. La Cour préconise notamment de mieux articuler les politiques d'adaptation entre les entités du bloc communal. Cela vaut pour divers secteurs, comme la rénovation thermique des bâtiments publics ou la végétalisation des espaces urbains.
Enfin, dans certains domaines relevant de sa compétence, l'État ne joue pas correctement son rôle de stratège, qui consiste à fixer des objectifs clairs et à définir une trajectoire pour les atteindre. Pour sortir d'une logique de réponse au cas par cas et construire une stratégie d'adaptation, les gestionnaires d'infrastructures ferroviaires doivent notamment pouvoir se référer à un niveau de résilience cible, partagé par toutes les parties prenantes, y compris les usagers. Or la définition de ce niveau acceptable d'indisponibilité du réseau relève de la responsabilité de l'État. Il en est de même pour les objectifs d'adaptation assignés aux gestionnaires des réseaux d'électricité, qui devraient figurer de façon explicite dans les contrats de service public passés par l'État avec RTE – Réseau de transport d'électricité – et Enedis.
Permettez-moi à présent d'en venir au quatrième grand enseignement de notre rapport. La Cour a analysé comment mettre en œuvre des politiques d'adaptation efficientes – à la fois efficaces et soutenables.
C'est d'abord la question du financement des politiques publiques d'adaptation qui se pose.
La plupart des chapitres montrent que l'évaluation des coûts de l'adaptation est lacunaire, voire inexistante. Ces difficultés de chiffrage ne sont pas uniquement dues à l'absence de données, mais s'expliquent également par la difficile identification des dépenses spécifiques à l'adaptation. La vérité des prix est pourtant un élément d'arbitrage essentiel pour définir et mettre en œuvre des solutions financièrement soutenables.
Pour garantir des politiques efficientes, nous rappelons aussi que l'adaptation ne doit pas nécessairement passer par de nouvelles dépenses publiques. D'autres leviers peuvent être utilisés, qui consistent plutôt à responsabiliser les acteurs et à les inciter à agir.
Ainsi, dans le secteur financier, le premier critère d'allocation des flux est celui de la rentabilité financière ; il faudrait y ajouter un critère d'impact environnemental pour que les capitaux soient réorientés vers le financement de la transition.
La Cour préconise aussi la création de mécanismes de solidarité financière, comme un fonds d'aide à la recomposition du littoral, auquel les collectivités de bord de mer pourraient recourir pour cofinancer des actions avec l'État.
Nous soulignons ensuite trois points importants relatifs à la conception et à la mise en œuvre des politiques publiques.
Avant tout, nous mettons en garde contre les risques de maladaptation, qui sont souvent le résultat de logiques de court terme. Dans l'urgence ou sous l'effet de contraintes immédiates, les décideurs donnent parfois la priorité à des mesures qui, à long terme, vont à l'encontre de l'objectif d'adaptation. Cela revient bien souvent à dépenser de l'argent public de manière peu efficace, c'est-à-dire pour rien. La production systématique de neige artificielle dans certaines stations de montagne, parfois même lorsque les températures sont positives – une aberration ! –, en est un exemple frappant. Il en va de même du rechargement des plages en sable, qui ne fait que repousser pour quelque temps le recul du trait de côte.
La Cour souligne aussi que le rôle de la recherche est essentiel pour trouver des solutions adaptées, alors que les acteurs publics sont parfois démunis quand il faut choisir les solutions les plus efficaces.
Les chapitres de notre rapport montrent que l'application des résultats scientifiques sur le terrain est hétérogène. Si l'agriculture céréalière a développé un système de recherche et d'innovation complet, alliant secteurs public et privé, qui permet aux exploitants de renforcer leur résilience, la recherche est moins utilement appliquée dans le domaine forestier ou dans celui du logement.
Enfin, pour conduire efficacement les politiques d'adaptation, les décideurs doivent mieux s'approprier les données, les outils et les solutions dont ils disposent. Ainsi, l'adaptation de la forêt au changement climatique et la prévention des feux de forêt requièrent de développer les compétences en ingénierie et en maîtrise d'ouvrage des acteurs locaux, au plus près des massifs.
Voilà, mesdames et messieurs, les constats tirés de nos analyses sur l'adaptation, ainsi que quelques-unes de nos préconisations. Dans la plupart des domaines, nous n'en sommes heureusement pas à l'année zéro ; des outils et des solutions existent. Cela étant, l'ampleur du défi qui nous attend est immense.
J'en viens à présent à la situation d'ensemble des finances publiques, qui fait l'objet d'un chapitre spécifique de notre rapport. Elle est préoccupante – j'ai eu l'occasion de le dire assez souvent, y compris ici. Elle l'est d'autant plus à l'aune des analyses et des informations dont nous disposons désormais quant aux moyens qu'il nous faudra mobiliser pour nous adapter au changement climatique.
La Cour a analysé la situation des finances publiques telle qu'elle se présente après l'exercice 2023 ; elle a aussi examiné les principaux risques qui planent sur l'exercice 2024 en cours et sur la trajectoire prévue jusqu'à 2027 par la loi de programmation des finances publiques (LPFP), adoptée en décembre dernier.
Nous tirons de cette analyse trois constats pour le moins inquiétants.
En premier lieu, l'année 2023 a été, au mieux, une année blanche pour la réduction du déficit public, qui devrait même se creuser par rapport à 2022 – légèrement, je l'espère. La trajectoire 2023-2027 était déjà exigeante, le point de référence n'étant pas très élevé : ce n'est pas un bon départ, mais plutôt un faux départ.
L'année 2023 n'a pas été, comme on aurait pu s'y attendre, synonyme de sortie du « quoi qu'il en coûte ». Les dépenses exceptionnelles de crise et de soutien ont été prolongées, notamment avec les mesures tarifaires liées à l'augmentation des prix de l'énergie, qui ont encore coûté, comme en 2022, de l'ordre de 18 milliards d'euros en 2023.
Parallèlement à ce niveau de dépenses élevé, les recettes fiscales se sont révélées peu dynamiques. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), qui annonçait le contraire depuis quelques années, s'est trompé. Nos recettes fiscales ont perdu l'élasticité remarquable qui les caractérisait – cette situation ne pouvait du reste pas durer éternellement.
Le déficit public atteindrait donc 4,9 points de PIB en 2023, selon la loi de finances de fin de gestion pour 2023 ; non seulement il n'a pas baissé, mais il a même augmenté de 0,1 point par rapport à 2022. Les données récentes sur l'exécution en recettes de l'État – qui comprend pour environ 8 milliards d'euros de mauvaises surprises – et une masse salariale moins dynamique qu'escompté en 2023 augurent d'un déficit encore plus élevé, ce que vient de reconnaître le Gouvernement – j'ai entendu que le creusement serait significatif, mais nous en saurons plus fin mars. Quoi qu'il en soit, la marche à franchir pour réduire le déficit dans les années qui viennent, à commencer en 2024, n'en sera que plus haute.
Deuxième constat préoccupant pour les finances publiques : le respect de l'objectif de déficit pour 2024 n'est pas acquis, malgré les récentes annonces du Gouvernement.
La prévision de croissance de 1,4 % sur laquelle reposait la loi de finances initiale pour 2024 et la loi de programmation des finances publiques était trop optimiste.
À dire vrai, ce n'est pas une surprise pour la Cour des comptes et le Haut Conseil.
Dès septembre, ce dernier avait relevé dans son avis sur le projet de loi de finances (PLF) que « pour la totalité des postes de demande, le Gouvernement était plus optimiste que les organismes » qu'il avait auditionnés et que les économistes, qui s'accordaient autour d'une prévision de croissance de 0,8 %.
Cet écart s'est creusé à mesure que la conjoncture s'est assombrie.
Je l'ai dit et je le répète publiquement ici, ce n'est pas une découverte après coup. La prévision de croissance initiale du Gouvernement était devenue, non plus seulement élevée, mais in fine inatteignable – il fallait la corriger.
En février, le Gouvernement a finalement décidé d'abaisser sa prévision de croissance à 1 %.
Il l'a fait sans modifier ni son objectif de déficit pour 2024, ni la trajectoire pluriannuelle inscrite dans la LPFP, qu'il faut s'efforcer de préserver.
En effet, une prévision de 1 % reste au-dessus de ce que prévoient la plupart des économistes.
Pour 2024, la loi de finances envisage donc toujours une réduction de 0,5 point du déficit public, qui atteindrait 4,4 % du PIB ; mais si l'on part de plus haut, la réduction devra être plus importante, et l'écart à résorber pourrait être plus élevé.
La loi de finances pour 2024 ne comprend pourtant pas de mesures d'économies structurelles.
La réduction du déficit repose sur la seule extinction des mesures de soutien à l'inflation, et sur les effets de la réforme des retraites et de l'assurance chômage.
Pour compenser la révision de croissance, le Gouvernement a donc été forcé d'annoncer 10 milliards d'annulations de crédits – une décision cohérente avec la LPFP. Il faut maintenant aller plus loin, c'est-à-dire identifier et mener à bien les réformes qui permettront la transformation de ces annulations en économies : l'exercice doit encore être confirmé.
Malgré ces annonces, je le dis sans détour, l'objectif de déficit pour 2024 n'est pas acquis – ce n'est pas une question de larmes, mais de réalité. D'une part, la prévision de croissance du Gouvernement, même révisée, reste élevée, au-dessus de la quasi-totalité des autres prévisions disponibles, qui ont été revues à la baisse. D'autre part, comme je l'ai dit précédemment, l'année 2023 est décevante en matière de recettes, contrairement aux deux années précédentes. Cela risque de peser sur le niveau des recettes en 2024, d'autant qu'un effet de base va jouer également.
Il n'est donc pas certain – c'est peut-être un euphémisme – que l'objectif d'économies de 10 milliards soit suffisant pour maintenir la trajectoire de déficit.
C'est sûrement la raison pour laquelle le ministre de l'économie et des finances a annoncé la semaine dernière que cette annulation de crédits n'était qu'une première étape avant une probable loi de finances rectificatives à l'été.
Permettez-moi d'être très clair sur un point : même si nous parvenions tant bien que mal à tenir l'objectif de déficit de 4,4 points de PIB prévu pour 2024, les finances publiques de la France ne seraient pas mirifiques : elles demeureraient parmi les plus dégradées de la zone euro. La dette publique atteindrait toujours 110 points de PIB en fin d'année 2024, soit 3 200 milliards en volume, ce qui représente une hausse de plus de 800 milliards par rapport à 2019. La charge de la dette continuerait sa hausse spectaculaire en augmentant de 10 milliards en 2024, pour atteindre 54 à 57 milliards.
Je ne suis pas là pour jouer les Cassandre, mais il faut regarder la réalité en face : la divergence s'accroît avec les économies les plus vertueuses de la zone euro, au premier rang desquelles l'Allemagne, l'Autriche et les Pays-Bas, mais aussi avec des pays comme le Portugal et l'Espagne. Le gouverneur de la Banque de France a identifié un problème de crédibilité de la France dans la sphère européenne, compte tenu de ses déficits.
Or la trajectoire fixée par la LPFP est la fois peu ambitieuse et assez fragile – c'est notre troisième constat. Elle est peu ambitieuse, parce que nous serons les derniers, en 2027, à ramener notre déficit public à moins de 3 % du PIB, alors que tous les autres pays l'auront fait bien avant – certains ont déjà atteint cet objectif.
Elle est également fragile et peu crédible, parce qu'elle ne présente aucune marge de sécurité, tant les hypothèses sous-jacentes sont optimistes. Surtout, la trajectoire prévue repose sur des efforts d'économies qui sont absolument sans précédent dans l'histoire récente. J'ai évoqué le chiffre de 50 milliards entre 2025 et 2027 ; j'ai eu la surprise de découvrir, dans sa réponse, que le ministère des finances conteste ce chiffre, qui est pourtant issu de ses propres services. De plus, nous sommes déjà en train de prévoir une trajectoire qui vise cet objectif – au moins.
La LPFP prévoit un effort pérenne de réduction des dépenses de 12 milliards en 2025, réparti entre l'État et la sphère sociale. La semaine dernière, le ministre délégué chargé des comptes publics vous a annoncé que ces économies pourraient finalement s'élever à 20 milliards, ce qui n'est pas incohérent avec le chiffrage de la Cour des comptes.
Dans la perspective du projet de loi de finances pour 2025, le Gouvernement a engagé des revues de dépenses pour identifier ces 12 à 20 milliards d'économies. Je m'en réjouis, car je plaide depuis longtemps pour la réalisation de revues de dépenses. La Cour des comptes y contribuera : elle a proposé de passer au crible la qualité de la dépense publique. Le Premier ministre m'a saisi de trois demandes concernant l'assurance maladie, les dépenses des collectivités territoriales et les dispositifs de sortie de crise. Pour la Cour de comptes, les revues de dépenses doivent porter sur un périmètre large, s'inscrire dans la durée, être axées sur la qualité de la dépense et être sous-tendues par une volonté politique forte.
La priorité, dans les prochains mois, sera de concilier ajustement budgétaire et amélioration du potentiel de croissance. Dans ce contexte, trois dimensions me semblent essentielles : la volonté politique – et il en faut ! ; le courage – ce n'est pas populaire ; et l'intelligence – les coupes budgétaires ne doivent pas pénaliser la croissance et la cohésion sociale.
L'effort à consentir est donc très important ; il requiert un exercice dont je ne sous-estime pas les difficultés sur les plans économique, financier, politique et démocratique. Je suis cependant persuadé que nous ne pourrons pas nous y dérober, sous peine d'encourir de lourdes déconvenues.
Notre rapport public annuel pour 2024 illustre la diversité des sujets traités par les juridictions financières, en prise avec l'actualité et les réalités du terrain. Surtout, ce rapport montre en quoi notre capacité à faire face aux effets du changement climatique est étroitement liée à la situation des finances publiques. L'adaptation et, plus largement, la transition écologique, sont les briques du mur d'investissements qui se dresse devant nous. Pour le franchir, nous devons retrouver des marges de manœuvre budgétaires et réduire la montagne de dettes qui s'est accumulée. C'est là un impératif démocratique et un enjeu de souveraineté et d'indépendance.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.
La parole est à M. le président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
Il y a tout juste une semaine, la commission des finances auditionnait les ministres de l'économie et du budget à propos de leur décret portant annulation de crédits à hauteur de 10 milliards d'euros. Une telle annulation était prévisible dès l'automne 2023.
La Cour le rappelle dans son rapport public : le projet de loi de finances pour 2024 a été construit sur une prévision de croissance de 1,4 %, que vous définissiez vous-même, monsieur le premier président, comme trop optimiste. Un scénario improbable, alors que la Banque de France prévoyait une croissance de 0,9 % et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), une croissance de 0,8 %. Comme d'autres députés, j'avais d'ailleurs relayé vos propos. Moins de deux mois après avoir imposé un budget à coups de 49.3, les ministres reconnaissent donc l'échec de leur politique.
Suivant leur logique, les voilà contraints de revoir leur copie en imposant de nouvelles économies pour atteindre l'objectif de déficit qu'ils se sont fixé. Ils annoncent déjà un rabot d'au moins 20 milliards supplémentaires pour le budget 2025, s'ils ne reviennent pas entre temps nous imposer d'autres baisses en révisant leur nouvelle prévision de 1 % ; celle-ci reste en effet surévaluée compte tenu du pourcentage de 0,7 % sur lequel s'accordent les économistes.
Le seul résultat à attendre de cette décision est la dégradation continue du niveau de vie de nos concitoyens et une hypothèque sur le futur du pays. Réduire les dépenses publiques, c'est rendre service public moins attractif et moins efficace, au point qu'il ne pourra plus répondre aux besoins. Non seulement une telle politique ne résout pas les situations d'urgence et de crise que nous traversons, mais elle les aggrave.
Tout le monde en convient maintenant, le logement est une véritable bombe sociale. Mais le Gouvernement supprime 300 millions prévus pour financer les aides au logement.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Les enseignants, notamment en Seine-Saint-Denis, se mobilisent pour demander un plan d'urgence pour l'école, reposant sur des recrutements de professeurs, d'assistants d'éducation (AED), d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et de conseillers principaux d'éducation (CPE). Mais le Gouvernement diminue de 700 millions les crédits de l'enseignement scolaire, dont 480 millions de dépenses de personnel – l'équivalent de plus de 15 000 postes.
Le Gouvernement cherche à tout prix à diminuer le déficit en espérant que la croissance sera au rendez-vous…
…malgré des baisses de dépenses, mais c'est une chimère qu'il poursuit, un tonneau des Danaïdes qu'il cherche à remplir. L'austérité appelle l'austérité.
Plus vous réduisez les dépenses, plus la croissance est ralentie et plus le déficit augmente ; de nouvelles mesures d'austérité sont prises, ce qui dégrade toujours plus l'activité économique. C'est déjà visible pour 2023 : les recettes devraient être inférieures de 8 milliards aux prévisions et le déficit devrait largement dépasser les 5 %, au lieu des 4,9 % annoncés. Voilà l'explication que Bercy peine à trouver pour justifier cette dégradation des comptes et expliquer pourquoi les recettes fiscales et sociales sont inférieures aux prévisions.
Pourtant, monsieur le premier président, vous croyez vous aussi à cette politique de l'offre, vous appelez aussi à pousser ce rocher de Sisyphe. Cette logique vous conduit à recommander la réalisation de 50 milliards d'économies entre 2025 et 2027, « un effort sans précédent dans l'histoire récente » – je vous cite.
Je ne suis pas d'accord avec le cap que vous tracez. Le contraire devrait être conseillé pour éviter d'enfermer le pays dans une spirale récessionniste, au moment même où l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Fonds monétaire international (FMI) revoient à la hausse la croissance mondiale. Même des économistes orthodoxes, soucieux du niveau de la dette, comme l'ancien économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, considèrent qu'il est nécessaire de soutenir l'économie, même si cela implique un déficit momentané plus important.
Ce n'est pas comme si on n'avait pas soutenu l'économie depuis trois ans !
Le niveau de dette doit être relativisé : alors qu'il diminue en France depuis 2021, passant de 112,9 % à 109,7 % du PIB, il reste inférieur à celui de l'OCDE. La charge de la dette doit également être relativisée. En pourcentage de PIB – la seule valeur que nous devrions considérer –, son niveau, entre 2 et 3 %, n'est pas inédit ; en valeur, le montant de 80 milliards ne prend pas en compte l'inflation, ce qui rend l'analyse plus proche d'un scénario de film catastrophe que d'une approche rationnelle de nos finances publiques.
Comparer notre situation à celles d'autres pays devrait plutôt conduire à souligner l'importance de desserrer l'étau de l'austérité. Le niveau de déficit de l'Allemagne est souvent mis en avant, mais nous observons ses conséquences négatives sur la croissance, puisque le pays est entré en récession dès 2023 – cela a évidemment un rapport. La comparaison nous avantage donc. Le dogme allemand de la rigueur est ébranlé, puisque pour sortir du marasme économique, nos voisins s'écartent toujours plus de la principale règle qui le fonde, une stricte limitation du déficit.
Regardons plutôt du côté des États-Unis. Je ne souhaite évidemment pas ériger en exemple des modèles libéraux comme celui-ci, mais on y applique une recette qui fonctionne, et qui montre que la réduction des déficits n'est pas un précepte universellement respecté. Le taux de croissance qui y est attendu en 2024, 2,1 %, n'est en effet pas étranger au niveau élevé des dépenses du pays. Rappelons que le déficit budgétaire devrait atteindre 6,1 % du PIB aux États-Unis.
Je reconnais, monsieur le premier président, que vous n'excluez pas d'emblée ce raisonnement. Pour ne pas casser la croissance, vous recommandez de travailler sur la qualité de la dépense, tout en excluant certains secteurs comme la cohésion sociale, l'écologie ou la recherche. Vous relevez ici la contradiction dans laquelle s'enferre la politique du Gouvernement, lequel réduit des dépenses d'avenir tout en espérant, vainement, que la croissance sera au rendez-vous.
Mais si vous avez raison de pointer cette contradiction, vous proposez de la résoudre avec les mêmes recettes ; à votre tour, vous êtes confronté à une contradiction. Demander à la fois 50 milliards d'économies et, implicitement, des dizaines de milliards supplémentaires pour mener à bien la bifurcation écologique, cela revient à réduire le niveau actuel des dépenses à hauteur de la somme de ces deux montants. Où recommandez-vous de faire ces économies encore plus massives ? Dans la culture, l'éducation, le sport, les domaines régaliens ?
J'en viens à l'objet du rapport public. Voir la Cour s'intéresser à l'action publique contre le réchauffement climatique et aux moyens qu'elle requiert est une véritable satisfaction. Sur ce point, nous sommes d'accord : nous devons faire face à un mur d'investissements pour assurer la bifurcation écologique, mais aussi, malheureusement, pour nous adapter au changement climatique.
Je regrette que la Cour n'ait pas chiffré les besoins, mais j'observe qu'elle fait référence aux travaux de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz, qui recommandent de recourir à un montant supplémentaire de dette et à la taxation des superprofits pour financer en partie les 34 milliards d'investissements publics nécessaires à la bifurcation écologique.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur quelques bancs du groupe SOC.
Je comprends donc que la Cour considère que la politique du Gouvernement n'est pas à la hauteur et que le niveau des financements est insuffisant – il manque plusieurs dizaines de milliards. Alors que le Gouvernement annonçait consacrer 7 milliards supplémentaires aux politiques en matière d'environnement, la hausse n'était que de 3,7 milliards. Depuis, 2,2 milliards ont été annulés par décret : l'écologie est donc la première victime de la politique d'austérité, puisque son budget est amputé de 10 % de ses crédits et diminue de 7 % en valeur par rapport à 2023, hors bouclier énergétique.
Même un dispositif comme MaPrimeRénov' voit ses moyens amputés de 1 milliard, alors que le financement de l'ensemble des dispositifs consacrés à la rénovation énergétique des logements diminue déjà – n'en déplaise au ministre des finances. Le budget pour 2024 était censé être historiquement vert ; je ne le croyais pas lors de son adoption, mais cette affirmation est encore plus contestable aujourd'hui.
Je m'interroge donc sur la capacité de ce gouvernement à adopter une vision claire de la bifurcation. C'est en creux ce que souligne la Cour dans son rapport lorsqu'elle juge que l'État ne joue pas correctement son rôle de stratège et que la France n'est pas à hauteur de l'enjeu. Nous nous rejoignons donc sur la nécessité de prévoir une « véritable » planification écologique. L'utilisation de l'adjectif souligne d'ailleurs que celle établie par le Gouvernement n'a pas de réalité ; il a repris nos termes, mais les a manifestement vidés de leur sens.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Je note également une ouverture de la Cour sur une hausse des recettes. Si le Gouvernement tient absolument à l'objectif de réduction des déficits que nous imposent les règles budgétaires européennes, qu'il rompe avec les recettes du néolibéralisme et la politique de l'offre qui nous plongent dans des crises toujours plus graves ! Au lieu de prévoir de nouvelles économies, il devrait commencer par récupérer les recettes qu'il abandonne aux plus riches et aux grandes entreprises les plus polluantes.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et LIOT.
Je rappelle que les niches fiscales et sociales devraient atteindre près de 170 milliards en 2024 ; c'est, de loin, le premier poste de dépenses de l'État.
Au sujet des niches fiscales et sociales, je vous sais disposé à avancer, monsieur le premier président, et j'espère que vous vous saisirez de la revue des dépenses pour ajuster ces dispositifs, notamment le crédit d'impôt recherche (CIR) qui coûte chaque année près de 8 milliards d'euros aux finances publiques.
Le Gouvernement serait également avisé de revenir sur son refus de taxer les très riches. En effet, il est grand temps de mettre à contribution les détenteurs de capitaux qui ont accumulé, grâce à une fiscalité favorable et aux moyens d'optimisation fiscale offerts aux multinationales, une richesse jamais égalée.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI – NUPES et LIOT.
D'ailleurs, l'enjeu n'est pas tant d'augmenter les impôts que d'arrêter de les baisser à mauvais escient et de façon injuste.
Eussent-elles été adoptées plus tôt, les mesures que vous suggérez, qui vont à rebours d'une politique de l'offre, nous auraient déjà permis de commencer à gravir le mur d'investissements auquel nous faisons face et de sortir de la spirale récessionniste dans laquelle le Gouvernement nous plonge toujours davantage. Au fond, avec son rapport, la Cour des comptes offre une analyse et des critiques – souvent pertinentes – de la politique économique et financière menée en France, mais je regrette que ses recommandations se limitent au rafistolage d'un système à bout de souffle, dont il faudrait plutôt revoir les fondations.
Il est nécessaire de mener une politique de rupture, qui se donne pour priorité la réponse aux besoins de la population et aux urgences de l'époque, à commencer par celle liée à la question climatique et environnementale. Nous n'y parviendrons, j'en suis convaincu, qu'au moyen d'une relance de l'activité soutenue par une politique de la demande régénérée, commandée et encadrée par l'impératif écologique, par un partage des richesses et par un transfert des revenus du capital vers le travail.
Mêmes mouvements.
La parole est à M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
Le rapport public annuel aborde deux grands sujets : l'état des finances publiques à la fin du mois de février et l'action publique en faveur de l'adaptation au changement climatique.
S'agissant des finances publiques, l'actualité a été marquée par la révision, le 18 février, de la prévision de croissance pour 2024, puis par la publication, le 22 février, d'un décret portant annulation de 10 milliards d'euros de crédits de paiement sur le champ du budget général.
Il y a une semaine, lors d'une réunion de la commission des finances, j'ai eu l'occasion de répondre à certaines interventions polémiques liées à cette actualité et il est heureux que votre rapport, lui, parte de constats factuels. Ceux-ci dessinent une situation dégradée,…
…laquelle exige de nous un esprit de responsabilité et rend légitime l'annulation des 10 milliards de crédits, tout autant que l'urgence à agir. En réponse au président de la commission des finances, je rappellerai qu'on ne saurait parler d'austérité quand, en cinq ans, les dépenses publiques de l'État ont augmenté de 120 milliards d'euros. Il ne s'agit que d'un simple ralentissement de l'augmentation des dépenses.
Il faudrait aussi en finir avec l'idée que le problème serait franco-français et que le Président de la République en porterait l'entière responsabilité. Je vous rappelle en effet qu'en 2023, une douzaine de pays membres de l'Union européenne étaient en récession, quand la France présentait une croissance de 1 %.
En soulignant la révision à la baisse de la prévision de croissance de l'année 2024, qui succède à une année 2023 peu dynamique, vous montrez que les recettes publiques seront plus faibles qu'attendu. Vous considérez qu'une attention particulière doit être portée à l'impôt sur les sociétés, dont le rendement programmé en 2024 est associé à une augmentation assez prononcée de la rentabilité des entreprises. Vous estimez en outre que les prévisions de rendement de la TVA et des cotisations et contributions sociales doivent être retravaillées : je souscris à votre analyse.
L'atonie des recettes publiques a certes contribué à une baisse substantielle et salutaire du taux des prélèvements obligatoires, qui, de 45,4 % du PIB en 2022, en représentaient 44 % en 2023. Il demeure toutefois nécessaire d'identifier les moins-values fiscales et sociales afin d'ajuster l'effort à fournir en 2024, quitte à dégager des économies supérieures à celles prévues par le décret d'annulation déjà évoqué.
S'agissant de la dépense publique, vous soulignez qu'en 2024, sa part dans la richesse nationale dépassera de presque 1,5 point celle qu'elle atteignait en 2019, soit 53,8 %. Je note également qu'en 2024, le niveau de la dépense publique égalerait celui atteint entre 2015 et 2017, tout en restant inférieur à celui connu entre 2012 et 2014, c'est-à-dire pendant la précédente période de sortie de crise. En tenant compte des dépenses exceptionnelles de sortie de crise, la dépense publique augmenterait toutefois de 2,5 % en 2024, c'est-à-dire du niveau de l'inflation ; la progression de la charge de la dette étant significative dans cette évolution, nous devrons inscrire la maîtrise de nos finances publiques dans une trajectoire effective. En pratique, toutes les contributions à une augmentation de la dépense publique en 2024 devront être examinées, dans le cadre de revues de dépenses devant, selon les termes du rapport, « faire du renforcement de la qualité de la dépense une priorité de premier rang ». Je souscris également à cette recommandation.
Au total, c'est bien la cible de déficit annoncée pour 2024, soit 4,4 % du PIB, et la trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques qui sont ici questionnées. À ce sujet, le décret d'annulation de 10 milliards d'euros de crédits de paiement constitue une première décision, pleinement adaptée, mais vous avez raison de souligner que seule, elle ne suffira pas à fixer la trajectoire que doivent prendre nos dépenses publiques. Le rapport souligne que l'organisation de revues de dépenses doit s'accompagner de la mise à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, que les récentes réformes de l'assurance-chômage et du système de retraite ne suffiront pas à assurer. Mais où en serions-nous, chers collègues, si nous avions cédé à ceux – assez nombreux, je dois le dire – qui nous disaient ou continuent de dire qu'il ne fallait pas procéder à ces réformes ?
Exclamations sur les bancs du groupe LIOT.
En tout état de cause, le rapport public annuel de la Cour des comptes n'échappe pas lui-même à la difficulté à laquelle nous sommes confrontés : ses auteurs appellent de leurs vœux une maîtrise accrue des finances publiques, mais estiment, dans leurs développements au sujet de l'action publique en faveur de l'adaptation au changement climatique, que les moyens publics ne sont pas encore à la hauteur des enjeux. Dans cette seconde partie du rapport, ils se gardent toutefois de les chiffrer.
Je tiens à saluer l'excellent travail de la Cour des comptes, qui est mis à la disposition des Français et du Parlement. Son rapport constituera un document de référence, car il compile toute la littérature internationale pour mieux considérer les politiques publiques qui devraient, dans notre pays, favoriser l'adaptation au changement climatique.
Sa lecture m'inspire quelques observations générales. Le dérèglement climatique nous confronte en premier lieu à ce qui est le plus difficile en matière de politiques publiques, la remise en cause partielle de notre confort et de nos modes de vie. Il nous impose également d'agir dans le temps long, alors que la vie politique nous expose quotidiennement à la tentation du court-termisme. Ensuite, le dérèglement climatique met au défi notre organisation institutionnelle et sociétale. Pour lui faire face, nous avons besoin d'une forte impulsion publique centrale pour planifier, d'une capacité locale d'ingénierie et de programmation pour appliquer cette planification et d'un mouvement reliant, à tous niveaux, les moyens et réalisations du secteur privé et du secteur public. Votre rapport montre justement à quel point la lisibilité et l'efficacité de l'action publique souffrent de la multiplicité des plans, des contrats et des actions, mais également de la dilution des responsabilités. Il montre également que dans bien des domaines, des décisions fondées et adaptées ont déjà été prises, ce dont nous devons nous réjouir – j'en profite pour souligner l'excellent travail du secrétaire général à la planification écologique.
Le Gouvernement devrait très prochainement rendre public un troisième plan national d'adaptation au changement climatique. Comme nous, vous appelez à ce qu'il soit à la hauteur – du point de vue du contenu et des moyens – des enjeux décrits par le sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), publié il y a un an, et par les recherches les plus récentes relatives aux impacts du réchauffement sur la santé publique, les zones agricoles, maritimes et urbaines et sur tous les types d'infrastructures.
Votre rapport évoque également la question de l'adaptation de l'action des institutions financières et bancaires, la Cour des comptes considérant à raison que le risque climatique n'est pas encore assez pris en compte dans l'évaluation des profils des entreprises. Elle souligne également que, bien que difficilement mesurable, la capacité à orienter l'investissement privé vers la transition climatique semble aujourd'hui insuffisante. Or, dans le contexte d'une dépense publique contrainte, elle sera décisive, et ce même si les projets concourant à la transition ne sont pas nécessairement les plus rentables. Pour résumer, une réponse financière et budgétaire à la hauteur passe par la mobilisation de l'investissement et des acteurs financiers privés, mais il reste à imaginer les instruments de régulation, voire de contrainte, qui permettront cette nécessaire réorientation des flux. Nous en sommes convaincus, la transition écologique est l'affaire de tous, sans exceptions !
L'action publique internationale, qui repose notamment sur l'aide publique au développement, a semblé en partie satisfaisante à la Cour des comptes, pour qui, évoquant des exemples au Maroc et au Sénégal, « la France se distingue par un engagement relatif fort sur les enjeux climatiques. » Le récent décret d'annulation de crédits a notamment concerné l'AFD, mais la lutte contre le changement climatique pourrait devenir l'un de ses critères d'arbitrage budgétaire. Vous remarquez d'ailleurs que l'AFD dispose d'une grille de cotation de son action internationale en fonction de l'adaptation au changement climatique.
Au sujet du logement, vous soulignez que MaPrimeRénov' devrait, plus qu'actuellement, permettre le financement de travaux d'adaptation des logements à la chaleur estivale. Le développement anarchique des systèmes de climatisation, qui augmentent les factures énergétiques, émettent des gaz à effet de serre et accentuent les effets néfastes de certains îlots de chaleur, pourrait ainsi être freiné, mais jusqu'à présent, ce dispositif a surtout permis le changement du mode de chauffage des logements. Sa réforme et la légère hausse de l'enveloppe budgétaire qui le finance devraient justement permettre de suivre votre recommandation, sachant que l'adaptation aux fortes chaleurs concerne également le parc immobilier de l'État.
Je souhaite conclure mon intervention par quelques considérations au sujet de la santé publique. Vous documentez une hausse significative du recours aux services d'urgence en cas de vague de chaleur durant plus de trois jours. Cette augmentation concerne toutes les tranches d'âge, mais est particulièrement sensible au sein des populations les plus âgées ; selon la Cour des comptes, elle « impose de renforcer l'action publique ».
Ainsi, vous appelez de vos vœux des politiques publiques ciblant plus précisément les personnes les plus vulnérables que sont notamment les personnes âgées, les personnes sans domicile fixe ou les personnes malades.
Nous devons faire en sorte de mieux les recenser, de mieux les informer et de les accompagner individuellement lors des fortes chaleurs. N'oublions pas que le changement climatique, même s'il affecte nos infrastructures, nos capacités de production, ainsi que les zones agricoles et naturelles, impose avant tout de faire preuve d'humanité.
Merci à la Cour des comptes pour ce travail de grande qualité. Soyez convaincu qu'il sera au cœur des réflexions qui présideront à l'élaboration des prochains textes budgétaires.
Monsieur le premier président, l'Assemblée nationale vous donne acte du dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de Mme Naïma Moutchou.
Suite de la discussion d'un projet de loi
Hier soir, l'Assemblée a poursuivi l'examen des articles s'arrêtant aux amendements en discussion commune n° 168 et 189 à l'article 2.
Il vise à renforcer la séparation de l'expertise et de la décision qui caractérise notre système dual. Celui-ci a fait ses preuves jusqu'à présent ; il est un gage d'intégrité, de crédibilité et de confiance pour l'ensemble de nos concitoyens.
Le regroupement au sein d'une organisation intégrée – vous l'avez qualifiée ainsi à de nombreuses reprises – des personnes chargées de l'expertise et de celles responsables de la décision ne garantit pas suffisamment l'indépendance de l'expertise, surtout si ces personnes entretiennent entre elles des liens hiérarchiques. Aussi est-il proposé de distinguer ces deux catégories, qui doivent être indépendantes l'une de l'autre. Cette indépendance doit être précisée en lien avec le texte proposé pour l'article L. 592-13-3 du code de l'environnement relatif aux groupes permanents d'experts – GPE.
De nombreux experts de l'IRSN – Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire – siègent aujourd'hui dans les GPE, mais aucun membre de l'ASN, l'Autorité de sûreté nucléaire. Les personnes responsables de la décision ne peuvent en effet participer à des groupes justement chargés d'apporter un appui à l'Autorité dans le cadre de sa mission de prise de décision. En l'absence de distinction et d'indépendance claires entre les personnes chargées de l'expertise et celles chargées de la décision – jusqu'à présent, vous vous y êtes en effet opposés –, l'ensemble des experts de la future autorité – que nous voudrions appeler l'AISNR, l'Autorité indépendante de sûreté nucléaire et de radioprotection – devraient quitter les GPE, ce qui réduirait significativement la compétence globale de ces instances et conduirait à donner une place majeure aux exploitants nucléaires qui y siègent.
Notre collègue Gérard Leseul a parfaitement défendu son amendement, qui est assez proche de celui déposé par Jean-Louis Bourlanges.
Les GPE sont en effet un exemple illustrant la nécessité d'être très prudent s'agissant de la distinction entre l'expertise et la décision. Ces groupes viennent en appui de l'Autorité dans le cadre de sa mission de prise de décision. Des membres de l'IRSN y siègent, mais aucun membre de l'ASN.
Demain, en l'absence de distinction claire, plus aucun membre de la nouvelle entité ne pourra y siéger ; ils devront laisser la place à d'autres personnes. Le risque est même d'assister à une dangereuse politique de la chaise vide. Cet exemple illustre bien nos préoccupations. La distinction opérée entre les deux catégories de personnes, qui doivent être identifiées, doit être la plus précise possible.
La parole est à M. Jean-Luc Fugit, rapporteur de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, pour donner l'avis de la commission.
Je ferai deux observations relatives au fonctionnement actuel du système dual. D'une part, les services de l'ASN réalisent déjà de nombreuses expertises, indépendamment de la décision finalement prise par le collège de l'ASN. Par exemple, les expertises techniques de 74 % des quarante réexamens relatifs à la prolongation de centrales sont réalisées au sein même de l'ASN, ce qui ne soulève pas de difficulté.
D'autre part, l'IRSN participe à la réalisation de nombreuses expertises. Or l'Institut est placé sous la tutelle de cinq ministères ; on ne peut donc pas vraiment parler d'indépendance. Sachons raison garder.
Vos propositions ne correspondent donc pas tout à fait à la réalité du travail mené par l'IRSN et l'ASN. Du reste, le principe d'une distinction entre l'expertise et la décision est bien inscrit à l'alinéa 8 de l'article 2 à la suite d'amendements adoptés au Sénat puis au sein de notre commission. Après avoir auditionné les personnels de l'ASN et de l'IRSN membres des douze groupes de travail qui réfléchissent depuis plusieurs mois à la préfiguration d'une éventuelle nouvelle autorité, la commission a en effet suivi la suggestion de l'un de ces groupes en inscrivant à l'alinéa 8 que la personne responsable de l'expertise préalable, c'est-à-dire celle qui signe l'expertise, est distincte de celle qui endosse la responsabilité de la décision.
Je suis défavorable à vos amendements car le principe de la distinction, dont les conditions d'application seront précisées dans le règlement intérieur, figure d'ores et déjà dans le texte. C'est suffisant : nous sommes parvenus à un bon équilibre sur ce point. Il reviendra à la future institution d'effectuer le travail de mise en commun des pratiques souhaité par l'IRSN et l'ASN.
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie, pour donner l'avis du Gouvernement.
Ces deux amendements visent, entre autres, à réintroduire le terme « indépendante » dans l'intitulé de la nouvelle autorité. Or, pour les raisons que nous avons détaillées hier, nous n'y sommes pas favorables – en particulier parce que ce terme ne figure dans l'intitulé d'aucune autre agence indépendante, dont l'indépendance n'est pourtant absolument pas contestée. Paradoxalement, le préciser pour la nouvelle autorité pourrait aussi laisser penser que la douzaine d'autres autorités indépendantes ne le seraient pas.
Nous abordons plusieurs amendements portant sur la séparation entre expertise et décision, et je vais donc prendre le temps d'exposer mes arguments – je serai plus bref ensuite.
Nous sommes évidemment attachés au principe de séparation entre l'expertise et la décision. Néanmoins, la rédaction proposée, qui vise à appliquer la séparation, voire l'indépendance, aux personnels, risquerait, d'une certaine façon, de recréer l'IRSN au sein de la future autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) et donc d'en scléroser le fonctionnement – l'inverse de ce que tous ceux qui sont favorables au texte cherchent à faire, c'est-à-dire apporter davantage d'efficacité, de transparence et de fluidité dans la gouvernance du nucléaire.
En outre, ce serait une régression importante, puisqu'il n'existe aujourd'hui pas de séparation formelle entre les responsables de l'expertise et les responsables de la décision au sein de l'ASN,…
…dont 1 650 des 2 000 décisions rendues annuellement – dont certaines sont très importantes – le sont sur la base d'expertises internes, les 350 restantes reposant sur l'expertise de l'IRSN. La rédaction adoptée en commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, qui prévoit que la séparation ne vaut que pour les responsables de la décision et les responsables de l'expertise – tous les autres agents travaillant de manière collaborative, dans l'intérêt général –, me semble donc tout à fait équilibrée.
Partant, je suis défavorable à ces deux amendements.
Mes chers collègues, j'ai plusieurs demandes de prise de parole. Je prendrais un orateur pour, et un orateur contre l'amendement.
La parole est à M. Benjamin Saint-Huile.
Dans son excellent rapport sur les conséquences d'une éventuelle réorganisation de l'ASN et de l'IRSN sur les plans scientifique et technologique ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection,…
Sourires.
…dont M. le rapporteur est l'un des auteurs, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) recommande de « donner à la nouvelle autorité administrative un nom rappelant son caractère indépendant ». Ce n'est pas moi qui l'ai écrit, c'est vous, monsieur le rapporteur !
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI – NUPES et SOC.
Pourtant, il existait déjà à l'époque d'autres autorités indépendantes, dont l'intitulé ne le précisait pas. Vous aviez donc bien conscience que le préciser, c'était envoyer un signal à un certain nombre d'observateurs et à nos concitoyens. Je ne vous prête pas malice, monsieur le rapporteur, mais la manière dont vous présentez les choses sous-entend qu'il existe une sorte de tutelle de l'IRSN par les cinq ministères avec lesquels il travaille, et qu'on ne peut donc pas tout à fait parler d'indépendance. Votre argumentaire est un peu dérangeant car, par définition, l'IRSN est indépendant, même s'il travaille effectivement en lien avec plusieurs ministères.
Je le dis donc tranquillement – j'allais même dire « en paix » : l'indépendance de la future autorité est une question centrale, fondamentale, que vous aviez déjà identifiée dans le cadre du rapport de l'Opecst, et sur laquelle de nombreux amendements, hier soir et aujourd'hui, tendent à revenir. C'est un des enjeux clés du dispositif.
J'entends les arguments du Gouvernement, mais il faudrait veiller à envoyer un signal à celles et ceux qui nous regardent. L'indépendance de l'expertise vis-à-vis de la décision est l'un des enjeux clés de la grande modification que vous souhaitez opérer : le faire figurer clairement ailleurs qu'au détour d'un simple règlement intérieur me semble absolument essentiel.
Mme Anne Stambach-Terrenoir applaudit.
Je ne m'étais pas exprimée jusqu'à présent, mais à force d'entendre à longueur de journée et de soirée les mêmes arguments, il me semble utile de rappeler que la dualité entre, d'une part, une expertise qui vivrait dans un espace exempt de contingences – l'expertise pure – et, d'autre part, une décision qui devrait assumer les contraintes du réel, n'est pas immuable. Il est faux d'imaginer que l'IRSN est un contre-pouvoir de l'ASN ; ce serait d'ailleurs dangereux pour la gouvernance de la sûreté nucléaire.
Le fonctionnement doit être collectif, et le dialogue technique, scientifique et éthique, car la bonne articulation de l'expertise et de l'autorité décisionnaire conditionne la qualité et l'efficacité du contrôle. Il est légitime de remettre les équilibres du système en question à intervalles réguliers et d'examiner les ajustements à y apporter.
MM. Benjamin Saint-Huile et Sébastien Jumel miment des mouvements de brasse.
C'est d'autant plus justifié aujourd'hui que le réseau n'a pas été conçu pour la période hors normes que nous vivons, ce qui nécessite d'envisager l'exploitation des réacteurs pendant plus de quarante, voire soixante ans, mais aussi la construction de nouveaux réacteurs, le stockage géologique, la fabrication et le renforcement des combustibles.
Il doit y avoir un temps pour la décision, et un temps pour l'expertise, sans pour autant que ces domaines soient séparés.
Enfin, le modèle français actuel n'est pas universel : d'autres pays, dont la gouvernance de sûreté est très respectée, ont un modèle différent.
M. Benjamin Saint-Huile s'exclame.
Le dialogue technique et la confrontation intellectuelle et éthique doivent être éminemment collectifs.
Vous avez gagné, hier, la première manche, et on pourrait donc considérer que tout va bien, puisque la réforme verra le jour.
Il n'y a pas de gagnant !
Mais je vous répète que l'enjeu, sur lequel nous devrions nous accorder, est de ne pas fragiliser, éroder la confiance de nos concitoyens dans la filière nucléaire et sa relance.
L'article 2, qui prévoit les règles qui devront figurer dans le règlement intérieur de la future autorité, nous offre l'occasion d'apporter des garanties en ce sens – des garanties qui coulent de source compte tenu du discours que vous tenez depuis le début de l'examen du texte.
Vous prétendez que la réforme n'a pas vocation à fusionner l'expertise et la recherche avec la décision – même si Mme Brulebois vient d'affirmer le contraire : soit, mais dans ce cas, écrivons-le pour le garantir.
L'alinéa 8 de l'article 2 dispose : « Lorsque l'instruction recourt à une expertise réalisée par ses services, l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection opère une distinction entre, d'une part, la personne responsable de l'expertise et, d'autre part, la personne responsable de la décision ou de la proposition de décision au collège. » Cet amendement tend à remplacer les mots : « opère une distinction », par les mots : « assure l'indépendance » – une proposition tout à fait conforme aux objectifs que vous ne cessez de réaffirmer depuis le début de l'examen du projet de loi. Partant, et si vous voulez créer un consensus durable autour de la relance de la filière nucléaire, cet amendement devrait recueillir des avis favorables.
Nous venons d'avoir ce débat : pour les mêmes raisons que précédemment, avis défavorable.
Vous avez parlé de « première manche », mais ce n'est pas un match – le seul match qui m'intéresse cette semaine, c'est le France-Angleterre de samedi soir. Nous sommes là pour construire la sûreté nucléaire de demain.
J'ajoute que le Conseil d'État nous a bien alertés sur le risque à parler d'indépendance, comme le propose votre amendement, dans le cas où les deux organismes ne seraient pas fusionnés : les personnels chargés de l'expertise et ceux chargés de la décision, qui échangent évidemment régulièrement en amont des décisions, ne pourraient alors plus se parler.
Ce n'est pas moi qui le dis, madame Batho, mais le Conseil d'État ! Que l'on soit pour ou contre la réforme n'entre pas en ligne de compte : avis doublement défavorable.
Je suis évidemment très mobilisé sur le match France-Angleterre, mais, en l'occurrence, il s'agit de savoir si nous allons maintenir l'excellent niveau de sûreté et de sécurité nucléaire qui fait la fierté de la France.
Monsieur le ministre, vous dites que l'adoption de mon amendement interdirait aux personnels des deux structures de communiquer et travailler ensemble si elles n'étaient pas fusionnées. Mais elles le seront, puisque l'article 1er a été rétabli ! Dans ces conditions, nous veillons à ce que le règlement intérieur affirme bien la séparation « de l'Église et de l'État », si je puis dire, c'est-à-dire sépare l'expertise de la décision.
Et contrairement à ce que j'ai entendu tout à l'heure, en matière nucléaire, le doute, l'absence de vérité absolue, la confrontation de points de vue sont, je le répète, consubstantiels au niveau de sûreté et de sécurité.
C'est vous qui introduisez le doute !
Comme le collègue Jumel vient de vous l'expliquer, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas reprocher à cet amendement de risquer de perturber le fonctionnement actuel, puisqu'il sera différent demain – vous le savez bien, puisque vous avez tout fait pour que la fusion soit entérinée !
Contrairement à vous, nous avons pris acte de votre victoire hier sur l'article 1er , et nous cherchons aujourd'hui à nous assurer que les articles suivants permettront au législateur, aux citoyens et aux salariés d'avoir confiance dans le système, en leur garantissant un bon niveau d'expertise et de décision, grâce à leur séparation dans le cadre de l'entité intégrée que vous avez appelée de vos vœux. N'ajoutez pas à la confusion générale en mélangeant le fonctionnement actuel du système avec celui que vous défendez aujourd'hui, et qui prévaudra demain.
La séparation doit être garantie, et je soutiens totalement l'amendement de notre collègue Jumel, qui propose une version très simplifiée de l'amendement que j'ai moi-même défendu tout à l'heure, qui était plus ambitieuse – ou plus alambiquée, au choix. Je vous invite donc à adopter cet amendement.
L'amendement n° 6 n'est pas adopté.
Voilà pourquoi je parle de match ! Vous ne tenez absolument pas compte de l'opposition !
L'amendement n° 201 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 1er ayant été rétabli, il s'agit maintenant de se donner les moyens que les choses fonctionnent parfaitement, dans l'intérêt des salariés et pour assurer l'efficacité de la nouvelle structure.
Or, puisque les agents vont se parler, comme vous venez de l'affirmer, il faut les mettre à l'abri de tout conflit d'intérêts.
Vous le savez, les règles de prévention des conflits d'intérêts imposent aux agents de l'ASN chargés de réaliser les inspections et de rendre les décisions de respecter un délai de trois ans suivant la cessation de leurs fonctions avant de pouvoir travailler chez un exploitant nucléaire qui a été dans le périmètre de leurs missions.
En revanche, cette exigence ne concerne que rarement les chercheurs et experts de l'IRSN, dont les liens d'intérêt avec les décisions sont négligeables, sinon inexistants. Or, en l'absence de distinction entre expertise et décision, elle s'appliquera à l'ensemble des personnels techniques de la nouvelle autorité.
Si cette règle a un effet limité pour les fonctionnaires dont les parcours professionnels s'effectuent dans les différents services de l'État, elle affectera notablement les parcours professionnels des salariés de droit privé et encouragera des départs préventifs chez les salariés de l'IRSN. Elle réduira également fortement l'attractivité de la future autorité, ce qui nous fait craindre une perte de compétences. C'est pourquoi nous défendons ardemment le principe de l'indépendance.
La parole est à Mme Mireille Clapot, pour soutenir l'amendement n° 173 .
L'article 1er étant voté, nous nous intéressons désormais au règlement intérieur de la future autorité, afin que la fusion, si elle a lieu, se passe le mieux possible. Nous souhaitons donc insérer après le mot « distinction », à la première phrase de l'alinéa 8 de l'article 2, les mots : « et assure l'indépendance ». Quand les agents feront partie de la même organisation, on ne peut exclure que l'expert soit sous la responsabilité hiérarchique du décideur ou qu'il soit soumis à une évaluation à 360 degrés par ses pairs – système que j'ai connu dans ma vie professionnelle antérieure. Le décideur pourrait alors reprocher à l'expert d'être trop pessimiste. Le second, malgré l'attachement à son indépendance, pourrait être sensible à l'influence du premier et être tenté de s'autocensurer. Il faut donc conserver des garde-fous, en écrivant en toutes lettres que l'indépendance de l'expertise est assurée. Je ne vois pas en quoi cela compromettrait le fonctionnement de la nouvelle autorité.
L'amendement n° 300 de M. Benjamin Saint-Huile est défendu.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements identiques ?
On joue sur les mots, mais sur le fond, le débat est le même. L'avis demeure défavorable.
Même avis.
Le Conseil d'État n'a pas écrit dans son avis qu'on ne pouvait pas insérer les mots « assure l'indépendance » dans la loi. Il a simplement estimé que la loi n'avait pas besoin d'être bavarde sur le sujet, mais le législateur est fondé à considérer que l'inscription explicite de l'indépendance est la garantie du maintien du niveau actuel de transparence et de sûreté.
La parole est à Mme Julie Laernoes, pour soutenir l'amendement n° 245 .
Il s'agit toujours d'assurer l'indépendance entre l'expertise et la décision. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous considérez que le débat est clos. Permettez-moi cependant de soulever quelques points. Tout d'abord, vous faites une confusion, à dessein ou non, entre les différentes formes d'expertise. L'ASN produit de l'expertise de conformité : répond-on aux normes et aux règles en vigueur ? L'IRSN réalise de l'expertise de sûreté. Ce ne sont ni les mêmes métiers, ni les mêmes cultures.
En tout cas, la confusion entre l'expertise effectuée par l'ASN et celle qui est conduite par l'IRSN est une réalité. La séparation entre l'expertise et la décision est un des fondements de notre modèle de sûreté nucléaire depuis 1973. Un courrier de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement (CNDASPE) daté de février 2024 précise d'ailleurs : « les prescriptions de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) soulignent l'importance d'assurer l'indépendance des instances chargées de fournir l'expertise scientifique et technique en appui aux autorités responsables de la gestion et de la réglementation ».
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, le débat n'est pas clos, car les arguments que vous nous donnez sont imprécis. Mme Batho vient de le rappeler, vous vous appuyez sur un avis du Conseil d'État qui ne dit pas ce que vous prétendez qu'il dit. En outre, vous entretenez une confusion entre les différentes formes d'expertise. Nous sommes donc plus qu'inquiets des conséquences de votre projet de loi sur la préservation des garanties fondamentales de la sûreté nucléaire, car vous avez choisi de continuer à œuvrer au démantèlement du système.
Je vous écoutais bien, madame Laernoes, ne vous inquiétez pas ! Je vous ai déjà indiqué que la rédaction de l'article 2 retenue par la commission était le fruit de nos échanges avec le groupe de travail réunissant des membres de l'ASN et de l'IRSN qui a travaillé sur cette question. Nous avons tenu compte de son avis. Vous le savez d'ailleurs, puisque vous étiez présente en commission. Avis défavorable.
Le Conseil d'État a bien préconisé la substitution du terme de distinction à celui de séparation, nous alertant ainsi sur le risque que j'évoquais il y a un instant.
Ce n'est pas dans son avis ! Il n'y a pas plusieurs avis du Conseil d'État, il n'y en a qu'un !
Je veux aussi m'inscrire en faux contre le terme d'expertise de conformité, qui n'a absolument aucun sens. Mentionné dans une audition par un ancien dirigeant de la sûreté nucléaire, il donne à penser, comme cela a été dit hier, que l'ASN serait composée d'une bande de fonctionnaires se contentant de cocher des cases pour valider la conformité des systèmes.
« Personne n'a dit cela ! » sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Or l'ASN dispose bien entendu d'experts pointus dans les domaines des matériaux, des équipements sous pression, du risque chimique ou de la radioprotection des patients. Vous ne ferez croire à personne que la décision de suspendre l'utilisation des générateurs de vapeur de la centrale de Fessenheim, prise en 2016 sans l'expertise de l'IRSN, ne s'est appuyée sur aucune expertise ou ne résulte que de cases cochées.
L'ASN a pris plus de 1 500 décisions fondées sur son expertise interne. Avis défavorable.
J'invite M. le ministre à relire les rapports d'audition ou à se concerter avec M. le rapporteur, qui a assisté à toutes les auditions que la commission a organisées.
Une seule audition !
Non, nous avons consacré une semaine entière aux auditions. M. le rapporteur pourra vous en donner le nombre précis.
Oui, mais sur ce sujet, c'est une audition.
Je pense notamment à l'audition de Jacques Repussard, ancien président de l'IRSN…
C'est donc bien une audition !
Oui, mais les salariés des structures actuelles peuvent également vous expliquer les différences entre les métiers. L'audition de M. Michaël Mangeon a aussi abordé cette problématique. Vous entretenez donc délibérément – j'en ai maintenant la confirmation – la confusion entre expertise de conformité et expertise de sûreté, et entre les métiers de l'ASN et de l'IRSN. Rappeler cette distinction, ce n'est pas dévaloriser le métier de l'une des entités. De plus, la manière dont leur séparation est aujourd'hui organisée est efficace. C'est en tout cas ce que le travail approfondi, mené notamment grâce aux auditions, a montré.
Une seule audition !
L'amendement n° 245 n'est pas adopté.
Je parle de match, car j'ai le sentiment, monsieur le ministre, que vous inaugurez vos fonctions de ministre chargé de l'énergie avec la conviction que vous avez raison seul contre tous.
Nous allons terminer l'examen de ce texte sans avoir adopté un seul des amendements de l'opposition, même quand ils émanent des groupes qui sont favorables à la relance de la filière nucléaire…
Vous préjugez !
… et alors que ce texte est de nature à fragiliser la relation de confiance entre le Parlement – les représentants du peuple – et nos concitoyens en matière de sûreté et de sécurité nucléaires.
Je veux ajouter deux arguments à ceux que mes collègues viennent de développer avec pertinence à propos de la nécessité d'assurer la distinction et l'indépendance entre l'expertise et la décision. Celles-ci doivent être précisées à l'aune du nouvel article L. 592-13-3 relatif aux groupes permanents d'experts. Aujourd'hui, de nombreux experts de l'IRSN siègent dans ces GPE. A contrario, ces groupes venant en appui de l'ASN dans sa mission de prise de décision, aucun de ses membres n'y siège. En l'absence de distinction et d'indépendance claires entre les personnes chargées de l'expertise et celles chargées de la décision, c'est l'ensemble des experts de l'AISNR qui devront quitter les GPE. Premier point, auquel vous ne répondez pas.
Si vous le permettez, madame la présidente, je défends en même temps l'amendement n° 51 .
Les règles de prévention des conflits d'intérêt imposent aux agents de l'ASN chargés de la décision ou de l'inspection de respecter un délai de trois ans suivant la cessation de leurs fonctions à l'ASN pour pouvoir travailler chez un exploitant nucléaire qui opère dans le périmètre de leurs missions antérieures. Demain, en l'absence de distinction et d'indépendance entre expertise et décision, la règle des trois ans s'appliquera à l'ensemble des personnels techniques de l'AISNR. Cela aggravera le problème de l'attractivité des métiers et accélèrera la fuite des cerveaux, dans un contexte où le plan de charge lié à la sécurité et à la sûreté va s'accroître à la suite des décisions politiques prises pour relancer la filière.
Voilà donc deux arguments supplémentaires, qui devraient vous convaincre de préciser, dans le règlement intérieur de la nouvelle autorité, la distinction entre expertise et décision à laquelle vous prétendez être attachés.
L'amendement n° 52 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Cet amendement vise à préciser que la séparation entre l'expertise et la décision doit s'appliquer également à la validation de l'expertise. En effet, et d'autres amendements le souligneront, il convient de ne pas s'en tenir au stade de la publication des résultats d'expertise, qui peuvent être obscurs pour le public, mais d'aller jusqu'au stade de leur validation.
Je veux aussi revenir sur les propos de notre collègue Brulebois, qui estime qu'il ne faut pas considérer l'IRSN comme un contre-pouvoir. Mais personne ne le tient pour tel !
L'IRSN produit des expertises en matière de sécurité et de sûreté nucléaires, fondées sur des travaux de recherche, à l'aune d'un seul critère : l'existence ou non d'un risque, d'un danger. Sur la base de cet avis d'expert, mais aussi d'enjeux industriels et économiques, l'ASN prend ensuite la décision – elle demande par exemple à l'opérateur de modifier un élément de sa production, d'arrêter un réacteur ou de le redémarrer.
Prenons l'exemple de l'EPR – réacteur pressurisé européen – de Flamanville, dont le démarrage est aussi incertain qu'inquiétant. Malgré les nombreuses falsifications destinées à dissimuler le fait que son couvercle est défectueux, l'ASN a autorisé le lancement de sa production, à la condition que le couvercle soit changé dans un délai de dix-huit mois. Je conteste cette décision, mais c'est bien l'ASN qui l'a prise, en s'appuyant à la fois sur des expertises de sûreté nucléaire et sur d'autres considérations, en l'occurrence économiques et industrielles. L'enjeu de la séparation entre l'expertise et la décision concerne donc non seulement les résultats d'expertise, mais aussi leur formalisation sous forme d'avis ou de positions scientifiques et techniques, ainsi que les modalités de leur validation.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
L'amendement n° 301 de M. Benjamin Saint-Huile est défendu.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements identiques ?
La rédaction adoptée par la commission me paraît claire : l'alinéa 8 précise que la distinction concerne la personne responsable de l'expertise, et l'on comprend bien que le responsable est celui qui valide, qui signe l'expertise. Les amendements sont donc satisfaits. J'en demande le retrait ; à défaut, avis défavorable.
Même avis, pour les mêmes raisons. J'en profite pour répondre à M. Jumel, qui a évoqué les groupes d'experts où siègent des membres de l'IRSN. Il reviendra à la nouvelle entité – et en aucun cas à la représentation nationale – de décider de la composition des futurs groupes. On y trouve actuellement des représentants des exploitants, des retraités de ces derniers ou de l'ASN, ou encore des membres de l'IRSN – et peut-être y en aura-t-il à l'avenir. L'essentiel est que tous soient des experts intuitu personae, sélectionnés pour leurs qualités propres, et qu'ils représentent un panel suffisamment large et divers pour que l'expertise soit indépendante. Le texte adopté par la commission ajoute une condition : le groupe d'experts doit être indépendant de la personne qui prend la décision.
Votre réponse conforte mes arguments, monsieur le ministre. Dès lors que vous n'opérez plus aucune distinction – pas même fonctionnelle – entre ceux qui sont chargés de la décision et ceux qui sont chargés de l'expertise, les membres d'un GPE pourront participer à la décision ou à l'expertise. C'est véritablement problématique, même si les experts sont sélectionnés intuitu personae. Notez que les groupes d'experts ne comptent pas seulement des retraités, mais aussi des salariés de l'IRSN chargés de l'expertise. Vous alimentez donc une confusion.
Mais non !
En outre, vous ne répondez pas à la question déontologique que j'ai posée tout à l'heure, liée à l'obligation, pour les agents de l'ASN chargés de la décision ou de l'inspection, de respecter un délai de trois ans après la cessation de leurs fonctions avant de travailler chez un exploitant.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 81
Nombre de suffrages exprimés 79
Majorité absolue 40
Pour l'adoption 25
Contre 54
La séparation entre l'expertise et la décision est un des fondements de l'intégrité et de la crédibilité du système de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection depuis 1973, date de création du service central de sûreté des installations nucléaires (SCSIN). Cette intégrité et cette crédibilité sont primordiales pour légitimer les décisions et susciter la confiance du public. Si la confiance dans la sûreté nucléaire n'a pas toujours été au rendez-vous dans les premiers temps, notre système dual a permis de l'instaurer progressivement. Elle repose actuellement sur deux acteurs, l'IRSN et l'ASN, dont les missions sont bien différenciées, mais que vous avez décidé de fusionner en une autorité intégrée. Nous ignorons toujours sur quels rapports vous avez fondé cette décision en février 2023.
M. le rapporteur a signalé que le refus d'inscrire la notion d'indépendance dans le texte était issu d'un groupe de travail réunissant des membres de l'ASN et de l'IRSN. Or j'ai participé, comme mes collègues, à la quasi-totalité des auditions pendant la semaine de vacances parlementaires, et j'y ai majoritairement entendu s'exprimer des doutes, des inquiétudes et des alertes, de la part de la puissance publique – puisque des représentants des autorités suivaient ces auditions – comme de la représentation nationale.
Par cet amendement, nous vous proposons de renforcer la distinction entre les personnes chargées de l'expertise et celles qui sont chargées d'élaborer et de prendre des décisions. Nous ne cesserons de vous le demander.
Défavorable, pour les raisons que j'ai déjà évoquées. Nous avons eu ce débat.
L'amendement n° 83 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'amendement n° 279 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Il vise à introduire une clarification dans l'alinéa 8 de l'article 2, qui, en l'état, entretient un flou s'agissant de la distinction et de l'interaction des personnels chargés respectivement de l'expertise et de la décision. À cette fin, nous proposons de supprimer les mots « et d'interaction » dans la phrase : « Le règlement intérieur définit les modalités de distinction et d'interaction entre ces personnes. »
La parole est à Mme Delphine Batho, pour soutenir l'amendement n° 134 .
Soit vous distinguez les responsables de l'expertise d'une part, et de la décision d'autre part, soit vous organisez leur interaction. En mêlant ces deux notions, vous nourrissez une confusion ; la loi y perd en clarté et en intelligibilité. Le mot « interaction » n'a strictement aucune utilité à l'alinéa 8. La distinction des activités implique que le règlement intérieur détaille ce qu'il est autorisé ou interdit de faire. Pourquoi y accoler la notion d'interaction ? Cela ne sert à rien, sinon à effacer la volonté de distinction. Nous proposons donc de supprimer la référence à l'interaction.
Défavorable. On peut interagir tout en restant indépendant, madame la députée.
Contrairement à ce que vous sous-entendez, la possibilité d'interaction entre les personnels ne nuit en rien à l'indépendance. Telle est la position équilibrée à laquelle nous avons abouti à la suite d'échanges avec les personnels.
Même avis.
Comment pouvez-vous affirmer que vous avez travaillé sur ce sujet avec les personnels ? Ils sont vent debout ! Depuis hier soir, sur les réseaux sociaux, ils disent qu'ils vont tous démissionner !
Sur les réseaux sociaux !
Ne prétendez pas que vous avez eu l'aval des personnels ! Même les salariés du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ont adopté à l'unanimité, le 11 mars, une déclaration qui exprime leur opposition totale à cette réforme.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES et SOC.
Ne dites donc pas que la mention de l'interaction provient d'une discussion avec les salariés de la sûreté nucléaire : c'est faux.
Vous considérez donc que les membres des groupes de travail ne sont pas des salariés ?
Je m'associe pleinement aux propos de Mme Batho. J'attends toujours une réponse, monsieur le rapporteur : sur quelles auditions vous fondez-vous pour affirmer que les salariés approuvent vos propositions ?
Nous avons participé à toutes les auditions. Des représentants des salariés ont-ils acquiescé à votre proposition ?
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC et LFI – NUPES.
Je faisais référence au groupe de travail que nous avons consulté sur la notion de distinction.
Les douze groupes de travail sont pilotés par les directions de l'ASN et de l'IRSN : vous les connaissez très bien.
Je ne voudrais pas donner l'impression qu'il y a des bons et des mauvais députés, des bons et des mauvais salariés, des bonnes et des mauvaises organisations.
Je vous en laisse juge, monsieur le député ! Nous tenons un débat démocratique devant la représentation nationale, fondé sur l'important travail que nous avons tous effectué depuis un an – vous, nous et les autres. Arrêtons de nous renvoyer des rapports imaginaires ou des auditions qui n'ont pas eu lieu. Le sujet a fait l'objet d'un débat argumenté au Sénat et à la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée ; il se poursuit dans l'hémicycle. Jusqu'à preuve du contraire, la représentation nationale prend des décisions à la majorité – c'est sa responsabilité. Vos arguments sont donc surprenants. Nous avons le droit de ne pas être d'accord, monsieur Leseul, mais vous ne pouvez pas mettre en cause nos propos sous prétexte que vous avez entendu des arguments contraires ailleurs. Ce n'est pas une bonne façon de débattre. Écoutons-nous les uns les autres, débattons et votons. Avis défavorable.
Dès la première réunion de la commission, nous avons engagé un débat sur le fond. Nous avons fait part de nos divergences : nous sommes radicalement opposés à cette réforme,…
C'est votre droit !
De votre côté comme du nôtre – parfois conjointement –, nous avons auditionné les acteurs concernés. Chacun d'entre nous a mené des recherches et des entretiens avec les premiers intéressés, qu'ils soient touchés par cette réforme ou qu'ils s'en inquiètent ; c'est le propre de la vie démocratique. Douze groupes de travail thématiques ont été créés, dans un contexte d'incertitude ; ils ont démontré que le projet suscitait des tensions, mais certainement pas un consensus ni des convergences. Alors que l'ensemble des représentants syndicaux s'opposent pied à pied à votre réforme, vous ne pouvez pas affirmer que vous avez abouti à un consensus et à un point d'équilibre avec les salariés. Vous menez cette réforme contre les salariés, sans les salariés : assumez-le !
Vous appelez à trouver un compromis sur le texte, mais cela doit se faire dans un esprit démocratique. Chacun d'entre nous a été élu et représente une part de la société civile ; c'est la mission qui nous a été confiée. Nos amendements se fondent sur ce principe démocratique, or vous les rejetez systématiquement ; par posture politique, vous refusez d'entendre les inquiétudes qui s'expriment sur le fond du texte. Vous décidez de passer en force, mais nous sommes déterminés à améliorer le projet de loi.
M. Gérard Leseul applaudit.
Je veux vous mettre à l'aise, monsieur le ministre : vous avez parfaitement le droit d'être d'accord avec les décisions que vous avez prises tout seul, contre l'avis de tout le monde.
La représentation nationale s'est prononcée ! Quel antiparlementarisme primaire !
Vous avez parfaitement le droit d'être toujours certain d'avoir raison, seul contre tous : contre les organisations syndicales, contre les vice-présidents de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, contre tous les experts que nous avons auditionnés. J'aimerais être aussi sûr de moi, et m'endormir le soir en étant convaincu d'avoir toujours raison, tout seul et en tout point. Mais les questions de sûreté et de sécurité impliquent que l'on bâtisse des solutions avec les membres de la société civile et avec les acteurs concernés.
Il a peu été question, jusqu'à présent, des élus qui siègent dans les commissions locales d'information (CLI). J'ai moi-même été vice-président d'une de ces commissions pendant des années : je peux vous dire que les élus locaux sont radicalement opposés à votre projet. Ils ont pourtant une relation pragmatique à ces sujets, dans la proximité, soucieux des enjeux de transparence, de démocratie, de sûreté et de sécurité. Qui, plus qu'un élu local dont le territoire compte une installation nucléaire, est responsable devant ses administrés et doit leur rendre des comptes ? Ce ne sont pas les Parigots enfermés dans leurs palais dorés,…
…qui n'ont ni éolienne, ni centrale nucléaire près de chez eux, qui doivent répondre devant les habitants des enjeux de sécurité et de sûreté ! Je tiens aussi à vous le dire en ces termes. Que vous ayez une majorité soliveau, capable de voter comme un seul homme sur ce sujet ;…
C'est la démocratie parlementaire !
…que le Rassemblement national ait changé d'avis, pour des raisons qui nous échappent, cela vous appartient.
Mme Danielle Brulebois s'exclame.
Entendez toutefois qu'il existe d'autres avis que l'extrême et brillante certitude dans laquelle vous êtes enfermé.
Même avis.
En guise de soutien à la colère du collègue Jumel, et parce que vous nous avez accusés de relayer, trop bruyamment peut-être, les prises de position de l'IRSN, voici celle du CEA – la déclaration des représentants du personnel au sein de son comité central, réuni le 22 février, comme l'a évoqué notre collègue Batho. Alors que le CEA n'est pas partie prenante, ils s'opposent à la fusion de l'ASN et de l'IRSN, alertant les pouvoirs publics « sur les risques de perte de compétence et d'indépendance redoutés, si ce projet de fusion allait à son terme ». C'est ce que nous vous disons depuis longtemps ! L'organisation de la sûreté nucléaire, ajoutent-ils, « a prouvé sa robustesse » et contribue à faire accepter le nucléaire par la population ; il serait « hasardeux de la modifier maintenant en profondeur en pleine période de relance du secteur ». Selon eux, le Gouvernement doit comprendre l'inquiétude des personnels, tant au sujet du sens de leur travail qu'en matière sociale, les différences juridiques entre fonctionnaires, contractuels relevant du public et salariés de droit privé promettant d'être une source majeure de conflits au sein de la future institution. Par conséquent, comme nombre d'experts et professionnels de la filière, ils « demandent l'abandon de ce projet ». Soutiendrez-vous encore, monsieur le rapporteur, que votre argumentaire se fonde sur des discussions avec les salariés concernés ou leurs représentants ? Je n'en crois pas un mot !
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC et LFI – NUPES.
L'amendement n° 2 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Anne Stambach-Terrenoir, pour soutenir l'amendement n° 71 .
Je voudrais insister en faveur d'un principe fondamental : l'absence de lien hiérarchique entre le responsable de l'expertise et le décideur. Il est évident que dans le cas contraire, l'expert subira une influence, voire des pressions. Vous convenez qu'il importe de distinguer expertise et décision, vous prétendez le faire au sein de la structure projetée : votez donc pour cet amendement ! Je ne comprends même pas pourquoi vous pourriez y être défavorables.
Nous ne savons plus sur quel ton vous l'expliquer : le principal risque de votre tambouille est que des impératifs économiques, industriels, politiques l'emportent sur les considérations scientifiques et techniques, autrement dit que les exigences en matière de sûreté nucléaire diminuent. Tous les professionnels du secteur le craignent, comme vient de le démontrer notre collègue Leseul. Encore une fois, je ne conçois pas comment vous pourriez vous opposer à notre proposition ! J'ai déjà dit, mais il est apparemment nécessaire de le répéter, que l'accident de Fukushima a tourné à la catastrophe nucléaire en raison d'un défaut d'indépendance : la commission d'enquête mise sur pied par le gouvernement japonais en attribue la responsabilité à la négligence de l'opérateur, mais aussi, en amont, au fait que l'organe de réglementation n'était pas indépendant et a fait preuve de complaisance envers celui-ci.
M. Maxime Laisney applaudit.
Votre réforme est dangereuse, tout le monde l'affirme. Acceptez donc, à tout le moins, d'introduire quelques garde-fous dans ce texte !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
L'alinéa 8 de l'article 2 fait office de garde-fou : il prévoit, nous l'avons évoqué à plusieurs reprises, « une distinction entre, d'une part, la personne responsable de l'expertise et, d'autre part, la personne responsable de la décision ». Quant à l'absence de lien hiérarchique, je me demande comment elle pourrait être praticable au sein d'une autorité intégrée unique, où tout le monde sera subordonné au directeur général – nous en avons parlé en commission. Cette disposition serait tout simplement inopérante !
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Vous vous opposez à la réforme, ce que je peux comprendre ; permettez-moi néanmoins d'avoir une vision quelque peu différente. Avis défavorable.
L'amendement n° 71 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Benjamin Saint-Huile, pour soutenir l'amendement n° 302 .
Il vise à préciser les choses au sujet de l'autosaisine. Si l'IRSN, afin de fournir son expertise, peut être saisi par l'ASN, un ministère, ou encore le délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense (DSND), il dispose de la possibilité de se saisir lui-même lorsqu'il estime devoir alerter les autorités compétentes ; nous souhaitons que cette capacité soit confortée au sein du futur système intégré.
L'autosaisine de l'IRSN relève de la pratique, non de la législation, et il ne faudrait pas rigidifier le fonctionnement de l'autorité administrative indépendante (AAI) que nous nous apprêtons à créer ; à ce sujet, c'est elle qui décidera. En outre, le texte prévoit de renforcer le dialogue entre le public et les experts – nous y reviendrons. Une telle précision est donc inutile : avis défavorable.
Même avis. Cette possibilité n'existant pas dans la loi, l'adoption de votre amendement créerait un concept juridique ; qui plus est, il mentionne uniquement les experts, si bien que les chercheurs ne pourraient plus s'autosaisir. Ce qui existe continuera d'exister : le patron de l'AAI ne décidera pas à la place des personnels, lesquels usent tous les jours de cette capacité en proposant de travailler sur tel ou tel sujet. Demande de retrait.
Depuis le début de l'examen du texte, nous avons droit aux mêmes réponses :…
Celle-là, vous n'y aviez pas encore eu droit !
…« ce que vous voulez existe déjà, il n'y a aucune raison pour que cela disparaisse, faites-nous confiance ». Excusez-moi, mais nous n'avons aucune confiance en vous !
Je l'ai bien compris !
Vous ne nous accordez absolument rien : depuis le début de l'examen de l'article 2, alors que nous nous efforçons de bricoler afin que le résultat du démantèlement imposé s'agence du moins un peu mieux, vous n'avez été favorables à aucun amendement. Dans celui de notre collègue Saint-Huile, qu'est-ce qui vous fait peur ? Qu'aurait donc d'effrayant le fait de graver dans le marbre de la loi la possibilité, pour la future autorité, de s'autosaisir ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
En commission, j'étais favorable à un amendement de Delphine Batho ; en l'absence de celle-ci, il n'a pas été soutenu, mais son contenu se retrouve dans le n° 110, que vous examinerez bientôt. Il ne s'agissait pas de faire plaisir à Mme Batho : réellement, cet amendement est de qualité. Nous ne nous opposons pas à tout ; nous avons seulement une autre vision de la réforme, laquelle nous rend généralement défavorables à ce que vous proposez, de même que vous votez contre tous les articles. C'est la démocratie : on y arrivera, je suis sûr. Tout va bien se passer !
L'amendement n° 302 n'est pas adopté.
Il vise à ce que les services d'expertise de la future autorité puissent, en vertu du règlement intérieur de celle-ci, enrichir leurs travaux grâce au dialogue avec la société civile : la quatrième révision périodique des réacteurs de 900 mégawatts électriques a ainsi donné lieu à des phases de dialogue technique dès l'enclenchement du processus d'expertise. Cet amendement permettrait de s'assurer de la pérennité de ces dispositifs d'ouverture, grâce auxquels peuvent s'exprimer interrogations et préoccupations – et puisque les dispositifs en question existent déjà, il devrait logiquement faire l'objet d'avis favorables, d'autant qu'il a été élaboré avec les salariés de l'IRSN.
Ces dialogues ne relèvent ni du domaine législatif ni du domaine réglementaire ; rien ne s'oppose à ce qu'ils figurent dans un règlement intérieur, mais ce sera à l'autorité concernée d'en décider. Du reste, l'article 1er , tel qu'adopté hier, prévoit que l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection « participe, dans ses domaines de compétence, à l'information du public et à la mise en œuvre de la transparence », et l'article 4 qu'elle présente, entre autres au Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), « les sujets sur lesquels une association du public est organisée ». Par conséquent, le texte contient les dispositions adéquates. Je demande le retrait de l'amendement ; à défaut, avis défavorable.
Même avis.
Je soutiens bien sûr l'amendement, dû à ma collègue Anna Pic, que vient de défendre le camarade Petit. Monsieur le rapporteur, il ne s'agit pas d'informer le public suivant une logique descendante, mais de recourir à des dialogues techniques, autrement dit des échanges avec la société civile !
L'amendement n° 235 n'est pas adopté.
L'amendement n° 280 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Il vise à compléter l'alinéa 9 par la phrase suivante : « La commission est également chargée de veiller à la publication des résultats des expertises et à la distinction entre, d'une part, l'expertise, et d'autre part, l'élaboration de la décision et la prise de décision. » Nous entendons ainsi garantir la transparence de la gouvernance de la sûreté nucléaire. L'IRSN possède une commission d'éthique et de déontologie. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a souhaité en créer une au sein de la future ASNR ; elle a adopté en ce sens un amendement de son rapporteur dont l'objet comportait la phrase suivante : « Enfin, la commission sera aussi chargée de veiller à la publication des résultats des expertises et à la distinction entre, d'une part, l'expertise et, d'autre part, l'élaboration de la décision et la prise de décision. » En gravant ces obligations dans la loi, nous instaurerions la confiance en matière de sûreté nucléaire.
Nous n'avons pas tout à fait la même lecture des dispositions adoptées à ce sujet par le Sénat : vous iriez au-delà des missions d'une telle commission, qui veille essentiellement au respect des règles déontologiques applicables aux personnels – c'est déjà là une tâche importante. Les modalités de publication des expertises relèvent plutôt du règlement intérieur ! Voyez le déontologue de notre assemblée : il vérifie que chacun d'entre nous respecte les règles de fonctionnement, mais ne nous dit pas si nous devons publier les rapports auxquels nous avons travaillé.
Très bon exemple !
Même avis, pour les mêmes raisons.
L'amendement n° 94 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Chantal Jourdan, pour soutenir l'amendement n° 169 .
Dans le même esprit que le précédent, cet amendement vise à réintroduire la disposition adoptée au Sénat qui chargeait la commission d'éthique et de déontologie « de conseiller le collège pour la rédaction du règlement intérieur » et d'en suivre l'application. Elle veillerait également au respect des règles déontologiques, y compris celles censées prévenir les conflits d'intérêts entre d'une part le contrôle des exploitants, d'autre part les relations avec ceux-ci en matière de commerce ou de recherches conjointes ; mais aussi, comme l'a dit mon collègue Leseul, à la publication des résultats des expertises, ainsi qu'à la distinction entre l'expert et le décideur, dualité à laquelle nous tenons.
L'amendement n° 169 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Nous proposons de modifier la rédaction de l'article 2 : au lieu d'écrire que l'ASNR doit publier les résultats des expertises réalisées, nous suggérons que ceux-ci soient formalisés sous la forme de positions scientifiques et techniques, dont les modalités de publication seront définies dans le règlement intérieur auquel vous renvoyez l'essentiel de la mise en pratique du texte. Cet amendement a été élaboré avec les salariés de l'IRSN, que vous n'avez guère l'habitude d'écouter.
Ceux-ci nous expliquent qu'une expertise requiert le concours de différents corps de métiers et implique diverses études. Il est donc nécessaire de formaliser l'ensemble de ces travaux et de donner un avis global, afin de déterminer, par exemple, si le maintien en fonctionnement d'un réacteur ou le changement des soupapes est une bonne idée ou non.
Par ailleurs, la publication de ces éléments assurerait davantage de transparence vis-à-vis du public : je pense en particulier aux trente-cinq commissions locales d'information constituées autour des installations nucléaires, qui regroupent notamment des élus et des habitants. On nous a accusés de jouer sur les peurs ; mais les gens ont peur lorsqu'ils ne sont pas informés. Cela permettrait donc d'atténuer leurs craintes.
J'ajoute que cette publication constitue une obligation légale inscrite dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, adoptée en 2015. Faites s'il vous plaît en sorte que le texte n'enfreigne pas une loi existante !
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES et SOC.
Il ne me semble pas souhaitable d'inscrire dans la loi la forme que prendront les résultats d'expertise. Évitons de rigidifier à l'excès le cadre normatif et laissons la future autorité décider de la forme la plus pertinente de publication desdits résultats, en fonction des enjeux de chaque décision. Le principe de publication est désormais inscrit dans la loi,…
Il y est déjà !
…nous y reviendrons lorsque nous aborderons l'alinéa 12 de l'article 2. L'équilibre trouvé me semble donc satisfaisant.
L'amendement est satisfait ! Avis défavorable.
Permettez-moi de faire deux observations. Il est intéressant de débattre de la forme et du moment de la publication. Toutefois, vous voulez faire reposer cette publication sur la commission d'éthique et de déontologie, qui n'a pas vocation à organiser le dialogue entre l'autorité et le public – elle doit plutôt se concentrer sur ce qui se passe à l'intérieur de la structure. Soyons un peu sérieux, ce n'est pas son rôle ! La publication des résultats des expertises relève de l'autorité !
Ensuite, à travers la notion de positions scientifiques et techniques, vous introduisez un questionnement. Une expertise scientifique est-elle monolithique ? Ne pourrait-elle pas être divisée en éléments incompréhensibles pour le public, afin de montrer que le consensus scientifique se construit progressivement, par itération et par dialogue, pour aboutir à une position finale ? C'est bien ce que vous êtes en train de nous expliquer ? Vous voulez publier toutes les étapes de la construction du consensus scientifique.
M. Maxime Laisney s'exclame.
Mais c'est le boulot des scientifiques ! C'est à eux qu'il revient de construire ce consensus, non à l'opinion publique !
Entrer dans cette tambouille de spécialistes conduirait à embrouiller l'opinion publique.
La transparence en matière de nucléaire est essentielle, incontournable, et nous la défendrons toujours. Toutefois, elle n'a pas vocation à embrouiller l'esprit du public, constitué de néophytes. La transparence vaut pour le plus grand nombre, et pas uniquement pour ceux qui cherchent le détail dans le but de mettre à mal le système.
Je trouve un peu fort de me faire reprendre sur le sérieux de mon argumentation par un collègue qui considère par ailleurs qu'expertiser le cas d'un avion de ligne qui tomberait sur une centrale nucléaire est exagéré !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Ma réponse s'adressera plutôt au rapporteur et au ministre. Vous expliquez, depuis le début, que vous ne voulez pas rigidifier le cadre normatif, qu'il ne faut pas graver trop de précisions dans le marbre de la loi, pour fluidifier et laisser une forme de souplesse. Vous nous demandez de vous faire confiance, mais comme je l'ai rappelé tout à l'heure, nous ne vous faisons pas confiance – ce n'est pas un scoop, bien sûr, et nous n'allons pas changer d'avis d'ici à la fin de l'examen du texte.
Toutefois, ce n'est pas nous qu'il faut rassurer, mais les salariés de l'IRSN ,
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES
qui ne veulent pas entendre parler de votre folie de projet de loi et qui sont très inquiets que rien ne soit inscrit dans le marbre. Ce ne sont pas des antinucléaires,…
Mais vous, vous l'êtes !
…mais ils sont passionnés par ce qu'ils font et y mettent du sens. Or votre projet de loi casse le sens de leur métier. Voilà ce qui se passe ! Ils ont donc besoin d'être rassurés. Il va donc bien falloir que vous donniez quelques avis positifs sur nos amendements, pour bricoler quelque chose qui tienne la route pour l'avenir en matière de sûreté nucléaire.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
L'amendement n° 72 n'est pas adopté.
Il porte sur l'alinéa 10 et concerne les groupes permanents d'experts, dont nous avons tous reconnu l'importance pour faire avancer la sûreté dans le développement et l'exploitation des centrales nucléaires. La réglementation actuelle prévoit que les salariés ou les agents de l'ASN qui prennent les décisions ne peuvent pas prendre part au travail mené dans le cadre des groupes d'experts. Le problème très concret qui se pose – et nous voyons bien là l'ineptie de votre bricolage de construction –,…
…c'est qu'en fusionnant les deux instances, vous empêchez de faire la distinction entre les personnels de l'IRSN et ceux qui prennent la décision, puisqu'ils feront partie d'une seule et même structure. L'objectif est donc de faire en sorte, avec les outils qui sont à notre disposition, que les groupes permanents d'experts continuent de travailler efficacement, malgré la fusion. C'est pourquoi nous proposons d'ajouter à la phrase : « Le règlement intérieur définit […] les règles propres à assurer la diversité de l'expertise », la notion d'indépendance entre l'expertise et la décision. Cet amendement vise donc à rendre possible ce que la fusion rend difficile, voire impossible : faire en sorte que les principes fondamentaux de la sûreté nucléaire soient préservés un minimum.
Puisque ces sujets ont déjà été abordés à plusieurs reprises, permettez-moi, plutôt que de défendre mon amendement, de poser une question en toute bonne foi : comment expliquez-vous, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, que les présidents de CLI – je pense à Pierre Cordier, à Raphaël Schellenberger, à Paul Christophe –, ces élus qui sont engagés depuis longtemps sur la question du nucléaire et ont des positions connues et reconnues, émettent de nombreux doutes – pour reprendre un terme utilisé hier et pour ne me faire le porte-parole de personne – sur votre projet de loi ?
Comment expliquez-vous que le collègue Jumel ou que des gens de mon groupe qui sont connus pour avoir des positions pronucléaires, sont engagés dans les territoires et n'ont pas varié dans leur positionnement, fassent également part de leurs doutes ? Pourquoi ne vous interrogez-vous pas sur la position de ces personnes aux profils si différents ? Que des collègues défendent des positions antinucléaires – pardon pour la caricature –, cela ne surprendra personne ! Mais comment expliquer que des personnes très engagées, qui ont des responsabilités en la matière depuis longtemps et qui représentent la démocratie locale à travers les CLI soient opposées à la réforme ? Certaines font partie de la majorité parlementaire et l'on perçoit leur inconfort. J'aimerais comprendre comment nous en sommes arrivés là et pourquoi vous êtes incapables de construire un argumentaire solide, qui permette à chacun d'être rassuré. Je reste sans réponse à ce stade.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI – NUPES et SOC.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
Je me contenterai de répondre sur les amendements, même si M. Saint-Huile n'a pas présenté le sien.
L'existence des groupes permanents d'experts est préconisée par l'Agence internationale de l'énergie atomique : il s'agit que l'autorité de contrôle bénéficie d'un éclairage indépendant en vue de sa prise de décision, ce qui permet de confronter les points de vue. Ils sont de fait indépendants.
Par ailleurs, l'alinéa 10 de l'article 2 prévoit déjà que le règlement définit les règles propres à prévenir les conflits d'intérêts des membres des groupes permanents d'experts. Ces règles déontologiques sont précisées dans une annexe du règlement intérieur, dans la charte de l'expertise externe réalisée à la demande de l'ASN ; elles figureront dans le règlement intérieur de la nouvelle autorité. Il n'y a donc pas de raison de craindre des déviances à ce sujet. Vos amendements étant satisfaits, je vous invite à les retirer. Sinon, j'émettrai un avis défavorable.
Permettez-moi de rassurer le député Saint-Huile : je crois fortement et profondément aux vertus de la démocratie parlementaire. Je ne suis pas ici pour m'exprimer à votre place ou à celle de parlementaires qui, dans tous les groupes, sont opposés à la réforme ; pas plus d'ailleurs qu'à la place des députés, et ils sont nombreux, qui y sont favorables. C'est le propre du débat parlementaire. J'énonce des arguments ; certains d'entre vous y sont favorables, d'autres non. À la fin, on vote et on fait les comptes.
C'est en tout cas ce que nous avons fait jusqu'à présent. Il n'y a pas de raison que l'expertise de ceux qui sont favorables au projet soit dévalorisée par ceux qui s'y opposent. Encore une fois, c'est le propre du débat parlementaire.
J'entends la préoccupation qui s'exprime à travers vos amendements. Les groupes permanents d'experts répondent à une exigence internationale, celle que les autorités de contrôle s'appuient sur l'avis d'experts tiers, nommés en fonction de leurs compétences. Ils sont, de fait, indépendants de l'ASN et ils le seront encore demain. Faut-il l'inscrire dans la loi ? Je note que la manière dont vos amendements sont rédigés pourrait malheureusement faire peser un risque sur les membres des groupes d'experts. En effet, si les groupes doivent être indépendants, y compris dans le processus de décision, certains de leurs membres ne sont pas indépendants – ils peuvent travailler ou avoir travaillé pour des exploitants ou encore pour l'ASN. En mentionnant l'indépendance de leur expertise vis-à-vis de la décision, la rédaction de vos amendements introduit donc un risque juridique dangereux, celui que certaines personnes ne puissent plus être membres de ces groupes d'experts. Avis défavorable.
Il me semble que l'on confond deux notions. Les experts doivent être indépendants, mais par rapport à quoi ? Nous parlons de l'indépendance de l'expertise par rapport à la décision, et pas autre chose ! L'expertise ne peut pas être indépendante de tout, mais elle doit l'être de la décision. De quoi l'expert tiers devrait-il être indépendant en plus ? Ce qui importe, c'est de se prémunir de tout conflit d'intérêts et, s'il en existe un, de le signaler et de le rendre public. C'est cela, la transparence ! Il ne faut pas confondre toutes les notions. Le fait que des experts aient des intérêts n'est pas forcément gênant en soi, si cette situation est rendue publique.
Je n'irai pas dans le même sens que mon collègue Schellenberger. Toutefois, la question qui se pose est bien de savoir vis-à-vis de quoi les experts doivent être indépendants. Les membres des groupes permanents d'experts sont là pour faire avancer la sûreté. Ils doivent uniquement être indépendants de la décision. Or ce n'est pas inscrit dans le texte.
Les experts des groupes permanents dialoguent avec ceux du monde industriel. Il ne s'agit donc pas d'indépendance vis-à-vis des industriels, mais d'indépendance vis-à-vis de la décision. Pour que les différents experts issus du monde industriel et de la recherche publique puissent travailler ensemble, nous devons garantir leur totale indépendance vis-à-vis de la décision. Si la loi ne le fait pas, les groupes permanents d'experts ne pourront pas collaborer avec le monde industriel. L'alinéa 10 ne le précise pas : c'est la raison pour laquelle nous devons l'amender.
L'amendement n° 246 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Anne Stambach-Terrenoir, pour soutenir l'amendement n° 73 .
C'est un amendement de repli. En plaçant l'expertise sous la coupe du décideur, la fusion de l'ASN et de l'IRSN entraîne de nombreuses dérives. Ce n'est pas une lubie : le président de l'IRSN lui-même a confié ses craintes à la commission du développement durable ; selon lui, les experts risquent de se conformer à la volonté du décideur. Afin de renforcer les maigres garanties que vous concédez en matière de séparation des fonctions de décision et d'expertise, nous souhaitons au moins nous assurer que l'ensemble des personnels de la future ASNR seront formés à la déontologie. Ainsi, ils pourront plus facilement se prémunir des influences politiques, économiques ou industrielles. Ce n'est pas un sujet mineur.
Rappelez-vous, dans un autre champ, les crashs des deux Boeing 737 Max, qui ont causé la mort de 346 personnes en 2018 et 2019. D'après les conclusions d'un rapport du Congrès américain, ces drames s'expliquent avant tout par la concurrence farouche à laquelle se livraient Boeing et Airbus – Boeing devait à tout prix accélérer le calendrier de production. Cela ne vous rappelle rien ? Vous êtes en train de faire la même chose pour la relance du nucléaire ! Boeing, pour gagner du temps, a caché des données – en l'occurrence des problèmes sur ses appareils. Par exemple, en cas de déclenchement accidentel du système antidécrochage, le pilote disposait de seulement dix secondes pour réagir et éviter une catastrophe. L'administration civile de l'aviation américaine, la FAA – Federal aviation administration –, infiltrée par les industriels, n'a pas exercé le contrôle des intérêts industriels comme elle l'aurait dû. Voilà ce qui se produit quand les objectifs industriels et économiques priment sur la sécurité.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Gérard Leseul applaudit également.
Vous souhaitez que tous les personnels soient formés à la déontologie. Pour toute question relative à celle-ci ou aux règles de prévention des conflits d'intérêts, ils pourront se référer à la commission d'éthique et de déontologie dont le Sénat a prévu la création dans le texte. Une charte de déontologie et des formations pourront utilement être mises en place, comme c'est déjà le cas dans de nombreux organismes – y compris à l'IRSN. Mais la formation à la déontologie relève de l'organisation interne de l'autorité, nous n'avons pas à l'inscrire dans la loi – je vous l'ai déjà indiqué en commission. Laissons l'autorité administrative indépendante conduire ce travail en interne. Avis défavorable.
Avec tout le respect que je vous dois, madame la députée, je ne pense pas que la formation aux règles déontologiques aurait empêché l'accident du Boeing. Soyons sérieux !
Nous devons responsabiliser les acteurs – nous leur confions des responsabilités importantes. Vous voulez tout inscrire dans la loi, jusqu'à la formation à la déontologie des personnels de l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection. On marche sur la tête ! Avis défavorable : faisons confiance aux personnels de cette autorité administrative indépendante pour se former à la déontologie, comme dans toutes les entreprises et administrations françaises – y compris à l'Assemblée nationale. Nous sommes au XXI
Ce n'est pas aux salariés que nous ne faisons pas confiance : c'est à vous.
Exclamations sur quelques bancs du groupe RE.
Oh ! Nous ne serons pas en charge de l'ASNR !
Nous nous tuons à le répéter ! Certes, la formation en déontologie ne résoudra pas tous les problèmes, mais vous ne lâchez rien : vous nous dites que nous n'inscrirons rien dans la loi et que nous ne devons pas rigidifier. Il reste que le texte n'offre pas la moindre garantie de séparation entre l'expertise et la décision, ce qui est pourtant capital. Donnez-nous au moins un gage !
MM. Maxime Laisney et Gérard Leseul applaudissent.
L'amendement n° 73 n'est pas adopté.
Cet amendement prévoit que la commission d'éthique et de déontologie veille à la publication des avis d'expertise en amont des délibérations du collège de la future autorité. Je ne reviendrai pas sur le choix du terme « avis » plutôt que « résultats d'expertises » – je m'en suis expliqué tout à l'heure. Je concentrerai mon propos sur les raisons pour lesquelles les avis doivent être publiés en amont. Nous touchons là au cœur du texte – la publication en amont conditionne l'indépendance de l'expertise vis-à-vis de la décision.
Par ailleurs, la participation du public aux décisions environnementales est un droit reconnu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, qui a valeur constitutionnelle, et par la Convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, que la France a ratifiée en 2002. Le Conseil national de la transition écologique, sollicité pour avis sur le projet de loi, indique que le respect de ce droit suppose que la publicité des « éléments techniques qui supportent toute décision du collège » de la nouvelle autorité intervienne « suffisamment en amont de la décision ». Sans cela, les citoyens ne pourront pas exercer ce droit que leur reconnaît la Constitution.
Enfin, la publication en amont permet à l'expertise d'échapper aux pressions susceptibles d'être exercées en vertu d'autres logiques, notamment industrielles ou économiques. Je n'ai d'ailleurs pas eu de réponse à ma question : comment nous garantissez-vous que la décision s'appuiera sur une expertise fondée uniquement sur les exigences de sûreté, à l'exclusion de toute autre considération ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Gérard Leseul applaudit aussi.
J'ai déjà répondu tout à l'heure à l'occasion d'un amendement de M. Leseul. Le rôle de la commission d'éthique et de déontologie n'est pas de veiller à la publication systématique des avis d'expertise en amont des délibérations. Avis défavorable. Nous reviendrons sur les délais de publication des avis lorsque nous évoquerons l'alinéa 12.
L'amendement n° 74 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Anne Stambach-Terrenoir, pour soutenir l'amendement n° 75 .
Dans notre tentative désespérée d'introduire quelques garde-fous dans le texte, nous proposons que la commission d'éthique et de déontologie s'appuie sur une charte. En vertu de l'article 2, un collège de cinq personnes, dont trois sont nommées par le Président de la République, rédigera le règlement intérieur qui définit des données structurantes telles que les conditions dans lesquelles est assurée la séparation entre les personnes responsables de l'expertise et celles responsables de la décision ou les conditions de transparence.
Là encore, vous agissez dans la précipitation : vous ne voulez rien changer à la structure de l'ASN et vous tentez d'y faire entrer celle de l'IRSN – le collège reste le même alors que la structure change. Si les avis scientifiques sont rendus au moment de la décision, voire après celle-ci, comme l'a sous-entendu la ministre Agnès Pannier-Runacher, la tâche de l'exploitant et des industriels sera facilitée, mais pas le débat public, alors que le droit de la population à l'information est garanti par l'article 7 de la Charte de l'environnement.
M. Philippe Lorino, ingénieur expert du nucléaire, expliquait dans Le Monde que face aux tensions entre les objectifs économiques et de stratégie énergétique, d'une part, et les impératifs de sûreté nucléaire d'autre part, « l'autorité chargée de la décision […] doit effectuer des arbitrages raisonnables ». Voilà pourquoi nous tentons d'intégrer des garde-fous à votre réforme. En l'occurrence, nous proposons que la commission d'éthique et de déontologie, qui aidera à la rédaction du règlement intérieur, s'appuie sur une charte, comme c'est le cas à l'IRSN. Nous proposons d'inscrire dans cette charte les principes d'indépendance et de transparence.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
L'idée de charte est intéressante. Rien ne s'oppose à ce que la commission d'éthique et de déontologie s'appuie sur une charte, mais cette disposition ne relève pas du domaine législatif. La loi n'a pas à s'immiscer dans le fonctionnement interne d'une AAI. Avis défavorable.
L'amendement n° 75 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Je me permets de vous lire l'alinéa 10 : « L'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection s'appuie en tant que de besoin sur des groupes permanents d'experts, nommés en raison de leurs compétences. Le règlement intérieur définit les modalités de nomination de ces experts et les règles propres à assurer la diversité de l'expertise et à prévenir les conflits d'intérêts. » Vous renvoyez de nouveau au règlement intérieur. Confirmez-vous qu'il sera publié au Journal officiel dans les plus brefs délais après son adoption par le collège ?
Afin d'être plus précis – la rédaction nous semble un peu légère –, nous proposons de compléter l'alinéa 10 en indiquant que le règlement intérieur « vise aussi à garantir l'indépendance des travaux d'évaluation des risques et leur formalisation sous forme de position scientifique et technique à l'égard du processus d'élaboration des avis et décisions prises par son collège ou par délégation par ses services. » Vous nous avez répondu en commission que tout cela était un peu bavard, mais vous avez accepté de l'être lorsque vous avez refusé de supprimer le mot « interaction ».
Mme Delphine Batho applaudit.
Mme Anne Stambach-Terrenoir applaudit
Nous avons déjà longuement débattu de l'indépendance entre expertise et décision ; j'émettrai donc un avis défavorable. Pour que l'autorité soit créée au 1er janvier 2025, le règlement intérieur devra préalablement avoir été rédigé et adopté. Il sera publié au bulletin officiel et au Journal officiel, comme pour toutes les AAI.
Avis défavorable. Rassurez-vous, monsieur Leseul, le règlement intérieur sera publié. Comme il s'agit d'une autorité administrative indépendante, il sera publié au bulletin officiel de l'autorité, comme le prévoit la loi, et non au Journal officiel. Les excellents amendements des excellents rapporteurs ont permis de bien calibrer les délais de cette publication – à l'article 11 bis, je crois. Votre amendement est donc satisfait. Vous dites que nous voulons une loi muette, mais le projet de loi compte 26 articles ! Sans aller jusqu'à dire qu'il est bavard, il me semble que le contenu y est. Il n'est pas muet !
L'amendement n° 88 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Delphine Batho, pour soutenir l'amendement n° 110 .
Il est évident que l'ensemble des experts et des collaborateurs, permanents et occasionnels, sont assujettis aux règles déontologiques applicables à toutes les autorités administratives indépendantes et à leurs collaborateurs, permanents ou occasionnels. Néanmoins, cela va mieux en le disant !
Vous n'aviez pas pu défendre votre amendement en commission, madame Batho, mais j'avais indiqué à vos collègues que je trouvais cette proposition pertinente. Avis favorable.
L'amendement n° 110 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à Mme Mireille Clapot, pour soutenir l'amendement n° 176 .
Il s'agit de préciser dans le règlement intérieur que l'ASNR est officiellement investie d'une mission d'ouverture à la société et de processus de participation à la décision publique, décisive pour renforcer la confiance et la transparence.
Il existe en matière de nucléaire deux exceptions françaises, l'excellence de la sûreté et l'acceptation par la société, comme l'ont souligné plusieurs spécialistes. Qu'entend-on par « société » ? Nos électeurs, les électeurs de nos concurrents et les non-électeurs. Bien sûr, ils n'ont pas tous un doctorat en corrosion sous contrainte. Pour autant, il ne faut pas les mépriser. Il importe de les intégrer aux décisions. Si vous inscrivez dans la loi les modifications que je propose, vous renforcerez la confiance du public.
La société civile est déjà informée et même associée aux décisions grâce aux dialogues techniques et aux commissions locales d'information, dont on sait le rôle dans le cadre de l'ASN. Afin de renforcer cette exigence d'ouverture au public, il est prévu à l'article 1er que l'ASNR « participe à l'information du public et à la mise en œuvre de la transparence ».
En outre, l'article 4 prévoit que l'ASNR présente à l'Opecst et au HCTISN, lequel peut émettre un avis, les sujets sur lesquels une association du public est organisée.
Votre amendement est donc pleinement satisfait. Demande de retrait, sinon avis défavorable.
L'amendement n° 176 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Oui, madame la présidente. Ces amendements proposent que l'ASNR intègre dans son processus d'expertise les dialogues techniques menés avec la société civile. Les CLI, qui intègrent les populations vivant à proximité des installations nucléaires, ainsi que l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (Anccli) organisent régulièrement de tels dialogues avec l'IRSN et l'ASN depuis une vingtaine d'années. Leur disparition marquerait un retour à l'opacité du nucléaire.
Rappelons que ces dialogues permettent au public de mieux connaître l'organisation et le fonctionnement des centrales. Ils contribuent ainsi à atténuer les tensions éventuelles, ce qui serait de nature à favoriser la relance du nucléaire que le Gouvernement appelle de ses vœux. En outre, ils placent le débat public à un haut niveau de qualité, de l'avis même des membres des CLI et des responsables de l'IRSN.
L'Anccli est composée pour trois quarts de personnes favorables au nucléaire et pour un quart de personnes qui y sont opposées, mais toutes ses décisions sont prises à l'unanimité, précisément parce qu'elles sont le fruit des dialogues techniques avec l'IRSN et l'ASN.
La Commission nationale du débat public (CNDP) a été plutôt malmenée l'année dernière. Nous savons bien que la transparence n'est pas vraiment un enjeu cher au cœur du Président de la République. Peut-être pourriez-vous ici faire un geste pour aller dans le sens du dialogue avec la société civile ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Ces amendements sont trop prescriptifs. Je le répète, l'article 1er prévoit que l'ASNR participe à l'information du public et l'article 4 apporte des garanties supplémentaires. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.
Je suis saisie de plusieurs demandes de scrutin public : sur les amendements n° 247 et 249 , par le groupe Écologiste – NUPES ; sur les amendements identiques n° 157 et 282 , par le groupe Renaissance.
Les scrutins sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Nous en venons à plusieurs amendements, n° 247 , 202 , 89 , 249 , 133 , 135 , 131 , 157 et 282 , pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements n° 157 et 282 sont identiques.
La parole est à Mme Julie Laernoes, pour soutenir l'amendement n° 247 .
Cet amendement, ainsi que l'amendement n° 249 que je défendrai ensuite, renvoie à un aspect fondamental de la gestion de la sécurité et de la sûreté nucléaires dans notre pays : la manière dont l'indépendance des décisions est garantie.
Nous souhaitons protéger l'avis de l'expert de l'influence du décideur en prévoyant qu'il est publié en amont du processus de décision. C'est un principe appliqué actuellement et le supprimer constituerait un grave recul, comme plusieurs personnes auditionnées l'ont souligné. L'expertise justifierait la décision au lieu de l'éclairer.
Par ailleurs, nous souhaitons ajouter devant les mots « les résultats des expertises », les mots « les positions scientifiques et techniques qui formalisent ». Cela garantirait que les documents publiés sont présentés sous forme d'agrégation de résultats et qu'ils contiennent un positionnement scientifique et technique de l'autorité en charge de l'expertise, selon la forme que prennent actuellement les avis de l'IRSN. Il s'agit de favoriser la transparence de l'expertise et de donner la primauté à la sûreté nucléaire, de manière à conserver la confiance de la population dans le système de contrôle.
Puisqu'il y a déjà eu des incompréhensions et des zones de flou, il importe de distinguer avis décisionnel, avis d'expertise de conformité et avis issus de la recherche dans le domaine de la sûreté et de la sécurité nucléaires. C'est une façon de protéger l'instance décisionnaire. Comme, selon vos vœux, il n'y aura plus qu'une seule autorité, il n'y aura plus d'autres fusibles à faire sauter. Quelle que soit la forme juridique que prendra la future autorité, la publication en amont des résultats de l'expertise est essentielle. Refuser ce principe, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, reviendrait à opérer un recul.
Nous nous lançons dans une énième tentative de modification du texte afin de préserver l'avis de l'expert de l'influence du décideur. Cette fois-ci, nous proposons de préciser que ledit avis doit être publié « en amont de sa soumission au collège », donc en amont de la décision.
Honnêtement, collègues, nous ne savons plus comment vous signifier la gravité de ce que vous êtes en train de faire. La publication des avis scientifiques avant toute prise de décision est un principe clef de la démocratie technique. C'est ce qui permet aux citoyens de se saisir d'enjeux qui affectent leur environnement, potentiellement leur santé. L'Anccli, qui organise le débat public local autour de chaque site nucléaire, considère que ce projet risque de laisser le public de côté en fermant le dialogue. Or, l'information des habitants est l'un des piliers de la sûreté nucléaire en France. C'est même pour cette raison qu'a été créé le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire en 2006.
La publication en amont des avis scientifiques est un gage d'indépendance vis-à-vis des influences qui peuvent s'exercer sur le processus de prise de décision. La catastrophe de Fukushima et les accidents impliquant des Boeing 737 Max ont eu, je le répète, pour cause principale un manque d'indépendance, voire une forme de complaisance vis-à-vis des opérateurs ou des acteurs industriels.
Ce qui se joue dans la rédaction de cette loi aura des conséquences potentiellement dramatiques. Nous avons proposé plus de quarante amendements pour tenter d'établir des garde-fous et vous les avez tous rejetés. Sachez que nous nous faisons les porte-voix des professionnels du secteur en relayant leurs inquiétudes, qu'ils expriment sur les réseaux sociaux, menaçant même de démissionner. Si vous ne voulez pas nous écouter, écoutez-les au moins eux !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Mickaël Bouloux applaudit également.
La parole est à Mme Julie Laernoes, pour soutenir l'amendement n° 249 .
Il s'agit d'un amendement de repli qui se cantonne à l'ajout de la nécessité de publier les résultats des expertises en amont du processus d'élaboration et de la prise de décision. Rappelons qu'il s'agit même, pour les avis de l'IRSN, d'une obligation légale inscrite dans la loi du 17 août 2015 de transition énergétique pour la croissance verte, dite LTECV. Cette modalité est une condition de la transparence du processus global de prise de décision.
Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, il est irresponsable de vouloir – dans le but, semble-t-il, de lever les freins au développement du nucléaire – sacrifier la sûreté en rendant opaques toutes les décisions susceptibles d'avoir des conséquences sur la santé publique et l'environnement. L'ASNR, toute indépendante qu'elle soit, sera le seul fusible. C'est une double pression qui s'exercera sur elle : celle du Gouvernement et celle de l'exploitant, lui-même sous pression des agents.
Le principe de la publication en amont, en vigueur pour les avis de l'IRSN, protège l'indépendance de l'ASN et garantit son libre arbitre. En commission, certains ont prétendu que ce principe contraignait l'ASN dans ses décisions. C'est tout l'inverse : il lui permet de les prendre en toute transparence et en toute objectivité.
Mettre fin à la publication en amont, c'est mettre en grave danger notre système de sûreté et de sécurité nucléaires. On ne joue pas avec le nucléaire ! On ne joue pas avec les matières radioactives ! On ne joue pas à la roulette russe quand un accident nucléaire peut se produire sur notre sol !
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES et LFI – NUPES. – M. Gérard Leseul applaudit aussi.
Oui, madame la présidente. Comme vient de le dire ma collègue Julie Laernoes, nous abordons avec l'article 2 des débats de même importance que ceux que nous avons eus à l'article 1er sur le démantèlement de l'IRSN. Quand nous avons évoqué hier les enjeux de la fusion, que ce soit dans la discussion générale ou dans la discussion des articles, le ministre et le rapporteur ont affirmé à plusieurs reprises que la réforme envisagée respectait le principe de non-régression en matière d'information du public et de préservation de l'environnement. Ils ont insisté aussi sur le fait qu'elle ne s'accompagnait d'aucun bouleversement du cadre de sûreté et d'aucun affaiblissement du droit des citoyennes et des citoyens à être informés en ce domaine.
Mais que constate-t-on ? Le code de l'environnement, à son article L. 592-47, précise que : « L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire contribue à l'information du public. Lorsqu'ils ne relèvent pas de la défense nationale, l'institut publie les avis rendus sur saisine d'une autorité publique ou de l'Autorité de sûreté nucléaire. ». Or l'article 13, alinéa 12 du projet de loi vient supprimer les articles concernant l'IRSN.
La demande que nous formulons dans nos amendements est très simple : assujettir la nouvelle autorité aux mêmes règles de publication des avis que celles qui prévalaient auparavant, soit en amont de la décision de son collège. C'est un point capital.
Que propose donc le rapporteur dans son amendement n° 282 , qui vient clore cette discussion commune ? Il prévoit que les résultats soient publiés, non plus en amont, mais « de manière concomitante aux décisions auxquels ils se rapportent ». C'est le plus grave recul en matière d'information du public et de sûreté nucléaire qu'on ait enregistré depuis des décennies !
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES et SOC.
Aucune des lois précédentes, quels qu'aient été les gouvernements et les ministres, n'avait porté une telle atteinte à ce principe de publication en amont, que nos trois amendements, à travers des rédactions différentes, tendent à préserver.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES et sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
La parole est à M. Emmanuel Maquet, pour soutenir l'amendement n° 157 .
Nous débattons de la question du devenir des rapports d'expertise, qui a déjà donné lieu, en commission, à des discussions nourries. Nous sommes bien sûr tous attachés à ce que la transparence soit assurée et à ce que la publication des rapports d'expertise soit garantie. Cela dit, il est regrettable que la possibilité de décider en toute sérénité ait pu, par le passé, être parasitée par l'impact médiatique de rapports publiés sans maîtrise de la stratégie globale de communication. Pour des raisons d'organisation interne et de lisibilité de la communication publique, l'Opecst a recommandé, dans son rapport de juillet 2023, que ces éléments soient publiés en même temps que la décision.
À l'issue de nos discussions en commission, je crois que nous avons atteint le bon équilibre en proposant le présent amendement, qui pose le principe d'une publication concomitante des résultats d'expertise et de la décision, tout en laissant suffisamment de marge pour que les rapports puissent être publiés à un autre moment dans certains cas, si la situation l'exige. Cette question est renvoyée au règlement intérieur, ce qui me paraît le bon niveau de décision.
Je ne le présenterai pas dans le détail, puisqu'il est identique à celui que M. Maquet vient de soutenir, mais j'apporterai une précision relative à l'amendement et à la rédaction du texte. Si le principe de concomitance de la publication, promu tant par l'Opecst que par cet amendement, doit selon moi prévaloir, il me paraît nécessaire de l'assortir d'une certaine souplesse.
En effet, des dossiers dont l'instruction dure plusieurs années peuvent mériter la publication anticipée de résultats d'expertise, consolidés à différentes étapes de l'instruction. C'est le cas, par exemple, de l'autorisation du stockage de déchets radioactifs en couche géologique profonde ; je fais référence au projet Cigéo – centre industriel de stockage géologique –, que beaucoup d'entre vous connaissent parfaitement. À l'inverse, certains dossiers, par exemple des modifications d'autorisation pour faire face à des aléas industriels, doivent être instruits dans des délais si brefs que les résultats d'expertise sont publiés en même temps que la décision.
Quel est l'avis de la commission sur l'ensemble des amendements en discussion commune ?
Défavorable à tous les amendements qui précèdent les amendements identiques n° 157 et 282 , auxquels je suis favorable.
La règle de la concomitance, proposée dans le rapport de l'Opecst, me semble bonne, mais le règlement intérieur devra prévoir une certaine souplesse. N'oubliez pas que le règlement intérieur sera rendu public et pourra faire l'objet d'échanges avec les parlementaires qui suivent de près ces questions au sein des commissions des affaires économiques et du développement durable des deux chambres ou au sein de l'Opecst, ainsi qu'avec le HCTISN ou encore avec l'Anccli.
En un mot, je crois souhaitable d'instaurer la règle de la concomitance et de prévoir une certaine souplesse en fonction de la nature du dossier ; toutes ces modalités seront précisées dans un règlement intérieur rendu public.
Même avis : demande de retrait des amendements précédents au profit des amendements identiques n° 157 et 282 .
Madame Batho, nous aurons certainement l'occasion d'en débattre avant le vote de l'article 13, mais si nous proposons de supprimer les dispositions en question, c'est parce qu'elles font doublon avec celles de l'article 1er , alinéa 12.
Je rappelle que selon les règles actuelles, l'IRSN décide de la publication après concertation avec l'ASN. Par ailleurs, même si le code de l'environnement, pour des raisons de démocratie technique, prévoit l'accès du public à l'information – qui sera assuré par les dispositions que vous allez voter –, il ne mentionne nullement la chronologie de sa publication. Les amendements n° 157 et 282 , très bien rédigés,…
…visent à ce que soient publiés ensemble, dans la plupart des cas, les résultats d'expertise et la décision motivée, c'est-à-dire toute l'information nécessaire pour éclairer le public sur la pertinence de la décision et pour lui permettre de juger en connaissance de cause. On peut admettre des exceptions à cette règle générale, comme le projet Cigéo ou les examens décennaux, dont les délais d'instruction, très longs, peuvent justifier la publication régulière d'expertises. Je donne donc un avis favorable à ces amendements. Quant aux autres, j'en demande le retrait ; à défaut, j'y suis défavorable.
Je rappelle que la mission d'information du public, qui était dévolue à l'IRSN et à l'ASN et sera dévolue à la nouvelle structure, ne s'accomplit pas uniquement par la publication de résultats d'expertise.
Ne nous focalisons pas uniquement là-dessus. Je suis président de CLI, ou plutôt de CLIS, car la commission de Fessenheim est la seule à s'être donné le nom de commission locale d'information et de surveillance ; avant même la création des CLI, nous avons voulu que le public puisse surveiller l'activité de la centrale, et j'y tiens ! Toutefois, l'information du public n'est pas uniquement liée à la mise à disposition de rapports d'expertise, mais aussi à la disponibilité de l'institution pour répondre aux questions du public ou encore à la production d'études dans un cadre bien plus large que celui de la seule expertise destinée à informer les décisions de l'ASN. Il me semble important de le préciser.
Je rappelle également que la loi n'a jamais disposé que les résultats d'expertise doivent être publiés avant la décision. Cet usage a émergé un peu anarchiquement, sans que le législateur se soit jamais exprimé formellement à ce sujet.
Comme je l'ai dit en commission, je considère ce débat comme important, car je suis attaché à l'indépendance de l'expertise, comme vous tous, mais également à l'indépendance de la décision. Je ne supporte plus le procédé consistant à vouloir prendre à témoin l'opinion publique pour forcer certaines décisions. Ce n'est pas ainsi que se prend une décision sereine, honnête et transparente. L'indépendance de l'expertise doit aller de pair avec celle de la décision ; c'est pourquoi l'information doit être rendue publique à la fin de la procédure, au moment de la publication de la décision.
La parole est à M. Antoine Armand, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.
Je compléterai le propos de M. Schellenberger et j'appuierai les amendements de MM. Maquet et Fugit. Oui, la publicité des avis est nécessaire ; c'est un principe important, appliqué dans le cadre actuel où coexistent l'IRSN et l'ASN. Leur fusion entraînera forcément des modifications, d'où mon soutien aux amendements identiques.
Je vais mettre les pieds dans le plat. Que craignez-vous ? Vous n'avez pas, je crois, eu le courage de le dire clairement. Votre appréciation technique en matière de sûreté nucléaire étant infiniment supérieure à la mienne, vous craignez de déceler – ou que d'autres décèlent –, en lisant l'avis de l'entité chargée de l'expertise, un danger que le décideur, c'est-à-dire le collège d'experts, refusera ensuite de prendre en considération.
Que souhaitez-vous ? Pouvoir faire pression, en vous appuyant sur un avis technique, sur le collège indépendant de décideurs de l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection !
Ce que vous nous racontez depuis tout à l'heure sur l'indépendance, ce sont donc des fadaises !
Exclamations sur les bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Loin de souhaiter l'indépendance du collège de décideurs de l'ASNR, vous avez peur qu'il soit indépendant de vous et des pressions que vous pourriez continuer, par divers moyens, à exercer sur lui. C'est important de le souligner. C'est pour cela que nous devrions soutenir les amendements de MM. Maquet et Fugit.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Il se fonde sur l'article 58, alinéa 1er , de notre règlement. Je voudrais dire à notre collègue Armand qu'en tant qu'ancienne ministre de l'écologie s'étant battue bec et ongles pour l'indépendance de l'Autorité de sûreté nucléaire,…
…contre toute interférence dans ses avis et dans ses décisions, je n'accepte pas les propos qu'il vient de tenir.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES et SOC. – Mme Anne Stambach-Terrenoir se lève pour applaudir.
Vous n'êtes pas ici l'interprète de nos intentions ; avant de mettre en cause les autres, il faut balayer devant sa porte ! Vous n'avez pas de leçons à nous donner concernant les prérogatives de l'Autorité de sûreté nucléaire !
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES et SOC.
Comme d'autres l'ont dit avant moi, il s'agit d'une question centrale, qui pose une difficulté pour certains députés très pronucléaires. Pour ma part, ma position est plus circonstanciée ; je considère que l'intégration dans une autorité unique nous oblige à garantir absolument la publication préalable des résultats d'expertise, comme c'est aujourd'hui l'usage, appliqué avec la constance d'une règle absolue.
J'irai un peu plus loin. Les amendements de M. Maquet et de M. le rapporteur, dont M. le ministre considère qu'ils sont remarquablement rédigés, visent à ce que « ces résultats [soient] publiés de manière concomitante aux décisions auxquelles ils se rapportent, sauf pour les décisions pour lesquelles l'autorité en décide autrement, dans des conditions précisées par le règlement intérieur. » En d'autres termes, leur adoption rendrait possible la publication des résultats d'expertise après celle de la décision.
Vous auriez pu écrire que la publication anticipée était la règle et que la publication pouvait être concomitante dans certains cas, mais vos amendements rendent possible une publication des résultats d'expertise ni antérieure, ni concomitante à celle de la décision, mais postérieure !
Ce faisant, vous inversez complètement le fonctionnement de l'organisation, ce qui est à mon avis très dangereux.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Quand M. le ministre clame haut et fort que l'amendement est très bien écrit, cela m'inquiète vachement, si vous me passez l'expression. En effet, la règle actuelle est la publication préalable des résultats d'expertise ; vous voulez faire de la publication concomitante la règle, sauf exception, mais ladite exception peut aussi bien prendre la forme d'une publication préalable que d'une publication a posteriori. C'est très inquiétant.
M. Gérard Leseul applaudit.
Notre collègue Saint-Huile, qui est un remarquable parlementaire, a parfaitement raison sur la lecture juridique des amendements identiques n° 157 et 282 . Leur rédaction permet tout et son contraire, y compris une publication a posteriori. Elle n'est pas claire.
Par ailleurs, le point dont nous débattons touche probablement au contenu du rapport classé secret défense et aux vraies raisons du démantèlement de l'IRSN.
Ah !
La publication des avis relevant de l'article L. 592-47 du code de l'environnement dérange. Elle dérange en particulier les opérateurs. En promouvant cette disposition, vous tuerez la confiance dans la sûreté nucléaire, car vous affaiblirez sa crédibilité. En effet, cette crédibilité, fondée sur des méthodes robustes, s'appuie notamment sur la publicité des avis d'expertise.
Nous ne sommes plus à l'époque où il était possible d'infantiliser les citoyennes et les citoyens. Heureusement que l'ASN n'est pas sujette aux campagnes d'opinion fondées sur les avis d'expertise et qu'elle prend ses décisions souverainement, selon ce qu'elle estime bon pour la sûreté nucléaire ! Il n'en reste pas moins que la transparence est un des piliers de la confiance. Infantiliser les citoyens, les traiter comme s'ils étaient incapables de lire et de comprendre un rapport d'expert, c'est ce qui alimente le complotisme.
Divers mouvements obscurantistes se prévalent de cette attitude, voulant y voir la preuve qu'on dissimule quelque chose aux citoyens et que la vérité est ailleurs. Nous n'avons rien à cacher en matière de sûreté nucléaire ; pour lutter contre le complotisme, nous devons faire la transparence.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES et SOC.
Les prises de parole sur le thème « on nous cache tout, on nous dit rien », ça suffit ! Les dispositions prévues par le projet de loi ne constituent en rien une régression par rapport à la loi actuelle.
Vives exclamations sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Cela a été dit : il n'y a rien concernant la temporalité dans la loi actuelle. En l'état, il est simplement indiqué que les avis de l'IRSN sont publiés en concertation avec l'ASN.
Dans la pratique, cette publication se fait parfois en amont, parfois non. Et vous savez quoi ? Les amendements identiques n° 157 et 282 , que les prises de parole ont très bien expliqués, visent à publier, en règle générale, les avis de manière concomitante avec les décisions, pour que le public puisse se faire un avis éclairé, en disposant de toutes les informations contenues dans les rapports d'expertise et dans les décisions motivées. C'est très bien ainsi.
Parfois, du fait de la lourdeur ou de la durée des procédures, on pourra décider de s'abstraire de cette règle et de publier les résultats des expertises en amont. Parfois, il faudra publier ces résultats un peu plus tard…
…parce que la décision devra être prise très vite. Je vous ai déjà donné des exemples en commission.
Une fois de plus, « on nous cache tout, on nous dit rien » !
Si je peux terminer…
Je reviendrai sur les exemples que je vous ai donnés en commission si vous le souhaitez. Il arrive parfois qu'on doive prendre des décisions rapidement pour des raisons de sûreté.
Évidemment, monsieur Saint-Huile, on publiera ces rapports d'expertise par la suite. Arrêtez de donner l'impression qu'on va cacher des choses.
Tout sera rendu public, comme la loi le dispose depuis des années. Nous essayons juste de faire en sorte que ces décisions soient prises.
Ce ne sont que des paroles ! Ce n'est pas ce qui est écrit dans les amendements.
Non, madame la députée, ce ne sont pas des paroles en l'air, c'est la position du Gouvernement devant l'Assemblée. Nous ne sommes pas en train de discuter, nous faisons la loi ensemble. Tout ce que je vous dis a du sens.
Exclamations sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 97
Nombre de suffrages exprimés 96
Majorité absolue 49
Pour l'adoption 28
Contre 68
L'amendement n° 247 n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 98
Nombre de suffrages exprimés 97
Majorité absolue 49
Pour l'adoption 29
Contre 68
L'amendement n° 249 n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 102
Nombre de suffrages exprimés 99
Majorité absolue 50
Pour l'adoption 73
Contre 26
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.
Nous continuons de viser l'objectif de conserver la confiance de nos concitoyens dans la sûreté nucléaire française. Celle-ci était jusqu'à présent largement reconnue, l'IRSN étant une véritable « marque » mondiale.
L'amendement tend à maintenir l'obligation légale de publication des avis de l'IRSN. Dès lors que le collège de l'AISNR émettra des « avis », ce terme ne pourra pas être utilisé pour désigner les « positions scientifiques et techniques » sur lesquels reposent ces avis, et c'est pourquoi nous proposons de retenir cette formulation.
Ces positions seraient publiées en amont, pour que chacun puisse se faire une opinion et mieux comprendre ensuite l'avis du collège de l'AISNR. C'est non seulement une question de transparence, mais aussi une question de confiance.
La parole est à Mme Delphine Batho, pour soutenir l'amendement n° 132 .
Il y a certainement une raison légistique qui m'échappe, mais j'avoue que je ne comprends pas bien pourquoi nous débattons à présent au sujet de la première phrase de l'alinéa 12 alors que nous avons déjà débattu au sujet de sa troisième phrase.
Peu importe. L'amendement n° 132 vise une fois encore à garantir la transparence. La rédaction actuelle de l'alinéa 12 mentionne la publication des « résultats » des expertises. Retenir ce terme autoriserait à ne publier qu'une espèce de résumé édulcoré des conclusions de l'expertise scientifique et technique. C'est la raison pour laquelle nous proposons la rédaction suivante : « L'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection publie les positions scientifiques et techniques qui formalisent les résultats des expertises […] ».
Cet amendement est issu des propositions de l'intersyndicale de l'IRSN.
La parole est à Mme Julie Laernoes, pour soutenir l'amendement n° 248 .
Il est de repli, puisque nous avons opéré un grave recul en matière de transparence en adoptant les amendements du rapporteur et de M. Emmanuel Maquet.
Il s'agit non pas de défendre une position dogmatique mais d'affirmer que, si l'on veut garantir l'indépendance de la décision, il convient d'utiliser des termes clairs afin que les avis d'expertise mentionnés à l'article 2 ne soient pas guidés par la décision ; celle-ci, au contraire, doit être prise sur la base d'un avis scientifique indépendant. La décision ne doit ni influencer ni édulcorer la construction de l'argumentaire scientifique. C'est la raison pour laquelle nous appelons à cette précision lexicale.
Monsieur le rapporteur, en commission, vous avez balayé ces amendements en arguant que nous inventions un nouveau terme juridique, tout à fait bancal. Pourtant, il me semble qu'il s'agit d'une réforme en profondeur de la gouvernance. Vous avez mis fin à la publication des avis en amont ; il est donc nécessaire de renommer les choses, dans un contexte que vous avez voulu changer. Du point de vue légistique, l'article en sera plus solide.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Cet amendement porte sur la nécessité de publier les positions scientifiques et techniques.
Je voudrais profiter de mon temps de parole pour insister sur la gravité de ce qui vient de se passer : du fait de l'adoption des amendements identiques du rapporteur et de M. Emmanuel Maquet, les résultats d'expertise seront publiés non plus en amont, mais de manière concomitante aux décisions.
M. le ministre n'y a pas vu de problème, puisque le droit à l'information du public est respecté. Je lui avais pourtant dit précédemment que ce qui avait valeur constitutionnelle était non pas le droit à l'information, mais le droit de participation du public à la décision en matière environnementale. On voit mal comment le public pourrait participer à une décision après qu'elle a été prise !
Qu'avez-vous à cacher ? Comme l'a clairement dit le député Maquet : des défaillances, des fraudes, des falsifications, très bien documentées, comme dans le cas de l'EPR de Flamanville.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Thibault Bazin s'exclame.
Vous cachez également que vous donnez de nouveaux droits aux exploitants actuels et futurs – comme l'a rappelé le député Maquet, EDF et Orano se sont plaints à plusieurs reprises de la publication en amont de certains résultats d'expertise. Je pense aussi aux futurs opérateurs, notamment aux start-up qui veulent développer les SMR (petits réacteurs modulaires).
Tout cela est très grave, tant pour la transparence que pour la sûreté nucléaire – je tenais à le dire.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Mickaël Bouloux applaudit également.
L'amendement n° 87 de Mme Anne Stambach-Terrenoir, identique au précédent, est défendu.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
Nous avons déjà eu ce débat au sujet d'amendements sensiblement identiques. Avis défavorable sur tous les amendements.
Je répète que ce que nous sommes en train de voter ne changera rien à la nature ni aux modalités de publication des documents.
Vous êtes satisfaits du modèle actuel : c'est le même modèle qui continuera à s'appliquer.
Je répète aussi ce que j'ai dit en commission : l'expression « positions scientifiques et techniques » n'est pas une notion juridique. L'utiliser ne ferait que complexifier le droit, ce qui ne paraît pas utile.
Ces amendements étant satisfaits, je suggère de les retirer ; à défaut, l'avis du Gouvernement serait défavorable.
Monsieur le ministre, pardon, mais c'est la seconde fois que vous proférez une contre-vérité : vous affirmez que l'on reste à droit constant, alors que vous venez de décider que les avis d'experts ne pourront plus être publiés en amont des décisions du collège de l'ASN.
Je n'ai rien décidé !
Vous avez même dit que ces résultats pourraient être publiés après !
En outre, notre collègue Laisney vient de soulever une autre question : quand l'autorité de sûreté nucléaire engagera des procédures de consultation du public en application de la Charte de l'environnement, quel en sera le contenu, si la loi l'empêche de publier les avis d'experts avant que la décision ne soit prise ? C'est ce que vous avez introduit dans le texte, et je regrette votre réponse sur les amendements n° 132 et identiques, car ce sont des amendements de bon sens.
Nous avons besoin que vous clarifiiez, avec le rapporteur, le sens du mot « résultats ». Désigne-t-il bien la position scientifique et technique qui formalise un résultat d'expertise, au-delà de quelques lignes de résumé ? Si vous pouviez le préciser, cela clarifierait les choses.
Que se passera-t-il pour les enquêtes publiques ? Elles entreront dans le cadre des exceptions prévues. Ce sera par exemple le cas des visites décennales, qui courent sur des mois et des années, suscitant des consultations publiques et la publication d'avis d'expertise. On se trouve exactement dans le cas de figure où l'Autorité – qui, je le répète, est indépendante – doit, pour assurer sa mission principale, qui est la sûreté des installations nucléaires, pouvoir prendre les bonnes décisions.
Je précise que je n'aurai rien à voir avec ces décisions : ne commencez pas à penser qu'« on nous cache tout, on nous dit rien ». Ce sera une autorité indépendante qui les prendra, sans se fonder sur l'avis de Delphine Batho ou sur celui de Roland Lescure. Il s'agit à mon sens d'une bonne règle de gouvernance pour une sûreté qui doit être gérée de manière indépendante.
Je le répète : s'agissant de la publication des documents, on ne change rien. Vous êtes tous satisfaits du modèle actuel : on fera comme avant.
Sur l'amendement n° 97 , je suis saisie par le groupe Socialistes et apparentés d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Mireille Clapot, pour soutenir l'amendement n° 175 rectifié .
Cet amendement vise à inscrire les dialogues techniques avec la société civile dans le règlement intérieur.
De tels dialogues sont d'ores et déjà largement pratiqués. Cela fut notamment le cas lors de la quatrième révision périodique des réacteurs de 900 mégawatts électriques, et cela dès l'enclenchement du processus d'expertise. C'est également le cas, depuis fin 2022, pour le quatrième réexamen périodique de sûreté des réacteurs de 1 300 mégawatts électriques : des représentants des commissions locales d'information et des experts non institutionnels ont été inclus au dialogue technique. L'idée est toujours la même : il s'agit de dire à la société civile que ses préoccupations et ses questions sont entendues, qu'elle peut avoir accès à l'expertise et qu'elle peut être impliquée.
Graver dans le marbre de la loi ces dialogues techniques permettrait de nourrir la confiance et d'assurer la transparence, si importantes pour l'acceptation du nucléaire en France.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Vous aviez défendu tout à l'heure un amendement similaire, madame Clapot. L'avis est donc le même : défavorable.
Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable : l'amendement est satisfait.
Le projet de loi prévoit que la future autorité participe à l'information du public et à la mise en œuvre de la transparence.
L'ASN et l'IRSN le font déjà, et il est évident que la future autorité y veillera aussi.
Enfin, je rappelle que l'association du public est régie par l'article 4 du texte, que nous allons discuter sous peu – du moins, je l'espère.
C'est vrai !
Ce qui m'intéresse, c'est la transparence à l'égard du public – et non de la société civile. Sinon, cela signifierait choisir quelques experts dans le public ; il faudrait alors se prémunir contre les conflits d'intérêts. En effet, s'ils sont experts dans le civil, c'est qu'ils ont, vraisemblablement, des intérêts pour être experts. La situation est donc intenable.
Le public est attentif à la confiance, à la compréhension et au contrôle. Le dialogue technique est, quant à lui, une affaire d'experts ; la transparence n'est donc pas en jeu. Évitons de confondre ces deux notions.
Monsieur le ministre, il y a une différence entre la transparence, l'information du public et le dialogue technique. Lorsque nous avons auditionné les différentes parties prenantes, elles ont loué le dialogue technique et l'expertise citoyenne. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas que des intérêts privés ou personnels, ou que des gains ; il y a aussi des associations environnementales.